Le 21 mars est la Journée mondiale de la poésie.
Le quinze mars de chaque année paraîtra ici un texte réservé à la discipline.
Paul Léautaud a eu au long de sa vie, à propos de la poésie, des rapports fluctuants, passant du statut de poète, puis de thuriféraire et d’exégète en publiant les volumes des Poètes d’aujourd’hui, pour enfin considérer que tout cela n’était qu’une perte de temps.
La première édition des Poètes d’aujourd’hui est parue au début de l’été 1900. Ensuite sont parues un certain nombre de réactions, positives ou non. La première d’entr’elles a été, avant parution du volume, celle d’Henri de Régnier qui, faisant partie de la maison, a pu avoir accès au texte avant même qu’il parte chez l’imprimeur et prononcer ainsi, en avant-première, des conférences qui ressemblaient à celle-ci.
Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain1
Il est difficile de dire comme je m’y suis engagé par le titre même de cette Conférence2 — ce que sont les Poètes d’aujourd’hui et ce que pourra être la Poésie de demain, sans y joindre quelques mots sur ce que furent les Poètes et la Poésie d’hier.
Ce n’est pas une heure qu’il faudrait pour traiter convenablement chacun de ces points, mais beaucoup plus. Aussi aurais-je lieu de me sentir quelque peu inquiet de l’entreprise où je me hasarde, si je ne me trouvais rassuré par la liberté de parler davantage en poète qu’en critique.
Le critique ou, plus abstraitement, la Critique, a, en effet, des façons qui lui sont propres. Elle a ses méthodes et ses moyens particuliers. Elle a son outillage intellectuel, si l’on peut dire. Elle soupèse et mesure. Je n’en ai ni la balance, ni le compas. Il n’y aura donc, en tout ce qui va suivre, que des opinions
Je ne prétends pas manier, un par un, les cubes colorés qui forment ce qu’on pourrait appeler la Mosaïque littéraire de notre temps. J’aime mieux chercher à vous présenter le dessin qu’elle signifie que d’en défaire et d’en refaire avec vous le damier multicolore. Restons donc à la distance suffisante où les figures sont visibles sans qu’on aperçoive les fragments inégaux qui les composent.
* * *
La Poésie, qui est éternelle, fait parfois semblant de mourir. Rassurez-vous. Elle ne meurt point ; elle dort et ce sont des sommeils de Belle-au-Bois-dormant d’où elle renaît, chaque fois plus vivante. Il y a dans l’histoire de la littérature française plusieurs de ces réveils. L’un d’eux, au XVIe siècle, s’est appelé la Renaissance ; un autre, au commencement du XIXe siècle, se nomma le Romantisme. La Muse, qui s’était endormie, le cothurne au talon et la perruque au front, le corps serré des bandelettes d’un classicisme étroit, se réveilla, au beau soleil de 1830, en pleine nature, les pieds nus, la chair rafraîchie, le teint vif, turbulente, rêveuse et passionnée. Debout en pleine vie, elle se drapa de couleurs éclatantes. Elle eut le geste ample et brusque. Hugo la mena partout avec lui. Elle parcourut avec lui le monde des formes et des images3. Lamartine4 l’abrita dans ses demeures vaporeuses. Musset5 la fit asseoir à sa table sous la tonnelle et le pampre. Gautier6 la para de camées et d’émaux. Vigny7 la conduisit aux hautes solitudes et la voulut retenir dans sa Maison du Berger8, mais elle s’échappa, courut les chemins, fit de mauvaises rencontres.
C’est ainsi que, vagabonde et errante, la rencontrèrent les Parnassiens de 1864. Ils voulurent réformer la belle abandonnée et l’enrichir de leurs dons. Ils la vêtirent de beaux habits régulièrement taillés et solidement cousus. Leconte de Lisle9 lui offrit le miroir antique et la para de bagues barbares, Baudelaire10 la parfuma d’essences précieuses. Théodore de Banville11 lui mit aux mains un bouquet de fleurs joyeuses. Tous lui construisirent un beau palais aux salles choisies. Elle s’accoutuma à ces soins ingénieux et à ces aises nouvelles et, la tête appuyée sur un oreiller de strophes moelleuses, elle finit par s’endormir d’un profond et nouveau sommeil.
On nous a habitués à considérer l’École Parnassienne — disons plus familièrement le Parnasse — de même que nous dirons tout à l’heure le Symbolisme au lieu de l’École Symboliste — comme une réaction contre le Romantisme ou du moins contre ses excès, c’est-à-dire contre les mauvais poètes qui n’en continuaient que les défauts. Cette réaction, pour être vraie, fut, je crois, davantage dans la forme que dans l’esprit Ce fut surtout contre une manière lâchée, négligente et incorrecte de faire les vers que réagit sagement et utilement le Parnasse. Il montra un très louable souci du métier poétique. En cela il eut raison. Sa seule erreur fut de croire qu’une perfection technique pût être autrement que momentanée et son tort fut de vouloir imposer définitivement à la Poésie un doigter suprême sur l’Instrument éternel. Mais passons. Hors cela, la réaction parnassienne me paraît plus prétendue qu’authentique et je serais plutôt porté à considérer le Parnasse comme un aboutissement logique du Romantisme.
Le Parnassisme fut bien plutôt l’arrivée, dans le Romantisme, encore vivace ou déjà finissant, de poètes nouveaux et de tempéraments neufs. Le Romantisme, pour ainsi dire, fit escale au Parnasse. C’est toujours le même vaisseau qui continue sa route, avec, à son bord, de nouveaux matelots. Ce sont les mêmes voiles La manœuvre seule a changé.
Les Parnassiens, au fond, étaient parfaitement conscients de leur rôle de continuateurs. Voyez leur admiration obéissante pour Victor Hugo.
Hugo, de son côté, se rendit un compte si exact que tout cela, en principe, sortait de lui, qu’il n’hésitait pas à s’approprier tout ce qui lui parut à sa convenance chez ces disciples même indirects. C’est ainsi que Leconte de Lisle est pour quelque chose dans la Légende des Siècles et que les trouvailles funambulesques12 de Théodore de Banville ne furent pas sans influence sur les Chansons des Rues et des Bois13. Mais ceci n’est qu’une preuve inverse.
Tout le Parnasse fut bien vraiment dans le Romantisme. Les vers philosophico-scientifiques, qui ne sont pas ce qu’il y a de mieux en M. Sully-Prudhomme14, lui viennent de Hugo qui communiqua à M. Coppée15 ce lyrisme bourgeois, sentimental et populaire, qui fait du poète des Humbles un humble poète16. Mais montons plus haut. Le cher et admirable Léon Dierx17 est un poète Lamartinien, Leconte de Lisle s’apparente à Alfred de Vigny. C’est aussi du métal romantique que le merveilleux, souple et subtil Baudelaire signe de son fleuron original et distinctif ; c’est du métal romantique encore que le sonore, savant et harmonieux José Maria de Heredia18 poinçonne de sa marque ineffaçable et magistrale. C’est Baudelaire qui a ciselé, si l’on peut dire, la coupe suprême où but la Muse et c’est José Maria de Heredia qui a fixé au fond la large médaille d’or pur qui l’orne et la parachève d’une effigie de Beauté.
À dire vrai, et pris en leur ensemble, ce furent d’honnêtes et probes artistes que ces Parnassiens. Ils eurent dans l’esprit de la sagesse, de la fermeté et de l’ordre. Au Romantisme d’inspiration, ils firent succéder un Romantisme de raison. Ils raffermirent, ordonnèrent et assagirent. Ils acceptèrent des données et des moyens poétiques antérieurs et y ajoutèrent peu, se contentant d’en user avec discernement, propriété et science. Grâce à eux, par eux et en eux, le Romantisme évita le déclin des écoles vieillies et énervées. Ce furent de bons fils, car le Parnasse fut plus filial que paternel. Il n’engendre pas, il est la fin de quelque chose, mais il est quelque chose.
On le vit bien de 1875 à 1885, à une période fâcheuse pour la poésie. En 1875, l’œuvre Parnassienne est achevée. Leconte de Lisle vieilli ne publie plus guère Sully-Prudhomme s’égare. François Coppée se vulgarise. M. Armand Silvestre19 répète inlassablement la même chanson sonore et vide. M. Catulle Mendès20 seul se multiplie. Il est l’Hermès du Parnasse. Il a les talonnières et le pétase21. Il va, vient, avec verve, adresse et talent. Il est actif et avisé. José Maria de Heredia, lentement et paresseusement, cisèle les sonnets des Trophées qui ne paraîtront que plus tard. Il semble que, par instinct, il attende. Il eut raison ; son livre n’eût pas trouvé, en 1880, par exemple, un public approprié.
Il y eut, en effet, durant dix années, un sommeil de la Poésie. Rarement on se désintéressa davantage de l’art des vers que pendant ce laps. Ne vous en étonnez point, c’est l’époque où triompha bruyamment et momentanément le Naturalisme.
Entendons, si vous le voulez bien, le Naturalisme comme une forme du Réalisme littéraire et nous verrons qu’il date de loin. En soi, c’est une tendance qui a sa place dans une littérature bien ordonnée. L’observation y fait un contrepoids heureux à l’imagination, mais l’utilité du réalisme est soumis à la condition qu’il sache se subordonner. Il est complémentaire et son tort, à l’époque dont je parle, fut d’avoir voulu être exclusif.
Oui, vraiment, l’École des Romanciers naturalistes de 1875 manqua de réserve. Elle prétendit étendre son pouvoir à l’Art tout entier et remplacer la Poésie même. Elle nia que, hors l’observation directe de la nature et des mœurs, il y eût rien de valable. Elle prétendit imposer à l’écrivain la servitude de l’observation et réduire le droit d’imaginer à l’imitation textuelle de la vie.
Les romanciers naturalistes, à ce premier tort, en joignirent un autre. Le désir de faire ressemblant les préoccupa davantage que le souci de faire vrai. Ils substituèrent le calque au dessin et le moulage à la sculpture et furent plus, peut-être, des artisans que des artistes.
Si, en art, le succès est une justification, l’extraordinaire vogue des Zola, des Daudet, des Maupassant n’aura rien à redouter de l’avenir. Je ne sais quel sera le jugement des temps futurs sur ces puissants et brillants écrivains, mais je croirais volontiers que, mis à part leur incontestable talent, ils représenteront un jour un célèbre exemple d’une des plus graves et des plus éclatantes erreurs esthétiques de notre Littérature, au moins dans le principe de sa doctrine.
Pendant dix années, on peut dire que le Naturalisme eut le champ libre. La poésie, à l’écart, le laissa passer.
* * *
Toujours, et de tout temps, les jeunes gens qui se préparent au noble service des Muses font la veillée d’armes et se cherchent des parrains. Ils tournent leur pensée vers leurs aînés pour trouver en eux un conseil et un exemple. Il n’y a rien de servile dans ce désir très filial qui lie par l’admiration les poètes de tout à l’heure aux poètes d’hier. Mais les jeunes gens sont prompts et exigeants et leur désir d’admiration, s’il est déçu, se change vite en rancune. Or il arriva que l’Art Parnassien, en 1885, ne répondait plus guère aux aspirations secrètes de la jeunesse littéraire d’alors, de celle qui résistait d’instinct au naturalisme et était impatiente d’y opposer quelque chose de nouveau. De là, peut-être, une certaine injustice juvénile qui lui fit répudier trop catégoriquement l’École précédente. Le réel mérite des poètes parnassiens lui fut moins visible que leurs défauts. Notre critique fut âpre et outrancière, mais elle ne fut point exclusive. Elle eut des admirations dans le Parnasse même. Je ne parle pas de Baudelaire, si aimé pour son étrange génie plein de prévisions mystérieuses, mais Léon Dierx, mais José Maria de Heredia. L’accueil exceptionnel fait aux Trophées le marque surabondamment. Les Trophées furent entre les Symbolistes et les Parnassiens ce que furent à peu près les Bucoliques d’André Chénier22 entre les Classiques et les Romantiques, le lien entre deux poésies.
Outre Baudelaire, Dierx et Heredia, trois hommes existaient dont l’œuvre, isolée dans la Littérature contemporaine, proposait un principe de nouveauté. C’étaient Villiers de l’Isle-Adam23, Stéphane Mallarmé24 et Paul Verlaine25. Villiers de l’Isle-Adam était un mélange surprenant des qualités les plus contraires. Peu d’esprits plus singulièrement doubles que le sien. Le lyrisme et l’ironie se mêlaient en lui. Son action fut considérable, destructive et féconde à la fois. Personne ne railla plus amèrement les prétentions et les crédulités positives de notre époque. C’était dans son souverain pouvoir de créer un monde imaginaire que Villiers prenait le droit de mépriser le monde réel. Bien plus, son idéalisme intransigeant niait la réalité même. Pour Villiers, l’homme se choisit lui-même son illusion, et le monde n’est que la forme extérieure et visible de ses idées. Dans son beau drame poétique d’Axel26, Axel est grand jusqu’au jour où il consent une minute à ce qu’existe une réalité en dehors de celles qu’il se crée à lui-même. Tribulat Bonhomet27 est stupide parce que, comme disait Flaubert, « il croit, comme une brute, à la réalité des choses ».
Cette doctrine hautaine contrastait avec la servitude matérielle, à laquelle l’art naturaliste obligeait ses partisans. Elle revendiquait le droit à la fiction. Vous savez celles que nous a laissées Villiers. Elles sont la contrepartie des fables ironiques et dédaigneuses où il résumait, pour qu’on en rît, tout ce qui cherche à détourner l’homme de l’Illusion supérieure de son Rêve.
Si Villiers de l’Isle-Adam fut, comme l’a qualifié pittoresquement M. Remy de Gourmont28, « l’exorciste du Réel et le portier de l’Idéal », Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine furent, pour les jeunes gens de 1885, les initiateurs d’un art nouveau.
L’influence de Paul Verlaine fut, des deux, la première sentie. Verlaine apportait, pour ainsi dire, en ses mains ouvertes, un bouquet de fleurs nouvelles, odorantes et délicieuses. Mallarmé, plus secret, apportait, en ses mains fermées, des graines obscures et fécondes. Verlaine enseignait à poser les doigts sur la flûte d’une façon ingénieuse et inattendue. Mallarmé indiquait moins un doigter nouveau au buis sonore qu’à y souffler une haleine mystérieuse.
Verlaine fut l’illustration de ce principe nécessaire que tout poète doit se faire à lui-même sa poésie, en toute indépendance et toute sincérité. Sa poésie à lui, Verlaine, fut toute personnelle et individuelle. Il imagine peu. Nulle fiction. Être vrai. Être lui-même. Se dire tout entier. Il y a plusieurs Verlaines en Verlaine. Son individualisme eut des individus successifs ; mais, pessimiste ou saturnien, mystique ou populaire, ce qu’avant tout on admire en lui c’est le don verlainien, et le don verlainien fut délicieux. Il est fait de justesse, de simplicité, de grâce, de force naïve. Verlaine donna au vers français des nuances et des inflexions qu’il a gardées depuis. Sa modulation particulière est éparse à tous les échos.
Si l’influence de Paul Verlaine fut formelle et persuasive, celle de Stéphane Mallarmé fut rationnelle et foncière.
Le commun accord est loin de s’être fait, sur la valeur et le mérite absolus des poèmes de Mallarmé. Les objections sont trop courantes pour que j’y insiste. La plupart tombent d’elles-mêmes après une étude attentive de ces admirables et difficiles chefs-d’œuvre. Mais ce qui fut plus important encore en Mallarmé que son œuvre particulière, c’est son esthétique générale. Personne, qui l’ait étudiée, ne niera que Mallarmé n’ait été un esprit de haute et suprême culture et qu’il n’ait mis au jour d’importantes vérités poétiques. Ajoutons même que les principes sur lesquels il fonda son œuvre personnelle agirent en dehors de cette œuvre même et reçurent des applications fort différentes. Si l’influence directe de Mallarmé fut limitée, son influence indirecte fut très étendue Il exerça une efficace action occulte, et c’est à lui que revient d’avoir posé plusieurs des principes sur qui repose toute la poésie d’aujourd’hui.
Vers 1884, Verlaine et Mallarmé étaient à peu près inconnus. Tous deux, l’un en 1895, l’autre en 1898, sont morts célèbres Que s’était-il donc passé ? Leur œuvre, en 1884, était déjà, sinon achevée, du moins construite en ses parties principales. L’Après-midi d’un Faune29 et les fragments de l’Hérodiade30 étaient écrits. On avait pu lire, de Verlaine, les Fêtes galantes31, les Romances sans paroles32, et Sagesse33.
Ce ne fut dont pas à cet effort personnel qui force la gloire que Verlaine et Mallarmé durent de passer brusquement d’une obscurité relative à une célébrité universelle et à la situation de chefs d’école qu’ils occupèrent l’un et l’autre. Non. Une génération nouvelle venait de naître aux lettres, qui reconnaissait en ces deux poètes les devanciers de ses principaux désirs d’art. Ce fut un mouvement imprévu et spontané qui les entoura d’une admiration ardente La jeunesse d’alors se groupa autour d’eux.
Du coup, la poésie qui dormait se réveilla. Elle vint parmi ses nouveaux servants. Cette fois, ils ne la vêtirent point des éclatantes parures parnassiennes. Comme à la Tanit salammboenne, ils lui offrirent le Zaïmph34. Ce fut dans son voile nombreux, nuancé et transparent qu’elle s’enveloppa, et c’est à travers cette transparence mobile qu’il fallut deviner les traits énigmatiques de sa mystérieuse beauté.
La tentative fut mal accueillie. J’entends encore les injures, les rires, les quolibets, dont on salua ceux qu’on appelait les Décadents.
Qu’est-ce exactement que Décadents ?
Il y a deux sens au mot décadent, et le premier seul me semble plausible. Définissons-le. Une Littérature de Décadence est une Littérature qui a pour principe et pour usage le pastiche et l’imitation. C’est alors une littérature en Décadence qu’il faudrait dire plus justement, une Littérature qui reproduit servilement des modèles supérieurs dont elle ne présente plus que l’état dégénéré. Il y a maint exemple partiel de l’appauvrissement successif d’un genre qui en vient au fétichisme des règles établies, ressasse des formules invariables. À ce compte le véritable Décadent serait le faiseur de tragédies de 1810 ou le fabricateur de poèmes didactiques de la même époque. Saluons le Décadent dans les Briffaut et les Baour-Lormian35. Saluons par conséquent un Décadent aussi dans Chateaubriand36, auteur de la triste tragédie de Moïse37, où il se montre le rival lamentable des La Harpe38 et des Marmontel39 et l’élève de Voltaire ou de Crébillon40. Chateaubriand est donc un Décadent, puisqu’il est un imitateur et un pasticheur.
Si le Moïse de Chateaubriand est une œuvre de Décadent, ses Mémoires d’outre-tombe sont une œuvre de Décadence, au second sens du mot. N’ont-ils point, ces admirables Mémoires d’outre-tombe, par rapport avec le Chateaubriand classique des Martyrs41, le caractère dont Théophile Gautier, dans sa belle étude sur Baudelaire, définit le style de décadence ?
« Le style de décadence, dit Théophile Gautier42, n’est autre chose que l’art arrivé à ce point de maturité extrême que déterminent, à leurs soleils obliques, les civilisations qui vieillissent. Style ingénieux, compliqué, savant, plein de nuances et de recherches, reculant toujours les bornes de la langue, empruntant à tous les vocabulaires, prenant des couleurs à toutes les palettes, des notes à tous les claviers, s’efforçant de rendre la pensée dans ce qu’elle a de plus ineffable et la forme en ses contours les plus vagues et les plus fuyants. Ce style de décadence est le dernier mot du Verbe, sommé de tout exprimer et poussé à l’extrême outrance. Ce n’est pas chose aisée, d’ailleurs, ajoute Théophile Gautier, que ce style méprisé des pédants, car il exprime des idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore. »
Mettons à part, dans l’ample et belle définition de Gautier, quelques points plus particuliers et gardons-en les termes généraux tels que : recherches des nuances, recul des bornes de la langue, expression d’idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore, tous ces soins s’appliquent parfaitement bien à toutes les époques de littérature actives et belles ; c’est justement cela que firent les Renaissants du XVIe siècle et les Romantiques de 1830, Ronsard, comme Hugo. C’est cette poursuite des nuances qui fait Racine, comme elle fait Baudelaire. C’est ce désir de nouveauté qui anime les poètes les plus divers. Sans cette recherche du « non entendu encore », il n’y a plus que pastiche et imitation. Une Littérature dépourvue de ce désir du nouveau serait forcément stérile. De siècle en siècle, d’âge en âge, d’école en école, on a cherché, comme dit Gautier, à reculer les bornes de la langue, à exprimer l’inexprimable, à émettre des idées neuves et à trouver des formes nouvelles. C’est l’état naturel et successif de toute Littérature ; il fut commun aux poètes d’autrefois comme aux poètes d’aujourd’hui, de même que ce sera le souci des poètes de demain.
Tout ce que je veux bien admettre, et qui pût mériter aux jeunes poètes d’il y a quinze ans le nom de Décadents, comme l’entend Gautier, fut qu’ils portèrent à cette recherche du nouveau une hardiesse et une audace trop hardie et trop audacieuse, un goût d’extrême raffinement. Oui, je veux même reconnaître en eux, tout de suite, l’excès de cette tendance intéressante en elle-même, qui, plus d’une fois, par manque d’expérience, par maladresse, par bravade, les conduisit souvent à la bizarrerie, à l’obscurité, au jargon. Ni Jules Laforgue43, ni Jean Moréas44, ni Gustave Kahn45, ni Édouard Dujardin46, ni Vielé-Griffin47, ni moi-même n’échappâmes à ce reproche. Affaire de jeunesse à laquelle se joignait une idée peut-être erronée et abusive des droits de la poésie. Son isolement au milieu de l’inattention contemporaine lui permettait, nous semblait-il, toute liberté. N’était-elle pas désormais un art d’initiés, un art ésotérique, comme on disait alors, et elle avait raison de s’en attribuer les privilèges.
Je crois en cela qu’on n’avait pas tort et que la seule erreur était d’appliquer trop strictement le si juste principe sur lequel doit s’appuyer l’art dans une époque démocratique et égalitaire comme la nôtre.
Tels furent donc un certain byzantinisme et un excès de subtilité, les principaux défauts des Poètes qu’on appelait Décadents, défauts plus apparents que réels et plus passagers que durables et que rachetait amplement un ardent désir de nouveauté, l’espoir d’étendre le domaine de la poésie et de cultiver à l’ombre de la Tour d’Ivoire des fleurs singulières, rares et parfumées. Ce ne fut naturellement pas ce qu’il y avait de sérieux dans les premières tentatives décadentes qui attira l’attention publique. Elle alla de suite aux singularités parasites pour s’en exclamer et s’en indigner. Un petit livre de parodies amusantes, intitulé les Déliquescences, et signé du pseudonyme d’Adoré Floupette48, passa de mains en mains et fit le tour de la Presse. Certains travers étaient raillés là un peu injustement mais drôlement. On rit.
Si amusantes que soient les parodies voulues, elles le sont moins que les involontaires. La plus volumineuse est celle que donna plus tard M. le comte de Montesquiou-Fezensac49-50. J’attire votre attention sur ces recueils appelés les Chauves-souris51 et le Chef des odeurs suaves parce que, quoique publiés postérieurement, ils représentent assez bien l’état d’esprit des raffinés de 1885.
Les affectations et les manies d’alors se trouvent très exactement représentées dans ces poèmes. L’auteur les a prises au sérieux et, pour en avoir inventé quelques-unes, les a adoptées toutes. Il en a dressé le répertoire. Quinze ans après, il y travaille encore avec une persévérance admirable dans l’artifice démodé et l’obstination stérile.
Si les Poètes de l’École Décadente en étaient restés à ces premières excentricités du début, ils ne tiendraient guère en littérature qu’une place de curiosité. Mais il fut loin d’en être ainsi. Ce qui persévéra d’eux-mêmes, à travers une première poussée, fut la sève vivace qui les animait, le désir de créer du neuf, de trouver des moyens nouveaux d’expression et des nuances nouvelles de sentiment, non pas de créer une mode en poésie, mode curieuse et subtile, mais de la ramener à son devoir éternel ; c’est pourquoi l’École Décadente prit peu à peu une importance qu’on peut vraiment qualifier de considérable. À l’effort initial des poètes qui, les premiers, tentèrent la fortune d’une poésie nouvelle se joignirent bientôt d’autres efforts. Le groupe primitif se fortifia vite. Ce ne fut plus une tentative isolée d’esprits mécontents du passé, ce fut la réunion, pour l’œuvre commune, des talents les plus divers.
Je ne peux pas vous faire ici, année par année et jour par jour, l’histoire de ce mouvement littéraire. L’ensemble et le résultat seuls importent. D’ailleurs, vous savez aussi bien que moi qu’il se forma dans l’art, et même dans les arts, entre 1885 et 1890, un état d’esprit connu sous le nom de Symbolisme, de l’appellation qui succéda à celle des Décadents.
Avec le Symbolisme, quelque chose était né qui était plus qu’une vaine agitation et dont la critique commençait à s’occuper sérieusement. M. Ferdinand Brunetière52 fut l’un des premiers à interroger l’horizon. Des noms apparaissaient, des œuvres avaient paru. Les nouveaux venus avaient un public, des journaux, des revues.
Ce fut l’époque de ce qu’on appela les Petites Revues. Elles firent œuvre utile et active. Elles circulaient partout sous leurs couvertures jaunes, rouges, blanches, vertes ou bleues. Elles proclamaient des opinions et répandaient des idées. Elles duraient peu généralement, mais leur action était plus durable qu’elles. Les plus connues furent la Revue Indépendante d’Édouard Dujardin, la Vogue de Gustave Kahn, les Entretiens Politiques et littéraires de Francis Vielé-Griffin. Quelques-unes ont survécu, existent encore, prospères même, la Revue Blanche par exemple ou le Mercure de France.
Toutes témoignaient d’une réelle vitalité littéraire. Elles sont précieuses pour l’étude de la vie artistique de cette époque. Elles donnent un tableau exact des préférences et des préoccupations intellectuelles de cette génération de poètes et d’écrivains. C’est là qu’on trouvera, avec ses origines et ses désirs, la doctrine esthétique qu’ils cherchèrent à réaliser dans leurs œuvres.
Il importerait maintenant de dire quelle fut cette doctrine. Le nom de Symbolistes dont on désigna ces poètes n’est point suffisamment explicatif de leurs tendances littéraires, il n’en indique que l’un des points. L’emploi du symbole, comme moyen d’expression poétique, fut certes une des caractéristiques apparentes de l’art nouveau, mais j’aimerais mieux vous parler d’autres préoccupations qu’il eut, peut-être plus générales et à coup sûr non moins foncières.
M. Remy de Gourmont les résume ainsi dans la Préface de son Livre des Masques53 : « Que veut dire symbolisme ? se demande M. de Gourmont. Si l’on s’en tient au sens étroit et étymologique, presque rien ; si l’on passe outre, cela peut vouloir dire : individualisme en littérature, liberté de l’art, abandon des formules enseignées, tendances vers ce qui est nouveau, étrange, bizarre même ; cela peut vouloir dire aussi idéalisme, dédain de l’anecdote sociale, anti-naturalisme. Tout cela n’a que peu de rapport avec les syllabes du mot, car il ne faut pas laisser insinuer que le symbolisme n’est que la transformation du vieil allégorisme ou de l’art de personnifier une idée dans un être humain, dans un paysage ou dans un récit. Un tel art est tout entier, et une littérature délivrée de ce souci serait inqualifiable.
« La littérature, en effet, n’est pas autre chose que la symbolisation de l’idée. D’où est donc venue l’illusion que la symbolisation de l’idée était une nouveauté ? Voici. Nous eûmes en ces dernières années un essai très sérieux de littérature basée sur le mépris de l’idée et sur le dédain du symbole : ce fut contre cette prétention que se dressa la réaction idéaliste. C’est ainsi qu’on crut affirmer des vérités nouvelles et même surprenantes en professant la volonté de réintégrer l’idée dans la littérature. »
Il me semble que M. de Gourmont met excellemment les choses au point. C’est bien ce désir de liberté et cette préoccupation d’idéalisme qui caractérisent l’art littéraire moderne. M. de Gourmont signale aussi comme préoccupations complémentaires le goût du bizarre et l’anti-naturalisme. Rien de plus vrai, si l’on ajoute que ces deux tendances furent l’une, momentanée, l’autre circonstancielle. Ce qui survécut à leur faveur passagère fut bien l’individualisme et l’idéalisme. C’est bien ce double instinct qui trouva son exemple dans Verlaine et dans Mallarmé. Verlaine fut en effet le plus individuel des poètes, comme Mallarmé en fut le plus idéaliste.
J’emprunte à l’écrivain déjà cité la définition du sens et de la portée de cet idéalisme : « Une vérité nouvelle est entrée récemment, dans la littérature, nous dit-il, et dans l’art, et c’est une vérité toute métaphysique et vraiment neuve puisqu’elle n’avait pas encore servi dans l’ordre esthétique. Cette vérité, c’est le principe de l’idéalité du monde. Par rapport à l’homme, sujet pensant, le monde, tout ce qui est extérieur au moi, n’existe que selon l’idée qu’il s’en fait. Autrement dit, le monde est ma représentation. Je ne vois pas ce qui est ; ce qui est, c’est ce que je vois54. »
Je crois bien que cet idéalisme est la clef métaphysique de la plupart des esprits de la génération qui composèrent l’École Symboliste. C’est cet idéalisme que nous trouvons au fond de l’œuvre de Villiers de l’Isle-Adam comme de celle de Mallarmé. M. Maurice Barrès55 en dérive aussi bien que M. Paul Adam56. C’est cette idéalité du monde et cette réalité de l’idée qu’exprime sous une forme figurative le beau poème de Mélusine, de M. Jean Moréas57. C’est ce que veut dire l’Après-midi d’un Faune de Stéphane Mallarmé sous son admirable fable bucolique ; c’est ce que signifient les Palais Nomades58 de M Gustave Kahn, les vers de M. Stuart Merrill59, comme ceux de M. Francis Vielé-Griffin ; c’est ce que j’ai essayé de dire moi-même maintes fois ; c’est ce que dit toute cette poésie qui a chanté lyriquement et symboliquement les transpositions infinies du moi, dans les formes de la nature et de la vie, les images de la légende et les figures des mythes, de M. Maurice Maeterlinck60 à M. Émile Verhaeren61, de M. Rodenbach62 à M. Samain63, tous ceux enfin qui ont cherché dans le spectacle du monde les symboles d’eux-mêmes et de tout l’homme qui est en chacun d’eux.
Toute poésie a un double intérêt. Elle est intéressante par ce qu’elle exprime, elle est intéressante par la façon dont elle s’exprime. Je crois donc qu’il ne serait pas inutile de nous arrêter un instant sur les moyens d’expression que se sont créés les poètes d’aujourd’hui.
Pendant très longtemps, le moyen fondamental et commun fut, il faut le dire, la description. La poésie française, au fond, fut descriptive. Elle le fut très largement et très diversement, comme il y a mille manières de l’être. On peut être en effet descriptif d’idées, de sentiments, de paysages. Un récit est une description d’événements ; une élégie une description de pensées ; une ode est une description lyrique. Il y a des descriptions objectives. Évoquer même est encore décrire sans que décrire soit toujours évoquer. On en était là. Le procédé semblait immuable.
Or, en examinant bien, nous verrons qu’il s’est introduit récemment en poésie, à côté de ce procédé traditionnel et qui paraissait inévitable, un artifice nouveau. Au lieu de décrire, on a voulu suggérer. Petit fait, gros de conséquences et de portée considérable. Cet emploi de la suggestion rythmique et métaphorique est une trouvaille littéraire des plus curieuses. La découverte en revient aux poètes d’aujourd’hui et je ne suis pas sûr que ce ne soit pas la particularité qui leur vaudra le mieux la mémoire de l’avenir. Voyons donc plus exactement ce qu’il en fut au juste de ce nouveau pouvoir suggestif et incantatoire dont s’est enrichie la poésie moderne.
Je crois qu’en étudiant l’histoire de ce que nous pourrions appeler les méthodes d’expressions poétiques, nous en arriverions assez aisément à conclure que la principale et la plus habituellement usitée fut à peu près celle-ci :
La poésie consistait donc à ce que le poète cherchât, par les moyens en son pouvoir, à imposer au lecteur son émotion et sa pensée. Pour cela, il usait de toutes les ressources du discours, tant oratoires qu’imaginées, en y ajoutant celles, particulières en son cas, du rythme ci de la rime. C’est là le procédé habituel des grands classiques de la Renaissance et du XVIIe siècle. C’est aussi celui des Romantiques et des Parnassiens : Un Lamartine n’en use pas autrement. Sa poésie est une impérieuse séduction. C’est ainsi qu’agit Hugo qui, puissant et despotique, force et subjugue. Le poète oblige à sympathiser avec lui. Il ordonne qu’on le subisse. La poésie est pour ainsi dire autoritaire. Le lecteur accepte du poète la poésie toute faite.
Or, c’est justement tout le contraire de cette obéissance que les poètes d’aujourd’hui prétendent demander à leur lecteur. Au lieu d’imposer sa pensée, le poète, pour ainsi dire, la propose, la présente, l’offre, non pas directement, et d’une façon positive, mais figurée et voilée, de manière qu’il soit nécessaire de la reconnaître et de la pénétrer.
L’impression poétique ne naîtra donc pas chez le lecteur d’une sorte d’obligation mentale elle résultera bien plutôt désormais d’une sorte de connivence spirituelle. Le moyen d’entente ne sera donc plus d’une part l’autorité et de l’autre la soumission. Le poète cherchera moins à dire qu’à suggérer. Le lecteur aura moins à comprendre qu’à deviner. La poésie semble donc résigner son vieux pouvoir oratoire dont elle s’est servie si longtemps Elle n’exige plus, elle suggère Elle ne chante plus, elle incante. De vocale, si l’on peut dire, elle devient musicale.
Ce désir d’être plus suggestive que péremptoire est, je crois bien, l’invention capitale de la poésie d’aujourd’hui. C’est à cela qu’elle doit la plupart de ses qualités et de ses défauts. Cela explique ce qu’elle a acquis de vague, d’incertain et de mystérieux, de fluide et de nuancé. Il y a infiniment plus de moyens pour suggérer que pour dire. L’allusion est infinie, indirecte, furtive, c’est sous cette forme nouvelle qu’est apparue de nos jours la Poésie.
Beaucoup n’ont pas voulu reconnaître dans cette harmonieuse et sibylline apparition l’Antique Muse méconnue. Ils se demandaient où étaient les robes éclatantes qu’elle portait au temps des Romantiques, les colliers et les joyaux qu’avaient ciselés pour elle les bons artisans du Parnasse et, à la voir ainsi enveloppée de voiles mouvants et nombreux, ils pensaient n’avoir devant eux que son ombre vaine, oubliant qu’il suffisait d’écarter ces voiles pour retrouver derrière leurs plis le visage éternel de celle qui ne meurt pas.
Ce désir de suggestion se rapporte en Poésie à l’emploi d’un mode d’expression qui n’est pas unique dans l’art, mais dont elle renouvela l’usage : le Symbole.
Le Symbole est le couronnement d’une série d’opérations intellectuelles qui commencent au mot même, passent par l’image et la métamorphose, comprennent l’emblème et l’allégorie. Il est la plus parfaite, et la plus complète figuration de l’Idée. C’est cette figuration expressive de l’Idée par le Symbole que les Poètes d’aujourd’hui tentèrent et réussirent plus d’une fois. Ce très haut et très difficile désir artistique est tout à leur honneur. Par là, ils se rattachent à ce qu’il y a de plus essentiel en poésie. La visée est ambitieuse peut-être, mais il n’est point interdit de chercher haut, et même, si parfois la corde de l’arc se rompt, il est des buts qu’il est déjà méritoire d’avoir envisagés, même en pensée.
Si le Symbole semble bien être la plus haute expression de la poésie, son emploi ne va pas sans certains inconvénients. En pratique tout symbolisme comporte une certaine obscurité inévitable. Un poème ainsi conçu, quelles que soient les précautions qu’on prenne pour le rendre accessible, n’est jamais d’un accès immédiatement facile. La raison en est qu’il porte son sens en lui, non pas d’une façon apparente, mais d’une manière secrète, de même que l’arbre porte en sa graine le fruit qui en naîtra. Un symbole est, en effet, une comparaison et une identité de l’abstrait au concret, comparaison dont l’un des termes reste sous-entendu. Il y a là un rapport qui n’est que suggéré et dont il faut rétablir la liaison.
Le nombre des symboles est infini. Chaque idée a le sien ou plus exactement les siens Ce n’est pas seulement dans la nature que les poètes ont cherché les symboles de leurs idées. Ils ont également puisé au vaste répertoire des Mythes et des Légendes.
Les Légendes et les Mythes ont été, de tout temps, en faveur chez les poètes, chez ceux d’autrefois comme chez ceux d’aujourd’hui. Le Mythe et la Légende n’offrent-ils pas des images transfigurées et grandies de l’Homme et de la Vie ? Ne constituent-ils pas une sorte de réalité idéale où l’humanité aime à se représenter à ses propres yeux ?
L’utilisation de la Légende et du Mythe en poésie est constante. Sans remonter haut, comme il serait aisé de le faire, disons de suite que le Romantisme et le Parnasse y recoururent. Hugo, par exemple, et Leconte de Lisle, pour ne nommer qu’eux, s’en servirent. Mais tous deux, il importe de le remarquer, prennent et utilisent la Légende et le Mythe dans sa beauté plastique et sa réalité supérieure. Ils la racontent ou la décrivent. Ils se font les contemporains volontaires de ce passé fabuleux. Ce sont pour eux des anecdotes grandioses et séculaires. Les Dieux et les Héros demeurent pour eux des personnages du passé, à demi-historiques, personnages d’une histoire sans doute merveilleuse qui est celle d’un monde plus beau, plus grand, plus pittoresque par l’éloignement et la distance où il est du nôtre.
Les Poètes récents ont considéré autrement les Mythes et les Légendes. Ils en cherchèrent la signification permanente et le sens idéal ; où les uns virent des contes et des fables, les autres virent des symboles. Un Mythe est sur la grève du temps, comme une de ces coquilles où l’on entend le bruit de la mer humaine. Un mythe est la conque sonore d’une idée.
Cette faveur de la Légende et du Mythe fut donc une conséquence naturelle de la préoccupation d’exprimer symboliquement des idées qui a valu aux poètes d’aujourd’hui le nom sous lequel on les désigna. Cette caractéristique s’ajoute aux tendances idéalistes que j’ai déjà signalées et qui sont un des traits marquants de l’école actuelle.
Il semble que ce mot d’École soit en contradiction avec ce goût d’individualisme que j’ai relevé aussi chez nos poètes. En effet, qui dit école dit communauté de but et de moyens. À ce compte, le seul groupe de poètes français qui eût jamais mérité ce nom serait la Pléïade ronsardienne du XVIe siècle64. Là il y eut véritablement entente étroite et ressemblance véritable. Tout Remy Belleau ou tout Baif pourrait être dans Ronsard. Au contraire les poètes d’aujourd’hui sont singulièrement dissemblables les uns des autres. Il faut remonter à des principes généraux très profonds pour déterminer à leur effort personnel un point de départ commun. Quoi de plus différent que Mallarmé et Verlaine ? Il y a, entre Jules Laforgue et Jean Moréas, une distance singulière. M. Kahn et M. Merrill sont aussi loin l’un de l’autre que l’est M. Vielé-Griffin de M. Émile Verhaeren. Rarement, l’art fut plus nettement individuel que chez ces poètes ; non seulement ils détestèrent l’imitation réciproque qui déconsidère, mais même l’imitation d’un modèle anonyme qui désindividualise. Bons ou mauvais, ils ne doivent qu’à eux-mêmes d’être tels. Ils répugnèrent à l’observance des formules esthétiques établies et eurent un vif et fort sentiment de l’indépendance absolue du Poète et de la Poésie. C’est cet esprit d’indépendance et de liberté qu’ils portèrent dans une question qui, sous une apparence technique, touche à la Poésie même, puisque, en Poésie comme en tout art, les moyens d’expression sont la condition même de ce qu’on exprime.
Je ne peux pas étudier ici, comme il le faudrait, les origines et les transformations du vers français. Prenons-le donc tel que les Romantiques le léguèrent aux Parnassiens qui prirent une noble peine à l’affermir et à le régler, pensaient-ils, définitivement. Par eux l’art du vers est codifié pour rester immuable. Il y a une Règle.
Or il arriva, il y a une quinzaine d’années, que quelques écrivains, prévenus instinctivement, s’aperçurent que certaines de ces règles du vers, si impérieusement établies, reposaient peut-être plus sur l’usage que sur une nécessité véritable ; ils résolurent de s’en affranchir. De là, tout un travail de refonte critique qui porta sur la versification établie et contribua tout d’abord à la rendre plus souple, plus harmonieuse, plus variée. La place obligatoire des césures fut modifiée. Le fétichisme de la rime riche fut remplacé par un culte plus rationnel. L’assonance tint lieu de la rime, comme l’écho peut tenir lieu du timbre qu’il répète diminué. Le hiatus rapprocha les uns des autres des mots sans rapport entre eux depuis longtemps. Des contraintes cessèrent.
Le Vers, tel qu’il existe en français, a ceci d’assez particulier qu’on peut dire qu’il préexiste, en quelque sorte, à la pensée qu’il doit exprimer. Il est un moule qu’elle vient remplir. Il en résulte pour la pensée une obligation virtuelle à laquelle elle se doit assujettir. Peu à peu l’opinion se forma, parmi les jeunes écrivains d’il y a quinze ans, qu’on pourrait peut-être bien se délivrer de cette servitude, que le vers, après tout, n’est qu’une conséquence et qu’un résultat, qu’il doit naître à mesure, se subordonner et se proportionner à ce qu’il veut dire ou suggérer, qu’il n’est rien en lui-même et ne doit être que ce qu’on le fait. Pour tout dire que le Vers n’est qu’un fragment du rythme, et que c’est au rythme seul qu’il doit obéir.
Le vers, en ces nouvelles conditions et en ce nouvel état, prit le nom de Vers libre ou de Vers polymorphe, c’est-à-dire qui a toutes les formes, selon que la pensée les nécessite.
Sur la pratique du Vers Libre, je ne puis que vous renvoyer aux ouvrages spéciaux qui en traitent et aux œuvres des poètes qui l’ont employé. Grâce à eux il a acquis une indéniable existence littéraire. Loin de détruire l’ancienne coutume, il n’a fait qu’y adjoindre des ressources imprévues. Lisez M. Vielé-Griffin, M. Verhaeren, vous verrez ce qu’il leur a fourni de fort et de délicat. Mais, sans aller plus loin, je tenais à signaler à votre attention cette réforme prosodique, non seulement pour son importance littéraire, mais parce qu’elle est une marque curieuse de l’état d’esprit contemporain et que c’est bien un trait d’individualisme que d’avoir voulu créer une métrique pour ainsi dire individuelle.
Tout en parlant poésie, me voici insensiblement arrivé aux poètes, mais c’était déjà parler d’eux que de parler de la façon dont ils ont compris la Poésie. Il faudrait maintenant vous montrer ce que chacun en a réalisé dans son œuvre. Mais, ce serait en revenir à prendre un rôle pour lequel je ne suis pas fait et dont je me défendais au début même de cette conférence. J’avais soin de me présenter à vous non point comme un critique, mais comme un poète. C’est Pourquoi justement je sais le tort que l’on a fait à des poèmes en cherchant à en donner une idée critique, c’est-à-dire explicative. Les commentateurs sont les plus mortels ennemis de la Poésie. Un poème est un ensemble d’images, de rythme, d’harmonie qui existe par lui-même et qui cesse d’exister si on le décompose et si on en disserte… Je ne saurais m’empêcher tout au moins de vous nommer les poètes qui, autour de Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé, nous ont donné durant quinze ans une belle et riche période de Poésie individuelle et idéaliste.
Ce fut, il faut, le dire ; en dépit d’erreurs partielles, une très belle et très féconde période poétique que celle où Jean Moréas rythmait les vers savoureux et sonores des Cantilènes et du Pèlerin Passionné65, tandis que Jules Laforgue chantait ses mélancoliques Complaintes66, et nous proposait l’Imitation de N.-Dame la Lune67. M. Gustave Kahn à ses Palais Nomades ajoutait ses Chansons d’amant68 et répondait aux improvisations brillantes de M. Retté69. MM Quillard70, Mikhaël71 et Herold72 chantaient les Héros et les Dieux M. Laurent Tailhade73 coloriait ses vers somptueux de ses Vitraux74. M. Albert Samain promenait sa mélancolie au Jardin de l’Infante75. Maurice Maeterlinck construisait ses drames mystérieux et tragiques où meurt Maleine77, où aiment Mélisande et Pelléas.
L’étonnant métaphoriste Saint-Pol-Roux78, en son Épilogue des saisons humaines79, rivalisait avec Paul Claudel80 dans Tête d’or81 et dans la Ville82. M. Stuart Merrill, sonore et éclatant, martelait les strophes de ses Fastes83, pendant que Georges Rodenbach brodait silencieusement les vers subtils de son Règne du silence84. Ce n’est point une époque méprisable que celle où M. Émile Verhaeren écrivait ses poèmes fougueux et magnifiques et évoquait dans une langue frémissante les Campagnes hallucinées85, ou les Apparus dans mes Chemins86 ou tel autre des nombreux recueils où s’affirmait sa maîtrise, tandis que M. Vielé-Griffin prouvait la sienne en ajoutant des nuances et des tons à son talent discret et pathétique et nous contait la Chevauchée d’Yeldis87 ou les épisodes symboliques d’Ancaeus88 ou de Phocas le Jardinier89. Je pourrais allonger cette liste presque indéfiniment. Des prosateurs qui sont des poètes s’y joindraient d’eux-mêmes où M. Paul Adam retrouverait M. Remy de Gourmont. M. Marcel Schwob90 s’y trouverait auprès de M. Pierre Louÿs91. Y ajouterais-je Paul Fort92 ou André Gide93 que je n’aurais pas encore fini de nommer tous ceux à qui la Poésie récente doit sa continuelle vitalité, car le Symbolisme fut, durant ces quinze années, la seule tentative d’art intéressante et originale. C’est en vain que quelques arrière-romantiques et que quelques sous-parnassiens attardés essayèrent de prolonger des formules mortes. Les Jean Rameau94 et les Maurice Bouchor95 ne comptent pas plus dans l’art d’un temps que les Viennet96 et les Ponsard97 dans l’art d’un autre.
Ne vous méprenez pas, et ne pensez pas que je veuille dire que tout soit parfait dans le Symbolisme. J’en connais les défauts et je les reconnais. Je sais qu’il n’a pas réalisé tout ce qu’il promettait ou du moins tout ce qu’il se promettait, mais il n’en est pas moins vrai que son action et son œuvre furent incontestables et je voudrais comme preuve dernière que les symbolistes furent tout de même des poètes, que c’est à l’un d’eux qu’on s’est adressé pour vous parler ici de poésie.
J’aurais voulu le faire plus clairement et plus explicitement, mais je serais heureux d’avoir réussi à vous montrer sur le mur de l’histoire littéraire la treille poétique d’aujourd’hui. Je n’ai pu vous en indiquer toutes les ramifications et vous en dessiner complètement l’espalier, et j’ai, pour ainsi dire, seulement soupesé la grappe sans tenter d’en compter les grains.
D’ailleurs, il serait, je crois, prématuré d’essayer une étude complète du Symbolisme. II faudrait, pour le juger entièrement dans ses principes et dans ses résultats, attendre que les poètes qui y contribuèrent aient achevé l’œuvre entreprise. La plupart sont encore juste à l’âge d’ajouter à ce qu’ils ont fait jusqu’à présent les productions magistrales et peut-être décisives de leur maturité. Les meilleurs en sont même exactement à cet instant de la vie où l’homme est maître de ses plus amples forces intellectuelles, et s’ils sont les poètes d’aujourd’hui, ils sont encore les poètes de demain.
Pour dire vrai, ce n’est pas à eux seuls qu’appartient l’avenir et que la Poésie devra ses prochaines destinées. Une nouvelle génération, qui vient, rêve à son tour un art à sa convenance et à l’empreinte de son esprit. Son travail est commencé ; de nouvelles tendances se manifestent ; des réputations s’esquissent, qui grandiront à leur tour. Que sera demain cette littérature de tout à l’heure ? Il est difficile de le dire. Tout ce qu’on peut affirmer c’est qu’une belle activité apparaît parmi les jeunes gens. On fait beaucoup de vers en France à l’heure actuelle. Le meilleur moyen de savoir ce que veulent les poètes de demain est encore de savoir ce qu’ils reprochent à la Poésie qui est déjà pour eux la Poésie d’hier. Or, le reproche général que l’on fait au symbolisme et qui les résume tous en un mot : c’est d’avoir négligé la Vie. Nous avons rêvé ; ils veulent vivre et dire ce qu’ils ont vécu, directement simplement, intimement, lyriquement. Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments. C’est le vœu des meilleurs d’entre les nouveaux venus, des Fernand Gregh98, des Charles Guérin99 ou des Francis Jammes100.
C’est donc vers la Vie qu’ils ramèneront la Muse, non plus pour qu’elle la rêve, mais pour qu’elle la vive. Au lieu de présenter à ses oreilles les conques sonores où l’on entend le murmure d’une mer idéale, ils l’assoieront au bord des flots mêmes pour qu’elle en écoute la rumeur et qu’elle y mêle sa voix.
Elle les suivra demain comme elle est venue hier s’abriter au palais de songes que d’autres lui avaient construit. La Poésie d’ailleurs n’a ni hier, ni demain, ni aujourd’hui. Elle est partout la même. Ce qu’elle veut c’est se voir belle, et peu lui importe, pourvu qu’elle y mire sa beauté, la source naturelle des bois ou le miroir par lequel un artifice subtil lui montre son visage divin dans la limpidité cristalline d’une eau fictive et imaginaire.
Henri de Régnier
ANNEXE I :
Pall-Mall Semaine — Par Raitif de la Bretonne101
Vendredi 14 mai — Non, décidément, les hommes n’ont pas bonne presse dans le désastre du Bazar de la Charité : après les fuyards à main armée de la rue Jean-Goujon102, l’émeute ridicule des élèves des Beaux-Arts103, la semaine est plutôt désastreuse pour le sexe fort. Il y avait eu le krach des cuivres104, le krach des Botticelli, puis le krach des Burne Jones105. Cette fois, c’est le krach des hommes… du monde, entendons-nous, car de braves ouvriers, des plombiers, des domestiques même, des larbins, espèce décriée, se sont conduits en héros, en hommes, eux, tandis que les autres…
Les autres, pour ne pas insister davantage sur leur fuite éperdue à travers de la chair de femme, ont violemment canné ; la canne, cette suprême élégance de la tenue masculine, s’est changée au poing des flirteurs en merlin et en masse d’armes : l’instinct de la conservation, plus fort que celui du sexe, a fait la métamorphose. La comtesse Mimerel106, à quatre heures, encore entourée et fêtée à son comptoir de vendeuse par un escadron de douze jeunes et fringants cavaliers, s’est vue abandonnée en un clin d’œil ; une autre femme a raconté tout au long à M. Bertulus107 qu’elle avait été arrachée de la fenêtre qu’elle venait d’ouvrir, pour laisser passer avant elle une troupe de quatorze francs fileurs ; Chacun pour soi et le feu pour toutes. La plupart des femmes ont été bousculées, piétinées, violentées, et une presse d’autant plus sévère qu’aucun de ses membres ne figurait dans la mêlée, a de la chair à chronique sous la dent pour encore au moins quinze jours.
Le feu les talonnait, me direz-vous. Vous qui daubez si joliment sur la panique féroce de ces messieurs, qui sait quelle figure vous auriez faite dans la fournaise. Soit ; mais ces messieurs n’ont pas joué de la canne que pendant, ils en ont joué après, et avec quelle désinvolture. Il y avait la canne de M. de Balzac, il y a eu celle de M. de Goncourt, nous avons depuis un mois celle des sauve-qui-peutistes ; il y a aussi celle du clubman reconnaissant les cadavres, et ce n’est pas la moins curieuse ; jugez.
Devinez comment, le soir même du sinistre, un des veufs de la journée, le mari d’une des plus charmantes et regrettées victimes, cherchait à reconnaître au Palais de l’Industrie108 les restes informes et calcinés de celle qui avait été sienne ? Impeccable, haut sanglé dans la jaquette adéquate du jour, Monsieur soulevait délicatement, les uns après les autres, les linceuls jetés sur les corps exposés… du fin bout de sa canne ; oui, du bout de sa canne, il remuait d’un geste las et combien excédé, à ce point qu’un gardien de la paix lui grommelait ces mots : « Si ça vous dégoûte, laissez-moi, je vais vous les montrer, moi, les corps… on ne touche pas aux morts avec une canne. »
Mais on est du club ou l’on n’en est pas… et ce pauvre M. de Montesquiou, que M. Boldini nous montre cette année, au Champ de Mars, hypnotisé dans l’adoration de sa canne, cette canne qui…, cette canne que… enfin, vous m’avez compris ; cette canne, massue pour femme vivantes et pincette pour femmes mortes, cette canne désormais tristement célèbre dans les fastes de l’élégance masculine, cette canne de fâcheuse mémoire… Pauvre M. de Montesquiou, pour une mâle chance, la voilà bien, la guigne noire.
Notes
1 Note d’Henri de Régnier : « J’ai gardé à cette conférence, faite à la Société des Conférences, le 6 février 1900, le même titre que porte l’excellent recueil de Morceau choisis que MM. Van Bever et Léautaud viennent de publier et dont elle se trouve être le commentaire. »
2 Texte d’Henri de Régnier paru dans le Mercure d’août 1900, pages 321 à 350. Les (très) nombreuses capitales sont de l’auteur.
3 On peut imaginer qu’Henri de Régnier pense aux Orientales, paru en janvier 1829 chez Gosselin : « Trois monts, bâtis par l’homme au loin perçaient les cieux / D’un triple angle de marbre et dérobaient aux yeux / Leurs bases de cendres inondées ; » ou aux Feuilles d’automne, paru dans la Revue des deux mondes de juillet 1831 : « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, / Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, / Et du premier consul, déjà par maint endroit, / Le front de l’empereur brisait le masque étroit. » Pour ces deux textes : Pléiade 1964, page 587 et 717.
4 Alphonse de Lamartine (1790-1869), comme son aîné Chateaubriand et son cadet Victor Hugo a été à la fois poète et homme politique. Touche-à-tout, on peut dire que sa vie a été faite de « petits boulots », et l’on peut ajouter au XXIe siècle, de petits poèmes. Secrétaire d’ambassade en Italie jusqu’en 1830, il a été élu à l’Académie française en 1829 avant de se tourner vers la politique royaliste en août 1830 mais n’a été élu député qu’en 1833 (sur la base Sycomore des députés, saisir « de Lamartine »). Député légitimiste du Nord à partir de janvier 1833, Alphonse de Lamartine a ensuite été réélu à sept reprises sans discontinuer jusqu’en décembre 1851, dans divers départements et sous diverses étiquettes, jusqu’à la gauche. Suite à la Révolution de février 1848, la deuxième République est proclamée. Alphonse de Lamartine se présente à la Présidence mais remporte le score humiliant de 0,28 % et ne peut décemment se présenter comme député, même si pendant les mois de février à mai 1848 il a pu être ministre des Affaires étrangères, temps pendant lequel il a signé le deuxième décret d’abolition de l’esclavage (le 27 avril).
5 Alfred de Musset (1810-1857) reste de nos jours encore comme l’un des plus grands auteurs dramatiques de son temps. Programmer Les Caprices de Marianne, Lorenzaccio ou Les Caprices de l’amour au début du XXIe siècle demeure encore une assurance de succès. Ses poésies sont encore connues par cœur et tout le monde peut réciter « Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; » ou « Du temps que j’étais écolier, / Je restais un soir à veiller / Dans notre salle solitaire. / Devant ma table vint s’asseoir / Un pauvre enfant vêtu de noir, / Qui me ressemblait comme un frère. » L’inspiration d’Alfred de Musset ne perdura malheureusement pas au-delà de ce milieu des années 1930. Maurice Boissard a plusieurs fois cité Alfred de Musset dans ces chroniques, sans toutefois chroniquer une seule de ses pièces
6 Contrairement à ses devanciers cités en note ici, Théophile Gautier (1811-1872), donna davantage l’impression d’avoir été de son temps, en étant, par exemple, journaliste. L’œuvre majeure de Théophile Gautier est son roman épistolaire de 1935, Mademoiselle de Maupin, paru chez Eugène Randuel, l’éditeur des romantiques (351 pages).
7 Alfred de Vigny (1797-1863) est militaire issu d’une longue lignée de militaires, ce qui conduit rarement à la poésie et jamais à une poésie de qualité. Disons qu’il est l’exception, encore que… Alfred de Vigny a été élu à l’Académie française en 1845, à la huitième tentative par une académie hostile. Son discours de réception, exceptionnellement long (57 000 caractères) et ne répondant pas aux critères de soumission de l’époque, a reçu une vigoureuse réponse de Mathieu Molé en deux fois moins de phrases, dans lesquelles jamais le mot romantisme n’a été prononcé.
8 La Maison du Berger est un poème du recueil Les Destinées, dont des fragments sont d’abord parus dans la Revue des deux mondes avant d’être réunis en volume en 1864 par Michel Lévy. Ce recueil comprend aussi l’inévitable Mort du loup.
9 Charles Leconte de Lisle (le prénom est généralement omis, 1818-1894) est unanimement considéré comme le maître des parnassiens, par son ancienneté, d’abord, par son charisme ensuite, par le fait qu’il a été le premier à en définir clairement la doctrine et enfin par sa publication de trois volumes de poésies rassemblant une centaine de poètes sous le titre Le Parnasse contemporain, chez Alphonse Lemerre entre 1866 et 1876. Cet ouvrage est resté la référence poétique de toute cette fin de siècle. La doctrine parnassienne peut être résumée par un certain retrait, un fort attachement à la forme stricte, un classicisme rigoureux et une référence constante aux mythologies. Charles Leconte de Lisle condamne donc fermement les lamentations débridées et autocentrées des romantiques, et pour tout dire les enterre. Très soutenu par Victor Hugo, Charles Leconte de Lisle a été élu à l’Aoù il est très vite accepté et reconnucadémie française à la mort de celui-ci (en mai 1885), l’a remplacé au fauteuil quatorze en février 1886 et a prononcé son éloge en mars 1887. Le 29 février 1928, PL aura une opinion assez tranchée sur ce poète (« une ânerie considérable »).
10 Charles Baudelaire (1821-1867, à 46 ans) est l’auteur immortel des Fleurs du mal. Tout Baudelaire est résumé dans ce titre : l’opposition, le basculement que l’on retrouve dès les deuxième et troisième vers des Fleurs du mal ou esprit et corps riment avec « aimables remords ». L’un des drames de la vie de Baudelaire est la mort de son père, âgé (68 ans alors qu’il a six ans) et surtout le remariage de sa mère née Caroline Archimbaud Dufays (1793-1871) l’année suivante avec un militaire, Jacques Aupick (1789-1857). C’est donc dès sa prime jeunesse que la dualité s’est imposée à lui. Ce remariage a entrainé des réactions violentes chez l’adolescent puis le jeune adulte, ce qui a conduit aux mêmes violentes réactions chez le militaire. Charles Baudelaire devient journaliste, critique d’art, fréquente les prostituées, s’adonne à diverses drogues. Sa majorité lui permet enfin d’entrer en possession et de dilapider l’héritage de son père biologique. Ses dépenses inconsidérées le font placer sous une tutelle qu’il juge très restrictive et humiliante au point d’entraîner une tentative de suicide. En 1857, à 36 ans, paraissent Les Fleurs du mal chez Auguste Poulet-Malassis et Eugène de Broise (244 pages). L’ouvrage est assez mal reçu mais Victor Hugo est enthousiaste.

Charles Baudelaire et son éditeur sont condamnés pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » et l’ouvrage amputé de six poèmes. Il ne reste plus que la Belgique, où faire publier les six poèmes qui, joints à 17 autres, formeront Les Épaves, « chez tous les libraires ». Il ne lui reste plus qu’à mourir.
11 Théodore Faullain de Banville (1823-1891), poète, auteur et critique dramatique. Considéré de son vivant comme un poète majeur, il était l’ami de Victor Hugo, de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier. On se souvient (Journal littéraire de Paul Léautaud au treize février 1928), que Théodore de Banville habitait le rez-de-chaussée du dix rue de l’Éperon et que Maurice garçon a habité — évidemment plus tard — l’appartement au-dessus.
12 Lorsqu’Henri de Régnier évoque « les trouvailles funambulesques de Théodore de Banvile » il pense évidemment à ses Odes funambulesques, publiées, comme Les Fleurs du mal, chez Auguste Poulet-Malassis et Eugène de Broise en 1857 (244 pages). Dans Le Figaro du cinq juillet 1857, nous pouvons lire, sous la magnifique plume de Gustave Bourdin (déjà cité en note 10), en ouverture du numéro : « J’ai là deux volumes imprimés et publiés par un nouveau venu qui me semble prendre à tâche de prouver une fois de plus que tout métier est doublé d’un art. — Cet éditeur, c’est M. Poulet-Malassis. Il a su retrouver toutes les coquetteries de la vielle typographie […]. [un bibliophile] n’a pas osé couper les pages des Odes funambulesques ; il les a enfermées dans une cassette en bois de cèdre […]. C’est aujourd’hui le tour des Fleurs du mal, de M. Charles Baudelaire […].
13 La Chanson des rues et des bois est une œuvre tardive de Victor Hugo, qui ouvre le troisième volume de ses Œuvres poétiques éditées par Pierre Albouy dans la Pléiade en 1974. Longtemps muri ou longtemps différé, comme on voudra, cet important recueil de poésie est d’abord paru en Belgique chez Lacroix, Verboeckhoven et cie en 1865 avant de paraître en France l’année suivante à la Librairie internationale, quinze boulevard Montmartre (443 pages).
14 Sully Prudhomme (parfois avec un tiret fautif) (René Prudhomme, 1839-1907) est surtout connu pour avoir été le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901. Avant cela Sully Prudhomme avait été élu à l’Académie française en décembre 1881. Le premier recueil de poésie de Sully Prudhomme est Stances et poèmes paru chez Achille Faure en 1865 (324 pages). Le troisième poème de ce recueil, Le Vase brisé, décrivant un chagrin d’amour, remportera néanmoins un immense succès dans les familles grâce à une description lisible à deux niveaux ; « Le vase où meurt cette verveine / D’un coup d’éventail fut fêlé ; / Le coup dut l’effleurer à peine : / Aucun bruit ne l’a révélé. // Mais la légère meurtrissure, / Mordant le cristal chaque jour, / D’une marche invisible et sûre, / En a fait lentement le tour. »
15 François Coppée (1842-1908) est un contemporain assez exact de Sully Prudhomme. Il a d’abord été, comme bien plus tard Paul Valéry, rédacteur au ministère de la Guerre. Son premier recueil, Le Reliquaire, est paru chez Alphonse Lemerre en 1866 avec une eau-forte de Léopold Flameng, ce qui est rare pour une première édition d’un auteur inconnu : « Je sais une chapelle horrible et diffamée, / Dans laquelle autrefois un prêtre s’est pendu. » Le 14 janvier 1869 est donnée à l’Odéon la première pièce de François Coppée, Le passant, un acte avec Sarah Bernhardt dans le rôle masculin de Zanetto et Agar dans celui de Sylvia, les deux seuls personnages de la pièce. Le succès a été grand pour les deux actrices, moins pour la pièce. Après avoir été bibliothécaire au Sénat en 1869 puis archiviste à la Comédie-Française en 1878, François Coppée a été élu à l’Académie française en 1884. Son étoile s’est malheureusement ternie après qu’il ait pris activement position dans « un procès célèbre », comme euphémise avec délicatesse sa notice de l’Académie française. François Coppée a ensuite confirmé ses positions en devenant l’un des fondateurs de la Ligue de la patrie française, ce qui a contribué à ruiner sa réputation jusqu’à la fin de ses jours. Plus bas dans le texte d’Henri de Régnier traitant de la fin du Parnasse nous lirons : « François Coppée se vulgarise. »
16 François Coppée, Les Humbles, recueil de poèmes, Alphonse Lemerre 1872, 160 pages : « À peine arrivait-elle en ces marchés rustiques, / Qu’un fermier l’embauchait au plus vite, enchanté / Par sa figure franche et sa belle santé ; / Et les plus rechignés comme les plus avares / Lui prenaient le menton en lui donnant ses arrhes / Et lui payaient encore un beau jupon tout neuf. »
17 Léon Dierx (1838-1912), né à La Réunion, est arrivé à Paris en 1860, à l’âge de 22 ans, où il est très vite accepté et reconnu par des parnassiens (dont plusieurs ont été cités dans les notes précédentes) au point de succéder à Stéphane Mallarmé comme « prince des poètes » à la mort de celui-ci en 1898. On peut lire un saisissant portrait de Léon Dierx par André Billy dans Le Pont des Saint-Pères, à partir de la page 156 : « Pour ce grand enfant qu’un songe continuel habitait, tout était compliqué : monter en omnibus, par exemple. Il ne s’y décidait que de loin en loin. Quant à descendre dans le métro… “Vous descendez là-dedans, vous ? soupirait-il. Eh bien moi, ça m’est arrivé une fois, mais on ne m’y reprendra plus.” »
18 José-Maria de Heredia (1842-1905), d’origine cubaine né sujet espagnol et naturalisé français en 1893 a été l’un des maîtres du mouvement parnassien bien qu’il n’ait publié qu’un seul recueil de poèmes, Les Trophées, chez Alphonse Lemerre, évidemment, en décembre 1892 (daté 1893). « Le temple est en ruine au haut du promontoire. / Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain, / Les Déesses de marbre et les Héros d’airain / Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire. » José-Maria de Heredia a été élu à l’Académie française en 1894 où il a été reçu l’année suivante par François Coppée, objet ici de la note 14.
19 Armand Silvestre (1837-1901), polytechnicien et officier du Génie, a assez logiquement composé des vers de corps de garde. Qui pourrait le lui reprocher ?
20 Catulle Mendès (1841-1909) a épousé en 1866 Judith (1845-1917), fille de Théophile Gautier (objet de la note 6). L’année suivante il a entrepris une liaison avec la compositrice Augusta Holmès dont il a eu cinq enfants dont trois filles, que l’on retrouvera dans une peinture de Renoir autour d’un piano en 1888. La dernière des filles, Hélyonne (1879-1955), a épousé Henri Barbusse. Séparé d’Augusta en 1886 mais toujours marié, Catulle Mendès à partir de 1892 a vécu avec la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948) et n’a divorcé de Judith qu’en décembre 1896 pour épouser Jeanne Mette six mois plus tard. Romancier prolifique mais décadent, Catulle Mendès écrivait avec une préciosité déjà désuète à son époque.
21 Dans la mythologie grecque, Hermès est le messager des dieux. Son équivalent dans la mythologie romaine est Mercure. Tous deux ont le pétase ailé en équipement de série, qui est, selon le TLFi « une coiffure à larges bords arrondis, à fond bas, utilisée par les voyageurs, spectateurs, paysans, etc. pour s’abriter du soleil et de la pluie. »
22 André Chénier (1762-1794) est né dans le quartier de Galata à Istanbul, d’une mère grecque et d’un négociant français. André Chénier est arrivé en France à l’âge de trois ans. Il a trop aimé les femmes dans sa prime jeunesse pour en faire de la bonne poésie et il lui a fallu attendre ses 25 ans, à six ans de mourir, pour atteindre un début de maturité poétique. Ses Bucoliques (1788), sont à peu près aussi antiques que l’original de Virgile et assez illisibles de nos jours : « Pleurez, doux alcyons ! ô vous, oiseaux sacrés, / Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez ! / Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine ! / Un vaisseau la portait aux bords de Camarine : / Là l’hymen, les chansons, les flûtes, lentement / Devaient la reconduire au seuil de son amant. »
23 Auguste de Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889), poète, romancier, auteur dramatique et journaliste. Très lié avec Catulle Mendès qui a épousé Judith Gautier, « Villiers », ainsi qu’il se laissait nommer, fut fiancé brièvement à la fin de 1866 avec Estelle, la seconde fille de Théophile Gautier, qui épousera Émile Bergerat en 1872. Cette rupture est à l’image de l’homme, qui a raté absolument tout ce qu’il a entrepris mais bénéficie néanmoins d’une réputation surprenante. Ainsi, dans Le Figaro du 12 avril 1913, page quatre nous pourrons lire, au-dessus de la signature de Victor-Émile Michelet : « Villiers de l’Isle-Adam domina de sa haute stature de chevalier la littérature de son temps. » Ne reste de lui de nos jours que ses vingt-huit Contes cruels, rassemblés chez Calmann Lévy en 1883 et son Êve future (de Brunhoff 1993, 380 pages), où Thomas Edison crée la première poupée sexuelle.
24 Stéphane Mallarmé (1842-1898), poète, professeur d’anglais, traducteur et critique d’art est considéré comme le pilier du mouvement symboliste. À cinq ans il perd sa mère, à quinze ans il perd sa sœur. Afin de mieux lire Edgard Poe, Stéphane Mallarmé apprend l’anglais, puis l’enseigne à partir de 1863, sans enthousiasme. C’est de cette époque que date la publication de ses premiers poèmes, puis son mariage avec Maria Gerhard, rencontrée alors qu’il était en poste à Sens. Après diverses mutations comme professeur en province, en 1871 Stéphane Mallarmé est enfin de retour à Paris, où il est né, et en poste au Lycée Fontanes, devenu depuis le Lycée Condorcet. 1871 est aussi l’année de la mort de son fils aîné, à l’âge de huit ans. Stéphane Mallarmé s’installe au 89, rue de Rome, face aux voies ferrées de la gare Saint-Lazare. En 1874 la santé de SM se dégrade et il séjourne souvent à Valvins, sur la Seine, à 70 kilomètres au sud de Paris dans une auberge qu’il finira par acheter. C’est vers 1884 que la réputation de SM commence à s’installer. Il est nommé au lycée Janson-de-Sally qui vient d’être achevé. C’est aussi à cette époque que sont organisés ses mardis, dans son appartement de la rue de Rome où il est demeuré. En 1893, SM obtient une mise à la retraite anticipée (à l’âge de 51 ans) et passe alors six mois d’été à Valvins ou il est mort, à l’âge de 56 ans. Lire sa notice rédigée par Paul Léautaud pour les Poètes d’aujourd’hui.
25 Paul Verlaine (1844-1896, à 52 ans) est cher aux lecteurs du Journal littéraire à cause de l’épisode du bouquet de violettes du 24 août 1894. Bien avant cet épisode, en 1870, Paul Verlaine a épousé Mathilde Mauté (1853-1914) mais a rencontré l’année suivante Arthur Rimbaud, non cité ici par Henri de Régnier. Le mariage avec Mathilde a duré quinze ans, laissant un fils, Georges, né en 1871. La relation de Paul et d’Arthur est houleuse au point qu’en 1873 Paul blesse Arthur d’une balle de révolver au poignet gauche. Cet acte brutal conduit Paul Verlaine en prison pendant deux années au cours desquelles il rédige une trentaine de poèmes qui prendront place dans plusieurs recueils. À sa sortie de prison en 1875, Paul Verlaine s’expatrie en Angleterre pendant deux autres années au cours desquelles il occupe divers emplois de professeur avant de rentrer en France à l’été 1877. Professeur de nouveau, il rencontre un jeune fils d’agriculteurs, Lucien Létinois, de quatorze ans son cadet, qu’il considère comme son fils adoptif. Mais Lucien meurt de la typhoïde en 1883, âgé de 23 ans. Il ne reste plus à Paul Verlaine qu’à mourir dans la déchéance, mission qu’il accomplira avec brio.
26 Axël (avec un ë), est paru dans la « Maison Quantin », sept, rue Saint-Benoît en 1890, 300 pages. La particularité de cette œuvre est que toute édition n’est que provisoire et chaque fois remaniée par l’auteur. Les Œuvres complètes d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam sont parues en deux volumes de Pléiade en 1986.
27 Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, Tribulat Bonhomet, recueil de contes, Tresse et Stock, 1887.
28 Bachelier, Remy de Gourmont (1858-1915, à 57 ans), trouve un emploi d’attaché de bibliothèque à la BNF. En 1886, à 28 ans, il publie son premier roman, Merlette, chez Plon, Nourrit et cie (287 pages), qu’il reniera par la suite. Cette même année il rencontre la demi-mondaine Berthe de Courrière (1852-1916), qui, après avoir été la maîtresse du ministre Georges Boulanger (1837-1891) est devenue modèle pour le sculpteur Auguste Clésinger (1814-1883), notamment pour un buste de Marianne encore exposé au Sénat de nos jours. Remy écrit à Berthe des lettres passionnées qui seront rassemblées après sa mort, par son frère Jean en un volume, les Lettres à Sixtine, qu’évoquera parfois Paul Léautaud (Mercure, automne 1921, 202 pages). Mais bien avant cela il a écrit Sixtine « Roman de la vie cérébrale » dédié à Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, paru chez Albert Savine en 1890 (314 pages). Cette même année, RdG fait partie des onze fondateurs du Mercure de France, dont il sera jusqu’à sa mort la colonne vertébrale intellectuelle. L’année suivante, RdG est défiguré par un Lupus. Il s’abîme dans le travail. En 1891 parait dans le Mercure « Le Joujou patriotisme », texte majeur qui provoque son licenciement de la BNF. En 1894, avec Alfred Jarry, il fonde et dirige la revue L’Ymagier, qui ne vivra que deux ans. En 1905, avec André Gide, auteur Mercure occasionnel, il est appelé pour donner un troisième souffle à la revue L’Ermitage d’Henri Mazel, qui finira toutefois par être absorbée par la revue belge Antée. En 1910, il rencontre Natalie Barney, c’est de nouveau le coup de foudre, hélas non-réciproque mais qui entraine les Lettres à l’Amazone qui paraîtront dans la revue du Mercure avant d’être rassemblées en volume chez Georges Crès en 1914.
29 Stéphane Mallarmé, L’Après-midi d’un faune, « Églogue », Alphonse Derenne 1876, quatorze pages. François Coppée et Anatole France étaient intervenus auprès d’Alphonse Lemerre pour qu’il refuse la publication dans le troisième tome de son Parnasse contemporain, paru cette même année 1876. L’édition d’Alphonse Derenne est particulièrement luxueuse, illustrée par Édouard Manet. Cet ouvrage, vendu quinze francs à l’époque, se vend couramment de nos jours plus de 10 000 €uros.
30 Hérodiade est une princesse juive, née au tout début de notre ère, vers 10 ou 20, mère de Salomé. C’est à l’automne 1864 que Stéphane Mallarmé commence la rédaction d’une tragédie sur Hérodiade. Il est le premier à s’intéresser à ce personnage avant Flaubert et avant Oscar Wilde, sauf que ces deux derniers finiront ce qu’ils ont commencé. Le temps passant, cette tragédie est devenue un poème inachevé, un fragment de poème. Notons qu’Henri de Régnier écrit « les Fragments de l’Hérodiade ».
31 Paul Verlaine, Les Fêtes galantes, Lemerre, vingt février 1869, recueil de 22 courts poèmes (54 pages) tiré à 360 exemplaires à compte d’auteur. Il s’agit du troisième ouvrage de Paul Verlaine, après les Poèmes saturniens et Les Amies.
32 Paul Verlaine, Romances sans paroles — Ariettes oubliées — Paysages belges — Birds in the night — Aquarelles. Vingt-et-un poèmes en tout, 49 pages. Sur la date de 1874, l’éditeur indiqué est « Sens » mais nous savons qu’il s’agit d’Edmond Lepelletier (1846-1913).
33 Paul Verlaine, Sagesse, recueil de 47 poèmes, Société générale de librairie catholique, décembre 1880. Les Romances sans paroles ont été écrites en prison où nous savons que Paul Verlaine s’est converti au catholicisme à l’été 1874. Sagesse est le premier recueil publié depuis.
34 Il faut avoir lu Salammbô de Flaubert (Michel Lévy, automne 1862 daté 1863, 475 pages) pour comprendre l’image proposée par Henri de Régnier. le zaïmph est officiellement le voile sacré de la déesse Thanit mais en fait n’importe quel objet d’attirance — Henri de Régnier parle de « son voile nombreux » —, tel le MacGuffin d’Alfred Hitchcock.
35 Pour « Briffaut » il s’agit peut-être de l’éditeur de second plan Georges Briffaut (1886-1973). Louis-Pierre Baour-Lormian (Pierre Baour, 1770-1854), traducteur du Tasse, poète et auteur dramatique, a été élu à l’Académie française en 1815, peut-être grâce à l’appui de Napoléon III. La toujours très pudique Académie française indique que « l’ensemble de ses œuvres est très médiocre ».
36 François-René de Chateaubriand (1768-1848) est nettement un homme de droite. Si cette position, secondaire en littérature, est indiquée ici c’est qu’elle transparait fortement dès ses premières parutions, comme son Essai sur les révolutions (mars 1797) et son Génie du christianisme, (sous-titré « Ou les beautés de la religion chrétienne ») imprimé à Paris chez Migneret en 1802 (396 pages) alors qu’il se trouvait exilé à Londres pour cause de Révolution. À l’autre extrémité de la vie de FRC se trouvent, bien entendu, les Mémoires d’outre-tombe, (douze volumes posthumes chez Eugène et Victor Penaud frères, 1849-1850). On choisira de nos jours l’édition réalisée par Maurice Levaillant et Georges Moulinier pour La Pléiade à l’été 1947.
37 Moïse au mont Sinaï ou la première idolâtrie, tragédie en cinq actes, en vers, est la seule œuvre pour le théâtre de François-René de Chateaubriand. Cette œuvre un peu oubliée semble avoir été écrite dès 1811, publiée en 1831 et représentée une unique fois sous les sifflets le deux octobre 1834 à l’occasion de l’inauguration du théâtre Montansier de Versailles alors dirigé par Pierre Carmouche. On retrouve le texte de cette pièce de façon certaine chez Pourrat frères, qui a réalisé une édition complète des œuvres de FRC en 36 volumes à partir de 1833 et jusqu’en 1839.
38 Jean-François de La Harpe (1739-1803) a fait des études brillantes. Anticlérical, il est devenu intime de Voltaire, qui supporte même le vol d’un manuscrit par son protégé. Quelques textes de Jean-François de La Harpe ont déplu au pouvoir, ce qui a notablement retardé son entrée à l’Académie française mais il y a malgré cela été admis en mai 1776, à trente-sept ans. Il y a été reçu par Jean-François Marmontel le mois suivant. Il a été très tôt conquis aux idées de la Révolution mais, à contre-courant sur la fin de ses jours, s’est converti à la religion et rapproché des royalistes.
39 Jean-François Marmontel (1723-1799), encyclopédiste, historien et homme de lettres. Proche de Voltaire, opposé à Rousseau, Jean-François Marmontel connut une grande notoriété bien que défendant la tolérance religieuse. C’est grâce à Marmontel que fut accordée une pension au Mercure de France de l’époque et l’autorisation de publier. Il en était par ailleurs le directeur. Marmontel fut élu à l’Académie française en 1763 et en devint le secrétaire perpétuel en 1783. Il y reçut Jean-François de La Harpe (objet de la note 38).
40 Lorsque l’on évoque Crébillon sans autre précision il s’agit le plus souvent de Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, dit Crébillon fils (1707-1777), écrivain et chansonnier. On ne le confondra pas avec son père, Prosper Jolyot de Crébillon (1674-1762), auteur dramatique. On lira avec plaisir le récit de L.‑S. Mercier à propos des « deux Crébillon » dans le Tableau de Paris, Mercure de France, volume II, page 800 (édition de 1994 que nous devons à Jean-Claude Bonnet).
41 Les Martyrs, ou Le Triomphe de la religion chrétienne « précédée d’un examen, avec des remarques sur chaque livre, et des fragmens du voyage de l’auteur en Grèce et à Jérusalem » est une sorte de longue légende bretonne religieuse parue en trois volumes en 1810, à Paris chez Le Normant, où il a été aussi imprimé, et simultanément à Lyon chez Ballanche (334, 380 et 427 pages). On n’ose le conseiller.
42 Théophile Gautier, Notice de 75 pages précédant Les Fleurs du mal, dans les Œuvres complètes de Baudelaire parues en sept volumes chez Michel Lévy en 1868.
43 Jules Laforgue (1860-1887, à 27 ans), poète symboliste, connu pour être un des « inventeurs » du vers libre. De 1882 à 1886 Jules Laforgue a été le lecteur de l’impératrice Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach, grand-mère du futur kaiser Guillaume II. Pour rédiger sa notice des Poètes d’aujourd’hui, Paul Léautaud s’est appuyé sur des renseignements fournis par Émile Laforgue, dessinateur et caricaturiste, frère aîné de Jules, (correspondance du six janvier 1908). Lire le très précieux article de Jean-Louis Debauve « À propos des manuscrits de Jules Laforgue — Variation sur le destin posthume de ses papiers, suivi de fragments inédits » paru dans la Revue d’Histoire littéraire de la France d’octobre 1964.
44 Jean Moréas (Ioánnis A. Papadiamantópoulos, 1856-1910), poète symboliste grec d’expression française. En 1886, Jean Moréas, Paul Adam et Gustave Kahn ont fondé la revue Le Symboliste. Le jeune Jean Moréas a parfois publié dans de petites revues sous le pseudonyme de Vincent Muselli. Voir Alexandre Embiricos « Les débuts de Jean Moréas » dans le Mercure du premier janvier 1948, page 85. Jean Moréas a fait partie des Poètes d’aujourd’hui dès sa première édition.
45 Gustave Kahn (1859-1936), a passé deux ans à l’école des Chartes, ses études étant interrompues par deux années de service militaire ainsi qu’il était courant à l’époque. Il se lie avec Jules Laforgue au point que dans les textes traitant de poésie l’un est souvent cité en compagnie de l’autre. Comme Jules Laforgue, Gustave Kahn participe à plusieurs revues et en dirige même au moins une. Gustave Kahn est crédité de 343 articles de critique d’art dans le Mercure de France entre 1895 et 1936. Il a fait partie des Poètes d’aujourd’hui dès la première édition. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever. Des « poèmes inédits » ont paru dans le Mercure du premier janvier 1939.
46 Édouard Dujardin (1861-1949), dandy, romancier, poète et auteur dramatique. Sa nouvelle Les Lauriers sont coupés le fera connaître comme l’inventeur du monologue intérieur. La technique apparaîtra en allemand treize ans plus tard chez Arthur Schnitzler et trouvera son expression considérée comme la plus aboutie dans Ulysse, en 1922. La chronique dramatique de Maurice Boissard du 16 août 1919 à propos de sa légende dramatique Les Époux d’Heur-le-port, propose un savoureux portrait d’Édouard Dujardin. PL lui écrira le 11 janvier 1905 et en dressera un portrait à la date du premier septembre 1919. Malgré la réserve de PL, Édouard Dujardin sera intégré aux Poètes d’aujourd’hui en 1930.
47 Francis Vielé-Griffin (1864-1937), poète symboliste, directeur de la revue Les Entretiens politiques et littéraires, intime de Stéphane Mallarmé. Dans son Enquête sur l’évolution littéraire parue chez Fasquelle en 1894, Jules Huret a écrit : « [Francis] Viellé-Griffin qui est une des intelligences les plus complètes de ce temps […]. »
48 Adoré Floupette est le pseudonyme collectif d’Henri Beauclair et Gabriel Vicaire. Henri Beauclair (1860-1919), poète, romancier et journaliste a été rédacteur en chef du Petit journal avant la guerre. Gabriel Vicaire (1848-1900), poète et romancier est davantage connu des mélomanes. Les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, chez Lion Vanné (Léon Vanier), 1885, 80 pages. Il ne semble pas qu’Adoré Floupette ait publié d’autres ouvrages. Léon Vanier (1847-1896) était aussi l’éditeur de nombreux auteurs évoqués ici.

49 Le comte Robert de Montesquiou (1855-1921), homme de lettres et critique. Poète, homosexuel et dandy insolent, aurait servi de modèle à des Esseintes dans À Rebours (1884) de Huysmans. Il fournit à Marcel Proust l’un des modèles du baron de Charlus. On peut voir au musée d’Orsay son impressionnant portrait de 1897 par le peintre italien Giovanni Boldini. Voir, en une des Nouvelles littéraires du 14 avril 1923, les circonstances de la vente de la bibliothèque de Robert de Montesquiou.

50 On ne sait pas à quoi pense Henri de Régnier en écrivant cette phrase. Il y a peu de temps encore, suite à l’incendie de Bazar de la Charité (le quatre mai 1897), le bruit avait couru que Robert de Montesquiou s’était frayé un chemin à coups de canne pour s’extraire des flammes. Or il n’y était pas. Jean Lorrain, sous la signature de Raitif (ai) de la Bretonne, dans le quotidien Le Journal du 24 mai avait un peu donné corps à la rumeur en écrivant un article dont un extrait est reproduit infra en annexe I. À l’occasion d’une réception chez Madame Adolphe de Rothschild deux des trois filles de J.-M. de Heredia, dont Marie de Régnier (aucune des deux autres n’était encore mariée) accompagnée de son époux firent allusion à cette affaire de canne devant Robert de Montesquiou. L’offensé provoqua Henri de Régnier en duel et ils se retrouvèrent le neuf juin au pont de Neuilly, chacun avec un enthousiasme réservé. R. de Montesquiou a été à peine blessé à la main gauche et les choses en sont restées là. Mais qu’est-il resté dans l’esprit d’Henri de Régnier deux ans et demi plus tard ? Voir les unes du Journal des huit et surtout du dix juin 1897, les unes du Figaro des huit, neuf et dix juin (pour le duel).
51 Robert de Montesquiou, Les Chauves-souris, Georges Richard, 1892. Cette édition réalisée exclusivement pour l’auteur sera suivie d’une édition courante en 1893 et d’une autre édition à tirage limité en 1895. Le 13 avril 1893, lors d’une soirée chez Madeleine Lemaire, la comédienne Julia Bartet a récité des poèmes des Chauves-Souris. C’est à cette occasion que Robert de Montesquiou et Marcel Proust furent présentés. À la fin du même mois, le trente, se tint, chez R. de Montesquiou une autre soirée dont on peut lire le compte-rendu chez Marcel Proust dans les Essais et Articles : « Une fête littéraire à Versailles », Pléiade, volume Contre Sainte-Beuve, édition de 1971, page 363. Le Chef des odeurs suaves est paru en 1893 chez le même Georges Richard, dans les mêmes conditions.
52 Ferdinand Brunetière (1849-1906), historien de la littérature et critique littéraire, secrétaire de rédaction puis directeur (en 1893) de la Revue des deux mondes. Ferdinand Brunetière a été élu à l’Académie française en 1893, au premier tour, contre Émile Zola. Ferdinand Brunetière était d’une grande culture mais d’un classicisme excessivement conservateur. On lui doit surtout son immense Études critiques sur l’histoire de la littérature française (1849-1906) en huit volumes parus chez Hachette de 1880 à 1907, c’est-à-dire quasiment sa vie durant et une Histoire de la littérature française classique (1515-1830), quatre volumes chez Delagrave parus en 1891 et 1892. On peut imaginer qu’Henri de Régnier pense ici à l’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, deux volumes parus chez Hachette de 1892 à 1894 (332 et 302 pages).
53 Remy de Gourmont, Le Livre des masques. Portraits symbolistes, Gloses et Documents sur les Écrivains d’hier et d’aujourd’hui (les masques, au nombre de XXX), dessinés par Félix Vallotton, 1896, 280 pages. Un IIe Livre des Masques, traitant de XXIII portraits d’écrivains est paru au Mercure de France en 1898 (303 pages).
54 Extraits très fractionnés de la même préface, pages onze et douze.
55 Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique, figure de proue du nationalisme français. Maître à penser de sa génération et de ce courant d’idées, sa première œuvre est un triptyque qui paraîtra sous le titre général du Culte du Moi chez Alphonse Lemerre (Sous l’œil des Barbares, 1888, Un homme libre, 1889, et Le Jardin de Bérénice, 1891), tous trois lus et admirés, un temps, par Paul Léautaud.
56 Paul Adam (1862-1920), écrivain et critique d’art. Son premier roman, Chair molle (1885), accusé d’immoralité, provoque le scandale. On lira avec intérêt le portrait de Paul Adam dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, page 139 et suivantes.
57 Ce poème de Jean Moréas (objet de la note 44) fait partie du recueil Les Cantilènes, paru chez Léon Vanier en 1886 (147 pages). Il a la particularité de faire rimer parfois les mêmes mots.
58 Gustave Kahn (note 45), Palais Nomades, Tresse et stock, 1897, 173 pages.
59 Stuart Merrill (1863-1915), poète symboliste américain d’expression française a été co-directeur littéraire de L’Ermitage à partir de 1892. PL écrira à sa veuve le 15 décembre 1915.
60 Maurice Maeterlinck (1862-1949), écrivain francophone belge, prix Nobel de littérature en 1911. Figure de proue du symbolisme belge, Maurice Maeterlinck reste aujourd’hui célèbre pour son mélodrame Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste mis en musique par Claude Debussy et créé à l’Opéra-comique le 30 avril 1902 sous la direction d’André Messager. On peut lire sa notice des Poètes d’aujourd’hui, rédigée par Paul Léautaud.
61 Émile Verhaeren (1855-1916), poète flamand d’expression et de culture françaises s’intéressa rapidement au problème social, qui le révolta jusqu’à le conduire à des sympathies anarchistes. À sa mort, accidentelle sous un train, le transfert de son corps au Panthéon fut proposé mais sa famille s’y opposa.
62 Georges Rodenbach (1855-1898), poète symboliste et romancier belge vivant à Paris. Par son côté dandy, Georges Rodenbach serait l’un des modèles de Charles Swann. Il fut pressenti pour faire partie des membres fondateurs de l’Académie Goncourt. On peut lire sa notice des Poètes d’aujourd’hui, rédigée par Paul Léautaud.
63 Albert Samain (1858-1900), poète symboliste, a fait partie des Poètes d’aujourd’hui dès la première édition en 1900. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever. La jeunesse lilloise d’Albert Samain a été faite de « petits boulots » avant d’arriver à Paris en 1880. Il a fait partie des fondateurs du Mercure de France en 1890 et ses poésies ont été publiées dès les premiers numéros. Le succès est venu à l’automne 1893 avec la parution de son premier recueil : Le Jardin de l’infante, très remarqué par François Coppée et bien entendu encensé par Pierre Quillard dans le Mercure d’octobre. La collaboration d’Albert Samain avec le Mercure n’a cessé qu’à sa mort en août 1900. Lire dans le Mercure d’octobre suivant les articles de Louis Denise et de Francis Jammes. Voir aussi la note 75.
64 Cette « Pléiade » (avec ou sans tréma et qu’on ne confondra pas avec la prestigieuse collection née au début du vingtième siècle), cette Pléiade, donc, n’était pas une nébuleuse mais quelque chose de bien défini, un ensemble de sept poètes exactement, comme les filles d’Atlas : Jean-Antoine de Baïf (1532-1589), Jean Bastier de La Péruse (1529-1554), Joachim du Bellay (1522-1560), Rémy Belleau (1528-1577), Jean Dorat (1508-1588), Étienne Jodelle (1532-1573), Jacques Peletier du Mans (1517-1582), Pierre de Ronsard (1524-1585) et Pontus de Tyard (1521-1605). Neuf sont nommés ici à cause des remplacements, comme ce pauvre La Péruse, mort à 25 ans ou Étienne Jodelle, à 41 ans. En ce milieu du seizième siècle, nous sommes à peine à l’invention de l’imprimerie. On peut noter que François Rabelais, sensiblement plus âgé, ne fait pas partie de ce cercle, qui a comme particularité de rassembler des personnalités progressistes. Le latin des écoles est de fait réservé aux fils de l’élite ; les gens du peuple parlent ce qu’ils peuvent, essentiellement des idiomes locaux, peu structurés et sans grammaire. Pour ces auteurs, le français est un avenir évident et fédérateur. Il faut le faire progresser.
65 Jean Moréas (note 44), Le Pèlerin Passionné, recueil, Léon Vanier, décembre 1890, daté 1891, 129 pages.
66 Jules Laforgue, Complaintes, recueil dédié à Paul Bourget, chez Léon Vanier, 1885, 147 pages.
67 Jules Laforgue, L’Imitation de notre dame la lune, Léon Vanier 1886, 72 pages. Jules Laforgue (note 43) est mort en août suivant.
68 Gustave Kahn (note 45) Chansons d’amant, recueil de sept poèmes, chez Paul Lacomblez, éditeur, 31, rue des Paroissiens à Bruxelles, 1891, 133 pages.
69 Adolphe Retté (1863-1930), poète symboliste et auteur dramatique. D’origine protestante, Adolphe Retté passera de l’anarchie au catholicisme. Le 14 mai 1908, PL dira de lui : « Malgré sa conversion, Retté est resté le bon ivrogne d’autrefois, le bohème crapuleux. » Adolphe Retté a fait partie des Poètes d’aujourd’hui depuis sa première édition. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever puis par Paul Léautaud pour l’édition de 1930.
70 Pierre Quillard (1864-1912), à 48 ans, poète symboliste, auteur dramatique, traducteur helléniste et journaliste, anarchiste et dreyfusard. Depuis 1891, Pierre Quillard est un auteur Mercure fécond. Il sera en charge de la rubrique « Littérature » à partir de 1896 à son retour de Constantinople où il était professeur, puis en même temps de celle des « Poèmes » en 1898. Sa notice, dans les Poètes d’aujourd’hui a été rédigée par Paul Léautaud. Voir sa nécrologie par André-Ferdinand Herold en ouverture du Mercure du premier mars 1912.
71 Éphraïm Mikhaël (Éphraïm-Georges Michel, 1866-1890, à 24 ans), licencié en lettres, Chartiste condisciple d’André-Ferdinand Herold (note suivante) et poète symboliste. Il se trouve par hasard que dans ce numéro d’août 1900 soit reproduit dans les « Échos », page 568 les paroles prononcées par Louis-Ferdinand Herold lors de l’inauguration, à Toulouse, d’un monument en hommage à Éphraïm Mikhaël.
72 André-Ferdinand Herold (1865-1940), petit-fils du compositeur, chartiste, poète, conteur, auteur dramatique et traducteur. A.-F. Herold entretient des rapports privilégiés avec Gabriel Fauré ou Maurice Ravel. Il est auteur Mercure depuis 1891 et titulaire de la critique dramatique depuis 1896. Paul Léautaud lui succédera en octobre 1907.
73 Laurent Tailhade (1854-1919), polémiste, poète, conférencier pamphlétaire libertaire et franc-maçon. Paul Léautaud a rédigé sa notice des Poètes d’aujourd’hui.
74 Laurent Tailhade, Vitraux, recueil chez Léon Vanier, 1891, réédité chez Alphonse Lemerre en 1894, 51 pages.
75 Albert Samain (note 63), Au jardin de l’Infante, Mercure de France 1893. À cette époque, Albert Samain était, depuis une dizaine d’années, expéditionnaire à la préfecture de la Seine. Son bureau, des Tuileries, donnait sur ce minuscule jardin situé entre les bâtiments sud de la cour carrée et la Seine.

On traverse ce jardin lorsque l’on quitte la cour carrée pour prendre la passerelle des Arts vers l’Institut.
La première publication de ce recueil fut modeste (335 exemplaires) et parce qu’Albert Samain était un ami proche du couple Rachilde/Vallette et avait participé trois ans auparavant à la création du Mercure de France. Mais un article de François Coppée dans sa chronique hebdomadaire du jeudi, dans le quotidien Le Journal, le quinze mars 1894 donna à l’ouvrage une publicité inespérée. D’ailleurs le jeudi suivant, dans un post-scriptum, François Coppée indique : « Plusieurs correspondants me demandent où l’on trouve le volume d’Albert Samain Au Jardin de l’infante… »
77 Maurice Maeterlinck, La Princesse Maleine, drame en cinq actes publié en 1889 à Gand chez Louis van Melle, en trente exemplaires sur une presse à bras actionnée par l’auteur, âgé alors de 27 ans. C’est un article en premier Paris du Figaro du 24 août 1890 qui révélera ce texte : « Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui et je sais aussi qu’il a fait un chef d’œuvre […]. Cette œuvre s’appelle la Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute. »
78 Saint-Pol-Roux (Pierre-Paul Roux, 1861-1940), poète symboliste qui apparaîtra dans l’édition en deux volumes des Poètes d’aujourd’hui. Dans ses premières années parisiennes, ce Marseillais a fréquenté les mardis de Stéphane Mallarmé. Il est, avec Éphraïm Mikhaël (note 71) et Pierre Quillard (note 70) le fondateur de la revue La Pléiade, qui a évolué vers le Mercure de France dont il a acheté des parts au tout début de l’année 1890 (voir la page Le Mercure de France 1890). En 1891 Saint-Pol-Roux « Le-Magnifique » répond assez longuement (22 pages) à Jules Huret pour son Enquête sur l’évolution littéraire parue chez Charpentier (455 pages). Il écrit sa tragédie en cinq actes La Dame à la faulx, qui paraîtra au Mercure en 1899 (432 pages). En même temps, Saint-Pol-Roux ne supporte plus Paris, cherche un lieu et finit par acheter une maison dans le Finistère. Au tout début de la seconde guerre mondiale sa maison sera pillée et ses manuscrits détruits.
79 Saint-Pol-Roux, Épilogue des saisons humaines, dédié au critique Teodor de Wizewa, drame en trois parties précédé d’un prologue et suivi d’un épilogue, Mercure de France 1893.
80 Paul Claudel (1868-1955), élève du lycée Louis-le-Grand puis de Sciences-po, licencié en droit en 1888, rejoint le corps diplomatique en 1893. D’abord vice-consul à New York puis à Boston, il est nommé consul à Shanghai en 1895. Après une interruption de cinq années (1900-1905) pour raisons religieuses, Paul Claudel reprendra sa carrière diplomatique et finira ambassadeur à Tokyo, à Washington puis enfin à Bruxelles, son dernier poste, qu’il quittera en 1936 pour se consacrer pleinement à la littérature.
81 Il y a de nombreuses versions de Tête d’or. La première est de 1889, publiée à cent exemplaires sans nom d’auteur puis remaniée en 1894 pour la première édition courante, et jusqu’à la création de la pièce à L’Odéon le 21 octobre 1959 dans la mise-en-scène de Jean-Louis Barrault avec Alain Cuny et Catherine Sellers.
82 Comme Tête d’or, La Ville a connu plusieurs versions, la première publiée à compte d’auteur en 1893, une autre en 1901 bien avant d’être créée au TNP en 1955 dans une mise en scène de Jean Vilar pour le Festival d’Avignon avec Georges Wilson, Philippe Noiret et Maria Casarès.
83 Stuart Merrill (note 59), Fastes, recueil de poésies, Léon Vanier, printemps 1891, 73 pages.
84 Georges Rodenbach (note 62), Règne du silence, poème en six parties, Bibliothèque Charpentier, onze rue de Grenelle, 1891, 239 pages. Une partie de ce poème était parue séparément en 1888 dans une « plaquette » avec le titre Du Silence.

85 Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, recueil de poésies paru à Bruxelles chez Edmond Deman en 1893 (55 pages). Ce même éditeur, spécialiste des symbolistes belges, a publié à petit tirage (300 exemplaires ?) Les Villes tentaculaires en 1895 et Les Aubes en 1898. Les deux premiers textes de cet ensemble ont été rassemblés par Maurice Piron chez Gallimard en 1992 (192 pages) et sont encore disponibles.
86 Émile Verhaeren, Les Apparus dans mes chemins, chez Paul Lacombliez à Bruxelles, à la fin de l’année 1891, 101 pages. On peut noter une curiosité, ce recueil de poésies est dédié à Edmond Deman, qui sera son prochain éditeur (voir note précédente).
87 Francis Vielé-Griffin (note 47), La Chevauchée d’Yeldis et autres poèmes (1892), Léon Vanier, printemps 1893, cent pages.
88 Francis Vielé-Griffin, Ancaeus, poème dramatique (1885-87), Léon Vanier 1888, 93 pages. Il s’agit d’une œuvre pour la scène.
89 Francis Vielé-Griffin, Phocas le Jardinier, précédé de Swanhilde, Ancaeus, Les Fiançailles d’Euphrosine, œuvres théâtrales, Mercure de France, fin 1898, 227 pages.
90 Marcel Schwob (1867-1905), naît dans une famille de lettrés fréquentée par Théodore de Banville et Théophile Gautier (note 6). À la naissance de Marcel, son père, Georges, revient d’Égypte où il était chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Élève brillant, Marcel intègre le lycée Louis-le-Grand, où il se lie avec Léon Daudet et Paul Claudel (note 80). En 1900, il a épouse la comédienne Marguerite Moreno.
91 Pierre Louÿs (Pierre Félix Louis, 1870-1925), poète et romancier. Pierre Louÿs a épousé la plus jeune fille de José-Maria de Heredia après avoir été l’amant de sa sœur aînée Marie, qui a épousé Henri de Régnier en octobre 1895 (voir note 50). Les trois filles de JMH inspireront à Pierre Louÿs, dit-on, et de façon très libre, son roman Trois filles et leur mère.
92 Paul Fort (1872-1960), poète et auteur dramatique, créateur du Théâtre d’Art (futur théâtre de l’Œuvre) au côté de Lugné Poe. Les premiers poèmes de Paul Fort sont parus dans le Mercure en 1896. En 1905, Paul Fort lancera la revue Vers et prose aux côtés de Jean Moréas (note 44) et André Salmon. Suite à un référendum dans des journaux, Paul Fort sera élu « Prince des poètes » en 1912. Son neveu, Robert Fort (1890-1950), épousera en 1911 Gabrielle Vallette (1889-1984), la fille de Rachilde et Alfred Vallette.
93 André Gide (1869-1951) a été très tôt proche de Pierre Louÿs (note 91), rencontré à l’École alsacienne de la rue Notre-Dame-des-Champs à Paris (voir, de Luc Dellisse, Le tombeau d’une amitié. André Gide et Pierre Louÿs, octobre 2013 à Bruxelles). André Gide a publié Les Nourritures terrestres au Mercure en 1897. En 1908, avec quelques amis (Charles-Louis Philippe, Jean Schlumberger, Jacques Copeau, Henri Géhon…) il fonde la revue La NRF, qui a rapidement ouvert un comptoir d’édition au 31 de la rue Jacob, confié à la responsabilité de Gaston Gallimard en 1910. En 1909, André Gide publie La Porte étroite, puis Les Caves du Vatican juste avant la première guerre mondiale. Après cette guerre ce sera La Symphonie pastorale, puis Les Faux monnayeurs en 1925, qui sera le dernier de ses romans faciles. À partir de cette époque ses écrits se sont orientés dans deux grandes tendances, la révélation se son homosexualité avec Corydon en 1924 ou Si le grain ne meurt en 1926 et ses ouvrages de voyages à caractère politique comme son Voyage au Congo en 1927. Pendant la seconde guerre mondiale, André Gide s’est retiré en Afrique du Nord puis, après un court passage à vide, a reçu le prix Nobel de littérature en 1947. Il est mort en 1951, laissant un Journal, paru en Pléiade en deux volumes en 1996. André Gide et Paul Léautaud se sont rencontrés tout au long de leur vie et ont eu estime et sympathie réciproques. En compagnie de Robert Mallet, Paul Léautaud s’est tendu à son enterrement à Cuverville.
94 Jean Rameau (Laurent Labaigt, 1858-1942), romancier et poète landais prolifique.
95 Maurice Bouchor (1855-18 janvier 1929), poète et auteur dramatique. « Maurice Bouchor se penchait sur l’enfance avec la sollicitude universelle qu’ont les chefs de rayon pour les clientes des grands magasins ; cela me flattait. » Jean-Paul Sartre, Les Mots.
96 Peut-être Jean Pons Guillaume Viennet (1777-1868) s’est d’abord engagé dans la marine de Napoléon avant de se retrouver fantassin en Allemagne. La restauration, puis les cent jours, puis la seconde restauration l’on, comme tant d’autres, conduit à s’adapter aux incertitudes du temps et à laisser le barda pour l’écritoire, ce qui n’est pas moins risqué. Journaliste, dramaturge, poète, et même pair de France, Jean Viennet a même été élu à l’Académie française en 1830.
97 Deux Ponsard peuvent convenir à la description d’Henri de Régnier : François Ponsard (1814-1867), poète et auteur dramatique, fut brièvement bibliothécaire au Sénat, avant d’être élu à l’Académie française en 1855 (ça rappelle quelqu’un, du côté de la note 15) au fauteuil numéro 9, précédemment occupé par Louis-Pierre Baour-Lormian (note 35). L’autre Ponsard possible est Alexandre Ponsard (1826-1894), orphelin, poète et chansonnier.
98 Fernand Gregh (1873-1960), poète, critique littéraire et historien, président de la Société des gens de lettres en 1949-1950, membre de l’Académie française en 1953, à 80 ans, après treize échecs. Les débuts de Fernand Gregh sont décrits par Paul Léautaud dans sa notice des Poètes d’aujourd’hui.
99 Charles Guérin (1873-1907, à 33 ans), auteur Mercure depuis 1895, grand ami de de Francis Jammes. Voir la mort de Charles Guérin dans le Journal de Paul Léautaud à la date du 18 mars 1907 et sa notice des Poètes d’aujourd’hui rédigée par Paul Léautaud.
100 Francis Jammes (1868-1938), poète, romancier, dramaturge et critique béarnais. Francis Jammes a fait partie de la première édition des Poètes d’Aujourd’hui. On peut lire sa notice rédigée par Paul Léautaud.
101 Article paru dans Le Journal du 24 mai 1897. Ce « Pall-Mall Semaine » ne paraissait pas à date fixe. Ce titre peut provenir d’une rue « aristocratique de Londres », dont un industriel a pris le nom pour une marque de cigarettes apparue en 1899.
102 Le Bazar de la charité avait été installé à titre provisoire dans un terrain vague entre plusieurs immeubles, à l’emplacement de l’actuel 23 de la rue Jean Goujon, entre le pont des Invalides et le pont de l’Alma, sur la rive droite. L’arme des hommes était évidemment leur canne.
103 En une du Temps du quinze mai 1897, à propos de l’incendie du Bazar de la charité, nous pouvons lire, sous le titre « Égoïsme masculin » (non signé), en haut de la colonne deux : « Nous n’avons pas à nous enorgueillir beaucoup plus des incidents qui se sont produits hier à l’École des Beaux-arts et dont on trouvera par ailleurs le compte-rendu [page trois, colonne deux]. Le Gouvernement ayant décidé, avec l’approbation des Chambres et de l’opinion toute entière, que les femmes seraient admises à certains cours, plusieurs centaines de jeunes gens ont tenu à protester bruyamment contre cette mesure. »
104 Il s’agit d’une opération financière crapuleuse qui avait permis en 1897 un doublement des cours du cuivre.
105 Edward Burne-Jones (1833-1898), peintre autodidacte, imitateur de peintres italiens du quinzième siècle, qui a eu un grand succès. Le musée d’Orsay lui a rendu hommage par une exposition au printemps 1999.
106 Marie Agnès de Gosselin (1874-1897) a épousé en 1894 Auguste de Mimerel (1867-1928). Elle est morte dans l’incendie en même temps que sa mère, née Lydie Panon Desbassayns de Richemont (1841-1897).
107 Paul Bertulus (1851-1917), a été le juge d’instruction nommé pour conduire l’enquête sur les causes de l’incendie. Après de nombreux postes en province, Paul Bertulus avait été nommé à Paris en 1893. Paul Bertulus est surtout connu pour avoir aussi été juge d’instruction dans l’affaire Dreyfus.
108 Le palais de l’Industrie et des Beaux-arts a été construit à l’occasion de la première Exposition universelle tenue à Paris en 1855 (après celle de Londres en 1851). Cet immense bâtiment a été détruit en 1896 pour être remplacé par les petit et grand palais, séparés de nos jours par l’avenue Alexandre III, renommée avenue Winston Churchill en 1966.