Fernande Olivier

Gens de peinture I

Ambroise Vollard
Émile Bernard
Marie Laurencin ►

Cette page web, publiée le quinze septembre 2021, correspond à une cinquantaine de pages A4 et comprend cent-vingt notes, vous êtes sur un site web sérieux.

Liens internes :     1930,      1931,      1932,      1933
Annexe I : Préface de Paul Léautaud au livre de Fernande Olivier Picasso et ses amis
Annexe II : Fernande Olivier : Sur moi-même
Annexe III : Radioscopie de Michel Balfort, par Jacques Chancel
Notes.


S’ouvre ici une série sur les gens de peinture qui va se poursuivre le premier novembre 2021 par Ambroise Vollard, le premier décembre par Émile Bernard et le quinze janvier 2022 par Marie Laurencin, tous connus et longuement évoqués par Paul Léautaud.

Paul Léautaud ne l’a pas perçu au début mais c’est l’histoire d’une publication que décrivent, mises bout à bout, les cinquante journées ou extraits de journées de son Journal littéraire qui sont reproduits ici. C’est l’histoire de la publication du livre de souvenirs de Fernande Olivier : Picasso et ses amis. C’est aussi l’histoire d’une camaraderie — volet méconnu de Paul Léautaud — comme celles qu’il a pu lier à cette époque avec Henri Bachelin1 ou André Castagnou2.

Pour Fernande Olivier, ça commence par un mystère. La seule chose que nous sachions avec certitude est que Fernande Olivier ne s’appelle pas Fernande Olivier. Amélie Lang, née en 1881 de père inconnu a choisi vers sa vingtième année de se nommer Fernande Belvallée, peut-être suite à une adoption, puis ensuite Fernande Olivier. En août 1889 elle a épousé — brièvement — un Paul Percheron (1873-1904), mort à 31 ans dans l’asile d’aliénés de Villejuif, qui sera rapidement évoqué ici lors de la journée du 17 septembre 1932. En 1904 elle a rencontré Pablo Picasso, dont elle a été la première maîtresse attitrée jusqu’en 1911 ou 1912. Ne pouvant pas avoir d’enfant, le couple a adopté en 1907 une fille, Alice, vraisemblablement née vers 1894. Il semble qu’Amélie ait quitté Pablo Picasso pour le peintre italien Ubaldo Oppi (1889-1942). Dans ce milieu gravitait aussi le comédien Roger Karl, très bel homme, qui a vraisemblablement succédé à Ubaldo Oppi « tout de suite après Picasso », dit-elle un jour à Paul Léautaud. C’était une vie d’errance sans ressources, faite de petits boulots de mannequinat, de modèle ou de peintre. Roger Karl semble l’avoir un peu aidée en fonction de ses cachets, aléatoires par nature.

Roger Karl
Roger Karl

Roger Karl (Roger Trouvé, 1882-1984), premier ou second prix du conservatoire d’art dramatique de Paris, est un de ces comédien ignorés du public de nos jours mais qui a beaucoup compté au début du siècle. Prenons pour témoignage les souvenirs de Georges Duhamel : « Ils sont tous là, les premiers comédiens de Copeau : ceux qui devaient, si peu de temps après, périr obscurément dans les massacres de la première guerre mondiale, et les autres, Roger Karl, Jouvet, Dullin, ceux qui, depuis plus de trente ans, ont animé la scène française dans ses expériences les plus fécondes3. » On peut observer que le nom de Roger Karl, dans l’esprit de Georges Duhamel, vient avant ceux de Louis Jouvet ou Charles Dullin. Roger Karl apparait dans soixante-quinze films, parfois de premiers ou deuxièmes rôles, entre 1909 et 1974. Parfaitement germanophone, Roger Karl a parfois joué des rôles de Russes dans les films allemands. Il a aussi écrit sous le nom de Michel Balfort4 quelques livres de souvenirs. On peut noter sa Vie d’un homme inutile, dédiée à Paul Léautaud, paru à compte d’auteur en 1941.

On peut aussi écouter sa très intéressante Radioscopie, l’émission de Jacques Chancel, diffusée le neuf mars 1977. L’extrait de cette émission concernant Paul Léautaud est retranscrit infra en annexe III. Fernande Olivier n’a pas été évoquée dans cette émission. Paul Léautaud, si.

Vendredi 5 Décembre [1941]

Avant de rentrer, passé au Mercure. Trouvé Roger Karl. Il vient de publier un livre, sorte d’histoire de sa vie : Vie d’un homme inutile, qui m’est dédié et dont il apportait un exemplaire pour moi5.

Michel Balfort, 1966

Roger Karl s’est aussi livré à la peinture sous le même nom de Michel Balfort et selon un catalogue il aurait réalisé 250 œuvres, dispersées le 15 avril 1990 à l’hôtel des ventes de l’abbaye Saint-Médard de Soisson.

Le second mystère — qui intéresse davantage les lecteurs du Journal littéraire — est la circonstance qui a fait entrer en relation Fernande Olivier et Paul Léautaud

Ça commence par une lacune. Pas une de ces lacunes organisées par l’éditeur afin de s’éviter des procès et dont on retrouve le texte sur le tapuscrit de Grenoble, non, une vraie lacune dans le manuscrit du Journal, qui ne sera peut-être jamais comblée.

L’édition papier du Journal littéraire au 26 septembre 1930

26 septembre [1930]

Souvenirs Picasso. Lendemain déjeuner Duhamel.

[…]

[Lacune] . . . signaler justement des choses de ce genre, Vallette6 disant lui-même que c’est pour cela qu’est faite la rubrique. Au bout de cinq numéros, plus rien dans Le Soir. Dans je ne sais plus quel autre journal, je lis un écho signalant l’interruption de cette publication, l’attribuant à une démarche de Picasso lui-même. Lundi dernier, je reçois une lettre de Mme Fernande Olivier me remerciant de ma lettre qu’elle venait seulement de trouver au Soir qui avait négligé de la lui faire suivre7. J’avais parlé à Dumur8 aussi de ces Souvenirs. L’idée me vient de lui demander s’il voudrait en publier un morceau dans le Mercure et si je puis en parler à l’auteur que je dois voir. Il me dit oui. J’écris à Mme Fernande Olivier pour lui dire quand on me trouve au Mercure. Elle est venue tantôt à 4 heures. Extrêmement jolie femme, artiste peintre et professeur de français pour vivre. Neuf ans vécu avec Picasso. Comme Apollinaire9 et Marie Laurencin dans leur maison, Apollinaire a mangé chez moi pendant des années. Galeries, peinture, critiques la tiennent à l’écart, pour ne pas déplaire à Picasso.

Que peut-on comprendre de ces notes jetées à la hâte ?

Dans ce journal Le Soir, qui est peut-être celui de Bruxelles, Fernande Olivier a commencé de publier ses souvenirs. Nous ne disposons pas de nos jours des mêmes sources que Paul Léautaud mais nous pouvons lire dans un assez fielleux article de l’hebdomadaire Aux écoutes du vingt septembre 1930, page seize :

« Un journal du soir avait commencé la publication des souvenirs de Mme Fernande Olivier, sous ce titre : Quand Picasso était pompier. Le feuilleton a été brutalement interrompu. Est-ce la conséquence des bandes de Hitler […]

« N’est-ce pas plutôt que M. Picasso se soit ému du deuxième chapitre tout consacré à des « orgies d’opium » ? Qu’eût-été le troisième chapitre !

« Ce qui est certain, c’est que Mme Fernande Olivier a depuis longtemps rédigé ses souvenirs et qu’elle les destine à la librairie sous le titre : Huit ans chez Picasso. […] »

Ce que l’on peut comprendre aussi est que ces souvenirs sont déjà écrits, puisque Fernande Olivier va en apporter le manuscrit au Mercure le 31 octobre.

Mercure de France du premier mai 1931

Vendredi 31 octobre [1930]

Ce matin, visite de Mme Fernande Olivier, m’apportant le manuscrit de ses Souvenirs pour le Mercure10. Elle est vraiment très jolie. Restée trop peu pour mon gré. Il m’est venu cette folle idée. |…]

La folle idée — qui provoque le malaise du lecteur — est de payer Fernande Olivier pour la voir nue. Ancien modèle, « Elle doit avoir perdu toute gêne à se dévêtir. »

Je la verrai certainement à propos de son manuscrit. Il faudra que j’aie la hardiesse de lui faire la proposition.

Longtemps Paul Léautaud nourrira pour cette femme encore belle des fantasmes adolescents, desquels il ne sera plus question ici.

Jeudi 9 avril [1931]

Visite de Mme Fernande Olivier qui vient me soumettre les épreuves11 de ses Souvenirs sur le milieu Picasso dont nous allons publier trois morceaux dans le Mercure. Remontant ensuite les épreuves corrigées à Dumur, il me demande si elle a des nouvelles de l’édition de son volume12 par la Nouvelle Revue française. Je lui dis que pas encore et je lui rappelle l’objection qu’on13 a faite tout d’abord sur ces souvenirs : mal écrits — c’est-à-dire pas écrit en belles phrases maniérées et contournées. Dumur a alors ce mot juste : « Certainement, que c’est mal écrit. Si c’était bien écrit, ce ne serait pas intéressant. » C’est en effet l’attrait de ces Souvenirs, qu’ils sont écrits par une femme qui raconte tout simplement, sans viser à aucun effet ni à aucune rhétorique. C’est ce qui m’a séduit dès les premiers morceaux que j’ai lus dans Le Soir. C’est ce qui a plu également à Dumur, quand, par mon intermédiaire, Mme Fernande Olivier nous a soumis les parties que le Mercure va publier. Les lecteurs de la Nouvelle Revue française préfèrent le style, dans le plus mauvais sens du mot, à la vérité des observations. L’ouvrage, qui a été repris après ma visite à Paulhan, quand j’ai appris de lui qu’on le refusait, est entre les mains de Gallimard qui doit le lire personnellement. Je pense que la publication d’une partie dans le Mercure influencera son jugement. […].

Marie Laurencin : Apollinaire et ses amis (2e version), 1909

De gauche à droite : Gertrude Stein, Fernande Olivier, une muse non identifiée, Fricka (chienne de Pablo Picasso assez peu visible sur cette reproduction), Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso, Marguerite Gillot, Maurice Cremnitz et Marie Laurencin au piano14.

Mme Fernande Olivier n’a pas mis dans ses souvenirs bien des choses d’un certain genre concernant des gens dont elle parle : Carco15, Cremnitz16, Mac Orlan17, Paul Fort18, Apollinaire, Marie Laurencin19 qu’elle a connus et vus de près dans leur jeunesse, ou à leurs débuts. Comme je lui parlais des histoires de L., elle me raconte que C. en a fait bien d’autres… M. amateur de petits garçons, s’envoyant lui-même cinq ou six pneumatiques dans la journée pour recevoir chez lui des petits télégraphistes, chipant tout ce qu’il pouvait chiper, jusqu’aux pièces de cinquante centimes qu’on laissait traîner. Certains rapports entre R. et C. Les histoires de Paul Fort avec Madeleine T., d’Apollinaire avec Marie Laurencin. Je lui ai vivement conseillé d’écrire tout cela, même sans idée de le publier. Je crois qu’elle va suivre mon avis.

Dumur a eu un trait de génie, pour la publication dans le Mercure des trois morceaux donnés par Mme Fernande Olivier, dans trois numéros se suivant. Omission de l’indication : à suivre, pour que Picasso ne soit pas mis en éveil et porté à venir réclamer plus ou moins au Mercure, comme il a fait au Soir. Cela s’appelle vraiment penser à tout.

Premier mai [1931]

[…] Je crois que j’ai oublié, dans les petites histoires que m’a racontées Mme Fernande Olivier, ce qui suit, comme je lui parlais de l’acteur K20. (Basler21 a dit à Auriant22 qu’il est son amant) et à propos du livre de Souvenirs de Georgette Leblanc23 sur sa liaison avec Maeterlinck24. K. a été l’amant de Georgette Leblanc. C’est même, au dire de Mme Fernande Olivier, la découverte de cette liaison par Maeterlinck qui a amené la rupture. K. se range dans cette affaire du côté de Maeterlinck. Il a écrit un livre sur sa liaison avec Georgette Leblanc et va le publier. Il a trouvé plusieurs éditeurs mais il voudrait le publier sous un pseudonyme alors que les éditeurs tiennent à son nom, et pour cause. C’est tout de même curieux, sans vouloir jouer au moraliste, de voir un monsieur qui a été l’amant d’une femme, et la cause de la rupture de cette femme avec son autre amant, se ranger du côté de celui-ci, et pour le justifier (c’est le mot qu’il emploie, au dire de Mme Fernande Olivier) publier un livre sur sa liaison avec cette femme.

Jeudi 7 Mai

Tantôt visite de Mme Fernande Olivier, désireuse de connaître la réponse de Gallimard pour son volume. Je lui ai dit que je verrai Gallimard après-demain (réunion des amis de la N.R.F. pour laquelle j’ai reçu une invitation ce matin) et que je lui demanderai ce qu’il décide. Elle reviendra lundi à 3 heures.

En fait à cette réception du neuf mai, Paul Léautaud n’aura pas l’occasion de parler à Gaston Gallimard, qui s’étant « cassé le pied » récemment, est « parti avant la réception, un peu malade. »

J’ai mis la conversation sur K. Elle a eu ces mots, en me donnant des détails sur lui, ses goûts, son existence : « Je n’ai pas à vous cacher que K. a été mon amant, tout de suite après Picasso. C’est même de lui que je tiens l’état nerveux que j’ai, par tout ce que j’ai eu à subir… Vous comprenez… les femmes… Aussitôt qu’une paraît… Maintenant, je peux le dire, je peux avoir de l’amitié pour lui, si on veut, mais c’est bien tout… »

Je ne sais pourquoi elle me parle à chacune de ses visites de sa vie difficile, tout à fait difficile… Elle est pourtant fort bien mise. Mais les femmes savent se mettre fort bien, tout en étant fort gênées, en prenant soin de leurs affaires, en les arrangeant, en les transformant… Elle parle aussi de sa solitude morale…

Cette gêne lui est préjudiciable pour sa peinture. Il lui faut le modèle. Le modèle coûte 10 francs de l’heure. C’est le prix qu’elle gagne avec ses leçons de français quand elle en a, et pour le moment elle n’en a pas.

Elle est jolie, mais il faudrait la voir sans chapeau et sans tout le petit protocole de conversation qu’elle a avec moi — au naturel, en un mot, et voir une femme au naturel, ce n’est pas une petite affaire.

Voilà bien une demi-douzaine de visites qu’elle me fait. Nous sommes seuls dans mon bureau. Je n’ai pas encore eu le moindre mot un peu galant avec elle. Je n’ai même pas à le retenir : il ne me vient pas. […]

Mardi 2 juin [1931]

Cette après-midi, visite de Mme Fernande Olivier. Excuses de venir ainsi me déranger. Deux petites choses à me demander. Roger Karl va publier un volume de vers, de réflexions littéraires. Il est connu comme comédien. Il se demande s’il doit signer de son nom ou prendre un pseudonyme, pour éviter les petites railleries qu’on a souvent pour les comédiens qui font de la littérature. Quel est mon avis ? Roger Karl lui-même désire le savoir. J’ai répondu qu’il vaut mieux signer de son nom, tout au plus en le modifiant et l’écrivant de la façon dont il a signé une nouvelle publiée par lui dans le Mercure en 1916 : Roger Carl25. Ensuite, cette autre : venir un jour la voir chez elle. Cela lui ferait grand plaisir. Même venir déjeuner. J’ai dit non pour le déjeuner, et oui pour la visite. Entendu pour samedi prochain en huit, 3 heures. […]

Mercredi 10 Juin

Affaire F. O. Noté ce matin dans le train : je sens déjà tout le poids de la déception, si je me suis trompé, si j’ai fait le fou, s’il n’y a rien.

Au Mercure, ce matin, justement, Auriant me parle d’Adolphe Basler, fort inquiet pour des choses pouvant le concerner à la publication du premier morceau des Souvenirs de Mme Fernande Olivier, et qui commence à se rassurer, ne voyant pas venir de suite. Il va la voir dans le Mercure du 15(26). Il a dit à Auriant qu’elle va certainement se faire de nombreux ennemis. Sur ce qu’elle a écrit sur Marie Laurencin27 : que ce n’est pas joli de sa part, qu’elle doit beaucoup à Marie Laurencin, « qui l’a nourrie ». J’ai dit à Auriant : « Mme Fernande Olivier en dit autant d’elle, qu’elle a nourri tous ces gens28… »

Ensuite, plusieurs lacunes rendent le texte peu clair…

Samedi 13 juin [1931]

Affaire F. O. — Visite très bien passée — et très convenablement. Pour la première, rien à compter de plus. Arrivé à 3 heures. Parti à 5 heures et demie. Elle était seule. Jolie toilette, mais aucune nudité. Je le répète : une visite fort convenable. Une robe d’étoffe légère, d’un très joli vert, collant au corps. À certains mouvements, je voyais sous les aisselles l’étoffe mouillée par la transpiration (il faisait aujourd’hui une chaleur assez forte). Je me la représentais nue…

Je lui ai apporté trois exemplaires du Mercure 15 juin qui contient le deuxième morceau de ses Souvenirs, plus qq coupures de journaux. Elle m’a remercié de mes roses d’avant-hier matin. J’ai fait silence pour ces remerciements, qui me gênent toujours, et qui, en la circonstance, me déplaisent carrément.

Un intérieur simple, d’artiste, en effet, au deuxième étage d’une maison à l’ancienne mode du quartier du Mont-Parnasse, cette orthographe convient au genre de la maison. Un peu le genre de la maison qu’occupait Sainte-Beuve, rue du Mont-Parnasse29. Deux petits chiens, quatre cages pleines d’oiseaux.

Conversation. J’ai appris beaucoup de choses. D’abord, dès l’entrée, en regardant les boîtes à lettres sous la voûte d’entrée, une par locataire (il n’y a pas de concierge). La sienne, avec cette petite pancarte : Roger Karl et Fernande Olivier, leçons de français. Voilà qui m’indiquait déjà une certaine intimité presque de chaque jour. Elle m’en a parlé avec beaucoup d’aise. Roger Karl vient tous les jours prendre son déjeuner chez elle, — il la paie pour cela. Il a beaucoup d’affaires chez elle : des livres, notamment. Elle m’a montré son exemplaire du Petit Ami, qu’elle m’a demandé de signer, grand plaisir que cela ferait à Roger Karl, son exemplaire de Passe-Temps, qui porte les traces d’une lecture fréquente.

Est supprimée ici une large part de cette conversation pourtant intéressante au moment où elle a été écrite mais qui contient trop de lacunes et de noms remplacés au moment de l’édition par des initiales rendant tout cela confus.

Continuons cette journée du 13 juin 1931 :

Sans chapeau, là, dans cette chambre, sorte d’atelier ou de salon, parlant avec naturel, par moments, elle portait un peu son âge sur son visage. Fort jolie, quand même. De profil, l’expression un peu dure. Elle est rousse, le roux vénitien, teinte probablement, il faudra que je lui demande. Et puis, les yeux faits, le genre de coiffure concourant à l’expression de la physionomie. Il faudrait la voir au naturel. Un très joli nez. Une très jolie peau probablement. Comme nous parlions de Manet avec l’Olympia30 et de Goya31, avec la Maja nue, moi opposant celle-ci à la première, j’ai eu l’occasion d’exprimer en peu de mots tout ce que je vois dans un corps de femme, la Maja nue éveillant aussitôt des idées de volupté, au contraire de l’Olympia, qui est même laide de visage.

La Maja nue de Goya (fin du XVIIIe siècle — musée du Prado)
Fragment de l’Olympia d’Édouard Manet, 1863 (musée d’Orsay)

Au milieu de tout cela, je lui ai fait, pour aujourd’hui, deux propositions, après l’avoir prévenue qu’elle n’avait pas à se gêner, qu’elle pouvait me répondre oui, non à sa guise, sans s’occuper de dire oui par politesse. La première, de l’emmener dîner dehors, ce soir, par exemple. Mais ce soir pas moyen. Elle attend une amie qui doit venir lui essayer une robe. J’ai dit alors demain dimanche. Cela a marché. Je lui ai répété qu’il ne fallait pas qu’elle se contraignît, qu’elle pouvait parfaitement dire non. Elle a eu ces mots charmants : « Mais pas du tout. Comme vous êtes drôle ! Pourquoi dites-vous cela ? » — Je lui ai répondu : « Mon Dieu ! n’est-ce pas, parce qu’après tout, cela peut n’avoir rien de bien séduisant. — Mais si, au contraire, cela me fera plaisir. »

Entendu donc pour demain dimanche. Je lui ai indiqué le tramway pour Fontenay, à prendre au coin du boulevard Raspail à deux pas de chez elle. Départ à cinq heures. Descendre à la Cavée32. Je serai là. Nous irons dîner à Robinson. Elle m’a prévenu qu’elle n’a pas de toilette extraordinaire. Je lui ai dit : « Tant mieux. C’est tout à fait ce qu’il faut. »

Ensuite, de l’argent, si cela pouvait lui rendre service. En m’excusant de la façon un peu sans détours, peut-être, dont je lui disais cela. Elle s’est récriée, comme trouvant que vraiment… Je lui ai dit : « Ce n’est absolument rien. Je m’en fiche parfaitement. J’ai de l’argent. Je ne dépense rien. Je ne m’offre aucun plaisir. Je vous le dis : je m’en fiche. Cela me fera au contraire plaisir. »

Elle m’a dit alors que, pour le moment, non, mais que cet été, peut-être…

Voilà la visite. Il ne pouvait pas y avoir plus. Je n’avais pas pensé à plus. Je n’étais pas disposé à plus. J’aime mieux qu’il n’y ait pas eu plus. Étonnant même comme j’étais tranquille. Il faut attendre une certaine intimité, habitude, — si elles viennent — sans lesquelles rien du plaisir n’a de charme vrai. 46 ans33 ! C’est encore mieux pour moi. 50 seraient encore mieux.

Ce qui m’intéresserait à connaître, ce sont les réflexions qu’elle peut faire, qu’elle fait certainement sur moi, sur ce qu’elle peut appeler mon « manège ». Les femmes font toujours plus de réflexions sur nous que nous n’en faisons sur elles, car il s’ajoute toujours chez elles le côté sens pratique. Savoir aussi si Roger Karl était au courant de ma visite ? Certainement oui, puisqu’elle m’a demandé pour lui de signer son exemplaire du Petit Ami. Qu’ont-ils dit entre eux de ma visite, lui surtout qu’en a-t-il dit ? Elle surtout, en a-t-elle parlé librement, ou en femme, c’est-à-dire en gardant ce qu’elle en pense, si elle en pense quelque chose personnellement ? Lui, de son côté, qu’a-t-il pu lui en dire ? Il ne faut pas oublier qu’ils ont été amants, qu’ils se tutoient, qu’ils se voient tous les jours, qu’ils ont les mœurs et les façons des artistes, c’est-à-dire absolument aucune gêne. J’imagine la situation entre le « Fléau » et moi. Je dirais bien probablement : « Hein ? il veut coucher avec vous ? » J’arriverai bien à la faire parler sur tout cela.

À propos de Pierre Benoit34 et de Carco, si bons amis, elle m’a raconté ceci : quand Benoit a publié She35, il a eu toute cette histoire de plagiat par lui d’un écrivain anglais. C’est Carco lui-même qui, sans se mettre en vue, a mis en branle cette histoire. Quand Benoit l’a su, explication sérieuse entre eux et brouille. Depuis, ils se sont raccommodés.

Elle a connu Carco tout jeune, à ses débuts. Sur lui, des tas de petites histoires… Elle rit de voir Carco aujourd’hui allant chaque dimanche matin à la messe. Mme Carco allant également à la messe.

Elle a été tout près de se marier avec Jean Pellerin, autrefois36.

Je lui ai dit aussi qu’on dit certaines choses sur elle, sans vouloir les lui dire, malgré son insistance. C’était plutôt difficile :… ingratitude et mauvais procédés à l’égard de Marie Laurencin. Ce qui peut très bien n’être que des inventions.

Dimanche 14 Juin

Ce matin, en me levant, comme il en est pour toutes choses quand je me lève un peu tard, je voyais cette histoire dans un ridicule complet, presque odieux, et une duperie complète pour moi, l’amusement probable entre Mme F. O. et Roger Karl à mon sujet. Lui aura-t-elle dit, aujourd’hui à déjeuner, notre rendez-vous de ce soir pour dîner ensemble à Robinson ? Bien difficile de le lui demander.

Je n’ai plus aucun plaisir de ce rendez-vous. Même plutôt de l’ennui. Je vais trop vite. Je l’ai vue hier pendant deux heures et demie. Qu’est-ce que je lui dirai ce soir ? Et elle, encore plus ?

Je crois bien que, pour le petit voyage projeté, je n’en aurais aucun agrément.

Mardi 16 juin

Auriant me raconte ce soir qu’il a vu Basler hier au soir, à qui il a demandé s’il avait lu le Mercure, le no du 15. Basler s’est tout de suite inquiété : « Pourquoi ? Il y a un nouveau morceau de Fernande Olivier ? Elle parle de moi ? Qu’est-ce qu’elle dit ? »

Auriant lui a dit en riant : « Mais rien de méchant. Une histoire de petit café crème », — il ne lui a rien dit des autres passages.

Basler alors : « Ah ! la salope, la putain. Je vais acheter le numéro. Croyez-vous que je doive répondre par une lettre au Mercure ? »

Auriant lui a assuré que le mieux, en pareille circonstance, est toujours de ne pas bouger.

J’ai dit à Auriant que j’irai un jour avec lui voir Basler qui veut depuis longtemps faire ma connaissance. Je m’amuserai. Il me parlera certainement des Souvenirs Fernande Olivier. Je lui dirai : « Mais ce n’est rien, voyons. Rien du tout. Elle m’en a raconté bien d’autres sur vous. Ce ne sont là que des broutilles. Naturellement, vous pouvez bien penser que tout ce qu’elle m’a raconté, je le garde absolument pour moi. »

Mais il doit être assez fin pour voir que je me moquerai de lui.

Lundi 22 juin [1931]

Marie Laurencin par Fernande Olivier, planche hors-texte du livre Picasso et ses amis

À six heures été avec Auriant rendre visite à Adolphe Basler, à qui Auriant l’avait promise depuis bientôt deux ans37. Il est sympathique, il a de l’esprit, et prend très bien la moquerie. Je lui ai dit que les Souvenirs de F. O. ont dû l’intéresser beaucoup, puisque sur de nombreuses gens qu’il a très bien connus et que d’ailleurs tout cela est des broutilles, que la suite en contient bien d’autres et que ce que l’auteur m’a raconté est encore bien autre chose. Il m’a dit avoir su par l’ex-mari de Marie Laurencin38 que, pour sa part, elle n’est pas du tout contente. Il a dit quelques mots sur Mme F. O. « Je l’ai encore rencontrée hier ou avant-hier, non, c’est bien hier, avec son acteur. » J’ai fait l’ignorant : « Son acteur ?… — Roger Karl. Un mauvais acteur… très mauvais. » Auriant qui l’a vu jouer dans le Beau Danube, chez Baty39, à Montparnasse, a confirmé : « Très mauvais. » Basler donne à F. O. cinquante-deux ans. Il exagère certainement ou se trompe. « Une jolie fille, quand elle était jeune. Je l’ai bien connue. Elle a été la maîtresse de Dufy… oui, Dufy… avant Picasso. » Il a rappelé le temps, pas très éloigné, où elle disait des vers au Lapin Agile, faisant ensuite la quête dans la salle. Auriant ne voyait pas bien : « Comment ? la quête ?… » — Basler : « Dame ! elle avait besoin d’un billet de 20 frs. »

Il me semble relire un passage de Sapho40. Cette histoire de dire des vers dans un cabaret, avec la quête ensuite, par-dessus le marché, ne me séduit décidément pas du tout. J’ai beau me dire qu’il lui fallait bien gagner sa vie. Milieu, genre, mœurs, pas du tout de mon goût. […].

Nous devons dîner ensemble dimanche prochain à Robinson. Nous y dînerons. Je me suis mis en tête de faire mon possible pour lui trouver un éditeur. Je continuerai. Ce matin j’ai écrit à Boutelleau41 pour lui demander un rendez-vous. Mais pour le reste, je crois bien que je ne bougerai plus, si agréable que je puisse me dire qu’elle puisse être peut-être dans certain domaine. Cette histoire de cabaret, cette série d’amants, cette intimité avec Roger Karl dont je me méfie (de cette intimité) me défrisent complètement.

Il est du reste fort possible que, sur ce dernier point, je m’explique plus ou moins avec elle.

Mardi 23 Juin

Ce matin, réponse de Boutelleau (librairie Stock) me donnant rendez-vous pour cette après-midi, ou l’après-midi de jeudi. J’y suis allé tantôt. Accueil charmant. Boutelleau un joli visage fin, distingué. Quand je lui eus dit l’objet de ma visite : « Ah ! je croyais que vous m’apportiez quelque chose de vous… » Il m’a rappelé la lettre qu’il m’écrivit courant 1925 ou 1926, quand je publiais dans les Nouvelles littéraires un recommencement du Petit Ami (un fragment de recommencement42), pour s’offrir à moi comme éditeur et la réponse que je lui fis43, lui disant que j’étais chez moi au Mercure et que je n’avais pas de raison pour changer. Je le lui ai redit aujourd’hui en le remerciant encore de cette lettre : « Supposez que vous ayez chez vous un auteur pour lequel vous seriez dans les meilleures dispositions et qui vous quitterait pour aller ailleurs ? Qu’est-ce que vous diriez ? — Je dirais que c’est un goujat. » Il m’a expliqué qu’il croyait alors que le Mercure ne publiait plus que certains auteurs de la maison, au nombre desquels je n’avais pas place, et que c’était la raison qui l’avait fait m’écrire, cela suivi de compliments, etc., etc.

Je lui ai alors parlé des Souvenirs F. O. en lui remettant les deux numéros du Mercure contenant les deux morceaux parus : commencement dans le Soir, interruption, ma démarche, l’appréciation de Dumur, la partie du volume publiée dans le Mercure, le caractère de ces Souvenirs, l’intérêt, tous les gens qu’on y voit, la façon délicieuse de simplicité et de naturel dont ils sont écrits, les nombreuses reproductions et citations déjà dans les journaux rien que sur les morceaux parus dans le Mercure, un public certain pour le volume, un public plus étendu par exemple que pour ce dernier volume de Vlaminck : Poliment44… Il m’a dit là-dessus : « Le volume de Vlaminck, c’est un four ! » J’ai résumé : une affaire modeste, mais une affaire qui se bouclera. Il s’est alors rappelé avoir lu les morceaux parus dans le Soir, qu’il avait trouvé cela très bien, et lisant sur la couverture d’un Mercure le titre du premier morceau : « Neuf ans chez Picasso », il me demande : « Est-ce que ce n’est pas la femme de Picasso ? » Je lui dis : « Oui… une ancienne maîtresse… » Il s’est alors décidé d’un coup : « Vous pouvez considérer comme une affaire faite. Je vais en parler à Delamain. Je vais lui donner un numéro à lire. Je lirai l’autre. Qu’est-ce que peut représenter ce que vous avez publié ? » Je lui dis : « Avec le troisième morceau, le tiers du volume. » Il me dit : « Enfin, on peut faire 300 pages. Il n’y a pas de choses non plus qui puissent attirer des ennuis ? » Je l’ai rassuré sur ce point, en lui citant ce qu’on a dit plus d’une fois dans les journaux sur les morceaux parus dans le Mercure : « Mme Fernande Olivier donne à chaque instant l’impression de ne pas dire tout ce qu’elle pourrait dire. » Il m’a alors répété : « Alors, cela va, cela va. Vous pouvez considérer comme une affaire faite. »

Il est entendu qu’il me donnera bientôt une réponse et que je lui remettrai le manuscrit complet.

Je n’ai rien écrit à Mme F. O. Je pense qu’elle viendra demain. Je la mettrai au courant. Je pense qu’elle sera contente du résultat.

 . . . . . . . . . . manque une ou des pages. . . . . . . . . . .

Mercredi 24 juin [1931]

[Après une dispute avec le Fléau]

J’étais depuis vingt minutes dans mon bureau, qu’entre Mme F. O. venue pour me demander deux exemplaires du Mercure 1er mai (premier morceau de ses Souvenirs). Je la reçois debout. Je suis éteint, vanné, navré, plein de choses affreusement tristes. Je la mets au courant de la réponse Boutelleau, je la prie de préparer pour lui un manuscrit bien en ordre. Elle est ravie, heureuse de la réponse, me remercie et me remercie. Elle me dit qu’elle a eu à voir Briand45 pour son chien et qu’elle a appris de lui qu’il me connaît. Il lui a parlé de la lecture de ses Souvenirs dans le Mercure, lecture qui lui plaît beaucoup, sans savoir d’abord qu’ils étaient d’elle, ne s’étant pas occupé de la signature ou ne l’ayant pas identifiée. Au bout de dix minutes à peine elle est partie. Un : « Au revoir », très gracieux, auquel j’ai répondu de façon peu gaie. Je lui enverrai demain un mot : Pas dimanche. […]

Samedi 4 Juillet

Affaire F. O. Ce matin, un mot me disant qu’elle m’attend comme d’habitude. Aucun entrain à y aller. […].

Je ne suis arrivé qu’à 3 heures et demie bien passées. Je lui ai dit en entrant : « Je viens parce que vous m’avez écrit et que je n’ai pas voulu vous faire m’attendre pour rien. Sans cela je ne serais pas venu. — Pourquoi ? — Parce que je ne peux tout de même pas venir m’installer chez vous chaque samedi. — Mais cela me fait plaisir, si toutefois vous n’avez rien de mieux à faire. »

Je suis un peu surpris qu’elle m’encourage ainsi à venir. Je ne suis pas drôle du tout. Je passe mon temps assis d’un air morose, en poussant de temps en temps mes exclamations désappointées habituelles. S’il ne tenait qu’à moi, je ne dirais même pas un mot. J’ai bien l’intention de ne pas continuer.

Je me suis bien ennuyé aujourd’hui. Je ne savais quoi dire. Elle à peu près de même. Je mourais de sommeil. J’en étais quitte, de temps en temps, pour me réveiller, à aller me mettre à la fenêtre, ou à dire des gentillesses à ses oiseaux dans leurs cages.

Elle m’a parlé de Picasso. Garde un excellent souvenir de lui. Est atteinte quand on dit devant elle du mal de lui, ou qu’on dit qu’il est malade. Il a été très bon pour elle, bien qu’il la trompât. Un vrai père. Même les jours qu’il n’avait pas de quoi manger, il trouvait le moyen de lui apporter une gentillesse, un flacon de parfum, par exemple, de 3 francs, c’est entendu, mais enfin une gentillesse. Elle était jeune, pas d’expérience de la vie, elle a pris les choses au tragique, elle est partie, avec onze francs dans sa poche, abandonnant tout, même ce qui lui appartenait. Une folie ! Elle serait aujourd’hui Mme Picasso, riche, tranquille, la vie assurée.

Elle a des peintures d’elle aux murs de la pièce dans laquelle elle me reçoit : des portraits, des fleurs, des natures mortes. Cela ne vaut pas cher46.

Son affaire de traduction de ses souvenirs Neuf ans chez Picasso, en Amérique, paraît en bonne voie. Elle lui rapportera une première somme de 25 000 francs. 20 % à l’agent Bradley, il lui restera 20 000 francs. Ce n’est pas mal. Elle en convient. Elle voit dans cette somme le moyen d’être tranquille pendant quelque temps pour faire de la peinture.

Parlé de Roger Karl — personnage décidément singulier dans cette affaire, qui est tout le temps avec elle et qui n’est jamais là quand je viens. Une vraie nature d’artiste. Je le crois aisément. Comédien, musicien, peintre, écrivain. Elle m’a montré deux portraits de femme peints par lui. Il y a de la vie et de la force, même n’étant que bâclés. Grand acheteur de livres, pour une phrase qui l’intéresse qu’il a vue en feuilletant, et qu’il envoie ensuite au diable après les avoir achetés, le reste du texte ne répondant en rien à la phrase séductrice, et remplissant les volumes qu’il lit de marques aux passages qui l’intéressent plus particulièrement. J’ai feuilleté un volume rempli ainsi de marques au crayon : toutes à des passages se rapportant aux inquiétudes du cœur et de l’esprit, à la rêverie du poète, à la tristesse de l’amour. Il est en ce moment sans argent pour passer son été, ayant tout dépensé sans compter, et gémit furieusement d’être dans cet état, un homme comme lui.

Elle est tout de même jolie, et même fort jolie. Quand elle parlait de Picasso, sur son visage de la rêverie, de l’émotion et du regret. Fort voluptueuse de formes, avec cela. Pourtant, en moi, pas même une intention. Comment cela se fait-il ? Je n’en reviens pas. Même une sorte d’embarras, à l’avance, si un détail ou un autre provoquait une conclusion ou même seulement une annonce de conclusion, tant je sens que ce serait là une histoire qui ne pourrait pas se continuer et que, dans ces conditions, il vaut mieux ne pas la commencer. Mon état est exactement celui-ci « Mon Dieu, que j’aurais l’air bête après, alors que je ne suis déjà pas si drôle maintenant. » Comme pour bien d’autres choses, il est trop tard pour celle-ci.

L’heure du départ approchant, je me demandais ce que je devais faire pour demain dimanche : invitation à dîner, ou ne rien dire. Bien embarrassant. Invitation à dîner, qu’est-ce que nous nous dirions ? Je faisais le calcul du nombre de kilogs de bougies que j’aurais avec l’argent de ce dîner, au moins 3 kilogs, et qui me seraient autrement agréables, mais ne rien dire, partir ainsi ? Ce n’était pas possible. J’ai donc fait l’invitation. Elle a dit oui, mais qu’alors il ne faudrait pas marcher, comme dimanche dernier, étant indisposée et la station debout et la marche ne lui allant pas dans cette circonstance. Si bien que le dîner reporté au dimanche suivant. J’en ai été enchanté, je pourrai passer demain mon dimanche tranquille chez moi. Il est vrai que ce n’est que reculer… Elle m’a dit qu’elle viendra me voir au Mercure. Pourquoi diable ? Elle n’a rien à me dire. Elle m’écrira sans doute ensuite pour l’après-midi de samedi prochain ? Je crois bien que ce sera le dernier samedi et le dernier dîner.

Vendredi 10 Juillet

Affaire F. O. À six heures, lettre me disant qu’elle m’attend demain après-midi. J’ai porté ce soir son manuscrit complet à Boutelleau avec une lettre dans laquelle je lui dis que j’espère bien que la bonne réponse qu’il m’a donnée à ma visite n’est pas modifiée.

Samedi 11 Juillet [1931]

Affaire F. O. — Chez elle de 4 heures à 6 heures ¼. Elle est tout de même fort jolie et doit l’être encore plus dans certains moments. J’aurais très bien… mais toujours mon manque de hardiesse, d’adresse, mon embarras à commencer, et de son côté rien pour m’encourager.

Conversation. Sur la guerre, les choses affreuses qu’elle a vues, ayant été occupée pendant deux mois dans un centre d’aveugles de guerre, qu’elle quitta au bout de ces deux mois, ne pouvant plus résister à cette horreur. […].

[…]

Roger Karl, antimilitariste, anti guerrier forcené, féroce, se défendant d’être Français, pas plus que d’un autre pays, bien décidé à ne pas se laisser envoyer tuer personne, et si on l’y envoyait, à en finir tout de suite en flanquant sa baïonnette dans le ventre du responsable. Mobilisé dans l’auxiliaire, secrétaire, dans un centre de province, d’un major ignare, stupide, sans pitié pour les malheureux qui passaient devant lui, vraie brute de paysan dont il avait conservé le langage. Roger Karl, chargé du service des certificats délivrés par ce major, à l’aide de grattages, de maquillages, transformait les certificats, chaque fois qu’il le pouvait, en convalescences prolongées, en réformes temporaires, en congés à longue échéance. Cela d’un gros risque pour lui s’il eût été découvert. Il estime lui-même à une bonne vingtaine les malheureux qu’il a mis ainsi hors d’affaire. Une fois, l’un d’eux, lui écrivit pour le remercier. Si la lettre avait été ouverte ! Une autre fois, ce fut la femme d’un de ces hommes qui se présenta, lui apportant, pour le remercier, des bouteilles de vin ou d’alcool.

Vendredi 24 Juillet

Affaire F. O. Ce matin, lettre très aimable. Désappointée de ne pas m’avoir vu samedi dernier. Espérait que je viendrais, même tard. Voulait venir me voir hier au Mercure. Au moment de partir, empêchée par une visite. Je peux venir quand je veux, même à l’heure de mon déjeuner s’il me reste du temps libre, même pour déjeuner si cela me plaît. Roger Karl est toujours à Monte-Carlo. Espère me voir bientôt. « Bien cordialement vôtre F. O. »

Je lui ai écrit que je viendrai demain, et que je suis étonné pour ces visites du samedi, qui n’ont rien de bien folâtre, encore moins pour elle, les sujets de conversation s’épuisant, s’y ajoutant qu’avec la chaleur revenue on a envie de faire tout autre chose que circuler. Nous verrons si elle montre quelques dispositions pour mettre un peu de nouveauté dans ces entrevues qui sont en effet maintenant un peu monotones.

Il y a une huitaine, j’avais reçu une lettre de Boutelleau me disant qu’il n’y avait plus qu’à avoir l’avis du directeur de la collection dans laquelle doit paraître le volume F. O. Ce soir, à cinq heures, visite de Charensol47. C’est lui le directeur de cette collection. Mme F. O. et lui se connaissent, puisque c’est lui qui s’est occupé de l’ouvrage au début, quand ce n’était encore qu’un mince cahier. Je lui ai raconté très exactement comment je suis venu à m’en occuper moi-même : lecture dans le Soir, l’interruption de publication, ma proposition à Dumur, ma proposition à Mme F. O., la publication dans le Mercure, ma démarche à la N.R.F. pour l’édition du volume, enfin ma démarche chez Stock auprès de Boutelleau, et que Mme F. O. ne m’a nullement caché que lui-même, tout au commencement, lui avait parlé de le faire prendre chez Stock. Il m’a dit être enchanté de mon intervention, qui a levé toutes les petites difficultés et rendu la solution plus rapide. Le volume paraîtra dans une collection illustrée, 30 francs le volume, tirage à 1 500, 10 % à l’auteur. Si c’est un succès, les 1 500 exemplaires vendus, on fait une nouvelle édition en volume courant. Il m’a dit que l’édition est toutefois subordonnée à deux points : 1o que Mme F. O. consente à ce qu’on donne son manuscrit, pour les parties non publiées dans le Mercure qu’on voit qui ont été un peu arrangées quant au style, à un correcteur pour remédier aux petites imperfections ou maladresses qui s’y trouvent — 2o que j’écrive une préface pour ce volume. On y tient absolument et on sera très heureux d’y voir mon nom. Je me suis récrié que je ne connais rien à la peinture ni aux peintres et que je ne sais vraiment pas ce que je pourrais écrire. Comme j’avais parlé au début à Charensol des qualités de naturel, de simplicité, de brièveté, de ton vivant qui m’ont séduit dès le début dans les Souvenirs de Mme F. O., il m’a dit que je n’ai qu’à écrire cela : ce que je pense de la manière dont doivent être écrits des ouvrages de ce genre. Même si je ne donne que trois ou quatre pages, cela ira. Il m’a bien fallu alors dire oui, malgré le côté un peu prétentieux de ce genre d’écrit, comme je l’ai dit à Charensol, qui m’a répondu avec raison que tout dépend du ton qu’on prend. Il m’a demandé si je vois Mme F. O. J’ai répondu évasivement que peut-être je la verrai demain. Il m’a chargé de lui dire d’aller le voir après-demain lundi dans l’après-midi aux Nouvelles littéraires pour régler la question de la révision de son manuscrit. Il a eu ce mot parlant d’elle : cette grosse fille.

Samedi 25 Juillet

Je l’ai mise au courant de la visite Charensol. Enchantée de la demande qu’il m’a faite d’une préface. Elle voulait me la demander et n’avait jamais osé. Je ne lui ai pas caché que cela ne m’amuse pas autrement.

M’a donné à lire l’introduction qu’elle a écrite, sur la demande de l’agent Bradley, pour l’édition américaine. Une présentation d’elle-même. Étonnant de naturel, de vivacité, de primesaut. Le côté charmant d’une femme qui parle du temps où elle était jeune. « La belle Fernande », comme on disait et comme on dit encore. Histoire délicieuse d’un charbonnier, d’une cinquantaine d’années, qui, de son propre mouvement, sans jamais demander d’argent, la fournissait de charbon et de bois, au temps de sa misère avec Picasso, uniquement pour avoir l’occasion de la voir, certainement très amoureux d’elle sans jamais en dire un mot. Je lui ai fait part de l’invitation de Charensol à aller la voir après-demain lundi aux Nouvelles. J’ai écrit sur les feuillets de cette introduction quelques lignes pour conseiller à Charensol de la placer en tête du volume Stock.

Il y a plusieurs semaines que cette introduction était demandée à Mme F. O. par l’agent Bradley. Elle n’arrivait pas à la faire, ne sachant comment s’y prendre, comment parler d’elle, tout à fait embarrassée. Avant-hier, me dit-elle, en faisant sa vaisselle, la forme, le ton, les mots lui sont venus et elle s’y est mise tout de suite. Elle m’a dit aujourd’hui : « Je me suis dit : je n’ai qu’à me figurer que j’écris une lettre à quelqu’un qui m’a demandé des renseignements sur moi. Ce sera beaucoup plus facile. » L’avis que j’ai donné souvent moi-même, en parlant littérature, pour éviter les phrases, le ton littéraire, avoir le ton naturel : se figurer qu’on écrit une lettre48.

Conversation comme toujours sur des gens. Je note les traits essentiels.

Roger Karl à Monte-Carlo. Avec une femme riche, qui a dit elle-même — on l’a rapporté à Mme F. O. — que s’il voulait l’épouser, elle l’épouserait bien. Dépêche de Roger Karl à Mme F. O. « Te supplie envoyer immédiatement 300 francs poste restante. » Elle dit ne lui avoir même pas répondu. « Qu’il se débrouille ! »

[…]

Maurice N., aujourd’hui rédacteur à l’Intransigeant. Familier du milieu Picasso aux débuts. Lui aussi, comme A., ramassait ce qui traînait. Des albums de croquis de Picasso. Signa tous ces croquis, qui n’avaient aucune signature, n’étant que l’équivalent de notes. Été les vendre à Sagot49. Mme F. O. furieuse adresse une plainte au procureur de la République. Aucune réponse n’étant venue, on n’y pensa plus.

Couverture de Fernande Olivier : "Picasso et ses amis" chez Stock

Je lui ai dit, pour sa visite à Charensol, de tâcher d’emporter le maintien du titre : Neuf ans chez Picasso, excellent, disant tout le caractère et la portée du livre, alors que ceux qu’il propose, comme meilleurs à son avis Chez Picasso, les Amis de Picasso, ne valent au contraire rien. C’est le correcteur des Nouvelles, Rabaud, mort depuis, qui lui a trouvé son titre.

Elle m’a dit, à un moment, qu’elle a relu, ces derniers jours, avec grand plaisir, même grand profit, Passe-temps. Je l’ai priée de ne jamais me tenir de ces propos.

Mardi 28 juillet [1931]

Affaire F. O. À cinq heures et demie, arrivée de Mme F. O. Me met au courant de sa visite hier à Charensol. La publication du volume est décidément entendue pour octobre. Mais des remaniements demandés, des atténuations dans les jugements, une fin qui soit plus une fin, comme titre : Les Amis de Picasso, en souscrivant alors à sa demande à elle de mettre au-dessous deux dates d’année pour préciser la portée du livre. Toujours la même histoire : un éditeur vous accepte un livre, et il vous demande ensuite de le transformer en un autre. Comme tout cela paraît très favorable à Mme F. O., cela va bien. Je lui ai conseillé toutefois d’en faire le moins possible et de porter son travail surtout sur les passages précisés par Charensol. En les voyant modifiés, il jugera que le reste est à l’avenant.

L’introduction qu’elle a écrite pour l’édition américaine sera incorporée à l’édition Stock, non comme introduction, mais comme premier chapitre. Excellente idée.

Conversation. Roger Karl est toujours à Monte-Carlo. Elle dit qu’il ferait bien mieux d’épouser cette femme avec laquelle il est là-bas. Il serait tranquille, il aurait de l’argent, et elle en serait débarrassée. Mais il paraît que l’argent, de cette façon, n’est pas un attrait pour lui. La liberté, les femmes. Dans son mariage avec Paule Andral50, qui était très riche, il aurait pu se tenir tranquille. Au bout de peu de temps, courant où il lui plaisait, revenant ensuite. Paule Andral, lassée, finit par lui fermer sa porte, jusqu’à faire changer les serrures.

Me raconte qu’après sa rupture avec Roger Karl, partie dans un coup de tête à Marseille, pour se marier (parti trouvé probablement par annonce ou par correspondance). Arrivée là-bas, devant le futur, pas moyen, manque de courage, devant le physique du futur, ses manières, sa classe sociale, son genre d’esprit, le tout à cent lieues d’elle. Dégoûtée, rebutée avant d’avoir commencé. Invente aussitôt un prétexte impérieux pour revenir, plante l’homme là, et revient à Paris après quatre jours. Elle a eu ce mot : « J’avais voulu faire une affaire… Je me suis aperçue que je ne pouvais pas. Au-dessus de mes forces. » J’ai retenu ce mot : J’avais voulu faire une affaire. Un homme qui entend cela d’une femme pense aussitôt à lui-même. Rentrée à Paris, plus de domicile, logée en attendant chez une amie, et, pour vivre, recommencé pendant quelque temps au Lapin agile.

Je l’ai trouvée moins jolie ce soir. Que doit-elle être dans l’intimité, le négligé, l’abandon ? Quand je vais la voir ou qu’elle vient au Mercure, elle est arrangée, elle s’observe, elle est moralement et physiquement : en parade. Elle doit bien avoir cinquante ans. Ses mains, je l’ai déjà observé chez elle, sont toutes ridées. Curieux comme je n’ai aucune attirance sensuelle. Pas la moindre envie ce soir de lui demander la signification de son propos de samedi : « Vous êtes obligé de rentrer ? » Je vois trop les suites d’une conclusion (embarras, air bête, ennuis, difficultés) pour que cette conclusion m’attire. Il n’y a pas à s’y tromper : de ma part, ce serait une bêtise.

Conversation, le côté vulgaire, épais, grossier, presque charretier, physiquement, de gens comme Vlaminck, Derain51. Derain encore, un certain côté d’artiste vrai. Mais Vlaminck. Bien l’homme qui a pris un jour une carte postale illustrée et qui a dit : « Je vais faire de la peinture avec ça. »

Utrillo52. Son ivrognerie invétérée. L’origine de cette ivrognerie. Sa mère, Suzanne Valadon53, fort jolie, fort légère, brune avec des yeux bleus, une de ces toutes petites femmes qui gardent très longtemps l’allure jeune, pour changer subitement du jour au lendemain et se transformer en vieilles femmes. Utrillo fils d’un amant, non reconnu. Reconnu par bonté par un autre amant, un Espagnol54, à l’âge de cinq ans. D’où son nom. La mère de Suzanne Valadon concierge impasse Guelma55, passant ses journées à boire. Suzanne Valadon toujours dehors, pour sa peinture, ses amants, l’enfant à la garde de la grand-mère. Celle-ci, pour avoir la paix, le faisait boire. À vingt ans, Utrillo était déjà un alcoolique fini. Il traînait dans Montmartre chez tous les marchands de vin, sans argent, échangeant un tableau contre un « litre ». C’est ainsi qu’on voyait des tableaux de lui chez tous les bistros. Enfermé pendant quelque temps. Revenu ensuite chez sa mère et l’amant de celle-ci, Utter56.

Le ménage sans argent. Les tableaux d’Utrillo se vendaient déjà très bien. Suzanne Valadon et son amant profitaient de son vice pour le faire travailler. « Fais un tableau et tu auras un litre. » Utrillo faisait le tableau et les autres couraient le vendre. Utrillo se fit ensuite bâtir une sorte de château du côté de Lyon. Il a même eu récemment la fantaisie de se faire faire une Vierge en argent, « comme ange gardien, pour le préserver des mauvaises choses », dit-il. Mme F. O. dit que ce n’est pas vrai ce qu’on dit maintenant qu’il va très bien, qu’il est complètement guéri, qu’il est au contraire complètement gâteux. Beaucoup de ses tableaux sont faits par Suzanne Valadon et par Utter. On reconnaît très bien dans ces tableaux ce qui est de Suzanne Valadon et ce qui est d’Utter.

[…]

Elle est partie à 6 heures et demie, ou plus, en me disant : « J’espère vous revoir bientôt. »

Samedi 29 août

Affaire F. O. Quand j’étais à P.57 lettre très aimable, me mettant au courant de la marche de l’affaire édition de son volume, et marquant le désir de me voir pour certains avis. Rentré, je lui ai répondu qu’elle peut venir au Mercure quand elle veut. Ma lettre écrite, une autre lettre sur le même sujet, et me disant qu’elle est toute désorientée de ne plus me voir chez elle, s’y étant si bien habituée. Je m’en suis tenu à ma réponse. Je pensais qu’elle viendrait au Mercure. Pas vue. Je n’ai pas bougé. Je ne tiens pas du tout à retourner chez elle. Je n’ai rien à y faire en aucune façon. Les sujets de conversation sont épuisés, et pour le reste, je n’ai aucune disposition. Curieuse histoire, — je l’entends de ma part.

Mercredi 2 Septembre

Tantôt visite de Charensol. Parlé du volume de Mme Olivier. Il dit, parlant d’elle : Fernande, — tout court, — « cette bonne grosse fille ». Encore quelques petites choses, paraît-il, à arranger. Il emportera le manuscrit dans un voyage qu’il va faire à Constantinople, pour s’en occuper. Parlé également de ma préface. Je lui ai dit quelle corvée c’est pour moi et que j’ai eu bien tort de dire oui. Ce oui dit, il me faut bien m’exécuter. M’a demandé de la faire passer préalablement dans les Nouvelles. Entendu.

Dimanche 24 Janvier [1932]

Charensol m’a envoyé il y a quelques jours un jeu d’épreuves du volume de souvenirs de Mme Fernande Olivier en vue de la préface que je dois écrire. Passé la soirée hier et une partie de la journée aujourd’hui à lire. Il n’y a pas d’autre mot : merveilleusement écrit. Une simplicité, une netteté, avec une force d’expression ! Un très grand talent d’écrivain, que pourraient lui envier bien des écrivains à succès. Charensol lui avait demandé d’ajouter cinq ou six pages en tête pour se présenter au lecteur. Elle me l’a raconté l’été dernier : d’abord assommée d’être obligée d’écrire ces six pages, ne sachant comment s’y prendre, puis, un jour, en faisant sa vaisselle, les premiers mots lui venant, vite elle s’est mise à les écrire. Elles sont excellentes, parfaites, réussies tout à fait, sans rien du petit côté quelquefois déplaisant de ces pages : portrait de l’auteur. Si je cherche le pourquoi de ce style si simple, aéré, courant, et pourtant si expressif, je crois que c’est cela : cette femme n’a eu l’esprit gâté par aucune rhétorique, elle écrit comme elle pense et comme elle sent, sans s’occuper de plus, n’ayant pour guide que d’être vraie et claire.

Je voudrais bien écrire de cette façon-là.

Jeudi 28 Janvier

Tantôt, visite de Mme Olivier, venant sans en avoir l’air aux nouvelles pour ma préface. Toujours jolie. Restée à bavarder pendant plus d’une heure, seule dans mon bureau. […].

J’ai raconté à Mme Olivier ma lecture des épreuves de son volume, le plus grand bien encore que j’en pense, la merveille que je trouve sa façon d’écrire, etc., etc. J’ai même été franc jusqu’à lui dire que je me suis même demandé si c’est vraiment elle… C’est vraiment elle, il n’y a pas à en douter, je le sais bien, les femmes ont d’ailleurs souvent cette façon d’écrire à la fois simple, aisée et très expressive. Elle m’a d’ailleurs dit ce qu’elle m’avait déjà dit, qu’elle a travaillé. Le texte imprimé n’est pas du tout ce qu’elle avait d’abord écrit. Elle a d’abord écrit au courant de la plume, tout son volume, comme cela lui venait. Puis, elle a repris, corrigé, amélioré, simplifié, supprimé les redites, ajouté une chose ou une autre oubliée, etc., etc. C’est en effet indiscutablement la meilleure façon d’écrire : écrire d’abord tout, sans s’arrêter, sans s’occuper du plus ou moins bien, puis reprendre. Cela vaut mieux que de m’embarquer comme j’ai fait pour la première fois de ma vie avec mon travail actuel d’In Memoriam58 : écrire morceau par morceau, croire chacun définitif, puis un morceau plus loin démolissant tout, et tout à recommencer. Et non seulement méthode préférable pour le résultat, mais méthode préférable aussi pour le plaisir.

     À Fernande Olivier

Paris le 13 février 1932

     Chère Madame

Vous mettez toujours bien des coquetteries dans vos lettres. Une femme n’ennuie jamais un homme comme moi. J’ai bien envie de me mettre à vous imiter. J’irai vous voir quand il fera chaud. J’ai peu de goût pour l’emmitouflement.

Je n’arrive pas en effet à me chauffer chez moi. La maison est au milieu du jardin. Le vent tourne autour. Il faut laisser entr’ouvert en bas pour les chats. Je passe depuis quelques jours mes soirées à geler. Le travail n’est pas commode. Sans cela vous auriez déjà ce petit papier que vous attendez. Je pense bien que vous l’aurez lundi soir.

Je vous le dis dès maintenant. Vous savez que je parle toujours sans fard. Donc tenez compte de ce que je vous dis. S’il y a dans ces deux ou trois pages quelque chose d’inexact ou de trop, corrigez ou supprimez. Je ne vous le répéterai pas. Je considère cela comme entendu dès maintenant.

Tâchez donc de faire recueillir à cette dame un animal abandonné, sans maître ni maison. Il y en a partout.

Il est convenu avec Charensol que vous enverrez ou porterez directement ma petite préface chez Stock. Vous voudrez donc bien prendre ce dérangement.

[…]

Je n’ai pas beaucoup de temps le samedi matin pour écrire. Il faut faire dans la matinée le travail de la journée, à cause de la semaine anglaise59.

        Cordiaux hommages.

P. Léautaud

Lundi 15 Février

J’ai enfin écrit ma préface Olivier hier dimanche soir, de 8 heures à minuit, après m’en être encore tourmenté toute la journée. Quel soulagement, depuis quatre mois au moins qu’on l’attend et qu’on me la réclame60.

Vendredi 19 février

Fernande Olivier par elle-même, planche hors-texte du livre Picasso et ses amis

Tantôt […] visite de Mme F. O. venue me montrer les illustrations de son volume61. Elle a une façon de s’intéresser à moi, à mon travail, à ma maison, sincère ou voulue, qui m’agace. Trouvée moins jolie que d’habitude. Aucun agrément de cette visite.

Mercredi 17 Février

[…] j’ai même horreur maintenant de ma préface Olivier dont je n’étais pourtant pas mécontent dimanche soir en la terminant […]

Mercredi 30 Mars

Visite de Mme F. O. Une précédente visite, il y a environ quatre semaines, que je n’ai pas notée. Elle a eu en parlant des mouvements de physionomie qui la faisaient fort jolie, mais son chapeau enlevé, pour me montrer de quelle façon ses cheveux sont coupés, — je venais de la blâmer d’avoir obéi à la mode, — une façon de se coiffer abominable pour mon goût, je puis même dire un peu canaille.

Raconté mille choses, que je ne suis pas sûr d’avoir retenues toutes.

Fernande Olivier par Picasso en 1905, planche hors-texte du livre Picasso et ses amis

Mario Meunier62 lui a écrit qu’elle a sans doute oublié qu’il a un portrait d’elle par Picasso, lequel portrait ferait sans doute très bien dans son volume. Là-dessus parlé de Mario Meunier en grand bien. « Je crois que je vous ai dit que j’ai été sa maîtresse ? Je vous l’ai dit, n’est-ce pas ? » Elle ne me l’avait pas dit, mais j’ai répondu oui pour savoir l’histoire. C’est elle qui avait eu cette envie, trompant ainsi Picasso — ce n’était pas la première fois — mais pas recommencé : aucun plaisir. « Vous comprenez : aucun plaisir. » Après la guerre, retour d’Allemagne, Mario Meunier l’invite à dîner, en lui écrivant une lettre très aimable : « Je sentais bien qu’il me désirait. Les femmes sentent cela tout de suite. Mais c’était fini, vous comprenez. Après le dîner, je le plantai là. Il n’y avait pas moyen, je vous dis. »

Elle me parle très ouvertement d’elle-même. Elle a connu beaucoup de femmes sur lesquelles elle me raconte aussi beaucoup de choses. Elle m’apprend ainsi beaucoup de choses sur les femmes, sur lesquelles je ne suis pas très savant, il y a longtemps que je lui en ai fait l’aveu.

L’histoire Mario Meunier racontée aussi pour m’expliquer sa situation avec Roger Karl, et que lorsque quelque chose est fini, c’est fini. À son égard, même un peu de dégoût, pour toutes ses tromperies, tous ses mensonges. Elle a convenu pourtant qu’en certain cas la jalousie peut revivifier l’amour. Je pensais aux transports ardents du « Fléau » en pareil cas.

Voit Roger Karl de temps en temps, sans trop savoir ce qu’il fait, comment il vit, ni même où il demeure et pas curieuse le moins du monde de tout cela. Aujourd’hui, prenant le café ensemble au Dôme63, petite chicane, Karl soutenant que si Picasso, Derain64, Matisse65, font à leurs personnages des yeux qui ne sont pas à leur place, c’est qu’ils sont incapables de les y mettre. Elle soutient le contraire, que c’est chez eux procédé, qu’ils savent à ce point dessiner, qu’ils pourraient tous les trois faire du classique. Matisse pourrait faire du Courbet66, à tromper les plus connaisseurs. Quant à Picasso, il y a au Louvre, dans la collection des Daumiers, un Daumier qui est de lui et qui est pris pourtant pour un Daumier. Je lui ai dit qu’elle devait écrire les détails de ce genre qu’elle connaît, qui intéressent grandement l’histoire de la peinture. Ne pas les publier maintenant, peut-être, mais les mettre de côté.

Roger Karl, qui ne peut garder d’argent quand il en a, est sans le sou. Il dit que sa vie est finie, qu’il n’a plus qu’à se suicider. Elle dit qu’il en serait bien capable (au point de vue courage, courage de sang-froid) mais que ce qui le retiendra, c’est sa passion pour écrire. Il écrit sans cesse, partout. Toujours dans ses poches des griffonnages en train. En ce moment, il écrit ses souvenirs de théâtre, dont il veut faire un livre.

Elle a commencé à écrire un livre sur le Montmartre qu’elle a connu quand elle y vivait.

Sa vie n’est pas facile en ce moment. La plupart des Américains et étrangers de Montparnasse repartis67. Seulement deux élèves. Elle cherche une occupation. Elle a demandé à Charensol de lui trouver quelque chose. Il va peut-être lui trouver quelque chose chez une femme qui veut faire de l’édition. Moment choisi, vraiment ! Elle dit qu’elle ferait n’importe quoi. Même des ménages, s’il fallait. Tout plutôt que de vivre en tapant les gens. Elle a fait bien des métiers pour vivre. Pendant la guerre, pendant deux ans, la comptabilité dans une maison de soudure autogène, de la rue Milton68. Son projet, si elle réussit à avoir un peu d’argent avec des traductions de son livre, aller dans le Midi ouvrir un petit restaurant. Elle fait merveilleusement la cuisine. Elle est sûre que Poiret69 lui ferait en un rien de temps une clientèle. Pour elle, peu de besoins, peu de goût pour les relations, aimant assez à vivre seule et tranquille.

Étonnée que je n’aie pas encore reçu les épreuves de ma préface. Son livre, — d’après ce qu’on lui dit chez Stock, un jeune M. de Farnac qui s’en occupe — est maintenant pour avril. Elle avait donné dans les documents pour illustrations une photographie qui la représente à côté de Picasso, la tête sur son épaule. Elle s’est ravisée et écrit qu’on ne la mette pas. Je lui ai recommandé de s’en tenir à cette décision et de surveiller qu’il en soit tenu compte, ce côté rapin déplorable à montrer — d’autant plus que son livre n’a rien du tout de ce ton.

Comme toujours, mille réflexions, observations intérieures en la regardant pendant qu’elle parlait. Je pensais en même temps à celles qu’elle devait faire sur moi de son côté.

Lundi 4 Avril

Reçu ce matin les épreuves de ma préface volume Fernande Olivier. Corrigées ce soir, les renverrai demain matin.

Vendredi 8 avril [1932]

Tantôt visite de Mme F. O. Une heure et demie à bavarder. Situation de plus en plus difficile. Poussée de droite et de gauche, elle va écrire à Picasso. Dur à la détente, paraît-il. Max Jacob70, en ce moment absolument sans le sou, est allé le voir. Max Jacob a rendu à ses débuts de grands services à Picasso. Il était commis dans un magasin de nouveautés. Pas payé lourd. Trouvait encore le moyen de donner à Picasso de quoi manger et de travailler tant bien que mal à sa peinture. Max Jacob est, paraît-il, un homme incapable de rien demander pour lui. Picasso lui a dit : « Eh ! bien, Max, comment cela va ? » — Max Jacob lui répond : « Oh ! cela ne va pas, mais tu sais, pas du tout, pas du tout. » Picasso : « Allons, allons, Max, on sait bien que tu es riche. » Max Jacob avec sa finesse habituelle : « Oui, Picasso, je sais qu’il faut, pour toi, que je sois riche. »

Max Jacob a parlé à Picasso de Mme F. O. « Dis donc ! tu devrais bien faire quelque chose pour Fernande. Les temps sont durs, en ce moment. Tu lui dois bien cela. » Picasso n’a rien répondu. […].

Vendredi 15 avril

Tantôt visite de Mme F. O. Une nouvelle fâcheuse : son livre ne paraîtra qu’en octobre. Toujours propos sur sa situation difficile en ce moment. Je lui ai parlé de cette espèce de fonds de secours qu’on a dit que le gouvernement allait instituer pour aider les artistes pendant la « crise ». Mais à qui l’adresser comme intermédiaire ? […].

Vendredi 3 Juin

Il m’est venu l’idée de demander à Rachilde71 s’il n’y aurait pas moyen de faire avoir une somme à Mme F. O. (qui ne sait encore rien de cela) par l’espèce d’association Entraide aux femmes de professions libérales à la tête de laquelle est sa jolie amie Mme Matza (Rosita Finaly72, ancienne épouse Charles Derennes73). Je suis allé la voir chez elle ce matin. Elle va voir ce qu’on peut obtenir.

Mardi 7 juin

Tantôt, rencontré Lita Besnard74 avec Rachilde. Lita Besnard m’a assuré qu’elle aura ce qu’il faut pour Mme F. O. et qu’on lui enverra directement.

Envoyé un mot tantôt à Mme F. O.

     À Fernande Olivier

Paris le 7 juin 1932

     Chère Madame,

Comme on ne vous voit pas, il faut bien vous écrire.

Je me suis permis de m’occuper d’une petite chose pour vous. On vient de me dire que le résultat est assuré et que vous recevrez directement. J’espère que c’est sérieux. Donc, si quelque chose arrive, ne vous étonnez pas et prenez-la. Et surtout ne m’accablez pas de remerciements dont j’ai horreur : je ne me suis pas donné grande peine : quelques marches à monter à deux pas de mon bureau et quelques paroles à dire.

        Cordial bonjour.

P. L.

Vendredi 17 Juin

À cinq heures et demie, visite de Mme F. O. Me dit qu’elle m’a attendu samedi. Je lui réponds que j’ai craint, ma visite n’étant pas absolument entendue, qu’elle ne fût pas seule. Me dit qu’elle avait mis un écriteau sur sa porte : Je ne suis pas là. Roger Karl est venu. Il a vu l’écriteau. Il est reparti. S’il était venu, que je fusse là, il serait reparti de même.

Mardi 23 juin [1932]

[…] Ce soir à cinq heures, lettre de Mme F. O. m’annonçant qu’elle a reçu l’envoi de l’Aide aux femmes de professions libérales. Elle viendra me voir cette semaine au Mercure pour me rapporter le volume de Billy75 que je lui ai prêté. […].

Samedi 17 septembre

Ce matin, lettre de Mme F. O., pas vue des deux dernières semaines. Mauvais état moral, mauvais état matériel. Pas de leçons, pas d’argent. Aucune réponse à plusieurs lettres76. Été lui poser un mot pour lui dire que je viendrais tantôt.

Été tantôt. Trouvée fort jolie, aujourd’hui. Si j’avais plus de hardiesse. Mais pas un mot ne sort de ma bouche. M’a montré toute une collection de photographies d’elle à diverses époques. Comme je remarquais sur l’une d’elles un certain air de juive, m’a appris qu’elle a une juive dans ses ascendants, sa grand-mère, juive allemande.

Roger K. est venu la voir hier. Lui a donné cent francs. Heureusement. Elle était sans un sou.

M’a expliqué que, son loyer, son gaz, son électricité, il lui faut chaque matin en se levant 15 francs de ces trois chefs.

Un excellent pot-au-feu, pour le dîner ce soir avec son amie Juliette77. À beaucoup insisté pour que j’en prenne ma part. Mais retourner au Mercure prendre mes sacs, aller à Fontenay, revenir, je ne m’en suis pas senti le courage. Et comme j’ai dit : « Ce ne serait pas tout. Il me faudrait encore refaire le voyage pour rentrer chez moi. » Elle m’a répondu : « Vous ne rentrerez pas. Vous coucheriez là » (sur un des deux divans qui sont dans ce qui lui sert d’atelier). Un autre, à ma place, serait revenu, serait resté à coucher et aurait bien trouvé le moyen… Mais je suis bien trop emberlificoté dans mes réflexions, mes hésitations, mes scrupules, etc., etc.

Reparlé de Roger K., de sa liaison avec lui, de tout fini absolument, de son indifférence totale maintenant à son égard. Comme je m’étonnais, m’a expliqué qu’elle est arrivée par la réflexion, la volonté, le dégoût, à éteindre tout sentiment. Les colères de Roger K. à propos de rien, ses façons de tout casser dans ces moments-là, ses coucheries à chaque instant avec d’autres femmes et presque sans se cacher. Il était impossible que cette vie qu’il lui faisait continuât. Un beau jour, elle a pris sa résolution et avec les efforts nécessaires est arrivée au résultat. […].

Parlé amour sentiment, et amour physique. Comme je disais que nous avons tous, homme et femme, à trouver notre partenaire, que les uns le trouvent à vingt ans, les autres à cinquante, elle m’a dit que, à cet égard, son partenaire, alors, a été Picasso, lui, vraiment, et seul, l’a tenue sensuellement.

Parlé de son mari, une brute alcoolique, qui la frappait, faisait l’amour dix fois par nuit, lui faisait une telle vie qu’elle s’est sauvée, lui mourant peu après dans une maison de santé, complètement fou78.

Compte toujours sur l’argent d’une traduction américaine de son livre sur Picasso. Parlé d’aller, avec cet argent, tenir une sorte d’auberge pour artistes dans les environs de Paris, pour l’été, certaine que tous les gens qu’elle connaît ou a connus y viendront. Mais cette traduction ? Plusieurs lettres d’elle à l’agent Bradley, qui lui avait fait des propositions lors de la publication de quelques morceaux dans le Mercure, sont restées sans réponse.

Mercredi 28 Septembre

À 4 heures et demie, lettre de Mme F. O. Elle est au lit, avec un fort mal de gorge. Elle avait en effet un commencement de grippe samedi soir. Ma visite lui ferait plaisir. J’y suis allé. Rien de bien intéressant à noter. Pendant que j’étais là, un homme du fisc s’est présenté, à la recherche de Roger Karl, qui depuis dix ans, si ce n’est plus, n’a pas payé un sou de ses contributions, sans qu’on arrive à trouver son domicile.

Mercredi 12 octobre [1932]

[…] petite visite à Mme F. O. Toujours sa grippe. Parlé de R. K. En ce moment, absolument sans un sou et dans un état de désespoir pour cette raison. Gagné pourtant cet été, au cinéma, au moins 35 000 francs. Tout dépensé. Il est ainsi. Absolument incapable de garder quelque chose pour les jours qu’il ne gagne rien. Il répète en ce moment chez Baty pour le prochain spectacle. 200 francs par représentation, les répétitions payées. Mais il ne touchera d’argent que dans deux mois. D’ici là… Alors, il emprunte aux camarades. Tous très bien disposés. Il est connu, quand il a de l’argent, à en donner lui-même à tout le monde.

Mme F. O. m’a montré, dans les livres de R. K., son exemplaire du Petit Ami, qu’il a depuis très longtemps, très joliment relié.

Dimanche 23 octobre

[…] Été ensuite dire bonjour à Mme F. O. J’y ai dîné. Parti à 10 heures moins le quart. Elle a commencé son autobiographie, véridique, assure-t-elle, et un roman pour lequel elle se sent un grand entrain et une extrême facilité. Son autobiographie sous le titre : Françoise Laurent79. Ce n’est pas mal du tout. Roger Karl, lui, toujours à la recherche d’un pseudonyme pour ses souvenirs de théâtre. Comme j’avais dit à Mme F. O. que je m’amuserais à chercher pour lui dans le dictionnaire des communes, il paraît qu’il demande, chaque fois qu’il vient chez elle : « Est-il venu ? As-tu été au Mercure ? A-t-il trouvé ? » Je l’avais complètement oublié.

Il a eu ce mot, quand il a su qu’elle écrit son autobiographie : « Pense à Brulard ! Écrit comme ça vient. Vlan ! Vlan !… » Hé ! il y a autre chose, dans le Brulard80.

Toujours charmant pour elle (à mon avis). Elle est malade. Sans un sou. Il arrive. Il apprend son état et qu’il lui faudrait un médicament. Seulement, trop cher. Il demande combien ? 55 francs. Lui aussi, pas un sou. Il sort, court au Dôme (le café) et demande à la dame du lavabo de lui prêter cette somme. Pas réussi. Mais l’empressement est là, quand même.

Vendredi 28 octobre

Tantôt courte visite de Mme F. O. Charmante, m’apporte pour ma ménagerie des rognures de viande qu’elle a facilement chez son boucher. Venue pour me remettre, à soumettre au Mercure, pour la revue, une sorte de roman de Roger Karl : récit véridique et détaillé de sa liaison avec Georgette Leblanc. Je l’ai remis à Dumur et à Vallette, avec explication. Avis des deux : Si c’est trop déguisé, l’intérêt est moins grand. Si c’est trop clair, si l’intéressée est trop clairement désignée et reconnaissable, risque de procès. En attendant, Dumur lira.

[…]

M’a reparlé de se liaison avec Picasso, des fois qu’elle l’a trompé, notamment avec Mario Meunier. « Je vous l’ai déjà dit, je crois. Il a été mon amant. Cela n’a pas continué du reste. Fini tout de suite. » Je lui demande : « Mais enfin, quoi ? Pourquoi le trompiez-vous ? Qu’est-ce que vous aviez ? La curiosité ?… »

Elle a éclaté, en quelque sorte : « Je m’ennuyais, voilà la vérité. Vous ne pouvez vous imaginer ce qu’était la vie avec Picasso. Il m’aimait certes. Il faisait tout pour que je ne manque de rien. Il se serait privé lui-même. Mais son caractère. Jamais un mot. Des journées entières assis, l’air préoccupé. Je voulais lui parler, lui demander ce qu’il avait. Il ne fallait rien lui dire : il pensait à son travail. J’étais très jeune. J’avais de la peine à m’y faire. Et puis, une surveillance ! Il m’enfermait à clef quand il sortait. D’une jalousie terrible, mais surtout, je vous dis, l’ennui, l’ennui ! »

Je lui ai dit à cela : « Oui. Vous confirmez tout ce qu’on dit. Il faut amuser les femmes pour leur plaire, il faut les faire rire. C’est ce qui explique que le genre d’hommes qui leur plaît le mieux, c’est le commis-voyageur, le bon vivant, l’homme qui raconte des farces. »

Raconté aussi l’histoire de son premier amant, une sorte de peintre dont la famille habitait Neuilly, qui passait son temps à déclamer sur les sacrifices que demande l’art, qui la faisait travailler et s’appropriait ce qu’elle gagnait, et passait sa journée, lui, à dormir. Un jour, rencontre de Picasso sur la porte de la maison dans laquelle il avait lui aussi son atelier, rendez-vous furtifs chez lui et un beau jour mise en ménage complète, le dormeur prenant le parti de se résigner.

Vendredi 2 Décembre

Tantôt, visite de Mme F. O. Grands ennuis. Grands soucis. Pas un sou. Pas de leçons. Pas la moindre réussite dans sa recherche d’une occupation. R. K. sans un sou, dans l’impossibilité de l’aider. Elle prétend, de son côté, ne rien vouloir lui demander. Elle mange grâce à des légumes que lui passe sa voisine Mme B.81 Toujours pas payé son dernier terme. Craint la mauvaise grâce de son propriétaire pour le prochain. À fait une tentative pour renouer avec sa sœur82, laquelle, à son dire, a au moins trois millions. Je suis toujours sceptique sur ces évaluations.

Pour son volume, qui devait paraître, aux termes de son traité, au plus tard dans un an de la date de la signature, elle pourrait le reprendre à Stock, mais pour le porter où, dans un moment comme celui où nous sommes. Elle a écrit à Stock pour lui demander de lui fixer une date certaine pour la publication et de lui rendre sa liberté pour une traduction sud-américaine qu’on lui fait entrevoir, — ce, à titre de dédommagement. Je lui ai dit : si pas de réponse lundi prochain, renouveler par lettre recommandée. Je lui ai fait un texte.

Enfin, la belle Fernande est pour le moment la pauvre Fernande.

Mardi 3 janvier [1933]

Tantôt, visite de Mme F. O., après une lettre d’elle m’envoyant ses vœux. Une petite amélioration, elle aussi, quelques leçons qui reviennent. Sa sœur, qu’elle a revue, lui a donné 200 francs. Ces derniers jours, des sorties avec elle. Donc, promenades, repas, sans dépense pour elle. Cette sœur plusieurs fois millionnaire, propriétaire, par son mari, de deux immeubles à Paris, 16e et 9e arrondissements, plus propriété à Enghien. Elle a encore les derniers 300 frs que lui a donnés R. K. avec les 200 frs de sa sœur, à peu près de quoi payer son terme en retard. Est en train d’écrire, en changeant les noms, des souvenirs sur des gens qu’elle a connus : Carco, Dorgelès83, etc… et un article sur La Peinture et 1900, qu’elle m’apportera, pour voir s’il y a moyen de les passer dans le Mercure84. Le monsieur qui lui avait parlé d’une traduction de son livre pour les pays de langue espagnole l’a mise en rapport avec la librairie Hachette. Elle y est allée. L’affaire est à l’examen. On lui fera des offres.

Mercredi 31 mai [1933]

Tantôt visite de Mme F. O. Mais j’ai renoncé à noter cela. Je me suis offert il y a quelque temps à aller offrir son livre chez Grasset, puisque Stock ne le fait toujours pas paraître. Il me faut voir Brun85, ou l’autre dont j’oublie toujours le nom86. J’oublie toujours de m’en occuper.

Elle m’a apporté des vers de Roger Karl, très beaux, très particuliers. Je les ai remis à Vallette, qui n’a pas été de mon avis, au moins pour la première pièce, la seule qu’il a vue. « C’est bien fait. Voilà tout. »

Jeudi 1er juin

Été tantôt chez Grasset, pour le volume de Mme F. O. Vu              87. Rien à faire. Délicat de prendre un ouvrage après un autre éditeur. De plus, Boutelleau auteur de Grasset. Risque de plus de le mécontenter. Je suis parti avec ces belles raisons.

Vendredi 2 Juin

Je tourne au placier littéraire. L’idée m’est venue d’aller chez Flammarion pour le volume de Mme F. O. Le diable emporte que je me sois fourré dans cette affaire. Été tantôt rue Racine88. Vu un M. Guilmoto. Me connaît très bien, et ce que j’ai écrit. Excellent accueil. Mais pour les propositions d’édition, il faut voir Max Fischer. Je m’y attendais. Cela ne me ravit pas du tout89.

Lundi 5 Juin

Marie Dormoy, qui me demande de lui prêter les épreuves du volume de Mme Fernande Olivier, qui connaît le ménage Picasso, qui déjeune même chez eux dimanche prochain avec Vollard90, me dit que c’est certainement Picasso, sous l’influence de sa femme, qui a empêché chez Stock la publication du volume. Riche comme il est, cela n’a rien été pour lui de rembourser à Stock les frais faits par lui.

Lundi 12 juin [1933]

Ce matin, visite de Mme Fernande Olivier. Toute à son prochain départ pour l’Allemagne, où elle va retrouver Roger Karl qui s’y trouve pour affaires de cinéma91. Nombreux achats de toilette, sans regarder à la dépense. Projets de déménagement au retour. Pour se trouver peut-être, dans trois mois, de nouveau sans un sou. Différence des caractères.

Jeudi 22 juin

Très aimable lettre de Berlin de Mme F. O. Détail amusant, me donne son adresse pour lui écrire, si telle est mon intention : Mme R. K. Je lui ai répondu quelques mots sur une carte postale, en lui disant le sort heureux des vers de Roger Karl92.

     À Roger Karl

Paris le 3 juillet 1933

     Cher Monsieur,,

C’est trop de peine que vous avez prise de m’écrire ce petit mot. Il n’y a pas de reconnaissance. Tout revient à vos vers, à leur mérite, à leur beauté. Qu’ai-je fait moi ? Les monter à la rédaction. Et vous devez bien penser que c’est un grand plaisir de recevoir quelque chose de très bien et de lui donner une place. Savez-vous le grand éloge qu’a fait de vos vers le lecteur ? Aucune réminiscence. La chose la plus rare, celle qui compte au-dessus de toutes autres.

Vous m’êtes vous-même fort sympathique depuis longtemps sans vous connaître, comment dirai-je ? autrement que pour vous avoir vu passer et pour ce que je sais de vous. Vous êtes charmant de me dire ce que vous me dites de moi. Mais vous savez, je ne suis pas un homme à grandes illusions.

Dites à Madame Olivier, je vous prie, que je la remercie de sa longue lettre et que j’ai bien reçu la carte avec le petit lionceau, adorable de physionomie. Mon cœur de vieille concierge — pour les bêtes — a été ravi. Ces dames — par lesquelles ma tranquillité au Mercure a été détruite — sont charmées du souvenir amical qu’elle veut bien chaque fois leur envoyer. Elles ont grande sympathie pour elle, pour sa simplicité et sa franchise. Dites-lui aussi que j’ai appris quelque chose de très rassurant pour son volume chez Stock. J’ai vu Vollard et j’ai appris de lui qu’il a lui-même à publier chez Stock un volume de souvenirs94 dans lequel il lui a été dit qu’il paraîtra après le volume Picasso. Donc aucun renoncement à la publication. Du moins, cela semble.

        Cordialement à vous.

P. Léautaud

Mercredi 26 juillet

Visite joyeuse tantôt de Mme Fernande Olivier. Elle venait d’apprendre par Charensol que son volume chez Stock paraîtra en octobre.

Jeudi 5 Octobre [1933]

Reçu ce matin, des Nouvelles littéraires, l’épreuve de ma préface au volume de Mme Fernande Olivier qui doit y être publiée95. Je n’y pensais plus.

Lundi 16 octobre

Visite de Mme Fernande Olivier. Aujourd’hui, très jolie. Son livre paraît après-demain. L’annonce est dans la Bibliographie de vendredi dernier.

Roger Karl est à Kiel96, pour trois mois, pour un film sur un milliardaire américain, dont il tient le rôle97. On tourne sur un yacht de luxe, qui a coûté plusieurs millions. 850 000 francs d’appointements, tous frais de séjour payés. Il paraît qu’il est grandement apprécié par les managers de cinéma pour son jeu à la fois expressif et simple. Mme Fernande Olivier me dit qu’il fait tout cela sans grande passion. Il ne se plaît vraiment qu’à ne rien faire, à Paris, dans un bar, un simple bar Biard98. Il paraît qu’il en fréquente assidûment un, dans le quartier de l’Hôtel de Ville, où personne ne sait qui il est. Il entre là, s’installe dans une arrière-salle avec ses papiers et passe trois ou quatre heures à écrire.

Un ancien bar Biard à Paris en 2021 (image Google)

Mardi 14 Novembre 1933

Tantôt, visite de Mme Fernande Olivier. Déjà venue la semaine dernière pour me faire part de son bonheur. J’étais absent. Boutelleau avait pris son livre de confiance, sur mon appréciation. Il l’a lu. Émerveillé. Il lui a fait de grands compliments. Il lui a dit d’écrire, qu’elle pourra gagner de l’argent, qu’il ne demande qu’à l’éditer. Il lui a dit que s’il avait su ce qu’est son livre, il l’aurait fait paraître de façon un peu moins effacée.

Après cette date, Fernande Olivier sera moins présente dans le Journal de Paul Léautaud. Son livre paru, elle n’a plus besoin de lui et il faudra attendre le six janvier 1938 pour qu’une rencontre soit notée :

6 janvier 1938, cinq ans plus tard

[Fernande Olivier] a acheté les Souvenirs de Vollard et dit qu’il ne s’y trouve pas un seul détail vrai.

24 mai 1947, neuf ans plus tard

Tantôt lettre de Fernande Olivier. Justement, mercredi dernier, je me suis trouvé au restaurant À l’Alsacienne, boul. St-Michel, avec Roger Karl, pas vu depuis si longtemps, en compagnie féminine comme toujours, et jamais la même. Je lui ai demandé des nouvelles de F. O. : « Je ne sais rien. Longtemps que je ne l’ai pas vue. — Je croyais que vous étiez toujours en relations avec elle, que vous l’aidiez… — Non, non. Je sais qu’elle travaille, vendeuse dans un magasin d’antiquités. C’est tout. »

Annexe I

Préface de Paul Léautaud

J’ai un grand goût pour les Mémoires, les Souvenirs, les Correspondances. Ce sont, à mon avis, les seuls livres qui passent les années, qui continuent à être lus avec plaisir et profit. Surtout quand ils sont de bons observateurs, intelligents et spirituels, qui savent voir, écouter et retenir, qui ne s’embarrassent pas des petits ménagements niais et n’ont d’autre souci, en écrivant, que d’être clairs et véridiques. Après tout, avoir quelque chose à dire et le dire le plus simplement du monde, c’est encore le plus grand talent d’écrivain.

Il se peut qu’il y ait de belles œuvres d’imagination, qui vous prennent, qui vous emportent hors de l’existence courante, qui vous font vivre pendant un moment une vie embellie, plus riche, plus forte, plus ardente. J’en ai lu — je n’en lis plus — comme tout le monde99. J’ai été pris, emporté, transporté, etc. Et après ? La lecture finie, n’êtes-vous pas comme moi ? On se demande, la tête encore un peu ivre, à quoi riment ces histoires extravagantes, avec leurs personnages plus grands que nature, leurs circonstances inventées de toutes pièces, et pareilles, somme toute, dans un format plus grand, aux contes qu’inventent les vieilles femmes pour éblouir les enfants. Je suis peut-être excessif ? Je vais même jusqu’à me demander quel plaisir on peut bien prendre à les écrire. Tandis qu’un livre d’observation directe, de souvenirs vrais sur des gens et des événements réels, qui peignent en même temps un milieu ou une époque ? C’est le mot charmant de La Fontaine : « Vous direz : “j’étais là, telle chose m’advint100”… » On revit, en écrivant, ce qu’on a vécu, et on le fait vivre au lecteur.

Ce sont ces qualités d’écrivain, et c’est ce plaisir de lecteur qui m’ont attiré vers les souvenirs de Madame Fernande Olivier dès les premiers morceaux qui en parurent dans le journal Le Soir. J’étais ravi, je ne trouve pas d’autre mot. Un style si simple, en même temps si expressif ! Je lus d’autres morceaux qui parurent dans le Mercure. Je lus tout le volume, pour écrire ces quelques lignes. Je n’ai pas changé d’avis : que tous les livres ne sont-ils comme celui-ci : vivant et plein de naturel. Il s’y trouve même un autre talent non moins remarquable : une façon de parler de soi, à certains moments, si adroitement discrète, qu’on peut croire qu’il s’agit d’une autre.

Madame Fernande Olivier a vécu toute jeune et pendant longtemps dans un milieu de peintres. Elle parle beaucoup, dans ses souvenirs, du Cubisme, de ses promoteurs, de ses adeptes, des manifestations de cette nouvelle école de peinture. Je ne suis pas critique d’art et je n’ai pas un mot à écrire sur ce sujet. Mais, de bien des côtés, on m’a dit que les vues qu’elle exprime, ses appréciations, ses jugements, ses définitions sont souvent d’une grande justesse et révèlent, à cet égard, un sens critique excellent. Ce qui fait de son livre, sur ce point, un document auquel on se reportera. À côté de ces peintres, des écrivains, alors dans leur jeunesse, dont certains ont conquis depuis la notoriété, et qu’elle a aussi vus de près. Une suite de portraits délicieux, faits par touches successives de page en page, et d’une ressemblance parfaite. Apollinaire, par exemple, au dîner qu’elle raconte, aux détails qu’elle rapporte sur l’affaire des statuettes du Louvre101, c’est lui que nous voyons, comme s’il était encore avec nous. Et M. Max Jacob, qui semble être venu à nous de lointaines Funambules, avec son pittoresque d’aspect et de mœurs, sa générosité de poète pauvre qui trouve encore le moyen d’être riche pour obliger, c’est lui aussi, pour notre plus grand plaisir. Il y a même mêlé à toutes ces futures célébrités artistiques et littéraires, un « philistin » joliment sympathique. C’est le charbonnier de la rue d’Orchampt, qui fournissait l’hiver le charbon au ménage Picasso sans jamais présenter sa note, amoureux qu’il était en secret de la compagne du peintre. Merveille de l’amour, qui peut rendre désintéressé et généreux un Auvergnat.

Ces souvenirs plairont, par-là, aux lecteurs qui ont du goût pour les individus qui sortent de l’ordinaire. Les héros de romans, si différents que puissent être les cadres et les circonstances dans lesquels on nous les présente, sont un peu toujours les mêmes. Il est bien agréable, de temps en temps, de voir passer sous ses yeux des personnages un peu pittoresques et qui ont une façon bien à eux de se promener dans la vie. Évidemment, il y a dans ces souvenirs des « pointes », des malices, de petits traits intimes, ce que certaines gens appellent, pauvres gens ! des « méchancetés ». Voudriez-vous qu’il n’y en eût pas ? Que serait un livre de ce genre sans cet élément et serait-il, sans lui, ce qu’il est ? C’est, au contraire, un de ses mérites : la finesse d’observation et la franchise. Il est vrai que ces qualités sont souvent mal appréciées. On a publié, il y a quelque temps, un ouvrage posthume de Sainte-Beuve : Mes Poisons102, un livre admirable de sensibilité et d’intelligence et de clairvoyance littéraires. Le pauvre Sainte-Beuve, qui pourtant parlait de gens qui ne sont plus, a-t-il été assez arrangé par nos vertueux critiques littéraires ! « Envieux, aigri, jaloux, venimeux, haineux, vilaine âme », sont les moindres des douces appréciations qui lui ont été prodiguées. M. Jean-Jacques Brousson a été presque aussi bien traité pour son recueil de petites histoires sur Anatole France103. On a vu aussi M. Camille Mauclair, à propos des Goncourt et de leur Journal, proférer cette niaiserie qu’ils étaient « méchants ». Je plains, pour ma part, de tout mon cœur, ces pauvres esprits qu’effarouche l’esprit et qui préfèrent l’idolâtrie à la clairvoyance, l’hypocrisie à la franchise et la servilité à l’indépendance de jugement. Il faut souhaiter, au contraire, que tout homme plus ou moins célèbre, ayant marqué dans un domaine ou dans un autre, ait dans son entourage un Thersite104 au petit pied, bon observateur et bon mémorialiste, qui nous le montre un jour dans son être vrai, et le plus « indiscrètement » possible, l’homme à côté de l’œuvre, le premier éclairant la seconde. C’est une « méchanceté » que M. Camille Mauclair n’a pas à redouter pour sa part.

Une impression qu’on retire également de la lecture de ces souvenirs, c’est que tous ces gens, ces artistes, ces écrivains à leurs débuts, avec leurs compagnes, malgré leur pauvreté, leurs difficultés, leur incertitude du lendemain, gais et insouciants comme ils étaient, pleins d’aventures, ont été heureux. On se prend à les envier, pour les souvenirs de toutes sortes qui doivent leur rester de ce beau temps plein de fantaisie et d’imprévu. D’autres ont été sages, sérieux, rangés, studieux, par caractère ou par force, et quand ils regardent leur jeunesse aujourd’hui, elle leur apparaît comme un grand espace vide où il n’y a rien. Qui sait si ce n’est pas la folie qui vaut mieux que la sagesse ?

Et puis, il y a aussi dans ce livre une histoire d’amour qui se laisse entendre presque à chaque page, un grand souvenir qui ne peut pas s’éteindre.

P. L.

Annexe II

Fernande Olivier : Sur moi-même

Je vais d’abord parler un peu de moi-même, puisque dans ces souvenirs je négligeai volontairement de le faire.

Je sais que le lecteur aime à « situer » un auteur, à savoir quels sont ses titres à démasquer, quelquefois durement, des figures assez connues.

Parler des autres est facile, amusant. Parler de soi est malaisé. On tient généralement à se montrer sous un jour favorable, et bien souvent au mépris de la sincérité…

Quelques écrivains, dans leurs livres sur Picasso, m’ont présentée sous le nom de la « Belle Fernande », ce qui m’a donné la mesure de leur appréciation. Je n’avais donc représenté pour eux qu’une valeur toute physique. Au fait, qu’auraient-ils pu savoir de moi ?

Quand j’ai pénétré dans ce milieu, j’étais très jeune, assez craintive, passionnée et très orgueilleuse.

En France, on a toujours tendance à considérer les femmes comme incapables de pensées sérieuses, surtout dans les milieux intellectuels. Je le sentais et cela me paralysait. Je me contentais donc d’écouter. Je croyais à la profondeur des idées échangées devant moi. J’écoutais, pleine d’une attention ardente. Mais je n’osais jamais émettre une opinion personnelle. Je ne me mêlais à la conversation que lorsque « mes grands artistes » se permettaient de s’amuser comme des enfants.

Alors, j’osais briller de tout mon éclat, qui n’était pas seulement physique, puisqu’il paraît que je fus quelquefois spirituelle et même méchante, quoique, je l’espère, serviable et juste, autant qu’il me fut possible de l’être.

Cependant, au fond de moi-même, sans que je m’en rende compte, un sourd travail se faisait. C’est de cette opération presque inconsciente que ces souvenirs sont sortis.

Ce que j’entendais se gravait dans ma mémoire, augmenté de déductions personnelles, de petits jugements, nourris par cet esprit critique et ironique que je ne savais pas posséder.

Quand je connus Picasso, j’avais déjà fréquenté un groupe d’artistes, alors élèves de l’école des Beaux-Arts. Friesz105 semblait être leur chef. Ils étaient, pour leurs académiques professeurs, de très mauvais élèves. Friesz et Dufy106, qui se quittaient peu, travaillaient alors chez Bonnat107.

Attirés par les impressionnistes, ils suivaient le chemin des Guillaumin108, des Pissarro109, des Monet, qui étaient leurs dieux. Et s’ils envoyèrent, régulièrement pendant quelques années, leurs œuvres au Salon des Artistes Français, ils furent non moins régulièrement refusés.

Je n’étais donc pas tout à fait novice ; je pouvais comprendre et sentir ce qu’il y avait dans la peinture de Picasso. Le côté technique même n’avait rien de nouveau pour moi. Mon goût artistique s’était formé peu à peu. Ma passion pour tout ce qui était art m’avait fortement aidée.

Élevée dans un milieu de petits bourgeois, où l’admiration de mes parents pour ceux qu’ils appelaient les « peintres modernes », pour Bouguereau111 « qui avait de si jolis tons de peau », ne le disputait qu’à leur enthousiasme pour Puvis de Chavannes112 parce qu’il avait décoré le Panthéon, cet antre des « grands hommes », ou pour Carrière113 qui leur semblait si poétique.

Parmi les peintures du Louvre, j’admirais, j’aimais docilement ce qu’on me montrait, sans savoir, sans comprendre, parce que l’oncle qui m’élevait était austère, solennel et plein de respect devant la Joconde ou pâmé d’admiration devant la Source d’Ingres114, qu’il regardait avec un petit air égrillard, mais devant quoi il m’ordonnait de passer rapidement comme, d’ailleurs, devant tous les nus.

Cependant je n’avais jamais senti en moi l’émotion qu’instinctivement je cherchais.

Les primitifs m’auraient attirée davantage, mais on ne faisait que traverser les salles sans s’y arrêter. Le Sacre, par David, était d’un intérêt plus puissant pour ma famille qui trouvait là matière à s’extasier sur le rendu si vrai des étoffes. On sait que le petit bourgeois français n’admire en art que ce qui lui paraît être la copie exacte de la nature.

Je me souviens encore que mes parents, modestes industriels en Fleurs et Plumes et Arbustes artificiels, préféraient les plantes raidies et compassées qui sortaient de leurs ateliers, aux plantes naturelles qui étaient pour eux tout au plus « bonnes à imiter ».

Quand je vis au Luxembourg les toiles des impressionnistes, ce fut une révélation. Voilà enfin ce que j’aimais, voilà ce que j’avais toujours attendu.

Quelle émotion soudaine devant les Renoir, surtout ceux de sa première époque, devant certains Degas115, les Toulouse-Lautrec116, Monet117, Sisley118, Seurat119, Manet120 — mon cher Manet ! Et Cézanne121, plus cher encore, peut-être !

Et aussi Gauguin122, Van Gogh123, Guillaumin dont les rudes paysages tout dorés de soleil furent une belle école pour les jeunes.

Dès que j’avais un moment, je filais au musée du Luxembourg, et c’est ainsi que je me mis à aimer d’un amour profond cette peinture, quoi je suis restée attachée depuis. Et aussi à la vie des artistes, à cette façon de vivre, qui m’enchanta tellement que je n’arrivais plus à comprendre qu’on puisse vivre autrement.

J’avais été introduite dans ce milieu par une de mes proches parentes, mariée à un peintre. J’étais alors une grande fille, déjà un peu déçue par la vie, car, à dix-sept ans, j’avais fait un essai matrimonial des plus malheureux.

J’habitais le 13 de la rue Ravignan124, quand je remarquai un personnage assez particulier qui venait de s’installer dans la maison.

C’était Picasso.

Il n’avait rien de très séduisant quand on ne le connaissait pas ; pourtant, son étrange regard insistant forçait l’attention. On ne pouvait guère le situer socialement, mais ce rayonnement, ce feu intérieur que l’on sentait en lui dégageaient une espèce de magnétisme, à quoi je ne résistai pas. Et quand il désira me connaître, je le voulus aussi.

J’étais, disait-on, la santé, la jeunesse mêmes : grande, pleine de vie, de tous les espoirs de bonheur, confiante, enfin vivant d’illusions. Parfait contraste avec lui ! On dit que les contraires s’attirent ; il faut bien le croire…

Quelle rencontre lourde de présages ! Je me souviens de cet après-midi orageux à l’atmosphère lourde. Le ciel était noir, obscurci par les nuages qui ne tardèrent pas à crever, nous obligeant à chercher un abri.

Il m’entraîna dans son atelier, et je retrouve encore en moi nettement l’image et l’odeur de cet atelier, que les grandes toiles en chantier animaient d’un désordre brutal et coloré auquel je m’habituai vite.

Ce n’est pas sans mélancolie que je me souviens des charmants et pittoresques détails qui suivirent cette première visite. Nous étions jeunes : à peine quarante ans à nous deux !

Les présages annoncés dès la première rencontre ne nous ont pas trompés.

La vie a passé sur nous, semant joies et tristesses. La confiance en l’un et l’autre s’émoussa, puis ce fut la dislocation douloureuse d’une vie si chargée de souvenirs.

Compagne fidèle des années de misère, je n’ai point su être celle des prospères.

Picasso se souvient-il encore de la jeune amie qui si souvent lui servit de modèle et qui, à une époque, ne put sortir pendant deux mois parce qu’elle n’avait pas de chaussures ? Se souvient-il des jours d’hiver où elle devait rester couchée, faute d’argent pour acheter le charbon nécessaire au chauffage de l’atelier glacial ?

Pour moi, je me souviens de tout, même du brave charbonnier auvergnat de la rue d’Orchampt, qui, plus tard, livrait le charbon sans jamais présenter la note, parce que mes yeux lui plaisaient.

Je fus aussi la cuisinière… Et, bien que je n’eusse à ma disposition qu’un ou deux francs par jour, les amis de Picasso appréciaient néanmoins mes ratas.

Je me souviens encore de nos joies puériles les jours où Picasso avait touché un ou deux louis qu’il convertissait en eau de Cologne parce que je témoignais d’une passion pour les parfums.

Et les jours de jeûne forcé ? Et les piles de livres achetés chez un bouquiniste de la rue des Martyrs ? Aliments qui m’étaient nécessaires puisque Picasso, par une espèce de jalousie morbide, me tenait recluse. Mais avec du thé, des livres, un divan, peu de ménage à faire, j’étais heureuse, très heureuse.

C’était Picasso qui balayait l’atelier, qui faisait les provisions. J’étais, je l’avoue, très paresseuse. Il y eut bien, dans les moments prospères, la femme de ménage à vingt centimes l’heure qui venait le matin pendant que nous dormions. Mais, à faire le ménage, elle préférait lire le journal assise confortablement dans l’unique fauteuil, tout en buvant le café préparé pour nous.

Nous étions réveillés par le bruit de son plumeau déplumé, dont il ne restait que le manche, et qui frappait à petits coups secs et hostiles les meubles et tous les objets quand elle était fatiguée de lire.

C’est chez Picasso que j’ai passé les plus précieuses années de ma vie. C’est à cette époque que je me suis trouvée heureuse.

C’est là aussi, hélas ! que j’ai laissé une partie de ma jeunesse et toutes mes illusions.

Annexe III

Radioscopie de Michel Balfort, par Jacques Chancel

Ce texte, retranscrit depuis la parole, a été expurgé de toutes les hésitations ou maladresses verbales, à moins qu’elles aient été particulièrement signifiantes. L’original peut être consulté sur le site web de l’Ina à l’adresse https://madelen.ina.fr/programme/michel-balfort. Les durées indiquées sont comptées depuis le début de l’émission.

Seules les parties relatives à Paul Léautaud ont été conservées. Fernande Olivier n’a jamais été évoquée au cours de cette émission.

[05:27] Michel Balfort : Je peux me flatter d’avoir été l’ami de Léautaud parce que on n’était pas facilement l’ami de Léautaud c’était grincheux… Et bien un jour Léautaud m’a parlé vraiment — il l’a écrit d’ailleurs, souvent — il m’a parlé de sa jeunesse. Il m’a dit qu’au sortir de la jeunesse c’était un homme écrasé — il s’est servi de ce mot — écrasé. Et… aussi… comment l’auteur de le… Monsieur Lepic… Madame Lepic… était aussi une femme terrible… Eh bien Poil de carotte, Jules Renard, a toute sa vie été aussi écrasé, comme le disait… Il y avait une parenté d’ailleurs avec…

J. C. : Avec Léautaud.

[06:16] M. B. : Avec Léautaud, il y avait une parenté.

J. C. : Et vous portez cette enfance et cette jeunesse écrasée à travers votre vie ?

M. B. : Oui, toute la vie, oui. Toute ma vie. [06:26]

[…]

[26:22] J. C. : À différentes reprises, Michel Balfort, vous avez dit « Madame ma mère » et…

M. B. : Oui.

J. C. : Et cela avait un petit ton dérisoire, comme si…

M. B. : Oh !… c’est-à-dire que… dérisoire…

J. C. : Vous en vouliez à votre mère…

M. B. : On ne parle pas avec dérision d’un geôlier de prison, n’est-ce pas ?

J. C. : Ah, ça va si loin ?…

M. B. : Oh, c’est effroyable. C’est effroyable. Nous avons parlé quelquefois avec Léautaud de notre jeunesse… c’est bien simple c’est… moralement c’est fini après… j’ai bien connu Léautaud qui s’est pris d’amitié pour moi et nous avions les mêmes idées là-dessus… c’est fini, c’est fini… c’est la vie laïque avec une âme… de… de prêtre ou de moine… n’est-ce pas… tout m’était pénible… puis on est sensible à la moindre chose… on ne croit plus à rien… on croit à l’amitié… et aux femmes. À l’amitié et aux femmes voilà. Les femmes sont vraiment maternelles n’est pas. Elles ont été pour moi délicieuses… elles ont été pour moi, vraiment… Je ne dis pas que je les aime je les vénère. Elles ont été… elles ont été cent fois ma mère mille fois ma mère. Ma mère était une femme intelligente et terriblement sévère terrible, étouffante.

J. C. : Léautaud pense comme vous.

M. B. : Oh Léautaud pensait comme moi mais alors Léautaud c’était plus grave chez lui parce que… je sais pas c’est sur un autre plan…

[27:56] J. C. : Enfin tous les deux vous avez mené une vie quand même un peu solitaire donc la vie, c’est la vie de deux égoïstes !

M. B. : Oui oui solitaires c’est vrai.

J. C. : Alors…

M. B. : Maintenant euh… Léautaud non, parce qu’il était au Mercure il avait tous les jours des amis qui venaient enfin des gens, ils bavardaient vous savez il était très éloquent il était très… euh… très théâtral dans son… dans sa façon d’être, enfin ses gestes sa mimique vous savez il était très curieux, il était très acteur d’ailleurs son père était acteur. [28:30]

[…]

[29:40] M. B. : J’ai beaucoup aimé Stendhal dans ses journaux, surtout n’est-ce pas, çà… Et vous savez que Léautaud avait un peu ce tempérament aussi mais lui avait […] dans son tempérament un côté par moment plus agressif, il était capable de crier, de se mettre en colère… [29:56]

|…]

[30:12] M. B. : Quand on m’a proposé un rôle au théâtre des Arts […] et en même temps, dans l’orchestre, il y avait un chef d’orchestre que je connaissais depuis un certain temps, qui était Inghelbrecht125. Et Inghelbrecht me dit en plaisantant : « Tu ne veux pas venir avec nous ? Tu préfères aller là-dessus ? » (sur la scène). J’ai dit « non, je préfère aller avec toi, dans l’orchestre. » la pièce s’est jouée… je ne sais pas, peut-être trois mois, et pendant trois mois j’ai joué à l’orchestre plus content, plus satisfait… comment dirais-je, un bien-être, n’est-ce pas, de me trouver devant le pupitre sans effort, alors que sur la scène, déjà à ce moment-là, bien qu’étant tout jeune, il me fallait faire un effort de mémoire. C’est ça aussi. Vous savez, le comédien qui aime jouer la comédie, en général il a une bonne mémoire. [31:14] Vous savez on avait proposé […] à Léautaud d’être comédien, et lui-même y avait pensé. Lui il voulait jouer les pitres. N’importe où mais il voulait jouer les comiques les choses les rôles outranciers

J. C. : Il aurait très bien réussi.

M. B. : Il aurait très très bien réussi. Et il s’est aperçu qu’il n’avait pas de mémoire alors il a renoncé126.

J. C. : Tout vous rapprochait…

M. B. : Oui c’est vrai le défaut de mémoire l’a empêché […] [31:48].

[…]

[35:08] M. B. : À ce moment-là, quand on se traînait à Montmartre, vous n’imaginez pas ce qu’était… On ne peut pas imaginer aujourd’hui ce qu’était Montmartre ! C’était un village plus reculé que n’importe quel coin de la Beauce… Il n’y avait pas de voitures, rien, il n’y avait que des rapins. Et alors des rapins, dans ce Montmartre un jour, il y a eu un marchand de tableaux qui s’appelait Sagot127, qui est venu, qui a regardé tout ça, qui a dit tiens… Ça lui paraissait fou, bien entendu, puisque dans les… Quand on voit des petites expositions, c’était un chambard, tout le monde riait, tout le monde se fichait de cette peinture… Et un jour, ce Sagot a pris deux ou trois toiles, les a mises dans sa boutique rue Laffitte et a profité de la venue d’un Américain pour lui montrer ces toiles avec une grande mise en scène. Il a été chercher la toile à la cave, et puis il a fermé la porte à clef, il a montré la toile à l’américain, au marchand de tableau, comme ça, en la tournant d’un certain côté, n’est-ce pas, pas du côté de la rue, surtout, on pourrait la voir, et puis il a parlé à voix basse… Et l’autre s’est dit « Qu’est-ce que c’est que ça…

J. C. : Impressionné…

M. B. : Et de là est partie la peinture moderne : de chez Sagot, un jour, derrière la porte fermée. Et je vous l’ai dit, personne n’avait d’argent… un jour nous prenions tous nos repas chez le père Bernal, c’était un restaurateur de la rue Cavallotti, à Montmartre, c’était à deux-cent mètres de la place Clichy, et un jour, le restaurateur, le père Bernal, a flanqué Picasso et sa maîtresse à la porte parce qu’il avait une ardoise de deux mois, il ne voulait plus le faire manger. C’était très embêtant parce qu’il n’avait pas… Vraiment Picasso n’avait pas, à ce moment-là, rien, rien, rien. Pas un sou. [36:59]

[…]

[43:09] J. C. : Paul Léautaud qui s’y entendait quand même qui connaissait bien la littérature

M. B. : Oui oui oui…

J. C. : Et qui ne faisait pas de cadeau

M. B. : Oui oui oui…

J. C. : disait de vous « c’est très beau c’est remarquable c’est la vérité même » c’est pas mal même. Parce que même un ami il ne le flattait pas.

M. B. : Oui mais j’ai eu un long…

J. C. : Léautaud, Jouhandeau128, ne font pas de cadeau.


Notes

1       Henri Bachelin (1879-1941), romancier, critique littéraire et musicologue. Ami de Jules Renard il a publié un Jules Renard et son œuvre au Mercure en 1909 et un Jules Renard inédit, dix-sept volumes chez François Bernouard en 1926. Voir le Journal littéraire de Paul Léautaud au neuf juin 1909. Voir aussi l’« Écho » du Mercure du 1er août 1914. Voir encore la visite d’Henri Bachelin à Fontenay le 21 août 1937. Un long portrait d’Henri Bachelin a été dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, Fayard 1945, à partir de la page 291.

2       André Castagnou (1889-1942), poète, traducteur et critique littéraire figurera dans la dernière édition des Poètes d’aujourd’hui (1930). Son œuvre sera essentiellement publiée au Mercure. Pour l’insistance d’André Castagnou à figurer dans les Poètes d’aujourd’hui de 1929, voir le Journal littéraire au treize février 1925.

3       Georges Duhamel, Le Temps de la recherche, Mercure de France 1947, chapitre XV. On peut retrouver ce texte dans le Mercure du premier avril 1947, page 687.

4       Lors de son entretien avec Jacques Chancel du neuf mars 1977 dans l’émission Radioscopie, c’est sous le nom de Michel Balfort qu’il choisira d’être questionné. Il justifiera son goût des pseudonymes en référence à Stendhal.

5       L’exemplaire de Paul Léautaud est passé en vente en mars 2020 sur le site « Édition originale.com » pour 150 €uros. Le tirage a dû être faible et cette publication n’est pas mentionnée à la BNF.

6       Alfred Vallette (1858-1935), d’abord typographe, a été ensuite secrétaire de rédaction puis directeur du Scapin (1er septembre 1886). Mais Alfred Vallette est surtout connu pour être l’un des fondateurs (1890) et le directeur de la revue puis des éditions du Mercure de France jusqu’à sa mort en 1935. C’est dans Le Scapin qu’Alfred Vallette a publié en feuilleton son roman Monsieur Babylas (depuis le numéro 11, du premier mai 1886). Ce roman sera publié en volume au tout début de 1891 sous le titre Le Vierge chez Tresse et Stock (495 pages). Alfred Vallette a écrit un second roman (en collaboration avec Raoul Minhar), À l’écart, paru la même année 1891 chez Perrin.

7       Cette lettre est-elle celle datée de mai 1930 ? En même temps il ne semble pas que Fernande Olivier ait publié de livre avant Picasso et ses amis, paru chez Stock en 1933 et préfacé par Paul Léautaud.

8       Louis Dumur (1860-1933), romancier, poète et dramaturge suisse. Après avoir fondé la revue La Pléiade (deuxième du nom) avec Édouard Dubus, Gabriel-Albert Aurier et Louis-Pilate de Brinn’Gaubast, il est avec Alfred Valette l’un des fondateurs du nouveau Mercure de France, dont il est rédacteur en chef en 1889 et secrétaire général en 1895. On lira son portrait aux 13 et 15 novembre 1922 et au 4 août 1931. Voir aussi chez André Billy, Le Pont des Saint-Pères, pages 40-42.

9       Guillaume Apollinaire (Guglielmo de Kostrowitzky, 1880-1918), poète et écrivain. Voir la notice de PL dans les Poètes d’Aujourd’hui (dans l’édition de 1930) et reproduite dans Passe-Temps. Voir aussi André Billy, Apollinaire vivant (éditions de la Sirène, 1923). Voir encore l’ouvrage de Laure Faure-Favier : Souvenirs sur Apollinaire, dont une réédition bon marché a été réalisée par Grasset en 2018 à l’occasion du centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire.

10     Mercure du 1er mai 1931 : « Neuf ans chez Picasso : Picasso et ses amis » ; Mercure du 15 juin 1931 : « La Naissance du cubisme » ; Mercure du 15 juillet 1931 : « L’Atelier du boulevard de Clichy ». On peut remarquer que, contrairement à l’usage, les numéros ne se suivent pas.

11     Les épreuves sont une première version imprimée sur des feuilles volantes, sur le recto seulement, avec de grandes marges pour permettre la correction. Le mot placard est parfois utilisé, un peu abusivement puisque les épreuves ne sont pas destinées à être affichées. Ce premier jeu d’épreuves est retourné chez l’imprimeur après correction. Il y a ensuite un deuxième jeu d’épreuves, dans la mise en pages définitive.

12     Fernande Olivier, Picasso et ses amis, préface de Paul Léautaud, Stock 1933, 237 pages.

13     « On » : La NRF.

14     Cette peinture a été donnée à Guillaume Apollinaire par Marie Laurencin lors de leur séparation en 1912 et est restée accrochée dans l’appartement du 202, boulevard Saint-Germain jusqu’en 1973, après la mort de Jacqueline en août 1967. Cette peinture est ensuite parvenue dans les collections de l’État (actuellement à Beaubourg) par dation.

15     Francis Carco (François Carcopino-Tusoli, 1886-1958), romancier du réalisme social dans la veine d’un Mac Orlan, est surtout connu pour son premier roman, Jésus-la-Caille (1914, remanié en 1920) et L’Homme traqué, qui a reçu le Grand prix de l’Académie française en 1920.

16     Le poète et critique d’art Maurice Cremnitz (1875-1935), ami de Guillaume Apollinaire a parfois écrit sous le nom de Maurice Chevrier. C’est l’un des rares auteurs sous pseudonyme que l’on évoque le plus souvent sous son nom réel. Voir le Journal littéraire au 1er avril 1931.

17     Pierre Mac Orlan (Pierre Dumarchey 1882-1970) était l’ami de Guillaume Apollinaire, de Francis Carco, de Rolland Dorgelès et collaborateur du Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Auteur prolifique — surtout de textes courts — Pierre Mac Orlan est encore connu de nos jours pour son roman Le Quai des brumes (Gallimard 1927, 222 pages), essentiellement grâce à son adaptation au cinéma par Marcel Carné en 1938, qui lui a préféré jacques Prévert comme scénariste.

18     Paul Fort (1872-1960), poète et auteur dramatique, créateur du Théâtre d’Art (futur théâtre de l’Œuvre) au côté de Lugné Poe. Les premiers poèmes de Paul Fort paraissent dans le Mercure en 1896. En 1905, Paul fort a lancé la revue Vers et prose aux côtés de Jean Moréas et André Salmon. Suite à un référendum dans des journaux, Paul Fort a été élu « Prince des poètes » en 1912. Son neveu, Robert Fort (1890-1950), a épousé en 1911 Gabrielle Vallette (1889-1984), la fille de Rachilde et Alfred Vallette.

19     Marie Laurencin (1883-1956) a commencé par la peinture sur porcelaine avant de suivre les cours de dessin de la ville de Paris et de l’académie de Ferdinand Humbert du 104, boulevard de Clichy. Elle a rencontré Pablo Picasso puis Guillaume Apollinaire avec qui elle a vécu avant d’épouser, le 22 juin 1914, son unique mari, le peintre allemand Otto von Wätjen (1881-1942), dont elle divorcera en juin 1921.

20     Roger Karl.

21     Adolphe Basler (1876-1951), franco-polonais né à Cracovie critique et historien de l’art et galeriste.

22     Auriant (Alexandre Hadjivassiliou, 1895-1990), a partagé le bureau de PL au Mercure de 1920 à 1940 et s’est trouvé de ce fait son principal confident, et réciproquement. Voir Dictionnaire des orientalistes de langue française sur le site web de l’EHESS. Lire également les mémoires de Francis Larcassin : Sur les chemins qui marchent, éditions du Rocher 2006 : « Séduit par sa passion érudite et par ses qualités polyglottes, Vallette l’engagea dans la maison d’édition qui accompagnait la revue. C’est ainsi que chaque jour pendant vingt ans, dans le même bureau, il travaillait avec Paul Léautaud en vis-à-vis. Plus misanthrope et plus grincheux que moi, tu meurs… Rapports courtois et distants. Après la Seconde Guerre mondiale, Léautaud réserva à son ancien vis-à-vis quelques piques désobligeantes dans son Journal. Procès à l’appui, Auriant l’obligea à remplacer son nom par des initiales. Ensuite, il se vengea tout seul, sans l’aide de la justice, en lançant le pamphlet cinglant apprécié des connaisseurs, Une vipère lubrique : M. Paul Léautaud. »

23     Georgette Leblanc, Souvenirs 1895-1918, avec une introduction de Bernard Grasset, Grasset 1931, 344 pages. Georgette Leblanc (1869-1941), chanteuse, actrice et écrivain est la sœur cadette du romancier Maurice Leblanc, le créateur d’Arsène Lupin. C’est son amant Camille Mauclair qui lui fit connaître Maurice Maeterlinck, dont elle fut la compagne, délaissant ainsi le pauvre Camille. L’histoire a retenu la brouille entre Maeterlinck et Debussy, Georgette Leblanc espérant le rôle de Mélisande (1902) et ne l’obtenant pas (ce rôle sera tenu par l’écossaise Mary Garden). Georgette Leblanc a écrit Le Choix de la vie, roman autobiographique paru chez Charpentier en 1904.

24     Maurice Maeterlinck (1862-1949), écrivain francophone belge, prix Nobel de littérature en 1911. Figure de proue du symbolisme belge, Maurice Maeterlinck reste aujourd’hui célèbre pour son mélodrame Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste mis en musique par Claude Debussy et créé à l’opéra-comique le 30 avril 1902 sous la direction d’André Messager. Paul Léautaud a rédigé sa notice des Poètes d’aujourd’hui.

25     P. R. Carle « Une mère », Mercure du 16 novembre 1916, page 238.

26     Mercure du quinze juin 1931, page 587 : « Chez Azon ; j’ai vu Vanderpyl et sa rondeur joviale qui fatiguait très vite, René Dupuis, le journaliste, ancien officier de marine, mort à la guerre, et aussi le fameux Adolphe Basler, qui était peu apprécié alors. / Petit homme gras aux mains molles, l’air sage d’un bedeau en dévotion, réservé, sauf dans ses compliments qu’il ne ménageait pas assez, flatteur conciliant, intelligent, il semblait être là pour voir, écouter, retenir et surtout profiter. / Toujours en quête d’un “bedit gavé grème”, a défaut d’autre chose, il a puisé dans ce milieu tout ce qu’il lui était utile d’y puiser, et dont il a su faire son profit, avec une adresse qu’on ne peut lui contester. Sans cette bande d’artistes, et grâce à une ténacité remarquable, serait-il le “Monsieur” très important qu’il “représente” aujourd’hui ? »

27     Deux chapitres seront réservés à Marie Laurencin dans le livre Picasso et ses amis : le premier, simplement titré « Marie Laurencin » et le second, « La peinture de Marie ». Seul le second a été reproduit dans le Mercure du 15 juin.

28     Ici au sens propre : « Je fus aussi la cuisinière… Et, bien que je n’eusse à ma disposition qu’un ou deux francs par jour, les amis de Picasso appréciaient néanmoins mes ratas. » Fernande Olivier, Picasso et ses amis : « Sur moi-même ».

29     Au numéro onze, où une plaque signale le lieu. Fernande Olivier habite au dix de la petite rue de la Grande chaumière, qui est le nom d’un ancien bal. Cette rue prend sur le boulevard du Montparnasse près du carrefour Vavin. L’immeuble, très ordinaire, cinq fenêtres sur trois étages, existe encore en 2021. Au quatorze se trouve l’académie de peinture de la Grande chaumière, fondée en 1904 par la peintre suisse Martha Stettler (1870-1945). Cette académie est encore en activité de nos jours et sert parfois de décor pour des films.

30     Édouard Manet (1832-1883), surtout connu pour son Olympia et son Déjeuner sur l’herbe, tous deux exposés au musée d’Orsay. Paul Léautaud a souvent évoqué cette Olympia, la première fois le seize janvier 1900 : « Cette photographie d’un tableau de Manet (femme sur un divan) que je viens d’acheter ce soir, chez un marchand de tableaux de la rue Le Peletier, en revenant de chez les dames Mallarmé, j’ai à la regarder un plaisir tout à fait particulier. »

31     Journal littéraire au quatre juin 1904 : « Je songe ce soir que j’aurai profondément aimé et goûté : en littérature : Stendhal et Baudelaire, en peinture : Goya et Manet, et, comme dessinateurs, trouvant souvent le dessin supérieur à la peinture, Constantin Guys et Toulouse-Lautrec. »

32     Une station de bus La Cavée dessert de nos jours l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart.

33     Fernande Olivier est née le six juin 1881 et a donc eu cinquante ans le samedi précédent.

34     Pierre Benoit (1886-1962), écrivain-voyageur est surtout connu pour Kœnigsmark, paru chez Émile Paul en 1918 (qui sera le premier livre de poche en 1953) et L’Atlantide (1919). Kœnigsmark a reçu quatre voix des académiciens Goncourt contre six pour Civilisation de Georges Duhamel. Pierre Benoit sera reçu à l’Académie française en 1932 par Henri de Régnier.

35     Lapsus de Léautaud, voulu ou non ? On se souvient en effet que suite à la publication en anglais de L’Atlantide en 1920, Pierre Benoit (note 26) avait été accusé de plagiat par Henry Rider Haggard, qui avait trouvé de nombreuses similitudes avec son roman She : À History of Adventure, paru à New York en 1886. Pierre Benoit s’était défendu en avançant qu’il ne parlait pas anglais. Du coup, le roman d’Haggard est paru en français en 1920 sous le titre Elle et L’Atlantide devint un succès de librairie qu’il fallut réimprimer. Voir Gérard de Cortanze, Pierre Benoit : Le romancier paradoxal, Albin Michel 2012.

36     Jean Pellerin (1885-1921), poète fondateur de l’École fantaisiste, et journaliste, a rencontré Francis Carco à l’occasion de son service militaire. Jean Pellerin a fait partie des « Treize » de L’Intransigeant.

37     Il faut comprendre qu’Auriant (note 14) a promis depuis deux ans à Adolphe Basler de lui faire rencontrer Paul Léautaud.

38     Otto von Wätjen (1881-1942), peintre allemand, a épousé Marie Laurencin en juin 1914. La guerre avec l’Allemagne, déclarée en août, a — comme on s’en doute — causé bien des ennuis au couple, qui a divorcé en juillet 1921.

39     Le Beau Danube rouge, comédie en trois actes de Bernard Zimmer se joue dans une mise en scène de Gaston Baty au Théâtre du Montparnasse depuis le 21 avril dernier. Le texte de la pièce paraitra dans Les Œuvres libres, « recueil littéraire mensuel ne publiant que de l’inédit » en décembre de cette année 1931. Dans La Quinzaine critique des livres et des revues du 25 mai 1931, René Lalou a écrit : « Bernard Zimmer nous offre une brillante revue pittoresque et idéologique très intelligemment mise en scène par Gaston Baty, fort bien jouée par sa compagnie, avec Roger Karl et Georges Vitray comme vedettes. » On ne confondra évidemment pas cette pièce avec un roman de Bernard de Villiers paru en 2013.

Dessin de La Quinzaine critique des livres et des revues du 25 mai 1931, page 48 : Georges Vitray (assis) et Roger Karl

40     Alphonse Daudet, Sapho — Mœurs parisiennes, Charpentier 1884, 337 pages.

41     Jacques Boutelleau (1884-1968) est bien plus connu sous son pseudonyme d’écrivain Jacques Chardonne. Il est secrétaire aux éditions Stock. L’histoire de cette maison d’édition remonte aux débuts du XVIe siècle, rue Saint-Jacques puis au Palais-Royal mais il faut attendre 1885 pour voir apparaître le nom de Stock. Pierre-Victor Stock (1861-1943), a été nommé directeur adjoint de la maison avant d’acheter le fonds de la maison du Palais-Royal. Pierre-Victor Stock était une sorte de colosse très sportif, ce qui donne confiance en soi et l’a peut-être incité à oser des coups. Il soutient Alfred Dreyfus, publie Les Sous-off de Lucien Descaves, qui sera interdit, et les iconoclastes de tout poil, de Georges Darien à Léon Bloy, et même quelques sulfureux anarchistes, qui ne rapportent rien. Les finances s’effondrent avec la guerre et la maison est vendue à l’encan en 1921, rachetée par Maurice Delamain et Jacques Boutelleau, qui ne se conduira pas très bien pendant la guerre. En 1961 la maison Hachette a racheté l’entreprise et le nom.

42     « Souvenirs d’enfance », Les Nouvelles littéraires des deux, seize et trente mai et 25 juillet 1925.

43     Journal littéraire au 15 mai 1925 et lettre à « MM. Delamain, Boutelleau » datée du 16 mai.

44     Maurice de Vlaminck, Poliment, Stock 1931, 195 pages. Le peintre Maurice de Vlaminck (1876-1958) était aussi homme de lettres et romancier, activité ayant laissé peu de traces. Journal littéraire au 18 février 1929 : « Maurice de Vlaminck m’a envoyé un livre qu’il vient de publier : Tournants dangereux. Je l’ai lu, hier dimanche. Intéressant, curieux, très personnel. J’ai écrit ce soir à Vlaminck. »

45     Briand, vétérinaire « au fond des Batignolles », déjà évoqué à plusieurs reprises dans le Journal littéraire et, bien entendu, dans le Bestiaire.

46     Il est à peu près impossible de trouver de nos jours une peinture signée de Fernande Olivier.

47     Georges Charensol (1899-1995), journaliste, critique d’arts (littéraire et cinéma), grâce à Pierre Scize est entré en 1923 à Paris-Journal dont le propriétaire est Jacques Hébertot, directeur du Théâtre des Champs-Élysées. Georges Charensol a occupé la même fonction aux Nouvelles littéraires en 1925 et a fait partie du groupe à l’origine du prix Renaudot en 1926.

48     Cette introduction est donnée en annexe II en fin de page, avant les notes.

49     Clovis Sagot (1854-1913), marchand d’art, 46, rue Laffitte, que l’on ne confondra pas avec son frère Edmond Sagot (1857-1917), libraire et marchand d’art mais davantage spécialisé dans les œuvres plus anciennes. Pour Clovis, voir l’article nécrologique de Guillaume Apollinaire en une de L’Intransigeant du 13 février 1913. C’est chez Clovis Sagot que Picasso (l’un de ses premiers artistes) présenta Marie Laurencin à Guillaume Apollinaire. Le sept mars 1944, PL se rendra à galerie Sagot, alors rue d’Anjou.

50     Paule Andral (Paule Roucole, 1879-1956), comédienne, a épousé Roger Karl le 14 avril 1925 pour en divorcer le 25 janvier 1926.

51     Peintre de décors et costumes de scène, André Derain (1880-1954), graveur et illustrateur, est l’un des fondateurs du fauvisme.

52     Maurice Utrillo (1883-1955), fils de Suzanne Valadon et d’un inconnu.

53     Suzanne Valadon (1865-1938), d’abord modèle, puis peintre.

54     Miguel Utrillo (1862-1934), ingénieur, journaliste et expert en art.

55     De nos jours « Villa de Guelma », prenant sur le boulevard de Clichy, tout près de la place Pigalle, pour finir en impasse.

56     André Utter (1886-1948), mari de Suzanne Valadon, n’avait que trois ans de plus que Maurice Utrillo.

57     À Pornic, du 9 au 23 août.

58     Ce travail aboutira dans plusieurs années par une publication en deux parties d’un texte intitulé Portrait de mon père, la première dans le Mercure du premier septembre 1937, la seconde dans La NRF d’octobre 1939.

59     C’est en 1854 en Grande-Bretagne que le samedi après-midi est devenu férié. En France la loi du onze juin 1917 a imposé, pour la durée de la guerre, la « semaine anglaise », ajoutant un repos le samedi après-midi en complément du dimanche pour les femmes des usines de filature, rapidement étendu à l’ensemble du monde du travail. En 1919 la durée des journées de travail de dix heures a été ramenée à huit heures.

60     Cette préface peut être consultée ci-dessous en annexe I

61     Seize illustrations, dessins ou photographies, sur papier ordinaire ou semi-glacé.

62     Mario Meunier (1880-1960), helléniste, a appris le latin puis le grec chez les moines. Avec quelques amis il a fondé la revue Le feu dans laquelle il a publié en 1907 sa traduction de l’Antigone de Sophocle. Mario Meunier a ensuite été, en 1910, secrétaire d’Auguste Rodin et en 1912 secrétaire de la danseuse Isadora Duncan. Il a tenu, de 1925 à juillet 1936 la rubrique des « Lettres antiques » dans 45 numéros du Mercure. Il a également collaboré aux Débats et L’Action Française.

63     Ne nous méprenons pas ; quand on habite rue de la Grande Chaumière, Le Dôme est juste le café le plus proche, le café du coin. Il y a juste le boulevard Raspail à traverser. Ci-dessous, le Dôme à cette époque. En arrière-plan, la Coupole.

64     Peintre de décors et costumes de scène, André Derain (1880-1954), graveur et illustrateur, est l’un des fondateurs du fauvisme.

65     Henri Matisse (1869-1954) est considéré comme le chef de file du fauvisme, mouvement caractérisé par des couleurs très appuyées, voire violentes, des formes à larges traits, les contours marqués. À côté d’Henri Matisse, on peut citer André Derain ou Maurice de Vlaminck, objet de la note 36. Henri Matisse a été un des références de son siècle. D’abord clerc de notaire, Henri Matisse découvre la peinture à l’occasion d’une longue convalescence le forçant à l’inactivité. Une fois rétabli, il suit des cours de dessin en province puis se rend à Paris où il finit par s’inscrire à l’école des Beaux-Arts…

66     Gustave Courbet (1819-1877) est un peintre social, aspect presque entièrement occulté par la très réaliste Origine du monde (une commande de 1866) exposé à Orsay. Hors cette extravagance il faut se souvenir d’Un enterrement à Ornans (où est né Gustave Courbet) peint en 1849.

67     À cause de la crise financière, qui a entraîné la « grande dépression » aux États-Unis.

68     Un quartier que connaît bien Paul Léautaud, qui, enfant, a été élève d’une école rue Milton.

69     Le couturier Paul Poiret (1879-1944), fils d’un marchand drapier des halles a débuté à la toute fin du siècle chez Jacques Doucet (1853-1929), que tous les Léautaldiens connaissent. Le début du siècle le trouve chez Worth et en 1903 il inaugure sa propre maison ou Réjane, cliente chez Worth l’a suivi et le recommande. Paul Poiret s’intéresse aux femmes, à leur confort et fait tomber les corsets. En même temps il rehausse les tailles. Son succès lui permet de s’installer au 107, rue du Faubourg-Saint-Honoré dans un hôtel dont les jardins s’étendaient jusqu’à l’avenue Franklin D. Roosevelt, ce qui serait inenvisageable de nos jours pour quasiment quelque fortune que ce soit. Paul Poiret fréquente les artistes, leur vient en aide (on pense à Max Jacob). Mais la seconde guerre mondiale entame le déclin et en 1929, c’est la fin. L’aide à Fernande Olivier en 1932 semble donc assez hypothétique.

70     Max Jacob (1876-1944), peintre, poète et romancier au destin compliqué. Toute sa vie, Max Jacob a été d’une incroyable générosité, donnant pratiquement tout le peu d’argent qui lui revenait.

71     Marguerite Eymery (1860-1953), personnage complexe, épousera Alfred Vallette le 12 juin 1899. Rachilde tient la rubrique des « Romans » dans le Mercure. Elle publiera une soixantaine d’ouvrages.

72     Rosita Finaly (Rose-Anita Finaly, 1885–1955) était la sœur d’Horace Finaly (1871-1945), directeur général très politisé de la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas) entre 1919 et 1937. Rosita a aussi une sœur, Mary, bien aimée de Proust. Rosita a été mariée une première fois à Charles Derennes, puis à Achille Matza, médecin, ancien mari de Colette Dumas, fille d’Alexandre Dumas fils. Voir Rosita Finaly, Échos dans la tourmente, Stock 1916, 157 pages. Rosita Finaly a également écrit sous le seul prénom de Rosita.

73     Charles Derennes (1882-1930, à 48 ans), journaliste, romancier, poète, fait partie des Poètes d’aujourd’hui dans l’édition de 1930, sa notice étant rédigée par Yves Gandon. Sa nécrologie paraîtra dans les « Échos » du Mercure du 15 mai 1930 rédigée par Léon Deffoux. Voir aussi un court portrait par PL dans son Journal au 28 avril 1930 à l’occasion de sa mort.

74     Nelly-Litta de la Montagnie (1879-1949), peintre américaine, a épousé en 1903 le peintre Robert Besnard (1881-1914, tué à l’ennemi) et est connue sous le nom de Lita Besnard.

75     Le quatre décembre 1950, en ouverture des Entretiens avec Robert Mallet (dans ce site web Entretien zéro), André Billy dira avoir rencontré PL « pour la première fois en 1908 dans une librairie du Boulevard des Italiens. » André Billy ajoute « C’est seulement deux ou trois ans après que je me liais avec lui au Mercure de France […] En ce temps-là, c’était dans les années 1911, 1912, 13, 14… j’allais tous les jours au Mercure de France, je m’asseyais en face de Léautaud dans son bureau du premier étage, et là, pendant deux heures, quelquefois davantage, j’assistais à la comédie que Léautaud se faisait un plaisir de me donner en se moquant de tous les collaborateurs qui successivement venaient prendre leur courrier dans les casiers garnissant les murs. Léautaud était déjà très impertinent, très drôle, plein de saillies parfois cruelles, qui n’excluaient pas une politesse d’ancien style où se faisait sentir je ne sais quel parfum de la Comédie Française ». Dans sa chronique dramatique de juin 1919, Maurice Boissard a dressé un portrait d’André Billy.

76     Vraisemblablement des demandes d’argent envoyées à Roger Karl.

77     Juliette Ravaud, qui déjeune ou dîne chez Fernande Olivier tous les samedis. Dans la journée du 24 septembre 1932 non reproduite ici nous apprenons que Juliette, qui habite Passy, est « veuve de Alfred V., correcteur au Temps, aux Nouvelles littéraires et chez Mornay, mort à 47 ans, il y a peu de temps, d’une congestion due à l’alcoolisme, sans cesse à boire pernods, bocks, petits verres, cinq ou six pernods chaque soir »…

78     Pour Paul Percheron, voir, dans l’ouvrage très documenté d’Yves Brocard, Picasso et sa femme : Eva Gouel, cette inconnue effacée, paru aux éditions du Net en novembre 2022, le chapitre « Percheron, le mari et le fils ».

79     Aucun ouvrage ne paraîtra sous ce titre mais il s’agit peut-être des prémices des Souvenirs intimes qui paraîtront 22 ans après la mort de Fernande Olivier chez Calmann-Lévy en 1988.

80     La Vie de Henri Brulard écrite par lui-même, roman autobiographique de Stendhal (1783-1842), a été publié une première fois avec de grosses lacunes en 1890 par Casimir Stryienski (1853-1912).

81     Journal littéraire au six octobre 1932 (journée non reproduite ici) : « une dame Bobichon, femme charmante, simple, sérieuse, extrêmement sympathique. »

82     Fernande Olivier née Amélie Lang était la fille de Clara Lang née en 1854 et d’un père inconnu. La sœur en question était peut-être d’un autre père.

Roland Dorgelès

Roland Dorgelès en une des Nouvelles littéraires du sept juillet 1923

83     Roland Dorgelès (Rolland Maurice Lecavelé, 1885-1973), est surtout connu pour être l’auteur des Croix de bois en 1919. Après des études d’architecture Roland Dorgelès a choisi le journalisme. Réformé deux fois, Roland Dorgelès a dû se faire appuyer par le directeur de son journal, Georges Clemenceau, afin de pouvoir se faire engager en août 1914. Cet entêtement qui lui a valu d’écrire son premier roman lui a donc apporté la fortune et la gloire. Ce premier roman n’entrera dans le domaine public qu’en janvier 2044, 125 ans après sa parution. Ces Croix de bois n’ont pas obtenu le prix Goncourt, qui sera devancé par À l’ombre des jeunes filles en fleurs. La concurrence était rude et le pari ingagnable. Il faut dire aussi que les cinq précédents prix Goncourt avaient été réservés à des écrivains combattants (Adrien Bertrand, René Benjamin, Henri Barbusse, Henry Malherbe et Georges Duhamel) et que l’on voulait peut-être passer à autre chose. Dix ans plus tard Roland Dorgelès a toutefois pu être consolé en prenant le huitième couvert de l’académie Goncourt, à la mort de l’excellent Georges Courteline. Il sera même élu président de cette académie en 1954 en remplacement de Colette.

84     À part les trois chapitres de Neuf ans chez Picasso (mai-juillet 1931) Fernande Olivier n’a rien publié dans le Mercure.

85     Louis Brun (1884-1939, tué par son épouse, jalouse), ami des premiers jours et principal collaborateur de Bernard Grasset.

86     Vraisemblablement Joseph Peyronnet, né en 1880, qui avait épousé en mai 1913 Marguerite Grasset (1888-1946), fille de Bernard Grasset.

87     Note de l’édition papier : « En blanc dans le manuscrit. »

88     Au 26, rue Racine, toute proche de la rue de Condé, se trouvait, depuis 1875 et jusqu’en 2005, l’entrée de la librairie Flammarion. Au-dessus de la porte figurait encore en mai 2019, l’inscription « Librairie » gravée dans le marbre rose. Elle y est peut-être encore. Le numéro 28, dans le même très bel immeuble, étant l’entrée privée de la famille.

89     On peut le comprendre, tant les frères Fischer — Max (1880-1957) et Alex (1881-1937) —, écrivains humoristes d’origine suisse, lecteurs chez Flammarion depuis 1904, avaient mauvaise réputation. Voir notamment le Journal littéraire de Paul Léautaud au vingt juin 1928 et un ajout du tapuscrit de Grenoble.

90     Ambroise Vollard (1866-1939), marchand d’art et galeriste, révéla les plus grands peintres de son époque. Ambroise Vollard et né à Saint-Denis de La Réunion et c’est à Montpellier, puis très rapidement à Paris qu’il est venu continuer ses études et s’inscrire à la faculté de Droit. Ambroise Vollard n’a que 27 ans quand il ouvre sa première galerie au numéro 37 de la rue Laffitte. Cette activité principale, la seule pour laquelle il est vraiment connu, ne l’a pas empêché d’entreprendre des éditions de luxe (évidemment illustrées) et même une activité d’écrivain, pas toujours brillante. Marie Dormoy est devenue sa secrétaire et « dame de compagnie » en 1930. À ce titre il sera très présent dans le Journal littéraire où son nom apparaît dans une centaine de pages. La source majeure de la biographie d’Ambroise Vollard se trouve dans ses Souvenirs d’un marchand de tableaux parue chez Albin Michel en 1937 (447 pages). Ambroise Vollard est mort dans un accident de sa voiture, conduite par son chauffeur qui roulait trop vite, parce qu’Ambroise Vollard était toujours en retard (voir le Journal littéraire à partir du 23 juillet 1939). Voir aussi, dans ce site la page sur Ambroise Vollard. dans la série sur les gens de peinture.

91     En 1933, Roger Karl a tourné plusieurs films français produits par la compagnie allemande UFA, dans le cadre de l’Alliance cinématographique européenne. On peut noter L’étoile de Valencia (de Serge de Poligny, avec Jean Gabin et Brigitte Helm, sortie en France le 16 juin), Idylle au Caire (de Claude Heymann et Reinhold Schünzel, sortie en France le 30 juin), La Bataille (de Nicolas Farkas et Viktor Tourjansky, avec Charles Boyer et Annabella, sortie en France le 5 janvier 1934).

92     Cinq poèmes de Roger Karl vont paraître dans le Mercure du quinze septembre 1933, pages 560-563 : « Voici les bons guerriers avec leurs cris de sang. / Leurs dolmans sont taillés dans un ciel sans étoiles, / Le ciel s’enfle de gloire et le soleil descend. / Esprit, beauté, bonté, laissez tomber vos voiles. »

94     Les Souvenirs d’un marchand de tableaux, paraîtront chez Albin Michel en 1937.

95     Cette Préface sera aussi publiée dans le numéro du 14 octobre, page huit.

96     Kiel est une ville sans doute très agréable, au nord de l’Allemagne, à la verticale de Hambourg, donnant sur la mer Baltique, un peu au sud de la frontière danoise.

97     Vraisemblablement Un homme de trop à bord, film de Gerhard Lamprecht et Roger Le Bon, qui sortira en France le six décembre 1935.

98     Cette société anonyme a reçu l’autorisation d’exploitation de fonds de commerce de vins, cafés, liqueurs en détail, avec succursales multiples en novembre 1924. Il s’agissait le plus souvent d’établissements assez modestes, de petite surface. On trouve encore des traces de ces cafés, notamment une devanture de la rue Montorgueil / rue des Petits-carreaux, à l’angle de la rue Léopold Bellan.

99     Allusion à la crise du livre de cette époque.

100   Jean de La Fontaine, Les Deux pigeons, Livre IX, 2e fable, Pléiade 1991, page 349 : « Mais le désir de voir et l’humeur inquiète / L’emportèrent enfin. Il dit : “Ne pleurez point : / Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ; / Je reviendrai dans peu conter de point en point / Mes aventures à mon frère ; / Je le désennuierai : quiconque ne voit guère / N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint / Vous sera d’un plaisir extrême. / Je dirai : « J’étais là ; telle chose m’advint » ; / Vous y croirez être vous-même”. »

101   En mars 1907, Géry Pierret, connaissance de Guillaume Apollinaire, vola par bravade, au Louvre, trois statuettes et en vendit deux à Picasso. Guillaume Apollinaire le savait et conservait la troisième statue. En août 1912, la Joconde fut volée au Louvre. L’affaire prit tant d’ampleur qu’Apollinaire et Picasso décidèrent de restituer les statues au Louvre par l’intermédiaire de Paris-journal. Le lendemain la police débarqua chez Apollinaire et deux jours après chez Picasso. L’un et l’autre se retrouvèrent devant un juge et Apollinaire fut emprisonné à la Santé du 7 au 11 septembre. Lire ce récit dans le chapitre « Les vols du Louvre ».

102   Charles-Augustin Sainte Beuve, Mes poisons, cahiers intimes inédits, Introduction et des notes par Victor Giraud, Plon, 1926, 239 pages.

103   Jean-Jacques Brousson (1878-1958), homme de lettres et journaliste, secrétaire d’Anatole France de 1904 à 1909. Jean-Jacques Brousson a été critique littéraire aux Nouvelles littéraires au moment de la sortie de son livre. Anatole France est mort le 12 octobre 1924 et le livre de J.-J. Brousson est sorti chez Crès le 28 octobre, c’est dire s’il avait été rédigé et même déposé chez l’éditeur auparavant. Selon Crès il s’est vendu à 100 000 exemplaires.

104   Guerrier pendant la guerre de Troie, très décrié.

105   Othon Friesz (1879-1949), peintre et graveur, précurseur du fauvisme. Othon Friesz a été, comme Raoul Duffy cité ensuite, l’élève de Charles Lhuillier à l’école municipale des Beaux-Arts du Havre, puis de Léon Bonnat à l’école des Beaux-Arts de Paris.

106   Raoul Dufy (1877-1953), peintre et graveur. Raoul Dufy a aussi été décorateur de théâtre. Il est surtout connu de nos jours comme l’auteur de La Fée électricité, immense toile (600 mètre carrés) réalisée à l’occasion de l’exposition universelle de 1937.

107   Léon Bonnat (1833-1922), portraitiste, directeur des Musées nationaux en 1900 et de l’école des Beaux-Arts de Paris en 1905, postes qu’il a occupé jusqu’à à sa mort.

108   Armand Guillaumin (1841-1927), peintre et graveur. Ami de Pissarro et peintre, comme lui, des bords de Seine, il a exposé à ses côtés au salon des Refusés de 1893.

109   Camille Pissarro (1830-1903), peintre impressionniste du monde rural, sera l’une des figures du salon des Refusés de 1863.

111   William Bouguereau (1825-1905), peintre académique. On se souvient notamment de sa très mièvre Naissance de Vénus (1879) et a contrario de son assez cruel Dante et Virgile, tous deux visibles à Orsay.

112   Spécialiste des décors muraux comme celui du grand amphithéâtre de la Sorbonne (1886-1889), puis de l’Hôtel de ville de Paris, Pierre Puvis de Chavannes a soumissionné en juillet 1893 pour la réalisation de décors muraux pour le grand escalier de la Bibliothèque publique de Boston (celui avec les lions). Ces six panneaux ont exposés en septembre 1896 chez Paul Durand-Ruel avant leur départ. Paul Léautaud ira les voir le 23 septembre 1896. On pouvait encore voir ces décors sur place à Boston en 2017 et peut-être y sont-ils encore.

113   Eugène Carrière (1849-1906), comme Puvis de Chavannes, a reçu des commandes pour la Sorbonne ou l’Hôtel de ville de Paris qui y figurent encore. En 1980, Eugène Carrière a créé une école où de nombreux peintres ont suivi son enseignement. Eugène Carrière est souvent décrit comme le peintre du flou et du brun.

114   Dominique Ingres (1780-1867), après des débuts difficiles devint peintre officiel de l’empire et directeur de l’Académie de France à Rome de 1835 à 1840. Ingres est surtout connu de nos jours pour Le bain turc (1862) (au Louvre) et La Source (1856), de nos jours exposée au Musée d’Orsay. Cette célèbre Source représente une jeune femme versant l’eau d’une amphore tenue sur son épaule.

115   s rajouté à certains. Edgar Degas (1834-1917) est l’un des premiers impressionnistes. Surtout célèbre pour ses danseuses, qui ont occulté le reste de son œuvre.

116   Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) est aussi connu pour ses danseuses, mais ce ne sont pas les mêmes : french-cancan, bal du Moulin rouge et soirées parisiennes. Toulouse-Lautrec est également un affichiste réputé et l’on se souvient de celles représentant La Goulue ou Aristide Bruant.

117   Claude Monet (1840-1926) est le plus marquant exemple de l’impressionniste. Il est connu pour avoir inlassablement représenté le même lieu (la cathédrale de Rouen) ou le même motif (des meules de foin) et bien entendu les nymphéas de son jardin de Giverny à des heures ou des dates différentes. Sa peinture Impression au soleil levant (1874) a donné son nom au mouvement impressionniste. Il est l’un des rares peintres de son temps à avoir été filmé à son travail, grâce à Sacha Guitry dans son film Ceux de chez nous en 1915.

118   Alfred Sisley (1839-1899) est le seul peintre impressionniste cité ici à ne pas être français, bien que né à Paris, mort à Moret-sur-Loing et ayant surtout vécu en France. Sa production représente majoritairement des maisons au bord d’une rivière et plus généralement des perspectives balisées, comme des allées d’arbres.

119   Georges Seurat (1859-1891) est surtout connu pour sa toile Une baignade à Asnières (1884) ou Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte (1886), deux très grandes toiles de deux mètres sur trois, extraordinaires représentantes du pointillisme.

120   Édouard Manet (1832-1883) est évidemment le peintre du Déjeuner sur l’herbe (1862). Cette peinture, où l’on voit une jeune femme nue parmi des hommes (bien) habillés fit scandale. Elle fut exposée au salon des refusés de 1963, Manet est aussi le peintre d’Olympia (1865), qui fit scandale à la fois par le modèle et le choix des couleurs de la peau. Ces deux toiles sont visibles à Orsay.

121   Paul Cézanne (1839-1906), est le peintre de la Provence (plusieurs toiles de la montagne Sainte-Victoire, près d’Aix). On se souvient également de ses coupes de fruits.

122   Paul Gauguin (1848-1903) est le plus jeune des peintres impressionnistes cités par Fernande Olivier. Il est aussi une charnière avec l’époque moderne. C’est tardivement — à quarante ans passés — que Paul Gauguin s’est intéressé à la peinture et l’a pratiquée, après divers métiers, notamment dans la finance et c’est à peine plus tard qu’il part s’installer en Polynésie, espérant fuir le monde moderne qui l’a peu favorisé.

123   Avec Vincent van Gogh (1853-1890) la question de l’impressionnisme ne se pose plus. Dans sa jeunesse, Vincent van Gogh a été tente un temps par l’habit religieux avant de s’intéresser à la peinture vers 1880, ce qui ne lui fait que dix années de peinture.

124   Au-dessus du square Émile Goudeau, à l’angle de la rue d’Orchamps, maison individuelle.

125   Désiré Inghelbrecht (1880-1965), chef d’orchestre et compositeur, a été le premier chef d’orchestre du théâtre des Champs-Élysées lors de son ouverture, en avril 1913. Ce théâtre a été construit par Auguste Perret.

126   Cette affirmation de Michel Balfort est surprenante, Paul Léautaud étant connu, justement, pour sa très grande mémoire. Le Journal littéraire fait état de nombreux passages cités de mémoire ; quelques petites erreurs indiquent bien qu’il ne s’agit pas de copies avec un exemplaire du texte sous les yeux mais bien de citations au fil de la pensée et de la plume. Dans les Entretiens avec Robert Mallet, Paul Léautaud, parfois cinquante ans plus tard, récite des textes des Poètes d’aujourd’hui… Il semble que ce soit Michel Balfort, enregistré ici alors qu’il avait 95 ans (il a vécu 102 ans), qui manque ici de mémoire. La perte de mémoire avec l’âge est d’ailleurs le thème de cet extrait.

127   Clovis Sagot (1854-1913), marchand d’art, a ouvert sa galerie au 46, rue Laffitte. Voir sa courte nécrologie rédigée par Guillaume Apollinaire en une de L’Intransigeant daté du treize février 1913.

128   Marcel Jouhandeau (1888-1979), écrivain catholique et homosexuel (donc tourmenté) et enseignant de 1913 à 1949.