Émile Bernard

Gens de peinture III

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Dates cliquables : 1929 — Les deux portraits de Paul Léautaud
1930 — L’Esclave nue
1931 — Les Maslowa
1932
1933
1934 — Le buste de Paul Léautaud par Marius Cladel
1936
1937 — Le faux Gauguin
1941 — La mort d’Émile Bernard

Après Fernande Olivier et Ambroise Vollard, vient le tour d’Émile Bernard dans cette série sur les gens de peinture liés à Paul Léautaud et qui se terminera le premier février 2022 par Marie Laurencin.

Le peintre Émile Bernard (1868-1941) a écrit plusieurs ouvrages sur la peinture dont ses Propos sur l’art, deux volumes réédités par Anne Rivière chez Séguier en 1994.

Chroniqueur au Mercure de France depuis 1893 Émile Bernard y a publié trente-trois textes jusqu’en 1938.

Émile Bernard est aussi auteur de quelques romans, dont La Danseuse persane (Calmann-Lévy 1928, 244 pages). Il a aussi publié plusieurs volumes de poésies sous le nom de Jean Dorsal, dont la fameuse Lumière mythique parue en 1933 aux éditions de la Rénovation esthétique, 15, quai Bourbon, c’est-à-dire chez lui. Fameuse parce qu’avec un manque de modestie ou un sens de l’opportunité qui choquent un peu de nos jours, Émile Bernard a inséré en guise de préface une lettre fort élogieuse de Guillaume Apollinaire à son endroit (datée de mars 1909).

Bien entendu on ne confondra pas Émile Bernard avec Jacques Bernard (1880-1952) qui finit par être directeur du Mercure de France en février 1938 après la mort d’Alfred Vallette et le trop bref intermède de Georges Duhamel. Pendant la guerre, Jacques Bernard se livrera à une collaboration enthousiaste avec l’occupant — sans résultat notoire — ce qui lui vaudra, la Libération venue, d’être condamné à cinq ans de prison, à la privation de ses biens et à l’Indignité nationale.

Auriant1 fut l’ami d’Émile Bernard et le mieux est de le laisser décrire son ami à Paul Léautaud :

Je le renseignai en quelques mots et lui appris qu’il était l’inventeur, le créateur du symbolisme pictural, et l’initiateur de Gauguin à Pont-Aven ; que par la suite, ayant voyagé en Orient, en Italie, en Espagne, et médité sur l’Art, que la recherche de la personnalité égarait et perdait de plus en plus, il avait renoué avec la tradition des grands maîtres, au détriment de ce qu’à Paris on nomme la « gloire », mais à l’avantage de son talent qui, retrempé et regaillardi à cette source souveraine, avait gagné en éclat et en vigueur ; qu’il avait partout vécu à sa guise, insoucieux des honneurs et d’une renommée qu’il lui eût fallu payer par des concessions aux marchands, aux critiques et au public ; qu’il avait aussi sculpté des meubles, imagé et tissé des tapisseries, illustré des livres, pour le compte d’Ambroise Vollard notamment, écrit des vers, qui avaient emballé Apollinaire, des romans, passionnément aimé les femmes en un mot que plutôt que du XIXe siècle, il était un homme et un artiste de la Renaissance2

Émile Bernard réalisera un portrait de Paul Léautaud en juillet 1929, dont il sera évidemment question ici, à cette date.

Mais bien avant cela, la première mention d’Émile Bernard dans le Journal littéraire d’un Paul Léautaud enthousiaste est au 19 décembre 1908 :

Dans le dernier Mercure un très bel article d’Émile Bernard sur le « Père Tanguy »3. Émile Bernard a une façon d’écrire qui augmente encore la sincérité de ce qu’il dit. Comment ne pas l’aimer à distance, l’aimer jusqu’à l’adoration, ce bonhomme de Tanguy ! De pareilles gens sont autrement intéressants que les officiels de l’art, de la littérature et du reste.

Mais il faudra attendre le quatre février 1924 pour que le nom d’Émile Bernard paraisse encore dans le Journal de Paul Léautaud, rempli de très nombreux Bernard.

4 février 1924

Auriant a été voir Élémir Bourges4, hier dimanche, avec Émile Bernard. Bourges très fatigué, très usé, très privé de mémoire. Très privé aussi de ne plus pouvoir lire. Il avait l’habitude de lire au moins quatre livres par jour à la Nationale. Toutes ses lectures dansent dans sa mémoire, dit-il, dans un brouillard dans lequel il ne se retrouve plus. Quand il a eu je ne sais plus quel prix de 10 000 francs, il a dit ce jour-là : Nous allons pouvoir prendre une bonne. Il a pris une bonne, en effet, de la même nationalité que sa femme, qui est tchèque, je crois5. Pendant la visite, il a offert quelque boisson à ses visiteurs. Émile Bernard a levé son verre en lui disant : « Buvons à votre santé. » Bourges a répondu : « Buvons aux Beaux-Arts. » Ce n’est pas du tout ridicule. C’est la ferveur d’un homme qui aura aimé passionnément l’art. Il paraît qu’il est assez affecté que La Nef6 ne se vende pas. C’est pourtant un ouvrage assez illisible.

Émile Bernard, Double portrait de Paul Claudel (au centre) et d’Élémir Bourges (1910), acquis par le musée d’Orsay en 2006

1928

17 février 1928

Le roman d’Émile Bernard que commence le Mercure n’est autre que sa propre histoire avec la danseuse Armen Ohanian7 dont il a été l’amant — seulement transposée à une autre époque. Auriant, en me disant cela mercredi dernier, m’a aussi parlé des rapports de Bernard avec Vollard. Il paraît que Bernard ne manque jamais de prendre la défense de Vollard quand on l’attaque devant lui. Un jour que quelqu’un disait que Vollard est plus ou moins honnête, Bernard a répliqué qu’il a souvent travaillé pour lui, que non seulement Vollard l’a toujours laissé entièrement libre dans son travail mais encore l’a toujours fort bien payé et sans manquer d’un centime ! Il raconte que Vollard, à ses débuts, n’étant guère riche, avait emprunté 50 000 francs à un rentoileur de tableaux de la rue de Rennes. Dès qu’il fut en fonds, il le remboursa et le rentoileur raconte lui-même que s’il avait demandé 10 000 francs de plus Vollard les lui aurait donnés sans marchander.

14 juin 1928

J’ai raconté ce soir à Vallette et à Dumur l’histoire du roman d’Émile Bernard : La Danseuse persane, que le Mercure a publié. Bernard voulant faire paraître son roman en volume l’a présenté chez Grasset. Refusé comme la chose la plus ennuyeuse qui soit. Bernard ne s’est pas démonté. Il a écrit à Calmann-Lévy. Calmann-Lévy lui a répondu : Nous publions en principe tous les romans qui ont paru dans le Mercure. Envoyez-nous votre texte. — Bernard l’envoie. On lui écrit de venir. On lui dit que c’est entendu. Le roman paraîtra dans la collection à 9 francs. On lui fait signer le traité. À quelques jours de là, on le fait revenir : Nous avons réfléchi. Votre roman paraîtra dans une autre collection, à 12 francs le volume. Les droits d’auteur sont naturellement plus élevés. Voici un autre traité à signer. — Cela à moi raconté par Auriant, qui fréquente chez Bernard et le tenait de lui.

Auriant m’a aussi montré une invitation qu’il a reçue de Bernard pour l’unique représentation, chez lui, d’une pièce de lui. Il paraît que Bernard est coutumier du fait. Il écrit de temps en temps une pièce, qu’il fait jouer comme cela chez lui, devant des amis, interprétée par ses deux fils et quelques acteurs de province qu’il recrute à cet effet8. Cela, c’est franchement ridicule. Comment un homme de cet âge9 peut-il encore se satisfaire de telles niaiseries. Auriant dit que Bernard a des côtés d’enfant inouïs.

1929 — Les deux portraits de Paul Léautaud

25 juin 1929

C’est décidé. Émile Bernard va faire mon portrait. Auriant m’a donné aujourd’hui rendez-vous de sa part pour le dimanche 7 juillet, 10 heures du matin. Une séance le matin, une séance après le déjeuner, cela suffira. Qu’est-ce que cela va être ? J’ai si peu de chance. Pourvu que pendant la pose je ne me plonge pas dans mes réflexions et ne prenne pas mon air renfrogné. Il faudrait l’air vif, malicieux, hardi, que j’ai dans la conversation.

Dimanche 7 Juillet

Les deux portraits de Paul Léautaud par Émile Bernard, ce sept juillet 1929

Le portrait de gauche, de trois-quarts, a été peint dans la matinée. Il a disparu et il n’en reste plus que cette reproductions photographique en noir et blanc. L’origine même de la photographie semble perdue. La reproduction offerte ci-dessus provient du Choix de pages de Paul Léautaud, par André Rouveyre, paru aux éditions du Bélier en octobre 1946. Cette reproduction suit la page 240 et ne porte aucune indication d’origine.

Dans son Journal littéraire au trois août (le samedi suivant les séances de poses du sept juillet), Paul Léautaud écrit : « J’ai fait porter hier chez Billy une photographie de mon portrait par Émile Bernard. Une lettre de lui ce matin pour me remercier. » Nous relirons ce paragraphe ci-dessous à la date du trois août.

Il est difficile d’imaginer que la photographie ait été prise chez Émile Bernard ; on peut imaginer qu’un peintre n’apprécie pas que l’on photographie ses œuvres. Et faire se déplacer un photographe est cher. Cela signifie alors que Paul Léautaud a très rapidement pris possession de son portrait, l’a porté chez un photographe en début de semaine, au plus tard le mercredi. La photographie a été prise et Paul Léautaud est reparti avec son portrait sous le bras. Le négatif a été développé et tiré en quelques exemplaires (six, comme c’était l’usage ? en quel format ?) dans la soirée puis mis à la poste dans la journée du jeudi au plus tard (la poste fonctionnait bien mieux à l’époque que maintenant). Paul Léautaud a reçu les photos le vendredi et en a immédiatement fait porter une à André Billy, vraisemblablement par un garçon du Mercure. Rien de tout cela n’est indiqué dans le Journal littéraire mais il est vraisemblable que la photo vient de cette série de tirages, dont la presse a parfois besoin, comme nous le verrons le sept octobre prochain.

Le 23 janvier 1941, lors d’une description de sa chambre à coucher nous lirons : « Au-dessus de mon lit, mon portrait par Émile Bernard. » Selon Auriant, dans Vipère Lubrique page 209, cette peinture était encore visible chez Paul Léautaud en juin 1951 lorsque la comédienne Béatrice Altarriba, petite-fille d’Émile Bernard et petite-nièce de Paul Fort, s’est rendue à Fontenay, ce que Paul Léautaud n’a pas noté dans son Journal. (Pour la famille d’Émile Bernard, voir note 13).

L’autoportrait de Goya au musée de Bayonne

Il existe une excellente copie de ce portrait au musée de Castres et depuis le début des années 1960 l’incertitude demeurait de savoir quel était l’original. Ce n’est qu’en 2016 que, suite à une expertise approfondie, l’affaire a été tranchée.

Aujourd’hui chez Émile Bernard, pour mon portrait. Deux séances de pose. L’une de 10 heures du matin à midi. L’autre de 2 heures à 4 heures. Un premier portrait, de trois quarts, drôle, original, plein d’allure, inachevé, moi, si on veut, extrêmement rajeuni, beaucoup du Goya par lui-même du Musée de Bayonne, ce que j’ai dit à Bernard, qui ne le connaît pas. Un second portrait, de profil, complètement manqué et laissé en plan. Aucun contentement pour moi. Je m’attendais à un vrai portrait. Je n’ai qu’une ébauche, une fantaisie10.

Le 15 quai de Bourbon et l’appartement d’Émile Bernard au premier étage. On distingue la plaque indiquant qu’Émile Bernard a habité cette maison

Bernard habite 15, quai de Bourbon, un appartement, même deux, (l’un comme atelier) au premier étage d’un hôtel Louis XIII11, intérieur merveilleusement conservé, parquets, boiseries, solives apparentes, avec la peinture et les ornements de l’époque. Il vit là seul. Fait son ménage, cire ses parquets, fait sa cuisine lui-même. Il a fait lui-même le déjeuner auquel il m’avait invité. Quand je suis arrivé, il m’a demandé la permission de me laisser seul12 un moment pour aller prendre son café du matin chez un bistrot voisin. C’est chez ce bistro qu’à la fin du déjeuner il est allé chercher le café.

Sur la porte de son atelier, à l’intérieur, il y a écrit par lui, au pinceau, en petite écriture élégante :

La peinture ne se fait pas pour vivre mais pour survivre.

[…]

Il a eu douze enfants13. Sept sont morts. Il a encore trois filles, toutes mariées, un garçon marié, un autre en ce moment soldat, et, malade d’une sorte d’angine, en séjour au Val-de-Grâce. Je ne sais s’il a encore sa femme (la sœur de Paul Fort)14.

Quand il a commencé mon portrait, au premier coup de pinceau, il m’a dit : « Vous avez manqué Daumier. C’est lui qu’il vous aurait fallu15. » Encore une observation qui aurait dû le faire me peindre plus réaliste. Je peux dire que rien de ce qui caractérise mon visage ne se trouve sur sa toile : la moquerie, la hardiesse et la rêverie. Nous verrons [ce] que Auriant, qui doit bien me connaître, en dira.

Bernard partage son temps entre Paris et l’Italie. Dès que le froid apparaît ici, il part. Il possède une maison à Tonnerre, dans l’Yonne. Il y passe tout au plus un jour par an.

À côté de sa peinture, ses travaux littéraires. Chez Calmann-Lévy récemment, La Danseuse persane, un roman paru d’abord dans le Mercure. Calmann-Lévy lui a fait un contrat pour deux autres romans. Sur sa table de travail, des vers, en train.

Je crois bien me souvenir qu’il est d’esprit très religieux.

J’oubliais, dans mon portrait, un pan d’étoffe sombre qu’il a peint d’un côté de mon visage. Ce que cela peut bien faire là ? Ces peintres ont de singulières idées16.

Il me vient l’idée que la ressemblance est peut-être prodigieusement difficile à attraper. Tous les grands portraits que nous admirons, d’autrefois ou d’aujourd’hui, ressemblent peut-être à leurs modèles comme celui que vient de faire Bernard me ressemble.

Au moment que j’allais partir, arrivée d’une dame suisse, minaudeuse en diable. Conversation de près d’une heure entre elle et Bernard : tableaux, expositions, ventes. Je ne tenais pas en place de tant de bavardage. La dame pour partir. Bernard n’a-t-il pas l’idée que nous allons du même côté et de m’inviter à l’accompagner. La dame lui ayant serré la main, me dit alors : « Vous venez ? » J’ai dit non. Tant pis. J’aime encore mieux une impolitesse qu’une corvée.

Grande horreur et dégoût comme moi pour l’époque actuelle.

Beaucoup de portraits dans son atelier. Surtout des portraits de femmes. Pas un à mon goût. Tout cela est plat. Deux portraits d’Auriant, faits ces jours-ci. Auriant m’en avait parlé. Un de trois quarts. Un de profil. La même chose que pour moi : extrêmement rajeuni. C’est Auriant à vingt ans, quand il en a trente passés. J’ai le visage extrêmement marqué, des rides profondes. Comme nous parlions d’âge et que je disais le mien : 57 ½, Bernard m’a dit qu’il m’en donnait 60. D’autant plus curieux alors qu’il m’ait fait si rajeuni. Lui en a 62, les cheveux et la barbe tout blancs, mais le visage resté très uni, presque pas une ride, les yeux étonnamment jeunes. Comme je lui en faisais la remarque, auprès de moi si marqué quoique plus jeune, il m’a dit qu’il met cela sur le compte d’une insensibilité complète qu’il a pour tous les ennuis ou soucis.

Pendant toute cette journée passée ensemble, pas un mot sur lui, pas le moindre étalage. La plus parfaite simplicité, avec une grande douceur, pleine de distinction.

Il a fait deux ou trois corrections à mon portrait sur mes indications — qu’il reconnaissait donc justes, notamment à la bouche, qui n’était pas du tout ma bouche, et qui ne l’est guère encore, alors qu’elle est si expressive dans la réalité. Non plus mes yeux, si brillants et si mobiles. Il m’a assuré que l’éclairage dans lequel j’étais me faisait tel qu’il m’a fait. Je suis sûr que s’il me revoyait seulement deux ou trois fois, en visiteur, en conversation, il referait complètement le portrait.

Grand amour pour Baudelaire, on voit cela dans sa conversation. Pour Rimbaud.

Un nu de femme, jolie, que j’avais devant moi pendant le déjeuner, l’a fait me raconter l’histoire d’une malheureuse fille de bordel (c’est elle qui est peinte là) tirée par lui de cette vie, installée par lui à Montmorency (il semble qu’il ait vécu là avec elle), un jeune Roumain riche s’éprenant d’elle, et lui Bernard les réunissant dans un projet de mariage qui ne se serait pas réalisé, sans doute par l’opposition de la famille du jeune homme. Bernard ignore complètement ce qu’elle est devenue.

Pendant le déjeuner, quelques mots sur les bêtes, qui ne l’intéressent pas autrement, c’est visible. Il m’a dit qu’il a vu une fois une course de taureaux et qu’il a trouvé cela très beau. Il est d’avis que du moment que le taureau doit mourir, il vaut mieux pour lui qu’il meure en combattant. Je n’ai rien répliqué.

Samedi 3 août 1929

J’ai fait porter hier chez Billy une photographie de mon portrait par Émile Bernard. Une lettre de lui ce matin pour me remercier. Lui aussi ne me trouve pas absolument ressemblant. Fort adouci et un peu féminisé, mais, enfin, on me reconnaît.

Passé l’après-midi chez Émile Bernard. Je ne me suis pas trop ennuyé. Conversation sur la peinture. J’ai lu dans le volume qu’il m’a donné, des notes sur Whistler17. Je lui ai dit que je pense qu’il doit l’apprécier beaucoup, et combien je trouve juste le mot distinction qu’il lui applique. Dieu sait si j’ai horreur du mot distingué employé pour des œuvres d’art : peinture, musique ou littérature (comme ma chère amie fait à chaque instant), mais le mot distinction est vraiment autre chose.

Auriant18 était présent. Il a dû se manifester chez Bernard (chez qui il est souvent) avec le manque de tact qui lui est habituel, fouillant partout et voulant toujours emporter quelque chose. J’ai pu en juger à certaines paroles de Bernard lui disant, comme il fouillait dans un cartonnier à dessins : « Voyons, Auriant, qu’est-ce que vous cherchez encore. Vous savez pourtant bien que je n’aime pas qu’on fouille dans mes affaires. » Et au départ : « Allons ! J’espère que vous n’emportez rien. »

Paul Gavarni, Autoportrait de 1842

Présent aussi un ami de Bernard, un homme encore jeune, professeur de déclamation, tout à fait le physique de l’emploi, silhouette un peu à la Gavarni19, habit râpé, cheveux ébouriffés rejetés en arrière, visage de valet du répertoire. J’adore les gens de théâtre quand ils ont cet aspect. Je lui ai demandé s’il a lu le Roman comique20. Réponse négative. Je lui ai dit : « Comment ! vous faites du théâtre et vous n’avez pas lu le Roman comique. Mais vous manquez à votre métier. Dépêchez-vous de le lire en attendant de le vivre, peut-être, sait-on jamais ! »

Vendredi 30 Août

Auriant, qui est allé passer trois ou quatre jours chez Émile Bernard, dans sa maison de Tonnerre, a vu là-bas sa femme (la sœur de Paul Fort21). Il m’en a parlé ce soir. Une femme sérieuse, simple, modeste. Grande admiration pour son mari, ne le tracassant, ne le contrariant jamais, ne le questionnant jamais, s’occupant de lui faciliter tout autour de lui. Le soir, le dîner servi, Bernard tardait à descendre. On attendait. La soupe refroidissait. Auriant se met à dire qu’on pourrait peut-être aller chercher Bernard. Non. Cela pourrait le contrarier. Il descendra quand il lui plaira. Il faut l’attendre. Elle a des mots comme celui-ci : « Quand on est la femme d’un grand artiste, il faut savoir s’effacer. » Jamais elle ne se mêle de parler d’art, peinture, littérature. Elle a dit aussi à Auriant : « Nous sommes mariés depuis trente ans. Si je totalise le temps que nous avons passés ensemble, cela fait environ trois ans. » Elle vit complètement à Tonnerre, souvent en compagnie de ses filles et de ses petits-enfants. Elle tient à Tonnerre le piano du cinéma de la ville. (Bernard m’avait dit qu’elle est professeur de piano et inscrite comme telle pour une moitié des appartements du quai Bourbon.) Bernard, de son côté, est extrêmement gentil, doux, prévenant avec elle.

Sa maison de Tonnerre, une vieille maison du XVIIIe siècle, qui a trois étages et deux greniers, est un véritable musée, de tableaux de lui et de tableaux de maîtres, meublée de meubles anciens, et d’autres sculptés par lui.

Mercredi 25 Septembre

J’ai montré ce matin à Rouveyre la reproduction, dans Variétés, de mon portrait par Émile Bernard. Il a eu ce mot : « Il vous a amoindri. »

Lundi 7 Octobre

Trouvé ce matin en arrivant une lettre du directeur de Variétés, m’annonçant sa visite, dans laquelle il me remettra les 500 francs convenus et me restituera la photographie ayant servi à la reproduction de mon portrait par Émile Bernard, — et me disant qu’il espère que je renouvellerai ma collaboration22.

Jeudi 24 octobre

Billy m’a remercié de nouveau de mon portrait (une photographie de la peinture d’Émile Bernard) qui ne me ressemble pas du tout, à son avis, quoiqu’il y ait bien quelque chose de moi, une certaine douceur qu’on ne connaît pas beaucoup. Il trouve que Bernard m’a un peu féminisé, — ce qui ne serait pas, à mon avis, avoir tant manqué à la ressemblance.

Mardi 19 novembre

Auriant m’a dit ce soir que Émile Bernard va donner au Mercure un article sur Stendhal et la peinture. Il en a parlé à Dumur et la chose est entendue23. Il a montré à Auriant son exemplaire des Promenades dans Rome, annotées par lui il y a longtemps. Son travail, avec ses notes, est presque tout fait. Il juge que Stendhal a été un grand connaisseur, un juge excellent en peinture.

Il a aussi raconté à Auriant comment il a connu Baudelaire, pour lequel il a toujours un culte. Il avait dix-huit ans. Il se trouvait chez un ami. Sur une table, les Fleurs du mal. Il regarde négligemment. Deux vers qu’il lit — il les a cités à Auriant qui les a oubliés — le transportent aussitôt d’admiration. Il demande à cet ami de lui prêter le volume. L’ami répond que ce volume est à son frère, qu’il ne peut en disposer, que son frère peut le réclamer le lendemain matin. (Tout cela se passait un soir.) Il consent cependant à le prêter à Bernard jusqu’au lendemain matin. Bernard l’emporte, lit en route, de plus en plus transporté, et arrivé chez lui passe la nuit à le copier.

Auriant m’a aussi parlé de l’Art romantique24, que je lui ai prêté. Il dit qu’il n’est pas compétent pour parler des vers de Baudelaire (le vrai est plutôt qu’il ne doit pas être sensible à la poésie) mais il trouve — avec raison — que Baudelaire, même sans parler de l’étude sur Guys25, est remarquable comme critique : « Des vues, du raisonnement, des idées, tout cela exposé clairement, fortement. »

Vendredi 6 Décembre

Raconté ce soir à Auriant l’histoire Aïda26, presque dans les mêmes termes que je l’ai notée. Je lui ai dit : « Je vais faire comme Bernard. Je vais vous raconter une de mes bonnes fortunes. »

Il m’a ensuite raconté les histoires suivantes, sur Émile Bernard, qu’il tient de lui-même. J’ai dit comme conclusion : « Il faut s’y résigner : à un certain âge, on est ridicule si on s’occupe des femmes. »

Émile Bernard a la manie de tirer des femmes des bordels, pour les « sauver ». J’ai dû noter l’histoire de ce genre qu’il m’a racontée lui-même, le jour qu’il a fait mon portrait. Voici celle racontée ce soir par Auriant.

Bernard tire un jour une femme d’un bordel. Ils vivent ensemble chez lui pendant une quinzaine de jours. Puis il donne à cette femme de quoi se mettre chez elle. Il apprend ensuite qu’elle est malade. Chaque jour il lui porte des médicaments et quelques gâteries. Un jour la concierge l’arrête : « Mon bon monsieur, je suis désolée de vous le dire, mais je vous vois si brave homme, alors qu’on se fiche de vous si bien. » Elle lui raconte que la femme, chez elle, montrant à des copines les choses apportées par Bernard, dit : « Oui, oui, c’est ce vieux con qui m’apporte tout cela. »

Bernard ne bouge plus. Un jour, il est chez lui, à peindre. Il va ouvrir et se trouve en face de la femme en question, qui lui dit : « Comment cela se fait ! On ne vous voit plus ? » Bernard dit simplement : « C’est pour le vieux con ? Il n’est pas là » et il ferme la porte au nez.

Une autre, qu’il tire également d’un bordel. Également quelques jours de vie ensemble chez lui. Elle lui avait dit avoir deux enfants. Un jour elle parle de ses enfants malades, qu’il faut qu’elle aille voir. Bernard lui dit qu’elle ne peut y aller les mains vides. Il lui donne cent francs. Jamais revue. Appris qu’elle avait, en guise d’enfants, un maquereau. Probablement pour lui les cent francs.

1930 — L’Esclave nue

Vendredi 29 Août

Auriant me parle d’Émile Bernard qu’il voit fréquemment. Il vient d’avoir un nouveau roman reçu au Mercure27 et dont Dumur lui a fait des compliments, pour la façon dont il parle des femmes et de l’amour. Il s’est mis aussitôt à en commencer un autre, qui, sous des noms déguisés, et avec une légère intrigue, sera une sorte de confession. Je dis à Auriant que Bernard a somme toute une vie très heureuse : indépendant, travaillant beaucoup, faisant ce qui lui plaît. Il me répond : « Il a aussi une femme admirable (la sœur de Paul Fort). Elle lui laisse faire tout ce qu’il veut. Elle s’efface complètement. Elle-même le dit : “Un artiste ne doit pas s’occuper de sa femme.” Elle a une très grande admiration pour lui. Elle trouve qu’il a le droit de faire tout ce qui lui plaît pour son art, même d’avoir des maîtresses. »

Samedi 30 Août

Ce matin, visite d’Émile Bernard. Il venait rapporter à Dumur un passage arrangé de son roman dont la publication va commencer dans Le Mercure. Il a tenu à venir me dire bonjour en même temps, à me « saluer », comme il m’a dit, car il est la courtoisie même. Le roman en question devait paraître chez Mornay, avec illustrations de Bernard. Au dernier moment, Mme Mornay a mis son veto, pour la façon dont Bernard parle des femmes. Bernard rit beaucoup en racontant cela.

Malgré ses cheveux blancs, sa barbe blanche, il a un air de jeunesse étonnant. Le visage très peu marqué, svelte, agile, toute la tournure d’un jeune homme.

1931 — Les Maslowa

Lundi 5 janvier

Auriant me parle des bonnes fortunes qu’Émile Bernard continue à avoir malgré son âge (64 ans, né en avril 1868(28)). Nous parlons de l’air jeune qu’il a conservé dans toute sa personne, et sur son visage, malgré ses cheveux et sa barbe tout blancs. Également, ses façons douces, courtoises. L’artiste qu’il est, par-dessus le marché. Évidemment, on s’explique qu’il puisse plaire aux femmes. Auriant me dit : « Et à des femmes jeunes ! » Il me dit que Bernard a en ce moment pour maîtresse une jeune femme, 28 ans, son modèle, d’ailleurs. Jolie de visage, mais le corps déjà plus très parfait. Les seins qui tombent, par exemple, chose très visible même quand elle est habillée. Bernard en convient, et a ce mot : « Ça n’a pas d’importance. D’un coup de pinceau, on les relève. »

Auriant me dit qu’il est resté très bien avec ses anciennes maîtresses, chose rarissime plutôt. Il me parle de trois anciennes maîtresses de Bernard, des liaisons qui remontent à quinze ans au moins. Chaque fois que l’une ou l’autre en a l’occasion, elles vont le voir. Chacune dans les meilleurs termes avec lui. L’une d’elles a même été récemment la marraine du dernier enfant de sa fille.

Bernard vient de partir en Italie pour quelque temps. Il paraît qu’il a là-bas aussi ses succès de femmes. Mme Bernard au courant de tout cela, comme je l’ai déjà noté, ne disant rien, acceptant tout, comprenant qu’il a besoin de ces aventures pour son art, avec ce mot : « Quand on a l’honneur d’être la femme d’un artiste comme lui, il faut savoir se sacrifier. »

Étant donné qu’elle est, pour son compte, la plus honnête femme qui soit, ce n’est pas là une femme ordinaire.

Mardi 14 avril

Ce matin, petite visite d’Émile Bernard. Comme nous parlons de choses de la santé, du bonheur de vieillir en se portant bien, des bénéfices qu’on tire de la sobriété en tout, il me dit que la femme de R. (il habite l’appartement au-dessous du leur) vient d’être transportée dans une maison de santé, frappée de paralysie générale : abus du tabac, abus de l’alcool, abus des femmes (lesbiennes), abus de la table. Environ cinquante ans. Il me dit que R. se trouve seul dans ce grand appartement, assez désemparé. Il se demande aussi ce que vont devenir tous les morceaux de sculpture qui se trouvent dans l’atelier de Mme R. (connue comme sculpteur sous le nom de…, je crois). Il voit tout cela tomber, s’effriter et enfin jeté à la rue29.

Mercredi 17 Juin

J’ai oublié de noter ce qu’Auriant m’a raconté avant-hier sur Émile Bernard et qu’il doit tenir de Bernard lui-même. Barthou parle avec un tiers d’Émile Bernard. Il connaît ses livres, ses peintures. Il l’admire beaucoup. Il se renseigne sur lui. Il se met à dire au tiers en question : « Comment ! un pareil homme, à son âge, n’est pas décoré ? Dites-lui que je vais lui faire donner tout de suite la Légion d’honneur, si cela peut lui faire plaisir. »

Ce tiers voit Émile Bernard et le met au courant. Bernard lui dit : « Je n’ai pas besoin de décoration. Ces choses-là ne m’intéressent pas. Mais M. Barthou estime ce que je fais. Vous dites qu’il a de l’admiration pour ma peinture. C’est bien simple, qu’il le prouve en me faisant donner une commande par l’État. Ce sera honorable pour les deux parties. »

Ce tiers rapporte les paroles d’Émile Bernard à Barthou30. Barthou le prie de venir le voir. Quelques jours après, commande de l’État à Émile Bernard, illustration d’un ouvrage quelconque, je crois, rien que les dessins à donner, l’état de ses yeux ne lui permettant pas la gravure, qui sera confiée à un autre artiste, et au bout : 100 000 francs.

Le « tiers » en question est Amboise Vollard. L’« œuvre quelconque » est La Fin de Satan, l’un des derniers poèmes de Victor Hugo. Ce grand ouvrage de 354 pages de 43 x 52 cm, tiré à 120 exemplaires, accompagné d’une cinquantaine d’illustrations d’Émile Bernard, paraîtra au Livre contemporain en 1935. Louis Barthou, qui va mourir en octobre 1934 (au côté d’Alexandre Ier de Yougoslavie) ne le verra pas achevé.

Lundi 22 juin

Basler31 ne trouve aucun talent à Émile Bernard. Un homme très intelligent. Ses livres d’esthétique intéressants. Mais aucun talent comme peintre. Comme argument : rien de vivant. C’est un argument qui me paraît juste. Auriant a défendu Émile Bernard de toutes ses forces. Basler trouve par contre un talent considérable à un nommé Coubine32 dont un paysage et un tableau représentant une jeune fille écrivant une lettre sont pour moi d’une platitude complète.

Othon Coubine, L’écolière (60 x 73 cm).

Ce soir, Auriant sur Émile Bernard. Bernard a toujours la manie de ramasser des « Maslowa33 » pour les régénérer. Il fréquente les bordels, presque chaque jour, et les plus ordinaires, les trouvant pittoresques, et fréquentation nullement platonique, au contraire. Il ne cache pas là qui il est, donne son nom, son adresse. Il y a quelque temps, une femme, une jeune, — il s’occupe surtout des jeunes — se plaint à lui de la vie qu’elle mène. Il lui dit de venir le voir chez lui. Elle vient un jour. La concierge lui dit qu’il est chez lui. Elle monte, sonne, resonne, attend. Personne. Elle repart. Bernard était chez lui et n’avait rien entendu. Apprenant la chose par sa concierge, désolé comme un jeune homme pendant plusieurs jours. Depuis quelques jours, il en a une autre, qu’il a sortie de son établissement, qui vit chez lui. Il lui lit du Victor Hugo, du Baudelaire. Il assure qu’elle s’y intéresse. Il a certainement une grande ingénuité. Auriant m’a rappelé la déconvenue qu’il eut un jour avec une de ces femmes, qu’il entendit le traiter de vieux con, ne se doutant pas qu’il était là.

Émile Bernard a chez lui des tableaux de maîtres de différentes époques, tous rangés dans son atelier ou son salon derrière des toiles. De temps en temps, il en tire un, l’installe sur un chevalet à sa vue, pour vivre un certain temps avec lui. En ce moment, c’est un Mignard34.

Mardi 15 Septembre

Auriant a publié dans le Mercure un excellent article, extrêmement vivant, sur trois tableaux de Courbet35 peu connus et dont on ne sait au juste la destination36. Émile Bernard lui a écrit à ce propos un mot pour le féliciter et dans lequel il fait un grand éloge de Courbet comme peintre de femmes, bien supérieur, selon lui, à Manet, par exemple, et à Degas. Auriant a été le voir pour le remercier et comme Émile Bernard lui a dit qu’il va envoyer au Mercure un écho sur le même sujet37, Auriant lui a dit qu’il devrait en même temps donner son avis sur Courbet et la façon dont il le place bien au-dessus de Manet et de Degas. Émile Bernard s’est tout à fait dérobé sur ce point, disant que ce ne sont pas choses à dire publiquement, au moment justement qu’on fait une exposition Degas38, que cela pourrait être pris pour du dénigrement, pour une mauvaise intention. Auriant surpris de voir un homme comme Émile Bernard offrir ainsi deux faces, des opinions dans le privé, qu’il n’exprime pas publiquement.

Mercredi 16 Septembre

On a reçu au Mercure la lettre d’Émile Bernard au sujet de l’article d’Auriant sur les trois tableaux de Courbet. Elle a été trouvée remarquable. Il y exprime, en la justifiant, toute l’admiration que mérite Courbet. Elle paraîtra dans le prochain numéro39.

Fragment de la lettre d’Émile Bernard à Alfred Vallette parue dans le Mercure du premier octobre 1931

Mardi 29 Septembre

La lettre d’Émile Bernard, dans le Mercure (1er octobre) sur Courbet, à propos de l’article d’Auriant, est en effet très belle, expression et hauteur de vues, tout à fait digne du véritable artiste qu’il est. Il a tout de même été jusqu’au bout de sa pensée sur Courbet, bien supérieur à Manet, Degas et Toulouse-Lautrec comme peintre de la femme.

Vendredi 2 Octobre

Cette après-midi, visite de la Maslowa actuelle d’Émile Bernard, qui se trouve connaître la personne chez qui Mlle Minck40 a mis le chat qu’elle m’a emporté quand je l’ai mise à la porte. Eh ! bien, pour un artiste, Émile Bernard n’est pas difficile : une petite femme, commune, aux traits durs, ni beauté de visage, ni beauté d’expression, ni beauté de corps.

Mardi 8 Décembre

Auriant me raconte ce soir : Émile Bernard a toujours sa dernière « Maslowa ». Il ne peut s’en dépêtrer. Elle a même pris un pied considérable chez lui. Elle donne son avis sur sa peinture, sur les vers qu’il lit. Il travaille en ce moment à une illustration de La Fin de Satan. L’autre jour, Auriant était chez lui. Bernard tire une planche, pour la lui montrer. La jeune personne se met à dire : « Tu vois, que j’ai eu raison de te dire de changer (un détail donné). C’est beaucoup mieux comme cela. » Auriant n’en revenait pas. Il s’est laissé à dire à la Maslowa « Je crois que vous allez un peu loin. Ces choses-là ne sont pas votre affaire. » Elle s’est récriée : « Comment ! Je lui donne au contraire d’excellents avis. » Le plus triste, c’est que Bernard a l’air de subir cette emprise, soit vraie domination, soit résignation. Spectacle pas gai. On ne revient pas de voir un artiste comme lui avoir installé chez lui cette femme, non pas parce qu’elle sort d’un bordel, mais parce qu’elle n’a aucune beauté physique, ni de visage ni de corps, et qu’elle est la vulgarité même.

Bernard a fait son portrait, et, est-ce la rage de ne pouvoir se débarrasser d’elle, il l’a faite criante de vérité, dans toute sa vulgarité. Elle a été furieuse, disant qu’elle n’est pas ainsi, que ce n’est pas elle du tout, elle a pris le portrait et l’a fourré dans le bas d’un placard.

La fille de Bernard et son mari ne sont pas satisfaits de l’intrusion de cette femme chez Bernard et du pied qu’elle y a pris. Auriant s’est trouvé dimanche dernier, je crois, à dîner avec eux chez Bernard. Pendant tout le dîner, le gendre de Bernard n’a fait que parler des femmes qui sortent des bordels, de ce qu’elles sont, de la méfiance qu’il faut avoir à leur égard, etc., etc., cela devant l’intéressée, et en faisant de petits signes d’intelligence par-dessus la table, à Auriant, placé à l’autre bout. Auriant dit qu’il ne savait où se mettre, gêné pour cette femme obligée d’encaisser tout cela.

Elle ne loge pas chez Bernard. Elle a une chambre ou un logement en ville, où elle a ses trois chats, et où elle rentre le soir.

1932

Lundi 11 janvier

Hier dimanche, chez Émile Bernard, dans son atelier, petite matinée, pour exposition de ses tableaux, et récitation de vers de lui, avec musique de sa femme. À soixante ans et, je crois même, plus, donner encore dans ces niaiseries, et n’en être pas gêné ! Est-il possible ? Auriant y était, et Mandin41. Beaucoup de monde, jusque dans l’escalier, des gens pour lesquels il n’y avait plus de place. C’étaient les privilégiés.

Jeudi 24 mars

De Auriant, ce soir, sur Émile Bernard. Il paraît qu’il y a un Émile Bernard tout différent de celui qu’on connaît : doux, aux paroles et aux manières onctueuses, toujours plein de la plus grande politesse et de la plus grande civilité. Les violences racontées par Armen Ohanian dans son livre dont il est le héros42 ne seraient pas inventées : il tape assez volontiers sur ses femmes, et violent en paroles en même temps. Avec cela, assez prudent dans la circonstance : s’interrompant pour aller écouter à la porte d’entrée si personne n’est là pour entendre, et revenant continuer.

La Maslowa — de son petit nom Marine — est toujours là, de plus en plus en pied et maîtresse dans la maison, se mêlant de tout : relations, peintures, lectures. Un volume de vers de Charles Grolleau43 lui étant tombé sous les yeux, elle a eu ce jugement « C’est plein d’âme. »

J’oublie un détail complémentaire sur les violences de Bernard. C’est par sa propre fille qu’Auriant a été renseigné. Bernard tapait sur elle-même sans ménagement. Elle aime beaucoup son mari, mais elle avoue qu’elle ne s’est mariée tout d’abord que pour pouvoir fuir cette maison où elle était rouée de coups.

J’ai déjà raconté que Bernard a voulu un moment, courant de l’année dernière, se débarrasser de la Maslowa. De cette façon : il était allé trouver son gendre. Il lui avait dit : « Tu vas venir à la maison. Tu joueras la comédie. Tu me diras que maman (Mme Émile Bernard) est bien malade, qu’il faut absolument que je parte. Je partirai pour Tonnerre pendant une quinzaine en fermant la porte. Il faudra bien qu’elle se débrouille et j’espère ne pas la retrouver à mon retour. » Ce qui fut fait, le gendre arriva, joua la comédie et Bernard partit. Mais là-bas, sans cesse des lettres de la Maslowa, et Bernard au bout des quinze jours était à peine rentré qu’elle arrivait et se réinstallait. Il paraît qu’il y a une copine qui voudrait bien prendre sa place. La Maslowa lui aurait dit : « Écoute, j’ai perdu un amant auquel je tenais beaucoup. Si tu peux me le retrouver, Je quitterai le vieux et tu pourras prendre ma place. » L’autre s’est beaucoup remuée pour retrouver le garçon, mais n’a rien retrouvé et la Maslowa est toujours là. Auriant est d’avis qu’elle doit taper sur Bernard et qu’elle le tient par la peur, par toutes les menaces qu’elle lui fait, car s’il tape sur ses maîtresses, il est aussi assez porté à la peur. Elle est arrivée à le dominer complètement. Voilà plusieurs fois qu’Auriant le rencontre sur le quai, en train de flâner, après l’heure du déjeuner. Comme il s’étonnait de le voir ainsi dehors au lieu d’être à travailler, Bernard lui a répondu : « C’est elle qui me jette dehors, mon cher. Elle ne veut pas du tout que je sois là quand elle fait le ménage. Alors, je viens traîner, comme cela… »

La fille et le gendre de Bernard furieux de cette histoire. Sans compter que Bernard n’envoie plus que très peu de chose chaque mois à sa femme. Tout l’argent passe à la Maslowa. Pas non plus la moindre retenue. Le gendre a une voiture. Dernièrement, il emmena Bernard et la Maslowa. Le gendre et sa femme étaient au volant. Bernard et la Maslowa dans le fond derrière eux. Tous les deux à s’embrasser à pleine bouche.

Samedi 17 septembre

Émile Bernard a écrit il y a quelques jours à Vallette pour lui proposer un article sur Anquetin44, qui vient de mourir. Vallette a accepté tout de suite. L’article d’Émile Bernard est arrivé avant-hier, apporté par lui. Il est de l’écriture de la « Maslowa » (Auriant et moi nous sommes mis à l’appeler de ce nom tout à fait de circonstance). La voilà promue au rang de secrétaire. Un pied de plus dans la maison.

1933

Mercredi 26 Juillet

Émile Bernard et Auriant partent après-demain soir pour Saint-Malo, trois ou quatre jours, puis de là à Pléchalet45, près de Redon, chez ce curé chez lequel Émile Bernard va restaurer les peintures de son église, tous les deux hébergés là en échange pendant trois ou quatre semaines, n’ayant que leurs frais de voyage, Auriant passant pour l’aide de Bernard. Sans mon manque de bonne, je serais parti avec eux après-demain soir. Une huitaine de jours. Grand plaisir que j’aurais eu là.

Vendredi 15 septembre

N…46 me raconte ce soir : il y a une nouvelle Maslowa chez Émile Bernard. Encore une femme de bordel. Connue par Bernard dans un immonde bordel à cent sous, rue de Fourcy47, où il a emmené un jour N… Il paraît que c’est plein. Une grande salle où toutes les femmes sont là, elles disparaissent avec un client, cinq minutes, et reviennent en prendre un autre. Bernard avait emmené auparavant N… dans un bordel de la rue Grégoire-de-Tours48. Il s’était pris de toquade, là, pour une femme, était même revenu pour lui offrir un exemplaire de sa Danseuse nue avec envoi. Bernard raconte sa vie, ses occupations, à une femme de bordel, comme il la raconterait à toute autre personne qu’il connaîtrait depuis longtemps. N… dit qu’étant retourné une autre fois dans ce bordel de la rue Grégoire-de-Tours avec Bernard, après le don de l’exemplaire de La Danseuse nue, la patronne s’est dérangée pour venir faire à Bernard des compliments de son livre. Pendant qu’il était à Saint-Malo-de-Phyli49 à peindre ses fresques, il était en correspondance avec cette femme de la rue Grégoire-de-Tours. Tout à fait une toquade, mais à son retour, elle avait quitté la maison. N… me raconte que lors de leur séjour, à Rennes, un soir, ne sachant que faire, Bernard s’est mis en quête d’un bordel et y a emmené N… Il a très bien raconté à la femme qu’il avait prise qui il est, ce qu’il fait, qu’il allait chez un curé peindre des fresques dans son église, et que, sans ce curé, il l’aurait emmenée avec lui, racontant également ce qu’était et faisait N… qui l’accompagnait. La femme du bordel de la rue de Fourcy, encouragée par ses façons avec elle, lui a écrit plusieurs lettres déchirantes, sur sa misère, sa triste vie, un enfant qu’elle [a], disant que s’il pouvait la tirer de là elle serait bien heureuse. Il a d’abord été en méfiance sur ces lettres, puis quand même l’a fait venir chez lui, comme modèle, si elle voulait, qu’il la paierait, quelque chose comme 500 francs par mois, puis finalement l’a fait sortir de son bordel et maintenant elle est chez lui à demeure. Aussi laide et vulgaire que la précédente. N… me raconte qu’il a essayé de montrer à Bernard l’imprudence qu’il commettait une nouvelle fois, après l’expérience qu’il a faite avec la précédente. Il paraît en effet que Bernard était arrivé à craindre d’être empoisonné par elle, au point de ne manger et boire rien qui vînt de ses mains. La réponse de Bernard à N… a été celle-ci « Je sais bien. Mais que voulez-vous, ce n’est pas ma faute si je suis sensible à la beauté. »

1934 — Le buste de Paul Léautaud par Marius Cladel

Mardi 6 Mars

Été tantôt à une exposition d’œuvres de Marius Cladel50, à la Librairie du Cygne, boulevard Saint-Germain. Il m’avait envoyé une invitation. Il m’avait offert, il y a quelques années, de faire mon buste. J’avais refusé51. Il me l’a offert de nouveau aujourd’hui. J’ai accepté, tenté par un très beau masque d’homme que j’ai vu à son exposition. Nous ferons cela cet été.

Samedi 17 Mars

Je commence lundi chez Marius Cladel les poses pour mon buste. Cela m’assomme déjà.

Lundi 19 Mars

Première séance de pose aujourd’hui chez Marius Cladel. Une fois de plus, — la première chez Émile Bernard pour mon portrait, — j’acquiers cette opinion qu’il ne faut accorder aucune créance de ressemblance pour les œuvres des artistes, peintures ou sculptures. Tantôt, chez Marius Cladel, un buste du père Lemerre52, que j’ai vu cent fois dans sa boutique passage Choiseul, et que je prenais pour Jaurès. Un masque de Van Bever, que je ne reconnaissais pas. Un buste de Viviani53, pas du tout le Viviani que j’ai rencontré souvent aux abords du Sénat. Il m’a fait « admirer », c’est le mot, un buste d’enfant, marbre, « une commande ». C’est fade comme du Denys Puech54. Pour moi, il ne faut certes pas juger après une première séance d’une heure. Mais je me connais un peu et je ne me retrouve pas. Ce sera encore le je ne sais quoi qui fait un visage, qui manquera.

Jeudi 22 Mars

Séance de pose, de 2 à 3, chez Marius Cladel — c’est la troisième. Il m’a montré un énorme buste de Séverine, destiné à être placé dans un square du côté des Buttes-Chaumont, je crois, et qu’il commence à craindre qu’on lui laisse pour compte55. Aucune ressemblance avec Séverine, que j’ai bien connue. Et il a dans son atelier de très grandes photographies de Séverine, de face et de profil, et il n’a pas vu et continue à ne pas voir, dans son buste, que ce ne sont ni son nez, ni sa bouche, ni la forme de la lèvre supérieure, le nez, surtout, qu’elle avait un peu camus. Il y a pour moi un point curieux dans ce manque d’examen clairvoyant chez un sculpteur entre son modèle et son œuvre. Je crois bien pouvoir juger dès maintenant que mon buste ne me ressemblera pas. Il y aura ce « quelque chose… » comme on dit, mais ce sera probablement tout.

Lundi 16 Avril

Pris possession aujourd’hui de mon buste. Je ne me reconnais toujours pas. Il y a surtout, au-dessus du front, une masse de cheveux à l’artiste qui n’est pas du tout ma coiffure. Je m’étais enhardi, le lendemain de la dernière pose, à retourner chez Marius Cladel pour lui demander de corriger cela. Il était déjà au montage et a prétendu la chose impossible.

Je suis allé tantôt chez le mouleur Lorenzi lui demander si ce travail est faisable sans rien abîmer. Réponse affirmative. Il a trouvé le buste très bien, très ressemblant, et pas fait par le premier venu. Toutefois Marius Cladel devant me le redemander pour l’exposer au prochain Salon d’automne, nous avons renvoyé ce travail quand il en reviendra définitivement. Le procédé ne serait pas aimable de laisser voir la correction à Cladel.

J’ai mis le buste sur le haut du casier à cases des rédacteurs qui est dans mon bureau. Inutile de l’apporter chez moi pour le remporter. Je ne sais, d’ailleurs, où le mettre. Sur la cheminée de mon cabinet de travail, il y a le Diderot de Houdon. Je ne vais pas l’enlever pour me mettre. Sur la commode qui est dans mon cabinet ? Ma nouvelle chienne grimpe constamment dessus pour regarder par la fenêtre. Elle me le ficherait par terre.

J’avais offert très franchement à Cladel, — qui n’est pas riche — de payer les frais de moulage. Il avait accepté très franchement aussi. Coût 60 francs. Plus 6 francs 50 de taxi pour rentrer au Mercure. Me voilà statufié, ou presque, pour 66 francs 50. Plus la modification, si elle est dans mes prix, et si je m’y décide.

Aucune note intéressante en 1935, nous passons en 1936.

1936

Vendredi 28 août

Je demande à Z…56 si l’exposition d’Émile Bernard, rue Jacques-Callot57, est terminée. Il me dit non, qu’elle continue. On a commencé par des tableaux de ses débuts. Ce sont maintenant les tableaux de sa deuxième manière. On exposera ainsi toutes les époques. L’exposition est faite par le gendre de Bernard, propriétaire de la galerie, et qui en a eu l’idée, aux frais de Bernard, bien entendu. Il trouvait que son beau-père n’est pas assez connu. Une exposition ne pouvait que lui faire grand bien. Bernard a trouvé l’idée excellente. Z… me dit qu’on ne voit jamais personne. La galerie est tenue par une fort jolie créature, qui reste là toute la journée, en faisant du crochet. J’ai dit à Z… : « Elle vendra peut-être du crochet. »

J’ai déjà dû noter qu’Émile Bernard est un écrivain remarquable sur la peinture, sur les peintres qu’il a connus, d’un très grand intérêt à chaque ligne. Je le note de nouveau pour qu’on ne croie pas que j’ignore ses mérites.

Jeudi 24 Septembre

Auriant me raconte qu’il y a une petite soirée demain, chez Émile Bernard, à laquelle il est invité avec Mandin. Soirée donnée par Bernard uniquement pour leur lire ses vers. Auriant me dit qu’il en écrit énormément et qu’il ne peut pas se trouver chez lui, ou même le rencontrer dehors, sans qu’il se mette aussitôt à lui en lire, « et c’est long » dit Auriant. Auriant lui parlant l’autre jour de Guy-Charles Cros58, Bernard a eu un mouvement de dédain : « Cela ne compte pas, ce n’est pas un poète. » Auriant lui a opposé en vain la fantaisie charmante de Cros. Bernard fait grand état et parle à tout instant de la lettre que lui a écrite un jour Apollinaire : « Vous êtes un grand poète. » Auriant dit avec raison qu’il ne devrait pas aimer du tout les vers d’Apollinaire, mais le fait d’avoir été traité par lui de grand poète change tout.

Bernard illustre en ce moment-ci Le Paradis perdu de Milton : exemplaire unique, pour je ne sais quel amateur59. Auriant lui a demandé si c’est bien payé. Bernard a répondu : « Pas aussi bien que du temps de Barthou. » La conversation s’est engagée sur Barthou, Bernard en disant le plus grand bien. Comme Auriant faisait un petit rappel de ce qu’on a raconté des désordres et fréquentations de débauché de Barthou, Bernard lui a coupé la parole : « Non, mon cher. Barthou était un homme de génie, il se rendait compte de l’homme que je suis. »

Je suis une nouvelle fois tombé de mon haut qu’on puisse soi-même se juger ainsi, et couper à ce point dans les compliments, même les plus excessifs, qu’on peut recevoir, verbalement ou par écrit. Cela me démonte complètement. Je cherche à me rendre compte comme c’est possible et je ne trouve pas. Je ne peux pas dire que c’est bêtise, puisqu’on voit des hommes intelligents y tomber. Et pourtant je ne puis voir là qu’une certaine bêtise.

Auriant s’est mis alors à me dire que Mandin est de même. Auriant lui ayant dit, à propos de la corvée, pour eux deux, de subir la lecture des vers de Bernard, que ces vers ne valent pas ceux d’Ariel esclave60, Mandin ne se tenait plus, malgré son application à le cacher. Aucun compliment ne lui paraît non plus excessif concernant sa connaissance de Shakespeare et ses articles à ce sujet. Auriant dit aussi que lorsqu’il s’amuse à répéter à Mandin tel ou tel compliment qu’on lui a fait à son sujet, Mandin le lui fait toujours redire.

1937 — Le faux Gauguin

Jeudi 29 juillet

Aujourd’hui, dans les manuscrits à rendre à leurs auteurs, celui d’un roman d’Émile Bernard : Le Mendiant de Vénus, proposé au Mercure pour l’édition. J’ai été curieux de voir la note du lecteur. Elle est d’Achille Ouy61 et j’ai tenu à en prendre copie, tant je la trouve parfaite, dans sa délicatesse, sa déférence pour le talent :

« En valeur absolue, si je puis ainsi dire, le manuscrit de M. Émile Bernard me paraît d’une indiscutable valeur. C’est un artiste, qui sait peindre et narrer.
« Il évoque par instants Henri de Régnier, — ce qui n’est pas un mince mérite.
« Quant à l’éditer, c’est une autre affaire. Il faut bien convenir que ces tableaux de Venise font très 1880.
« Quel avis formuler pour conclure ?
« Je dirai, avec votre permission :
« Avis respectueusement défavorable ».

Comme je disais à Mlle Naudy62 qu’Émile Bernard va être désolé, elle m’a répondu que Duhamel, qui a tenu à lui écrire lui-même, l’a fait en tels termes, lui opposant uniquement la question matérielle, qu’il ne pourra être désolé.

Samedi 21 août 1937

Bachelin63 a trouvé mon portrait par Émile Bernard très ressemblant. À son départ, comme je m’étais habillé et avais mis mon chapeau pour l’accompagner à la gare : « Tenez, en ce moment, vous êtes tout à fait le portrait par Émile Bernard. »

[…]

À propos d’Émile Bernard, il a eu récemment une petite histoire. À l’Exposition64, un tableau de lui65, portant la signature de Gauguin. Il a commencé à protester par une lettre adressée à L’Action française66. Puis, il a fait remettre au Mercure, par Auriant, un long article (quatre pages de la revue) signé Auriant, mais, qui, en réalité, est de lui-même. Le mot scandale apparaissant dès les premières lignes, Duhamel a dit non pour la publication, bien que l’article déjà composé. Bien que le directeur des Beaux-Arts, Huisman67, ne soit pas nommé, il a vu dans cet article une attaque contre lui. « M. Huisman est un fort honnête homme, a-t-il dit à Mandin, et qui fait tout son devoir. » Il faudra que je tâche d’avoir le texte de cet article pour le mettre dans ce Journal. On a rarement fait soi-même son propre éloge à un pareil degré68.

Lundi 23 Août

Je joins ici l’épreuve de l’article Émile Bernard, interdit, c’est bien le mot, par Duhamel.

Cette épreuve n’a hélas pas été reproduite dans les éditions papier du Journal littéraire mais le sera peut-être un jour ici, en annexe.

Puis plus rien jusqu’au 18 avril 1941, Émile Bernard étant mort le mercredi seize.

1941 — La mort d’Émile Bernard

À 1 heure et demie, devant la gare du Luxembourg, je me suis trouvé avec Paul Fort69. Il a pris un visage extrêmement curieux, plein d’intérêt, ses traits encore plus accusés. Resté mince. Coiffé d’un béret. Un long pardessus noir à la boutonnière duquel une grosse rosette de la Légion d’honneur. Un pantalon flottant et trop court pour lui. Il me dit qu’il vient d’apprendre la mort d’Émile Bernard, son beau-frère, — Auriant me l’avait annoncée ce matin, — d’une congestion pulmonaire, et il s’en étonne, une congestion pulmonaire, selon lui, se soignant. En me quittant et me disant au revoir, il me dit : « Je vais me coucher. » Je m’étonne : « Vous êtes malade ? » Il me répond que c’est toujours sa phlébite, qu’elle l’oblige à rester étendu un bon moment chaque jour, qu’il a eu aussi, il y a quelque temps, une grande secousse… Puis : « Je pense souvent à vous. Mais si, Léautaud, c’est quelque chose. Je vous ai mis dans un quartier de Paris. Oui. j’ai écrit un livre sur les quartiers de Paris. Il paraît ces jours-ci chez Flammarion. Je vous ai mis comme personnage dans un quartier70. »

Il ne semble pas que Paul Léautaud se soit rendu à l’enterrement d’Émile Bernard mais à cette époque ce n’était pas très facile.

Dans les années suivantes Paul Léautaud n’évoquera plus Émile Bernard qu’à travers le portrait de 1929, notamment lors de l’exposition « Paul Léautaud » par Jean Loize, ouverte le 24 janvier 1942.

Notes

1       Auriant (Alexandre Hadjivassiliou, 1895-1990), a partagé le bureau de Paul Léautaud au Mercure de 1920 à 1940 et s’est trouvé de ce fait son principal confident, et réciproquement. Voir le Dictionnaire des orientalistes de langue française sur le site web de l’EHESS. Lire également les mémoires de Francis Lacassin : Sur les chemins qui marchent, éditions du Rocher 2006 : « Séduit par sa passion érudite et par ses qualités polyglottes, Vallette l’engagea dans la maison d’édition qui accompagnait la revue. C’est ainsi que chaque jour pendant vingt ans, dans le même bureau, il travaillait avec Paul Léautaud en vis-à-vis.

2       Extrait de Une vipère lubrique, Paul Léautaud, Ambassade du livre, Bruxelles, sans date mais vraisemblablement de 1965. Ce pamphlet sera publié ici dans son intégralité le quinze mai 2022, abondamment annoté. Il en sera plusieurs fois fait mention dans cette page sur Émile Bernard.

3       Julien Tanguy dit le père Tanguy (1825-1894), marchand de couleurs. Julien Tanguy commença à vendre ses couleurs comme colporteur, ce qui lui fit connaître tous les jeunes peintres. Lorsqu’il s’installa en boutique au 14 de la rue Clauzel (où Paul Léautaud passa son enfance), ceux-ci et des plus jeunes prirent l’habitude de passer chez lui et parfois de le payer avec des toiles. Les dix-sept pages de ce « très bel article d’Émile Bernard » sont téléchargeables en PDF ici.

4       Élémir Bourges (1852-1925), d’abord critique dramatique à la revue le Parlement, fonde avec Henri Signoret, la Revue des chefs-d’œuvre (1883-1885), et est parallèlement chroniqueur au journal Le Gaulois. Il est élu membre de l’Académie Goncourt le 7 avril 1900 (au neuvième couvert), chez Léon Hennique, en même temps que Lucien Descaves et Léon Daudet, qui succède à son père. Son élection a surpris. Voir Marie-France David de Palacio : « Élémir Bourges, ou les paradoxes du neuvième couvert », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro 10, 2003. Lire aussi, dans Les Nouvelles littéraires du 21 novembre 1925 plusieurs articles sur Élémir Bourges à l’occasion de sa mort.

5       Anna Braunerová, dite Anna Brauner née vers 1852 à Roztoky, en Bohème, a épousé Élémir Bourges en novembre 1883. Le père d’Anna était membre du conseil impérial de l’empire austro-hongrois. Anna a souvent accompagné à Paris sa sœur aînée Zdenka, qui était peintre. Il semble que lors d’un voyage à Prague en 1902, Auguste Rodin ait eu une brève liaison avec Zdenka.

6       La Nef, sorte d’allégorie de la foi catholique, est paru chez Stock en 1904 (345 pages) après avoir été publié dans les numéros du Mercure de juin à août 1904. Une seconde partie (un remaniement ?) est parue chez le même éditeur en 1922 (460 pages). Cet ouvrage est parfois qualifié d’« Épopée-opéra mystique et mythologique inspiré des idées symbolistes mettant en scène Prométhée venu sur terre pour sauver les hommes… » ou de « Somme théologico-métaphysique gigantesque et touffue, [qui] essaye de fondre dans une vaste synthèse quantité d’éléments complexes. ». On ne confondra pas cet ouvrage avec la revue éponyme publiée à Alger de juillet à septembre 1944 (trois numéros) sous la direction de Raymond Aron et Lucie Faure.

7       Sophie Pirboudaghian (1887-1976), danseuse, actrice et femme de lettres arménienne a épousé un Ohanian en 1905 dont elle a divorcé rapidement tout en conservant son nom. Elle s’est installée à Paris en 1912 où elle a fréquenté de nombreux artistes. En 1921 elle a épousé un diplomate mexicain en poste à Paris, qu’elle a suivi dans ses différents postes puis au Mexique en 1934. Le roman d’Émile Bernard est La danseuse persane, publié en feuilleton dans le Mercure du 15 février au 15 avril avant d’être édité en volume préfacé par Auriant chez Calmann-Lévy.

8       Dans le bel ouvrage de Fred Leeman sur Émile Bernard publié en 2013 chez Citadelles & Mazenod par le Wildenstein institute (496 pages et un CD-Rom), nous pouvons lire, page 416 : « Auriant raconta un petit spectacle mis en scène par Armène et ses amis arméniens le 3 mars 1914, “un gala persan” dans lequel “elle voulut que son amant montât sur la scène”. “Déguisé en Persan, dans un décor formé de trois grands tapis […], il déplia son manuscrit et entama l’éloge de la danse persane et surtout de sa maîtresse arménienne. Il n’en finissait pas. Les spectateurs […] s’impatientaient. […] Barrès l’encouragea d’un bravo sonore et goguenard.” Armène mima en dansant des “miniatures persanes, sortes de petits poèmes en prose de son inspiration” qui lui valurent dans Le Figaro “un compliment bien plus beau que ses propres miniatures” » Lire l’article de Gérard d’Houville (Marie de Heredia) dans Le Figaro du premier mars 1814, deux premières colonnes de une.

9       Émile Bernard a soixante ans.

10     Ce second portrait sera conservé un temps par Auriant.

11     Construit vers 1640 par Sébastien Bruand pour Jean Charron, contrôleur général de l’extraordinaire des guerres en Picardie. Charles-Louis Philippe habitait 45, quai de Bourbon, ainsi que Louise Faure-Favier.

12     Dans Vipère lubrique (cité note 2), Auriant prétend avoir été présent : « quai de Bourbon où nous nous rendîmes le 7 juillet 1929. » Il décrit l’action comme s’il avait été présent alors qu’il a bien pu lire le récit de Paul Léautaud dans le volume VIII du Journal paru en mai 1960.

13     Avec deux épouses. La première, Annette Saati (vers 1873-1937), lui a donné deux survivants : Antoine (1900-1971) et Irène (1902-1990), médecin. La seconde épouse, Juliette, dite Andrée Fort (sœur de Paul Fort) (1877-1963), professeur de piano, a épousé Émile Bernard le 28 juin 1938 alors qu’elle avait déjà trois enfants « naturels », semble-t-il : Milandre Fort (1905-1994), professeur, Michel Fort (1906-1992) et Émilienne Fort (1907-1992). Émilienne a épousé le marchand d’art Clément Ramon Altarriba dont est issue la comédienne Béatrice Altariba (un seul r) venue à Fontenay en 1951.

14     Il semble qu’Émile Bernard, toujours marié, vivait néanmoins seul.

15     Henri Béraud dans Gringoire du 24 mai 1929, affiche un avis un peu différent : « Rien ne ressemble moins à M. Léautaud que M. Léo Larguier. Le premier est un Chardin, le second, un Daumier. »

16     Il s’agit du portrait de trois quarts, celui de profil ayant été offert à Auriant par Émile Bernard. Sur la reproduction en noir et blanc, ce pan d’étoffe n’est pas discernable.

17     James Whistler (1834-1903), peintre et graveur américain a étudié la peinture à Paris où il a passé de nombreuses années. Il a exposé sa Dame en blanc au salon des Refusés en 1863.

18     Auriant est désigné dans l’édition papier par l’initiale U.

19     Gavarni (Sulpice Chevallier, 1804-1866) est essentiellement connu pour les caricatures de presse. Il a souvent été nommé dans le Journal littéraire.

20     Paul Scarron (1610-1660), perclus de douleurs qui déformaient tout son corps quasi-inutilisable, a épousé la très charmante Françoise d’Aubigné (1635-1719), future Madame de Maintenon, ce qui le fit bien moquer. Paul Scarron est un auteur burlesque ; il a écrit son Roman comique dans les années 1650, roman d’aventures sur le théâtre, sur les voyages et agrémenté de nombreuses histoires amoureuses.

21     Actuellement Émile Bernard est encore marié avec sa première femme, née Annette Saati, épousée en 1894, qui mourra en 1937. Il ne semble pas qu’ils soient divorcés. La professeure de piano née Juliette Fort (1877-1963) n’a donc pu être épousée qu’en 1938 (le 28 juin).

22     Quelques lettres de Paul Léautaud publiées par l’éditeur Mornay ont paru dans la revue belge Variétés vraisemblablement en juillet.

23     La chose ne semble pas s’être faite, Émile Bernard n’ayant rien publié dans le Mercure en 1929 et 1930. En 1931 il publiera son roman L’Esclave nue sur les deux numéros de janvier et en 1932 un texte sur son collègue et aîné Louis Anquetin (voir note 44). Dans le Journal littéraire de Paul Léautaud au dix juillet 1931 nous pouvons lire « Émile Bernard ne trouve pas d’éditeur pour le dernier roman qu’il a publié dans le Mercure. Calmann-Lévy, Fasquelle, Flammarion, réponse négative. »

24     L’Art romantique est un recueil posthume de critiques littéraires réunies en 1869 et qui a fait ensuite l’objet du troisième volume des Œuvres complètes de Charles Baudelaire parues pour la première fois chez Calmann-Lévy en 1885 (442 pages).

25     Baudelaire : Le Peintre de la vie moderne, recueil d’essais sur le dessinateur et peintre Constantin Guys. Après une première publication dans trois numéros du Figaro à la fin de l’année 1863, ces essais ont fait partie du recueil L’Art romantique. Dessinateur et peintre (1802-1892), Constantin Guys s’est attaché à la représentation de la société de son temps. Groupes de personnages, scènes de bal, nombreux cabriolets et chevaux.

26     Aïda Pétrarian, rencontrée dans la rue. Comme d’habitude PL s’est enflammé puis l’affaire est retombée en trois jours. Pour le récit de cette aventure, voir le Journal littéraire au cinq décembre 1929.

27     L’Esclave nue, qui paraîtra dans les deux numéros de janvier 1931. Il ne semble pas que ce roman ait été publié en volume au Mercure, mais bien plus tard, suivi de La Danseuse persane et précédé d’une préface d’Auriant en 1958 au Club français du livre (331 pages).

28     Corrigé de « 1858 » dans l’édition papier. Émile Bernard est né le 28 avril 1868. Il a donc quatre ans de plus que PL et aura 63 ans en avril prochain.

29     Ces noms propres devraient prochainement être rétablis ici, grâce à la ténacité d’un lecteur de leautaud.com, assidu de la bibliothèque de Grenoble qui rétablit les leçons du tapuscrit de Marie Dormoy.

30     Louis Barthou (1862-1934), avocat, journaliste et homme politique, huit fois député de 1889 à 1922, plusieurs fois ministre, Président du Conseil de mars à décembre 1913. Louis Barthou fréquentait le salon de Madame de Caillavet. Il sera élu à l’Académie française en 1918. Louis Bartou mourra à Marseille dans l’attentat qui visait roi Alexandre Ier de Yougoslavie. PL lui a rendu visite le 15 juin 1928 dans l’espoir d’obtenir la rosette d’officier de la Légion d’honneur pour Alfred Vallette.

31     Adolphe Basler (1876-1951), franco-polonais né à Cracovie critique d’art, historien de l’art et galeriste.

32     Othon Coubine (ou Otakar Kubín, 1883-1969), peintre (fleurs et paysages) tchèque installé à Paris en 1912 et naturalisé français en 1926. La peinture évoquée par Paul Léautaud, L’Écolière (60 x 73 cm) est assez maladroite.

33     Katioucha Maslova est un personnage du roman de Tolstoï, Résurection (Perrin, 1900, traduction de Teodor de Wyzewa, deux volumes inégaux de 448 et 138 pages). Après avoir été servante et mise enceinte par le fils de famille Katioucha a été chassée puis et tombée dans la prostitution. Là, elle tuera un client par accident. Lors du procès qui s’en suivra, le fils de famille se trouvera par hasard désigné comme membre du jury. Comprenant qu’il est à l’origine de la déchéance de Katioucha, le fils de famille fera tout pour la sortir de la misère où elle se trouve.

34     Les Mignard peintres sont nombreux, de la même famille sur au moins trois générations. Il semble s’agir ici de Pierre Mignard (1612-1695). On lui doit un portrait de Molière d’environ 1658 visible au musée de Condé à Chantilly.

35     Gustave Courbet (1819-1877) est un peintre social, aspect presque entièrement occulté par la très réaliste Origine du monde (une commande de 1866) exposé à Orsay. Hors cette extravagance il faut se souvenir d’Un enterrement à Ornans (où est né Gustave Courbet) peint en 1849.

36     Mercure du quinze septembre 1931, pages 598-612 : « Sur trois toiles de Courbet — Vénus et Psyché, Paresse et Luxure, L’origine du monde ». « Le seul livre vraiment digne de Courbet, Georges Riat l’a écrit avant de mourir. C’est, sans contredit, la meilleure étude sur le maître d’Ornans. »

37     Cet « Écho » aura la forme d’une lettre datée du 12 septembre (page 247 du Mercure du 1er octobre).

38     Exposition « Degas, portraitiste, sculpteur », du 11 juillet au 1er novembre 1931, à l’Orangerie, selon Agnès Callu : La réunion des musées nationaux, 1870-1940, genèse et fonctionnement, thèse de l’École des chartes 1994, 551 pages.

39     En complément de la lettre d’Émile Bernard (un peu plus de deux pages où il évoque surtout Baudelaire) le Mercure a aussi été destinataire d’une lettre (près de quatre pages) signée de Charles Léger et relevant surtout les erreurs d’Auriant. Charles Léger (1880-1948), historien et critique d’art, deviendra un proche de PL (voir au 21 octobre 1945), ce qui ne va évidemment qu’augmenter la fureur d’Auriant.

40     Jeanne Minck est la fille de Paule Minck (Paulina Mekarska, 1839-1901), femme de lettres socialiste. Jeanne, sa fille, remplacera Marie Guyon, la bonne de PL, à partir du 10 septembre 1930 mais sera renvoyée le quatre septembre 1931.

41     Louis Mandin (1872-1943), poète et homme de lettres surtout connu pour avoir écrit avec Paul Fort une Histoire de la poésie française depuis 1850 parue en 1926 chez Flammarion (392 pages, plus six pages de préface de Paul Crouset. Voir sa notice (rédigée par lui-même) dans l’édition en trois volumes des Poètes d’aujourd’hui. Louis Mandin et son épouse Marie-Louise sont morts en déportation pour avoir fabriqué des tracts pendant l’Occupation allemande.

42     Peut-être Les Rires d’une charmeuse de serpents, édité aux Revues en 1931 (348 pages).

43     Charles Grolleau (1867-1940), directeur littéraire chez Crès.

44     Louis Anquetin (1861-19 août 1932), peintre, dessinateur et aquarelliste. L’article d’Émile Bernard paraîtra dans le Mercure du 1er novembre, page 590.

45     Plus vraisemblablement Pléchâtel, à 56 kilomètres au nord de Redon et surtout à trente kilomètres au sud de Rennes.

46     Vraisemblablement Auriant.

47     Près du métro Saint-Paul cette petite rue descend vers le sud.

48     La rue Grégoire-de-Tours n’est pas très éloignée du Mercure, parallèle à la rue de Condé, c’est la suivante en prenant le boulevard Saint-Germain vers l’ouest.

49     Commune à 40 kilomètres au sud de Saint-Malo. L’église de Saint-Malo-de-Phily date de 1901. Les fresques ont été peintes par Émile Bernard cette année 1933.

50     C’est surtout Judith Cladel que l’on s’attend à retrouver dans le Journal de Paul Léautaud, alors qu’elle n’y est citée (à peine) qu’une seule fois, le 29 août 1908 pour un livre mis au pilon. On pourrait aussi penser à son père, Léon Cladel (1835-1892), romancier naturaliste, nouvelliste. Mais ce sera le frère du Judith, le sculpteur Marius Cladel (1883-1948), élève d’Antoine Bourdelle, qui sera chez Paul Léautaud l’honneur de la famille. Une petite rue Léon Cladel (60 mètres) relie la rue Réaumur à la rue Montmartre.

51     Journal littéraire de Paul Léautaud au 18 mai 1928 : « Le fils Cladel m’a offert de faire mon buste. Je n’ai montré aucun empressement. »

52     Le jeune Alphonse Lemerre (1838-1912), arrivé à Paris en 1860, a été embauché comme commis par le libraire Pierre-Paul Percepied, passage Choiseul. La vie fera qu’Alphonse Lemerre ne quittera jamais ce passage. En 1864 il s’est marié avec une voisine, peu après il y a ouvert sa propre boutique.

53     René Viviani (1863-1925), avocat, six fois député socialiste (de la Seine puis de la Creuse) entre 1893 et 1924, cofondateur du journal L’Humanité au côté de Jean Jaurès, plusieurs fois ministre, plusieurs fois président du Conseil. Journal littéraire au 25 janvier 1928 : « Voilà le quai Saint-Michel qui va s’appeler : quai Viviani. Viviani, ce phraseur, cet homme grossier, ce charlatan de la politique, qui a fini interné ! Il paraît que c’est Bouhélier (beau-frère de Viviani) qui a réclamé et obtenu cela ? Paris sera gai quand toutes ses rues auront de ces noms. » En fait ce ne sera qu’un square qui prendra ce nom et qui abrite encore le plus vieil arbre de Paris, planté en 1601.

54     Denys Puech (1854-1942) a pour Paul Léautaud le défaut majeur d’être le sculpteur du monument à Gavarni de la place Saint-Georges. Journal littéraire au cinq avril 1903 : « … Le monument à Gavarni, avec lequel on vient d’abîmer la place Saint-Georges, le substituant au bassin où j’allais si souvent, quand j’étais enfant, faire marcher un petit bateau. » Grand prix de Rome en 1884, membre de l’académie des Beaux-arts en 1905, directeur de la Villa Médicis de 1921 à 1933, Denys Puech est aussi le fondateur, en 1903 du musée des Beaux-arts de Rodez, sa région d’origine. Il est le frère de Louis Puech (1851-1947), avocat et un homme politique.

55     Renaud Fuchs, conservateur en chef à la bibliothèque de l’Hôtel de Ville écrit à ce propos : « Nous avons trouvé fort peu d’éléments sur ce buste de Séverine […]. / Il n’y a pas de trace de cette sculpture chez nos collègues de la Conservation des Œuvres civiles et religieuses (COARC). […] On trouve une mention de ce buste dans un article du journal Le Populaire, du 23 avril 1935. Nos recherches dans les procès-verbaux des débats au Conseil de Paris entre 1932 et 1936 n’ont rien donné, suggérant l’absence d’une commande de la Ville. » Correspondance privée, juin 2019.

56     Vraisemblablement Auriant.

57     La petite rue Jacques Callot relie la rue de Seine et la rue Mazarine.

58     Guy-Charles Cros (1879-1956), professeur de collège et traducteur, a été le secrétaire d’Adolphe van Bever au début de 1914. Le 13 octobre 1940 nous le retrouverons « bibliothécaire au musée de la Guerre, au château de Vincennes ». Son père, Charles Cros (1842-1888), était poète et inventeur du phonographe, qu’il n’a pu réaliser faute de moyens. Lire sa notice dans l’édition de 1930 des Poètes d’aujourd’hui (les notices du premier volume vont paraître ici le quinze mars 2022) et sa nécrologie dans le Mercure de février 1957.

59     Cette édition ne paraîtra jamais. Émile Bernard réalisera 66 lavis. 55 d’entre eux seront réunis en un album relié (peut-être par Marot-Rodde) et se retrouveront dans la bibliothèque d’Albert Natural (1880-1960), bibliophile suisse. John Milton (1608-1674) était un poète et homme de lettres anglais.

60     Louis Mandin (note 42), Ariel esclave, recueil de poèmes, Mercure 1912, 197 pages. « Ariel, je ne suis pas toi. / Tu es trop clair, trop beau pour ma pauvre nature. / Et pourtant je te sens en moi ; /Car en moi j’ai ton aile et ta fierté, qui me torturent, / Mais qui, dans le secret des profondeurs, me transfigurent. » Louis Mandin est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la réédition en trois volumes de 1930. On pourra y lire sa notice, rédigée par lui-même dans l’édition de 1930 (tome II, page 230).

61     Achille Ouy (1889-1959), professeur de philosophie au Lycée Claude Debussy de Saint-Germain-en-Laye. Achille Ouy a écrit un Georges Duhamel, l’homme et l’œuvre, chez J. Oliven, 1927, 151 pages, opportunément réédité par Ollendorff en décembre dernier (1937). Dans le Mercure d’octobre 1959, Georges Duhamel rédigera sa notice nécrologique : « Notre ami Achille Ouy ».

62     Mademoiselle Naudy, dont on ne sait pas grand-chose, était à l’époque « Une amie de grands amis à Duhamel, jeune fille très convenable » (Journal littéraire au douze octobre 1935). Georges Duhamel a pris la direction du Mercure de France à la mort d’Alfred Vallette, le 28 septembre 1935 et a entrepris nombre d’aménagements dans cette vieille maison qui en avait grand besoin, dont l’installation de l’électricité, du téléphone et de Mademoiselle Naudy. Le salaire de Mademoiselle Naudy (1 500 francs) a posé des problèmes dans la mesure où plusieurs employées du Mercure, bien plus anciennes, touchaient un salaire très inférieur.

63     Henri Bachelin (1879-1941), romancier, critique littéraire et musicologue. Ami de Jules Renard il publiera un Jules Renard et son œuvre au Mercure en 1909 et un Jules Renard inédit, 17 volumes chez François Bernouard en 1926. Voir le Journal littéraire au 9 juin 1909. Voir également L’« Écho » du Mercure du 1er août 1914. Voir aussi la visite d’Henri Bachelin à Fontenay au 21 août 1937. Un long portrait d’Henri Bachelin a été dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, à partir de la page 291.

64     Chefs-d’œuvre de l’art français : Exposition Internationale des arts et techniques dans la vie moderne (palais national des arts (palais de Tokyo), du 25 mai au 25 novembre 1937). Cette exposition avait été organisée par Georges Huisman (note 67 ci-après).

65     Dans l’ouvrage de Fred Leeman sur Émile Bernard cité note 9 nous pouvons lire, page 468 : « quand, à sa grande surprise, il reconnut une de ses œuvres, un paysage breton, no 325 du catalogue, signée “P Gauguin”. Il l’avait peint en 1888 à Saint-Briac, entre la fin du mois d’avril et la mi-août, juste avant d’aller à Pont-Aven voir Gauguin. La signature de celui-ci avait été peinte sur la sienne mais la date “88” était restée intacte. » La suite du texte donne des éléments sur le parcours de la toile après sa vente par Émile Bernard au marchand Amédée Schuffenecker en 1925 tout en faisant semblant de ne pas savoir quand ni par qui cette signature a été falsifiée.

Paysage en Bretagne, 1888, huile sur toile 55 x 49 cm. Collection privée

66     L’Action Française du 21 juillet, bas de la deuxième colonne de une : « À l’exposition des chefs d’œuvre de l’art français / Un tableau signé Gauguin qui est d’Émile Bernard ». Cet article sera suivi d’un autre, dans le même journal, daté du dix août 1937, cinquième colonne de une, plus clair. Pour cette affaire, voir aussi Vipère lubrique pages 176-177 et un article de Philippe Dagen dans Le Monde du 28 novembre 1996.

67     Georges Huisman (1889-1957), chartiste, archiviste paléographe en 1910, agrégé d’histoire et géographie en 1912, directeur de cabinet du président du Sénat Paul Doumer de 1927 à 1931 puis secrétaire général de l’Élysée une fois Paul Doumer élu président de la République. À la mort de ce dernier, Georges Huisman est nommé directeur du cabinet du président du Sénat puis, en 1934, directeur général des Beaux-Arts.

68     L’épreuve de cet article a été jointe par Paul Léautaud à son Journal littéraire à la date du 23 août mais n’a pas été reproduite dans les éditions du Mercure de France.

69     Paul Fort habitait au 34, rue Gay-Lussac, tout près du métro Luxembourg, où Paul Léautaud empruntait la ligne de Sceaux pour se rendre chez lui à Fontenay-aux-Roses.

70     Le 18 juillet 2021, Flammarion a répondu à leautaud.com dans un message un peu standard : « Suite à votre demande, nous avons fait des recherches mais nous n’avons pas trouvé de livre de Paul Fort sous le nom de “Quartiers de Paris”. » Il ne s’agit évidemment pas de Quartier Latin paru chez François Bernouard et sa rose en 1929 (tirage limité, hors-commerce).