Entretien avec André Gillois

Voici la retranscription du premier entretien conservé1 de Paul Léautaud à la radio, un an avant les fameux entretiens réalisés par Robert Mallet.

En octobre 1953 paraissait chez Gallimard un livre d’André Gillois : Qui êtes-vous ? reproduisant su 381 pages quarante parmi les deux cents entretiens réalisés d’octobre 1949 à octobre 1951.

Couverture du livre d'André Gillois paru chez Gallimard en octobre 1953
Couverture du livre d’André Gillois paru chez Gallimard en octobre 1953

Sans surprise ce livre (épuisé depuis longtemps et rare sur la marché de l’occasion) s’ouvre sur l’entretien avec Paul Léautaud que nous allons lire ci-dessous. Malheureusement, comme c’était le cas à l’époque, ce texte a été largement caviardé, même après le montage du son, alors que nous savons que le public des livres est réputé plus éveillé que l’auditeur de la radio. Ça commence dès la première question et la réponse de Paul Léautaud, non reproduite dans le livre (Quel est pour vous le comble de la misère ? — Je ne comprends pas cette question). À partir de là il paraît sans intérêt, sauf pour un historien de caviardage, de dresser la liste des différences. De plus, dans le livre, les intervenants ne sont pas indiqués.

Le lecteur intéressé trouvera néanmoins avant les notes un lien permettant de télécharger en PDF les pages du livre d’André Gillois concernant l’entretien de Paul Léautaud.

L’enregistrement sonore a donc été retranscrit ici le plus fidèlement possible, donnant même les hésitations, béquilles lexicales et tout ce qui a paru être en mesure de renseigner le lecteur n’ayant pas accès au son. Le texte est évidemment intégral. Un minutage2 permettant de retrouver rapidement le son depuis le texte, est donné à titre indicatif.

Qui êtes-vous, Paul Léautaud ?

Émission d’André Gillois3 diffusée le samedi 24 décembre 1949 à 14 :30(4)

« Qui êtes-vous ? », une émission5 d’André Gillois avec Emmanuel Berl6, Maurice Clavel7, le docteur Martin8 et Jean-Pierre Morphé.

Émission réalisée avec la collaboration d’Alain Alliou, Maurice Béart et Gaston Morphé9. Montage : Jacques Guinchard.

02:00

André Gillois : C’est aujourd’hui Monsieur Paul Léautaud qui veut bien se prêter à notre petit jeu. J’en suis d’autant plus heureux que c’est la première fois que Monsieur Léautaud consent à parler devant un micro. Et nous pouvons en être flattés, si l’on sait à quel point l’ancien chroniqueur du Mercure de France vit retiré d’un monde qu’il juge, depuis tant d’années avec une terrible lucidité.   

Je vais donc poser à Monsieur Paul Léautaud les questions habituelles ; et la première : Quel est pour vous le comble de la misère ?

Paul Léautaud : Je ne comprends pas cette question10.

AG :  Alors je passe tout de suite à la seconde : Ou aimeriez-vous vivre ?
PL :   Où je serais encore plus isolé qu’où je suis.
AG :  Pour quelle faute avez-vous le plus d’indulgence ?
PL :   Pour toutes. Je n’ai rien d’un justicier ni le goût du châtiment.
AG :  Quels sont les héros de roman que vous préférez ?
PL :   Candide, Le Neveu de Rameau, Brotteaux des Ilettes11 des Dieux ont soif.

3:00

AG :  Quel est votre personnage historique favori ?
PL :   Talleyrand !12
AG :  Vos héroïnes favorites dans la vie réelle ?
PL :   Je n’en ai pas.
AG :  Vos héroïnes dans la fiction ?
PL :   La Sanseverina13 de La Chartreuse.
AG :  Votre peintre favori ?
PL :   XVIIIe siècle : Chardin14, Pierre Renaud15, Latour16 ; plus Courbet17, Manet18, Constantin Guys19, Renoir.
AG :  Votre musicien favori ?
PL :   Trop ignorant en musique.
AG :  Votre qualité préférée chez l’homme ?
PL :   La franchise, le désintéressement.
AG :  Votre qualité préférée chez la femme ?
PL :   Je ne leur en connais pas.
AG :  Votre vertu préférée ?
PL :   La franchise.
AG :  Votre occupation préférée ? PL :   Écrire, ou rêvasser.
AG :  Qu’auriez-vous aimé être ?
PL :   Je trouve très bien ce que je suis.
AG :  Quel est l’âge de la vie qui vous semble essentiel ?
PL :   Cinquante ans20.

04:00

AG :  Avez-vous acquis votre position actuelle par un développement continu de vos tendances et de votre formation ou par une rupture continuelle avec vos précédentes positions ?
PL :   Par beaucoup de réflexion et un sens critique toujours en éveil.
AG :  La forme d’expression qui est la vôtre vous suffit-elle ou avez-vous le sentiment qu’elle vous limite ?
PL :   Oui. Brièveté, netteté, simplicité. Évidemment, je n’ai rien d’universel.
AG :  Que regretterez-vous le plus en mourant et comment voudriez-vous mourir ?
PL :   Tout ! Pas subitement.
AG :  Y-a-t-il pour vous plus de plaisir à plaire ou à convaincre, ou à provoquer ?
PL :   Ni l’un ni l’autre.
AG :  Y-a-t-il un auteur qui vous paraisse représenter la vérité au point de modifier votre opinion suivant la sienne ?
PL :   Aucun.
AG :  Quelle a été la première émotion de votre vie ?
PL :   Je ne suis pas porté à l’émotion.
AG :  À quel âge avez-vous vu pour la première fois un cadavre et quelle a été votre réaction ?
PL :   À trente ans, mon père. Comique et répulsion.
AG :  Pourriez-vous tout quitter, famille, situation, habitudes, pour recommencer votre vie ?

05:00

PL :   Je mène ma vie morale, matérielle depuis l’âge de quinze ans et demi. Je n’ai rien à quitter, vivant seul, célibataire et sans enfant, heureusement. Le mot Famille est sans sens pour moi.
AG :  Aimez-vous la vie dangereuse ?
PL :   Non.
AG :  Un bonheur vous paraît-il plus grand s’il est public ou s’il est caché ?
PL :   Caché !
AG :  L’élimination d’un adversaire vous paraît-elle une opération nécessaire ou vous procure-t-elle un plaisir ?
PL :   Je ne me suis jamais trouvé d’adversaire, comme je n’ai jamais été l’adversaire de personne.
AG :  Que feriez-vous si l’on vous accordait trois actes de puissance absolue ?
PL :   La puissance ne m’intéresse pas, ni la domination.
AG :  Dans quelle époque auriez-vous préféré vivre, en admettant que votre condition vous ait permis d’y participer suffisamment ?
PL :   Je me vois assez bien vivant au temps de Voltaire ou de Diderot.
AG :  Auriez-vous aimé faire un métier manuel, et lequel ?
PL :   Je tiens ma maison, je fais ma cuisine, je lave mon linge de corps moi-même, c’est presque un métier manuel.

06:00

AG :  À quel âge avez-vous senti que vous quittiez l’enfance ?
PL :   Dix-sept ans, si vous voulez.

L’amour (I)21

AG :  Voici donc la série des questions habituelles et les réponses que Monsieur Paul Léautaud a bien voulu y faire. Alors je voudrais bien maintenant que nous lui en posions d’autres ou que nous discutions sur ce qu’il vient de nous répondre. Voyons, lequel d’entre-vous voudrait poser une question… Emmanuel Berl.

EB :  Je voudrais demander à Monsieur Léautaud, à propos de sa dernière réponse, pourquoi il a eu le sentiment que c’est à dix-sept ans plutôt qu’à un autre âge, qu’il a quitté l’enfance ?

PL :   Ben, parce que c’est à cet âge-là que j’ai commencé à être amoureux22.

EB :  Ah, l’enfance, pour vous, c’est le moment où l’on est pas amoureux.

PL :   Oui !

EB :  Oh, ce n’est pas tellement évident, moi je crois que j’ai été amoureux à partir que quatre ou cinq ans.

PL :   Oui, ben moi je ne suis pas vicieux. [Rires].

EB :  Moi non plus, j’espère !

AG :  Dr Martin.

06:55

La mort (I)

DM : J’ai été très frappé par le genre de mort que souhaite Monsieur Léautaud, car en général, ceux qu’on interroge au micro, dans un cas pareil répondent qu’ils voudraient mourir subitement. À quoi vous fait penser votre réponse ?

PL :   Mais c’est que je veux voir, enfin, je veux savoir !… Enfin, c’est intéressant, tout de même !… de songer qu’on va partir !

        [Moment de silence]

AG :  Bon, est-ce que cette réponse vous… satisfait, docteur Martin ?

DM : Elle me rend songeur et ne me…

AG :  Oui, je vois !

DM : … ne me satisfait pas tout à fait mais je demande à réfléchir.

EB :  Moi je trouve qu’elle est très naturelle de la part d’un homme qui a toujours fait passer avant toutes les autres les valeurs de lucidité.

AG :  Bon. Avez-vous d’autres questions à poser ? Jean-Pierre Morphé.

07:42

JPM :        J’ai été frappé, dans l’œuvre de Monsieur Léautaud, de son comportement envers les cadavres, cette sorte de curiosité qu’il montre non seulement devant le cadavre de son père mais devant le cadavre de François Coppée23, par exemple. Et je voulais lui demander s’il pensait que l’exercice de ce sens critique, appliqué même aux cadavres venait de ce qu’il avait vu très tard pour la première fois un cadavre et s’il pensait que son attitude serait différente s’il en avait reçu le choc dans sa première jeunesse ?

PL :   D’abord, je n’ai jamais reçu de choc de la mort. Ensuite j’ai toujours eu une très grande curiosité de la mort. Voilà. Chaque fois que quelqu’un de mes amis est mort, j’ai toujours fait l’impossible pour le voir. Charles-Louis Philippe24, par exemple. Et quand Valéry25 est mort, je me suis précipité chez Valéry pour le voir sur son lit de mort26. Enfin, n’est-ce pas, c’est le dernier personnage, la dernière forme. Vous trouvez ça mal ? Oui, oui, ça m’intéresse énormément.

JPM :        Mais vous pensez que cette dernière forme se relie au personnage vivant ou est-ce qu’elle vous paraît au contraire un objet dérisoire que le vivant laisse après soi ?

PL :   Non… Non… C’est pour voir le dernier aspect de quelqu’un que j’ai connu.

AG :  Docteur ?

08:58

DM : Je vous demanderai en toute simplicité si vous avez peur de la mort ? Ou peur de mourir, vous.

PL :   Je n’aime pas beaucoup cette perspective. Et je trouve bouffon de s’en aller après être venu. Et je suis dans un état de révolte à l’égard de la mort.

AG :  Jean-Pierre Morphé ?

JPM :        Je sais qu’il est arrivé à Monsieur Léautaud une histoire assez singulière pour le personnage qu’il est et pour les curiosités qu’il a. C’est que la nouvelle de sa mort ayant été répandue à tort en 1941, il a pu lire ses articles nécrologiques. Puis-je vous demander quel a été votre sentiment ?

PL :   Une surprise énorme ! Car enfin, n’est-ce pas, les gens me croyaient mort et j’ai pu penser que ce qu’ils écrivaient était sincère. Ils n’avaient plus à me flatter, n’est-ce pas, j’étais mort. Ben j’en… J’en suis jamais revenu.

JPM :        Mais vous-même, votre personnage d’« après mort », si je puis dire, avez-vous considéré qu’il y avait eu à ce moment-là en somme une rupture dans votre vie et que vous recommenciez autre chose ?

PL :   Oh non, je n’ai pas eu de réflexions aussi philosophiques que ça. Non…

10:00

Les personnages de fiction

AG :  Monsieur Paul Léautaud alors je voudrais vous poser une question d’un autre ordre… Vous avez dit tout à l’heure que… vous ne… N’ayant pas de famille vous ne pouviez pas envisager d’avoir à quitter ou ne pas quitter votre famille. Mais vous adorez les animaux.

PL :   Ouais.

AG :  Est-ce que vous pourriez envisager de quitter les animaux qui vous entourent.

PL :   J’ai déjà pris soin depuis quelque temps, étant donné l’âge que j’ai, d’avoir le moins de bêtes possibles pour en laisser le moins à ma mort. Et ils sont à l’avance placés.

AG :  Alors je voudrais vous poser une autre question du même ordre, vous avez dédié votre livre sur l’amour au chat Miton. Et je voudrais vous demander : en dédiant ce livre à un chat, à quel sentiment cela répondait chez vous ?

PL :   Euh… Cette dédicace est une périphrase. Vous comprenez ?

11:00

AG :  Bon. [Rires]. Avez-vous d’autres questions ? Jean-Pierre Morphé ?

JPM :        Je voudrais demander à Monsieur Léautaud, non pas, loin du monde, pour ouvrir un débat historique mais pour lui demander de s’expliquer un peu plus sur le personnage, comment Talleyrand peut venir comme héros réel entre les personnages de la fiction qui en sont si différents, comme Candide ou le neveu de Rameau, d’une part, ou comme la Sanseverina ?

PL :   Je tiens Talleyrand pour un homme d’esprit prodigieux. Je le tiens pour un homme n’ayant jamais eu aucune conscience. Pour s’être accommodé de tous les partis. Et puis il y a ce mot de lui : « Regardez, pas de sang sur les mains ». Maintenant, vous connaissez le mot de Talleyrand à l’abbé Sieyès27, alors qu’au début de la Révolution il célébrait une messe, je ne sais pas à quelle occasion… Et alors Talleyrand était à l’autel, qui officiait, et l’abbé Sieyès était sur le côté, et Talleyrand lui a dit « Ne me fais pas rire… » [Rires].

12:05

JPM  Mais comment pouvez-vous aimer ce personnage qui s’accommode de tout le monde alors que visiblement vous ne vous accommodez de personne ?

PL :   Je trouve très beau de n’avoir aucune conscience.

JPM :        Non mais je…

PL :   Je trouve qu’il y a là une libération…

JPM :        Je parle de… Je vous parlais de l’accommodement, de la compromission, de la…

PL :   Hé bien quoi !… C’est un… un… un manque absolu de dogmatisme.

EB :  Je n’ai pas compris si… Quand vous dites que votre personnage préféré avec Candide, c’est le neveu de Rameau, c’est réellement le neveu de Rameau que vous aimez ou si c’est Diderot.

PL :   Non, le personna… Enfin, c’est le neveu de Rameau tel qu’il s’exprime dans le neveu… dans le… chez Diderot.

EB :  Oui, ce n’est pas le personnage de Diderot lui-même ? Parce que je suppose que vous devez beaucoup aimer Diderot.

PL :   Uniquement ça. Uniquement Le neveu de Rameau.

EB :  Oui.

PL :   Le reste ne m’intéresse pas.

13:00

JPM :        Pourquoi ?

PL :   Euh parce qu’il est lyrique et… plein d’effusions et… que je n’aime pas, je n’aime pas ce sentiment en littérature.

Enfance et jeunesse

AG :  Alors je voulais vous demander si, euh… vous avez toujours été ainsi et si euh… Avez-vous l’impression d’être devenu ?

PL :   Ah c’est à dire que euh… j’ai commencé, je crois, en 1905, vraiment, avec In mémoriam.

AG :  Mais est-ce que vous… Est-ce qu’il y a eu a le pour… pour vous faire ce que vous êtes, est-ce que vous êtes différent de ce que vous étiez dans votre enfance, ou bien est-ce que vous êtes… vous avez subi une évolution entièrement normale… Est-ce que vous avez l’impression que vous étiez entièrement préformé ou qu’il y a un ou plusieurs événements extérieurs qui ont contribué à vous rendre ce que vous êtes ?

13:46

PL :   Non, je non, je… je n’ai… Non. Je ne… je ne vois rien à répondre, là-dessus. Non… non. N’est-ce pas, j’ai eu la chance… J’ai débuté au Mercure en 1895(28). J’ai eu la chance de tomber sur un homme, Alfred Vallette29, à qui je dois tout comme écrivain et qui m’a toujours laissé la plus grande liberté. J’ai écrit à cette époque-là, des choses au Mercure, que nulle part ailleurs on ne m’aurait [inaudible]. Ainsi, regardez, quand j’ai publié In Memoriam dans le Mercure — c’était un récit satyrique, presque, de la mort de mon père. Il est arrivé quarante-cinq désabonnements en trois mois ; parce qu’il y avait non seulement les abonnés français mais il y avait les abonnés des colonies, il a fallu le temps qu’ils reçoivent le Mercure et le temps qu’ils envoient leur désabonnement30. Monsieur Vallette s’est contenté de dire : « Ceux-là se désabonnent… d’autres s’abonneront. »

AG :  Oui, ça c’est très bien.

PL :   Voilà.

DM : Non, mais avez… D’où vient… Puis-je demander d’où vient et de quand vient votre désir très grand d’isolement, votre…

14:55

PL :   Ah j’ai toujours été comme ça ! Quand j’étais enfant je vivais sous la table de la salle-à-manger, sans jouet, sans rien. On ne pouvait pas m’en tirer ! À Paris, par exemple, rue des Martyrs31, le père Léautaud allait rue Milton32 avec des… des sous, tâchait de racoler des gamins pour me tirer de là. Il n’y avait rien à faire ! [Rire d’EB].

AG :  Docteur Martin ?

Firmin

DM : Au moment où Monsieur Léautaud parlait d’In Memoriam et de son père, j’allais précisément lui demander en quels termes il avait été avec son père ? Parce que ceci me fait penser à quelque chose relatif au thème des cadavres et de la mort.

PL :   Mon père n’a jamais été un père. C’était un… C’était un pilier de café, un homme de théâtre… Non !

DM : Est-ce que sa mort ne vous a pas en quelque sorte apporté comme une espèce de soulagement ?

PL :   Ah non ! Non. Il a eu une mort très pénible, n’est-ce pas. Je suis resté quatre jours et cinq nuits, et la nuit avec une bougie, assis, à son chevet, et à le regarder mourir. Quatre jours et cinq nuits33 !

DM : Mais ne croyez-vous pas que vous avez pu éprouver en même temps une douleur réelle et en même temps un soulagement que peut-être vous n’étiez pas pénétré…

16:00

PL :   Non non ! Je n’ai… je vous dis, je n’ai jamais… Je suis incapable de rancune et d’antipathie et de… Non, non, non, non. J’avais la curiosité.

L’amour (II)

AG :  Et… à la… à ce… à cet âge fameux de dix-sept ans et ensuite, vous êtes-vous approuvé, méprisé ou constaté amoureux ?

PL :   Non ! Non !

AG :  Approuvé…

PL :   Je n’ai jamais aimé que physiquement ! je l’ai écrit il n’y a pas longtemps… Euh… euh… J’ai eu, si vous voulez, euh … deux passions dans ma vie34… après…

AG :  Et les avez-vous approuvées, désapprouvées, méprisées, acceptées…

PL :   Mais voyons voyons voyons, quand on est attiré par une femme en ne reg… on examine pas si on a raison ou tort. Je peux dire ceci, n’est-ce pas : j’ai eu deux grandes passions qui ont duré assez longtemps. Eh bien, l’objet de cette passion aurait pu mourir, ça ne m’aurait rien fait. Je n’ai jamais aimé que physiquement.

16:50

La justice

EB :  Est-ce que vous avez l’impression que votre indulgence, votre hostilité à tout ce qui est jugement et condamnation vient de la capacité de solitude qui est la vôtre, de sorte que vous ne vous sentez pas trop atteint par les autres ?

PL :   Non ! Je… Je vous dis je n’aime pas… Je n’aime pas le la… Je n’aime pas les justiciers, je n’aime pas ça34b.

EB :  Oui, j’entends bien.

PL :   Ainsi je l’ai… J’ai reçu il y a quelque temps la visite d’un nommé Lévy35, je crois, qui dirigeait un… une sorte de… de… de… brochure, de compte-rendu, qui s’appelant Paru, je crois. Je lui ai dit « Écoutez, c’est la vérité. Devant ma porte, dans la rue Guérard, je verrais un individu en assassiner un autre, ça ne me regarde pas, je rentre chez moi. »

EB :  C’est bien ce que je dis ! Est-ce que vous ne croyez pas que votre indulgence générale…

PL :   Mais ce n’est pas de l’indulgence, c’est de l’indifférence !

EB :  C’est ça ! Ça tient à ce que vous avez l’impression que ça ne peut pas vous atteindre ?

PL :   Oh c’est pas ça, c’est pas un point de vue d’égoïste ! Je ne suis pas chargé de… Je ne suis pas chargé de l’ordre de la société36.

18:02

EB :  Ah oui mais… Si vous vous vous sentez vous-même attaqué…

PL :   Aaaahhh !… ma porte est toujours ouverte, je ne redoute rien. Jour et nuit ma porte est ouverte37. Non, non. Vous… Je trouve que… Je trouve que vous compliquez les choses. N’est-ce pas, je trouve qu’il y a chez moi, si vous voulez, plus tôt, enfin, une sorte d’instinct, enfin, il y a des choses qui ne me plaisent pas.

AG :  Docteur ?

EB :  Oui, je crois que vous…

AG :  J’allais d’ailleurs vous demander — Pardon — pourquoi vous appréciez plus la franchise que la duplicité. Au nom de quoi ?

PL :   Je n’aime pas les complications.

AG :  Docteur ?

DM : Je voudrais faire remarquer à Monsieur Léautaud deux curieuses correspondances entre, d’une part, la position qu’il affectait quand il était petit sous la table, où il était en somme déjà retiré…

PL :   Oui…

DM : … du monde extérieur d’où on avait beaucoup de mal à l’en tirer, et l’attitude qu’il aurait, par exemple, en voyant quelqu’un assassiner une autre personne. Dans les deux cas il y a un refus de se mêler aux activités du monde extérieur.

19:04

PL :   Oui…

La mort (II) — L’amour (III)

DM : De même — je m’excuse de revenir de nouveau sur ce thème de la mort qui est tout de même ; euh… un des plus importants parmi ceux que vous nous avez exposés — c’est que vous ne voudriez pas mourir subitement et que votre père n’est pas mort subitement non plus.

PL :   Non.

DM : À quoi ça vous fait penser ce… ce parallélisme ?

PL :   Oh, ça ne me fait penser à rien, je vous dis… je… [rires] Je ne veux pas mourir subitement parce que je… je veux me rendre compte, enfin !…. Maintenant, naturellement, n’est-ce pas, je risque certainement… euh… de rester quatre ou cinq jours sur mon lit de mort ans que personne ne le sache puisque je… je vis seul.

DM : D’ailleurs vous venez de nous faire remarquer que votre père a mis quatre ou cinq jours pour mourir.

PL :   Oui, oui. Mais il était dans un état que moi je n’aurais pas parce que moi je n’ai pas été un ivrogne et un… un coureur de femmes, enfin.

AG :  Jean-Pierre Martin…

JPM :        Je voudrais demander à Monsieur Léautaud s’il pense que euh l’absence de passion euh qu’il montre dans l’amour vient de ce qu’il a euh… participé de bonne heure à la vie des dames galantes ou si au contraire il pense qu’il y a naturellement été conduit, conduit à se mêler à elles, justement parce qu’il n’avait pas de passion ?

20:10

PL :   Je… n’ai connu… vraiment… enfin la passion physique qu’à quarante-deux ans. Parce que j’ai toujours pensé qu’en amour, homme ou femme, on doit trouver son numéro. Alors il y en a qui ne le trouvent jamais, moi je l’ai trouvé à 42 ans38. Voilà. Alors, la passion, je vous dis, n’était que physique. Voilà. La preuve, c’est que je vous dis, n’est-ce pas, l’intéressée aurait pu mourir, je m’en fichais complètement.

JPM :        Mais avez-vous, je vous prie, le sentiment… Vous souvenez-vous, dans votre jeunesse, qu’elle me… J’entends aux environs de cette dix-septième année, une jeune fille du même âge vous ait témoigné de l’amour ? Avez-vous, et reçu, si je puis dire, la provocation d’un autre amour ?

21:00

PL :   Je vous dirai que, n’est-ce pas, euh… c’est bien drôle à dire… Ça n’est jamais moi qui ai commencé. Voilà.

AG :  Docteur ?

DM : Pourrais-je demander à Monsieur Léautaud si, en laissant la question purement physique de côté, il a éprouvé un sentiment d’aimance, ou de la tendresse pour une femme avant l’âge de 42 ans, tendresse qui n’aurait pas été mélangé à de l’amour physique ?

PL :   Jamais ! Je n’ai jamais éprouvé de tendresse pour une femme !

Jeanne Forestier

DM : Et pour votre mère ?

PL :   Je ne l’ai pas connue. Je l’ai vue huit jours dans ma vie. Quand elle est morte, que j’ai appris ça par euh… Dumur au Mercure m’a en… — j’étais à Pornic, à cette époque-là39. Et Dumur m’a envoyé un numéro du Journal de Genève — on publie les décès, dans les journaux suisses — et j’ai vu là, qu’on annonçait la mort de Madame Oltramare, eh bien elle était morte et puis voilà tout.

21:55

DM : Quel âge aviez-vous ?

PL :   Euh… Voyons… euh… C’est en 1915, j’avais… J’avais 42 ans40

EB :  Ça coïncide un peu avec euh… la découverte de l’amour physique. C’est à peu près au même âge, si je ne m’abuse ?

PL :   Ça n’a aucun rapport !

EB :  Non ! Je barre… Marquons une concordance de dates, sans plus.

PL :   Bah ! si vous voulez ! [ricanements de PL].

AG :  Et puis-je vous demander à quel âge vous avez cessé de voir votre mère ?

PL :   Mais je vous dis, j’ai vu ma mère quand elle venait à Pa… Ma… ma mère était comédienne, n’est-ce pas ?

AG :  Mmm…

PL :   Alors, de temps elle passait par Paris et alors elle venait me voir, rue des Martyrs, je me rappelle, me promener au jardin d’acclimatation, à Michel Strogoff41, tout ça… J’avais la tête… les yeux par terre et je lui disais « Mais oui, Madame… », « Mais certainement, Madame… » et voilà comme [inaudible (un gamin ?)]

EB :  Il n’a pas connu.

PL :   Euh… euh… La preuve, c’est qu’un jour, rue des Martyrs, qu’elle venait, j’avais à cette époque-là une vieille bonne comme on faisait à l’époque42, exprès pour moi, puisque lui était célibataire et elle a fini par dire « Mon Dieu, que cet enfant est-donc désagréable ! »

23:00

EB :  Et ces sentiments d’aimance, comme dit le docteur Martin, que vous n’avez pas eu pour des femmes, est-ce que vous les avez eus pour des amis ?

PL :   Non. Je… Mes amis sont plus mes amis que je ne suis leur ami. J’ai une sale nature !

EB :  Oh je ne le crois pas ! [rire]

PL :   Si ! [rire de PL].

AG :  Docteur…

DM : Je crois qu’il est facile de… d’essayer de vous montrer, tout au moins, que, tant du côté de votre père que du côté de votre mère, vous avez éprouvé, toujours, de très intenses frustrations et que votre attitude sen… sentimentale n’est qu’une euh compensation, qu’un mécanisme de défense destiné à vous protéger contre d’autres frustrations possibles.

PL :   Non. Ils ne m’ont frustrés de rien… ils m’ont…

AG :  Si Monsieur Léautaud n’attendait rien…

PL :   Oui. Je n’ai aucune rancune contre mon père.

DM : Consciente ! car on attend toujours quelque chose quand on est petit.

23:52

Les comédiens, le théâtre

PL :   Il n’y a qu’une chose, tenez, il n’y a qu’une chose… Enfin mon père ne s’est jamais occupé ni de mes études ni de rien du tout, ni de mon… ni de ma santé ni rien… Il n’y a qu’une chose que je ne lui… peux pas arriver à pardonner à cet homme, c’est ceci43 : Mon père était premier souffleur à la Comédie Française. Au jour de l’an, quand j’avais… dix ans, douze ans, quatorze ans… Le jour de l’an, le père Léautaud m’emmenait à la Comédie Française et aux entr’actes, sous la menaces de claques ! il m’obligeait à aller souhaiter la bonne année à tel sociétaire, Bianca, Barretta44, etc. et alors, je recevais cent francs, cinq-cents francs, cinquante francs, qu’il empochait. Ça ! avoir… avoir obligé un enfant, timide comme j’étais, à la mendicité… je ne peux pas oublier ça.

JPM :        Je voudrais vous poser une autre question, Monsieur Léautaud, vous avez écrit dans une de vos chroniques : « Alceste doit faire rire45. » Est-ce que cela vous empêche d’être misanthrope ?

25:00

PL :   Non… mais Alceste doit faire rire, si vous voulez, le commun des mortels. Mais c’est un personnage extrêmement douloureux.

JPM :        Oui.

PL :   Je trouve que Le Misanthrope il y a des côtés euh… Non, plutôt dans L’École des femmes il y a des côtés de tragédie, oui. Mais Le Misanthrope… Non, non, non, non ! Il doit faire rire, il doit faire rire parce que les gens ne l’ont peut-être pas… C’est sa franchise qui fait rire.

AG :  C’est ça.

EB :  Mais quand vous avez dit que Le Misanthrope devait faire rire je pense que vous vous êtes surtout placé au point de vue du critique dramatique, que vous pensez que c’est comme ça qu’on doit jouer Le Misanthrope. N’est-ce pas ?

PL :   Ah non, surtout pas [inaudible] !

EB :  Ah oui ?

PL :   Moi il ne me fait pas rire.

EB :  Alors s’il ne vous fait pas rire, pourquoi voulez-vous qu’il fasse rire les autres ?

25:57

PL :   Ah ben… euh… parce que… parce qu’il a un comportement opposé à celui que les autres ont généralement.

EB :  Oui… mais enfin nous marquons premièrement, qu’il ne vous fait pas rire et deuxièmement que vous trouvez qu’il doit faire rire les autres.

PL :   Oui… Enfin j’admets, j’admets… J’admets qu’il fasse rire.

EB :  Ah oui, mais vous ne le souhaitez pas ?

PL :   Ah non, je ne souhaiterais… Non. Je souhaiterais plutôt qu’on constate que c’est un personnage douloureux.

EB :  Ah oui…

Les animaux, les hommes

AG :  Alors je voudrais aussi un petit peu au thème des animaux, puisque vous les aimez beaucoup… Quels sont les animaux que vous avez aimés et est-ce qu’il y a des raisons qui vous poussent vers tel ou tel animal ?

PL :   Euh… J’ai eu au moins trois-cent chats, cent-cinquante chiens, pas tous à la fois. Tous ramassés dans les rues de Paris. Je n’ai jamais fait d’élevage. Quand il y avait des portées chez moi elles allaient au baquet parce qu’il m’intéressait plus de recueillir les animaux en péril que d’élever des choses qui sont [inaudible]. Voilà. Et tous… tous mes animaux sont enterrés dans mon jardin. Ils ont tous vécu là. J’avais une bonne, à cette époque-là.

27:12

DM : En somme on peut dire que vous recueillez les êtres abandonnés, mais que vous ne tenez pas à être…

PL :   Mais je ne recueillerais pas des enfants.

DM : Et vous ne tenez pas à élever des petits animaux qui viennent de naître ?

PL :   Ah non ! Dans les… Dans les deux cas, n’est-ce pas, vous savez, quand un chat naît, ça n’a pas de regard, c’est gros comme un index. Tandis que l’animal que je trouve, de six mois ou d’un an, n’est-ce pas, en péril, pourchassé, n’ayant pas de nourriture, il est plus intéressant.

DM : Et en dehors des chiens et des chats… Vous avez je crois une guenon ?

PL :   J’ai une guenon qui s’est perdue dans mon jardin et que j’ai gardée. Mais quand je trouve un es… J’ai un très grand jardin, j’ai 1800 mètres de jardin qui n’a jamais été touché, tout pousse comme ça veut. Quand je trouve un escargot dans l’allée, je le jette dans les taillis. Je m’en voudrais d’es… d’é… d’écar… d’écraser volontairement un escargot. [inaudible] je suis une vieille concierge. [Rires].

28:13

DM : Mais, euh… Il y a tout de même eu des animaux que vous avez plus particulièrement aimés.

PL :   Ah, ben, n’est-ce pas, il y a, chez les animaux comme chez les humains, des êtres qui sont, euh, plus démonstratifs, charmants, plus intelligents, même.

AG :  Mais alors cette euh distinction que vous faites entre les animaux vous le faites plus difficilement entre les hommes…

PL :   Oh… je ne sais pas [bougonnements] [rires].

DM : C’est-à-dire que vous vous êtes attaché plus facilement à certains animaux… Et alors quand ces animaux sont morts, quelle a été votre réaction ?

PL :   Ah !… Un très grand chagrin.

AG :  Un très grand chagrin…

PL :   Oui, oui.

JPM :        Il semble évident que Monsieur Léautaud a déplacé, sur la tendresse relative aux animaux tout l’énorme potentiel de tendresse qu’on sent chez lui camouflé, et qu’il n’a pas pu utiliser vis-à-vis du genre humain ! car votre attitude vis-à-vis des chiens et des chats abandonnés est tout à fait une attitude d’homme envers des humains.

29:11

PL :   M… Mais… Euh… Si… Cette attitude envers des humains, euh, nous avons vu qu’elle est souvent intéressée. Tandis que moi… il n’y avait pas d’intérêt.

JPM :        Oui, vous considérez que le sentiment pour les animaux est plus pur et c’est pour ça que…

PL :   Oui…

AG :  Mais je pense qu’en…

DM : Il ne risque pas d’être jugé par les intéressés.

PL :   Non.

EB :  Si, il peut être jugé, ils ont bien un jugement, les animaux, qui manifestent en fuyant, par exemple…

JPM :        Je voulais, justement, demander à Monsieur Léautaud s’il avait lui, appliqué son jugement à ses animaux, c’est-à-dire s’il avait observé la société de ses animaux — puisqu’ils sont assez nombreux pour constituer une société — comme il observe la société des hommes, et s’il avait à leur égard exercé sa réflexion et son sens critique.

29:57

PL :   Il y a les mêmes différences ! Par exemple, les chats, n’est-ce pas, il y en avait qui vivaient très seuls, qui se promenaient seuls, qui mangeaient seuls ; d’autres qui étaient par groupes de quatre ou cinq, enfin il y a entre eux les sympathies qu’il peut y avait entre les humains… et les hostilités.

DM : Et ça ne vous a jamais rapproché des humains ?

PL :   Non. Je nous dis que je ne suis… NON ! Ça je ne… Non !

DM : Mais la… la tendresse que vous vous êtes toujours appliqué à ne pas éprouver pour des êtres humains…

PL :   Mais je ne me suis pas appliqué, c’est naturel ! [rires].

DM : Bon euh… et cette tendresse, ne l’avez-vous pas éprouvée pour des personnages imaginaires ?

PL :   Oh non ! euh ça… ça, je ne divague pas, non.

DM : Non mais…

JPM :        Vous rêvassez…

PL :   Hein ?

JPM :        Vous rêvassez.

PL :   Ah oui, oui, oui, mais pas euh… d’abord je n’ai pas d’imagination.

JPM :        Non mais pour des personnages… pour des héros de roman ou de pièces de théâtre ?

PL :   Oh non, non, non, non, non, non. Tout de même… non, non.

DM : On… on peut faire remarquer que trois-cent chats et cent-cinquante chiens constituent déjà une masse humaine…

EB :  Considérable !

DM : …d’un tel volume, qu’elle peut suffire à des épanchements sentimentaux considérables.

31:02

EB :  Et pour vos livres, vous n’avez pas une tendresse ?

PL :   Oh !…

? ? :  Pas du tout !

PL :   Oh non, voyons… Non, non. J’ai écrit pour moi, parce que ça m’amusait. Passe-temps uniquement.

EB :  Et pour les livres que vous possédez, ceux d’autrui ?

PL :   Non.

EB :  Non ?

PL :   Non. Vous savez, je me… Ah si, je…

? ? :  Moi non plus.

PL :   Je donnais tout à l’heure euh que l’héroïne de roman, la Sanseverina de… [inaudible : « j’arrive à »] me foutre pas mal de La Chartreuse de Parme, ça ne m’intéresse plus.

AG :  Mais la Sanseverina, tout de même… ?

PL :   Non, je, thw thw thw… euh euh je me suis reporté un peu dans le passé… mais tout ça m’est égal [aujourd’hui]… J’ai horreur des romans.

EB :  Et comment avez-vous été amené à penser à la Sanseverina ?

PL :   Ah parce que… euh… Non ! N’est-ce pas ? Vous m’avez demandé ça ! Alors je me suis rappelé que, vraiment, n’est-ce pas, comme je l’ai écrit, la Sanseverina dont… dont… dont nous avons tous été amoureux. Voilà, dans le passé.

AG :  À quel âge avez-vous lu La Chartreuse de Parme ?

PL :   Oh, j’ai lu La Chartreuse de Parme, j’avais vingt-cinq ans…

AG :  Jean-Pierre Morphé ?

32:00

PL :   Je l’ai relue souvent. Mais… ça ne m’intéresse plus.

L’écriture et les écrivains

JPM :        Je voudrais demander à Monsieur Léautaud, euh, si son jugement sur les hommes n’a pas pu être faussé, si j’ose dire, par ceci : c’est que lui-même, agissant uniquement par plaisir et n’écrivant entre autres choses — ce qui est son activité essentielle — que par plaisir, il n’a pas été amené à penser que les autres, sous des masques différents — d’héroïsme, de courage, de dévouement — n’agissaient aussi que par plaisir ?

PL :   Euh c’est bien compliqué, comme question. D’abord, n’est-ce pas, euh… je crois que la plupart des gens qui écrivent, écrivent par euh… intérêt matériel. Je trouve que ce qu’on appelle la littérature alimentaire est méprisable.

JPM :        Oui, c’est ce que vous dites, d’ailleurs, c’est ce que vous consignez dans votre Journal, sur les écrivains contemporains. Mais vous semblez ne pas voir le même sentiment pour les écrivains du passé.

33:00

PL :   Les écrivains du passé étaient peut-être moins intéressés du point de vue de l’argent.

EB :  Les écrivains du passé sont l’objet d’une sélection !

PL :   Ouais.

DM : D’ailleurs il me semble difficile de commencer à écrire par intérêt matériel. Une fois que le tirage et venu… alors que l’on n’était jamais en droit de l’espérer on peut continuer à écrire mais je… ne croyez-vous pas qu’un homme qui commence à écrire, qui décide d’écrire ne le fait jamais par intérêt matériel.

PL :   Eh bien je trouve qu’aujourd’hui, au contraire, c’est… c’est le contraire, qui se produit. Ainsi… j’ai noté… dans… un… fragment de Journal qui va passer, il y a une maison, rue de l’Université, qui s’appelle Julliard, Laffont et un troisième46. Cette maison… ne vi… il y a là-dedans des gens qui n’écrivent que pour les prix.

DM : Oui mais…

PL :   Je trouve ça !…

DM : Oui mais ne croyez-vous pas que c’est la maison, disons, en généralisant, l’institution qui a corrompu les hommes mais que tout jeune auteur qui commence à couvrir une page vierge ne le fait jamais par intérêt matériel.

PL :   Ah aujourd’hui ne… Si !

34:00

EB :  Mais Balzac disait déjà la même chose et ça nous met déjà à cent ans plus tôt… Qu’il y avait beaucoup d’écrivains qui n’écrivaient que par intérêt matériel, ayant découvert que, acheter pour cinquante francs de papier et le revendre pour 5 000 francs était l’une des opérations les plus avantageuses qu’on puisse faire. Je crois que c’est dans les Illusions perdues.

DM : Je crois que la qu… le problème est moins simple qu’il ne paraît. Car même chez l’écrivain qui écrit par intérêt matériel, il peut trouver dans le succès matériel des satisfactions qui n’ont pas uniquement trait à l’argent ; car l’argent a une très grosse valeur symbolique. Le prix ou l’argent symbolisent la puissance et la réussite, et la puissance sous tous ses aspects. De sorte que… on ne peut pas schématiser et mettre dans un tiroir les écrivais purement désintéressés qui ne travaillent pas pour de l’argent et dans l’autre tiroir les écrivains qui travaillent uniquement dans un but alimentaire. Le problème est infiniment plus nuancé à mon sens.

34:58

PL :   Mais… Alors il ne vous vient pas à l’idée que tous ces écrivains qui écrivent pour un prix savent… ce qu’il faut mettre dans un livre pour avoir le prix ?

EB :  Il y en a beaucoup qui se trompent par [inaudible].

PL :   C’est la seule… mais enfin, croyez-vous que les gens qui écrivent pour l’académie Goncourt n’ont pas bien réfléchi à tout ce qu’il faut mettre dans un livre pour séduire ces messieurs ?

AG :  Mais ils se trompent, il n’y a pas de… de…

PL :   Ah !

AG :  Formule assurée du succès, ce serait trop beau !

PL :   Mouais, mouais, mouais,…

EB :  Je voudrais poser à Monsieur Paul Léautaud une question relative à Dostoïevski. Je crois savoir qu’il n’aime pas Dostoïevski ; et je voudrais savoir pourquoi.

PL :   Il se trouve que c’est un épileptique un… un… un écrivain pour gens enfermés dans des cabanons, qu’il est… qu’il vaut mieux ne pas le lire… enfin non non non [neuf fois non]. Je n’aime pas les déséquilibrés, je n’aime pas ça. Voilà. Et, comme je l’ai dit, je ne sais pl… Ah, voyons, si, le ma… Tous les gens… Ah ben je l’ai dit dans l’article sur Corbin ! Tous les gens qui ont subi une influence de Dostoïevski ont écrit des âneries. Euh… Gide, avec son… ses Caves du Vatican et le bonhomme par le train, n’est-ce pas47, etc., Duhamel avec son roman [inaudible Salavin48 ?] et puis alors cet immonde Bubu de Montparnasse49-50. Voilà. Non, non oh ça non non non, je n’ai pas ça, je vous dis ; non.

EB :  Mais votre hostilité est-elle plutôt pour l’influence qu’a exercé Dostoïevski, que pour lui-même ?

PL :   Ahhhh ! il m’est antipathique !

EB :  Oui ?

PL :   Il m’est antipathique.

EB :  Parce qu’il y a de très… On peut être un très mauvais maître et un très bon artiste, n’est-ce pas ?

PL :   Oui, Oui… Non, non, il m’est antipathique. Tous les… tous les déséquilibrés me sont antipathiques. Je… J’ai une sorte de haine pour ces gens-là.

Les personnages du théâtre

AG :  Et pour en revenir à ce que nous disions tout à l’heure sur la tendresse ou l’amitié que vous pourriez avoir pour des personnages imaginaires, vous avez répondu que vous n’en aviez pas et que vous aviez horreur des romans mais vous n’aviez pas… vous n’avez pas horreur du théâtre ; et est-ce qu’il vous est arrivé d’avoir pour des personnages de théâtre une amitié… [on sent qu’André Gillois avance avec une grande précaution] ou une attirance tendre…, enfin une…

37:10

PL :   Enfin, n’est-ce pas, je suis certainement extrêmement intéressé, pénétré, par exemple par Alceste et par Arnolphe51.

AG :  Oui.

PL :   Oui, énormément, énormément. Et même par Figaro52, n’est-ce pas, que je trouve une chose, enfin…

EB :  Et le cinéma ne vous a pas… ?

PL :   Ah non, rien ! Le dégoût complet. Je lisais… Vous n’avez pas lu dans Le Figaro le… sur la façon dont on a arrangé Paul-Louis Courrier au cinéma ?

EB :  Ah non, je ne l’ai pas lu, non non.

PL :   [se tournant vers un autre participant :] Vous l’avez vu ?

JPM :        Oui, oui, le film de… La Maison des sept péchés53, c’est ça.

EB :  Enfin c’est peut-être un mauvais film…

PL :   Mais tenez, je tiens Valéry pour un mauvais écrivain… parce que… il a écrit… à la mort de Mallarmé : « Le ravissement de Mallarmé me laissa sans un mot » pour ne pas écrire « La mort de Mallarmé ». Eh bien, quand on prend des détours comme ça on est un mauvais écrivain.

38:06

JPM :        Je voulais demander à Monsieur Léautaud euh qui nous a euh dit combien il était intéressé par les personnages de d’Alceste et d’Arnolphe, s’il n’y a pas tout de même chez lui, et j’ai cru le constater d’ailleurs dans son œuvre, une très grande admiration pour Molière et je voulais lui demander ce qu’il pensait de l’homme Molière, qui est justement un homme constamment agité de passions, et de passions amoureuses [fin inaudible, couverte par la réponse de PL].

PL :   Oh ça, j’ai… j’ai une vénération pour Molière.

AG :  Passions amoureuses comprises.

PL :   Oui, l’homme, l’homme, l’homme, l’homme,

? ? :  Il était justement sympathique.

PL :   Enfin c’est homme qui a été constamment dupé en ménage, n’est-ce pas ?… Et qui a mis tant de choses de lui dans ses personnages.

EB :  Maintenant, n’est-ce-pas, il a éprouvé des passions mais il n’en a pas été dupe.

PL :   Oui maip… oui mais la passion n’était que physique !

EB :  C’est ça…

PL :   Alors le moral… Le moral n’a rien à y voir !

AG :  Eh bien… je vous remercie Monsieur Paul Léautaud, je pense que nous vous avons assez ennuyé comme ça…

PL :   Mais non, mais non, je trouve ça très drôle, moi [rires].

39:06

Conclusion

AG :  [Après l’enregistrement] Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’apporter de conclusion à cet échange de propos, tant il ressort avec évidence que la misanthropie de Monsieur Léautaud tire son origine d’une enfance effrayante dont il nous a parlé lui-même avec son implacable franchise. De ce caractère intransigeant, il a tiré toutes les conséquences, sans reculer jamais, ce qui lui a permis de réaliser une œuvre littéraire dont l’importance apparaîtra sans doute de plus en plus grande, surtout quand on connaîtra le Journal que Monsieur Léautaud rédige depuis cinquante ans, et que le monde littéraire attend avec impatience et angoisse. J’imagine que de nombreux auditeurs auront été choqués de l’entendre s’exprimer avec une aussi complète liberté d’esprit mais je suis heureux d’avoir eu cette occasion unique de faire connaître à ceux qui l’ignoraient encore l’existence de ce grand écrivain et de ce personnage extraordinaire.

40:01

[Générique] Vous venez d’entendre : « Qui êtes-vous », une émission d’André Gillois avec Emmanuel Berl, Maurice Clavel, le docteur Martin et Jean-Pierre Morphé. Aujourd’hui : « Qui êtes-vous, Paul Léautaud ? », émission réalisée avec la collaboration d’Alain Alliou, Maurice Béart et Gaston Morphé. Montage : Jacques Guinchard.

40:23

Fin.


1       Avant cela, le huit novembre 1946, un « opérateur de la radio suisse » est arrivé à l’improviste à Fontenay pour graver un disque. PL a écrit un texte en hâte, qu’il a lu au micro, puis lit un poème d’Alcools (Apollinaire). Il ne semble pas exister de trace de cet enregistrement.

2       Le minutage est celui d’une émission « Les nuits de France-Culture » régulièrement rediffusée. Cette rediffusion est précédée de deux minutes de présentation non reproduites ici mais comptées dans le minutage. Les initiales des noms des intervenants, le plus souvent détectés à l’écoute, sont vraisemblables mais peu sûres.

3       André Gillois (Maurice Diamantberger, 1902-2004), écrivain, réalisateur, scénariste et dialoguiste. Pionnier de la radio, André Gillois fut pendant la seconde guerre mondiale le porte-parole de Charles de Gaulle à Londres.

4       JL au 16 décembre 1949 : « 8 heures du soir. — Mon voisin Delaunay, venu me voir ce soir, me dit qu’on a annoncé tantôt, à la Radio, mon audition pour samedi prochain, 24, à 14 h.30. » Il s’agit de René Delaunay, qui habitait au numéro 17 de la rue Guérard.

Fragment du programme de la radio dans Combat du 24 décembre 1949

5       Voir Pierre-Marie Héron : De l’impertinence dans les interviews d’écrivain : l’exemple de la série radiophonique Qui êtes-vous ? (1949-1951)http://journals.openedition.org/aad/1706.

6       Emmanuel Berl (1892-1976) s’engage en philosophie, rencontre Marcel Proust et Louis Aragon, les surréalistes en même temps que Drieu La Rochelle et André Malraux.

7       Annoncé par la speakerine et que, n’étant jamais annoncé par André Gillois, il n’a pas été possible d’identifier la voix. Il est possible que ses interventions aient été attribuées ici à un autre intervenant.

8       Pseudonyme d’un docteur Held, psychiatre, peut-être René Held (1897-1992), qui participa aussi à quelques émissions de télévision « Les Dossiers de l’écran ».

9       Gaston Morphé, assistant, était le père de Jean-Pierre Morphé.

10     L’auditeur se rend bien compte que Paul Léautaud a eu connaissance des questions avant l’émission et a même eu le temps de rédiger les réponses, lues.

11     Brotteaux des Ilettes est un personnage des Dieux ont soif, roman d’Anatole France sur la Révolution française publié en feuilleton dans la Revue de Paris du quinze octobre 1911 au quinze janvier 1912, et en volume chez Calmann-Lévy en 1912.

12     Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), prêtre en 1779, évêque d’Autun en 1788, finit par quitter l’Église pour la politique peu après. On le verra occuper de nombreuses fonctions dans la diplomatie et les finances. Dans son Journal littéraire au vingt juillet 1927, PL a écrit : « Je lui ai dit [à Henri Malo] à quel point je vois en Talleyrand le type de l’homme supérieur, justement parce que sans croyance ni foi en rien, libéré de tout, même de la conscience. »

13     Gina Del Dongo, femme assez libre, est la tante du beau Fabrice dans La Chartreuse de Parme. Elle a d’abord épousé le général Pietranera (assassiné) puis le duc de Sanseverina après l’avoir rencontré deux fois tout en étant la maîtresse du comte Mosca (Premier ministre du prince de Parme). La Chartreuse de Parme est un roman de Stendhal paru en mars 1839 (deux tomes) chez Ambroise Dupont, 7, rue Vivienne, l’écriture en ayant été terminée le lendemain de Noël 1838.

14     Jean-Siméon Chardin (1699-1779) se spécialise d’abord dans les natures mortes mais craignant la lassitude de ses acheteurs il se tourne vers les « scènes de genre » représentant ses proches dans des circonstances particulières (La Blanchisseuse, Le Bénédicité). JL au 20 avril 1933 : « Ma nouvelle bonne (67 ans), avec sa robe jusqu’aux pieds, son foulard sur sa tête, cachant les oreilles et noué sous le menton, ses lunettes, ressemble à un Chardin. Cela va avec moi. » PL fait évidemment ici référence au Portrait de la seconde Madame Chardin (âgée de soixante-huit ans), datant de 1875 et exposé au Louvre dans le « couloir des poules ».

15      ? peu audible. Un peintre du nom de Pierre Renaud est né en 1928, ce ne peut donc pas être lui.

16     Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), portraitiste et pastelliste. On se souvient notamment de son portrait de Louis XV, présent dans tous les livres d’histoire. Maurice-Quentin de La Tour figurait sur nos billets de 50 francs dans les années 1980 et 1990 avant de faire place à Antoine de Saint-Exupéry. On ne confondra pas Maurice-Quentin de La Tour avec son illustre devancier Georges de La Tour (1593-1652).

17     Gustave Courbet (1819-1877) est un peintre social, aspect presque entièrement occulté par la très réaliste Origine du monde (une commande de 1866) exposée à Orsay. Hors cette extravagance il faut se souvenir d’Un enterrement à Onans (où est né Gustave Courbet) peint en 1849.

18     Journal littéraire au seize janvier 1900 : « Cette photographie d’un tableau de Manet (femme sur un divan) que je viens d’acheter ce soir, chez un marchand de tableaux de la rue Le Peletier, en revenant de chez les dames Mallarmé, j’ai à la regarder un plaisir tout à fait particulier. » Édouard Manet (1832-1883), est surtout connu pour son Olympia et son Déjeuner sur l’herbe, tous deux exposés au musée d’Orsay. La photographie achetée par Paul Léautaud est peut-être cette Olympia mais la servante noire du second plan aurait peut-être été évoquée et surtout le chaton noir à droite de la toile. Mais celui-ci, sur fond de tenture verte très sombre, n’était peut-être pas visible sur la reproduction en noir et blanc.

19     Dessinateur et peintre (1802-1892), Constantin Guys s’est attaché à la représentation de la société de son temps. Groupes de personnages, scènes de bal, nombreux cabriolets et chevaux. JL au quinze avril 1901 : « Il y a en ce moment un beau Constantin Guys chez un bouquiniste du quai Malaquais. / C’est une sorte de cabriolet attelé. / Le cheval est admirable. »

20     Paul Léautaud est alors âgé de 77 ans.

21     Les intertitres ont été insérés dans cette page par commodité de lecture et sont parfaitement arbitraires.

22     Les questions, ici, ne sont pas connues et les réponses bien plus spontanées.

23     François Coppée (1842-1908), poète nostalgique parisien et auteur dramatique à succès. D’abord employé à la bibliothèque du Sénat, François Coppée fut nommé en 1878 archiviste de la Comédie-Française, poste dont il a démissionné en 1884, date à laquelle il fut élu à l’Académie française.

24     Charles-Louis Philippe (1874-1909), poète et romancier, cofondateur de La Nouvelle Revue française, surtout connu comme auteur de Bubu de Montparnasse (éditions de la Revue Blanche 1901).

25     Paul Valéry (1871-1945), écrivain, poète et philosophe, étudie son droit de façon assez ordinaire puis entre comme rédacteur au ministère de la Guerre, ce qui correspond à un emploi tout à fait subalterne. Parallèlement il est a été, en 1900, secrétaire particulier d’Édouard Lebey, lourdement handicapé, administrateur de l’agence Havas. Après avoir été amis proches, PV et PL s’éloigneront mais se rencontreront souvent. Paul Valéry a été élu à l’Académie française en 1925 au fauteuil d’Anatole France, qu’il n’appréciait guère.

26     Ni cet épisode, ni le récit de l’inhumation de Paul Valéry n’ont été mentionnés dans le Journal littéraire. Au micro de Robert Mallet en juin 1951, Paul Léautaud s’étendra bien davantage sur la mort d’André Gide, il est vrai plus récente alors.

27     Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836) homme d’Église et homme politique surtout connu pour ses écrits et son action pendant la Révolution française et plus tard président du Sénat conservateur et comte de l’Empire.

28     Une Élégie, dans le numéro de septembre, page 320. Avant cela, PL avait publié quelques poèmes dans Le Courrier français.

29     Alfred Vallette (1858-1935), d’abord typographe, a été ensuite secrétaire de rédaction puis directeur du Scapin (1er septembre 1886). Mais Alfred Vallette est surtout connu pour être l’un des fondateurs (1890) et le directeur de la revue puis des éditions du Mercure de France jusqu’à sa mort en 1935. C’est dans Le Scapin qu’Alfred Vallette a publié en feuilleton son roman Monsieur Babylas (depuis le numéro onze, du premier mai 1886). Ce roman sera publié en volume au tout début de 1891 sous le titre Le Vierge chez Tresse et Stock (495 pages) (et peut-être un jour ici). Alfred Vallette a écrit un second roman (en collaboration avec Raoul Minhar), À l’écart, paru la même année 1891 chez Perrin. Voir le compte-rendu de Jules Renard dans le Mercure de juillet 1891, page 42.

30     Allusion a un fait bien plus tardif, le désabonnement de monsieur Pierre Maybon, habitant le Laos. Voir le Journal au 14 janvier 1928 et la lettre de Léautaud au susdit datée du 15 janvier.

31     Tous les lieux de ce site web sont parisiens par défaut. La rue des Martyrs, qui monte depuis Notre-Dame de Lorette jusqu’à la jonction du boulevard de Rochechouart et du boulevard de Clichy et traverse ainsi une bonne moitié du IXe arrondissement, était à l’époque un quartier populaire d’ouvriers et de « petites gens ».

32     La rue Milton, parallèle à l’est de la rue des Martyrs, comportait deux écoles, une au numéro 5 et une au numéro 21. PL a fréquenté un des deux.

33     Le 26 février 1903, PL a écrit à Jeanne Oltramare, sa mère : « Mon père est mort ce matin, à 2 heures, après une affreuse agonie de trois jours ».

34     Blanche Blanc et Anne Cayssac.

34b     Dans une lettre à Marie Dormoy du 25 janvier 1950, PL attribuera à cette phrase « Je n’aime pas les justiciers » la suppression de sa pension accordée par le ministère de l’Éducation nationale en mai 1944 du temps où Abel Bonnard en était le ministre. La raison bien plus vraisemblable est qu’il n’a pas répondu à un questionnaire qui lui a été envoyé à propos de cette pension..

35     Yves Lévy (1910-1983) a été, de 1945 à l’été 1950 (dernier numéro, août-septembre), directeur et rédacteur en chef de la revue Paru dont le premier numéro était sorti en janvier 1944. On y trouve de belles signatures comme celles de Raymond Aron, Georges Bernanos, François Mauriac ou Jean-Paul Sartre. Cette rencontre et cette conversation avec Yves Lévy est notée dans le Journal littéraire au 17 février 1947.

36     Conversation avec Yves Lévy du 17 février 1847 : « J’ai résumé mon sentiment sur ce sujet, tel qu’il est fortement ancré en moi, que si je voyais, sous mes yeux, un homme en assassiner un autre, je ne le dénoncerais pas. J’ai eu l’approbation d’Yves Lévy en ces termes : “Ce n’est pas notre métier.” »

37     PL parle là de la porte de sa maison et pas du portail accédant à sa cour. La porte de sa maison était toujours ouverte à la belle saison afin que les animaux puissent y accéder ou la quitter librement. L’hiver cette porte était fermée mais pas à clé et il est souvent arrivé de trouver un visiteur dans son jardin voire à l’entrée de sa maison.

38     Soit la date son premier rapport amoureux avec Anne Cayssac en février 1914.

39     PL est trahit par sa mémoire. Sa mère, Jeanne Forestier (elle n’avait pas épousé Firmin Léautaud) est morte le 15 mars 1916 à Genève (elle avait épousé un médecin Genevoix). Le Journal de Genève a annonça sa mort le 16. Le 17, alors qu’il rend visite aux époux Cayssac en fin de journée : « Je suis à peine entré que M. et Mme Cayssac me demandent si je sais la nouvelle, qu’ils allaient à l’instant envoyer la petite bonne au Mercure pour me porter Le Journal de Genève qui l’annonce. Cette nouvelle, dont je ne savais rien, est la mort de ma mère, survenue le 15 mars, avant-hier, et que Le Journal de Genève annonce dans son numéro du 16. » PL inclut fautivement Louis Dumur dans cette circonstance parce que Louis Dumur était aussi Genevoix.

40     44 ans.

41     Le spectacle Michel Strogoff, d’après le roman de Jules Vernes paru en chez Jules Hetzel en 1876 (370 pages) a été créé au théâtre du Châtelet le mardi 17 novembre 1880.

42     Marie Pezé.

43     Énervement très net et très soudain de PL.

44     Blanche Barretta (1856-1939), a été sociétaire de la Comédie Française en 1876. Bianca est, nous le savons, la marraine de Paul.

45     Chronique parue dans le numéro d’avril 1922 de La NRF, traitant de deux représentations différentes du Misanthrope où le rôle d’Alceste était tenu par Jacques Copeau (au Vieux-Colombier) et par Lucien Guitry (au Théâtre Édouard VII).

46     Robert Laffont s’est installé en septembre 1944 au 30, rue de l’Université, rejoint par René Julliard en 1948. JL au Mercredi 2 Mars1949 « Je reçois ce matin le bulletin de librairie des Éditions René Julliard, Robert Laffont et Mermod réunies. À la cinquième page, la reproduction photographique de leurs lauréats en groupe : Michel Robida (Prix Femina), René Laporte (Prix Interallié), René Julliard, Jean-Jacques Gautier et Jean-Louis Curtis (Prix Goncourt), Françoise d’Eaubonne (Prix des Lecteurs), Maurice Druon (Prix Goncourt), Élisabeth Barbier (Prix du Renouveau français), Pierre Fisson (Prix Théophraste Renaudot). Modérons le jugement qu’ils méritent. Bons élèves, adroits fabricants, … bien à la hauteur ainsi de la littérature d’aujourd’hui. » [Les italiques et les capitales sont de l’édition papier].

47     Voir la fameuse lettre de PL à André Rouveyre datée du 16 mai 1942, qu’André Rouveyre publia sans l’avis de Paul Léautaud : « L’épisode du train, dans les Caves du Vatican, le co-voyageur jeté par la portière du train en marche, uniquement pour voir la sensation éprouvée par cet acte, est une bêtise sans borne ; qui aurait fait éclater de rire un Molière, un Racine, un Boileau, un Diderot, et un Voltaire, etc. » André Gide a apprécié.

48     Vie et aventures de Salavin, cinq tomes parus de 1920 à 1932 au Mercure de France.

49     Comme à peu près tous les écrivains de sa génération, Paul Léautaud avait de l’affection pour Charles-Louis Philippe (note 24). Journal littéraire au sept juin 1940 : « Mon prochain morceau de Journal (Mercure 1er juillet) comporte un passage sur les livres qu’il faut bien se garder de lire, si admirables qu’on les dise, par une sorte d’hygiène d’esprit. Je voulais mettre en bas de page une note sur l’abominable Dostoïevski, l’influence fâcheuse qu’il a eue sur Charles-Louis Philippe, Gide et Duhamel, leur peu de solidité intellectuelle pour avoir si peu résisté à cette influence, et qu’un esprit vraiment français ne peut que détester cette littérature de cabanon et même la prendre en pitié. »

50     Roman de Charles-Louis Philippe paru chez Flammarion en 1901. « Bubu c’est l’histoire de filles et de souteneurs dans le Paris du 1900 : les bouleversements et les prisons, l’anisette et la vérole, le désenchantement des lendemains de 14-Juillet, les prisons et les trottoirs. Mais c’est aussi un roman d’amour, celui de Pierre, le jeune homme de vingt ans, de Berthe, la prostituée sans défense, et de Bubu son protecteur “petit mais costaud” ».

51     Alceste, déjà évoqué, est le misanthrope et Arnolphe est, avec Agnès, le personnage principal de L’École des femmes.

52     Figaro est le principal personnage de trois pièces de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro et La Mère coupable. C’est plutôt au Mariage de Figaro (qui est aussi celle des trois pièces choisie par Mozart pour ses Noces de Figaro) que pense PL. Paul Léautaud, sous le pseudonyme de Maurice Boissard, a chroniqué cette pièce dans le Mercure du premier avril 1913.

53     La Ferme des sept péchés, film réalisé par Jean Devaivre avec Jacques Dumesnil, sorti le 16 septembre 1949, soit deux mois avant cet entretien. À l’occasion de la rediffusion de ce film le 8 avril 2018, le programme de télévision du Figaro est plutôt favorable. Mais soixante-dix ans ont passé.