Cette page est publiée ici en toute liberté de fond et de forme par François Mardirossian
Mes souvenirs de Paul Léautaud
Écrire sur Léautaud est sûrement l’activité favorite de ceux qui l’aiment. Et je crois en faire partie. Pourtant, écrire sur Mes souvenirs de Pierre Louÿs — un ouvrage assez rare si j’en crois le Maître de ce site — me donne du fil à retordre et me fait connaître la fameuse angoisse de la page blanche. Je ne crois pas que Léautaud ait eu cette angoisse propre à certains écrivains. Tenir son journal quotidiennement aussi longtemps prouve une certaine facilité à écrire et une confiance en sa plume. Je lis Léautaud parcimonieusement, trop peut-être. Je l’aime tellement que j’ai peur de le lire trop vite et de devoir me contenter de relectures le restant de ma vie. Paradoxalement, je lis beaucoup plus de livres sur lui, sur sa littérature, ses rencontres que ses propres ouvrages. Je picore son Journal littéraire comme un calendrier de l’avent : un petit chocolat chaque jour et puis plus rien durant des mois.

Un mur de la bibliothèque de François Mardirossian. L’œil exercé et léautaldien reconnait, en F2, l’édition du Journal en trois volumes
J’ai relu assez récemment (comme quoi, j’en suis déjà à relire) In Memoriam pour la troisième fois et je reste toujours profondément ému une fois fini ce petit livre. L’émotion que procure Léautaud est très particulière ; je ne la retrouve que chez un seul autre auteur, plus proche de nous et disparu (trop tôt) en 2014 : André Blanchard. Cette émotion est un mélange de proximité amicale impossible et de préciosité des petites choses de la vie quotidienne propres aux grands sensibles. Léautaud aurait détesté cette analyse de l’émotion qu’il me procure. Quand je le lis, je m’évade du vide.
André Blanchard adorait Léautaud et comme lui, toute sa vie a tenu des carnets littéraires (ne lui dites pas que c’était un journal) où il digressait (comme j’ai l’intention de le faire, en vrai hommage à notre cher Paul) sur ses lectures, sa compagne, sa fille Pauline, sa vie en somme, qui charrie autant des soucis de santé que des plaisirs simples issus d’une observation léautaldienne de son chat. « Relire, avant même que nous tournions les pages, promet : primo, de chiner avec profit pour notre bibliothèque car déranger cet alignement hiératique de livres, voilà qui y transfuse de la vie et gomme son apparence de musée ; secundo, de nous exiler dans nos souvenirs les plus hospitaliers. » Le reste sans changement : Carnets 2012-2014 édition Le Dilettante ; 2015.
J’ai vécu presque dix ans à Bruxelles pour mes études et j’ai eu la joie de fréquenter des librairies comme il n’en existe presque plus en France — excepté à Paris, vestige littéraire intemporel. J’y ai fait des découvertes qui m’accompagnent encore aujourd’hui (Léautaud évidemment, Blanchard on l’aura compris mais aussi William Cliff, André Baillon, Emmanuel Bove) et qui m’accompagneront j’en suis convaincu jusqu’à mon dernier souffle.
C’est par hasard, à l’âge de 28 ans (j’en ai 33 à l’heure de ces lignes) dans une fameuse librairie d’occasion bruxelloise que je tombe sur un exemplaire à 1 € des entretiens avec Robert Mallet de notre cher ami. Connaissant de nom Léautaud — car déjà gourmand de livres sur la littérature — mais totalement ignare de sa littérature j’ouvre cette vieille édition Gallimard. À la lecture de quelques échanges j’ai la conviction de tenir entre mes mains un auteur qui deviendra un ami, un phare et un modèle. Je lis très rapidement ces entretiens et suis captivé et le coup de foudre apparaît. J’aime cet homme, j’aime sa façon de penser, sa manière de s’exprimer, ses amours, ses détestations et comme tous ses aficionados je raffole de ses défauts.
J’aimerais avoir le temps et l’abnégation de mieux me plonger totalement dans tout ce qu’a écrit, dit et pense Léautaud. L’exhaustivité absolue est le fantasme de toute personne obsessionnelle (passionnée dira-t-on !) et je crois m’être guéri de cette exhaustivité maladive grâce à mon métier. Je suis musicien, pianiste et co-directeur d’un festival de musique contemporaine qui se déroule sur Lyon. Depuis que j’ai 7 ans je fais du piano et je crois faire partie de ces musiciens qui passent énormément de temps à chercher des compositeurs méconnus, des œuvres oubliées et à s’intéresser à la musique de son temps. Il m’arrive de m’égarer sur le net des heures durant à la recherche d’une œuvre en particulier et faire des pieds et des mains pour la trouver. Si je devais écrire un texte sur toutes les partitions rares que j’ai en ma possession, Michel Courty devrait ouvrir un deuxième site rien que pour moi ! Bref. Revenons à cette exhaustivité que j’ai réussi à quitter pour la simple et bonne raison que je suis trop curieux de découvrir sans cesse de nouvelles choses. Et me consacrer seulement à un seul auteur ou musicien me rendrait malheureux. Car ma pratique de chercheur en musiques m’a appris que tout n’est pas forcément bon même chez un génie. Il y a des œuvres dont on aurait pu se passer chez Beethoven, chez Liszt, chez Philip Glass etc. mais pas chez Chopin ni Ravel. Et pas chez Léautaud. Chacun de ses petits écrits m’apporte quelque chose et me ravit. D’où ma frustration et une certaine contradiction dans mon propos… Chez certains génies, tout est bon mais c’est plutôt rare. Comme j’envie le savoir pointilleux d’une Édith Silve ou d’un Michel Courty1 ! et comme je suis heureux de pourvoir apporter ma toute petite pierre à cet édifice extraordinaire qu’est leautaud.com !
J’avais prévu d’écrire quelque chose de bien plus sérieux, construit et circonstancié mais les événements de ma vie m’ont privé de ce temps précieux. Tant mieux car ces quelques lignes m’offrent une spontanéité fraîche que — j’ose le croire — Léautaud n’aurait pas déprécié.
Les lignes suivantes sont de Michel Courty2 et présentent comme je n’aurais jamais pu le faire au mieux cet ouvrage déniché par mon meilleur ami Camille Rhonat sur catawiki et connaissant ma passion léautaldienne, il m’en a informé. Qu’il en soit remercié ici ! Je ne pouvais résister et j’ai mis le prix qu’il fallait pour un ouvrage bien mystérieux…
L’ouvrage Mes souvenirs de Pierre Louÿs, publié par K. Nizam — personnage assurément mal connu sous nos latitudes frileuses — est de dix-huit pages et en trois parties. La première est la reproduction d’un court texte de Paul Léautaud paru dans Les Nouvelles littéraires du treize juin 1925. Il s’agit d’un numéro spécial en hommage à Pierre Louÿs mort neuf jours avant, le quatre juin. Voici le texte de l’époque :

À propos de la partie de ce texte dans laquelle Paul Léautaud préfère rencontrer Pierre Louÿs en-dehors de chez lui, nous avons sa lettre :
À Pierre Louÿs
Paris le 8 février 1900
Cher Monsieur,
Vraiment oui, j’aime mieux ailleurs que chez moi, à cause de la trop grande simplicité du lieu que j’habite et qui me gênerait… Voulez-vous au Mercure, ou chez vous, pour ne point vous déranger ?
Si je ne reçois de vous aucune autre indication, c’est que ce sera au Mercure, à 4 heures, et j’y serai.
Agréez, je vous prie, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Paul Léautaud
Suivent des « extraits du Journal littéraire censurés dans l’édition en volume ». Depuis les travaux de Bertrand Vignon, à Grenoble, nous savons combien la chose a été conséquente. La différence entre la publication papier et le texte manuscrit est assez marquée (et non pas « copieusement censurée », ainsi que l’avance K. Nizam el-Moulk) mais ce n’est qu’une question de point de vue. Ces restitutions — provenant d’un « grand collectionneur, qui a désiré conserver l’anonymat » — concernent les journées des dix février 1936, douze mai 1939, 31 mai 1940 et douze juin 1947. Sont recensées ici quatre suppressions de texte en plus de onze ans. Il est sûr qu’il y en a eu bien davantage, peut-être cinquante fois plus. De quels documents dispose ce « grand collectionneur » ? le manuscrit ? (il faudrait voir si ces pages manquent à la bibliothèque Doucet3). Un des trois tapuscrits de Marie Dormoy ? Un est à Grenoble, un est peut-être conservé au Mercure, le troisième ne semble plus se trouver à la bibliothèque Doucet.
Dans la troisième partie, enfin, K. Nizam el-Moulk se présente un peu : « Étudiant koweïtien préparant une thèse en Sorbonne sur la vie et l’œuvre de Paul Léautaud, nous effectuions de longues recherches dans les bibliothèques françaises, lorsque nous fûmes surpris par l’invasion de notre pays. » Voilà qui éclaire pour les occidentaux la date de publication de l’ouvrage indiquée comme étant « l’an 1368 de l’Hégyre » qui paraît bien être du début des années 1990.
Une chose, tout de même, parce qu’elle sautait trop aux yeux. L’achevé d’imprimer indique que « cette édition originale […] a été imprimée […] sur l’imprimerie [!] spéciale du gouvernement koweitien en exil ». Sans trop savoir ce que cette imprimerie avait de vraiment spécial on pense évidemment à des machines américaines. À cause de ces tordus d’Européens qui placent des accents sur presque tous leurs mots, les Américains sont bien obligés de disposer des caractères accentués de ces précieux. Au moins sur les minuscules. Mais pour les capitales, ils n’ont rien. Ces capitales accentuées des typographes raffinés ont donc été rajoutées ici par nos petites mains délicates, souvent sans même le faire exprès. Sauf sur LOUŸS, par une espèce de fidélité idiote à l’original.
À part ça, la reproduction est exacte, les lignes ont le bon nombre de lettres, les pages le bon nombre de lignes, les frises et cabochons sont en place et tout est conforme à l’original4.
1 Note de M. C. : Ne confondons pas !
2 Note de M. C. : Rien de tout cela n’a été prévu ou organisé. Les « événements de la vie » évoqués par François Mardirossian ont pu faire craindre, un temps, qu’il soit dans l’impossibilité de produire sa page dans les délais. Un petit texte rapide avait été écrit et mis de côté en cas d’urgence. De là viennent ces derniers paragraphes. François, habitué de la scène et de ses impératifs, a été à l’heure mais a choisi d’utiliser un extrait de ce texte de sauvegarde.
3 Quand elle rouvrira. Pour les distraits, suite aux événements que l’on sait, la bibliothèque Doucet est fermée jusqu’à la saint-Glinglin, le temps de l’enquête, semble-t-il. Précisons que cette sympathique expression vient de l’est et signifie « lorsque les cloches (gling gling) sonneront (seing) pour célébrer l’événement », autant dire « À Pâques ou à la Trinité ».
4 Sauf la « teinte couleur sable » qu’il aurait fallu imaginer et qui posait trop de problème avec les images.