Fanny Forestier rue de Guise à Calais

Cette page est publiée ici en toute liberté par notre ami Jean-Luc Souloumiac,
à la fois Léautaldien et Calaisien averti, qui y a donc plus de légitimité que quiconque.
D’autres pages, rédigées par d’autres passionnés sont à suivre.


Où l’on découvre la maison de Mme Forestier

Rue de Guise ? N’est-ce pas là un nom de l’Histoire de France, s’interrogeraient gens d’un certain âge, poivre-sel et blanchis ? Doutons que de plus jeunes têtes aient connaissance d’une de ces antiennes ânonnées — entonnées pour les plus enthousiastes — sur les bancs de la communale :

« En 1558, le duc de Guise délivre Calais des Anglais. »

Ce nom de l’histoire de France, ce François de Lorraine, plus connu par son titre de duc de Guise, naît en 1519, et dès sa plus tendre jeunesse, montra : « tant d’ardeur pour la gloire, tant d’intrépidité, tant de prudence et de sang-froid, dans les moments les plus périlleux, qu’on augura dès lors qu’il deviendrait un illustre guerrier1. »

Les Anglais et les Espagnols maudirent un tel chef d’armée, un Grand Condé avant l’heure, la morgue en moins.

Ils perdirent en quelques mois les dernières places qu’ils occupaient encore : Metz, Guînes, Ham, Thionville et Calais, cette ville anglaise en territoire français, administrée comme une extension du royaume d’Angleterre, depuis 1347 — annus horribilis — par suite de sa reddition, au terme d’un long et terrible siège de onze mois. Le roi d’Angleterre, Édouard III, souhaitant la capitulation sans condition, six bourgeois, la corde au cou, acceptent de se sacrifier et lui remettent les clés de la ville. Les six bourgeois obtiennent la grâce de Philippa de Hainaut, épouse d’Édouard. Pour les historiens contemporains, la capitulation et la concession de la grâce, étaient un rituel classique au Moyen-Âge. Les bourgeois de Calais avaient donc la quasi-certitude qu’Édouard III renoncerait à leur exécution.

Calais libéré, les richesses accumulées par le commerce entre l’Angleterre et les Pays-Bas, furent employées à payer les officiers du duc de Guise. Les soldats se livrèrent au pillage, distraction communément observée en temps de guerre.

François de Lorraine, dit aussi le Balafré2, d’une cicatrice au front, coup de lance qu’il reçut en 1545, au siège de Boulogne contre les Anglais3, fut assassiné d’un coup de pistolet tiré par le protestant Poltrot de Méré, en février 1563.

Par la suite, Calais tint à honorer son libérateur en baptisant une de ses voies, la rue de Guise, devenue, depuis la reconstruction d’après-guerre, rue du duc de Guise.

Fig. 1 — François de Lorraine (1519-1563), duc de Guise. (Gallica.bnf.fr / BnF)

Grâce au fragment du plan de Calais en 1543, tracé du quartier qui nous intéresse, nous possédons les noms anglais des rues qui furent rebaptisées après 1558. Le voici4 :

Fig. 2 — Fragment du plan de Calais en 1543

La rue de Guise « anglaise », Sew Street, conduisait à la porte monumentale de l’entrée d’une Bourse, dans laquelle les marchands de la Flandre et des Pays-Bas achetaient les laines d’Angleterre, et que l’on appelait « l’Étaple aux laines », représentée sur le plan par un carré hachuré. L’hôtel fut construit en 1389 par les Anglais, puis vendu par les marchands à Henry VIII, qui en fit la résidence du représentant du roi à Calais. À la libération de Calais en 1558, Henri II, roi de France, offrit l’hôtel à François de Lorraine et devint ainsi l’hôtel de Guise.

Le bâtiment connut diverses péripéties jusqu’à ce qu’une bombe tombée dans la cour, en 1917, l’endommagea.

La porte d’entrée demeura toujours debout, même en mai 1940, lorsque les bombardements ravagèrent le quartier, mais elle ne put résister à ceux de 1944, qui en firent un tas de ruines. Le peu qui en restait fut abattu en 1950.

Fig. 03 — Entrée de la cour de Guise au début du XIXe siècle5
Fig. 4: La même entrée de la cour de Guise,
telle que Léautaud put la voir. Cette photochromie a été prise vers 1890.
(Source : Library of Congress -picryl.com)

Transportons-nous maintenant dans le quartier de la rue de Guise, tel qu’il existait en 1901, lorsque Léautaud s’adressa au no 31, où demeurait sa tante Fanny, logée chez sa mère Mme Forestier.

L’extrait du plan de Calais de 1900, permet de situer la rue de Guise, surlignée de jaune :

Fig. 5: Plan de Calais de 1900

Nous constatons que son relevé n’a pas évolué depuis 1543.

Elle tenait à la rue des Boucheries (Mill Gate Street), à l’arrière de l’Hôtel de ville et de la Tour du Guet, qui donnaient sur la Place d’Armes (Market Place).

Après un coude à quatre-vingt-dix degrés, au sud, elle aboutissait à la rue Royale (Great Friars Street, puis Dyane). Cette rue Royale, avec la rue de la Mer, conduisant au port, elles accueillaient les flux de touristes débarqués des navires provenant d’Angleterre. Les hôtels et les restaurants étaient nombreux et réputés pour quelques-uns. C’était donc un quartier très commerçant, peu industrieux. L’industrie de la dentelle, en plein essor durant le XIXe siècle, malgré des crises à répétition, était concentrée à Saint-Pierre-les-Calais, au sud du Calais historique.

Le Calais vers lequel Léautaud s’embarqua à la gare du Nord de Paris, datait de 1885, année de la réunion des villes de Calais et de Saint-Pierre-les-Calais.

Très probablement descendu du train à la gare centrale — à moins que Léautaud, pas trop dégourdi pour les voyages en solitaire, ne se retrouva à la gare maritime, sur le quai d’embarquement des navires pour l’Angleterre — il prit certainement le chemin le plus facile et le plus direct pour rejoindre la maison de sa grand-mère : au pont Richelieu, il remonta jusqu’à la rue Royale, puis entra dans la rue de Guise à sa droite. De ce fait, il passa devant les restes de l’Hôtel de Guise.

L’extrait ci-dessous, du plan de Calais de 1900, indique le cheminement le plus probable (filet bleu) :

Fig. 6, — Plan de calais de 1900 (fragment)

Quelques reproductions pour illustrer tout cela :

Fig. 7 — La gare centrale accueillant le train de Paris.
(CP — Collection privée).
Fig. 8 — Le pont Richelieu6 pour rejoindre la rue Royale
(CP — Collection privée)
Fig. 9 — La rue Royale

Dans le voisinage immédiat :

Fig 10 — La place d’Armes, avec son Hôtel de ville, qui deviendra musée, et la Tour du Guet à gauche, vers 1890. — (Source : Library of Congress — picryl.com).
Fig. 11 — La rue de la Citadelle — (CP — Collection privée)

Entrons dans cette rue de Guise7.

Le Dictionnaire des Adresses de Calais, édition 1901(8), nous fournit la liste des habitants de cette rue :

Côté impair

1      Mme Cordier-Paquot, ménagère.
3      Devin Ernest, coiffeur
5      Goret-Demilly, boulanger
        Potez, louager
        Devos-Vermeuil, journalier
7      Hôtel Meurice — Jules Maupin, hôtelier
9      Michelet-Camut, comptable
11    Gournay-Pichon, capitaine de malle
13    Carton-Lefebvre, cafetier
        Mme Donajonski, rentière
15    Cuffroy-Chevalier, employé de chemin de fer
17    Maillard André, rentier
19    à louer
21    Underwood & Son Lted, négociant en grains et fourrages
        Ducloy-Brown Vve, ménagère
        Lees J., représentant
        Veuve Gobert,
        Mlle Gourdin, rentière
23    VeuveThomas, marchande de légumes
        Wattez, commis-voyageur
        Roland, commis
        Levray, rentier
        Veuve Davrou, journalière
25    Delaconr fils, tapissier
27    Gouilliart-Destrez, ébéniste
29    Sergent-Millien, épicier cafetier
31    Lehodey-Ledo, négociant en mercerie
        Lefebvre-Pursell, agent d’assurance
        Mme Forestier, buffet.

La Cour de Guise

        Joly, entrepreneur
        Bruyère François, caviste
        Piesset Aimé, matelassier
        Fontaine A., perceur de cartons
        Clerbout, tulliste
        Marrel, manouvrier
        Lévêque, journalier
        Dewaele, peintre
        Veuve Fouéré, ménagère
        Obert, marin
        Veuve Angire, ménagère
        Vernalde Louis, tulliste
        VeuveVassou, raccommodeuse
        Sergent-Courquin L., marchand de porcs
        Mercier, tulliste
        Sauvage, journalière
        Obert-Crochet, maçon
        Piedfort-Maës, menuisier
        Piedfort-Mouchon, tulliste
        Veuve Nicolay-Massemin, ménagère
        Veuve Descotes, journalière
        Claise-Clémence, manouvrier
        Lévêque-Courbet, journalier
        Duflay-Gouverneur, journalier
        Clerbout-Dimbert, tulliste
        Malbranque, commissionnaire
        Lemaire, cordonnier
        Boutoille Hyppolite, manouvrier
        Pierru, employé de chemin de fer
        Mulard, tulliste.

33    Belin-Quénette, agent de police
        Veuve Morin, journalière
35    Ségard, employé de fabrique de biscuits
39    Veuve Delpierre, ménagère
        Ringuet-Maguiez, ancien marin
        Beuleque Louis, tailleur d’habits.

Côté pair

2      Palais de Justice
        Mercier, concierge
4      Vanherzecke-Vidhem, fabrique de moutarde
        Corbillon, contrôleur principal des contributions directes
        Hautefeuille-Courquin, comptable
6      à louer      
8-10 Villet-Noël, charron et menuisier
        Demayer, employé de chemin de fer
12    Soubitez-Boulet, fabricant de tulles
14    Pladdys Victor, louager
16    Veuve Gambert-Dnclay, rentière
18    Veuve Pruvost
        Veuve Barbe-Oussait, ménagère
        Frère, ébéniste
        Boutoille M-E., forgeron et maréchal
        Lange-Ducreux, manouvrier
        Mme Walle-Ducreux, ménagère
20    Delegher-Vansteene, marchand de liqueurs
        Mme Faucompré, rentière
22    Hôtel du Sauvage — Coolen-Baelen, hôtelier
24    Veuve Crandal Déjardin, menuisier
26    Hôtel du Commerce — Rahan-Torel, hôtelier.

✔ Remarquons que les veuves sont nombreuses, pour cette petite rue de Guise ; que les métiers sont très diversifiés et exercés dans des secteurs très différents : le commerce, l’artisanat et l’hôtellerie. À la même époque, le grand quartier Saint-Pierre, au sud, avec sa multitude de fabriques de tulles et de dentelles, consommait une main d’œuvre abondante et peu qualifiée, exceptés les conducteurs de métiers à tulle et les dessinateurs.

✔ La cour de Guise abritait bien du monde dans un environnement bien vétuste. On voit encore son étendue, malgré les dégâts de la bombe tombée en 1917 :

Figure 12

✔ Au no 7, l’hôtel Meurice, exemple même de ces grands hôtels renommés.

Cette enseigne fut créée en 1772 par Augustin Meurice, d’abord propriétaire d’une voiture de messageries Le Chariot Royal. Décédé en 1820, l’hôtel resta en famille et c’est en 1842 qu’il fut acquis par les époux Dehorter-Louf qui l’occupèrent jusqu’en 1854. Depuis 1899, il est tenu par Mme et Mr Jules Maupin qui en ont fait « un établissement de premier ordre, aménagé, certes, avec tout le confort moderne, mais précieusement conservé dans son cadre de l’avenante auberge d’antan9. »

Avec deux autres hôtels situés dans cette rue de Guise, cela devait occasionner bien du trafic de véhicules à chevaux, du bruit de sabots et de roues ferrées sur le pavage, de cris à toute heure du jour et de la nuit !

✔ Les résidents du no 31 sont :

        Lehodey-Ledo, négociant en mercerie.
        Lefebvre-Pursell, agent d’assurance.
        Mme Forestier, buffet.

La grand-mère de Léautaud figure bien à cette adresse, avec l’activité de buffet, qui pourrait être l’abréviation de buffetier, fabricant de buffets, de bahuts, ou bien, si l’on suit le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré : employé qui tient le buffet d’une gare de chemin de fer.

Est-ce le métier qu’elle-même exerça, ou son mari décédé depuis de nombreuses années ? Nous ne pouvons choisir avec si peu d’éléments.

Immédiatement après le no 31, la cour de Guise. Donc, l’immeuble est accolé à la vieille bâtisse historique.

Portons nos regards sur la photographie en couleurs de l’entrée de la cour de Guise,  (fig. 4). Après grossissement de la partie gauche, nous pouvons lire : « DEY-LEDO » en lettres majuscules blanches, autrement dit les dernières de : « LEHODEY-LEDO. »

Figure 13

La maison qu’habita la grand-mère de Paul Léautaud, là même où il retrouva sa mère pour la dernière fois, en octobre 1901, est donc retrouvée.

D’autres cartes-postales illustrent, on s’en doute, la porte monumentale de Guise, mais la prise de vue trop lointaine interdit toute détection de cette sorte. L’une d’entre-elles ajoute toutefois un complément d’informations. Celle-ci :

Figure 14

où apparaît un porche voûté précédant le magasin de Lehodey-Ledo. L’entrée de l’immeuble, devait se faire par ce porche, afin d’éviter de devoir passer par le magasin, prérogative réservée au commerçant lui-même. De plus, les voitures pouvaient stationner dans la cour intérieure, pour ne pas gêner la circulation, à ce virage à angle droit.

Figure 14 b

Voici une autre photographie, plus large, trouvée récemment sur le tout nouveau site des archives de Calais. On peut remarquer, à gauche, au pied de la petite maison précédente, un aménagement en biais permettant de verser directement le charbon dans la cave.

Si l’ordre du relevé des résidents correspond à celui des niveaux de l’immeuble, Lehodey-Ledo est bien au rez-de-chaussée, à l’étage l’agent d’assurances, puis Mme Forestier. Or, la photographie en couleurs (fig. 4) montre un rez-de-chaussée, deux étages avec fenêtres encastrées, puis un dernier mansardé. Le relevé ne signale pas de quatrième niveau non habité, à louer, comme au no 6 de la rue. Il y a donc lieu de penser que Lehodey-Ledo logeait au premier, son magasin occupant toute la surface du rez-de-chaussée ; au second Lefebvre-Pursell ; au troisième, Mme Forestier.

Quoiqu’il en soit, la grand-mère de Léautaud habitait à l’étage, son petit-fils indiquant page 17 du volume posthume des « Lettres à ma mère »10 que : « C’est le jeudi 24 octobre, vers une heure et demie, qu’elle arriva… Je venais de reconduire une visiteuse et je refermai la porte, quand j’entendis des pas dans l’escalier et qu’on causait. Je rouvris et regardai par-dessus la rampe. Une femme montait, toute en noir, une petite valise à la main,… »

Le plan de la chambre où Fanny reposait, que Paul Léautaud dessina d’une main malhabile, et reproduit ci-dessous, comprend une fenêtre en saillie, donnant sur la rue de Guise, corroborant notre déduction logique.

Fig. 15 — plan de la chambre de fanny par Paul Léautaud (Lettres à ma mère, p.54).

Les funérailles de Fanny Forestier eurent lieu en l’église Notre-Dame, très proche de la rue de Guise.

Cette église très particulière doit beaucoup à l’occupation anglaise. Elle subit de redoutables bombardements, mais, restauration après restauration, elle commence à nous montrer ce qu’elle fut au temps de sa splendeur. Elle vit la consécration du mariage, en 1921, du capitaine de Gaulle avec la Calaisienne Yvonne Vendroux, sœur de Jacques Vendroux, futur maire de Calais.

Deux reproductions de Notre-Dame : une vue extérieure et l’autel.

Figures 16 et 17 (CP. collection privée

Avertissons les personnes intéressées par une visite sur le site, que la zone fut bombardée à tel point, lors de la Seconde Guerre mondiale, qu’il fallut raser ensuite ce qui menaçait de tomber.

Voici ce qu’il restait du Calais historique en 1948 :

Figure 18

Le seul point de repère, existant encore aujourd’hui, est la tour du Guet, ouvrage du moyen âge qui a résisté aux bombes (filet bleu) — que l’on voit aussi fig. 10. Le tracé de la rue de Guise 1901 est en vert.

Depuis la reconstruction de Calais-Nord — pour le distinguer de Calais-Saint-Pierre, au sud — la rue de Guise devient « rue du duc de Guise » et prend un axe est-ouest. Elle rejoint toujours la rue Royale, mais un peu plus au sud et conduit jusqu’à l’église Notre-Dame.

Le fonds Van Bever du département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, renferme une carte postale calaisienne que Léautaud adressa à son ami d’enfance, Adolphe Van Bever, le 23 octobre 1901.

Voici le texte qui accompagne cette carte intitulée, Le monument des bourgeois de Calais :

« Calais le 23/10/1901.
Bonjour, mon cher Van Bever, et à tous les tiens. La mort n’est pas encore arrivée, mais elle viendra, il n’y a aucun doute, d’un moment à l’autre. Quel pays, quels habitants, quelle nourriture. Je m’ennuie à mourir, et pourtant ce n’est pas moi, du moins je l’espère, qui serai le mort.
Mes amitiés.
Paul Léautaud
Et mes remerciements encore à ton patron. »

Le « patron » d’Adolphe van Bever, à l’époque, était Lugné-Poe, le directeur du théâtre de L’Œuvre.

Source : Le Mercure de France, cent un ans d’édition – BNF, 1995, page 54.

Au-delà de l’humour cynique de l’écrivain, nous retenons qu’il est très déçu de sa visite à Calais. Il n’y a pas d’ambiguïté lorsque quelqu’un s’exprime ainsi : « Quel pays, quels habitants, quelle nourriture ».

Regardons du côté du ciel, en ce 23 octobre 1901. Le Journal des Débats politiques et littéraires du lendemain, quotidien très sérieux de l’époque, indique dans sa rubrique La Température – 2  oct. : « Le vent est faible des régions Nord avec mer belle sur toutes nos côtes… En France, un temps frais avec ciel nuageux ou brumeux est probable. – A Paris, hier, couvert. » A priori, une journée automnale classique, sans perturbation notable, type coup de vent de sud-ouest, force 5 à 8, fréquent sur la côte d’Opale à cette période de l’année. Donc, la météo n’est pas la cause de cette mauvaise humeur. Rappelons ici que Léautaud détestait la mer, même avec des golfes clairs.

Pour les habitants, en quoi différait un Calaisien d’un Parisien? Nous pensons à la mode. Mais notre ronchon qui accordait si peu d’importance à sa tenue vestimentaire, en accordait-il une aux autres ?

Et voici Léautaud qui se plaint de la nourriture à Calais ! Quelle drôlerie de sa part !

Un Calaisien pourrait s’offusquer, s’il ne connaissait la place que notre employé du Mercure de France (il le sera dans quelques années) accordait aux plaisirs de la table. Il se peut qu’il erra dans les rues proches du port, avec les restaurants de poisson, les assiettées de moules-frites, les alcools sans faux-cols, les saurisseries de harengs, de maquereaux, avec le fumet entêtant des copeaux de hêtre consumés lentement par la flamme étouffée sous la cendre.

Cher Paul Léautaud, si vous pouviez revenir, tout cela a disparu, ou presque.

Août 2020 — Calais
Jean- Luc Souloumiac

Lire aussi de Jean-Luc Souloumiac « La bibliothèque des maîtres » dans la page sur le cent-cinquantième anniversaire de Paul Léautaud.

Notes

1     Biographie Universelle Michaud, tome XVIII, 1857, chez Mme C. Desplaces).

2     Tous les historiens n’accordent pas ce surnom de Balafré à François de Lorraine, le réservant à son fils Henri, duc de Guise.

3     C’est Ambroise Paré lui-même, qui « opéra » le libérateur de Calais. Dans sa relation, il précise que le coup de lance : entra et passa outre de l’autre part entre la nuque et l’oreille, d’une si grande violence que le fer de la lance, avec une portion du bois, fust rompu et demeura dedans en sorte qu’il ne put estre tiré hors qu’à grande force, mesme avec tenailles du mareschal. Il ajoute : […] mondit seigneur, grâce à Dieu, fust guery. Aux détails fournis par Paré, nous voulons bien croire au miracle de la guérison, à une intervention divine. (Les Dossiers de l’Histoire calaisienne, no 57).

4     Plan tiré du Bulletin de la Société Historique du Calaisis, no 71, p. 5, 1930. Article : « L’Hôtel des Gouverneurs Anglais de Calais », par le docteur Ch. Le Roy.

5     Bulletin Historique et Artistique du Calaisis, 1990, no 121-123, p. 14.

6     Deux siècles d’occupation anglaise n’ont pas suffi à détourner les Calaisiens de la perfide Albion. Ce pont Richelieu fut rebaptisé « Georges V ».

7     Pour ceux qui désireraient se promener dans le quartier actuel, suivre le lien https://bit.ly/3abAnpB

8     Calais — Dictionnaire des Adresses et Annuaire du Port, 1901. — Calais, Typographie & Lithographie des Orphelins, 70, quai de l’Est, 1901. (gallica.bnf.fr/ BnF).

9     Renseignements fournis par le Bulletin de la Société Historique du Calaisis, article de G. Tison, no 91, 1935.

10    Lettres à ma mère, Mercure de France, 1956, « Introduction » de Marie Dormoy.