Notices du tome II ►
Notices du tome III ►
Guillaume Apollinaire, Henri Barbusse, Henry Bataille, André Castagnou, Jean Cocteau, Tristan Corbière, Guy-Charles Cros, Lucie Delarue-Mardrus, Tristan Derème, Charles Derennes, Émile Despax, Léon Deubel, Alfred Droin, Georges Duhamel, Édouard Dujardin, Max Elskamp, Fagus, André Fontainas, Paul Fort, René Ghil, Remy de Gourmont, Fernand Gregh, Charles Guérin — Critique de Gustave Kahn.
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Il est prévu depuis longtemps que les notices des trois volumes de l’édition de 1930 des Poètes d’aujourd’hui soient reproduites ici, en trois parties (une par tome), les quinze mars et quinze novembre 2022 puis quinze mars 2023. Voici la première. Les bibliographies, très largement caduques, ont été négligées. Des incertitudes demeurent quant aux auteurs des notices, qui n’ont été signées que lors de la première édition de l’été 1900.
Plusieurs notices n’ont pas été récrites par leurs auteurs à l’occasion de cette parution en trois volumes alors que trente années étaient passées depuis la première édition en un seul volume en 1900. En 1900, le Journal de Paul Léautaud était encore très lacunaire. Toute l’année 1900 de ce Journal tient en quatre pages et demie et aucune source ne subsiste permettant de connaître la motivation de Paul Léautaud à se lancer dans cette aventure. À cette époque, Paul Léautaud travaillait encore à l’étude Barberon du 17 quai Voltaire où il était presque aussi mal payé qu’il le sera au Mercure de France en 1908. On peut imaginer que la perspective de toucher des droits d’auteur n’a pas été étrangère à cet engagement.
Ce projet était donc d’abord celui d’Adolphe van Bever. Lors de la deuxième édition parue à la fin de 1908, Paul Léautaud était déjà moins intéressé par la poésie.
À la mort atroce d’Adolphe van Bever au début de janvier 1927, la troisième édition traînait depuis mars 1925. Cette troisième édition aura donc attendu cinq années avant de paraître. Le moins que l’on puisse dire est que l’enthousiasme n’est plus là et le Journal littéraire en fait souvent état, comme ce treize novembre 1929 :
Minuit. — Je suis enfin débarrassé des Poètes d’aujourd’hui. J’ai écrit ce soir la notice Vielé-Griffin, la dernière qui me restait à écrire. Débarrassé ! Quel soulagement.
Plusieurs notices des deux éditions antérieures ont été conservées telles, ou peu modifiées ; des notes en feront état ici. L’introduction aussi a été conservée mot pour mot sur plusieurs paragraphes.
Les auteurs des notices n’ont pas toujours pu être déterminés avec certitude. Le style littéraire de Paul Léautaud a fait place à la langue académique que l’on retrouve dans ce genre d’ouvrage et il devient difficile de distinguer les auteurs.
À chacune des éditions, plusieurs poètes publiés feront état de leur mécontentement pour des raisons diverses, dont il sera fait état ici en note.
À la suite de chacun des trois tomes sera proposée en annexe une importante étude critique. Ce quinze mars 2022 il s’agit du texte de Gustave Kahn de La Revue blanche d’août 1900 ; le quinze novembre prochain étant réservé au texte d’Henri Bordeaux paru dans La Revue hebdomadaire du 27 septembre 1900. Il peut sembler paradoxal de proposer, pour une édition de 1930 des critiques parues pour l’édition de 1900 mais il est prévu de donner, au cours des années, de nombreuses réactions à ces éditions, dans un ordre chronologique.
Le texte de ces notices provient de la réimpression de 1947, de très mauvaise qualité et en tout petits caractères, au point que certains mots ont été davantage devinés que lus.
Ces notices, issues du texte Word ayant servi pour cette page web, peuvent être téléchargées par tome en PDF en fin de page.
TOME I
Introduction1
Voici une nouvelle édition d’un ouvrage auquel le public a bien voulu faire un excellent accueil. C’est autant ce succès que le souci de tenir à jour et de compléter notre travail qui nous a engagés à le reprendre, et nous avons toutes raisons de croire qu’on en sera satisfait. La production poétique a les mêmes phénomènes que la vie elle-même. Depuis la publication de Poètes d’aujourd’hui en deux volumes, quelques-uns des poètes qui y figuraient sont morts ; d’autres ont poursuivi leur œuvre, d’autres, au contraire, sont restés stationnaires, au même point où nous les avions trouvés, enfin, de nouveaux poètes se sont révélés, qui ont mérité en peu de temps de se faire un nom, presque une réputation. On trouvera des témoignages de tout cela dans cette nouvelle édition, où tout d’abord nous nous sommes occupés de présenter chaque poète d’une façon plus complète, plus documentée, où nous avons augmenté les choix de poèmes en raison des nouvelles œuvres publiées, et où nous avons fait entrer plusieurs noms nouveaux, tant de poètes que notre premier cadre ne nous avait pas permis d’accueillir, que de ceux qui se sont révélés depuis. Pour la forme que nous avons observée, elle est demeurée la même, dont on trouvera l’explication à la fin de la présente introduction. On nous l’a beaucoup empruntée, pour des ouvrages analogues au nôtre, et que son succès parait bien avoir surtout inspirés : Anthologie des Poètes du Nord2, Anthologie des Poètes français3, Anthologie des Poètes du Midi4. Ce n’est pas pour nous en plaindre. Nous trouvons seulement là une indication que notre méthode n’était pas mauvaise et que nous pouvions la conserver,
Après cela, il est bien certain qu’on ne manquera pas de nous faire de nouveau quelques objections, tant sur le choix des poèmes que sur le choix des noms. Sur celui-ci, surtout. Les poètes de talent sont si nombreux ! Nous pensons y répondre à l’avance en répétant que nous n’avons eu d’autre intention que de composer des « morceaux choisis », et nullement une « anthologie ».
Nous ne saurions manquer, en terminant, d’exprimer nos remerciements aux poètes qui nous ont aidés pour nos notices, en même temps qu’aux éditeurs qui ont bien voulu nous accorder les autorisations nécessaires5.
Il nous reste à expliquer la méthode de classement que nous avons observée et qui est tantôt l’ordre alphabétique et tantôt l’ordre chronologique.
Les poètes sont rangés selon l’ordre alphabétique.
Les poèmes se suivent selon l’ordre chronologique, c’est-à-dire selon l’ordre de leur création. À ceux figurant sans titre dans le volume original, nous avons, pour plus de clarté, donné comme, titre soit le premier vers, soit le début du premier vers. Chaque poème est suivi du nom de l’ouvrage duquel il est extrait. Les poèmes non accompagnés d’une telle indication sont des poèmes ou tout à fait inédits ou qui n’ont pas encore été publiés en volume.
Chaque bibliographie comprend, principalement LES ŒUVRES et À CONSULTER6, ce dernier paragraphe divisé lui-même en deux parties : les livres, puis les journaux et les périodiques. Les ŒUVRES sont rangées selon l’ordre chronologique, c’est-à-dire selon l’ordre de parution. L’ordre alphabétique, par noms d’auteurs a été observé pour tout le paragraphe À CONSULTER, qu’il faut lire ainsi : nom d’auteur, titre du livre, lieu d’édition, nom d’éditeur, et date d’édition ; puis : nom d’auteur, titre de l’article, titre du journal ou périodique le contenant, et date dudit.
1 Vraisemblablement rédigée par Adolphe van Bever.
2 En 1902 paraissait à la Société d’éditions littéraires et artistiques (librairie Ollendorff), Poètes du Nord 1880-1902. Cette anthologie rassemblait trente-et-un poètes sous la direction d’Alphonse-Marius Gossez (324 pages).
3 Peut-être l’Anthologie des poètes français contemporains de Gérard Walch chez Charles Delagrave agrémentée d’une préface de Sully Prudhomme (six tomes, 1906). Avant cela, vers 1887-1888, avait paru chez Alphonse Lemerre une Anthologie des poètes français du XIXe siècle qui semble due à Alphonse Lemerre (quatre volumes).
4 Anthologie des poètes du Midi : morceaux choisis, texte établi par Raoul Davray et Henry Rigal, Société d’éditions littéraires et artistiques, 1908.
5 Le texte de l’introduction de la deuxième édition s’arrête ici.
6 Le texte de cette préface a été donné intégralement mais seules les notices seront reproduites ici.
Guillaume Apollinaire7
1880-1918
C’est un hasard heureux qui place en tête d’un ouvrage de morceaux choisis de poètes un écrivain qui fut un poète remarquable et un excellent écrivain en prose. Tout ce qui fait le poète et qui est la vraie poésie la rêverie, la mélancolie profonde, le don du rythme intérieur et des mots qui suggèrent, l’art de peindre un paysage ou d’exprimer un état d’âme avec quelques mots, un certain bohémianisme de l’esprit, la fantaisie, l’imagination embellissant la réalité, tout cela, auquel il joignait le goût de la plus extrême nouveauté, Guillaume Apollinaire l’avait de façon remarquable. Il est mort jeune encore, à 38 ans seulement, il n’a certainement pas donné tout ce qu’on pouvait attendre de lui, et pourtant il a fait une œuvre si personnelle, si neuve, qu’on retrouve son influence, jusqu’à des vers qui pourraient être de ses vers, chez bien des poètes dont beaucoup ne l’avoueraient pas.
On est peu renseigné, ni très exactement, sur les origines de Guillaume Apollinaire. Il s’appelait de son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky. Sa mère, morte peu de temps après lui, était Polonaise, fille, dit-on, d’un général polonais. C’est son nom qu’il portait. Il était enfant naturel, et on a dit qu’il était le fils de Mgr V…, alors évêque de Monaco. Il naquit à Rome le 26 août 1880. Encore tout enfant, il partit avec sa mère à Monaco, puis à Cannes, puis à Nice. Il commença ses études au Collège de Monaco. C’est également dans cette ville qu’il fit sa première communion et reçut la confirmation. Une biographie exacte et complète d’Apollinaire serait difficile à écrire. Beaucoup de parties de son enfance et de son adolescence restent mystérieuses, ajoutant ainsi à l’attrait qu’exerçait sa personne et qu’exerce son œuvre. Chacun de ses amis savait quelque chose. Tous ces renseignements réunis donneraient peut-être un ensemble assez complet ? Encore se contredisent-ils souvent, comme si Apollinaire avait varié sur tel ou tel point, par fantaisie, pour mystifier ou pour dérouter. Il y a dans sa vie, comme il y avait dans sa personne et comme il y a dans son œuvre, quelque chose d’un enchanteur énigmatique, savant en mille choses qu’ignore le vulgaire, et qui créait de la beauté d’un coup de sa baguette magique.
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes8.
Il prêtait à la légende et il est à remarquer que presque tous ses amis, écrivant sur lui, la guerre s’ajoutant au mystère de ses origines, l’ont représenté comme un cavalier de rêve, venu de pays mal définis, chevauchant dans un paysage de lune, le front blessé sous son casque, le cœur blessé aussi, et chantant pour endormir son mal. Il serait également imprudent de considérer comme réels tous les voyages que, dans certains de ses contes, il raconte avoir faits. Il était particulièrement sobre de renseignements quand on le questionnait sur ce sujet, répondant évasivement qu’il avait voyagé au hasard, en vagabond, souvent sans argent, — aussi sobre que sur le chapitre de sa naissance et de ses premières années. Il semble bien qu’il a vécu uniquement en esprit les aventures qu’il a racontées, voyageant, par l’esprit, dans tous les pays, en compagnie des personnages les plus singuliers, au milieu des sites et des cités les plus étranges, parlant des premiers comme s’il les avait vraiment connus, décrivant les seconds comme s’il les avait vraiment visités, tout cela revêtu de la plus grande véracité, du naturel le plus accompli, par cette magie de l’art qui fait quelquefois plus vraies les choses imaginées que les choses réelles. Le Roi Lune, dans Le Poète assassiné, Le Passant de Prague, dans L’Hérésiarque, pour ne citer que ces deux contes, sont des exemples merveilleux de la fiction revêtue de la plus réelle vraisemblance.
Il semble bien qu’avant de venir à Paris, Apollinaire fit un séjour à Lyon. À Paris, aux environs de 1902, il se lia avec de jeunes écrivains : Alfred Jarry, André Salmon9, Jean Royère10, Mécislas Golberg11, Han Ryner12, et fréquenta aussi les milieux de la jeune peinture. Poète et conteur, il fut également critique d’art et l’inventeur, ou tout au moins l’exégète du Cubisme, alors à ses débuts. On dit qu’il fut également l’inventeur du douanier Rousseau13, qu’il encouragea dans sa peinture et dont il commença la réputation, ce qui n’était pas si mal juger, on s’en aperçoit aujourd’hui que les toiles de Rousseau connaissent les grands prix et qu’il parait bien lui-même avoir été l’initiateur de toute une école de peinture. Apollinaire gagnait alors sa vie dans un journal financier. C’est à cette époque que se place la fondation du Festin d’Esope14, dont il était le gérant et à laquelle collaborèrent avec lui les écrivains nommés plus haut. Il collaborait également à la Revue blanche15. Il fut également, plus tard, le gérant et le collaborateur d’une autre petite revue : Les Soirées de Paris16. Il habitait alors à Passy, rue Gros. M. André Billy, qui a écrit sur lui un ouvrage17 auquel il faut et faudra toujours se reporter pour la connaissance de l’écrivain, nous a donné une description de son cabinet de travail « ouvert sur un jardin, orné de tableaux cubistes, de toiles du douanier Rousseau, de fétiches océaniens et africains, de livres anciens et autres curiosités innombrables, jurant entre elles dans toutes les langues et dans tous les jargons ». Il y avait aussi chez Apollinaire des côtés enfant délicieux, en même temps que beaucoup de malice, de finesse et d’astuce, même qui sait ? un sens de la mystification sur le ton le plus sérieux du monde, tout cela qu’exprimait si bien son visage, le pli de sa bouche et un sourire charmant de grâce et de moquerie. C’est en 1909, dans le numéro du 1er mai, qu’il commença sa collaboration au Mercure, avec La Chanson du Mal-aimé, une merveille de poésie étrange et musicale, à la fois barbare et raffinée, équivoque et pénétrante comme un chant de bohémien nostalgique, et qui fait penser aussi à ces voix de femme qu’une légère brisure dans le ton rend plus délicieuses encore. Les vers d’Apollinaire sont sans aucune ponctuation. Les vers, — du moins les vers qui sont réellement de la poésie, — n’ont pas besoin de ponctuation, et des poèmes comme La chanson du Mal-aimé, comme tous les poèmes d’Apollinaire, se lisent parfaitement à première, vue sans ponctuation, pour quiconque a vraiment le sens de la poésie18. Quelque temps après, en 1911, le Mercure créa pour Apollinaire une nouvelle rubrique dans sa Revue de la quinzaine : La Vie anecdotique, qu’il devait rédiger jusqu’à sa mort. La première parut dans le numéro du 1er avril 1911, signée : Montade. C’est de ce pseudonyme qu’Apollinaire signa encore les deux suivantes : 16 avril et 1er mai. C’est à partir de la quatrième, parue dans le Mercure du 16 juin, qu’il signa de son vrai nom, lequel, à vrai dire, est encore un pseudonyme. La librairie Stock a réuni récemment19 en volume, sous le titre Anecdotiques, toutes les chroniques écrites au Mercure par Apollinaire, choses charmantes de style simple, aisé, pleines d’abandon et de naturel, écrites selon l’inspiration, le sujet du moment, fantaisies, souvenirs, propos littéraires, descriptions de quartiers de Paris, évocations de voyages. C’est à cette époque, septembre 1911, qu’il arriva à Apollinaire une certaine mésaventure. Il faisait volontiers sa société d’individus un peu équivoques, délicieux d’ailleurs par leur pittoresque, et fort intéressants, comme tous les gens qui vivent un peu en marge. Un jour, un de ces messieurs arriva chez Apollinaire, porteur d’une statuette qu’il lui demanda la permission de déposer pour quelques jours chez lui. Apollinaire, ne trouvant rien là que de très naturel, y consentit volontiers. Il se découvrit par la suite que cette statuette avait été tout bonnement volée au Musée du Louvre. Le voleur fut arrêté. Il révéla l’endroit où se trouvait la statuette. Apollinaire, inculpé de recel, fut arrêté à son tour et incarcéré préventivement à la Santé. Il ne tarda pas à en sortir, son innocence ayant été bientôt reconnue. Il faut lire, dans Alcools, les vers qu’il écrivit pendant sa détention. Depuis Verlaine*20, on n’a certainement rien écrit d’aussi émouvant, avec autant de simplicité.
À la déclaration de guerre, en août 1914, Apollinaire s’engagea. La guerre, le métier militaire, jusqu’à l’uniforme, l’amusaient, comme des choses nouvelles. Il fut envoyé à Nîmes, dans un régiment d’artillerie. Là, il fit ses « classes » enchanté de son nouveau métier, de ses études d’équitation, de son apprentissage du canon. Les lettres qu’il écrivait à ses amis étaient toujours agrémentées de petits poèmes sur les attributs de sa nouvelle profession. Il fut ensuite envoyé au front, avec le grade de brigadier. Il semble bien, en réalité, qu’il n’a jamais combattu, au sens exact du mot. Un jour de repos, qu’il lisait tranquillement le Mercure dans son campement, l’éclat d’un obus tombé non loin de lui vint l’atteindre au front, couvrant de son sang les pages qu’il lisait. Il fut évacué, envoyé à l’hôpital à Paris. Il dut subir l’opération du trépan, et quelque temps après, certaines parties du cerveau se trouvant comprimées, l’opération dut être renouvelée. M. Henri Duvernois21, alors mobilisé comme infirmier dans cet hôpital où était soigné Apollinaire, a raconté, dans quelques lignes charmantes, avec quel tranquille courage il se laissait emmener dans la salle d’opération. Apollinaire rétabli fut alors versé dans les services de la Censure à Paris. Il était en même temps attaché au journal Paris-Midi pour la traduction des dépêches de l’étranger. Il avait également repris sa chronique de la Vie anecdotique au Mercure. Il avait énormément grossi, paraissait comme gonflé, positivement. M. René Dumesnil22, l’écrivain flaubertiste, qui est médecin, ayant reçu un jour sa visite, en le voyant ainsi comme soufflé, avait clairement auguré de sa fin prochaine23. En effet, en novembre 1918, Apollinaire fut atteint par la grippe. Son état général offrit un champ plus favorable à la maladie. Celle-ci s’aggrava, jusqu’à ne plus laisser d’espoir. On a raconté que le pauvre Apollinaire, couché dans son lit de malade, se débattant contre la mort qu’il sentait peut-être venir, criait au médecin qui le soignait « Sauvez-moi, docteur, sauvez-moi ! » On ne le sauva pas, et le jeudi 11 novembre 1918, il mourait24, dans son petit appartement si curieux du boulevard Saint-Germain25. C’était le jour de l’Armistice. Sous ses fenêtres, tout le long du boulevard, la foule, toute à l’allégresse de la fin de la tuerie, passait avec des cris scandés : « Conspuez Guillaume ! Conspuez Guillaume ! » L’ironie de la vie a de ces coïncidences. Lui-même n’a-t-il pas écrit ces vers presque prophétiques :
Hommes de l’avenir, souvenez-vous de moi.
Je vivais à l’époque où finissaient les rois.
Il est enterré au cimetière du Père La Chaise26. Chaque année, un groupe de ses amis se réunit, en souvenir de lui, dans une messe de bout de l’an et dans une visite à sa tombe. Il n’en est pas un qui ait négligé de lui rendre, par écrit, l’hommage que mérite l’homme qu’il était, lui le plus délicieux des compagnons, et que mérite l’écrivain, lui le plus évocateur des poètes. M. Jean Varlot, dans un numéro spécial de la revue Vient de Paraître27, consacré à Apollinaire, a écrit un poème à sa mémoire.
∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ Une ligne de points ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
« Va, les hommes ne meurent que si les hommes les oublient. Mais nous, nous menons tes funérailles dans notre cœur, compagnon ;
et non pas funérailles d’un mort, mais de celui dont la voix chantera toujours à nos oreilles, Apollinaire.
Tu sais bien que les chefs de guerre, quand on les mène au tombeau, tu sais bien qu’en premier on leur joue des marches funèbres, car il sied de marcher lentement pour les accompagner ;
mais avant qu’on descende leur dépouille, la troupe défile au pas rapide, derrière les clairons qui annoncent l’adieu, l’adieu plein de gloire.
Ainsi faisons-nous pour toi, Apollinaire !
Toi, l’aide de nos beaux jours. »

7 Guillaume Apollinaire apparait ici pour la première fois dans les Poètes d’aujourd’hui. La notice est de Paul Léautaud.
8 La Chanson du mal-aimé, dédiée à Paul Léautaud, Mercure de France, 1909. Ce poème est d’abord paru dans la revue, numéro du premier mai 1909, page 50. Journal littéraire au quinze décembre 1908 : « J’ai signalé aussi à Vallette des vers apportés récemment par Apollinaire et qui ne sont pas sans attrait. »
9 André Salmon (1881-1969), poète, romancier, journaliste et critique d’art, défenseur du cubisme au côté de Guillaume Apollinaire.
10 Jean Royère (1871-1956), directeur des Bibliothèques municipales de la ville de Paris, poète et éditeur. Jean Royère a fondé La Phalange, revue symboliste, en 1906.
11 Mécislas Golberg (1869-1907), poète, dramaturge, critique d’art et journaliste d’origine polonaise de tendance anarchiste. Mécislas Golberg a fait ses études en Suisse puis à Paris à partir de 1891. Il est évoqué par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg au chapitre dix, à partir de la page 207. Lire l’article d’André Rouveyre dans le Mercure du quinze avril 1922, page 297 : « Souvenirs de mon commerce : Dans la contagion de Mécislas Golberg » (27 pages).
12 Han Ryner (Henri Ner, 1861-1938), anarchiste pacifiste, poète, auteur dramatique et journaliste. On peut lire un portrait d’Han Ryner dans André Billy, Le Pont des Saint-Pères, page 155.
13 Le Douanier Rousseau (Henri Rousseau, 1844-1910), commis à l’octroi de Paris et peintre majeur de l’art « naïf ». Inventeur, ici est employé dans le sens de découvreur.
14 Le Festin d’Ésope est une revue fondée par Guillaume Apollinaire, André Salmon et Nicolas Deniker. Cette revue un peu fourre-tout a paru sur neuf numéros, de novembre 1903 à août 1904.

La couverture du premier numéro du Festin d’Ésope, un peu décadrée, de novembre 1903
15 La Revue blanche a été fondée à Liège en décembre 1889 par les trois frères Natanson. Deux ans plus tard, en octobre 1891, la revue, bimensuelle, s’installe à Paris au 19 rue des Martyrs, dans le quartier de naissance de Paul Léautaud. Son nom de La Revue Blanche, à la couverture parfois illustrée sur fond blanc proviendrait de son désir de concurrencer le Mercure de France et sa couverture mauve. La tendance de cette revue est nettement à gauche et dreyfusarde. Elle cessera de paraître en mai 1903 au bout de 237 numéros. Il y a eu aussi une Revue bleue, plus ancienne et plus pérenne.
16 Le premier numéro de cette revue, établie 278, boulevard Raspail, a paru en février 1912. Guillaume Apollinaire, André Billy, André Salmon, René Dalize (1879-1917) et André Tudesq (1883-1925) en étaient les fondateurs. André Billy abandonnera en novembre 1913 après que la revue ait été rachetée par Serge Iastrebzoff.
17 Note de Paul Léautaud : « Apollinaire vivant. » André Billy, Apollinaire vivant, avec une photographie inédite et des portraits-charges de Pablo Picasso, éditions de La Sirène, 1923, 119 pages.
18 Le lecteur du Journal littéraire se souvient de la réception, en décembre 1925 et donc avant que ces lignes soient écrites, d’un poème d’un auteur corse inconnu, Étienne Vincileoni, qui n’indiquait aucune ponctuation. En comité de lecture, Paul Léautaud a préféré lire ce poème à haute voix : « Je vous dis cela, parce que ce poème est sans aucune ponctuation et que, si vous le lisiez, votre première impression en peut être défavorable. » Paul Léautaud a écrit à l’auteur le quatre décembre 1925 : « J’ai le plaisir de vous annoncer que le Mercure publiera [votre poème]. […] Il faudra seulement que vous acceptiez qu’on mette la ponctuation. Le commun des lecteurs n’est pas assez éduqué en poésie pour pouvoir lire sans ponctuation. » Ce poème, L’Adieu, est paru dans le Mercure du quinze février 1926, page 49, sous la signature de Stéphane Vincileoni.
19 En 1926, 290 pages, tirage limité à 618 exemplaires numérotés, dont treize hors-commerce.
20 Les noms suivis d’une étoile sont ceux de poètes présents dans l’un des trois tomes de cette édition, qui les présente en ordre alphabétique. Ils ne seront donc pas — en principe — accompagnés d’une note.
21 Henri Duvernois (Henri-Simon Schwabacher, 1875-1937), écrivain, scénariste et auteur dramatique.
22 René Dumesnil (1879-1967), médecin, critique littéraire et musicographe. René Dumesnil, spécialiste de Flaubert a épousé en 1907 Louise Laporte, fille du principal ami de Flaubert et a donc eu accès à sa correspondance. René Dumesnil est cité 46 fois dans le JL. Il a écrit environ 300 articles dans le Mercure de France, essentiellement sur la musique. Voir un court portrait au 19 janvier 1937. Lire, en ouverture du Mercure du 15 octobre 1937 : René Dumesnil « L’Âme du médecin — Souvenir de ma vie médicale ».
23 Journal littéraire au 20 novembre 1918 (Guillaume Apollinaire étant mort le neuf) : « J’ai eu la visite aujourd’hui de René Dumesnil, médecin de son état, et écrivain en même temps. Il m’a parlé d’Apollinaire, dont il a su la mort. Aucun étonnement. Il avait vu Apollinaire à sa dernière permission. Son embonpoint, son essoufflement ne lui avaient rien dit de bon. Il me le disait tantôt : “Quand il fut parti, j’ai dit à ma femme : Je ne serais pas étonné si d’ici quelque temps…” Je dis alors à Dumesnil : “Il y a des gens très gros et qui se portent fort bien. — Oui, mais Apollinaire, ce n’était pas du véritable embonpoint, c’était de la boursouflure.” »
24 Confusion de Paul Léautaud, Guillaume Apollinaire est mort le neuf novembre, qui était un samedi et a été inhumé le mercredi treize, au cimetière du Père-Lachaise. Le onze novembre 1918 était un lundi.
25 Au 202, boulevard Saint-Germain, à l’angle de la rue Saint-Guillaume.
26 Paul Léautaud a souvent écrit ainsi le nom du cimetière du Père Lachaise, peut-être en référence au personnage duquel le cimetière tire son nom : François d’Aix de La Chaize (1624-1709), jésuite, confesseur de Louis XIV.
27 Vient de paraître, revue des arts et des lettres, est parue de 1921 à 1931 sous la direction de René Gas, éditée par Crès. Georges Crès a revendu son entreprise en 1925 à René Gas et Camille Sauty qui feront faillite en 1935.
Henri Barbusse28
1874
M. Henri Barbusse est né à Asnières (Seine), le 17 mai 1874. Son premier succès a été d’emporter le laurier au concours de poésie de L’Écho de Paris29 en 1893. Il a épousé, en 1898, la fille cadette de l’écrivain Catulle Mendès. M. Henri Barbusse n’a publié comme poète qu’un volume : Pleureuses30, duquel sont extraites les pièces qu’on va lire. Pour ses débuts dans le roman, il a publié les Suppliants31, parus en 1903, et L’Enfer32, paru en 1908. Tout cela semble loin aujourd’hui, et est loin, en effet. M. Henri Barbusse est l’un des deux meilleurs exemples d’écrivains, — l’autre est M. Georges Duhamel* dont nous parlerons plus loin — que la guerre, la guerre de 1914, la grande guerre, la dernière guerre, la guerre du droit, a révélé à eux-mêmes, sur le talent duquel elle a eu une influence décisive, dont elle a changé du tout au tout la destinée littéraire et la matière de leur œuvre. M. Henri Barbusse, qu’un état de santé toujours précaire aurait pu maintenir dans les troupes de l’arrière, demanda à partir et dès la fin de 1914 se trouvait au front dans un régiment d’infanterie. Il le suivit en Artois, en Picardie, deux fois cité : à l’ordre de la brigade, ensuite à l’ordre de l’armée. Bientôt épuisé par la vie des tranchées, on dut le verser dans une équipe de brancardiers, puis ensuite dans un service d’état-major, on dut bientôt l’évacuer. Peu après, il demanda à repartir et fut affecté alors à un régiment territorial. Trois fois malade et évacué trois fois, sur sa demande il repartit, jusqu’au jour que, réformé, il lui fallut se résigner et finir le temps des hostilités d’hôpital en hôpital. C’est la guerre telle qu’il a pu la voir ainsi, pour y avoir été mêlé de près, dans ses tableaux les plus divers, que M. Henri Barbusse a racontée dans ces deux livres : Le Feu33 et Clarté34, que le monde entier a lus. Évidemment, nous sommes loin, avec les livres de M. Henri Barbusse, comme avec ceux de M. Georges Duhamel (nous n’avons à nommer qu’eux dans cet ouvrage), des tableaux que nous ont offerts d’autres écrivains qui ont célébré la guerre, — de loin, — pour l’embellir et la présenter comme un phénomène régénérateur. Mais MM. Henri Barbusse et Georges Duhamel ont été présents de leur personne à tout ce qu’ils racontent. Ils peignent la guerre telle qu’ils l’ont vue, telle qu’elle a été, comme le plus flagrant démenti infligé à notre soi-disant civilisation. On ne peut contredire que la vérité soit de leur côté, comme la générosité et la pitié, supérieures à la haine et au prêche guerrier.
Ce n’est pas assez dire, pour M. Henri Barbusse, que la guerre a changé sa destinée littéraire et la matière de son œuvre. Elle a aussi influencé sa personne morale. Au lendemain de la publication de Clarté, M. Henri Barbusse s’est trouvé mêlé à la vie sociale d’une façon active, comme président de l’Association républicaine des anciens combattants. Il est également président du groupe social Clarté, de l’Internationale des Anciens combattants, donnant l’appui de ses écrits, de sa parole, de sa personne dans tous les débats que provoquent les nombreuses questions nées de la guerre.
M. Henri Barbusse a été lauréat du Prix Goncourt eu 1916, pour son livre : Le Feu.
28 Notice de Paul Léautaud. La notice de la deuxième édition a été peu remaniée depuis la première mais cette troisième notice a été presque doublée. Lors de ses entretiens avec Robert Mallet, PL dira de lui : « Il n’entrait pas dans les Poètes d’aujourd’hui, c’est un pur Parnassien. »
29 L’Écho de Paris, quotidien très conservateur, est paru de 1884 à 1942.
30 Henri Barbusse, Pleureuses, recueil de poésies offert à Catulle Mendès, Charpentier-Fasquelle 1895, 258 pages.
31 Henri Barbusse, Les Suppliants, Charpentier-Fasquelle 1903, 302 pages.
32 Henri Barbusse, L’Enfer, Librairie mondiale, dix rue de l’Université.
33 Henri Barbusse, Le Feu, journal d’une escouade, est d’abord paru sur 93 numéros de L’Œuvre du trois août au trois novembre 1916 avant d’être réuni en volume fin novembre 1916 chez Flammarion puis de recevoir le prix Goncourt. On peut noter à ce propos une curiosité, le feuilleton de L’Œuvre a été interrompu peu après le début du dernier chapitre sans que le lecteur soi prévenu. La fin de la page du numéro du trois novembre indique « À suivre… » pour le lendemain offrir un nouveau feuilleton, Scipion Pergoulade, de Georges de La Fouchardière et Rodolphe Bringer. Tous les prix Goncourt de la guerre seront réservés à des écrivains combattants : Adrien Bertrand, René Benjamin, Henri Barbusse, Henry Malherbe et Georges Duhamel.

34 Henri Barbusse, Clarté, Flammarion 1919, 290 pages. La même année 1919, Henri Barbusse a fondé une revue du même titre, d’inspiration communiste, qui paraîtra jusqu’en 1928.

Henry Bataille35
1872-1922
Henry Bataille est né à Nîmes, le 4 avril 1872. Il fit ses études au lycée Henri IV, au lycée Janson-de-Sailly, puis à Versailles. Il est mort à Paris en mars 1922. Il se destina d’abord à la peinture, élève de l’Académie Julian36, puis de l’École des Beaux-Arts. Il a publié, en 1901, un album de portraits d’écrivains et d’artistes contemporains : Têtes et Pensées37, qui portent la marque d’une grande personnalité. Son œuvre de poète tient en trois volumes : Le Beau voyage38, — dans lequel il a réimprimé sa plaquette de début : La Chambre blanche39, — La Divine tragédie40 et La Quadrature de l’amour41. La Chambre blanche avait conquis Marcel Schwob qui écrivit pour ce petit volume une préface enthousiaste. On remarquera une grande ressemblance entre les poèmes de cette plaquette et les poèmes de début de M. Francis Jammes*. Il semble bien qu’il n’y ait là, de la part d’Henry Bataille, ni imitation, ni même influence. Les deux poètes s’étaient rencontrés. Comme le disait Marcel Schwob dans sa préface, ils étaient tous les deux « poètes des choses inanimées et des bêtes muettes, deux âmes sœurs, pareillement sensibles ». C’est surtout comme auteur dramatique que Henry Bataille était arrivé à la grande réputation. Les principaux théâtres de Paris : la Comédie-Française, le Vaudeville, l’Odéon, la Renaissance, la Porte Saint-Martin, le Gymnase, le Théâtre Réjane, le Théâtre de Paris, ont joué ses pièces, dont les plus notoires sont, dans l’ordre chronologique Maman Colibri, La Marche nuptiale, La femme nue, Poliche, Les Flambeaux, Le Phalène, La Tendresse, L’homme à la rose, L’Animateur, La Possession, La Chair humaine42. Toutes les pièces d’Henry Bataille forment un théâtre qui a été fort discuté et qui, s’il a eu de grands admirateurs, a connu également de dures critiques. Il faut bien dire que celles-ci avaient matière à s’exercer. Le théâtre d’Henry Bataille est fort livresque et artificiel déjà dans la plupart de ses sujets et des situations qu’il mit à la scène, mais encore plus dans le langage que l’auteur fait parler à ses personnages43. Ce que certains ont appelé, en s’extasiant, la poésie d’Henry Bataille (dans ses œuvres dramatiques), n’est souvent que préciosité de vocabulaire et métaphores qui résistent si peu à la critique qu’elles disent dans beaucoup de cas le contraire de ce qu’a voulu l’auteur. On peut dire qu’il a gâché, comme écrivain de théâtre, des dons merveilleux de sensibilité, par une trop grande recherche, souvent presque morbide, dans l’invention des sujets et dans le vocabulaire. Le théâtre ne demande pas des « morceaux de livre ». Il faut s’y exprimer avec clarté et naturel. Si des gens parlaient dans un salon comme on parle dans les pièces d’Henry Bataille, ils feraient éclater de rire. Ses « chefs-d’œuvre » seront oubliés depuis longtemps que des pièces comme Le Misanthrope et comme Le Mariage de Figaro, écrits si francs, si clairs, si vivants, seront encore Le Misanthrope et Le Mariage de Figaro.
Après cela, l’homme était, paraît-il, exquis de pitié, de générosité pour tout ce qui souffre. On a cité de lui des traits, des actions dont il ne parlait jamais, qui le montrent compatissant et secourable à tout ce qui était abandonné, menacé ou violenté. Cet auteur riche44, fêté, adulé, dont une pièce nouvelle était un événement parisien, ne dédaignait pas de secourir une bête blessée qu’il rencontrait sur son chemin. Il a aussi gardé, pendant la guerre, toute sa clairvoyance, toute sa générosité, englobant dans sa pitié toutes les victimes, de quelque côté qu’elles fussent. Il a également montré dans une de ses œuvres dramatiques : L’Animateur45, qu’il n’était pas aveugle sur le compte de notre organisation sociale.
Henry Bataille a collaboré au Journal des Artistes, au Mercure de France, à La Vogue (nouvelle série, 1899), au Matin, au Figaro, aux Œuvres Libres, etc.
35 Comme Henri Barbusse, Henry Bataille est présent dans les Poètes d’aujourd’hui depuis la première édition. Ses trois notices, rédigées par Paul Léautaud, sont assez semblables même si la troisième a été un peu augmentée.
36 L’Académie de peinture Julian a été fondée par le peintre Rodolphe Julian (1839-1907), dont il n’y a pas grand-chose à dire. Son académie a eu un tel succès à la fin du XIXe siècle que ses ateliers étaient répartis dans plusieurs ateliers (jusqu’à six) de la rive droite, dans le IIe arrondissement et à son nord-ouest (IXe, VIIIe). Alors que les femmes ne pouvaient accéder à l’école des Beaux-Arts, il eut l’idée d’ouvrir un atelier rue de Berry, qui leur fut exclusivement réservé, sous le nom d’« atelier des dames ».
37 Henry Bataille, Têtes et pensées, Ollendorff 1901, est un recueil de 22 lithographies d’écrivains de son temps : Catulle Mendès, Jean Lorrain*, Henri de Régnier*, Georges Rodenbach*, André Gide, Jean de Tinan, Jules Renard, Lucien Muhlfeld, Tristan Bernard, Robert de Montesquiou*, Paul Fort*, Pierre Louÿs*, Maurice Donnay, Fernand Vandérem, Gustave Kahn, Octave Mirbeau, Jules Case, Willy, Alfred Capus, André Picard, Pierre Valdagne et Edmond Sée. Plusieurs de ces auteurs figurent dans ces Poètes d’Aujourd’hui, signalés par une étoile. La plus connue de ces lithographies est celle de Pierre Louÿs, ci-après.
38 Henry Bataille, Le Beau voyage, avec portrait de l’auteur par lui-même, dédié à son père, Léopold de Bataille, Charpentier-Fasquelle 1904, 255 pages. Paul Léautaud a annoncé trois volumes et en cite quatre.

39 Henry Bataille, La Chambre blanche, enrichie d’une préface de Marcel Schwob, Mercure de France, 1895, 61 pages, 263 exemplaires.
40 Henry Bataille, La Divine tragédie, Charpentier-Fasquelle 1916, 354 pages.
41 Henry Bataille, La Quadrature de l’amour, Eugène Fasquelle 1920, 320 pages.
42 Cette liste pourrait être triplée. Deux pièces d’Henry Bataille ont été chroniquées par Maurice Boissard. L’Enchantement, comédie en quatre actes (Mercure du seize avril 1913, à partir de la page 854) et Le Phalène (citée ici), quatre actes également (Mercure du seize novembre 1913, page 417).
43 « On fait encore parler aux personnages le langage le plus opposé à celui que le théâtre demande. Cela fait déjà sourire de trouver, dans des romans qui prétendent peindre la vie moderne, des personnages qui s’expriment en phrases littéraires. À plus forte raison au théâtre, où nous devons avoir encore plus l’illusion de la société et de la conversation. » Maurice Boissard, critique de L’Enchantement, op. cit.
44 Les pièces d’Henry Bataille ont eu du succès et de plus il était issu de la bourgeoisie, son père était magistrat à la Cour d’Appel.
45 Henry Bataille, L’Animateur, créé le 17 janvier 1920 au théâtre du Gymnase.
André Castagnou46
1889
M. André Castagnou est né à Paris, 31, rue Saint-Placide47, dans la maison où devait mourir Huysmans48, d’une mère parisienne et d’un père béarnais, professeur de mathématiques au collège Stanislas.
On vit M. André Castagnou, dès 1908, à l’ombre de Moréas*. C’est dans l’exemplaire de Paul Bourget qu’il lut, candidat au baccalauréat, les lettres de Laforgue*. Il lui arriva de présenter Apollinaire* à P.-J. Toulet49 et chaque semaine, durant de longues années, il rendit visite à Maurice du Plessys50. Il fréquentait aussi les peintres, découvrant Utrillo51 et Modigliani52 que son habitation dans le VIe arrondissement lui permit d’aller maintes fois réclamer au poste de police.
En 1920 il partit en Italie et en revint, deux ans après, un album de vers sous le bras Les Quatre Saisons53 qu’il avait fait imprimer au cours d’une promenade à Spolète. M. André Castagnou se révéla un des meilleurs ouvriers du vers libre. On sent dans ce petit livre l’influence de Rimbaud* et de Moréas*, qu’il est nourri des fables de La Fontaine, enfin qu’il aime la musique, surtout Mozart et Debussy. Il vient de publier un second recueil de vers qu’il songe réunir au premier. « La poésie pure, écrit M. André Thérive54, Castagnou, il me semble, y atteint absolument : c’est un de ces poètes faciles et difficiles, suaves et compliqués, que le siècle a dégoûtés de l’orchestration et même de toute rhétorique. Son art, à mi-chemin entre Mozart et Debussy, garde pourtant une aisance et une grâce incomparables. … Chaque vers de Castagnou déborde d’allusions, de mouvements éludés, d’émotions esquissées ; les points d’orgue, les silences conspirent, eux aussi, à l’harmonie cachée de ses accents… La poésie d’André Castagnou est presque unique, et on la reconnaîtrait entre mille. »
M. André Castagnou a également publié Diana55, un roman sobre, ardent, harmonieux et voluptueux, un vrai beau roman, qui a eu tout de suite un grand succès.
46 C’est la première apparition d’André Castagnou dans les Poètes d’aujourd’hui. Notice vraisemblablement rédigée par Paul Léautaud, qui a bien connu André Castagnou.
47 Le 31 rue Saint-Placide est un de ces beaux immeubles parisiens en pierre de taille de la toute fin du XIXe siècle, presque à l’angle de la rue du Cherche-midi, pas très loin du boulevard Raspail. Une plaque indique la présence de Joris-Karl Huysmans.
48 Joris-Karl Huysmans (1848-1907) a d’abord été un romancier naturaliste, proche d’Émile Zola. Il sera l’un des six auteurs des Soirées de Médan avec sa nouvelle « Sac au dos ». Vers la quarantaine, J.-K. Huysmans changera d’écriture en se tournant vers ce que l’on appellera l’esthétique « fin de siècle », qui apparaît de nos jours décadente, illustrée par son roman À rebours. Suite à cela, et après la rencontre de Jules Barbey d’Aurevilly, J.-K. Huysmans accomplira la fin du long et douloureux chemin vers la conversion avec En route, puis La Cathédrale, pour finir retiré dans une abbaye bénédictine. Voir l’enterrement de J.-K. Huysmans dans le Journal littéraire au 15 mai 1907,
49 Paul-Jean Toulet (1867-1920), écrivain et poète, fut un des nègres de Willy.
50 Maurice du Plessys (Maurice du Plessys-Flandre-Noblesse, 1864-1924), poète proche de Jean Moréas.
51 Maurice Utrillo (1883-1955), fils de Suzanne Valadon et d’un inconnu.
52 Amedeo Modigliani (1884-1920) est arrivé à Paris en 1906 où il s’est rapidement lié à Maurice Utrillo et à Max Jacob. Un mode vie particulièrement désastreux l’a conduit à la mort à l’âge de trente-cinq ans.
53 André Castagnou, Les Quatre saisons, Claudio Argentieri, éditeur à Spolète, 1923, tirage à 507 exemplaires numérotés. Spolète étant indiqué sur la couverture à l’endroit où se trouve habituellement le nom de l’éditeur, quelques annotateurs pressés ont pensé qu’il s’agissait du nom de l’éditeur. Spolète est une ville du centre de l’Italie, entre Florence et Rome, à soixante kilomètres au sud de Pérouse.
54 André Thérive (Roger Puthoste, 1891-1967) utilise plusieurs autres pseudonymes. Agrégé de Lettres en 1913, André Thérive est, après avoir fait quatre années de guerre, professeur au prestigieux collège (privé) Stanislas de la rue Notre-Dame-des-Champs. Il a obtenu le Prix Balzac (Bernard Grasset) en 1924. En 1926 il est critique littéraire à la Revue critique des idées et des livres et à L’Opinion. En 1929, André Thérive tient la rubrique des « Consultations grammaticales » des Nouvelles littéraires et il succède à Paul Souday comme critique littéraire au quotidien Le Temps, où il écrira une critique de cette troisième édition des Poètes d’aujourd’hui le 21 février 1930. Son malheureux ancrage à droite le fait participer, en octobre 1942, à la semaine du livre de Weimar, ce qui lui vaut à la Libération d’être frappé d’interdit par le Comité national des écrivains. Cette interdiction a été de courte durée comme toutes les condamnations prononcées à cette époque et André Thérive a continué de publier dans quelques journaux prestigieux mais de droite, comme la Revue des deux mondes ou Carrefour.
55 André Castagnou, Diana, Plon 1927, 258 pages.
Jean Cocteau56
1892
M. Jean Cocteau est né à Maisons-Laffitte le 5 juillet 1892, d’une famille de notaires parisiens57. Il y a dans cette naissance un contraste amusant. Une famille de graves notaires (les notaires sont toujours graves), aboutissant à un fantaisiste aussi extrême, à un poète et à un écrivain si bien en dehors des règles et déconcertant pour tant de lecteurs ? On serait tenté de voir là comme une revanche de l’esprit artiste sur l’esprit bourgeois. M. Jean Cocteau a été élevé et a fait ses études à Paris. À seize ans, il débutait en littérature avec La Lampe d’Aladin58, que suivirent bientôt Le Prince frivole59 et La Danse de Sophocle60. Entre temps, il avait fondé avec M. François Bernouard61 la première revue dite de luxe, Shéhérazade62, dans laquelle le texte s’accompagnait de dessins dans les marges. En 1916, M. Jean Cocteau, mobilisé, partit comme, infirmier au front du nord dans les troupes de zouaves et de fusiliers marins. Son état de santé le fit bientôt renvoyer à Paris. Il fonda alors avec le dessinateur Paul Iribe63 le journal illustré Le Mot64. En 1917, il aborda le théâtre avec Parade65, un essai dramatique mêlé de chorégraphie, en collaboration avec le dessinateur Picasso et ce musicien délicieux, qui fut peut-être un musicien de génie qui fut en tout cas un musicien extrêmement original et un homme d’esprit : Erik Satie. Il collabora également aux Ballets de M. Serge de Diaghilev66, et fit représenter ensuite, avec M. Pierre Dufy et M. Darius Milhaud, Le Bœuf sur le Toit67, farce plastique jouée par les frères Fratellini, et dont l’originalité extrêmement séduisante fit courir tout Paris. C’est M. Jean Cocteau qui découvrit et lança le romancier Raymond Radiguet68, qui connut tout jeune la grande notoriété et mourut prématurément après avoir publié notamment ce très beau roman : Le Bal du comte d’Orgel69. M. Jean Cocteau a encore fait jouer au théâtre Les Mariés de la Tour Eiffel70, une Antigone71, une adaptation « contractée », comme il dit, de Roméo et Juliette72, avec une mise en scène précise comme celle d’un ballet, toutes œuvres dans lesquelles se retrouve sa fantaisie si originale. Toute son œuvre poétique est réunie aujourd’hui en un volume : Poésies, publié aux éditions de la Nouvelle Revue française73. M. Max Jacob74, qui est, lui aussi, un poète d’une fantaisie charmante, et même, quelquefois, peut-être un peu folle, l’a justement apprécié en ces termes : « Jean Cocteau n’est ni moderne, ni anti-moderne. Si moderne signifie « jeunesse, fraîcheur », il est le plus moderne de tous. Il connaît toutes les audaces, se sert de toutes, n’est dupe d’aucune. Jean Cocteau a abordé tous les genres littéraires et d’autres ; parce qu’il est poète avant tout, il les a renouvelés. Il est le Poète, il l’est par nature, par caractère et par l’expression : le fait est très rare… Sous prétexte qu’il est l’homme le plus spirituel de Paris, n’y cherchez pas le rire cruel. Jean Cocteau emploie son esprit à mieux définir et à mieux peindre que quiconque, à saisir l’image la plus nécessaire. Ses images viennent d’une perception infiniment juste de l’univers, qui est au service d’une fantaisie aussi vite amusée qu’attendrie. Mais Cocteau a trop d’esprit pour le placer hors de propos. Préservé par un sens vif du ridicule, il sait qu’il peut descendre aux sentiments les plus tendres et les plus humains ou s’élever aux plus héroïques ; alors que d’autres qui n’ont pas son goût exquis ne fuient le banal que par la sécheresse. En lui aussi est, sans effort, la “surprise” ; car il est “surprenant” par sa conception naturelle si différente de celle du commun. »
Récemment, M. Jean Cocteau s’est « converti » comme on dit. Cela a fait l’objet d’un volume publié par la librairie Stock, associant le poète à M. Jacques Maritain75, grand clerc dans ce genre d’affaires, parait-il ? C’est là la dernière fantaisie en date de ce charmant poète, qu’on pourrait appeler le page de la poésie actuelle, un page hardi et plein d’esprit.
56 Notice à l’évidence rédigée par Paul Léautaud à l’occasion de l’entrée de Jean Cocteau dans les Poètes d’Aujourd’hui à l’occasion de cette troisième édition.
57 Le père de Jean Cocteau était avocat et son grand-père notaire. Son grand-père maternel était agent de change.
58 Jean Cocteau, La Lampe d’Aladin, recueil de 92 poèmes suivis de Bric-à-brac, fantaisie en un acte, société d’Éditions, février 1909, à compte d’auteur.
59 Jean Cocteau, Le Prince frivole, recueil de poésies, Mercure de France 1910 (achevé d’imprimer le 25 mai), 170 pages.
60 Jean Cocteau, La Danse de Sophocle, Mercure de France 1912, 216 pages.


La Danse de Sophocle avec l’envoi de Jean Cocteau à Jules Claretie
61 François Bernouard (1884-1948), typographe, éditeur depuis 1909, poète et auteur dramatique. François Bernouard est surtout connu pour avoir été le premier éditeur des Œuvres complètes de Jules Renard réunies par Henri Bachelin en 1926.
62 La revue Schéhérazade, de format carré (22 x 22 cm), est parue sous la rose de François Bernouard sur six numéros de novembre 1909 à mars 1911 avec le sous-titre « Album mensuel d’œuvres inédites d’art et de littérature », d’abord au 33, rue de Richelieu puis au 71, rue des Saints-Pères.

La rose des éditions de François Bernouard.
63 Paul Iribe (1883-1935) dessinateur, affichiste directeur de revues. Après son diplôme de l’école des Beaux-Arts au tout début du siècle, Paul Iribe a collaboré à plusieurs journaux illustrés et créé son propre journal à la fin de 1905, Le Témoin, luxueux et novateur, qui paraîtra jusqu’au début de l’année 1910.
64 Le Mot est paru à la fin de novembre 1914. Malgré un espace de près de cinq ans plusieurs annotateurs ont considéré que Le Mot était une prolongation du Témoin, surtout dans sa conception graphique, évidemment due à Paul Iribe. Si jean Cocteau apparaît dans la liste des collaborateurs du Témoin, surtout comme illustrateur, sa responsabilité dans la fondation de cette revue est incertaine.

65 Le ballet Parade est un exemple de ce que peut produire la collaboration de quelques auteurs au plus haut niveau. Il y a au départ une peinture de Georges Seurat (1959-1891), la Parade de cirque de 1887-1888. La commande est de Jean Cocteau, qui définit l’argument. La musique est d’Erik Satie (1866-1925), membre du « groupe des six ». Pablo Picasso a été chargé du décor, des costumes et du rideau de scène. Il y a la chorégraphie du très jeune Léonide Massine (1896-1979) et enfin la compagnie des ballets russes dirigés par le danseur Serge de Diaghilev (1872-1929). Ce ballet a été représenté le vendredi 18 mai 1917, en pleine guerre, au théâtre du Châtelet. La musique de scène de ce ballet fait l’objet d’une importante discographie.

Georges Seurat, Parade de cirque (1888), visible au Metropolitan Museum of Art, sur la cinquième avenue de New York, de dos à Central Park.
66 Corrigé ici de Daguilew.
67 D’une histoire bien différente de Parade, le ballet Le Bœuf sur le toit est à l’origine une simple musique de film pour violon et piano composée par Darius Milhaud. Les musiciens devant être présents dans la salle à chaque représentation, les musiques de films étaient composées avec une économie dirimante. Il semble que ce soit Jean Cocteau qui ait incité Darius Milhaud à réutiliser cette composition pour un ballet qui nécessite 25 musiciens. Ce ballet a été créé au théâtre des Champs-Élysées en février 1920. Pour le récit de Rachilde à propos du restaurant, qui existe encore, voir le Journal littéraire au quatorze décembre 1928.
68 Raymond Radiguet (1903-1923), présenté à la NRF par Jean Cocteau, est l’auteur de deux romans : Le Diable au corps (Grasset, mars 1923) et Le Bal du comte d’Orgel (Grasset, posthume 1924), qui ont connu tous les deux un des plus grands succès du siècle. Le Diable au corps a été adapté deux fois au cinéma. On en retiendra la version de Claude Autant-Lara de 1947 avec Gérard Philippe et Micheline Presle. C’est une image de ce film qui orne encore, en 2022, la couverture de l’édition Folio (qui date de 1982, il est vrai). Le Bal du comte d’Orgel, de Marc Allégret en 1970 a laissé moins de souvenirs.
69 Journal littéraire au trente juin 1924 : « Je lis dans La Nouvelle Revue française le premier morceau du Bal du Comte d’Orgel de Radiguet. C’est remarquable. Avoir vingt ans et écrire de cette manière. » Le Bal du Conte d’Orgel est paru dans les numéros de juin et juillet 1924 de La NRF, précédé, en juin, d’une présentation, par Jacques Rivière.
70 Les Mariés de la Tour Eiffel est un ballet collectif de cinq membres du Groupe des six auquel manque ici Louis Durey, que personne ne regrette. Ce ballet a été créé le samedi 18 juin 1921 au théâtre des Champs-Élysées.
71 Jean Cocteau, Antigone, tragédie en un acte d’après Sophocle créée au théâtre de l’Atelier le vingt décembre 1922 dans une mise en scène de Charles Dullin avec une musique de scène d’Arthur Honegger. Les décors sont de Pablo Picasso, les costumes de Gabrielle Chanel, les masques de Jean Cocteau. Avec Charles Dullin (Créon), Genica Athanasiou (Antigone) et Antonin Artaud (Tirésias). Arthur Honegger tirera une « tragédie musicale » (un opéra) de cette musique de scène, qui sera créée en décembre 1927 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles.
72 Jean Cocteau, Roméo et Juliette, d’après Shakespeare, création le deux juin 1924. Voir l’article de Raymond Cognat en une de Comœdia du deux juin 1924.
73 Les poésies de Jean Cocteau ont plusieurs fois été éditées par la NRF. Paul Léautaud a peut-être en tête à ce moment-là l’édition d’Emmanuel Grevin de 1925 comprenant Le Cap de Bonne Espérance — Discours du grand Sommeil — Poésies — Vocabulaire — Plain chant, 468 pages.
74 Max Jacob (1876-1944), peintre, poète et romancier au destin compliqué. Toute sa vie, Max Jacob a été d’une incroyable générosité, donnant pratiquement tout le peu d’argent qui lui revenait.
75 Jacques Maritain (1882-1973), philosophe lui-même converti au catholicisme en 1906. Le volume en question est en fait deux, parus chez Stock en 1926. Le premier est de Jean Cocteau, Lettre à Jacques Maritain, le second de Jacques Maritain, Réponse à Jean Cocteau. À ces deux volumes nous pouvons heureusement de nos jours en ajouter un troisième, une édition de Michel Bressolette et Pierre Glaudes de la Correspondance 1923-1963 entre Jean Cocteau et Jacques Maritain, qui reprend aussi les deux lettres citées précédemment. Gallimard, mars 1993, 376 pages.
Tristan Corbière76
1845-1875

Tristan Corbière par Manuel Luque dans Les poètes Maudits de Verlaine paru chez Léon Vanier en 1888
Édouard-Joachim (dit Tristan) Corbière naquit à Coat-Congar, domaine situé dans la commune de Ploujean, à quelques lieues de Morlaix, le 18 juillet 1845. Il était le fils de Jean-Antoine-René-Édouard Corbière (1793-1875), fort connu en son temps comme auteur de romans maritimes : Le Négrier, les Pilotes de l’Iroise, Le Banian, Tribord et Bâbord, etc., etc. Nous puisons dans l’ouvrage de M. René Martineau77, qui s’est fait l’historiographe pieux et exact du poète des Amours jaunes78, les renseignements de cette notice. L’enfance de Corbière fut débile79. Déjà aussi il manifestait ce caractère fantasque qu’on devait lui voir plus tard, et l’on raconte qu’il s’administrait des drogues pour ne pas aller à l’école. Quand sa mère, qu’il obligeait à des soins continus pour sa mauvaise santé, le plaignait et l’engageait à ne pas se tracasser pour ses devoirs : « Pourtant, lui répondait-il, navré, en se frappant le front, je sens qu’il y a quelque chose là ! » À douze ans, il entra au lycée de Saint-Brieuc, mais il ne put y rester que deux années et demie, obligé, par sa santé, de rentrer à la maison paternelle. Ses parents l’envoyèrent ensuite chez un cousin, à Nantes, où il suivit, comme externe, les cours du lycée. Une seconde crise de maladie vint interrompre définitivement, au bout de deux ans, ses études. Après un séjour à Cannes, il vint alors s’établir à Roscoff. Corbière avait à cette époque dix-neuf ans, et la tournure la plus singulière : grand, maigre, une barbe inculte en pointe, un nez énorme, accoutré bizarrement, tantôt en forçat, avec le bourgeron80, le pantalon de toile et les sabots, tantôt en matelot, avec les bottes de mer montant jusqu’aux genoux, et un feutre cabossé81. Il voulut d’abord être peintre, puis dessinateur, sans jamais avoir appris à dessiner. C’était là, comme sa poésie, pure aspiration d’artiste, au vrai sens du mot. Il peignait des démons, des diables, toutes figures portant l’empreinte de son physique, hanté qu’il était par son type, et crayonnant sa charge82 sur tous les murs. Fils de marin, Corbière avait aimé de bonne heure la mer et les marins. Peu après son installation à Roscoff, il eut le désir de posséder un canot ; son père lui en fit construire un, et il navigua ainsi quelques années sur la mer de son pays, le canot bientôt remplacé par un cotre, appelé le Négrier, en souvenir des romans paternels dont il était grand admirateur. C’est au cours de ces promenades maritimes qu’il composa ses premiers poèmes : Matelots, Le Mousse, Bossu-Bitor, Le Renégat, La Fin, Le Douanier, dans lesquels les « gens de mer », comme il les appelait lui-même, sont chantés comme ils l’ont été rarement. Le séjour de Corbière à Roscoff fut interrompu à deux reprises, en 1868 et 1869, par deux voyages qu’il fit en Palestine et en Italie avec le peintre Hamon83. On trouve dans son œuvre des souvenirs de son passage en Italie, pays qui lui déplaisait :
Voir Naples et… Fort bien, merci, j’en viens. Patrie D’Anglais en vrai, mal peints sur fond bleu-perruquier.
Pendant la guerre de 1870, trop malade pour prendre part à la campagne, Corbière resta â Roscoff. C’est là que vint le chercher, en 1871, alors qu’il semblait ne plus devoir quitter cette ville, l’aventure la plus importante de sa vie, qui devait lui fournir le titre de son livre et lui en inspirer les pièces les plus curieuses. Ayant fait connaissance à la table de sa pension avec deux touristes, le comte de B… et sa maîtresse84, il en résulta pour lui une liaison sentimentale qui amena bientôt son départ pour Paris. Installé rue Montmartre, dans une petite chambre où il n’avait pour tout mobilier qu’un coffre à bois sur lequel il couchait tout habillé, Corbière commença alors cette existence de bohème noctambule qui devait le tuer, dormant le jour, déjeunant à minuit, traînant dans les cafés littéraires, travaillant en flânant. Il publia quelques vers dans la Vie Parisienne85, exactement dans six numéros (mai à octobre 1873), et, conquis définitivement par la littérature, s’occupa de réunir ses poèmes. L’éditeur trouvé, et son père ayant consenti à payer une partie des frais d’édition, Les Amours Jaunes parurent86 en décembre 1873. L’indifférence la plus complète accueillit ce volume dont personne ne parla à l’époque. Cet insuccès ne pouvait affecter Corbière, qui ne songeait guère au public en écrivant. Les Amours Jaunes parus, il se remit au travail, songeant à publier un autre volume qu’il voulait intituler Mirlitons. Malheureusement, malade pour ainsi dire de naissance, les veilles ne tardèrent pas à l’user complètement. Un matin, des amis le trouvèrent évanoui sur le carreau de sa chambre. On le transporta à la Maison Dubois87, où il resta quelque temps, n’ayant rien perdu de sa dure moquerie, toujours aussi dédaigneux de tout étalage sentimental. « Je suis à Dubois dont on fait les cercueils », écrivait-il à sa mère. Ramené dans un état pitoyable à Morlaix, Il y mourut peu après, le 1er mars 1875, à l’âge de trente ans, et fut enterré au cimetière Saint-Martin88, dans le caveau de la famille. À Paris, cette mort passa inaperçue, comme était passé inaperçu le livre de Corbière. Plus tard, on le traita de fou, et son œuvre d’outrage à la morale. Il en fut ainsi jusqu’au jour où Paul Verlaine publia ses Poètes maudits89 (1884), dans lesquels trois études étaient consacrées à Corbière et à son œuvre. La même année, J. K. Huysmans publia À Rebours90, et fit également une place aux Amours Jaunes parmi les œuvres préférées de son héros des Esseintes91. Jules Laforgue, qui a beaucoup emprunté à Corbière, a ainsi défini son art « Pas de la poésie et pas des vers, à peine de la littérature, — un métier sans intérêt plastique, — l’intérêt est dans le cinglé, la pointe sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique… » M. Remy de Gourmont* l’a appréciée, à son tour, en ces termes « Son talent est fait de cet esprit vantard, baroque et blagueur d’un mauvais goût imprudent, et d’à-coups de génie ; il a l’air ivre, mais il n’est que laborieusement maladroit ; il taille, pour en faire d’absurdes chapelets, de miraculeux cailloux roulés, œuvre d’une patience séculaire, mais aux dizaines, il laisse la petite pierre de mer toute brute et toute nue, parce qu’il aime la mer, avec une grande naïveté, et parce que sa folie du paradoxe le cède, de temps en temps, à une ivresse de poésie et de beauté92. » Tristan Corbière, que son cousin Pol Kalig93 a défini « un tendre comprimé » et que Martineau appelle « le plus irrégulier et le plus audacieux des poètes maudits », s’est d’ailleurs peint lui-même de façon saisissante dans ces vers, écrits par lui en guise d’épitaphe :
Mélange adultère de tout :
De la fortune et pas le sou,
De l’énergie et pas de force,
La liberté, mais une entorse,
Du cœur, du cœur ! de l’âme, non —
Des amis, pas un compagnon,
De l’idée et pas une idée,
De l’amour et pas une aimée,
La paresse et pas le repos.
Vertus chez lui furent défaut,
Âme blasée inassouvie,
Mort, mais pas guéri de la vie,
Gâcheur de vie hors de propos,
Le corps à sec et la tête ivre,
Espérant, niant l’avenir,
Il mourut en s’attendant vivre
Et vécut s’attendant mourir.
76 Notice à l’évidence rédigée par Paul Léautaud. La première notice sur Tristan Corbière avait été rédigée par Adolphe van Bever en 1900. Paul Léautaud a rédigé la deuxième pour l’édition de 1908. Cette troisième notice est identique à la précédente.
77 On ne confondra évidemment pas René Martineau (1866-1948) avec son fils, Henri Martineau, fondateur de la revue Le Divan en janvier 1909 et objet de la note 130. L’ouvrage de René Martineau cité ici est Tristan Corbière : essai de biographie et de bibliographie paru au Mercure en 1904 (148 pages). René Martineau est aussi l’auteur de Léon Bloy, souvenirs d’un ami, Librairie de France (Sant’Andrea-Marcerou) 1921, 120 pages et de Un vivant et deux morts — Léon Bloy, Ernest Hello, Villiers de l’Isle-Adam (1901, à compte d’auteur, introuvable, réédité en 1914 à la Bibliothèque des lettres françaises, 172 pages).
78 Les Amours jaunes semble être l’unique recueil de poésies de Tristan Corbière. Paru en 1873 à la Librairie du XIXe siècle (Gladys frères, dix rue de la Bourse), ce recueil contient Ça, Les Amours jaunes, Raccrocs, Sérénade des sérénades, Armor, Les Gens de mer et Rondels pour après. Ce recueil est dédié « À l’auteur du Négrier », qui est son père, Édouard Corbière, marin et romancier, déjà cité par Paul Léautaud.

79 Paul Léautaud emploie souvent ce mot au sens propre, bien oublié de nos jours : qui manque de force ou de vigueur. Ici de santé.
80 Bourgeron : « Courte blouse de toile que portent les ouvriers, les soldats, pour certains travaux. » (TLFi).
81 Voici un autre portrait de Tristan Corbière, tel qu’on peut le voir dans l’Essai de biographie de René Martineau, sans légende.

82 Employé ici dans le sens donné généralement à « portait-charge », ou caricature.
83 Peut-être Jean-Louis Hamon (1821-1874). L’ouvrage de René Martineau ne donne pas davantage de précision et PL recopie la page 63.
84 La graphie, chez René Martineau op. cit. est aussi « comte de B… » Paul Léautaud ignore vraisemblablement son identité.
85 La Vie parisienne est une revue très illustrée parue sur plus d’un siècle de 1863 à 1970, sous des aspects divers. Il est possible que son titre ait été repris des Scènes de la vie parisienne de Balzac et que ce titre ait donné à son tour son nom à l’opéra de Jacques Offenbach créé en 1866. Il s’agissait au début d’un magazine culturel traitant de théâtre et de modes, qui proposait des feuilletons comme tous les journaux de l’époque, attirant nombre de jeunes auteurs en mal d’argent. Au début du siècle cette revue a pris un tour plus licencieux qui ne la quittera jamais.
86 Paul Léautaud accorde ici le texte au titre du livre. C’est une option généralement pas retenue dans leautaud.com ou nous aurions écrit « Les Amours jaunes parut »
87 Cette maison religieuse de santé trouve son origine au XVIe siècle. Au début du XIXe siècle, le docteur Dubois crée un service de chirurgie dans ce qui est devenu une « maison municipale de santé », payante. La « Maison Dubois » est actuellement l’hôpital Fernand-Widal, 200, rue du Faubourg-Saint-Denis. Paul Léautaud évoque aussi cette maison à propos de la mort de Jean de Tinan, d’Henri Becque, du peintre Constantin Guys…
88 La sépulture familiale, peut-être déménagée depuis, se trouve de nos jours au cimetière Saint-Augustin de Morlaix.
89 Paul Verlaine, Les Poètes maudits, Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, chez Léon Vanier, 19, quai Saint-Michel, illustré de trois eaux-fortes de Thomas Blanchet, 1884, 253 exemplaires de 56 pages, aucun retirage. Il s’agit ici d’un recueil de trois articles parus dans la revue Lutèce, de Léo Trézenik.
90 Joris-Karl Huysmans, À rebours, Charpentier 1884, 294 pages.
91 Jean des Esseintes, le principal et quasi-unique personnage de ce roman décadent se retire parmi quelques objets et livres.
92 Remy de Gourmont*, Le Livre des masques, Mercure de France 1896, page 155.
93 Pol Kalig (Jules-Édouard Chenantais, 1854-1942) est le dédicataire de l’Essai de biographie de René Martineau : « À Pol Kalig / Au meilleur ami de Tristan Corbière / Ces souvenirs sont dédiés. » Il semble que ce soit Paul Kalig qui soit à l’origine de la découverte de Tristan Corbière par Paul Verlaine via Léo Trézenik (note 89).
Guy-Charles Cros94
1879
On ne connaît plus beaucoup de nos jours le poète Charles Cros, l’auteur du Coffret de Santal95, recueil de vers et de poèmes en prose extrêmement originaux, qui fut en même temps un esprit inventif, un précurseur scientifique remarquable, l’inventeur d’une machine parlante appelée par lui le Paléographe96, annonciateur du phonographe actuel, qui découvrit un procédé pour la photographie des couleurs, publia des Études sur les moyens de communication avec les planètes, et eut un moment de réputation, de 1873 à 1880. M. Guy-Charles Cros est le fils de ce poète délicieux, duquel, s’il n’en a hérité que la fantaisie, l’a du moins héritée tout entière. M. Guy-Charles Cros est né à Paris en 1879. Il passa quelques années de son enfance en Danemark, pays de sa mère97. Il fit ses études au lycée Louis-le-Grand, où il prépara pendant quelques mois l’École Polytechnique. Mobilisé dès le début de la guerre et fait prisonnier dès les premières opérations, M. Guy-Charles Cros a passé tout le temps des hostilités en captivité en Allemagne. Rapatrié à l’armistice, il est depuis attaché comme bibliothécaire au Musée de la Guerre. M. René Johannet98 a excellemment parlé de lui et défini sa poésie dans un article des Lettres (mars 1925) : « Connaissez-vous Guy-Charles Cros ? En ce temps, peu fertile en poètes, Guy-Charles Cros est un poète, dans toute l’acception du mot. Je veux dire que ce n’est pas un fabricant de mètres, plus ou moins réguliers, plus ou moins savants, plus ou moins philosophiques, mais un homme doué pour la vision, pour le sentiment poétique, cette synthèse d’images, d’idées, d’impressions, d’une espèce si rare, si rare, que, je crois bien, je n’irais pas jusqu’à cinq s’il me fallait énumérer ceux d’entre nos contemporains qui la possèdent.
…Vers réguliers, vers libres, verset claudélien, Guy-Charles Cros manie le vers français sous toutes ses formes avec une maîtrise et une grâce pleine de feu, d’images, d’imprévu. Je me demande pourquoi il n’est pas mis à sa place, aux tout premiers rangs ? » Au moins la place que nous lui donnons aujourd’hui permettra-t-elle au public de le connaître et de l’apprécier. M. Guy-Charles Cros a d’ailleurs publié récemment un volume important : Avec des mots…99, qui le montre sous les divers aspects de son talent, de la fantaisie à l’émotion la plus nuancée. Il est le premier lauréat du Prix Jean Moréas*, décerné pour la première fois le 21 décembre 1927(100).
M. Guy-Charles Cros a collaboré au Mercure de France, à La Revue de Paris, à Vers et Prose, au Pial, de New-York, au Double bouquet, aux Écrits nouveaux, à Paris-Journal, L’Intransigeant.
94 Notice à l’évidence rédigée par Paul Léautaud. C’est la première apparition de Guy-Charles Cros dans les Poètes d’aujourd’hui.
95 Le Coffret de Santal, paru à Paris chez Alphonse Lemerre et à Nice chez Jules et Jean Gay (tirage à 500 exemplaires en tout) en 1873 (174 pages) est le plus connu des recueils de poésies de Charles Cros et le seul paru de son vivant. Une autre édition, plus conséquente (113 poèmes au lieu de 74) en 1879 chez Tresse a connu un meilleur succès.
96 Ce Paléographe, parfois nommé Paléophone n’est resté qu’à l’état d’ébauche et il semble bien qu’aucun prototype n’ait pu être construit avant que Thomas Edison, possédant des moyens financiers plus importants réalise et fasse fonctionner son phonographe.
97 Charles Cros avait épousé en 1878 Mary Frances Hjärdemaal, née en 1841 dans l’île de Saint-Thomas aux Îles vierges (USA).
98 René Johannet (1884-1972), journaliste proche de L’Action française.
99 Guy-Charles Cros, Avec des mots…, accompagné d’une notice de Georges Batault, édité par les Cahiers de la quinzaine chez L’Artisan du livre, 1927, 254 pages.
100 Ce prix Jean-Moréas a été attribué pour la première fois le 21 décembre 1927 au Café de Cluny. On peut lire les détails des circonstances de l’attribution de ce prix dans le Journal littéraire de Paul Léautaud au 22 décembre 1927.
Lucie Delarue-Mardrus101
1880
Mme Lucie Delarue-Mardrus est née le 3 novembre 1880, à Honfleur. Son père, également né en Normandie, était avocat à la Cour de Paris. Elle a épousé, en 1900, le docteur J.-C. Mardrus102, auteur d’une traduction des Mille et une Nuits103.
Mme Delarue-Mardrus, bien qu’elle ait beaucoup voyagé aux côtés de son mari, a gardé un grand culte à son pays natal qu’elle a souvent chanté dans ses poèmes. On a d’elle, dans ce sens, un très beau vers : Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays, — qui embellit à lui seul toute son œuvre. On s’est plu à reconnaître à Mme Delarue-Mardrus, dès ses débuts, une très vive originalité comme poète. Elle a de la fougue, en effet, une impression curieuse, et un style bien à elle. Elle a même donné, quelquefois, cette impression, qu’elle n’a pas de sa langue une connaissance très exacte, créant pour son besoin tel ou tel mot rarement heureux, donnant à des adjectifs le sens des substantifs, n’hésitant devant aucune image, aucune comparaison, si discordantes fussent-elles, avec des préciosités visant à étonner et des répétitions puériles. « Moi, je parle bizarre comme d’autres parlent français », lui a fait dire M. Charles Maurras104 dans une étude qu’il a écrite sur le Romantisme féminin105. Nous nous dépêchons de dire que Mme Delarue-Mardrus a été de beaucoup dépassée, ces dernières années, par une autre femme de lettres qui s’est fait, elle, pour tout de bon, un nom et une réputation hors de pair dans le domaine du jargon et de la préciosité106.
Mme Lucie Delarue-Mardrus est connue surtout comme conteur et comme romancière. Elle a abordé récemment un nouveau genre, l’hagiographie, avec un ouvrage sur la sœur sainte Thérèse de Lisieux107, canonisée, comme on sait, avec grand bruit.
Mme Delarue-Mardrus, qui fait partie du Comité du Prix de La Vie heureuse108, a collaboré à La Revue blanche, au Mercure de France109, à La Plume, à la Revue de Paris, à la Revue des Deux-Mondes, à La Vie Heureuse, à la Revue, au Censeur, à la Revue hebdomadaire, à L’Ermitage, à Antée, etc. Auteur dramatique, elle a fait jouer, en 1906, Sapho désespérée, tragédie-antique, au Théâtre d’Orange, et en 1907, La Prêtresse de Tanit, poème dramatique, au Théâtre antique de Carthage. Elle a donné également des articles, contes et nouvelles au Gil Blas (1903-1906), au Matin (1906), au Gaulois (1907) et publie régulièrement, depuis 1906, des contes dans Le Journal.
101 Notice rédigée par Paul Léautaud et un peu augmentée depuis la première notice, parue dans l’édition de 1908.
102 Médecin, poète et traducteur, Joseph-Charles Mardrus (1868-1949), orientaliste d’origine arménienne né au Caire fit ses études au Liban avant de s’installer à Paris où il devint une personnalité de la vie parisienne. En 1900 il épousa la poétesse et romancière Lucie Delarue (1874-1945) qui s’était refusée à un Philippe Pétain de dix-huit ans son aîné. Le couple s’est séparé en 1915.
103 Le Livre des mille nuits et une nuit en douze volumes grand format (23 x 31 cm) sous étui, illustrés de 144 planches hors-texte, l’ensemble tiré à 2 500 exemplaires. Cette traduction était précédemment parue en 16 volumes moins luxueux au début du siècle.
104 Charles Maurras (1868-1952), journaliste, essayiste et homme politique a été l’un des principaux animateurs de l’Action française (mouvement politique et journal). D’un talent littéraire incontestable, d’une fécondité exceptionnelle, Charles Maurras a été un modèle pour une certaine jeunesse française qui l’a parfois suivi dans ses errements politiques. Charles Maurras a été élu à l’Académie française en 1938. La guerre survenant, son anticommunisme et son antisémitisme l’ont conduit à cautionner puis à encourager la Collaboration, organisée par Philippe Pétain, son voisin de fauteuil à l’Académie française. À la Libération, Maurras sera déclaré coupable de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale.
105 Note de Paul Léautaud : « Le Romantisme féminin : Mme Delarue-Mardrus, Minerva, mai 1903. » Il s’agit d’une étude de Charles Maurras parue en avril et mai 1903 dans la revue Minerva sur quatre numéros et présentant quatre auteurs : Renée Vivien, Gérard d’Houville, Anna de Noailles et Lucie Delarue-Mardrus (1er mai). La quatrième partie (15 mai) est une conclusion. Cette revue bimensuelle « des lettres et des arts » est parue à partir de 1901 chez Albert Fontemoing, quatre rue Le Goff, rassemble des signatures prestigieuses comme celles de Paul Bourget, Maurice Barrès, Henry Bordeaux, Jacques Bainville.
106 L’allusion à Aurel est évidente. Aurélie de Faucamberge (1869-1948) se faisait appeler Aurel. Elle a épousé successivement le peintre Cyrille Besset (1861-1902) puis l’auteur dramatique Alfred Mortier (1865-1937). Aurel tenait salon au 20, rue du Printemps, dans le quartier de Wagram. Elle et son mari — surtout elle — seront longtemps les bêtes noires de PL. Voir un bref portrait dans André Billy, La Terrasse du Luxembourg, page 260.
107 Lucie Delarue-Mardrus, Sainte Thérèse de Lisieux, Fasquelle 1926, 158 pages. En 1937, Lucie Delarue-Mardrus a publié, toujours chez Fasquelle La Petite Thérèse de Lisieux, 156 pages.
108 Le nom de ce prix vient de La Vie heureuse, « revue féminine universelle illustrée » créée par Hachette en octobre 1902. Le prix a vu le jour en novembre 1904, en réaction au prix Goncourt qui ne comprenait que des hommes. Le jury du « prix de La Vie heureuse » comptait vingt femmes. En 1918 La Vie heureuse s’est associée avec le magazine Femina (avant de le racheter), souhaitant une évolution vers un prix international sous le nom de Femina-Vie heureuse, puis de Femina avec un jury de douze membres. Les quarante premiers prix ont été décernés à une quinzaine de femmes.
109 Deux articles en mars et novembre 1901.
Tristan Derème110
1889

Tristan Derème, d’après une caricature de Jean Lafont (1886-1973), en une des Nouvelles littéraires du seize décembre 1922
M. Tristan Derème dont le véritable nom est Philippe Huc, est né à Marmande, le 13 février 1889. On trouve dans son ascendance la noble famille d’Arrac qui, ainsi que son alliée, la famille de Casaux, joua un rôle important dans l’histoire du Béarn. Un Arnaud de Casaux fut le médecin de Jeanne d’Albret111. Plus près de nous, le grand-père du poète, poète lui-même, écrivit des chants épiques que l’histoire littéraire n’a pas retenus112. Son père113 était officier de carrière, et les obligations du métier des armes firent que M. Tristan Derème eut une enfance errante. On le voit successivement à Montauban, Bayonne, Nantes, Agen, Toulouse, etc… Au lycée d’Agen, il connut MM. Francis Carco114 et Robert de la Vaissière115. Son premier poème publié remonte à 1905. Il est inséré dans L’Ouest Artiste116, feuille hebdomadaire de Nantes. Le 17 décembre de la même année, et dans la même ville, le jeune poète faisait représenter Zella, comédie en un acte et en vers, imprimée en mars 1906 dans La Silhouette Théâtrale117. Suivirent, en 1907 et 1908, quelques plaquettes hors commerce, et en 1909, Les Ironies Sentimentales, qui parurent aux éditions de la revue Poésie, grâce à l’obligeance du directeur de cette revue, le poète Touny-Lérys*. Dès lors, les plaquettes de M. Tristan Derème, pour la plupart hors commerce, se succèdent d’année en année jusqu’en 1922, date à laquelle il les réunit en un fort volume sous le titre : La Verdure dorée118.
Le nom de M. Tristan Derème est attaché à celui de l’école fantaisiste, dont la dénomination dans son sens actuel doit lui être attribuée. On la rencontre en effet pour la première fois dans la revue Rhythm de Londres, où le poète de La Verdure dorée assumait la rubrique du mouvement poétique, en août 1912. École fantaisiste est une appellation un peu vague. M. Henri Martin119 a écrit qu’on peut voir dans ces poètes « le terme dernier de l’évolution romantique et la plus sérieuse réaction contre ce même mouvement dont ils sont issus ». Cette définition, si c’en est une, est à peu près la seule possible. Le lien qui unit entre eux un Tristan Derème et un Jean-Marc Bernard120 par exemple apparaît en effet assez lâche. Quoi qu’il en soit, le groupe fantaisiste comprend, ou a compris, outre M. Derème et J.-M. Bernard déjà nommés, les poètes suivants P.-J. Toulet*, incorporé un peu de force par ses coéquipiers, et qui réclamerait peut-être une place à part, Jean Pellerin121, MM. René Bizet122, Léon Vérane123, Francis Carco, Noël Ruet124 et Philippe Chabaneix125.
Dans la préface de La Verdure dorée, M. Tristan Derème a fait sa profession de foi, et livré, dans une certaine mesure, les secrets de son art.
« L’art, écrit-il, est tout choix et industrie dans l’assemblage de ses éléments, habileté dans l’emploi des lumières diverses dont le poète se plaît à éclairer son domaine : de la sorte, loin qu’il se laisse noyer aux sentiments, il les évalue, les domine, les juge et les canalise… Le choix des mots, des rythmes, la rime, l’assonance, — aucune richesse ne doit être négligée, — serviront le poète en son dessein. Il saura, par l’éclat exagéré d’une rime, par la rouerie d’une épithète ou le jeu trop sensible des allitérations, donner volontairement à sourire des sentiments graves qu’au même instant il chante et sans cesser d’être sincère… » Plus loin, M. Tristan Derème fixe les lois de la contre-assonance qu’il a employée à maintes reprises de la façon la plus habile.
M. Tristan Derème s’est fait des admirateurs et des détracteurs également passionnés. Les uns l’ont comparé à Saint-Amant126, Sygognes127, Théophile de Viau128, Tristan l’Hermite129, voire même à La Fontaine. Les autres nient tout simplement qu’il soit poète. C’est en tout cas un signe que son œuvre ne saurait laisser indifférent. Pour ce qui est de Saint-Amant, Sygognes, etc., il parait bien que le fond, chez l’auteur de La Verdure dorée, est singulièrement plus mouvant que chez ces fermes et francs rimeurs. On ne reprochera pas à M. Derème, comme l’a pu faire un de ses amis, M. Henri Martineau130, d’invoquer deux cent quatre-vingt-sept fois la pipe au cours de son œuvre, alors que jamais on ne le vit, révérence parler, la pipe au bec. Mais en présence de tant de poèmes si adroits, on est souvent tenté de se demander si l’émotion, toujours nuancée d’un sourire, y est sincère, et si l’on ne se trouve pas dupe d’un simple jeu de rhétorique. M. Tristan Derème apparaît quelquefois comme un Banville131 plus clown et moins artiste. Ses dons de facilité font qu’il excelle dans l’impromptu, la poésie légère, le badinage lestement enlevé.
On doit encore à M. Tristan Derème L’Enlèvement sans clair de lune, ou les Propos et les Amours de M. Théodore Decalandre132, prose mêlée de vers. M. Théodore Decalandre se présente dans ce livre comme un vieillard disert, une sorte de M. Bergeret133 moins docte, et plus féru de poésie, ou encore comme un abbé Coignard134.
M. Tristan Derème a collaboré à, la Revue de Paris, à la Revue Hebdomadaire, à Vers et Prose, au Figaro, au Gaulois,
110 Notice rédigée par Adolphe van Bever pour l’entrée de Tristant Derème dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de cette troisième édition. Voir aussi https://tristan-dereme.fr/. À la fin de 1926, Adolphe van Bever est très malade et va mourir. La veille de sa mort, le six janvier 1927, Paul Léautaud écrit dans son Journal : « Comme nous parlions des Poètes d’aujourd’hui, j’ai dit à Vallette une chose à laquelle je pense depuis quelques jours : si van Bever vient à mourir, faire sauter trois ou quatre des poètes qu’il a voulu mettre dans l’édition en 3 volumes. […] Voilà Droin*, par exemple, qui n’a jamais eu aucun talent. Voilà Derème aussi, qui est une vaste plaisanterie comme poète. Il y en a encore un ou deux autres. »
111 Jeanne d’Albret (1528-1572), fille unique d’Henri II, roi de Navarre, et de Marguerite d’Angoulême. Jeanne d’Albret fut reine de Navarre sous le nom de Jeanne III.
112 Le grand-père paternel était Joseph Huc, né en 1809, instituteur et vérificateur des poids et mesures. Son grand-père maternel était Philippe Sandrin (1815-1879), propriétaire et rentier. On peut parier pour l’instituteur.
113 Pierre Huc (1857-1914), général.
114 Francis Carco (François Carcopino-Tusoli, 1886-1958), romancier du réalisme social dans la veine d’un Mac Orlan, est surtout connu pour son premier roman, Jésus-la-Caille (1914, remanié en 1920) et L’Homme traqué, qui a reçu en 1920 le Grand prix de l’Académie française.
115 Robert de La Vaissière (1880-1937) a rencontré Francis Carco alors qu’ils étaient tous deux répétiteurs au lycée d’Agen et que Tristan Derème était leur élève. En 1911 RDLV « monte » à Paris et participe aux nombreuses petites revues de cette époque d’avant-guerre avant de devenir lecteur chez Albin Michel. Nombre d’articles des Nouvelles littéraires portent sa signature. Le treize octobre 1937 Francis Carco sera élu membre de l’académie Goncourt. RDLV apprenant la chose se rendra le lendemain au bureau de poste pour lui envoyer un télégramme de félicitation. Il mourra, renversé par une voiture, en retournant chez lui.
116 L’Ouest Artiste est paru à Nantes avec diverses périodicités de 1891 à 1922. Le poème en question est Le Renard et le Corbeau, poème comique paru dans un numéro d’octobre 1905.
117 Cette Silhouette théâtrale et ses variantes de titre (La Silhouette, La Silhouette nantaise) est paru d’octobre 1901 jusqu’au début de 1914, avant la guerre, donc. À partir d’octobre 1906 ce magazine est devenu gratuit, avec beaucoup de publicité et très peu de texte, sans pagination. On y trouve un poème de Philippe Huc, « Le Livre », extrait du recueil Le Tiroir secret : « J’ai gardé ce livre de vers / Que nous lisions jadis ensemble ; / Et quand je l’entr’ouvre il me semble / Qu’en un paradis je me perds. »
118 Tristan Derème, La Verdure dorée, préface de Philippe Huc, Émile Paul frères, 1922, 270 pages.
119 Les Henri Martin sont évidemment moins nombreux que les Martin et il ne s’agit pas de celui qui a donné son nom à cette avenue de Monopoly, mort avant la naissance de Tristan Derème. Il y a un (et un seul) Henri Martin évoqué dans le Journal de Paul Léautaud (mais ce n’est pas une preuve), le dix août 1908 : « Ces sortes de cartes m’amusent toujours / HENRI-MARTIN / Littérateur / Attaché au Cabinet du Ministre du Travail / 19, rue de l’Odéon. / C’est celle d’un individu dont j’ai justement parlé dans ma prochaine Chronique dramatique, pour l’avoir entendu faire des phrases à la représentation d’Aulnay-sous-Bois. » La prochaine chronique en question est celle parue dans le Mercure du seize août 1908. Mais nous ne sommes pas davantage avancés.
120 Jean-Marc Bernard (1881-1915), mort au combat à 34 ans. Ses œuvres ont été éditées en deux volumes par Henri Clouard au Divan en 1923. Voir aussi l’article de Paul Guilly dans Le Monde du neuf juillet 1955.
121 Jean Pellerin (1885-1921), poète fondateur de l’École fantaisiste, et journaliste, a rencontré Francis Carco à l’occasion de son service militaire. Jean Pellerin a fait partie des « Treize » de L’Intransigeant.
122 Journaliste à L’Intransigeant (music-hall et phonographe) et à La Revue de France (sur le cinéma), René Bizet (1887-1947), est aussi romancier et poète de l’école Fantaisiste.
123 Léon Vérane (1886-1954), poète fantaisiste méridional.
124 Noël Ruet (1898-1965), poète belge, s’est installé à Paris peut-être après la Libération. Noël Ruet et Paul Léautaud échangeront une brève correspondance à propos d’animaux en décembre 1946.
125 Philippe Chabaneix (1898-1982), poète fantaisiste et libraire au 12, rue des Beaux-Arts puis rue Mazarine. Philippe Chabaneix est le fils de Paul Chabaneix (Jacques Nervat, 1875-1948), médecin de la Marine et poète, à qui PL écrira le 27 octobre 1942.
126 Marc-Antoine Girard, sieur de Saint-Amant (1594-1661), qui fut l’un des premiers membres de l’Académie française, en 1634, le premier des quatorze titulaires du fauteuil 22. Extraits de sa notice de l’Académie française : « Il voyagea beaucoup et participa peu aux travaux de l’Académie […] ; il y limita sa collaboration à la rédaction des mots burlesques du Dictionnaire ; il fréquenta le parti des « barbares », et fut de celui des modernes. Il a laissé trois volumes de poésies et un poème héroïque, Moïse ; […]. “Ce poète avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, il a même quelquefois des boutades assez heureuses dans le sérieux, mais il gâte tout par les basses circonstances qu’il y mêle.” (Boileau). […]. Il fut gentilhomme ordinaire de Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne, mais il mourut dans la misère. »
127 Charles-Timoléon de Beauxoncles, sieur de Sygogne (1560-1611). De nombreuses graphies ont été observées. Fils du gouverneur de Dieppe, il a pris part aux guerres de religion avant de se rallier à Henri IV. Il sera à son tour gouverneur de Dieppe. Sa poésie de cabaret est érotique et souvent pornographique.
128 Théophile de Viau (1590-1626), auteur baroque et libertin, a largement connu la célébrité de son temps avant de tomber dans l’oubli et d’être redécouvert par Théophile Gautier. Le choix de ces poètes désigne sans discussion Adolphe van Bever comme l’auteur de cette notice.
129 François Tristan L’Hermite (1601-1655) « L’Hermite » est son nom de famille mais sa notice de l’Académie française indique « Tristan L’Hermite » comme nom de famille avec le prénom François. Fils naturel d’Henri IV puis au service de Louis XIII, Tristan L’Hermite a été un auteur fécond pour l’époque, tant dans le domaine de la poésie que de celui du théâtre. Il a été élu à l’Académie française en 1648 où il a été le deuxième titulaire du fauteuil 17. On le redécouvre de nos jours.
130 Apparaît ici le second Martineau de ces notices, il ne s’agit plus de René Martineau, auteur de Tristan Corbière : essai de biographie et de bibliographie de 1904 et objet de la note 77 ci-dessus mais de son fils, Henri Martineau (1882-1958). Henri Martineau est surtout connu pour avoir été le fondateur du Divan, dont le premier numéro porte la date : janvier-février 1909. Médecin en 1907 à Niort pour succéder à son père, Henri Martineau (1882-1958), se tourne en même temps vers la littérature. Il a publié en 1905 son premier recueil de poésie, Les Vignes mortes, chez un éditeur de Niort.
131 Théodore Faullain de Banville (1823-1891), poète, auteur et critique dramatique. Considéré de son vivant comme un poète majeur, il était l’ami de Victor Hugo, de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier.
132 Tristan Derème, L’Enlèvement sans clair de lune, ou les Propos et les Amours de M. Théodore Decalandre, roman enrichi d’un portrait de l’auteur gravé sur cuivre par Pascin, Émile-Paul Frères, 1924, 151 pages.

Le portrait de Tristan Derème par le graveur Jules Pascin (1885-1930)
133 Lucien Bergeret est le principal personnage de la suite romanesque d’Anatole France Histoire contemporaine. Cette suite se décline en quatre tomes : L’Orme du mail, Le Mannequin d’osier, L’Anneau d’améthyste et Monsieur Bergeret à Paris. Comme il était l’usage à l’époque, ces romans ont d’abord été publiés en feuilletons dans divers journaux, de manière peu fidèle à ce que sera l’œuvre définitive dont les volumes ont paru entre 1897 et 1901 chez Calmann-Lévy. La vie de Lucien Bergeret, brave bourgeois de province, maître de conférences à la faculté des Lettres locale, a été l’occasion pour Anatole France de traiter de la société française du temps de l’Affaire Dreyfus.
134 L’abbé Coignard est un autre personnage d’Anatole France, qui apparait dans son roman Les Opinions de M. Jérôme Coignard recueillies par Jacques Tournebroche paru chez Calmann-Lévy en 1893 (290 pages).
Charles Derennes135
1882

Charles Derennes par Jean Texcier en une des Nouvelles littéraires du treize décembre 1924 à l’occasion de sa rception du prix Fémina
M. Charles Derennes est né à Villeneuve-sur-Lot le 4 août 1882. Il commença ses études au lycée de Bordeaux et les acheva à Paris, aux lycées Henri IV et Louis-le-Grand. Sa famille le destinait à l’enseignement, et le pressait de passer le concours de l’École Normale Supérieure. Mais M. Charles Derennes était d’humeur trop indépendante. À douze ans, il envoyait déjà des sonnets, en langue d’oc et d’oui136, aux deux journaux de sa ville natale, Le Progrès et Le Réveil. À quinze ans, il recevait un double prix (prose et poésie) aux Jeux Floraux organisés par l’École félibréenne de Toulouse. À Paris, il étonnait ses condisciples de Louis-le-Grand par sa connaissance quasi-miraculeuse du latin et du grec. Son professeur de rhétorique n’attribua-t-il pas à Claudien137 des hexamètres de la composition de ce facétieux élève, et l’on connaît la mésaventure de ce grave docteur de Leipzig, qui commenta dans une revue philologique une ode inédite de Sappho138, due en réalité au même juvénile mystificateur. M. Charles Derennes écrivait aussi des vers français qu’insérait La Plume139, et des contes qui passaient au Journal140. En 1904 paraissait son premier livre de vers, L’Enivrante angoisse141, suivi, deux ans après, de La Tempête142. Ce dernier ouvrage fut couronné par l’Académie Française. On appréciait, dans ces vers de débutant, avec une grande souplesse d’inspiration et une heureuse variété de rythmes, la soumission la plus absolue aux lois alors bien négligées de la prosodie traditionnelle. M. Charles Derennes devait rester ensuite quinze années sans publier un volume de vers. Il écrivit de nombreux romans, parmi lesquels L’Amour fessé143, La Vie et la mort de M. de Tournèves144, Le Peuple du pôle145, ajoutèrent à la réputation d’un écrivain en qui il fallait bien saluer le plus aimable des humanistes. À propos du Peuple du pôle, on parla de Wells146. Dans La Vie et la mort de M. de Tournèves, se retrouvait le ton des meilleurs contes galants de M. Henri de Régnier*. D’autres romans, d’une formule plus froide, furent publiés par La Vie Parisienne. L’auteur les a à peu près reniés aujourd’hui. En 1914, M. Charles Derennes, exempté de tout service militaire, voulut s’engager dans l’aviation. Il ne réussit qu’à être infirmier, et sous l’uniforme, trouva encore le temps d’écrire trois romans : Cassinou va-t’en guerre147, roman de l’héroïsme rustique, La Nuit d’été148 et La petite faunesse149. La servitude sans grandeur qu’il subissait lui inspira encore, l’armistice signé, Les Bains dans le Pactole150 et Le Renard bleu151, qui sont de vives images, à peine poussées à la caricature, de la vie de l’arrière en 1914-1918. Le poète reprit alors ses droits. Outre diverses plaquettes de luxe, il publia, en 1920, Perséphone152, œuvre à laquelle il travaillait depuis longtemps, et qu’il dédia aux plus chères « ombres de sa génération mutilée » et notamment à Emile Despax*. Perséphone était la somme sentimentale et poétique de quinze années de rêves. La Fontaine Jouvence153 (1923), composée d’odes et de sonnets, mit plus particulièrement en relief la virtuosité du poète. Dans ces deux ouvrages, M. Charles Derennes tenait les promesses de ses débuts, avec un souffle plus assuré, un sens très subtil de la musique du vers, une aisance surprenante se jouer de toutes les difficultés de la métrique. En même temps, unissant en lui l’observateur et le poète, M. Charles Derennes s’attachait, avec une sollicitude, et une faculté d’observation particulièrement séduisantes, à l’étude des animaux, et inaugurait son Bestiaire sentimental154 par une Vie de Grillon (1920). Une faveur méritée accueillit cette entreprise. On voyait un écrivain capable de s’intéresser, chose rare, à un monde d’êtres où tout est sans cesse surprise et émerveillement, et augmenter par-là ses plaisirs autant que son savoir. En tête de son livre, l’auteur, expliquant sa méthode, se défendait d’avoir voulu faire œuvre de pédant Ce n’est pas dans les livres qu’il avait étudié la vie du grillon des champs, mais sur nature, armé de ses seuls yeux, renforcés au besoin d’une loupe. À cette observation intelligente, le talent de l’auteur de Perséphone ne perdait rien. De nombreuses pages, dans ce livre, sont à placer hors de pair. Le récit de l’éclosion des œufs de la grillonne sous un rayon de soleil constitue, entre autres, un morceau d’une émotion, d’une qualité d’accent qu’on chercherait en vain dans les ouvrages des meilleurs entomologistes. Continuant à exploiter cette veine, l’auteur de la Vie de Grillon écrivait encore La Chauve-Souris, qu’il baptise Noctu. Émile et les autres, livre consacré à des chats, (les siens et d’autres), et à des grenouilles, et qui lui valut en 1924 le prix Fémina-Vie Heureuse. Il prépare actuellement un ouvrage important sur la Société des Fourmis. En marge de son Bestiaire il a donné L’Enfant dans l’herbe155, souvenirs qui le montrent, tout jeune, s’intéressant déjà aux plus humbles manifestations de la vie animale, puis deux romans sur les chats, Mouti, chat de Paris156, et Mouti, fils de Mouti157.
M. Charles Derennes se présente, avant toute chose, dans tous ses livres, sous les traits d’un authentique poète. Ce parfait lettré, qui est aussi un homme d’esprit, ne manque jamais de cette émotion pénétrante, de cet enthousiasme ailé sans lesquels il n’est pas de vraie poésie. Il serait injuste de ne pas signaler à ce propos que son œuvre poétique proprement dite comporte, à côté d’ouvrages écrits en français, toute une série de poèmes dans la langue de Mistral. (Romivatge158, poèmes de Charles Derennes, gascon, 1924.) « Derennes est un troubadour qui a mal tourné, » déclarait l’auteur de Mireio159 en 1910. Le poète de Perséphone n’hésite d’ailleurs nullement à proclamer que le provençal, comme langue poétique, est supérieur au français. S’il écrit davantage en français, c’est que la contrainte, loin de l’effrayer, lui parait salutaire pour endiguer une inspiration menacée d’un excès de facilité.
M. Charles Derennes a collaboré à La Plume, au Journal, à La Vie Parisienne, à la Revue de Paris, au Gaulois, au Matin, au Figaro, au Mercure de France, à La Grande Revue, aux Maîtres de la Plume, à La Muse Française, à Bonsoir, etc…
135 Journal littéraire au 29 août 1927 : « Ce soir, visite de Gandon. Je voulais justement lui parler de quelques notices des Poètes que je veux lui donner encore à faire, car je n’y arriverai pas, avec l’agrément que j’y trouve et le peu de temps que j’ai d’ici le 15 septembre, date promise. Je lui ai parlé notamment de la notice de N…, pour qui je désire une notice très sympathique, très élogieuse, sentiment qui est du reste celui de Gandon. » Le tapuscrit de Grenoble relevé par notre ami Bertrand Vignon, révèle que « N… » est en fait Charles Derennes.

Yves Gandon par Bernard Milleret dans Les Nouvelles littéraires du neuf novembre 1950
Journal littéraire au 27 janvier 1930 : « J’ai fait faire par Yves Gandon les quatre ou cinq notices qui m’embêtaient à écrire : Duhamel, Romains, Derennes, Salmon, il avait déjà à faire pour le compte de Mme van Bever, celles de Droin, de Touny-Lérys et de Lebesgue. » Adolphe van Bever est mort avant la parution des volumes de la troisième édition et avant d’avoir pu rédiger toutes les notices dont il avait la charge. La rédaction des notices avait été répartie pour moitié et la part de droits d’auteurs a été versée pour moitié à Madame van Bever.
136 De nos jours langue d’oïl mais Charles Derennes semblait tenir à ce oui, que l’on rencontre dans la liste des ouvrages « du même auteur ». Les appellations de ces deux langues proviennent de la façon dont était prononcé le mot oui.

Ouvrages du même auteur dans le recueil de poésies Perséphone, objet de la note 152
137 Claudien (vers 370-404), poète grec de langue latine.
138 Sappho (entre le VIIe et le VIe siècles avant notre ère), poétesse grecque. C’est depuis son nom que s’est formé le mot saphisme. Sappho a vécu sur l’île de Lesbos.
139 La Plume est une revue littéraire et artistique fondée en 1889 par Léon Deschamps qui la dirigea durant onze années. Karl Boès (1864-1940) lui a succédé. La revue disparut en 1914. Les bureaux étaient situés 31, rue Bonaparte.
140 Un quotidien qui avait pour titre Le Journal, ce qui prête souvent à confusion.
141 Charles Derennes, L’Enivrante angoisse, recueil de poésies dédié à Anna de Noailles, Paul Ollendorff 1904, 176 pages.
142 Charles Derennes, La Tempête, recueil de poésies, Paul Ollendorff 1906, 219 pages.
143 L’Amour fessé est d’abord paru dans les cinq numéros du Mercure entre le quinze décembre 1905 et le quinze février 1906 avant de paraître en volume au Mercure en 1906. 240 pages.
144 La Vie et la mort de M. de Tournèves ou Le Mirage sentimental est d’abord paru dans le Mercure de février 1904 (pages 350-373) avant de paraître en volume chez Grasset en 1908 (68 pages). Il s’agit de la quatrième publication des éditions Nouvelles, chez Bernard Grasset, 49, rue Gay-Lussac. Cet ouvrage daté de 1908 sur la couverture a été achevé d’imprimer le deux septembre 1907.
145 Charles Derrennes, Le Peuple du Pôle, Mercure de France 1907.
146 H. G. Wells (Herbert George Wells, 1866-1946), écrivain britannique surtout connu pour ses romans de science-fiction. La Machine à explorer le temps (de 1895), a été traduit en français la même année pour le Mercure de France par Henry Durand-Davray. Cette traduction est toujours celle en cours. Il en est de même pour L’Île du docteur Moreau en 1901, bien que la traduction soit davantage problématique selon les spécialistes. L’Homme invisible (1897) et La Guerre des mondes (1898), qui ont souvent été adaptés au cinéma et en bandes dessinées.
147 Charles Derennes, Cassinou va-t-en guerre, Édition française illustrée, (illustrations de Léon Fauret), 314 pages.
148 Charles Derennes, La Nuit d’été, L’Édition, 1914, 323 pages.
149 Charles Derennes, La petite faunesse, L’Édition, 1918, 279 pages.
150 Charles Derennes, Les Bains dans le Pactole, Albin Michel 1919, 252 pages. Le Pactole est une rivière turque, anciennement en Lydie.
151 Charles Derennes, Le Renard bleu, Albin Michel 1921, 188 pages.
152 Charles Derennes, Perséphone, recueil de poésies 1909-1919, Garnier, 124 pages.
153 Charles Derennes, La Fontaine Jouvence, Odes et sonnets 1920-1923, Garnier, « Bibliothèque poétique de la muse française », 1923, 125 pages.
154 Le Bestiaire sentimental est un ensemble de trois ouvrages, Vie de Grillon (1920), La Chauve-souris (1922) et Émile et les autres, ou de la Personnalité chez les bêtes (1924), tous trois parus chez Albin Michel. Émile et les autres (250 pages), dédié à Claude Farrère et Paul Léautaud, a obtenu le prix Femina en décembre 1924.
155 Charles Derennes, L’Enfant dans l’herbe (en marge du Bestiaire sentimental), Ferenczi 1925 (daté de 1922-1924), 198 pages.
156 Charles Derennes, Mouti, chat de Paris, Albin Michel 1926, 243 pages.
157 Charles Derennes, Mouti, fils de Mouti, éditions de La Nouvelle revue critique, 1927 ; 214 pages.
158 Charles Derennes, Romivatge, sans lieu ni date (Samatan, Editorial Occitan / Amics del libre occitan, 1924), plaquette bilingue « d’une cinquantaine de pages » selon un vendeur.
159 Frédéric Mistral (1830-1914), Mirèio (Mireille), poème provençal à l’origine du prix Nobel de littérature de Frédéric Mistral en 1904.
Émile Despax160
1881-1915
Arrière-petit-fils du médecin Jean Hameau qui, le premier, écrivit un Traité des Virus161, nia la « génération spontanée » et fut le précurseur de Pasteur, Émile Despax est né à Dax (Landes), le 14 septembre 1881. Il a été tué à Molissy-sur-Aisne, le 17 janvier 1915, alors qu’il observait la tranchée ennemie. Sa vie tient en peu de lignes, son œuvre en peu de pages, mais quelles pages ! Emmené très jeune aux colonies, Émile Despax vit s’écouler son enfance aux îles Comores et à La Réunion. Rentré en France, il passa quelques années au lycée de Bordeaux, puis il vint à Paris achever ses études au lycée Henri-IV. Il était encore collégien qu’il collaborait déjà au Mercure de France162, à La Plume, à L’Ermitage et à la Renaissance latine. Une petite plaquette qu’il publia hors commerce, Au seuil de la lande163, le fit, en 1902, alors qu’elle n’était encore qu’à l’état de manuscrit, candidat au prix Sully Prudhomme164. Classé premier, il se vit cependant refuser le prix, pour n’avoir pas observé rigoureusement dans ses poèmes la technique parnassienne165. Quelque temps après, il publia un recueil de tous ses vers : La Maison des Glycines166, auquel l’Académie française, plus libérale, en même temps que plus clairvoyante que le Comité du Prix Sully Prudhomme, décerna en 1906 le Prix Archon-Despérouses167. M. Émile Despax occupa longtemps les fonctions de secrétaire particulier du ministre des Colonies, et fut, par la suite, attaché au cabinet du gouverneur de l’Indo-Chine. Il était sous-préfet d’Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées) lorsque la guerre éclata. On sait le reste.
Émile Despax offre vraiment l’image du poète dans sa jeunesse, sensible et rêveur, tendre et mélancolique. Il est, en effet, peu de débutants chez qui l’on sente une aussi belle sincérité, et ce souci de n’exprimer que ce qui est bien soi, sans emprunts ni imitations. Ses poèmes sont faits de détails, de souvenirs, d’impressions et d’observations de la vie de chaque jour, dont un grand don d’harmonie a composé des ensembles pleins d’émotion. Il y a là beaucoup de vers que l’on peut relire, ce qui est souvent rare chez un jeune poète.
Un monument a été récemment élevé à Émile Despax, à Dax, sa ville natale.
160 Cette notice est à peine augmentée de l’édition de 1908, vraisemblablement due à Adolphe van Bever.
161 Jean Hameau (1779-1851), « Étude sur les virus » La Revue médicale, 1847.
162 Trois numéros du Mercure portent la signature d’Émile Despax, sous des poèmes, en juin 1900, en septembre 1901 et le quinze septembre 1905.
163 Émile Despax, Au seuil de la lande, Mercure 1902, 32 pages.
164 Sully Prudhomme (parfois, comme ici, avec un tiret fautif supprimé) (René Prudhomme, 1839-1907) est surtout connu pour avoir été le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901. Avant cela Sully Prudhomme avait été élu à l’Académie française en décembre 1881.
165 Pour une définition du Parnasse, voir la note 9 de la page « Poètes d’aujourd’hui, par Henri de Régnier » à propos de Charles Leconte de Lisle.
166 Émile Despax, La Maison des glycines, 1899-1905, Mercure, novembre 1905, 271 pages.
167 Ce prix annuel créé en 1834, a été attribué à des œuvres de poètes jusqu’en 1986 où il était doté de la somme de quatre mille francs, inchangée depuis 1877, date à laquelle ce prix a été remis par l’Académie française. À une époque où cette somme était importante, ce prix était partagé entre plusieurs lauréats, ainsi Émile Despax n’a-t-il touché que 500 francs, sept autres candidats ayant été désignés cette année-là, un touchant mille francs et d’autres ne touchant rien.
Léon Deubel168
1879-1913
Léon Deubel était né à Belfort le 22 mars 1879. Après avoir fait ses études au collège de Baume-les-Dames et obtenu son diplôme de bachelier, il fut répétiteur à Pontarlier, à Arbois et à Saint-Pol-sur-Ternoise169. C’est dans ce dernier poste qu’il fut frappé de révocation pour avoir abandonné ses fonctions pendant plusieurs jours et lu à ses élèves une nouvelle qui fut jugée subversive et immorale par ses supérieurs. Il vint alors à Paris et jusqu’à son service militaire mena une vie fort pauvre. Un petit héritage lui permit ensuite de voyager en Suisse et en Italie. Il fut à son retour l’hôte de Louis Pergaud170, alors instituteur en Franche-Comté. Ensuite, ce fut de nouveau la vie à Paris, et de nouveau la détresse et la misère. Un nouvel héritage lui vint. en 1912. Il voyagea dans son pays natal, en Belgique, en Hollande, en Allemagne. Rentré à Paris, dénué de tout, jusqu’à se trouver sans domicile, épuisé de privations, sans aucun ressort pour se reprendre et surmonter la mauvaise chance, il se jetait dans la Marne d’où les mariniers retirèrent son cadavre le 12 juin 1913, son livret militaire qu’on trouva sur lui permettant de l’identifier. Ses obsèques eurent lieu le 21 juin au cimetière de Bagneux.
Tous les poèmes que nous reproduisons sont extraits du volume ayant pour titre Régner171, publié peu de temps après sa mort. À eux seuls ils suffiraient pour renseigner sur le poète, sur sa détresse morale et matérielle, et ce chant de la mort qui se levait souvent en lui. On ne peut s’empêcher, en les lisant, de donner un salut, à distance, à tant de douloureuse infortune.
« Je n’ai nullement à apprécier son œuvre. Je m’en rapporte à ses amis. Mais je dirai cependant que je connais de lui une belle pièce de vers sur la femme, d’une rare hardiesse d’expression et d’idée. Et pendant que ce jeune homme disparaissait, autant parce qu’il manquait de pain que parce qu’il manquait de gloire, c’est presque en nombre infini que de riches imbéciles jouissent de la fortune et de la renommée. »
Remy de Gourmont.
« D’un voyage en Italie, accompli à la faveur d’un héritage vite consumé, Deubel rapporta la Lumière Natale et un goût qui ne devait plus l’abandonner de la perfection formelle. Il voua désormais à l’austérité mallarméenne un culte dont on ne saurait méconnaitre la noblesse et la profondeur. Il écrivit alors de rares poèmes dont, avec une sévérité jalouse, il ne nous a d’ailleurs fait connaître que les plus châtiés. Écrivain difficile, avare même, il vivait avec ses vers dans une sorte d’intimité épuisante dont ni la fortune, ni la sollicitude d’autrui n’ont cherché à le tirer. La pauvreté le conduisit à la plus stricte exigence et cette exigence ne contribua pas peu à resserrer autour de lui les nœuds de la pauvreté. »
Georges Duhamel.
Léon Deubel a collaboré au Mercure de France, à Vers et Prose, au Beffroi, aux Lettres, à La Revue d’Égypte et d’Orient, à Akademos, à l’Heure qui sonne, à l’Oliphant, à Hélios, à Floréal, à l’Âme latine, aux Gerbes, aux Bandeaux d’or, à Antée, à la Revue de Paris et de Champagne, à la Phalange, etc. Il a fondé avec M. Hector Fleischmann la Revue Verlainienne ; avec MM. Michel Puy, Louis Pergaud, Roger Frêne, l’Île Sonnante ; avec MM. Louis Mandin et Charles Capet La Nouvelle Athènes. Il a été secrétaire de rédaction de la Rénovation Esthétique. Il a écrit quelques proses ou pamphlets dans le Soufflacul, le Jura socialiste, le Flambeau et la Vie meilleure.
168 Journal littéraire au treize mars 1928 : « Hier, je reçois une lettre du secrétaire du Comité Deubel me demandant de lui donner une place dans la nouvelle édition des Poètes d’aujourd’hui. J’en parle à Vallette. Il me dit qu’il faut voir où on en est de la mise en pages ; et que, si on peut l’arrêter sans rien déranger, on peut ajouter Deubel. » Il n’est pas impossible que cette notice ait été rédigée par le Comité Deubel en question.
169 Arbois est entre Lons-le-Saunier et Besançon. Saint-Pol-sur-Ternoise est à soixante kilomètres au nord d’Amiens.
170 Louis Pergaud (1882-mort pour la France en 1915), ce qui lui a juste laissé le temps d’écrire quatre livres publiés de son vivant, tous au Mercure : trois recueils de nouvelles animalières, De Goupil à Margot (1910), prix Goncourt, La Revanche du corbeau (1911), Le Roman de Miraut, chien de chasse (1913) et enfin La Guerre des boutons (1913).
171 Léon Deubel, Régner, accompagné d’une préface de Louis Pergaud avec un portrait de l’auteur, Mercure de France 1913, 260 pages, sans date d’achevé d’imprimer. La nécrologie de Léon Deubel parue dans les « Échos » du Mercure du premier juillet 1913 est signée de Louis Pergaud, sur trois pages, suivie de la liste des souscripteurs permettant de lui assurer des funérailles décentes. Parmi les Poètes d’aujourd’hui on y trouve les noms de Tristan Derème et de Louis Mandin et aussi ceux de Fernand Divoire, Fagus, Louis de Gonzague Frik, Abel Bonnard, Fernand Fleuret, Louis Pergaud, André Billy, Jean Royère, Charles Léger, Paul Reboux et Émile Bernard.
Alfred Droin172
1878
M. Alfred Droin, est né à Troyes, en 1878, d’une vieille famille champenoise. Il se destina de bonne heure à l’École Navale. Il s’y préparait, au lycée de Brest, quand bouleversant tous ses projets, à peine âgé de dix-huit ans, il s’engagea dans l’infanterie de marine173. Durant huit années passées dans la péninsule indochinoise, il devait concilier ses goûts, difficilement conciliables à première vue, de soldat et de poète. Vers les vingt ans, il publiait Amours divines et terrestres174, avec une préface flatteuse de Sully Prudhomme, puis, quelques années plus tard, La Jonque victorieuse175, que la presse accueillit avec sympathie. On disait couramment de M. Alfred Droin qu’il avait « annexé l’Indo-Chine à la poésie française ». Ses volumes suivants s’intitulèrent Le Collier d’Émeraude176 et Du Sang sur la Mosquée177. Ce dernier ouvrage devait consacrer la réputation du poète-soldat qui, par ailleurs, à Taza (Maroc), avait eu son cheval abattu sous lui, et s’était laissé assiéger dans Fez avec le général Lyautey. « C’est peut-être un des plus nobles poèmes qu’on ait écrits depuis des années. », en disait M. Claude Farrère178. MM. Marius-Ary Leblond179, précisant la nature de ce talent martial, renchérissaient encore : « M. Alfred Droin est en quelque sorte le poète officiel, le Tennyson180 de notre empire colonial. » La guerre de 1914 surprit le chantre de l’Indo-Chine et du Maroc capitaine d’infanterie de marine. Grièvement blessé à Morhange181, dès septembre 1914, M. Alfred Droin se voyait contraint de renoncer à l’armée. Mais le poète, lui, ne renonçait pas, et publiait encore Le Crêpe Étoilé182 puis À l’ombre de Sainte-Odile183, qui, avec La Jonque Victorieuse et Du Sang sur la Mosquée, devaient composer dans son esprit Le Cycle de la plus grande France. Ses nouveaux ouvrages étaient inspirés à peu près exclusivement par un nationalisme assez étroit et les horreurs de la guerre, assez arbitrairement unilatérales, faisaient le sujet de nombreux poèmes. M. Alfred Droin est encore l’auteur d’un acte en vers, Pour la Victoire184, représenté en janvier 1917, sur la scène de la Comédie-Française. Le poète-soldat de La Jonque Victorieuse, disciple de Sully Prudhomme qui, parait-il, voyait en lui son successeur à l’Académie Française, admirateur fervent de Lamartine et des lakistes185, montre souvent une préciosité qui fait songer à Albert Samain*. Ailleurs, il écrivit des sonnets dans la note de José-Maria de Heredia186. On le goûte, parait-il, comme poète colonial et on assure que, dans ce domaine qu’il a fait sien, il mérite d’être apprécié.
M. Alfred Droin a collaboré à la Revue des Deux Mondes, à la Revue de Paris, au Mercure de France, à la Revue Bleue, à la Revue Universelle, à La Renaissance, au Flambeau de Bruxelles, etc., etc.
172 Entrée de ce poète dans cette édition. Notice rédigée par Yves Gandon. Voir la note 110.
173 L’infanterie de marine est une unité de l’armée de terre créée par Richelieu, qui avait à l’origine pour mission d’accompagner et défendre les navires. De nos jours il s’agit de troupes de débarquement.
174 Alfred Droin, Amours divines et amours terrestres, Alphonse Lemerre, 1903, 109 pages.
175 Alfred Droin, La Jonque victorieuse, Charpentier-Fasquelle 1906, 207 pages.
176 Alfred Droin, Le Collier d’Émeraude, Charpentier-Fasquelle 1908, 210 pages.
177 Alfred Droin, Du Sang sur la Mosquée, Charpentier-Fasquelle 1914, 191 pages.
178 Claude Farrère (Frédéric-Charles Bargone, 1876-1957), écrivain voyageur et officier de marine, prix Goncourt 1905 avec Les Civilisés. Élu à l’Académie française en 1935, devant Paul Claudel. Le six mai 1932, le Président Doumer qui inaugurait le salon annuel des écrivains anciens combattants et s’entretenait avec Claude Farrère, président de l’association, tombe sous les balles de Paul Gorgulov. Claude Farrère s’interposant, est blessé au bras, ce qui lui vaudra son élection à l’Académie française en mars 1935.
179 Marius Leblond (Georges Athénas (1880-1953) et Aimé Merlo (1877-1958) sont deux cousins qui signent ensemble et sont tous deux critiques d’art réunionnais. Ils ont obtenu le prix Goncourt en 1909 pour En France.
180 Alfred Tennyson (1809-1892), poète britannique.
181 Morhange se trouve entre Nancy et Sarrebruck.
182 Alfred Droin, Le Crêpe étoilé, Charpentier-Fasquelle, 1917, 248 pages.
183 Alfred Droin, À l’ombre de Sainte-Odile, poème, avec une Lettre d’Alsace d’Édouard Schuré. ? Perrin 1922, 195 pages.
184 Alfred Droin, Pour la Victoire, un acte, en vers. Voir Le Figaro du onze janvier 1917, première colonne de une, au-dessus de la signature d’Albert-Émile Sorel : « Deux poètes deux soldats ». « Pour la victoire célèbre en vers d’une belle frappe la vertu de l’officier, dédaigneux de sa blessure, et qui s’offre tout entier au pays… » Le second poète célébré par Albert-Émile Sorel est Léon Gauthier-Ferrières (1880-1915), surtout connu pour son Anthologie des écrivains français, son Gérard de Nerval et François Coppée et son œuvre paru au Mercure en 1908.
185 Les lakistes représentent une école de poètes romantiques anglais « qui appartient à l’École des lacs, dont la poésie descriptive est caractérisée par l’amour de la nature et l’analyse des sentiments. » (TLFi). On se souvient qu’Alphonse de Lamartine a écrit Le Lac, qu’il tutoie, et qui est le plus connu de ses poèmes dont le quatrième quatrain est demeuré célèbre : « Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ; … »
186 José-Maria de Heredia (1842-1905), poète d’origine cubaine né sujet espagnol et naturalisé français en 1893 a été l’un des maîtres du mouvement parnassien bien qu’il n’ait publié qu’un seul recueil de poèmes, Les Trophées, chez Alphonse Lemerre en décembre 1892 (daté 1893).
Georges Duhamel187
1884
M. Georges Duhamel est né à Paris le 30 juin 1884, d’une mère parisienne et d’un père originaire de l’Ile-de-France188, leur septième et avant-dernier enfant189. Son père, qui exerçait la médecine, ne savait se fixer nulle part, et l’éducation de l’enfant s’en ressentit d’abord. Après avoir passé son certificat d’études primaires, puis avoir été dirigé par mégarde vers l’enseignement primaire supérieur, il entrait à l’âge de quinze ans au lycée Buffon dans une classe de sixième. Trois mois plus tard, les hasards d’un nouveau déménagement paternel le faisaient admettre comme pensionnaire au lycée de Nevers. Enfin on l’autorisait à poursuivre seul ses études, et, quelques leçons particulières aidant, cette méthode lui valait rapidement le grade de bachelier.
M. Georges Duhamel entreprit ensuite ses études de médecine, et obtint bientôt le diplôme de licencié ès sciences avec les certificats de chimie, de physiologie et d’histologie190. Enfin le grade de docteur en médecine. Il entrait alors dans un laboratoire scientifique, où il travaillait, la guerre exceptée, jusqu’en 1920.
Les débuts de M. Georges Duhamel dans la littérature remontent à 1907. Il publiait à cette époque une plaquette de vers intitulée Des légendes, des batailles191, qui fut imprimée par les soins du groupe de l’Abbaye192, installé à Créteil. M. Georges Duhamel s’est défendu d’appartenir à ce groupe, du moins en tant que son œuvre en eût pu recevoir une influence. Il n’est guère niable cependant, comme l’a fort bien dit M. André Cuisenier193, que la technique unanimiste194, principalement en ce qui concerne la texture même du vers et « un certain matériel d’images », se voit dès lors imposée à lui. Les deux volumes de poèmes qui suivirent Des légendes, des batailles, à savoir L’homme en tête195 (1909), Selon ma loi196 (1910), et l’on pourrait ajouter même Compagnons197 (1912), sont à cet égard hautement significatifs. Sa conception du poète était déjà celle qu’il devait exprimer plus tard dans son ouvrage Les Poètes et la Poésie198 (1914). Quant à son mode d’expression, M. Georges Duhamel le précisait dès lors par des Notes sur la technique poétique199 (1910), écrites en collaboration avec. M. Charles Vildrac200.
Son activité se manifestait encore au théâtre. Il donnait, le 8 avril 1911, sur la scène de l’Odéon, La Lumière201, pièce en quatre actes, un peu trop encombrée d’une littérature alambiquée, où l’influence du symbolisme et surtout de M. Paul Claudel202 était très sensible. « Le mépris du réel », a pu écrire M. César Santelli203, s’y trouvait affirmé « avec une vigueur impressionnante. » Dans l’ombre des statues204, pièce en trois actes, représentée sur la même scène le 26 octobre 1912, indiquait déjà, non sans la persistance d’un lyrisme dans la note de Claudel qui remplissait encore les cinq actes du Combat205 (Théâtre des Arts, 4 mars 1913), une évolution singulièrement heureuse dans le sens de l’ironie. Cette évolution devait amener le dramaturge de La Lumière à écrire L’Œuvre des Athlètes206, comédie en 4 actes qui, terminée avant la guerre, ne fut représentée au théâtre du Vieux Colombier que le 10 avril 1920. C’était une mordante satire de certaine faune littéraire, sur chaque échantillon de laquelle on n’hésita pas à mettre des noms. C’était aussi une comédie de caractère d’une valeur exceptionnelle d’un accent profondément humain, et qui plaçait son auteur au premier rang de nos écrivains de théâtre.
En 1914, comme l’on voit, M. Georges Duhamel n’était nullement un débutant dans la carrière des lettres. Il avait indiqué de la manière la plus nette la voie qu’il comptait suivre, et où il s’était déjà délibérément engagé. Il est donc peut-être plus juste de dire que la guerre, non pas le transforma, mais le rapprocha du réel et accrut le champ de ses expériences. Elle fournit un corps à sa doctrine de la fraternité humaine qui, jusque-là, en dépit de la noblesse de l’intention, paraissait plutôt une attitude littéraire.
À la mobilisation, M. Georges Duhamel, qui appartenait au service auxiliaire, fut sur sa demande versé dans le service armé. Il servit cinquante mois comme chirurgien dans les formations sanitaires du front, et n’y pratiqua pas moins de 1 500 opérations. De cette dure période, il devait tirer ces admirables témoignages que l’on peut tenir pour les plus terribles réquisitoires nés de la guerre et contre elle : Vie des martyrs207, 1917 et Civilisation208, 1918. Nulle emphase dans ces livres. Il reste au contraire le plus uni, le plus naturel, avec le ton, l’émotion, la pitié d’un homme qui fut un camarade pour tant de malheureux. Chaque mot porte, plein d’une ironie vengeresse, et rien n’est plus pathétique que cette simplicité de la description de tant d’affreuses choses. Civilisation fut couronné en 1918 par l’académie Goncourt.
L’armistice signé, l’auteur de la Vie des martyrs de retour au foyer ne crut pas que, pour avoir exprimé son horreur de la guerre, il avait accompli tout son devoir. Il lui fallait encore empêcher, dans la mesure de ses moyens, le retour de l’affreuse catastrophe. Dans ses deux livres de guerre, le témoignage nu était à lui seul la condamnation de tout chauvinisme aveugle ou intéressé. Exprimant maintenant toute sa pensée209, M. Georges Duhamel proclamait que ce n’est pas avec les vieilles pierres qu’on construit une maison solide. La vie nouvelle devait être inaugurée sur des bases absolument neuves ; tout esprit belliqueux devait être implacablement traqué. S’élevant peu à peu dans cette conception qui le conduisait à prendre une conscience attristée de la commune détresse des hommes, il s’efforçait de formuler un évangile d’autant plus noble qu’il en éliminait la notion de sanction extra-terrestre. Ici M. Georges Duhamel se sépare radicalement des unanimistes. Il est hostile à la foule qui bride l’individu dans son libre épanouissement. Tous ses récits : Confession de Minuit210 (1920), Les Hommes abandonnés211 (1921), Deux hommes (1924) etc., apparaissent comme l’illustration, et aussi bien la justification de cette hostilité foncière. Pour guérir un mal, l’auteur de Civilisation tient qu’il importe en premier lieu de n’en rien ignorer, et si « personne n’a voulu ramasser la besace et le bâton de Tolstoï mourant », lui revendique sans faiblesse ce lourd héritage. « La guerre, écrit-il dans La Possession du monde212, a démontré que la civilisation scientifique et industrielle basée sur l’intelligence est condamnée. Son règne aboutit à un immense échec. C’est vers les ressources du cœur que se tourne notre esprit. La civilisation scientifique doit être une servante, non une déesse. Substituons-lui la civilisation morale, le règne du cœur, seule capable de sauver la race humaine, dans la désespérante misère humaine. » Il faut, dit-il, rechercher le bonheur dans « la possession », c’est-à-dire dans l’amour. S’attacher avec une curiosité fraternelle au spectacle du monde, c’est déjà un peu l’aimer. Philosophie à base d’indulgence, de confiance dans l’humanité. Peut-être aussi, bien grande illusion trop généreuse. Il est difficile de porter un jugement d’ensemble sur les quelque trente volumes que M. Georges Duhamel a jusqu’ici publiés. On rencontre, dans cette œuvre abondante, des poèmes, des essais critiques, des romans, des pièces de théâtre, des livres de « choses vues », de philosophie morale, de sociologie… Pourtant un motif général s’y révèle : l’étude de l’homme, et en fait l’unité profonde. « Étudier l’homme, — l’âme humaine s’entend, — a écrit M. Achille Ouy213, et puis songer fortement au salut de cette âme214, » telle est la clef de voûte de ce vaste effort. Prenons par exemple Compagnons, recueil de poèmes paru en 1912, et nous y reconnaîtrons bien des propositions qui devaient être développées sept ans plus tard, dans La Possession du Monde. Tout coup vaut pour l’auteur de Deux hommes, et le même souci le guide dans les formes les plus différentes de son activité d’écrivain. Ses poèmes, a-t-on dit, en seraient victimes dans une certaine mesure. « Duhamel, écrit entre autres M. André Thérive, par une vengeance du sort, a conservé dans ses vers plus de didactisme et d’abstraction qu’il ne pense, mais il a du moins un sens très subtil de la musicalité et de l’ésotérisme nécessaire à la poésie moderne. »
Poète, auteur dramatique, romancier, sociologue, M. Georges Duhamel occupe aujourd’hui dans le monde de l’esprit une situation européenne et même internationale, qui se peut comparer à celle de M. Maurice Maeterlinck*, avant la guerre, après la publication du Trésor des Humbles215. Ses livres ont été traduits dans toutes les langues. Grand voyageur, portant à toutes les causes de justice l’appui de sa personne et de sa parole, il a lui-même parcouru l’Europe, habité la Tunisie, fait des conférences notamment en Pologne, en Finlande, en Grèce ; Il a été reçu officiellement dans la Russie des Soviets. C’est aujourd’hui l’écrivain français vivant dont les ouvrages exercent universellement la plus grande influence et jouissent de la plus grande faveur.
M. Georges Duhamel dirige une revue Braille pour les aveugles de guerre : Les Propos du mois. Il a collaboré au Mercure de France, à la Nouvelle Revue Française, à la revue Europe, aux Nouvelles littéraires, etc.
187 Notice rédigée par Yves Gandon pour l’entrée de Georges Duhamel dans les Poètes d’aujourd’hui. Georges Duhamel sera directeur du Mercure de France à la mort d’Alfred Vallette fin septembre 1935 jusqu’en février 1938.
188 Septeuil, à soixante-cinq kilomètres à l’ouest de Paris et quinze kilomètres au sud de Mantes-la-Jolie.
189 Un enfant mort-né en 1876, Jeanne (1876-1878), Rose (1878-1966), future Madame Charles Vildrac (note 200 page 47), Charline (1880-1881), Louise (1881-1950), Georges (1884-1966) et Victor Eugène (1886-1972).
190 Istologie : « Étude de la structure microscopique des tissus animaux et végétaux et des cellules qui les composent. » (TLFi).
191 Georges Duhamel, Des légendes, des batailles, recueil de poésies, éditions de l’Abbaye 1907, 160 pages.
192 Il s’agit d’une communauté d’artistes qui n’a duré que deux années.
193 André Cuisenier (1886-1974), critique littéraire.
194 L’unanimisme est une doctrine littéraire définie par Jules Romains, assez proche du communisme, donnant la primauté aux groupes humains, l’individu ne pouvant se définir et agir qu’en fonction de ces groupes.
195 Georges Duhamel, L’homme en tête, poème, Vers et prose, Eugène Figuière, novembre 1909, 192 pages.
196 Georges Duhamel, Selon ma loi, poèmes, Eugène Figuière 1910, 157 pages.
197 Georges Duhamel, Compagnons, poèmes, NRF 1912, 125 pages.
198 Georges Duhamel, Les Poètes et la Poésie 1912-1913, Mercure de France avril 1914, 340 pages.
199 Georges Duhamel & Charles Vildrac, Notes sur la technique poétique, chez les libraires et chez les auteurs, 66, rue Gay-Lussac, 1910 (achevé d’imprimer le 27 novembre 1909), 71 pages. On peut noter une curiosité sur la couverture, les auteurs-éditeurs, à l’évidence peu à l’aise avec les chiffres romains, ont indiqué MCMC au lieu de MCMX.
200 Charles Vildrac (Charles Messager, 1882-1971), poète et auteur dramatique libertaire, fondateur, avec Georges Duhamel du Groupe de l’Abbaye (1906-1908). En 1905 Charles Vildrac a épousé Rose (1878-1966, divorcée), sœur de Georges Duhamel. Il sera le Justin Weill de la Chronique des Pasquier. La société des Gens de lettres délivre tous les ans un prix Charles Vildrac.
201 La Lumière, de Georges Duhamel a été chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du premier mai 1911, page 191. Le texte de la pièce est paru chez Eugène Figuière la même année (155 pages).
202 On peut noter que Georges Duhamel a publié au Mercure de France en 1913 Paul Claudel. — Le philosophe — Le poète — L’écrivain — Le dramaturge. 129 pages. Une réédition en 1919 a été augmentée de Propos critiques pour attendre 279 pages.
203 Dans le Mercure du quinze août 1924, page 49. César Santelli a aussi écrit un volume sur Georges Duhamel paru au Mercure de France en février 1925, 174 pages. En 1947, avec Marcel Saurin, il publiera chez Bordas Georges Duhamel, l’homme, l’œuvre (197 pages). César Santelli (1889-1971), romancier, critique littéraire et dramatique et auteur de pièces de théâtre. Producteur et réalisateur d’émissions de télévision. Ancien professeur agrégé d’allemand, inspecteur général de l’enseignement français à l’étranger (1947-1957), chargé des relations internationales auprès du ministre de l’Éducation nationale. Père de Claude Santelli (1923-2001), réalisateur pour la télévision. Source : data.bnf.fr.
204 Cette pièce a aussi été chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du premier janvier 1913, page 178. Le texte de la pièce est paru à La NRF en octobre-novembre 1912.
205 Cette pièce en cinq actes a été chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du seize avril 1913, page 856.
206 Pièce chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du premier mai 1920, page 757.
207 Vie des martyrs 1914-1916, premier roman de Georges Duhamel, Mercure 1917 (216 pages).
208 Civilisation (Mercure, avril 1918), a d’abord paru sous le pseudonyme de Denis Thévenin.
209 Note de l’auteur : « Entretiens dans le Tumulte. » Georges Duhamel, Entretiens dans le tumulte — Chronique contemporaine 1918-1919, Mercure de France 1919, 271 pages.
210 Depuis Vie des martyrs, presque tous les romans de Georges Duhamel ont paru au Mercure de France. Confession de minuit est le premier tome de l’ensemble Vie et aventures de Salavin, en fin d’écriture en 1930. Cette suite rassemblera cinq tomes : Confession de minuit (1920), Deux Hommes (1924), Journal de Salavin (1927), Le Club des Lyonnais (1929), Tel qu’en lui-même… (1932)
211 Les Hommes abandonnés (Mercure 1921, 312 pages) est un recueil de contes de Georges Duhamel. L’un de ces contes, Nouvelle rencontre de Salavin, est la deuxième apparition du personnage. Cette résurgence donnera, dit-on, l’envie à Georges Duhamel, de prolonger ses aventures.
212 La Possession du monde est un essai paru au Mercure en 1919 (224 pages).
213 Achille Ouy (1889-1959), professeur de philosophie au Lycée Claude Debussy de Saint-Germain-en-Laye. Achille Ouy a écrit un Georges Duhamel, l’homme et l’œuvre, chez J. Oliven en 1927, 151 pages, qui sera réédité chez Ollendorff en décembre 1936. Dans le Mercure d’octobre 1959, Georges Duhamel rédigera sa notice nécrologique : « Notre ami Achille Ouy ». Achille Ouy écrira de nombreux articles dans le Mercure d’après-guerre.
214 Note de l’auteur : « M. Georges Duhamel emploie volontiers un vocabulaire confessionnel, mais détourné de toute signification religieuse. Quand il parle du « salut d’une âme », c’est d’un salut terrestre qu’il s’agit. »
215 Maurice Maeterlinck, Le Trésor des humbles, Mercure de France 1896, 310 pages.
Édouard Dujardin216
1861

Édouard Dujardin par Louis Anquetin (1861-1932) dans Les Nouvelles littéraires du 19 mai 1923
M. Édouard Dujardin a eu un rôle de premier plan dans le mouvement littéraire symboliste, tant par ses œuvres à cette époque que par son activité comme théoricien et comme fondateur de plusieurs revues. Il est né le 10 novembre 1861, près de Blois, d’une famille normande. Il fit ses études au lycée Corneille, à Rouen, puis au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Après avoir échoué à l’École normale, il entra au conservatoire, où il étudia la composition musicale, aux côtés de Dukas217 et de Debussy218. La littérature l’occupait déjà. Au bout de peu de temps il s’y consacra tout entier, sous l’influence, tout ensemble, de Stéphane Mallarmé*, de Wagner219 et de Schopenhauer220. À vingt-trois ans, il fondait la Revue Wagnérienne221, excessivement importante à l’époque, et peu après La Revue indépendante222, qui fut l’un des premiers organes du mouvement symboliste et l’un des plus significatifs. On peut voir, dans les notices de cet ouvrage, que les plus marquants des poètes symbolistes ont débuté, ou collaboré à cette revue. M. Édouard Dujardin publia ensuite deux ouvrages ; contes, romans, poèmes ou prose, notamment, en 1888, un poème en prose mêlé de vers ; Pour la Vierge du roc ardent223, dans lequel, pour la première fois, et l’un des premiers, il fit usage du vers libre. En 1891, il donna au Théâtre d’application224 la première partie de sa Légende d’Antonia : Antonia. La deuxième partie : Le Chevalier du Passé225, fut représentée en 1892 au Théâtre Moderne226. La dernière partie : La Fin d’Antonia, qui eut un retentissement considérable et qui reste une date dans les fastes de l’art dramatique symboliste, fut donnée au Vaudeville227 en 1893. Tout ce qui précède représente en quelque sorte la première période de la vie littéraire de M. Édouard Dujardin et demanderait pour être présenté complètement et dans toute sa portée, bien des commentaires et bien des explications, relativement à son grand rôle comme esthéticien, et comme initiateur de la nouvelle école. Il sembla ensuite se retirer un peu à l’écart228. La vie de M. Édouard Dujardin, qui offre un certain pittoresque et serait fort curieuse à raconter, a toujours été double. Une part : le poète, l’écrivain, l’artiste, le philosophe, qui n’a jamais rien cédé de son art, de son idéal ni de ses principes. Une autre part : l’homme d’affaires. Les deux ont été merveilleusement ensemble et M. Édouard Dujardin offre cet exemple d’un écrivain qui a fait à son art la place la plus élevée dans sa vie, ne permettant pas que rien des contingences matérielles puisse l’atteindre229. L’un et l’autre se retrouvent d’ailleurs réunis et confrontés, en quelque sorte, dans l’affabulation de certaines de ses dernières œuvres dramatiques. Des pièces comme Marthe et Marie230, comme Les Époux d’Heur-le-Port231, semblent bien comporter, sous leur lyrisme, des éléments d’autobiographie. Cette retraite dont nous venons de parler n’était d’ailleurs qu’apparence. M. Édouard Dujardin, qui avait pris la direction d’un journal qui eut son époque de célébrité : Le Fin de Siècle232, publiait bientôt, en 1908, au Mercure, un roman : L’Initiation au péché et à l’amour, qui connut le grand succès233. Mais déjà l’attiraient les études religieuses qui devaient désormais occuper presque toute son activité d’écrivain. Il se passionne pour l’étude de l’hébreu, étudie les origines du Christianisme sous la direction de M. Maurice Vernes234, « maitre admirable » a-t-il dit. L’étude de la Bible le conduit à l’étude des religions primitives. C’est alors qu’il fonde avec Remy de Gourmont*, pour combler une lacune dans la masse de nos revues, La Revue des Idées235, sans abandonner pour cela son œuvre de poète, publiant â la même époque, aux éditions du Mercure, sous le titre Le Délassement du guerrier236, un recueil de ses vers parus dans L’Ermitage, la Revue blanche, La Plume et le Mercure de France. En 1906, il publie son premier ouvrage d’exégèse religieuse : La source du fleuve chrétien237, étude critique sur l’histoire du judaïsme ancien. Quelques années après, en 1913, il est chargé, à la Sorbonne, d’un cours sur l’histoire des religions, qu’il poursuit pendant neuf ans. C’est cette même année 1913, qu’il fit représenter au Théâtre-Antoine un drame en prose : Marthe et Marie, œuvre de l’inspiration la plus élevée et d’une grande beauté d’expression, qu’un grand théâtre s’honorerait de reprendre aujourd’hui. La guerre survint alors. M. Édouard Dujardin, en cette circonstance, fut du petit nombre d’écrivains français qui surent rester intelligents et équitables et garder intacte la liberté de leur esprit et de leur jugement. Comme écrivain, même, comme poète, il s’éleva, s’épura, se dégagea du lyrisme facile, devint plus grave, plus ému, plus sobre. Les Cahiers idéalistes238, une revue qu’il fonda en février 1917, et les poèmes contenus dans son recueil : Mari Magno239, sont nés de cet état d’esprit créé chez lui par la guerre : En 1918, il fit au Théâtre du Vieux-Colombier240 une conférence importante pour l’histoire du mouvement symboliste : De Stéphane Mallarmé au prophète Ézéchiel, et en 1919, il fit représenter à la Comédie des Champs-Élysées une nouvelle légende Les Époux d’Heur-le-Port, et ensuite, au Théâtre Antoine, en 1923, Le Mystère du Dieu mort et ressuscité241, légende dramatique sur le conflit du Judaïsme et du Christianisme au premier siècle de l’ère chrétienne, d’une grande élévation de pensée et d’une rare beauté d’expression, « couronnement de sa carrière de poète, d’érudit et de penseur », toutes œuvres malheureusement données devant un public trop restreint et en trop peu de représentations, M. Édouard Dujardin, qui semble s’être donné tout entier désormais à ses travaux d’historien des religions, a publié récemment242 chez l’éditeur Messein un nouvel ouvrage. Le Dieu Jésus, essai sur les origines et la formation de la légende évangélique243.
216 Entrée d’Édouard Dujardin dans cette troisième édition des Poètes d’aujourd’hui. Sa notice est rédigée par Paul Léautaud.
217 Paul Dukas (1865-1935), compositeur, critique musical, professeur de composition au Conservatoire de Paris et à l’École normale de musique (privée). Le perfectionnisme de Paul Dukas l’a conduit à détruire autant d’œuvres qu’il en a publiées. Comme bien des compositeurs de son siècle — Maurice Ravel, par exemple, son quasi-contemporain — Paul Dukas est davantage connu pour son œuvre bruyante et descriptive et dansante, ici L’Apprenti sorcier, que par d’autres œuvres plus fines.
218 Claude Debussy (1862-1918), bien que largement né au XIXe siècle, est considéré comme le premier compositeur du XXe avec son Prélude à l’Après-midi d’un faune dont la composition a commencé en 1892 d’après un poème de Stéphane Mallarmé*.
219 Richard Wagner (1813-1883), musicien surtout connu pour ses opéras interminables et bruyants.
220 Arthur Schopenhauer (1788-1860) philosophe allemand.
221 Le premier numéro de la Revue wagnérienne d’Édouard Dujardin est paru le huit février 1885. Au cours de cette année, à côté de rédacteurs spécialisés, y compris Franz Liszt, on peut y lire des articles de René Ghil* ou J.-K. Huysmans, objet ici de la note 48.
222 La Revue indépendante de littérature et d’art a été créée par Édouard Dujardin en mai 1884, qui en a pris la direction avec Gabriel Martin. Le rédacteur en chef était Félix Fénéon, puis Gustave Kahn*. Le secrétaire de la rédaction Jean Ajalbert. Dès la première année on y trouvait les signatures d’Edmond de Goncourt, d’Émile Hennequin (déjà rencontré dans la Revue wagnérienne), de J.-K. Huysmans (qui écrivait partout mais n’avait pas encore quarante ans), Camille Lemonnier, Oscar Méténier, Adrien Remacle, Émile Zola… Nombreux parmi les « poètes d’aujourd’hui » seront publiés ensuite. Cette revue a néanmoins cessé de paraître en 1895.
223 Édouard Dujardin, Pour la Vierge du roc ardent, librairie de la Revue indépendante, 1888, 36 pages. Couverture rempliée titrée à l’encre par l’auteur et signée, frontispice gravé à la pointe sèche et rehaussé d’aquarelle par Louis Anquetin. Tirage en 55 exemplaires hors commerce sur vélin. Ceux qui ont eu en main un exemplaire de cette rareté ont pu observer, dans les angles de la couverture, les quatre minuscules trous d’épingle ayant permis le maintien des pochoirs pour la mise en couleurs par Louis Anquetin. Louis Anquetin avait été condisciple d’Édouard Dujardin au lycée Corneille de Rouen (Pierre Corneille est né à Rouen).
224 Le premier théâtre d’application, salle permettant aux élèves du Conservatoire de jouer sur une vraie scène et devant un vrai public, a été le théâtre du Gymnase — le mot étant pris dans le sens d’entraînement —, ouvert en décembre 1920 sur les « Grands boulevards ». L’affaire n’a duré qu’une ou deux saisons et la salle est ensuite parvenue dans les mains d’Eugène Scribe. Une salle d’entraînement manquant toujours, Charles Bodinier, administrateur général de la Comédie-Française a racheté plusieurs bâtiments dans les cours des 16 et 18 rue Saint-Lazare pour y installer ce théâtre, rapidement nommé Bodinière, qui a ouvert en janvier 1888. Au début du XXe siècle, la fréquentation a décliné, les pièces adaptées aux besoins de l’entraînement n’étant pas nécessairement adaptées au public. En 1904 la Bodinière prend le nom de Funambules sous la direction de Désiré Gouget mais l’expérience s’arrête au bout de trois mois. Les frères Mévisto reprennent alors le théâtre jusqu’à sa fermeture définitive en mai 1909. Depuis 1920 cette salle est dévolue au culte juif.
225 Ce que Paul Léautaud ne nous dit pas, c’est que la première représentation ne fut sauvée de l’échec complet — les spectateurs commençant à rire — que par l’intervention d’Édouard Dujardin qui, faisant baisser le rideau, expliqua aux rieurs qu’il les autorisait à aller rire ailleurs. L’exercice — périlleux — réussit.
226 En 1890-1891, le théâtre Moderne se trouvait au dix, faubourg Poissonnière, dans un immeuble récent à l’époque et qui existe encore.
227 Le théâtre du Vaudeville a connu trois adresses, après un incendie et une démolition. Celui dont il est question ici se trouvait au 2, boulevard des Capucines, à l’emplacement de l’actuel cinéma Gaumont. Il a été inauguré en 1882 et a été exploité jusque vers 1925 avant d’être racheté par Paramount qui l’a transformé en un cinéma inauguré en novembre 1927.
228 Édouard Dujardin a eu, pendant ces années de silence, deux gros problèmes d’argent. Un à cause d’un accident de circulation (à cheval) dont il a été reconnu responsable et un autre pour avoir perdu gros jeu aux courses.
229 Comme il lui arrive parfois, Paul Léautaud écrit ici le contraire de ce qu’il veut dire. Le lecteur aura rectifié.
230 Marthe et Marie, légende dramatique en cinq actes représentée au théâtre de l’Œuvre le six janvier 1913 dans une mise-en-scène de Lugné-Poe. La pièce a été chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du 15 juillet 1913. Marthe et Marie est la première partie de l’ensemble Les Argonautes, composé aussi des Époux d’Heur-le-Port (objet de la note suivante) et du Retour des enfants prodigues, de 1924.
231 Les Époux d’Heur-le-Port, Légende dramatique « du temps présent » en trois actes chroniquée par Maurice Boissard dans le Mercure du 16 août 1919. Les traits d’union manquants ont été rajoutés. Le texte de la pièce est paru aux Cahiers idéalistes français en 1920 (119 pages) dans une édition originale tirée à 300 exemplaires comportant trois bois hors-texte de son ami Frans Masereel (1889-1972).
232 « Journal littéraire illustré paraissant le samedi » (7 janvier 1891) et jusqu’en décembre 1910.
233 L’Initiation au péché et à l’amour, paru au Mercure de France, ne date pas de 1908 mais de dix ans auparavant, en 1898 (264 pages). Le texte était d’ailleurs paru en prépublication dans les numéros du Mercure de mars avril et mai 1898.
234 Maurice Vernes (avec un s) (1845-1923), historien des religions, que l’on ne confondra pas avec Maurice Verne (sans s), (1889-1943), romancier et auteur dramatique.
235 La Revue des Idées, mensuelle, a été fondée par Édouard Dujardin et Remy de Gourmont*. Les idées en question sont plutôt scientifiques. Le premier numéro est paru le 15 janvier 1905. Édouard Dujardin abandonnera la direction de sa revue en 1907.
236 Édouard Dujardin, Le Délassement du guerrier, Mercure de France 1904, 142 pages. Un recueil de poésies est paru au Mercure de France en 1913, comprenant La Comédie des amours, Le Délassement du guerrier et des Pièces anciennes.
237 Édouard Dujardin. La Source du fleuve chrétien, histoire du judaïsme ancien et du christianisme primitif — 1. Le Judaïsme, Mercure 1906, 419 pages. Achevé d’imprimer le trente décembre 1905.
238 Les Cahiers idéalistes français, recueil de littérature, d’art et de philosophie, paraissant le cinq du mois, de février 1917 à février 1928, auxquels a également participé Paul Morisse comme rédacteur en chef.
239 Édouard Dujardin, Mari Magno, poèmes 1917-1920, Les Cahiers idéalistes, Paris 1922, 152 pages.
240 Le théâtre du Vieux-Colombier a été fondé par Jacques Copeau en octobre 1913, au 21 de la rue du Vieux-Colombier où il se trouve encore, près de la rue de Sèvres. Ce théâtre est depuis 1993 une salle de la Comédie-Française.
241 Le texte de la pièce est paru chez Albert Messein en 1924 (186 pages).
242 1927.
243 Journal littéraire au trois février 1930 : « Nous étions en train de parler [avec André Billy], quand arrive Dujardin. Visite pour me remercier à propos des Poètes. Il me dit que j’ai dit dans ma notice sur lui les choses qui peuvent lui faire le plus plaisir. Je lui réponds que j’ai en effet écrit la vérité, qu’il est un homme qui a considéré la littérature comme une chose qui ne doit se prêter à aucun calcul, à aucun intérêt, à aucune compromission matérielle, menant, de pair avec sa vie d’écrivain, une autre vie, celle d’un homme d’affaires…
Max Elskamp244
1862

Max Elskamp par Félix Vallotton
M. Max Elskamp245 est né à Anvers, de père flamand et de mère française, le 5 mai 1862. Il raconte son enfance en ces termes : « La rue Saint-Paul, où je suis né, est une rue à Consulats, maritime, joignant l’Escaut. Notre maison se trouvait pour ainsi dire enclavée dans l’église Saint-Paul et mon enfance s’est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès où l’on voyait, entre des barres de fer, Christ au tombeau, et dans de grandes et terribles flammes rouges brûler sans fin les âmes du Purgatoire. En août passaient par chez nous les baleines, les géants des ommeganks (cortèges) flamands, et les hivers, si près du fleuve, les nuits d’hiver surtout étaient vraiment affreuses et trop emplies des bruits du vent, des glaces et de la marée. Chez mes grands-parents paternels régnait Marchandise : thé, sucre, poudre d’or, huile de palme, cafés et raisins de Corinthe que nous apportaient un brick appelé l’Orielius et un trois-mâts carré baptisé Le Louis. Je crois que ce que j’ai fait a été très influencé par ces choses de ma petite enfance. Après, la vie m’a pris, plus neutre, me semble-t-il, et à part la pratique des métiers et ce qui touche à l’âme traditionnelle du peuple, peu de choses, je pense, ont réagi sur moi. » « M. Max Elskamp est le poète de la Flandre heureuse, a écrit Remy de Gourmont*246. Les idées se présentent presque toujours à lui sous la forme d’images significatives ; sa poésie est emblématique… L’âme, personnifiée en un jeune homme, en une jeune fille, en un enfant, traverse des paysages, agit sur les éléments, subit la vie, travaille à des métiers, se promène en barque, pêche, chasse, danse, souffre, cueille des roses ou des chardons ; c’est très mièvre le plus souvent, et diffamé par une naïveté qui a d’elle-même une conscience trop précise. » (Le IIe Livre des Masques.)
M. Max Elskamp a collaboré au Spectateur catholique, à La Wallonie, à Floréal, à La Société Nouvelle, au Coq Rouge, au Réveil, à La Belgique artistique et littéraire, à La Revue internationale, etc.
244 Max Elskamp est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dans la deuxième édition. Cette notice, extrêmement paresseuse et composée uniquement de deux citations au point qu’il est impossible d’en discerner l’auteur. On peut y voir la marque d’un Paul Léautaud mécontent de l’arrivée de ce poète. Max Elskamp n’est cité qu’une seule fois dans le Journal littéraire, le trois février 1930 : « longue lettre de Mockel* à Vallette pour signaler des manques dans des bibliographies, notamment celle de Max Elskamp, manques qui étaient inévitables, avec la façon dont a traîné cette nouvelle édition. » Cette notice est restée inchangée depuis l’édition précédente.
245 Max Elskamp (1862-1931), poète symboliste belge, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises. Docteur en droit mais fils d’un armateur, Max Elskamp peut se consacrer entièrement à son art. La mort de sa mère alors qu’il n’a que 21 ans l’affecte profondément. Perfectionniste à l’excès, Max Elskamp a appris les techniques d’impression et même fabriqué une presse. Il a donc été l’éditeur et le diffuseur de ses premières œuvres, en peu d’exemplaires distribués à ses amis. À partir de 1925, malade, Max Elskamp a sombré dans la folie.
246 Dans le second Livre des masques, Mercure de France 1898, page 129, au début d’une biographie bien davantage détaillée que celle-ci. « Voici une âme de Flandre et d’en haut. Dans les campagnes nues ou dans les cathédrales fleuries, qu’il regarde la mélancolie de l’Escaut jaune et gris ou la sérénité des vieux vitraux couleur de mer, qu’il aime les douces Flamandes aux bras nus ou Marie-aux-cloches, Marie-aux-îles, Marie des beaux navires, Max Elskamp est le poète de la Flandre heureuse. »
Fagus247
1872
« Fagus (de son vrai nom Georges Faillet), fils de parents français mais communards, naquit donc à Bruxelles en Brabant : comme le Manneken Piss. Aussi ses premiers patrons furent-ils saint Michel Archange et sainte Gudule il avoue nonobstant une dévotion particulière à Notre-Dame de Lourdes et à la Bienheureuse Thérèse de l’Enfant Jésus248. Il naquit soixante-dix-neuf ans et un jour après la mort de Louis XVI : le 22 janvier 1872, à une heure du matin : donc, à cheval sur les signes du Verseau et des Poissons, et le soleil entrant dans la maison de Saturne. Génie précoce, à six ans et neuf mois il écrivait ses premiers vers (sur une alouette privée, qui se nommait Juliette), battant de quatre-vingt-dix jours le record d’Arthur Rimbaud, et déchiffrait couramment les charades et rébus de La Récréation249 ». Ainsi se présente lui-même M. Fagus, vrai et merveilleux poète, écrivain en prose fort savoureux, et personnage extrêmement original et pittoresque. Le père de M. Fagus avait pris une part active au mouvement de la Commune, qui suivit les défaites de 1870 : rien moins que l’assaut de la Banque de France, à la tête de bandes armées, et il fut de ce fait condamné à la déportation. Il avait pris soin de se réfugier auparavant en Belgique, ce qui explique la naissance du poète, et ne rentra en France qu’avec l’amnistie, une dizaine d’années plus tard. Il fut alors conseiller municipal de Paris pour le Xe arrondissement, quartier de l’Hôpital Saint-Louis. M. Fagus n’a fait d’autres études que celles d’un élève de l’école communale et commença de bonne heure à travailler pour gagner sa vie, comme employé dans les bureaux de la Préfecture de la Seine. Il ne s’en cache pas. « Je gratte du papier administratif depuis l’âge de seize ans », dit-il. Il a bien raison. Écrire n’est pas une affaire de savoir. C’est une question de don. Seuls comptent les écrivains qui l’ont. Les autres ne sont que des gens qui imitent ou qui « travaillent ». M. Fagus, lui, a le don. Il est au surplus fort savant, de la seule science qui compte, celle qu’on acquiert soi-même, par sa seule intelligence et la curiosité de son esprit. Il est expert en matière poétique comme peu de poètes le sont, et il est quelquefois, en prose, un peu précieux pour trop connaître, peut-être toutes les ressources du style. Il l’a d’ailleurs exprimé lui-même, dans un petit volume publié récemment : Clavecin250 : « Celui qui fait profession de poésie doit s’efforcer dans tous les genres, apportant même soin au madrigal, au sonnet sans défaut, qu’à construire un long poème. C’est la meilleure méthode, sinon la seule, pour se rendre maitre du plus sublime des instruments. » On le voit, en effet, dans ce volume, passer tour à tour de la ballade au sonnet, de la chanson populaire à l’épigramme, de la chanson bachique à ce genre du Haï kaï251 mis à la mode récemment, tout cela avec la même virtuosité et le même plaisir pour le lecteur. Bien mieux : il lui arrive fréquemment de mêler à ses vers, sans s’en cacher, des vers très célèbres de très grands poètes. « C’est ma façon, dit-il, de leur rendre hommage252. » Une chronique tout entière de son volume Pas perdus253 est édifiante à ce sujet. Comme beaucoup de poètes, M. Fagus publia à ses frais ses premiers vers : chez Vanier et à la Société libre d’éditions en 1898, et à la Plume en 1903. Mais bientôt les éditeurs l’accueillirent. M. Fagus ne s’est d’ailleurs jamais montré pressé de publier. Si quelqu’un n’a jamais songé à tirer de ses écrits qu’un plaisir spirituel, comme à n’écrire qu’à sa guise, selon l’occasion ou l’inspiration, c’est bien lui. Quiconque veut le connaître en entier le trouvera dans ce numéro du Divan254 que M. Henri Martineau a très justement composé à sa gloire. Les écrivains des partis les plus opposés s’y sont réunis pour lui rendre hommage. Car M. Fagus, qu’on ne voit nulle part, qui ne demande rien à personne, qui se rit de la publicité et de la notoriété, qui vit à sa guise et écrit de même, est estimé et admiré de tous pour son grand talent, sa parfaite probité littéraire et, il faut bien le dire aussi, pour le curieux personnage qu’il est, cocasse, pittoresque, réunissant en lui les plus vifs contrastes. Il a donné de lui-même un jour ce croquis : « Décembre, midi ; le Palais-Royal tout gris s’aplatit sous la neige toute blanche. Entre deux arcades, un poète, au pilastre adossé, mastique des pommes de terre bouillies qu’il pêche dans sa poche une à une, cependant qu’à la devanture du libraire, parmi les effigies de femmes nues, il considère la Victoire de Samothrace. » Qui pourrait penser, à le voir ainsi, comme à le rencontrer, vers six heures du soir, au carrefour Buci, quelque peu zigzaguant et la langue embarrassée, coiffé d’un vaste chapeau melon datant de plusieurs années et enfoui sous une pèlerine du même âge, qu’une musique si savante et si harmonieuse habite en ce petit homme ? Il n’en montre au reste lui-même aucune vanité, témoin ces vers qui terminent son recueil de chroniques : Pas perdus :
Pourquoi, Seigneur, les hirondelles
Si bas, puis si haut volent-elles :
Qu’en savent-elles,
Qu’en sais-je ? rien.
Et moi, pourquoi gai, puis morose,
Pourquoi mes vers, pourquoi ma prose,
Pourquoi sous mes doigts cette rose,
Qu’en sais-je ? rien.
Merveille que la poésie, quand elle prend de tels accents255.
M. Fagus a collaboré à la Revue des Beaux-Arts et des Lettres, la Revue blanche, la Plume, l’Occident, Revue de Champagne, Mercure de France, Action Française, Revue critique des idées et des livres, Marges, le Divan, le Feu, la Muse française, Revue bleue, Revue de Hollande, Poesia, les Guêpes, les Facettes, les Lettres, les Horizons, Revue du Siècle, etc., etc.
247 Notice rédigée par Paul Léautaud, qui était un ami de Fagus, qui entre ici dans les Poètes d’aujourd’hui. Paul Léautaud est né quatre jours avant Fagus qui va mourir en novembre 1933.
248 Fagus était très pieux.
249 Les magazines pour la jeunesse de cette époque (1878 si l’on suit le texte de Paul Léautaud) sont aussi peu nombreux que mal documentés et aussi de parutions très éphémères. La Récréation évoquée ici a paru de 1833 à 1837, bien avant la naissance de Fagus. Ce ne peut être Ma Récréation, paru bien plus tard, de 1910 à 1922 (hors la guerre) ni Récréation, paru à la Libération. Le Dimanche ou récréation de la jeunesse est lui, paru bien trop tôt, dans les années 1815-1818. Ce ne peut être que Le Magasine d’éducation et de récréation, qui a connu la plus grande longévité, de 1864 à 1915.
250 Fagus, Clavecin, La cité des livres 1926, représentant la lettre F de l’alphabet des lettres, achevé d’imprimer le vingt-huit janvier 1926, à 440 exemplaires. Page 73 on peut y lire « Sur Maurice Boissard » : « Cet animal n’est pas méchant : / Quand on l’attaque il se défend. / Par malheur il commence avant. »
251 De nos jours nous écrivons Haïku, qui est un poème japonais extrêmement bref, de trois vers. En voici un de Fagus : « — Sous une averse de lumière / La ville bout dans sa poussière. / — Tout sombre, tout sombre. »
252 Journal littéraire au 27 novembre 1933 : « Il y a aussi un vers d’une strophe de ballade de Fagus que je cite : Je meurs de soif auprès de la fontaine. Il est certainement de Charles d’Orléans. » « que je cite » : dans un article sur Fagus paru dans La NRF de décembre 1933, pages 912-916.
253 Journal littéraire au dix mars 1926 : « Rencontré aujourd’hui Fagus, à midi, rue de Condé, comme je sortais du Mercure. Il venait m’apporter un exemplaire d’un livre qu’il vient de publier au Divan, Pas perdus, recueil de sortes de chroniques. » Fagus, Pas perdus, Le Divan (achevé d’imprimer le douze février 1926), collection « Les Quatorze », numéro dix (b), 146 pages. Ce volume comprend Les Éphémères et Pas perdus, à moins qu’il s’agisse de deux volumes distincts numéroté dix (a) et dix (b). Contrairement à ce que laisse entendre Paul Léautaud, ce recueil publié par Le Divan n’est pas un numéro courant du Divan mais un volume compris dans une collection. (Profitons de l’occasion pour indiquer que les noms des sociétés d’édition sont toujours en romain et les titres des revues toujours en italiques.) On peut lire, dans le numéro de mai 1926 du Divan, page 237, la critique de Pierre Arrou et, pendant que nous y sommes, dans le numéro de novembre, page 395, des épigrammes de Fagus dont voici le premier : « D’un haillon de chemise sort / La gorge fruiteuse et blanche ; / Un crasseux jupon fait effort / Sur l’orgie intime des hanches ; / Un frisson gronde, et, cuivre et or, / S’allume dès qu’elle se penche… »
254 Peut-être à cause d’une coupe, Paul Léautaud oublie d’indiquer qu’il s’agit du numéro de mai 1925, qui recueille, dans l’ordre de la pagination, des textes d’Eugène Marsan, Léon Deffoux, Henri Strentz, Tristan Derème*, Guy Lavaud, Alphonse Méténié, Jean Lebreau, Philippe Chabaneix, Françis Éon, Lucien Dubech, Béatrix Dussane, Tristan Klingsor, Pierre Lièvre, Eugène Monfort, Georges Le Cardonnel, Henri Rambaud et Henri Martineau.
255 Ce poème clôt le recueil Pas perdus.
André Fontainas256
1865
M. André Fontainas est né à Bruxelles, le 5 février 1865. Ce n’est pas seulement un poète. C’est aussi un romancier, un critique d’art, et aussi un critique littéraire, au moins pour la poésie. Ses premiers vers parurent dans La Basoche (1884-1885), petite revue qu’il avait fondée avec quelques-uns de ses camarade de l’Université de Bruxelles. C’est seulement ensuite qu’il vint se fixer à Paris. Son premier recueil avait pour titre Le Sang des Fleurs257. Il s’y montrait un poète fort original dans le domaine du rythme et des images, notamment dans ses poèmes en vers libres, d’une harmonie et d’un ton tout à fait personnels. M. André Fontainas, qui est plutôt un poète du vers libre que de l’alexandrin régulier, a subi très profondément l’influence de Stéphane Mallarmé. L’esthétique du mouvement littéraire appelé symboliste n’a pas de plus fidèle que lui, après tant d’années passées. Même dans ses ouvrages en prose, comme les trois romans qu’il a publiés L’Indécis258, L’Ornement de la solitude259 et Les Étangs noirs260, on retrouve le poète épris d’une certaine recherche dans le rythme comme dans le vocabulaire, un poète un peu précieux peut-être, en tout cas extrêmement personnel, d’une inspiration très élevée, et qui n’a jamais rien sacrifié de son art.
Comme critique d’art M. André Fontainas a publié une Histoire de la peinture française au XIXe siècle261, et dans une collection d’art de la maison Alcan un Courbet262. Il a traduit des ouvrages d’écrivains étrangers : De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts de Thomas de Quincey, des Poèmes de John Keats, le Samson agoniste et les Courses de John Milton, les Poésies de Shelley. Comme historien littéraire, il a publié une Vie d’Edgar Poe263, dans laquelle le grand écrivain américain est étudié, si on peut dire, fraternellement. Enfin, M. André Fontainas, qui rédige actuellement dans le Mercure la chronique de critique des Poèmes264, a tenu dans la même revue, de 1897 à 1900, la rubrique de l’Art Moderne, et, plus tard, pendant quelque temps, la Chronique dramatique.
256 Notice rédigée par Adolphe van Bever. André Fontainas est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition et l’on peut observer comme une curiosité qu’une notice différente a été rédigée à chaque édition.
257 André Fontainas, Le Sang des fleurs, imprimerie veuve Monnom, 26, rue de l’Industrie à Bruxelles, achevé d’imprimer le 28 mars 1889, 63 pages.
258 André Fontainas, L’Indécis, Mercure 1903, 277 pages.
259 André Fontainas, L’Ornement de la solitude, Mercure 1899, 94 pages.

Dédicace d’André Fontainas sur l’exemplaire envoyé à Paul Gauguin.
Victor Segalen a acheté cet exemplaire en septembre 1903 à Papeete, après la mort de Paul Gauguin en mai 1903.
260 André Fontainas, Les Étangs noirs, Mercure 1912 (achevé d’imprimer le deux septembre), 226 pages.
261 André Fontainas, Histoire de la peinture française au XIXe siècle, Mercure de France 1906, 442 pages.
262 André Fontainas, Courbet, Alcan 1921, 131 pages, ornées de seize planches hors-texte.
263 André Fontainas, Vie d’Edgar Poe, Mercure de France 1919.
264 Après avoir tenu au Mercure la rubrique des livres de 1893 à 1895, André Fontainas a été en charge des arts, puis du théâtre à partir de 1908 jusqu’en 1911, parfois en alternance avec Maurice Boissard. Il a été responsable de la rubrique des Poèmes de 1919 jusqu’à 1938.
Paul Fort265
1872
M. Paul Fort est né à Reims le 1er février 1872. Avant de débuter dans les lettres, il fonda, en janvier 1890, le Théâtre d’Art266, essai théâtral qui permit, à une époque où le naturalisme dominait encore, de présenter au public, en même temps que des œuvres dramatiques dédaignées ou méconnues, des pages d’écrivains nouveaux. Très jeune, seul et presque sans ressources, M. Paul Fort fit interpréter ainsi Les Cenci de Shelley, La Tragique histoire du docteur Faust de Marlowe, Les Uns et les Autres267 de Paul Verlaine, L’Intruse268, Les Aveugles de M. Maeterlinck*269, La Voix du sang, Madame la mort270 de Madame Rachilde, Théodat271 de Remy de Gourmont*, Les Flaireurs272 de Van Lerberghe*, des poèmes ou drames d’Hugo, Stéphane Mallarmé*, Jules Laforgue*, Arthur Rimbaud*, Stuart Merrill*, Catulle Mendès, Pierre Quillard*, et jusqu’à une adaptation du premier chant de L’Illiade.
Après cette tentative dramatique, qui fit grand bruit et prit fin en 1893, M. Paul Fort commença à publier de petites pièces détachées dans La Société Nouvelle273 (1895). Puis vinrent des plaquettes publiées pour la plupart sans indication d’éditeur, et qui, réunies plus tard en volume, formèrent son premier livre : Les Ballades françaises274.
Empruntant, sous les aspects de la prose, la plastique et la rythmique du vers, mêlant aux images les plus raffinées le coloris cru des réalités, l’art de ce poète éclate dans de petits tableaux vifs et nets, où l’habileté du peintre ne le cède en rien au lyrisme ému de l’évocateur. Son talent, a très bien dit Remy de Gourmont, est une manière de sentir autant qu’une manière de dire.
« Voici le frère de Jules Laforgue*, a écrit d’autre part Pierre Louÿs* dans sa préface aux Ballades françaises : — un grand poète, un écrivain dont chaque ligne émeut, à la fois parce qu’elle est belle et parce qu’elle est profondément vraie, sincère et douée de vie… Les Ballades françaises, ajoute-t-il, sont de petits poèmes en vers polymorphes ou en alexandrins familiers, mais qui se plient à la forme normale de la prose, et qui exigent (ceci n’est point négligeable) non pas la diction du vers, mais celle de la prose rythmée. Le seul retour, parfois, de la rime et de l’assonance distingue ce style de la prose lyrique.
« Il n’y a pas à s’y tromper, c’est bien un style nouveau. Sans doute M. Péladan275 (Queste du Graal276) et M. Mendès (Lieder277), avaient tenté quelque chose d’approchant, l’un avec une richesse de vocabulaire, l’autre avec une virtuosité de syntaxe qui espacent aisément les rivaux…
« On trouve, d’ailleurs, des ancêtres aux méthodes les plus personnelles, et celle-ci serait mauvaise si elle était sans famille.
« M. Paul Fort l’a faite sienne par la valeur théorique qu’il lui a donnée, par l’importance qu’elle affecte dans son œuvre et mieux encore par les développements infiniment variés dont il a démontré qu’elle était susceptible.
« Désormais, il existe un style intermédiaire entre la prose et le vers français, un style complet qui semble unir les qualités contraires de ses deux aînés… »
Si connu qu’il soit aujourd’hui, on peut cependant dire que M. Paul Fort n’a pas encore toute la réputation qu’il mérite, il est vraiment le poète, le chanteur que tout inspire, dans une jeunesse, une fraîcheur d’esprit que rien ne semble pouvoir éteindre. Dans leur couleur de chansons populaires, ses Ballades sont pleines de traits ingénieux, charmants, de vraie poésie libre, abandonnée et pénétrante. On en fera un jour un livre admirable qui restera comme le témoignage d’un art unique à son époque.
M. Paul Fort a également fondé, avec plusieurs écrivains de sa génération, Le Livre d’Art (1896-1897), et la revue Vers et Prose, recueil trimestriel de littérature, fondé par lui en 1905. Après une interruption de quelques années, Vers et Prose reparait maintenant sous sa direction et celle de M. Paul Valéry, M. Paul Fort a en outre collaboré à de nombreux périodiques, entre autres : la Société nouvelle, Mercure de France, L’Ermitage, Le Réveil de Gand, Le Coq rouge, la Nouvelle Revue Française, etc. Devenu auteur dramatique, il a fait jouer à l’Odéon Louis XI curieux homme278, Ysabeau279, L’Or280, et à la Comédie française Les Compères du Roi Louis281, suites de grandes images historiques qui ont fait grande sensation.
265 Notice rédigée par Paul Léautaud depuis l’entrée de Paul Fort dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui. Cette notice a peu évolué au cours du temps.
266 Après la guerre de 1870, un peu partout en Europe, le théâtre a été atteint d’une sorte de déclin, terrain toujours propice à la nouvelle génération et ses audaces. En 1887, un André Antoine de 29 ans a créé le théâtre Libre et deux ans plus tard un Paul Fort de 17 ans, avec un Lugné Poe de vingt ans ont créé le théâtre d’Art, qui deviendra le théâtre de l’Œuvre du seul Lugné Poe quatre ans plus tard, en 1893. Ces « théâtres » ont été au début des mouvements théâtraux puis des troupes, avant de devenir des salles à demeure, ainsi que nous le comprendrons dans la note suivante.
267 Paul Verlaine, Les Uns et les autres, comédie en un acte en en vers, représentée pour la première fois au théâtre du Vaudeville par les soins du théâtre d’Art le 21 mai 1891.

268 La Princesse Maleine (1890), L’Intruse (1891) et Les Aveugles (1891) sont trois pièces publiées ensemble par Maurice Maeterlinck chez Edmond Demain à Bruxelles en 1901 (302 pages).
269 On prétend que c’est afin de pouvoir faire représenter les pièces de Maurice Maeterlinck que Paul Fort a créé le théâtre d’Art.
270 Madame la Mort (drame cérébral en trois actes), Le Vendeur de soleil (un acte) et La Voix du sang (un acte), avec un dessin inédit de Paul Gauguin et une préface de l’auteur, ont été réunies chez Albert Savine en 1891 (295 pages), à une époque où le Mercure ne publiait pas encore de volumes. On peut lire la brève critique de ce volume par Remy de Gourmont dans le Mercure d’août 1891, page 118.
271 Rémy de Gourmont, Théodat, poème dramatique en prose dédié à Berthe de Courrière, représenté au théâtre Moderne par la troupe du théâtre d’Art le onze décembre 1891 dans une mise-en-scène de Paul Fort, avec Lugné-Poe dans le rôle-titre, décor et costumes de Maurice Denis. Le texte de la pièce est paru au Mercure de France en 1893 (voir l’annonce de cette parution dans la dernière page (192) du Mercure de mai 1893). Une réédition est parue au Mercure au début de l’été 1906 : Lilith, suivi de Théodat (247 pages).

272 Charles Van Lerberghe, Les Flaireurs, drame et légende en trois actes dédié à Maurice Maeterlinck*, chez Paul Lacomblez, 31, rue des Paroissiens à Bruxelles, 1894. Charles Van Lerberghe et Maurice Maeterlinck étaient des amis d’enfance, rencontrés à l’école. L’Intruse, de Maurice Maeterlinck (note 268), sera souvent comparée aux Flaireurs.
273 La Société nouvelle, « revue internationale — Sociologie, Arts, Sciences, Lettres (fondée et dirigée par Fernand Brouez) », Paris et Bruxelles. Paul Fort y a publié des poèmes dans le numéro de janvier 1895 « La Demoiselle de mes larmes », aux côtés d’Émile Verhaeren* et de Francis Vielé-Griffin*.
274 Paul Léautaud a écrit à Paul fort le 24 décembre 1898 pour le remercier de son envoi de la deuxième série des Ballades françaises. De nombreuses éditions de ces Ballades françaises, chaque fois enrichies, ont jalonné la vie de Paul Fort.
275 Joséphin Péladan (1858-1918), écrivain, critique d’art et occultiste. On lira avec intérêt un récit des procédés de Joséphin Péladan dans le Journal littéraire aux 8, 9 et 10 avril 1908. Voir aussi la lettre que PL écrira à René-Louis Doyon le trois mai 1946 lors de la parution de son livre La Douloureuse aventure de Péladan.
276 La Queste du Graal, proses lyriques de l’épopée La décadence latine et de la hiérophanie L’Amphithéâtre des sciences mortes, par Joséphin Péladan, chez Chamuel, 1894, 305 pages. Dans la préface — vraisemblablement de l’auteur, on peut lire : « Expliquer sa technie et ce que l’on a souhaité produire serait à sa place dans un monde non méchant et intéressé à l’art ; et ce n’est point le cas de Paris où le mot de passe se dit : Pour la vie ou pour l’envie. / Tel quel, ce recueil est offert à l’Ordre de la Rose✠Croix. »
277 Ce lied de Catulle Mendès écrit en 1863 a été mis en musique par Emmanuel Chabrier en 1885.
278 Paul Fort, Louis XI curieux homme, chronique de France en six actes, 1921. Le texte de cette pièce est paru chez Flammarion en 1922 assorti d’une préface d’André Antoine (288 pages).
279 Paul Fort, Ysabeau, chronique de France en cinq actes représentée en quatre actes au théâtre de l’Odéon le seize octobre 1924. Le texte de la pièce est paru chez Flammarion en 1925 (284 pages). La jauge très importante de ce théâtre a fait qu’il n’a jamais pu être rempli pour ces spectacles.
280 Paul Fort, L’Or, chronique de France en trois actes.
281 Paul Fort, Les Compères du Roi Louis, chronique de France. Le texte de la pièce est paru chez Flammarion en 1926 (285 pages).
René Ghil282
1862-1925

René Ghil, portrait-charge par Lucque dans Les Hommes d’aujourd’hui numéro 338 du trois novembre 1898
D’origine belge par son père et française par sa mère, René Ghil est né à Tourcoing (Nord) le 27 septembre 1862. Sa plus grande gloire est d’avoir inventé la Poésie scientifique, qui eut un moment de vogue aux environs de 1887. René Ghil fit ses études au Lycée Condorcet, où il fut le camarade d’Ephraïm Mikhaël* et de Pierre Quillard*, Stuart Merrill* et André Fontainas*. Son premier livre parut en 1885. Il avait pour titre : Légendes d’Âmes et de Sang, et contenait une préface dans laquelle René Ghil basait déjà sur la science l’œuvre qu’il se proposait d’écrire. À cette époque, René Ghil était encore très fortement sous l’influence de Stéphane Mallarmé. Collaborateur au Scapin, petite revue où l’on trouve son nom presque à chaque numéro, il y publiait des sonnets très imités de son maître, tels ceux qu’on lira en tête de notre choix. Sa personnalité commença à se manifester en 1886, quand il publia le Traité du Verbe283. C’est en effet dans cette petite plaquette que René Ghil exposa pour la première fois sa nouvelle théorie poétique, appelée par lui l’Instrumentation verbale. Curieuse théorie, qu’il est resté le seul à professer. Déjà, Arthur Rimbaud avait découvert des couleurs aux voyelles. René Ghil, s’inspirant de lui, allait encore plus loin. D’abord, il dérangeait un peu l’ordre de Rimbaud. Ce n’était plus :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu284,
comme dans le fameux sonnet. C’était
A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune.
De plus, associant dans sa méthode les consonnes aux voyelles, il leur découvrait à son tour des correspondances avec des instruments. Selon lui, telle consonne, placée devant telle voyelle suggérant telle couleur, répondait au son de tel instrument et évoquait telles idées. On devait avoir ainsi dans un livre de vers un double plaisir, celui de la lecture et celui de la musique. Le seul défaut de cette méthode, c’était qu’elle était complètement irréalisable. René Ghil lui-même avait modifié les théories de Rimbaud. Chaque lecteur pouvait à son tour modifier les siennes suivant son propre sens visuel et son propre sens auditif. Où le poète voyait rouge et voulait faire entendre des cuivres suggérant des idées de gloire et de luxe, on pouvait très bien voir gris et n’entendre qu’un accordéon lui évoquant des idées de vie provinciale. On aboutissait ainsi à une poésie qui n’était compréhensible que par son auteur. Cette découverte orchestrale n’en fit pas moins quelque bruit â l’époque. Les journaux les moins coutumiers d’articles littéraires, en France comme à l’étranger, voulurent dire leur mot sur la question, les uns pour vanter, les autres pour dénigrer. Il en fut de même chez les jeunes écrivains, dont les uns prirent parti pour les théories instrumentistes, les autres contre. Ce fut un vrai concert d’éloges et de railleries. Cependant, René Ghil, gardant toute mesure, travaillait à améliorer son Traité du Verbe, et l’année suivante, en 1887, il en publia une nouvelle édition, dans laquelle il définissait plus complètement sa méthode de L’instrumentation verbale. Cette publication fut suivie la même année de la fondation, par M. Gaston Dubedat, des Écrits pour l’Art285, une petite revue qui devait grouper, sous le bâton de René Ghil, les jeunes poètes partisans des théories instrumentistes. Puis, en 1888, René Ghil publia une troisième édition du Traité du Verbe, encore revue et augmentée : l’augmentation consistait même en une nouvelle innovation. Le poète n’était plus seulement doublé d’un musicien, il devenait aussi un savant, et dans un exposé aussi harmonieux que clair, René Ghil définissait complètement cette fois-ci la philosophie de son œuvre, laquelle portait du transformisme et donnait comme base à l’idée poétique l’idée scientifique. Ainsi se trouva créée par le génie novateur de René Ghil et son habileté à réunir les mots les moins faits pour être assemblés la Poésie scientifique, faite des couleurs des voyelles, des correspondances des syllabes avec des sons d’instruments, et des mystères les plus attrayants de la biologie, de l’histologie, de la chimie, de la sociologie, etc., etc. Enfin, en 1889, René Ghil, passant de la théorie à la pratique, commença l’œuvre qu’il avait annoncée. Cette œuvre, sous le titre tout simple d’Œuvre, se divise en trois parties : Dire du Mieux — Dire des Sangs — Dire de la Loi. La première est achevée complètement avec cinq livres : Le Meilleur Devenir, Le Geste ingénu, La Preuve égoïste, Le Vœu de Vivre et L’Ordre Altruiste, formant ensemble huit volumes286. La deuxième partie a été commencée en 1898 avec un premier livre : Le Pas humain287, formant un volume. Elle se continuera par quatre autres livres Les Génitures, Les Sens nouveaux, Le Monde mortel et Le Devenir. Puis viendra la troisième partie, avec plusieurs livres, qui formeront eux-mêmes plusieurs volumes288.
« L’œuvre est une. De même que tous les volumes se relient les uns aux autres, se font suite et se pénètrent par l’idée générale et les motifs musicaux, comme les instants d’un drame lyrique, de même tous les poèmes sont solidaires et se complètent, voix multiples pour un dire unique. C’est pourquoi ces poèmes n’ont point de titre, comme habituellement, mais simplement des numéros de chapitre. Seuls, la marche et le mouvement des idées y marquent des sortes de strophes, un peu irrégulières, car la strophe ancienne est répudiée par le poète au même titre que les silves289 de poèmes sans pensée générale et écrits uniquement selon l’inspiration. Le rêve scientifique domine cette œuvre où l’auteur, dans son écriture, veut synthétiser les différentes formes d’art, littéraire, musicale, picturale et plastique. Toute œuvre poétique n’a de valeur qu’autant qu’elle se prolonge en suggestion des lois qui ordonnent et unissent l’Être total du monde, évoluant selon des mêmes rythmes, conclura, en 1904, l’édition définitive sous le titre ne varietur de En méthode à l’Œuvre, que portait déjà l’édition de 1891. Et l’auteur procédant en compositeur bien plus qu’en littérateur, il faut le comprendre comme le musicien verbal d’un grand drame où se fait, avec seulement des mots auxquels il prétend donner des significations orchestrales, une synthèse à la fois biologique, historique et philosophique de l’Homme depuis les Origines. »
Ainsi, du moins, l’expliquait René Ghil.
René Ghil a collaboré à La Décadence, au Décadent, à La Pléiade, 1re série, au Scapin et à La Vogue, 1re série, 1886 ; aux Écrits pour l’Art, 1887-1890 ; — à La Wallonie, 1887, 88 et 89 ; — à la Revue indépendante, 4e série, 1889 ; — à L’Art littéraire, 1894 ; — à La Question sociale, 1897, etc. Il a également fait reparaître, sous sa direction et celle de M. Jean Royère, Les Écrits pour l’art, pendant une année (1905-1906) et publié, depuis 1904, pendant plusieurs années, des études sur la poésie française dans la revue Viessy (la Balance), de Moscou.
René Ghil est mort à Niort, le 15 septembre 1925.
282 Prononcer un G dur. Dans son entretien avec Robert Mallet, le nom de René Ghill provoquera un grand rire de PL qui ajoutera « Je n’en pense rien du tout […] Ça doit être archi-mort, tout ça ». La notice de René Ghill a été rédigée par Paul Léautaud depuis son entrée dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui. Ce texte, identique à celui de l’édition de 1908, diffère assez de celui de la première édition de 1900. Autant le dire d’entrée, ce texte est une purge. Le nom de René Ghil fait venir à l’esprit la première ligne de la notice de Jacques Robichez dans son Précis de littérature française du XXe siècle édité aux Puf en 1985 (480 pages) : « L’œuvre de René Ghil a peu de chance de secouer l’oubli qui la recouvre. »
283 René Ghil, Traité du Verbe, avec avant-dire de Stéphane Mallarmé, chez Giraud, 18, rue Drouot, 1886, trente pages. Dans son Précis de littérature française (note ci-dessus), Jacques Robichez écrit : « Ce célèbre “avant-dire” renseigne peu sur Ghil mais beaucoup sur Mallarmé et sa conception du langage poétique. »
284 Allusion au sonnet Voyelles, de 1871, publié en octobre 1883 dans la revue Lutèce, de Léo Trézenik.
285 Chez Alkan et Lévy, mai 1887, 54 pages. Gaston Dubedat (1863-1890), critique musical au Scapin en 1886, directeur-gérant des Écrits pour l’art de 1887 à sa mort. Voir le Mercure numéro sept de juillet 1890 au bas de la page 255 : « Notre dernier numéro était sous presse lorsque nous avons appris la mort d’un de nos camarades, Gaston Dubedat, qui avait fondé, en janvier 1887, les Écrits pour l’Art… » Voir aussi la lettre de René Ghil du trente juin 1890 parue dans le Mercure d’août 1890, page 302. Pour Le Scapin voir la page « Le Mercure de France (1890) ».
286 Ces livres ont été réunis en volumes par Léon Vannier et son successeur Albert Messein.
287 René Ghil, Œuvre, I Le dire des sangs, II Le Pas humain, Mercure de France 1898, 92 pages.
288 Cet empilement hiérarchique subira parfois quelques aménagements selon les éditions ou les années.
289 Voir La Silve. Histoire d’une écriture libérée en Europe de l’Antiquité au XVIIIe siècle, études réunies par Perrine Galand et Sylvie Laigneau-Fontaine, Turnhout : Brepols, coll. « Latinitates », 2013, 731 pages. Réservé aux spécialistes.
Remy de Gourmont290
1853-1915
Remy de Gourmont est né au château de La Motte, à Bazoches-au-Houlme291 (Orne), le 4 avril 1858. Il descend de la famille des peintres, graveurs, typographes des XVe et XVIe siècles, au nombre desquels fut Gilles de Gourmont292, à qui l’on doit les premières impressions faites à Paris en caractères grecs et hébreux. Autre détail : Remy de Gourmont, par sa mère, se rattache directement à la famille de François de Malherbe293.
Remy de Gourmont vint à Paris en 1883, et entra presque aussitôt à la Bibliothèque nationale. Il fut révoqué quelques années plus tard, pour avoir publié dans le Mercure de France (avril 1891) un article Le Joujou patriotisme, dont se trouva froissé le patriotisme officiel. Le premier ouvrage de Remy de Gourmont parut en 1886. C’était un roman : Merlette294, dans lequel son originalité se montrait peu, et, qui valait surtout par d’agréables descriptions de la campagne normande. Il faut plutôt considérer comme son vrai début Sixtine295, « roman de la vie cérébrale », paru en 1890. Sous des différences de style fort sensibles et le tour d’esprit des jeunes écrivains de l’époque, on retrouve bien aujourd’hui dans ce livre, où l’analyse est poussée à ses extrêmes limites, les promesses de cette curiosité et de cette souplesse idéologiques qui sont devenues la caractéristique du talent de Remy de Gourmont. Collaborateur au Mercure de France dès sa fondation296, Remy de Gourmont, de 1892 à 1894, collabora en même temps au Journal, puis à L’Écho de Paris, où il donna la plupart des contes qui composent aujourd’hui Histoires magiques297 et D’un pays lointain298. Mais le journalisme contemporain ne pouvait convenir à son art ni à son indépendance d’esprit, et il l’abandonna bientôt pour revenir à l’unique collaboration aux revues littéraires où il trouvait en même temps que plus de goût plus de liberté. On se rendra compte à la bibliographie de l’écrivain (les œuvres) combien la place manquerait dans une simple notice comme celle-ci pour analyser, même très brièvement, les travaux de Remy de Gourmont. Il n’est certainement pas dans la nouvelle littérature de figure plus importante que la sienne, et, par l’étendue et la diversité de ses connaissances comme par la variété de ses productions, il peut être placé à côté d’Anatole France. Poète, critique, dramatiste, érudit, biologiste, philosophe et romancier, philologue et grammairien, son œuvre embrasse tous les domaines intellectuels, montrant chez lui un esprit sans cesse renouvelé, sans cesse enrichi de nouvelles acquisitions, découvrant sans cesse de nouveaux points de vue, sans cesse adroit à de nouvelles déductions. C’est un extraordinaire dissociateur d’idées, a-t-on dit de lui. On pourrait dire aussi : un extraordinaire excitateur d’idées, tant la lecture de ses livres met en mouvement notre propre intelligence et amène à des aperçus auxquels on n’aurait peut-être pas songé. Il semble que ce soit dans cette supériorité intellectuelle encore plus que dans l’isolement où il se complaisait qu’il faille trouver la raison du silence relatif qu’a pendant longtemps observé la critique vis-à-vis de Remy de Gourmont. Un écrivain qui a des idées, de vraies idées et qui le prouve dans tout ce qu’il écrit299, qui reste presque seul à savoir toutes les choses qu’on ne sait plus, et dont l’œuvre ne s’en montre pas moins claire, aisée, souple, écrite comme pour s’amuser, cela déroutait nos juges littéraires, et de peur de se tromper autant que parce qu’ils ne savaient pas trop par quel point commencer, ils se taisaient. Nullement dédain. Ils connaissaient l’œuvre. Uniquement timidité et embarras. On ne pourrait d’ailleurs rien écrire de plus exact et de plus clairvoyant sur Remy de Gourmont que l’étude de M. Louis Dumur, parue, en octobre 1903, dans la Weekly critical Review300. La voici presque entière301 :
« Chez lui, rien qui sente la particularité d’une province, cet exotisme Intérieur. Il n’est ni Méridional ni Breton ; il n’est pas non plus Parisien. C’est un Français de France, et même de la vieille France. Il sera, si vous voulez, un peu du Nord, de ce Nord qui fut le berceau de la langue d’Oïl, le point où s’opéra le plus intimement la fusion du Romain, du Celte et du Franc, et d’où sortit, en définitive, l’histoire, la langue et l’esprit de ce pays. À travers les mailles d’une individualité propre, rien n’est intéressant, chez un écrivain, comme de surprendre ainsi, visible et rassurant, le solide et pur tissu tramé par les siècles, d’en reconnaître le style et d’en manier la moelleuse noblesse.
« Il faut donc être lettré pour goûter pleinement M. de Gourmont. Son œuvre ne saurait s’imposer dès l’abord à la foule simpliste et ignorante. Nul, certes, n’est plus moderne que lui ; mais son modernisme suppose le passé, il est nécessaire d’avoir gravi toute l’échelle pour mettre le pied sur ce dernier échelon. Il est de la grande lignée littéraire ; iI y prend naturellement sa place, en son temps, traditionaliste parce que la race pétille en lui, novateur parce qu’il n’y a de talent et de raison d’exister que dans l’évolution conséquente des idées, du tour, du tempérament.
« Si l’on voulait dresser l’arbre généalogique de M. de Gourmont, ce ne serait pas un jeu absolument vain. Il me semble qu’on y verrait figurer, à leur rang d’ascendance légitime, Renan, Balzac, Stendhal, Chateaubriand, Voltaire, Fénelon, Montaigne ; on y inscrirait, malgré ses protestations probables, Boileau et Vaugelas. Cet arbre plongerait ses racines de tous côtés dans le moyen-âge, le pivot restant acquis à la scolastique et à la théologie ; le sol profond de l’antiquité latine le porterait ; on aurait garde d’oublier la souche du folklore et de la littérature populaire ; le léger afflux étranger serait représenté par l’Italie d’abord, par l’Allemagne de Nietzsche ensuite ; aux marges, enfin, on pourrait ajouter, à titre de quartiers contestables, Villiers de l’Isle-Adam, Gérard de Nerval, Chamfort… et peut-être le marquis de Sade.
« La famille spirituelle de Remy de Gourmont est considérable. Elle l’a grandement établi ; elle a doté sa raison ; elle lui a donné les règles et l’étiquette qui gouvernent sa pensée. Elle ne l’a point confisqué ni tenu en tutelle. Comme ces riches héritiers qui ne se contentent pas de vivre sur leurs rentes mais veulent à leur tour accroître leurs revenus, n’hésitant pas à les transformer au besoin, suivant les fluctuations de l’époque, il a opéré de savants déplacements de fonds, réussi de belles spéculations, et la fortune qu’il possède est aujourd’hui bien à lui.
« Ce ne fut pas sans peine, sans grande intelligence, ni surtout sans un don spécial, aussi rare que précieux, et qui me parait la propriété principale et caractéristique de ce remarquable esprit : le don de transposer, je veux dire de multiplier les facettes de sa sensibilité, de manière à augmenter presque à l’infini le nombre des angles de vision et par suite celui des aspects. Le cerveau de M. de Gourmont est comme l’œil d’une mouche. Il voit tout et chaque fois différemment. Appliquez le fonctionnement phénoménal de cet organe à la quantité immense de sujets dont sa science, sa vaste lecture, son imagination vive et sa pénétration aiguë le mettent à même de disposer, et vous aurez quelque idée de l’œuvre prodigieusement complexe et attrayante qui en est le produit.
« L’appareil, maintenant parfait et dont il tira un si merveilleux parti, ne lui tomba pas tout agencé du ciel. Sa bonne fée en éparpilla sans doute les pièces sur son berceau, mais encore fallait-il les monter et apprendre à s’en servir. On peut suivre, le long de toute l’œuvre de R. de Gourmont, à partir des essais du début jusqu’aux excellents résultats obtenus depuis, l’industrieuse progression de son travail d’ajustement. Chaque expérience a laissé son témoin. C’est même un des cas les plus complets de mise au point et d’accommodation de soi que l’on puisse rencontrer en littérature. À ce titre, aucune de ses productions, fût-ce la moindre, n’est négligeable.
« Je crois que dès l’enfance il écrivit. Au reste, ses premières pages se perdent-elles dans les limbes d’un crépuscule que ne parviendra jamais à percer la perspicacité du plus subtil des bibliophiles302. Il existe de lui nombre d’études, d’articles, de morceaux d’histoire ou de critique, voire des romans, que l’on chercherait en vain au catalogue de ses ouvrages. On trouvera, entre autres, sous sa signature, une collaboration importante aux premiers tomes de la Grande Encyclopédie303. Un long stage à la Bibliothèque Nationale, d’où il sortit avec un certain éclat, à la suite de la publication d’un article que l’on jugea manquer de patriotisme, lui permit de s’adonner au cœur même du couvent, à ses plaisirs de bénédictin. On lui a quelquefois reproché cette érudition. La critique a pu être fondée alors que, la canalisation n’étant pas complète, l’écrivain se laissait volontiers déborder par la curiosité du fureteur. Elle ne l’est plus. D’ailleurs, ceux qui se livrent à de pareilles appréciations ont vraiment trop l’air de ne le faire que pour justifier leur sordide ignorance. R. de Gourmont n’a pas daigné être un ignorant, et cela n’a nui ni à son esthétique ni à son originalité.
« Muni de cet ample bagage, nanti de documents colligés aux meilleures sources, opulemment fourni de faits et d’idées, ce fut alors qu’il se découvrit en possession de son étonnant instrument d’optique. Il braqua l’objet. Les premières épreuves ne furent pas d’une netteté parfaite. Elles étaient déjà très intéressantes, mais elles semblaient obtenues comme à travers une espèce de brouillard ; la main de l’opérateur avait tremblé, ou le jour n’était pas bon. Ce fut d’abord un roman, Sixtine. Quelle que fût l’incertitude de la manière, y transparaissait de rares qualités de vision, d’écriture et d’analyse. Le livre fut une révélation. Son auteur se classait d’un coup parmi les écrivains de la nouvelle génération dont on devait le plus attendre.
« À dater de ce début, la collaboration de M. Remy de Gourmont aux revues fut constante. Articles, contes, poèmes en prose, poésies alternèrent avec des ouvrages de plus longue haleine, parmi lesquels il faut citer un poème dramatique, Lilith304, un roman, Le Fantôme305, et un important et savant travail sur la poésie latine du moyen âge, Le Latin mystique306. Plusieurs années durant, il donnait au Journal la série des contes dont la matière se trouve réunie dans les deux volumes : Histoires magiques et D’un pays lointain.
« On était alors en plein mouvement symboliste. Faut-il attribuer à la déviation générale des esprits vers l’étrange, le bizarre et le mystérieux, le choix des sujets où semblait se complaire le génie, d’ailleurs capricieux, de M. de Gourmont ? Était-ce la propension naturelle de son goût ? Ou ne serait-ce pas plutôt qu’il cherchait sur ce terrain particulier un surcroit d’originalité que, par trop de défiance envers lui-même, il hésitait à demander à la seule sincérité de son talent ? Quoi qu’il en soit, il passa longtemps, et sans qu’il eût trop à réclamer, pour un écrivain d’un abord difficile, « abscons », comme on disait alors, et ne s’adressant qu’à un groupe d’initiés. Le vêtement même dont il aimait à habiller ses livres — ces premières éditions tirées à petit nombre, sur papiers extraordinaires et dans des formats plus extraordinaires encore, pour la plupart épuisées et qui font aujourd’hui la joie ou le désespoir des amateurs — contribuait à maintenir le public, facilement effarouché, dans une prudente réserve.
« Mais bientôt paraissaient, dans La Revue des Revues, les premiers de ses portraits ou « masques » de poètes et de prosateurs contemporains307, et, au Mercure de France, un roman, Les Chevaux de Diomède308. Là, changement notable. La vision se faisait plus précise ; une jolie clarté baignait les fonds ; le dessin, pur et fin, se détachait en valeur délicate dans un exquis enveloppement de grâce. Cette fois, on était conquis. M. de Gourmont avait eu jusque-là des admirateurs qui se faisaient un devoir de le suivre ; il eut désormais des lecteurs empressés et charmés.
« Un nouveau Livre des Masques309, supérieur encore an premier, un délicieux roman par lettres, Le Songe d’une femme310, enfin quatre remarquables séries d’études littéraires et philosophiques où se concentre ce que la pensée de M. de Gourmont a produit de plus fort et de plus brillant, L’Esthétique de la Langue française311, La Culture des Idées312, Le Chemin de Velours313 et Le Problème du Style314, complétèrent cette heureuse évolution. Maître maintenant de son talent si souple et si divers, il enchante par le jeu multicolore d’une pensée toujours en éveil, d’une fantaisie pleine de sens et d’une forme étonnamment chatoyante, imagée, harmonieuse. C’est un magicien. Depuis Renan, on n’avait rien lu de comparable à certaines pages du Songe d’une femme ou de La Culture des Idées315. »
Depuis cette étude, l’œuvre de Remy de Gourmont n’a cessé de s’enrichir. On en jugera à la liste de ses ouvrages : La Physique de l’amour, Essai sur l’instinct sexuel316, Les Épilogues317 et Dialogues des Amateurs318 qu’il écrivit sur l’actualité dans chaque numéro du Mercure de France, Les Promenades littéraires319 et Promenades philosophiques320, ses romans : Une nuit au Luxembourg321 et Un cœur virginal322. Il a également dirigé la publication de la Collection des plus belles pages inaugurée par la librairie du Mercure de France, composant personnellement les volumes consacrés à Restif de la Bretonne, Gérard de Nerval, Chamfort, Rivarol, Théophile, Saint-Amant et Cyrano de Bergerac. En un mot, une activité intellectuelle étonnante, qui lui laissait encore le temps de s’occuper de fantaisies littéraires anonymes ou signées de pseudonymes et d’écrire des articles pour des journaux et revues de province et de l’étranger. Ses vers et poèmes en prose sont un coin à part et de peu d’étendue dans son œuvre. Poésie curieuse, étrange, bizarre même, amusement de lettré et de raffiné plutôt que poésie au sens où on l’entend couramment. Aucun lyrisme, à peine de rythme, des images et des notations qui dépassent nos goûts et nos habitudes. Elle avait sa place dans cet ouvrage, comme une fleur rare au milieu de tout un bouquet.
Remy de Gourmont est mort à Paris, le 27 septembre 1915. Un monument, dû à Mme Jean de Gourmont, lui a été élevé à Coutances323, sa ville natale, et une plaque commémorative apposée, par les soins de la Ville de Paris, sur la maison dans laquelle il a vécu ses dernières années, 71, rue des Saints-Pères.
290 Remy de Gourmont est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la deuxième édition en 1908. À la lecture, ce texte non signé peut être attribué à Adolphe van Bever. Ce texte est très semblable à celui de l’édition de 1908.
291 Corrigé de Bazoches-en-Houlme. Bazoches-au-Houlme (61210) est à soixante kilomètres au sud de Caen.
292 Gilles de Gourmont semble avoir demeuré à Paris entre 1499 et 1533. Avec ses deux frères, Robert et Jean, il est originaire de Saint-Germain-de-Varreville, sur la côte est du Cotentin.
293 François de Malherbe (1555-1628), poète officiel à la cour d’Henry IV.
294 Remy de Gourmont, Merlette, Plon, Nourrit et cie, début 1886, 287 pages. Remy de Gourmont n’inscrira pas Merlette dans la liste de ses œuvres.
295 Remy de Gourmont, Sixtine « roman de la vie cérébrale » dédié à Villiers de l’Isle-Adam. Albert Savine, 1890. Mercure de septembre 1890, page 336 : « C’est le 20 septembre que la librairie Albert Savine mettra en vente le roman annoncé de notre collaborateur Remy de Gourmont : Sixtine. » Le personnage de Sixtine a été largement inspiré de Berthe de Courrière. Sixtine a été réédité au Mercure de France en septembre 2016. Beaucoup de références ici ont pu être enrichies grâce à l’incontournable site des Amateurs de Remy de Gourmont.
296 C’est Louis Denise, son collège de la BNF, qui amena Remy de Gourmont au Mercure de France. Le premier texte, signé R. G. (il a pu y en avoir de non signés), est paru dans le numéro trois (mars 1890, page 91).
297 Remy de Gourmont, Histoires magiques, Mercure 1894 (achevé d’imprimer au Mans, le 25 octobre 1893 à 299 exemplaires) 201 pages.

298 Remy de Gourmont D’un pays lointain, Mercure de France 1898. Voir la chronique de Rachilde dans le Mercure de janvier 1898, page 225 : « Doué d’une ironie très orientale car il s’adorne de soieries et de pierres précieuses comme un sultan, le fatalisme de Remy de Gourmont ne nous attriste pas, il nous fascine, c’est une arme rare et jolie dont il fait bon mourir en plusieurs fois, à petits coup savants… »
299 Note d’Adolphe van Bever : « “J’écris pour clarifier mes idées”, a-t-il dit quelque part. »
300 En 1903, l’hebdomadaire d’Arthur Bles The Weekly critical review, 336, rue Saint-Honoré où écrivait parfois Jules Claretie, Remy de Gourmont, Louis Dumur et d’autres, avait entrepris une enquête sur le roman contemporain. Bien entendu les auteurs des Poètes d’aujourd’hui avaient été sollicités et aussi Paul Léautaud. Voir sa réponse, sous le nom de Dupont Alexandre, datée du neuf novembre 1903. Cette revue paraissait à Paris en anglais et en français.
301 Cette étude de Louis Dumur s’étend sur les douze chapitres suivants.
302 Une tentative très aboutie — et peut-être définitive — est quand même donnée par « Les amateurs de Remy de Gourmont ».
303 La Grande encyclopédie, « inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, par une société de savants et de gens de lettres », chez Lamirault et cie, éditeurs, 61, rue de Rennes, 31 volumes. Voir le texte de Remy de Gourmont dans le Mercure de janvier 1903, à partir de la page 138.
304 Lilith a d’abord été publié en 1892 dans la revue les Essais d’Art libre (dans laquelle RdG tenait une large place) avant de paraître en volume au Mercure de France au printemps 1901.
305 Le Fantôme a d’abord été publié dans les numéros du Mercure de janvier, février et mars 1892 avant de paraître en volume dans la même maison en 1893 (337 exemplaires numérotés et signés par l’auteur).
306 Le Latin mystique : les poètes de l’antiphonaire et la symbolique au moyen âge, accompagné d’une préface de J.-K. Huysmans (note 48), Mercure, septembre 1892, 400 pages. Un court fragment du Latin mystique « Les séquences de Sainte-Hildegarde » est paru dans le Mercure de septembre 1892, pages 22 à 28.

Couverture de l’édition originale de 1892 ornée d’une miniature de Charles Filiger.
307 Le Livre des masques — Portraits symbolistes — Gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui. Les masques dessinés par Félix Vallotton sont au nombre de XXX. Mercure de France automne 1896. Les trente auteurs sont : Maurice Maeterlinck*, Émile Verhaeren*, Henri de Régnier*, Francis Vielé-Griffin*, Stéphane Mallarmé*, Albert Samain*, Pierre Quillard*, À.-F. Herold, Adolphe Retté*, Villiers de l’Isle-Adam, Laurent Tailhade*, Jules Renard, Louis Dumur, Georges Eekhoud*, Paul Adam, Lautréamont, Tristan Corbière*, Arthur Rimbaud*, Francis Poitevin, André Gide, Pierre Louÿs*, Rachilde, J.-K. Huysmans, Jules Laforgue*, Jean Moréas*, Stuart Merrill*, Saint-Pol-Roux*, Robert de Montesquiou*, Gustave Kahn*, Paul Verlaine.
308 Remy de Gourmont, Les Chevaux de Diomède, Mercure 1897, 254 pages.
309 Remy de Gourmont, Le IIme livre des masques. Les masques, au nombre de XXIII son dessinés par Félix Vallotton. Mercure 1898, 303 pages (achevé d’imprimer le quinze avril). On peut noter la surprenante faute typographique à « IIme ». Les vingt-deux personnalités sont Francis Jammes*, Paul Fort*, Hugues Rebell, Félix Fénéon, Léon Bloy, Jean Lorrain, Édouard Dujardin*, Maurice Barrès, Camille Mauclair*, Victor Charbonnel, Alfred Vallette, Max Elskamp*, Henri Mazel, Marcel Schwob, Paul Claudel, René Ghil*, André Fontainas*, Jehan Rictus, Henry Bataille*, Éphraïm Mikhaël*, Albert Aurier, Les Goncourt, [Ernest] Hello.
310 Remy de Gourmont, Le Songe d’une femme « roman familier », Mercure 1899 (achevé d’imprimer le vingt octobre après le dépôt du manuscrit le trente août). Ce roman a été publié en deux parties dans les numéros d’octobre et de novembre du Mercure (pages 5-69 et 418-476).
311 L’Esthétique de la langue française — La déformation, la métaphore, le cliché et le vers libre, le vers populaire — Mercure de France, printemps 1899 (achevé d’imprimer le quatre mai), 324 pages.
312 La Culture des idées — Du style ou de l’écriture, la création subconsciente, la dissociation des idées, Stéphane Mallarmé et l’idée de décadence, le paganisme éternel, la morale de l’amour, ironies et paradoxes, Mercure, 1900 (achevé d’imprimer le quinze octobre), 320 pages.
313 Le Chemin de velours — Nouvelles dissociations d’idées, Mercure 1902 (achevé d’imprimer le 26 avril), 308 pages.
314 Le Problème du style — Questions d’Art, de Littérature et de Grammaire, Mercure 1902 (achevé d’imprimer le huit octobre), 283 pages.
315 Fin de la citation de l’article de Louis Dumur.
316 Physique de l’amour — Essai sur l’instinct sexuel, Mercure, automne 1903, 295 pages.
317 Remy de Gourmont a signé sous son nom 478 articles dans le Mercure dont 320 « Épilogues ». 337 autres articles sont parus sous la signature de « R. de Bury ». À la mort de son frère, Jean de Gourmont a repris cette signature, que l’on retrouve jusqu’en février 1928.
318 Dialogues des amateurs est un sous-titre des Épilogues.
319 Les Promenades littéraires de Remy de Gourmont représentent dix volumes tous parus au Mercure de France, numérotés de 1 à 7 puis de I à III. Les dates d’éditions sont 1904, 1906, 1909, 1912, 1913. Les éditions suivantes sont posthumes : 1926 et 1927 pour les volumes 6 et 7. Les trois derniers volumes sont de 1963 et redonnent quatre-vingt textes des éditions précédentes.
La table des textes de ces volumes, établie depuis les riches informations du site web des Amateurs de Remy de Gourmont : https://is.gd/TNwL2C peut être téléchargée ci-dessous sous forme de fichier pdf.
320 Comme les Promenades littéraires, les Promenades philosophiques sont en plusieurs volumes (trois), parus au Mercure de France en 1905, 1908 et 1909. Comme ci-dessus la liste des textes peut être téléchargée dans les mêmes conditions.
321 Une nuit au Luxembourg, Mercure de France, octobre 1906, 209 pages.
322 Un cœur virginal, Mercure de France 1907 (achevé d’imprimer le vingt mars), 250 pages.
323 Le buste de Remy de Gourmont, en pierre, a été sculpté par Suzanne de Gourmont, épouse de son frère Jean. Ce buste a été inauguré le 24 septembre dans le jardin public de Coutances. Une fête champêtre fut organisée, il y eut un défilé de chars fleuris agrémentés de jeunes filles ; la ville pavoisée trois jours. On joua L’Ombre d’une femme, Louis Dumur prononça une conférence « d’une haute portée littéraire », écrit le journaliste local, ce qui laisse penser qu’il n’y a rien compris. Louise Faure-Favier survola la ville et jeta des photographies et des vers imprimés. Voir l’article de Georges Le Cardonnel (onze pages) dans les « Échos » du Mercure du 15 octobre, à partir de la page 558.
Fernand Gregh324
1873

Fernand Gregh par Calrlo Rim dans Les Nouvelles littéraires du sept avril 1928, page quatre.
M. Fernand Gregh est né à Paris le 14 octobre 1873. Il fit ses études aux lycées Michelet et Condorcet. M. Fernand Gregh a été célèbre pendant un moment, en août 1896, d’une façon assez amusante. Il y avait quelques mois (le 8 janvier 1896), Paul Verlaine était mort. Les articles à son sujet se succédaient dans toutes les revues et dans tous les journaux. Un des premiers, M. Gaston Deschamps325, alors critique littéraire du Temps, avait écrit sur l’auteur de Sagesse, dans ce journal, numéro du 12 janvier, un long article rempli de citations. De son côté, M. Fernand Gregh, qui collaborait à la Revue de Paris, y avait publié, sous le titre de Paul Verlaine, une étude de quelques pages326, dans laquelle il avait reproduit, en faisant bien remarquer qu’il en était l’auteur, le petit poème intitulé Menuet qu’on trouvera dans notre choix, et qui est un pastiche assez réussi de la pièce Chanson d’Automne des Poèmes Saturniens. M. Gaston Deschamps n’a jamais manqué, pour qu’on puisse les relire dans leur ensemble, de réunir en volumes ses articles de critique littéraire. Le jour vint donc où son article sur Paul Verlaine dut prendre place dans un nouveau volume de La Vie et les livres. Désirant sans doute le renforcer de citations nouvelles et manquant probablement des œuvres de Verlaine, M. Gaston Deschamps se référa aux articles publiés ailleurs. Il fut ainsi amené à lire dans la Revue de Paris l’étude de M. Fernand Gregh, y fit la découverte du Menuet, et, le prenant pour un poème de Verlaine, l’inséra dans son article, en le qualifiant de menu chef-d’œuvre (La Vie et les Livres, 4e série327). Si quelqu’un n’eut pas à se plaindre de la méprise du critique, ce fut bien M. Fernand Gregh lui-même. Dans une lettre que publia L’Écho de Paris dans son numéro du 30 août 1896, il la signala et réclama son bien328. La lettre fit le tour de la presse, répandant son nom inconnu la veille. Une certaine curiosité s’ensuivit. On voulut connaître l’œuvre du jeune poète qui avait donné à ce point l’illusion d’un grand poète, et M. Fernand Gregh, à qui tout ce bruit avait procuré un éditeur, rassembla ses vers et publia quelques mois après son premier recueil La Maison de l’Enfance329, d’un ton à la fois juvénile et grave, et qui confirmait les grandes qualités d’habileté révélées par le Menuet. L’ouvrage, accueilli par un article élogieux de François Coppée, eut plusieurs éditions, et mérita la même année à son auteur le prix Archon-Despérouses à l’Académie française. Depuis, M. Fernand Gregh a publié bien d’autres recueils de vers Les Clartés humaines330, L’Or des minutes331, qui l’ont montré chaque lois un poète sensible, sincère, — et toujours adroit. On a de lui aussi un volume de critique : La Fenêtre ouverte332.
Très mêlé, à une certaine époque, aux discussions théoriques concernant la poésie, et très désireux de devenir le chef d’un groupe, M. Fernand Gregh rêva, un moment, de fonder une nouvelle école littéraire. Il en avait trouvé le nom L’Humanisme333, et M. Gaston Deschamps, qui ne lui gardait pas rancune, lui avait accordé son patronage. Cette tentative n’a pas abouti, les disciples ont manqué et il n’est resté de ce projet que son appellation : L’Humanisme, dont on n’a jamais très bien su ce qu’elle voulait dire.
M. Fernand Gregh a épousé en 1903 Mme Harlette Hayem334. Il a été fait Officier de la Légion d’honneur en 1913. Il a collaboré à La Revue de Paris, à La Revue blanche, à La Vogue (nouvelle série 1897), au Mercure de France335, au Gaulois, à la revue Les Lettres fondée par lui en 1906, au Figaro, aux Nouvelles littéraires336.
324 Notice rédigée par Paul Léautaud depuis l’entrée de Fernand Gregh dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui en 1900 et juste mise à jour pour l’édition de 1908.
325 Gaston Deschamps (1861-1931), normalien, membre de l’École française d’Athènes en 1885. Rédacteur, puis secrétaire de la rédaction du Journal des Débats, Gaston Deschamps a succédé à Anatole France comme critique littéraire du Temps. Professeur au Collège de France, il a collaboré à la Revue Bleue, à la Revue des deux Mondes, à la Revue de Paris, au Figaro. Gaston Deschamps a publié des poèmes et des ouvrages critiques. Il a publié aussi une biographie de Marivaux et une autre de Pierre Waldeck-Rousseau. Député des Deux-Sèvres de 1919 à 1924. Gaston Deschamps fut président de la commission des Beaux-Arts. Il a écrit dans Le Temps du trois février 1901, page deux, un élogieux article sur les Poètes d’aujourd’hui dans sa rubrique « La vie littéraire » : « Vingt ans de poésie », deux colonnes et demie. On ne confondra pas Gaston Descamps avec Léon Deschamps (1863-1899), romancier et poète, fondateur de la revue littéraire La Plume en avril 1889.
326 Dans la première édition de cette notice, en 1900, Paul Léautaud avait indiqué que cette publication avait eu lieu dans le numéro du 1er février 1896 de La Revue de Paris. Cette référence a disparu dès l’édition de 1908.
327 Dans la première édition de cette notice, en 1900, Paul Léautaud avait indiqué « 3e série », ce qui est plus conforme à la réalité, le chapitre Verlaine s’y trouvant pages 37 à 68.

La couverture et le bas de la page 64 de l’ouvrage de Gaston Deschamps La Vie et les Livres, troisième série
328 Cet « Écho » signé du « Nain Jaune » répond à un « Écho » de la veille au bas de la colonne trois, que voici : « Je reçois la lettre suivante. Elle pose un problème de paternité littéraire dont M. Gaston Deschamps est plus à même que quiconque de nous donner la solution : / “Cher Monsieur le Nain Jaune, / Je lis dans le dernier volume de La Vie et des livres, par M. Gaston Deschamps, pages 64 et 65, une poésie, « un menuet, un menu chef d’œuvre », comme s’exprime le critique du Temps, commençant ainsi : / La tristesse des menuets / Fait chanter mes désirs muets / et que M. Deschamps attribue à Paul Verlaine. Puis-je compter sur votre obligeante compétence pour m’indiquer où a paru dans l’œuvre verlainienne cette pièce exquise ? Car ni dans l’Anthologie de Charpentier et Fasquelle, ni dans les volumes séparés de Vannier, Poèmes saturniens, Fêtes galantes, Romances sans paroles, etc., je n’ai pu la trouver. / Veuillez agréer, etc. / Un lecteur de L’Écho de Paris.” »

329 Fernand Gregh, La Maison de l’enfance, Calmann Lévy 1897, 239 pages.
330 Fernand Gregh, Les Clartés humaines, Flammarion 1904, 225 pages.
331 Fernand Gregh, L’Or des minutes, Charpentier-Fasquelle 1905, 291 pages.
332 Fernand Gregh, La Fenêtre ouverte, « pages sur Hugo, Verlaine, Rodenbach, Régnier, France, Maupassant, d’Annunzio, Hervieu, de Curel, Mirbeau, de Porto-Riche, Rostand, Saint-Saëns etc., suivies de divers Essais et Poèmes en prose. » Charpentier-Fasquelle 1901, 290 pages.
333 Voir l’article (deux colonnes et demie) en une du Figaro du douze décembre 1902, précédé de ce chapeau : « L’Article de notre éminent collaborateur M. A. Claveau sur l’Humanisme ayant vivement ému la jeune école littéraire qui s’inspire de cette doctrine, nous avons cru intéressant et utile, pour la loyauté de la discussion, de mettre sous les yeux de nos lecteurs la réponse de Monsieur Fernand Gregh qui, par ses beaux poèmes La Maison de l’enfance et La Beauté de vivre, s’est placé au premier rang de la nouvelle génération poétique. »
334 Harlette Hayem (1881-1958), femme de lettres, qui lui a donné deux enfants. Sous le nom d’Harlette Fernand Gregh elle a publié une série de quatre honnêtes poèmes « Avant la victoire » dans le Mercure du premier novembre 1918.
335 Des poèmes dans les numéros des premier mai 1905, seize février 1917 et premier mars 1931.
336 Ajoutons en 2022 que Fernand Gregh a été élu à l’Académie française le 29 janvier 1953 contre Bernard Grasset mais après treize échecs. Il a été reçu le quatre juin 1953, à l’âge de 79 ans, par Jules Romains.
Charles Guérin337
1873-1907
Charles Guérin, qui est mort le 17 mars 1907, était né à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), le 29 décembre 1873, d’une grande famille d’industriels. Il avait fait ses études à Nancy, et vivait en voyageur, tantôt en France, à Lunéville dans sa famille, ou à Paris avec des amis, tantôt en Allemagne, tantôt en Italie. Après avoir débuté en 1894 et 1895 par des plaquettes et des volumes hors commerce qui ne faisaient guère prévoir le très intéressant poète que devait révéler en 1898 Le Cœur solitaire338, Charles Guérin était vite parvenu à une assez grande réputation, collaborant à la Revue des Deux Mondes en même temps qu’au Mercure de France339, apprécié des maîtres et de la critique comme de ses camarades de lettres. La poésie de Charles Guérin, qu’on peut apparenter par certains côtés à celle d’Alfred de Vigny340 et de Sully Prudhomme, est une poésie de nuances, d’analyse, qui fait penser en même temps qu’elle émeut341. Elle est aussi, par endroits, la poésie d’un artiste et d’un raffiné. L’auteur excelle à commencer un poème par des vers pleins de musique et de rêverie, qu’on ne peut plus oublier :
O mon ami, mon vieil ami, mon seul ami,
Rappelle-toi nos soirs de tristesse parmi
L’ombre tiède et l’odeur des roses du Musée…
Beaucoup des poèmes contenus dans Le Cœur solitaire débutent sur ce ton. On lira dans notre choix la pièce À Francis Jammes342, une des plus remarquables de la nouvelle poésie, et, à notre sens, le chef-d’œuvre de Charles Guérin, — une pièce, d’ailleurs, qui a fait école et qu’on a fort imitée sans l’égaler. Il ne faudrait pas toutefois y chercher une image fidèle et complète du sentiment et de l’esprit qui animaient le poète dans ses dernières années. Depuis qu’il l’avait écrite, Charles Guérin avait subi une crise morale, un retour au catholicisme, ce qu’il a appelé quelque part l’inquiétude de Dieu. La nouvelle édition du Cœur solitaire, en 1904, contenait déjà quelques exemples de cette transformation, encore accentuée dans Le Semeur de Cendres343. Mais c’est surtout dans les poèmes de son dernier ouvrage, L’Homme intérieur344, qu’on en trouve les témoignages les plus expressifs. Ces poèmes sont souvent froids, sévères, monotones, à peine éclairés par instants d’un peu de chaleur et de couleur, reste des anciennes inspirations du poète. Ce n’est plus, comme autrefois, le lyrique qui vibre et qui chante, l’artiste qui jouit des mots rares et des sonorités. C’est l’esprit qui réfléchit et qui analyse, c’est l’homme qui doute et qui s’humilie, c’est le croyant qui se détourne de la vie pour ne plus songer qu’à la mort. Les poètes sont rares à qui la foi retrouvée donne la nouvelle jeunesse et les accents d’un Verlaine. Chez Charles Guérin, elle semblait plutôt avoir éteint tous les dons du poète pour ne plus laisser place qu’à l’analyste, et l’on retire presque cette impression, à lire ses derniers vers, qu’il n’aurait plus, désormais, beaucoup écrit.
En plus du Mercure de France345 et de la Revue des Deux-Mondes cités plus haut, Charles Guérin avait collaboré au Sonnet, qu’il avait fondé à Nancy, à La Revue Blanche, à L’Ermitage, à La Revue de Paris, à L’Image et au Réveil de Gand.
337 Notice rédigée par Paul Léautaud pour l’entrée de Charles Guérin dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui en 1900 et peu modifiée depuis. Dans son entretien à la radio, PL dira de lui « C’était un homme si charmant ».
338 Charles Guérin, Le Cœur solitaire, Mercure de France 1898, 147 pages, 413 exemplaires numérotés.
339 Dans dix-huit numéros entre juin 1894 et mai 1905.
340 Alfred de Vigny (1797-1863) est militaire issu d’une longue lignée de militaires, ce qui conduit rarement à la poésie et jamais à une poésie de qualité. Disons qu’il est l’exception, encore que… Alfred de Vigny a été élu à l’Académie française en 1845, à la huitième tentative par une assemblée hostile. Son discours de réception, exceptionnellement long (57 000 caractères) et ne répondant pas aux critères de soumission de l’époque, a reçu une vigoureuse réponse de Mathieu Molé en deux fois moins de phrases, dans lesquelles jamais le mot romantisme n’a été prononcé.
341 Malgré ces mots flatteurs, le léautaldien sait que les références à Alfred de Vigny ou à Sully Prudhomme (note 164) ne sont pas un compliment sous la plume de Paul Léautaud, qui écrit le 22 septembre 1907 : « Été voir Gourmont de six à sept. Parlé de l’inexprimable sottise de la poésie de Sully Prudhomme. Un grand poète ? On ne peut plus rire. C’est une profonde tristesse qu’on éprouve, en considérant d’une part l’œuvre, et de l’autre, la réputation. Je feuilletais l’autre matin, passant sous l’Odéon, un volume de Sully Prudhomme, Le Prisme, je crois. L’homme qui a écrit ces pauvretés passe pour un grand poète. » Voir aussi au six décembre 1907 après sa mort, à l’occasion d’un monument à Charles Guérin : « C’est délicat à dire, mais je le dis : quelle exagération. Les derniers vers de Charles Guérin ne valent absolument rien… »
342 Charles Guérin et Francis Jammes* étaient amis. Voir la lettre à Francis Jammes datée du 27 novembre 1899 dans laquelle Paul Léautaud décrit les ambitions des Poètes d’aujourd’hui : « depuis Ronsard jusqu’à Guérin » et « j’entrevois de vous une image indulgente et simple, historiée des admirables vers que Guérin a composés sur vous. » Ce début du Cœur solitaire ressemble aux hommages que les poètes officiels composaient en hommage obligé à leur roi : « Ô Jammes, ta maison ressemble à ton visage. / Une barbe de lierre y grimpe ; un cèdre ombrage / De ses larges rameaux les pentes de ton toit, / Et comme lui ton cœur est sombre, fier et droit. »
343 Charles Guérin, Le Semeur de Cendres — 1898-1900, Mercure 1901, 234 pages.
344 Charles Guérin, L’Homme intérieur — 1901-1905, Mercure 1905 (achevé d’imprimer le vingt mai), 187 pages.
345 Charles Guérin a écrit dans dix-huit numéros du Mercure entre septembre 1894 et mai 1905.
Critique de Gustave Kahn dans La Revue Blanche d’aout 1900
MM. Van Bever et Léautaud ont assumé une grosse responsabilité, celle de choisir les meilleurs poètes parmi ceux qui écrivirent de 1880 à 1900 et d’élire, selon leur goût et celui qu’ils attribuent au public, les meilleures pièces des poètes qu’ils préfèrent ou du moins ceux qu’ils croient devoir préférer. M. Alphonse Lemerre lorsqu’il opéra l’Anthologie parnassienne eut soin d’y mettre tout le monde, au moins tous ceux qui voulaient bien lui confier le soin de publier leurs volumes. C’était une formule, la formule du vers de la maison, ainsi que la qualifia son auteur-éditeur. MM. Van Bever et Léautaud n’ont point de ces préoccupations, et si notable partie de leurs poètes choisis sont édités dans la maison même qui publie ce choix (et non cette Anthologie), c’est que le Mercure de France a publié ou réédité beaucoup de bons volumes de vers. En tout cas, tous les édités du Mercure n’y paraissent point, ce qui écarte cette idée de prime quasi commerciale qui fait l’Anthologie Lemerre si longue et pourtant si peu variée. Quant au choix lui-même, en admettant qu’on a très bien fait de classer là des aînés tels que Corbière, Verlaine, Mallarmé et Rimbaud, en admettant que M. de Montesquiou figure là, soit par paradoxe, soit à l’ancienneté, il comporte néanmoins certains étonnements. Pourquoi M. Mauclair et non pas M. Charles-Henry Hirsch ? pourquoi M. Magre et non pas M. Pilon ? pourquoi M. Signoret et pas M. Charles Van Lerberghe346 ? Les auteurs nous diront sans doute, nous disent même, mais sous forme dubitative, qu’ils nous donneront un second volume, — expressément, en leur langage, un second bouquet, ce qui est bien flatteur pour les poètes déjà contenus au premier. Il eût été pourtant opportun de grouper ensemble plus de poètes, car, qu’on m’entende bien, je ne reproche pas à MM. Van Bever et Léautaud d’avoir placé dans leur recueil M. Mauclair, M. Magre et M. Signoret, je regrette qu’ils n’y aient pas mis aussi M. Hirsch, M. Pilon, M. Charles Van Lerberghe qui est un très bon poète. Je suis très étonné de ne pas voir là M. Mockel347 qui y a tous droits, M. Sébastien-Charles Leconte, qui en a énormément. Je sais bien que les compilateurs peuvent dire que tout cela n’est pas très facile ; c’est possible, mais ils ont pris cette responsabilité qu’il y aura un second volume fait sur le même plan, contenant aussi des anciens (relativement) et des jeunes. Mais enfin ils ne l’annoncent pas d’une façon certaine. Et comme on parlera de leur livre, parce que leur tentative est intelligente, l’étriqué de l’accomplissement de cette tentative fera dire des sottises à des critiques légers et mal informés, qui prendront ce choix pour une sorte de manifeste autorisé par les écrivains du Mercure, et omettront (car il est plus facile de manipuler une anthologie que des œuvres complètes, et ces messieurs aiment la besogne bien mâchée) les poètes qui ne seront pas là. Et la preuve c’est que M. Doumic348, le distingué bardographe dont se pare la Revue des Deux Mondes a déjà foncé et a étudié ce qu’il appelle le bilan du symbolisme349. Évidemment il y a vu MM. de Régnier et Samain qui lui crèvent périodiquement les yeux, il n’a pas l’air d’avoir vu grand’chose parmi les autres, et il ne se doutera jamais, grâce à vous, MM. Van Bever et Léautaud, que pour étudier le bilan du symbolisme, il faut connaître Van Lerberghe, Mockel, Elskamp, Saint-Pol Roux350. Enfin la préoccupation principale de MM. Van Bever et Léautaud n’était peut-être pas d’éclairer M. Doumic. C’est simplement pour que nous n’ayons pas l’ennui de ne pas voir figurer avec nous de nobles poètes que nous leur demandons un tome encore, ou un tome plus gros. Ils comptent trente poètes, nous sommes bien quarante où l’on peut trouver de bons vers, — je cite ce chiffre académique, et d’à peu près, pour faire plaisir aux commentateurs qui aiment souligner que l’Académie a remarqué certains ouvrages, sanction, pensent-ils, phénomène très indifférent en vérité.
Les notices de ces messieurs sont en général bien faites, instructives. Leurs notes bibliographiques, fournies, dépassent quelquefois le but. Pour ma part : je n’aime point que MM. Van Bever et Léautaud m’attribuent dans leur index une Esthétique des vers polychromes, travail dont je suis innocent351. J’ai publié une Esthétique du verre polychrome, une courte étude sur certains travaux en pâte de verre et particulièrement sur ceux d’Henry Cros, et voilà que je cours le danger qu’un jour M. Doumic, déjà si disposé à m’attribuer les défauts et qualités de M. René Ghil ou de tout autre, ne m’attribue des phénomènes d’audition colorée et tout ce qui peut s’ensuivre. Mais, malgré quelques taches, cette partie du travail peut être considérée comme bien faite. Les poètes anthologiés sont classés par ordre alphabétique (le seul classement possible) et leurs poèmes (sauf ceux de M. Magre), en suivant la série des volumes parus. En choisissant les poèmes de chaque auteur, les compilateurs de cette anthologie n’ont pas eu suffisamment l’audace de leurs poètes, ils ont donné, ayant l’occasion de resserrer en quelques pages des œuvres pour la plupart assez abondantes et diverses, ils ont donné trop calme, trop pâle, ils ont cherché des pièces sages ; ils n’ont pas toujours donné la note la plus forte et la plus personnelle. C’est fâcheux, car voilà un livre qui sera bientôt, je ne dis pas dans toutes les mains, car il y a des mains peu soucieuses de poésie, mais dans beaucoup de mains. Tel qu’il est il ne peut que contribuer à répandre le goût de la poésie, et à faire mieux connaître et goûter les poètes dont il donne des morceaux choisis, et c’est en somme pour la gloire de la poésie et des poètes que MM. Van Bever et Léautaud, qui ont fait aboutir une idée logique et pratique, reçoivent des épigrammes, il est vrai, bénignes. Quand ils auront lu toute leur presse, ils s’écrieront probablement qu’il n’est pas très facile de contenter tout le monde, et ils seront dans le vrai.
Gustave Kahn
346 Cet oubli sera réparé à l’occasion de la deuxième édition.
347 Même remarque que ci-dessus, ainsi que pour Sébastien-Charles Leconte.
348 Normalien, premier de sa promotion en 1879 et aussi premier à l’agrégation de lettres, René Doumic (1860-1937), a été élu à l’Académie française le premier avril 1909 et en a été le secrétaire perpétuel en 1923. Léon Daudet écrira de lui dans ses Souvenirs littéraires : « À qui demandera comment ce néant de Doumic a fait figure d’homme de lettres et de critique, comment il a obtenu une collaboration de vingt ans à la Revue des deux mondes et un fauteuil à l’Académie, je répliquerai : par la platitude. » René Doumic sera directeur de la Revue des deux mondes de 1916 à 1937.
349 René Doumic, « L’Œuvre du symbolisme », Revue des deux mondes, quinze juillet 1900, pages 431-442.
350 Ces poètes seront aussi intégrés à l’édition suivante.
351 C’est en vain que nous avons cherché cette mention dans l’index des deux exemplaires de l’édition de 1900 dont nous disposons (indiqués respectivement quatrième et cinquième édition). Il n’est pas impossible néanmoins, qu’à l’occasion d’un retirage cette référence ait été supprimée.
Et enfin les notices du tome I, à télécharger en PDF.