Poètes — Notices du tome II

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André-Ferdinand Herold,      Gérard d’Houville,      Francis Jammes,      Gustave Kahn,      Tristan Klingsor,      Raymond de La Tailhède,      Jules Laforgue,      Léo Larguier,      Louis Le Cardonnel,      Grégoire Le Roy,      Philéas Lebesgue,      Sébastien-Charles Leconte,      Jean Lorrain,      Pierre Louÿs,      Maurice Maeterlinck,      Maurice Magre,      Stéphane Mallarmé,      Louis Mandin,      Camille Mauclair,      Stuart Merrill,      Éphraïm Mikhaël,      Albert Mockel,      Robert de Montesquiou,      Jean Moréas,      comtesse Mathieu de Noailles

Ce tome II des Poètes d’aujourd’hui reprend la numérotation des notes à 1. Les notes sont sous chaque poète.
Afin d’éviter leur prolifération, les notes déjà données tome I, ne seront pas reprises dans ce tome II.

A.-Ferdinand Herold1
1865

André-Ferdinand Herold entre Paul Valéry et André Fontainas lors d’une réunion à l’académie Mallarmé en 1937, l’année de sa fondation

M. André-Ferdinand Herold, qui est le petit-fils du célèbre musicien de Zampa et du Pré-aux-Clercs2, et le fils de l’ancien préfet de la Seine3, est né à Paris le 24 février 1865. Élève de l’école des Hautes-Études, il a toujours cultivé avec une égale passion la science des manuscrits, les langues orientales et la littérature tant livresque que dramatique. Ces goûts réunis et exercés parallèlement font de lui tout à la fois un érudit, un savant et un poète. M. A.-Ferdinand Herold débuta par L’Exil de Harini4, un drame inspiré du sanscrit. Il donna ensuite, tout en poursuivant ses travaux savants, plusieurs recueils de poèmes : La Légende de Sainte Liberata, Les Pæans et les Thrènes5, Chevaleries sentimentales6, Le Victorieux, Intermède pastoral7, Au hasard des Chemins, etc., où il s’est montré l’évocateur adroit et délicat dont M. Remy de Gourmont a écrit « C’est un poète de douceur ; sa poésie est blonde, avec, dans ses cheveux de vierge, des perles, et, au cou et aux doigts, des colliers et des bagues, élégantes et fines gemmes… Liseur de livres oubliés, il trouve là de précieuses légendes qu’il transpose en courts poèmes, souvent de la longueur d’un sonnet… M. Herold est l’un des plus objectifs parmi les poètes nouveaux : il ne se raconte guère lui-même ; il lui faut des thèmes étrangers à sa vie, et il en choisit même qui semblent étrangers à ses croyances… M. Herold s’est créé pour son plaisir et pour le nôtre une poésie de grâce et de pureté, de tendresse et de douceur. » (Le Livre des Masques8.)

Comme conteur et romancier, M. A.-Ferdinand Herold a publié Les Contes du Vampire9 et L’Abbaye de Sainte-Aphrodise10 et comme auteur dramatique fait représenter sur différentes scènes de nombreuses œuvres, productions originales ou traductions, dont on trouvera ci-après l’énumération complète.

M. A.-Ferdinand Herold, qui a fait à l’École des Hautes Études sociales, pendant l’exercice 1906-1907, un cours sur l’Histoire de la Poésie symboliste, avec récitations de poèmes a collaboré à de nombreuses revues.


1       Chronique rédigée par Adolphe van Bever depuis son entrée dans la la première édition des Poètes d’aujourd’hui. La notice a été sensiblement augmentée et précisée avec l’édition de 1908 et c’est cette seconde version qui est donnée ici. AvB fait le service minimum. Pour une meilleure connaissance de LFH, une visite sur le site de Wikipédia s’impose.

2       Louis-Ferdinand Herold (1791-1833) était fils d’une lignée de musiciens. Entré au Conservatoire de musique de Paris en 1806, il en est sorti avec un premier prix de piano avec — fait rare — une pièce qu’il avait lui-même composée. Ce prix lui a ouvert l’école française de Rome dont il est sorti avec un prix. Louis-Ferdinand Herold a connu alors un succès jamais démenti, notamment avec les deux opéras comiques cités ici par Adolphe van Bever, Zampa ou La Fiancée de marbre créé à l’Opéra-comique en mai 1831 et Le Pré aux clercs, créé dans la même salle en décembre 1932.

3       Ferdinand Herold (1828-1882), avocat en 1849, docteur en droit en 1851, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation en 1854 et bibliothécaire du conseil de l’ordre. Avec la IIIe République, ce républicain convaincu a été promu, au lendemain du Quatre-septembre, secrétaire général du ministère de la Justice. Pendant son mandat il a institué la liberté de l’imprimerie et, dès novembre, la publication des lois au Journal officiel. En 1879 il a été nommé préfet de la Seine et a agi avec force en faveur de l’application de la laïcité bien avant la loi de 1905, en faisant supprimer les emblèmes religieux des écoles communales de Paris.

4       André-Ferdinand Herold, L’Exil de Harini, poème dramatique en cinq actes, Camille Dalou, 1888.

5       André-Ferdinand Herold, La Légende de Sainte Liberata, poèmes, vraisemblablement à compte d’auteur, 1889, 28 pages. Les Pæans et les Thrènes, poèmes, Alphonse Lemerre 1890, 162 pages.

Dédicace de Louis-Ferdinant Herold au “vénéré maître” Leconte de Lisle pour Les Pæans et les threnes (livre en vente 750 €uros à l’été 2022)

6       André-Ferdinand Herold, Chevaleries sentimentales, orné d’un frontispice d’Odilon Redon, librairie de l’Art indépendant 1893 (tirage à 300 exemplaires).

Le frontispice d’Odillon Redon

7       André-Ferdinand Herold, Le Victorieux, drame en trois actes en vers libres, Librairie de l’art indépendant, 91 pages, 1895 (Tirage à 215 exemplaires). Intermède pastoral, édition du Centaure, 1896, 31 pages. Au hasard des chemins, poèmes, Mercure de France 1900, 142 pages.

8       Remy de Gourmont, Le Livre des Masques, Mercure de France 1896, 370 pages.

9       André-Ferdinand Herold, Les Contes du Vampire : L’Amour d’Urvaçi, L’Ascension des Pandavas, Le Fruit d’immortalité, La Lépreuse et le mulet. Mercure de France printemps 1902, 243 pages.

10     André-Ferdinand Herold, L’Abbaye de Sainte-Aphrodise, Mercure 1904.

Gérard d’Houville11

Gérard d’Houville, par Forain en 1907

Mme Marie de Heredia, fille puinée de l’auteur des Trophées12, qui a épousé en 1896 le poète Henri de Régnier*13, et qui signe, en littérature, Gérard d’Houville, est née à Paris, avenue de Breteuil. Elle est plutôt connue du public comme romancier (L’Inconstante14, Esclave, Le Temps d’aimer, Le Séducteur, Jeune fille15, etc.), et par les articles qu’elle publie régulièrement dans le Gaulois ; et les vers qu’on va lire, en attendant que soit paru le recueil de poèmes qu’elle prépare, seront une révélation pour bien des lecteurs. Ces poèmes ont paru dans la Revue des Deux Mondes (1er févr. 1894 ; 15 févr., 15 juin 1895 ; 15 déc. 1896 ; 1er févr. 1899 ; 15 déc. 1900 ; 15 janv. 1902 ; 15 janv. 1903 ; 1er janv. 1905 ; 15 mai 1907), dans La Renaissance latine, dans un numéro de Noël du New-York Herald, sans autre signature, souvent, que trois X mystérieux. Mme Gérard d’Houville montre au plus haut degré, dans ses livres, ce talent, si rare chez les femmes de lettres, de rester une femme en écrivant. C’est à elle que Maurice Barrès16 s’adressait dans son discours de réception à l’Académie française (17 janvier 1907) quand il terminait en ces termes : « José-Maria de Heredia nous laisse un chef-d’œuvre Immortel, et toute une famille d’artistes, où, sous les traits d’une jeune vivante, chacun croit voir la Poésie17. »

Mme Gérard d’Houville, depuis la mort de Robert de Flers18, est critique dramatique au Figaro.


11     Gérard d’Houville est apparue dans la deuxième édition (1908) des Poètes d’aujourd’hui. Il semble, sans certitude, que cette très brève notice ait alors été rédigée par Paul Léautaud. Celle-ci a été à peine actualisée pour cette édition de 1930. On peut lire sa nécrologie dans Le Monde du sept février 1963 : « Victime lundi de l’explosion d’un appareil de chauffage, Mme Gérard d’Houville est morte mercredi matin à l’hôpital Foch, où elle avait été transportée. Elle était âgée de quatre-vingt-huit ans. »

12     Les Trophées, de José-Maria de Heredia (1842-1905) est un recueil de l’ensemble, ou quasiment, de son œuvre poétique. L’ouvrage est paru sous la bêche Alphonse Lemerre en décembre 1892, daté de 1893. La dernière édition, augmentée et relue par l’auteur, bien que posthume, est parue chez Descamps-Scrive en 1907. Les Trophées est considérée comme la dernière œuvre parnassienne importante.

La marque d’Alphonse Lemerre

13     Les noms suivis d’une étoile sont ceux de poètes présents dans l’un des trois tomes de cette édition, qui les propose en ordre alphabétique. Ils ne seront donc pas — en principe — accompagnés d’une note.

14     L’Inconstante est d’abord paru en feuilleton en 1894 avant d’être publié en volume chez Calmann-Lévy en 1903 (278 pages).

15     Gérard d’Houville, Esclave, Calmann-Lévy 1905, 212 pages. Le Temps d’aimer, Calmann-Lévy, printemps 1908. Le Séducteur, Fayard 1914, 302 pages. Jeune fille, Fayard 1916, 358 pages.

16     Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique, figure de proue du nationalisme français. Maître à penser de sa génération et de ce courant d’idées, sa première œuvre est un triptyque qui paraîtra sous le titre général du Culte du Moi chez Alphonse Lemerre (Sous l’œil des Barbares, 1888, Un homme libre, 1889, et Le Jardin de Bérénice, 1891), tous trois lus et admirés, un temps, par Paul Léautaud.

17     Cette hagiographie s’esplique par le fait que Maurice Barrès remplaçait José-Maria de Heredia au fauteuil VI.

18     Robert de La Motte Ango de Flers, marquis de La Motte-Lézeau, comte de Flers (1872-1927), dreyfusard dans sa jeunesse, auteur dramatique à succès, Robert de Flers est connu pour nombre de pièces à succès, dont L’Habit vert (1913), critique mordante de l’Académie française où il a néanmoins été élu en 1920. L’année suivante, Robert de Flers devint directeur littéraire du Figaro.

Francis Jammes19
1868

M. Francis Jammes est né à Tournay (Hautes-Pyrénées), le 2 décembre 1868. Son grand-père paternel était docteur en médecine à La Guadeloupe, où il mourut après avoir été ruiné par les tremblements de terre de La Pointe-à-Pitre20. Il s’appelait Jean-Baptiste Jammes. Sa vie, nous a dit son petit-fils, fut grave, tourmentée, ardente et triste. Le père de M. Francis Jammes naquit à La Pointe-à-Pitre, et fut envoyé de bonne heure en France21, à Orthez, chez des tantes, pour faire son éducation. Entré ensuite dans l’administration, il séjourna à Tournay, puis fut nommé receveur de l’Enregistrement à Bordeaux. Mort dans cette ville, il fut enterré à Orthez, où M. Francis Jammes vint alors habiter avec sa mère, et qu’il a quitté il y a seulement quelques années pour vivre à Hasparren22. Ces détails de famille, ces figures et ces paysages de son enfance, et jusqu’à l’enfant qu’il a été lui-même, le poète les a évoqués dans bien des pages de son œuvre, avec ce ton, ces détails, ce pittoresque qui sont si bien à lui. M. Francis Jammes fit ses études d’abord au collège de Pau, puis au collège de Bordeaux. Il fut ensuite, pendant quelque temps, clerc dans une étude de notaire d’Orthez. Il écrivait, alors, ses premiers vers, qu’il réunissait en de petits cahiers non mis dans le commerce, et ne portant d’autre titre que celui-ci : Vers23. Ils n’allèrent pas sans causer assez d’étonnement, ces premiers vers. On en trouve un témoignage dans cette notice bibliographique publiée dans le Mercure de France de décembre 1893(24), à propos d’une nouvelle plaquette du poète :

« Cette mince plaquette se présente avec des allures mystérieuses bien particulières. Le nom de l’auteur est inconnu. Est-ce un pseudonyme ? Et il semble que l’orthographe n’en est pas très rigoureuse : James serait plus exact25. Le livre est dédié à Hubert Crackanthorpe26 et à Charles Lacoste27.

« À toi, Crackanthorpe, déjà célèbre en ton pays, et qui as senti passer en toi le souffle de l’amour et de la justice humains (sic28).

« À toi, Lacoste, qui resteras peut-être dans l’ombre, simple et beau comme ce rosier que tu as peint au fond du vieux jardin triste.

« M. Hubert Crackanthorpe existe. C’est un jeune écrivait anglais qui a publié un volume de contes, très remarquable, parait-il, un peu dans le goût de Maupassant, et intitulé Wreckage ; le second dédicataire m’est inconnu.

« Autres allures mystérieuses ; ce petit livre, aux apparences anglaises, est imprimé à Orthez, dans les Basses-Pyrénées. Et les quelques mots écrits à la main sur l’exemplaire que j’ai sous les yeux sont d’une graphologie de petite écolière maladroite. »

On sait quelle place M. Francis Jammes a conquise depuis dans la poésie d’aujourd’hui, et cela sans quitter sa province, ne venant que très rarement à Paris pour voir des amis. Il a certainement apporté, à ses débuts, une note très particulière dans la poésie, ne montrant rien de cette déclamation, de cette emphase, de ces recherches verbales qui sont l’apanage de tant de poètes, qui paraissent considérer la simplicité comme un défaut, ou tout au moins comme contraire à l’art des vers. C’était la simplicité, la spontanéité, même la naïveté et quelquefois une certaine gaucherie. Mais quelle fraîcheur, quel charme, quelle sensualité dans tous les poèmes de son premier recueil De l’Angelus de l’Aube à l’Angelus du Soir29 !30 On ne se rappelle pas sans mélancolie ces lointains plaisirs et le charme à l’apparition de ce volume. La préface qu’y avait mise l’auteur renseignait sur l’esprit dans lequel il l’avait écrit :

« Mon Dieu, vous m’avez appelé parmi les hommes. Me voici. Je souffre et j’aime. J’ai parlé avec la voix que vous m’avez donnée. J’ai écrit avec les mots que vous avez enseignés à ma mère et à mon père qui me les ont transmis. Je passe sur la route comme un âne chargé dont rient les enfants et qui baisse la tête. Je m’en irai où vous voudrez, quand vous voudrez.

L’angelus sonne. »

Et en effet, tous ces vers donnaient bien l’impression d’avoir été écrits dans une petite maison de province, devant un calme horizon de campagne, par des soirs tranquilles où il semble que tout n’est que rêverie. Le poète prêtait une âme aux vieux meubles qui l’entouraient, décrivait selon les saisons le paysage qui s’étendait devant lui, se laissait aller à la nostalgie des îles inconnues que lui évoquaient de vieilles images, exprimait toute sa pitié pour les bêtes : un petit âne rudoyé, un vieux chien à l’écart, les animaux à l’abattoir, montrait les petites gens qui l’entouraient, dont la vie s’écoulait presque pareille à la sienne, mille choses enfin dans lesquelles se révélait l’âme d’un vrai poète, aux accents extrêmement pénétrants. Des figures charmantes passaient : Virginie, Madame de Warens31, Clara d’Ellébeuse32.

Viens, viens, ma chère Clara d’Ellébeuse,
Aimons-nous encore si tu existes,
Le vieux jardin a de vieilles tulipes,
Viens toute nue, ô Clara d’Ellébeuse.

Certes, M. Francis Jammes était déjà un esprit religieux. Il parlait souvent de Dieu dans ses poèmes et exprimait sa foi chrétienne. Mais une sorte de paganisme ôtait tout dogmatisme à cette foi et la sensualité du poète ne s’en exprimait pas moins vive, ni moins libre, ni moins délicieuse. Depuis quelques années, ce sentiment religieux s’est accentué chez M. Francis Jammes. Il n’est plus seulement chrétien, il est militant, au moins par la plume, et réprouve tout ce qui n’est pas la foi. Il a pris nettement figure aujourd’hui d’écrivain catholique, dans toute l’acception du terme, et on regrette quelquefois, à lire ses écrits d’à présent, le poète qu’il a été de ses débuts à sa maturité, le « fils de Virgile », comme a écrit Charles Guérin*33.


19     Notice rédigée par Paul Léautaud depuis la première édition en 1900. Pour cette troisième édition la notice a été un peu augmentée.

20     Le « La » est inusité. Le « Pitre » serait issu de « Peter ». D’autres sources évoquent le nom d’une plante. Il n’y a eu qu’un seul tremblement de terre, en février 1843 mais gigantesque, qui a été suffisant pour détruire très largement la ville. La partie subsistante a été détruite par des incendies dans les heures suivantes.

21     Gros lapsus, La Guadeloupe étant française depuis le XVIIe siècle. Orthez est une ville béarnaise située entre Pau et Bayonne (à 75 kilomètres), composée de nos jours de 10 000 habitants.

22     Hasparren n’est plus qu’à une vingtaine de kilomètres de Bayonne.

23     Un poème sous ce titre « À Meillon, derrière le petit cimetière, / On n’a pas mis sur le mur de tessons de verre » est paru dans le Mercure de mars 1895 page 294.

24     Ce texte sera repris dans Catulle Mendès, Le Mouvement poétique français de 1867 à 1900 (Imprimerie nationale / Fasquelle 1903), à l’entrée « Francis Jammes », page 141 de la partie « Dictionnaire bibliographique et critique ».

25     Paul Léautaud pense peut-être au très agréable romancier américain Henry James (1843-1916), pourtant jamais cité dans son Journal.

26     Hubert Crackanthorpe (1870-1896, à 26 ans), journaliste et nouvelliste britannique. Hubert Crackanthorpe a séjourné à Paris.

27     Charles Lacoste (1870-1959), peintre paysagiste, fils d’une créole, a connu Francis Jammes alors qu’ils étaient tous deux élèves au lycée.

Lettre de Charles Lacoste à Francis Jammes datée du premier février 1900. On peut noter que Jules Barbey d’Aurevilly a aussi habité au 25 rue Rousselet (de 1860 à sa mort en avril 1889), que Léon Bloy a habité en face au 24 et Paul Léautaud au 17, en 1905-1907.

28     Si l’accord est grammaticalement exact, Paul Léautaud note ici que la phrase est bien bancale.

29     Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir (poésies), Mercure 1898. De nombreuses poésies de Francis Jammes ont été publiées dans la revue, de mars 1895 à août 1903 (dates sur demande).

30     On pourrait penser que Paul Léautaud reprend le titre de l’édition courante (1921) à la date de rédaction de cette notice à la fin des années 1920 mais cette graphie « Angelus » sans accent sur le e est aussi celle de la notice parue en 1900 alors que l’édition courante de l’époque comportait un é qui paraît fautif, le mot angelus provenant du premier vers de la prière Angelus Domini, nuntiavit Mariae. Paul Léautaud, avec raison, ne marque pas cet accent, qui a donc disparu de la réédition de 1921 (Francis Jammes étant encore vivant), entraînant celles des éditions suivantes jusqu’à l’édition de Jacques Borel pour Gallimard parue en mars 1971.

Couvertures des éditions de 1898 et 1921 (le fond violine a été reconstitué et n’est pas exact)

31     Françoise-Louise de Warens (1699-1762) a recueilli un Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) âgé de quinze ans, assurant son éducation dans plusieurs domaines. Françoise de Warens est le modèle de Julie d’Étange dans son roman épistolaire La Nouvelle Héloïse de 1761.

32     Francis Jammes, Clara d’Ellebeuse ou l’histoire d’une ancienne jeune fille, nouvelle suivie de Choses et Contes, Mercure de France 1899, 242 pages.

33     Voir, dans les notices du tome I, la note 342.

Gustave Kahn34
1859

Gustave Kahn par Maximilien Luce dans Les Hommes d’aujourd’hui numéro 360, sans date mais vraisemblablement de 1890

M. Gustave Kahn est né à Metz le 21 décembre 1859. Élève de l’École des Chartes et de L’École des langues orientales, il en suivait encore les cours quand il commença à publier, en 1880, quelques articles dans de petites revues bien oubliées aujourd’hui, comme La Revue Moderne et Naturaliste35, L’Hydropathe36 et Le Tout-Paris. Il partit ensuite pour l’Afrique où il demeura quatre années. Rentré à Paris en 1885, il reprit aussitôt ses travaux littéraires, et fonda l’année suivante, exactement le 11 avril 1886, une petite revue hebdomadaire, La Vogue37, dont les numéros, devenus excessivement rares aujourd’hui, eurent un succès justifiant, on peut le dire, son titre. C’est dans La Vogue que M. Gustave Kahn publia, en même temps que la traduction d’une tragédie-comédie de Casanova de Seingalt38 Le Polemoscope ou la Calomnie démasquée par la Présence d’Esprit39, la plupart des poèmes qui devaient composer sa première œuvre : Les Palais Nomades40. De l’avis de M. Félix Fénéon41, le biographe de M. Gustave Kahn, ces poèmes révélaient « un poète libre de toutes traditions, manifestant sans préambule et sans atténuations d’inédites manières de voir et de sentir, et capable de les imposer ». En 1886, M. Gustave Kahn, avec la collaboration de MM. Jean Moréas* et Paul Adam42, fit paraître un journal littéraire et politique, Le Symboliste43, et prit part, en 1888, à la direction de la Revue indépendante, où il publia une suite d’études critiques très remarquées. Sa dernière tentative comme écrivain combatif fut la publication d’une nouvelle série de La Vogue, en 1889. Désormais, M. Gustave Kahn se consacra uniquement à son œuvre de poète, publiant successivement Chansons d’Amant, Domaine de Fée, La Pluie et le Beau Temps44, Le Livre d’Images45. M. Gustave Kahn est un poète du vers libre. Il a même passé à une certaine époque pour l’avoir inventé, et lui-même n’est pas loin de le croire. On a prétendu, d’autre part, que le mérite de cette innovation revenait à Jules Laforgue. Arthur Rimbaud se l’est vu également attribuer, et il n’est pas jusqu’à une poétesse montmartroise, Mlle Marie Krysinska46, qui n’ait réclamé cette gloire pour son propre compte. C’est là une question qui n’est pas encore bien tranchée, et le vers libre, en admettant qu’il n’ait pas toujours existé plus ou moins, n’a peut-être été, tout d’abord, sous sa forme actuelle, qu’un des résultats de l’influence de poètes étrangers, notamment du poète américain Walt Whitman47, très apprécié des écrivains symbolistes. Quoi qu’il en soit, M. Gustave Kahn a incontestablement une grande place dans cette tentative de rénovation poétique, dont il fut le théoricien par excellence, au point qu’on ne dit guère aujourd’hui de choses sur ce sujet qu’il n’ait dites tout le premier. De même, le vers libre de M. Gustave Kahn porte bien sa marque, ainsi que ses poèmes dans leur ensemble, C’est un peu étrange et barbare, en même temps qu’un peu mièvre et maniéré. Les images en sont éclatantes, les couleurs vives, et le rythme parfois déconcerte. N’est-ce qu’une impression de lecteur ? Il semble qu’on y retrouve comme des échos et des couleurs de ces pays exotiques où M. Gustave Kahn vécut quelques années de sa jeunesse.

M. Gustave Kahn a aussi publié de nombreux ouvrages de critique. Il montre dans ce domaine littéraire un esprit curieux, très renseigné, une Intelligence extrêmement pénétrante, tout comme dans ses études de critique d’art, qui est encore une grande part de son activité. M. Gustave Kahn semble aujourd’hui se tourner très vivement vers le roman, le conte, ainsi qu’en témoignent plusieurs œuvres publiées par lui ces derniers temps : Mourle48, L’Aube énamourée, Contes juifs, La Childebert49.


34     La notice de Gustave Kahn présente trois particularités. C’est une des quelques notices à être signées (par Adolphe van Bever) dans cette édition de 1930, c’est l’un des rares auteurs dont chacune des trois notices a été remaniée à chaque édition et c’est l’un des rares poètes à avoir rédigé une critique du livre dans lequel il paraît. Comme cette critique a été la première à être publiée (dans La Revue blanche d’août 1900) on la trouve à la suite du premier tome de cette édition de 1930.

35     Cette revue a été fondée en 1878 par Guy Tomel (1855-1898) et Harry Alis (1857-1895), tous deux morts dans la quarantaine. Dans le premier chapitre « Les origines du Symbolisme » de son indispensable ouvrage Symbolistes et décadents (Léon Vanier 1902, 404 pages), Gustave Kahn décrit l’histoire de la fondation de cette revue.

36     L’Hydropathe est la revue du Cercle des Hydropathes d’Émile Goudeau (1849-1906), employé au ministère des Finances. La revue (bimensuelle, quatre pages) a été fondée le premier janvier 1879 par Alcé d’Alis avec Paul Vivien comme rédacteur en chef, puis directeur (gérant : Gaston Hugon).

37     La Vogue revue hebdomadaire de 36 pages, a été fondée par le poète Léo d’Orfer avec Gustave Kahn. Une première série est parue sur 31 numéros, jusqu’en janvier suivant. Gustave Kahn a repris le titre 18 mois plus tard avec le concours d’Adolphe Retté ; ce sera un nouvel échec. Une troisième tentative (un troisième échec), sera entreprise en janvier 1899 et cessera au bout de 24 numéros sur deux ans malgré le concours de Tristan Klingsor, encore bien jeune il est vrai. Ces trois échecs n’empêchent pas que La Vogue est encore considérée de nos jours comme une revue ayant davantage d’importance que le nombre de ses numéros.

38     Casanova de Seingalt est tout simplement (si l’on ose dire) l’aventurier, espion et diplomate Giacomo Casanova (1725-1798).

39     Il y a des comtesses. Ce Polemoscope est une sorte de longue vue.

40     Gustave Kahn, Les Palais nomades, Tresse et Stock, 1887, 171 pages.

41     Félix Fénéon (1861 à Turin-1944), critique d’art, journaliste et directeur de revues. Anarchiste, il s’engage dans le mouvement libertaire dès 1886. Critique au goût très sûr, il collabore à de nombreux journaux ou revues. En 1894, il est inculpé, lors du Procès des Trente puis encore suite à l’attentat anarchiste contre le restaurant Foyot, au 36 rue de Condé (à l’angle de la rue de Tournon) avant d’être relaxé faute de preuve. Voir un court portrait de lui dans le Journal de Paul Léautaud au 19 novembre 1931 et au 15 décembre 1936. Lire un article de Jean Paulhan dans Comœdia du quatre mars 1944. Pour mémoire, le musée du quai Branly puis le musée de l’Orangerie ont organisé en 2019 deux expositions, successives et complémentaires, sur Félix Fénéon. Les obsèques de Félix Fénéon seront évoquées dans le Journal de Paul Léautaud le sept mars 1944 et le prix Fénéon le 22 février 1950.

42     Paul Adam (1862-1920), écrivain et critique d’art. Son premier roman, Chair molle (1885), accusé d’immoralité, provoque le scandale. On lira avec intérêt le portrait de Paul Adam dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg (Fayard 1945), page 139 et suivantes.

43     Le Symboliste, hebdomadaire dont le premier numéro est paru le sept octobre 1886 par Jean Moréas (rédacteur en chef), Gustave Kahn (directeur) et Paul Adam (secrétaire de rédaction). Voir, dans le « supplément littéraire du dimanche » du Figaro du 18 septembre 1886, page deux et trois, le « Manifeste littéraire » de Jean Moréas (plus de deux colonnes). Malheureusement cette revue s’est arrêtée avec son quatrième numéro (trente octobre), dans un unique mois d’existence.

44     Gustave Kahn, Chanson d’amant, Paul Lacomblez, 31 rue des Paroissiens à Bruxelles, 1891, 133 pages. Domaine de Fée, éditions de la Société nouvelle, Paris et Bruxelles, 1895, dédie « À Madame Élisabeth Kahn », 53 pages. La pluie et le beau temps (Images d’Île de France, La Tapisserie des quatre éléments, Images du Rhin, Mosellanes, Par la lande et la mer grise, Images de Provence, Images d’Orient), Léon Vanier 1896, 112 pages. « À Catulle Mendès, je dédie ce livre, avec affection et admiration ».

45     Gustave Kahn, Le Livre d’images, Mercure 1897 (achevé d’imprimer le six octobre), 277 pages.

46     Marie Krysinska (1857-1908), issue de la bourgeoisie de Varsovie, est venue à l’âge de seize ans étudier la musique au Conservatoire de Paris. Elle abandonne rapidement pour se tourner vers la littérature et est capable, en 1882, de publier dans des revues dont certaines ont été citées ici, comme La Revue indépendante d’Édouard Dujardin* (note 222 du premier tome). On la retrouve au piano du Chat noir. En octobre 1885, Marie épouse le peintre Georges Bellenger (1847-1915), professeur de dessin à l’école Alsacienne.

47     Walt Whitman (1819-1892), poète et humaniste américain surtout connu pour son poème Leaves of Grass (Feuilles d’herbes). Dans un entretien avec Robert Mallet, Paul Léautaud le dira à l’origine du symbolisme. Walt Whitman sera aussi évoqué dans sa conversation avec Julien Benda.

48     Mourle est un roman, presque une nouvelle (123 pages), d’abord paru en plusieurs numéros de la revue Europe de l’historien Albert Crémieux (Frédéric Rieder éditeur) depuis juillet 1924 avant de paraître l’année suivante en volume chez ce même éditeur de la place Saint-Sulpice.

49     Gustave Kahn, L’Aube énamourée, roman, éditions Montaigne, sans date, 190 pages. Contes juifs (vingt contes), Charpentier-Fasquelle 1926, 215 pages. La Childebert, roman romantique, Charpentier-Fasquelle 1926, 270 pages.

Tristan Klingsor50
1874

M. Tristan Klingsor (de son vrai nom Léon Leclère), est né à La Chapelle-aux-Pots (Oise)51 le 8 août 1874. Il fit ses études au collège de Beauvais, et bien que n’y ayant reçu qu’une très insuffisante éducation musicale, il s’essaya à la composition, qu’il tenait pour le complément naturel de la poésie. Il fonda à Beauvais une revue qui n’eut que quelques numéros, Les Ibis52, et fit imprimer deux minces plaquettes, Triptyque des Châtelaines53, puis Triptyque à la Marguerite54. En 1895, il publia un premier recueil, Filles-Fleurs55 : il l’y employait que le vers de onze syllabes ; ce fut pour lui une excellente préparation au vers libre dont il se servit ensuite. Venu à Paris, il dut pour vivre s’y consacrer à des besognes administratives ; néanmoins il continuait à écrire quelques mélodies et des poèmes que publiaient : la Plume, la Revue blanche, la Revue hebdomadaire, la Nouvelle Revue. De 1899 à 1901, il dirigea la troisième série de la revue La Vogue.

Il fréquentait alors non seulement des musiciens comme Maurice Ravel et Maurice Delage56, mais aussi des peintres ; il avait suivi les cours de l’école du Louvre, dessiné des portraits ; il fut ainsi amené à peindre. Mais il ne commença à exposer qu’en 1905 au Salon d’automne, où il envoya deux portraits. Pas plus là qu’en musique, il n’eut de maître : c’est chez les anciens qu’il étudia la technique, à laquelle il attache le plus grand prix. Il a en effet plusieurs fois déclaré que la technique commande l’esthétique. Jusqu’en 1913, M. Tristan Klingsor a exposé régulièrement au Salon d’Automne des portraits et des natures-mortes. Depuis 1920, la part du paysagiste est devenue prépondérante dans les envois qu’il a faits soit au Salon d’Automne, soit au Salon des Tuileries. Il a cependant brossé les portraits de quelques poètes, MM. Jean Lièvre, E. Marsan57, G. Lavaud58, E. Henriot59, Derème*, Vaudoyer60, quelques collaborateurs du Divan : Mme Dussane61, MM. Pierre Lièvre62, E. Marsan, G. Lavaud, E. Henriot, Derème*, Vaudoyer, Carco, Chabaneix, Henri Martineau et lui-même. Le Musée du Luxembourg conserve de lui un paysage, celui du Petit Palais une Vue de l’église de Chalonnes, celui de Rouen un Intérieur. M. Tristan Klingsor a beaucoup écrit sur son métier de peintre ; il a tenu la rubrique d’art ancien au Mercure de France63 en 1902 et publié de nombreuses études dans l’Art et les Artistes, Art et Décoration, le Larousse mensuel, l’Amour de l’Art, des ouvrages sur Hubert Robert64, sur Chardin65 et sur Cézanne. Il a résumé ses idées dans l’Essai sur le chapeau66, et il prépare deux autres livres, l’un sur Théodore Chassériau67, l’autre sur Léonard de Vinci68.

Il n’a pas pour cela abandonné la poésie. Tout au contraire, la recherche à la campagne d’un motif de paysage est souvent pour lui l’occasion de composer un court poème. Il suffit de le transcrire au retour. Il a ainsi pu donner plusieurs recueils dont les principaux sont Shéhérazade69, Humoresques, l’Escarbille d’Or70. D’autres poèmes publiés dans Europe, les Marges, le Divan, n’ont pas encore été réunis.

Par contre, faute d’argent et par conséquent de loisir, M. Tristan Klingsor ne put pendant longtemps qu’aborder rarement la composition musicale ; mais il y est revenu au cours des dernières années et il a publié divers recueils de mélodies, de chansons à quatre voix, une Petite suite pour deux violons. Il a écrit en outre des pièces pour piano, pour violon, pour alto, un Quatuor à cordes en si bémol majeur, et un Concertino pour cor71.


50     Tristan Klingsor est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec cette troisième édition. La notice semble être de la main de Paul Léautaud.

51     De nos jours cette commune située à seize kilomètres à l’ouest de Beauvais se nomme LaChapelle-aux-Pots.

52     Il ne semble pas que cette revue ait dépassé le numéro quatre, qui contient des textes de Léon Dierx et José-Maria de Heredia. « Adresser les communications à Tristan Klingsor, 28 rue des Flageots à Beauvais. »

53     Tristan Klingsor, Triptyque des Châtelaines (La Fileuse, Celle de légende, Yseult), Thulé 1892, seize pages, illustrations de Jacques des Gachons.

54     Tristan Klingsor, Triptyque à la Marguerite, Thulé 1894.

55     Tristan Klingsor, Filles-Fleurs, Mercure, 1895, 170 exemplaires

56     Maurice Delage (1879-1961) était un des disciples de Maurice Ravel. On peut encore entendre chez Qobuz quelques disques de mélodies dont ses quatre poèmes indous (dans lesquels l’influence du Maurice Ravel de Shéhérazade est très sensible. Voir note 69).

57     Eugène Marsan (1882-1936), a fondé en 1908 avec l’éditeur Jean Rivain la Revue critique des idées et des livres, puis, en janvier 1909, avec le stendhalien Henri Martineau, la revue littéraire Le Divan. Il tiendra la critique littéraire de L’Action française sous le pseudonyme d’Orion. Eugène Marsan, auteur de manuels de savoir-vivre et de romans légers, sera parfois plaisanté pour son dandysme.

58     Guy Lavaud (1883-1958), poète symboliste, a écrit dans huit numéros du Mercure dont six entre 1925 et 1930.

59     Émile Henriot (Émile Maigrot, 1889-1961), poète, écrivain, essayiste et critique. Membre de l’Académie française en 1945, Émile Henriot sera critique littéraire au Monde à la Libération.

60     Historien d’art et homme de lettres Jean-Louis Vaudoyer (1883-1963) sera conservateur du musée Carnavalet de 1932 à 1937 et administrateur de la Comédie-Française sous l’Occupation. Il sera élu à l’Académie française en 1950. La rue Léon Vaudoyer à Paris porte le nom de son grand-père, architecte de la coupole de l’Académie française.

61     Béatrix Dussane (Béatrice Dussan, 1888-1969), entrée à la Comédie-Française en 1903, en est devenue sociétaire en 1922 et siègera au conseil d’administration en 1935. Béatrix Dussane a collaboré à de nombreux journaux ou revues, dont le Mercure de France à partir de 1951, et à la radio. Elle a même donné des cours de diction à l’ENS où une salle de la rue d’Ulm porte son nom. Il ne semble pas que Béatrix Dussane se soit produite au cinéma, ou très accessoirement. Une petite rue du XVe arrondissement, calme mais sans charme, porte son nom.

62     Pierre Lièvre (1882-1939), propriétaire d’un important commerce de bois à Ivry, critique littéraire et dramatique pour les Marges, Le Divan et le Mercure au moment de sa mort. Pierre Lièvre a écrit 155 chroniques dramatiques dans le Mercure entre novembre 1931 et mai 1939.

63     On trouve des textes de Tristan Klingsor dans 22 numéros du Mercure de France entre octobre 1892 et septembre 1952.

64     Tristan Klingsor, Hubert Robert et les paysagistes français du XVIIIe siècle : biographie critique illustrée de vingt-quatre planches hors texte, Henri Laurens 1913, 126 pages. Hubert Robert (1733-1808), a été conservateur du musée du Louvre.

65     Jean-Siméon Chardin (1699-1779) se spécialise d’abord dans les natures mortes mais craignant la lassitude de ses acheteurs il se tourne vers les « scènes de genre » représentant ses proches dans des circonstances particulières (La Blanchisseuse, Le Bénédicité). Journal de Paul Léautaud au vingt avril 1933 : « Ma nouvelle bonne (67 ans), avec sa robe jusqu’aux pieds, son foulard sur sa tête, cachant les oreilles et noué sous le menton, ses lunettes, ressemble à un Chardin. Cela va avec moi. » PL fait évidemment ici référence au Portrait de [la seconde] Madame Chardin (âgée de soixante-huit ans), datant de 1875 et exposé au Louvre dans le « couloir des poules ».

66     Tristan Klingsor, Essai sur le chapeau, Les cahiers de Paris 1926, 124 pages.

67     Il ne semble pas que cet ouvrage soit paru. Théodore Chassériau (1819-1856, à 37 ans), né à Saint-Domingue, est arrivé à Paris tout bébé en 1822 avant d’intégrer l’école des Beaux-Arts en 1830 (à onze ans ?) où il a été élève de Jean-Auguste-Dominique Ingres.

68     Tristan Klingsor, Léonard de Vinci, avec soixante planches hors-texte en héliogravure, Reider 1930, 63 pages.

69     Tristan Klingsor, Schéhérazade, poèmes, Mercure 1903. Ces poèmes ont surtout été connus lors de la mise en musique de trois d’entre eux par Maurice Ravel, Asie, La Flûte enchantée et L’Indifférent. La particularité toute ravélienne de cette composition est que ces textes ont été choisis parce que les plus difficiles à mettre en musique. La création a eu lieu en mai 1904 au théâtre de Paris (qui s’appelait à l’époque le « Nouveau théâtre »), l’année suivant la parution des poèmes au Mercure de France. C’est un peu triste à dire mais l’interprétation de Régine Crespin de 1963 reste encore inégalée soixante ans plus tard, couplée au disque (Decca) avec Les Nuits d’été d’Hector Berlioz sur des poèmes de Théophile Gautier. Il serait temps que quelqu’un s’occupe du problème.

70     Tristan Klingsor, Humoresques, poèmes, Edgar Malfère octobre 1921, 159 pages. L’Escarbille d’or, poèmes, Sansot-Chiberre, 1922.

71     Ces musiques sont bien oubliées de nos jours et il ne semble pas qu’un éditeur de disques les propose.

Raymond de La Tailhède72
1867

M. Raymond-Pierre-Joseph Gaguabé de La Tailhède est né à Moissac (Tarn-et-Garonne) le 11 octobre 1867. Il fit ses études à Paris, au collège Stanislas, où il eut pour professeur M. René Doumic. Ses études terminées, M. de La Tailhède regagna son pays natal, où il se lia avec un jeune professeur qui devait devenir aussi un écrivain et qui a laissé un petit nom dans les lettres : Jules Tellier73. Il revint ensuite se fixer à Paris, vers 1888, écrivit sans hâte ses premiers vers, puis songea à les réunir en volume. Ce volume ne parut point, quelques pièces seulement en furent connues. L’une fut reproduite dans Nos poètes74, d’autres prirent place dans l’ouvrage posthume de Jules Tellier : Reliques75. En 1890, M. de La Tailhède se lia avec MM. Jean Moréas* ; Maurice du Plessys et Ernest Raynaud76, et fonda avec eux L’École Romane, groupe de poètes qui puisaient les motifs et les formes de leur inspiration chez les poètes de la Renaissance, et dont l’exégète et critique était M. Charles Maurras, que la politique n’accaparait pas encore. C’était entre eux, — nous parlons de MM. de La Tailliède, Moréas, du Plessys et Raynaud, — à qui ronsardiserait le mieux, et, pour sa contribution, M. de La Tailhède publia De la métamorphose des Fontaines, poème suivi de quelques odes, sonnets et hymnes, qui est resté son unique ouvrage77.

Gentil esprit, l’honneur des Muses bien parées

a dit de lui son maitre et ami M. Jean Moréas78. Pour être un peu froids, lents et mesurés dans leur harmonie quelquefois imitée, les vers de M. de La Tailhède sont en effet loin de manquer de beautés.

M. de La Tailhède a montré, dans sa collaboration aux revues de son temps la même réserve que pour ses ouvrages. Les Chroniques (1887) et La Plume (1839-1899) sont les seules revues où il publia quelques vers et des contes. Plus récemment, il a collaboré à La Revue hebdomadaire (novembre 1901) et à Vers et Prose (novembre 1905) où parut le dernier des poèmes qu’on va lire.


72     Raymond de La Tailhède est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition. Sa notice est signée Adolphe van Bever mais le ton de l’écriture de cette édition de 1930 porte la marque d’un remaniement par Paul Léautaud.

73     Jules Tellier (1863-1889), écrivain et journaliste mort à 26 ans. Maurice Martin du Gard fera son portrait en une des Nouvelles littéraires du 25 juillet 1925, ce qui donnera le texte des Amis d’Édouard numéro 93.

74     Jules Tellier, Nos poètes, Dupret 1888, 258 pages. « Cet adolescent merveilleux, j’ai plaisir à lui souhaiter le premier la bienvenue. Sûrement, il est marqué du divin signe. Il sera quelque jour un grand poète. Mais ne me jugez-vous pas bien timide ? et ne pensez-vous point, après l’avoir lu, qu’il en est un déjà ? » Pour Jules Tellier, voir l’article de Maurice Martin du Gard en une des Nouvelles littéraires du 25 juillet 1925.

75     Reliques de Jules Tellier, préface de Paul Guigou (37 pages) sans nom d’éditeur, 1890, 372 pages.

76     Ernest Raynaud (1864-1936), écrivain et poète, était également commissaire de police, proche de l’Action française, auteur de Souvenirs de police, Mémoires d’un commissaire de police et de plusieurs autres ouvrages du genre. Ernest Raynaud sera le dernier survivant des fondateurs du Mercure. Voir le Journal littéraire au 12 octobre 1936 et sa nécrologie dans les « Échos » du Mercure du premier novembre 1936, page 659.

77     Raymond de La Tailhède, De la métamorphose des Fontaines, poème suivi de quatre Odes (deux à Jean Moréas, une à Maurice du Plessys, une à Charles Maurras), de quatre Sonnets, dont un à Jean Moréas et un à Ernest Raynaud, et trois Hymnes, Bibliothèque artistique et littéraire 1895, 76 pages.

78     Dans Le Pèlerin passionné, Léon Vanier 1891 (voir note 420) : « Gentil esprit, l’honneur des Muses bien parées / La Tallhède, les bandelettes sacrées / Ceignent ton front. Bien que tu passes parmi nous, / Que la cendre à tes pieds de cette vie reste / Comme aux flancs de Délos la mousse du Géreste, /Ta soif s’étanche aux flots Dircéens, et d’un doux / Murmure le laurier frémit quand tu parais, / Et sur le vil Python ta main vire les traits / Indubitables, et tes vœux appendent des prémices / Au bord de l’Acragas où meuglent les génisses. »

Jules Laforgue79
1860-1887

Jules Laforgue, par son frère Émile

D’origine bretonne par sa mère (née au Havre, de parents bretons), Jules Laforgue naquit à Montevideo (Uruguay), le 16 août(80) 1860. Cette naissance s’explique ainsi. Le père de Jules Laforgue, Charles Laforgue, né à Tarbes (Hautes-Pyrénées) en 1833, après avoir terminé ses études, partit pour Montevideo, où il devint instituteur, se maria et eut tous ses enfants. Vers la fin de 1868, Charles Laforgue restant seul à Montevideo, sa femme et ses enfants revinrent à Tarbes. Jules Laforgue avait alors huit ans. Une année après, le père vint en France chercher sa femme, avec laquelle il retourna à Montevideo, ne laissant à Tarbes, de tous leurs enfants, — ils étaient alors, si nous ne nous trompons, au moins quatre, — que Jules Laforgue et son frère aîné Émile81, qui furent placés tous deux au lycée de la ville. Jules Laforgue resta dans cet établissement à peu près sept années, et M. Émile Laforgue se souvient parfaitement que, dans les dernières années il devait avoir environ seize ans, — le futur auteur des Moralités82 commença à écrire quelques vers. Les parents rentrés définitivement en France, et Charles Laforgue voulant parachever l’éducation de ses enfants et se rapprocher de ses propres parents, toute la famille vint s’installer à Paris. C’était fin 1876. Jules Laforgue entra au lycée Fontanes, aujourd’hui lycée Condorcet, où il resta environ deux ans. C’est à sa sortie de ce lycée, en 1879, qu’il se lia avec M. Gustave Kahn*, M. Charles Henry83, et fréquenta le Cercle des Hydropathes. En même temps qu’il faisait ainsi ses premières relations littéraires, Jules Laforgue collaborait, comme correspondant, à un petit journal satirique fondé par ses anciens condisciples du lycée de Tarbes, La Guipe, auquel il envoyait des vers et des dessins. Il habitait à cette époque (1879-1880) avec toute sa famille, rue Berthollet, numéro 22(84). Nous avons eu l’occasion de fréquenter cette maison. La chambre de Jules Laforgue devait se trouver sur le derrière. Le paysage qu’il a décrit dans un de ses poèmes85 est resté le même : le toit d’une vaste buanderie vieille et sale, les maigres arbres de quelques jardinets clôturés de glycines, et, dominant le tout, le dôme du Val-de-Grâce. De la rue Berthollet, la famille Laforgue alla habiter quelque temps aux Batignolles, rue des Moines86. Jules Laforgue collaborait alors à La Vie Moderne, à l’Art et la Mode, où il publia ses premiers vers, nous entendons les premiers dont il ait fait état dans ses œuvres. À la fin de 1880, Charles Laforgue malade, toute la famille retourna à Tarbes. Jules Laforgue resta seul à Paris, logé dans une chambre d’hôtel de la rue Monsieur-le-Prince, travaillant à des recherches dans les bibliothèques pour les travaux de M. Charles Ephrussi87, directeur de La Gazette des Beaux-Arts88. C’est à cette époque de sa vie que se place une des plus touchantes lettres de Jules Laforgue, écrite à sa sœur, à Tarbes. Touchante en effet, et pénétrante, cette lettre, par la pauvreté qu’elle révèle, l’affection fraternelle, la délicatesse et la profondeur de sentiment, avec quelque chose de ce sourire navré qu’on retrouve dans tous les écrits de Laforgue. En voici quelques extraits89 :

« Il est sept heures. Je rentre fatigué. On me donne ta lettre. Ah ! comme je l’attendais ! Si tu savais comme je m’ennuie aussi !

« Comme cette gare était triste le soir où vous êtes partis ! Dans ce wagon. Toi au fond. Je t’appelais voyant tes yeux mouillés, tu ne répondais pas et il a fallu s’en aller.

« … Le premier du mois j’ai reçu deux cents francs d’Ephressi. J’ai rendu cinq francs à Charlot — payé mon terme — le blanchissage — acheté des bas, trois gilets de flanelle… puis aujourd’hui : tu sais comme j’étais habillé ! veston tout reprisé ! gilet en loques, pantalon frangé et tu ne m’en voudras pas, n’est-ce pas ? — aujourd’hui, dis-je, j’ai couru pour voir des tailleurs et je me suis arrêté à un vers cinq heures — pour quatre-vingts francs j’aurai un costume complet en cheviote90, ce drap que tu aimes tant ! et je le soignerai bien pour aller te voir en avril prochain, tu veux, dis ?

« …Hier, dimanche, je me suis tellement ennuyé, j’avais le cœur si serré de mon isolement dans ces foules se promenant, que cela devenait pour moi une sorte de jouissance d’artiste. Le matin j’ai pris une tablette Lombard91, du café et deux sous de pain, puis j’ai travaillé jusqu’à cinq heures dans ma petite chambre. Et le soir ! Ah ! si tu m’avais vu ! Je me promenais seul, regardant les foules endimanchées, rentrer les tramways qu’on prenait d’assaut. Et des détails qui me faisaient sentir plus fortement encore ma solitude ; une femme endimanchée, sortant d’une boulangerie, tenait à deux mains sur une serviette un rôti fumant, repas de famille, etc., etc. — Tu ne sais pas comment j’ai dîné. Oh ! très bien ! Il me fallait une boulangerie, une charcuterie, une fruiterie. Trois de ces boutiques se trouvent tout près, ma porte, dans la rue. Mais je n’aurais pas voulu que mes concierges prenant le frais sur le seuil me vissent ; j’ai été assez loin, dans une boulangerie j’ai acheté deux sous de pain qui ont disparu dans les profondeurs caverneuses de ma poche. Pour la charcuterie, c’était plus difficile. Je passais et repassais devant sans oser rentrer.

« Tantôt intimidé de voir au comptoir deux jeunes charcutières aux joues roses et luisantes, aux manches immaculées, riant entre elles. À quoi bon les déranger ? Puis, devant une autre où je n’avais pas le même prétexte, ne voyant au comptoir qu’une vieille charcutière à palatine d’astrakan chauve sur les épaules92, j’hésitais encore, me demandant si c’était bien de la galantine que cette chose s’appelait. Enfin à une autre j’entre. Un homme borgne s’avance, ceint de son tablier, le coutelas effilé au côté. De la galantine, s. v. p. — Pour combien ? — Six sous, balbutie-je. — Truffée ou non truffée ? — Diable, pensais-je, je n’ai jamais goûté de l’une ni de l’autre, et dans l’éclair d’une seconde, sous l’œil inquisiteur du charcutier, je me fis à part moi ce petit raisonnement : Si je prends de la truffée, je n’aimerai peut-être pas la partie truffée et serai obligé de la jeter, et ce sera cela du poids en moins. — Or je l’aime non truffée, et les truffes en moins feront du non truffé en plus — et je conclus à haute et intelligible voix : — Non truffée ! Cet être s’attaqua à un gros bloc recouvert de gelée ambrée et m’enveloppa dans un papier une grande plaque mince qui alla rejoindre les deux sous de pain dans ma poche. Puis dans une fruiterie j’ai acheté pour la modique somme de dix centimes une tranche de melon qu’on m’enveloppa aussi, et je remontai chez moi. Je m’enferme à double tour et je mange en songeant à la vie, à toi qui ne m’écris pas, etc. Puis, une fois tout fini, ne voulant pas laisser dans ma chambre la croûte de la tranche de melon, ce qui aurait révélé ma misère au garçon préposé à l’entretien de ma chambre, je pris mon chapeau, ma canne, mis mes gants, puis je fis passer ladite croûte dans ma poche. Je descendis, et faisant semblant de me promener sous les arcades de l’Odéon, j’épiai un moment favorable et laissai tomber cette croûte à terre.

« …Figure-toi que, quoique absolument libre, je ne puis m’arracher de mes habitudes. Tiens, quand je sors de chez Ephrussi à midi, qui m’empêche de manger dans son quartier et d’aller de là à la Bibliothèque ? Eh non, mes jambes me portent vite et instinctivement dans notre quartier, et je rôde, sans savoir pourquoi, autour de la rue Berthollet, où je n’ai pourtant plus rien à faire ! Quand, le soir, à dix heures, je me trouve sortant du cabinet de lecture, je me hâte vers le quartier, comme si tu m’attendais toujours, puissance des habitudes prises ! Le ressort a été monté d’une certaine façon par la main, et la machine marche toujours dans ce sens. Comme ta lettre est triste, ma pauvre petite Marie ; mais il faut de temps en temps de ces séparations, de ces tristesses, pour entretenir la douceur d’enfance de son cœur — tu ne crois pas, tu me trouves cruel, peut-être. Mais nous aurons la joie de nous revoir, la joie d’échanger des lettres, etc.

« … Que puis-je t’envoyer comme souvenir cette fois-ci ? Je découpe dans un coin, derrière la commode, un morceau de la tapisserie de ma pauvre chambre, garde-le précieusement. — Je t’enverrai un jour une cassette où tu mettras uniquement mes lettres et tous les petits souvenirs que je t’enverrai. Nous en rirons en les revoyant. »

Rien que pour ces dernières lignes, n’est-elle pas admirable et touchante, cette lettre, et ne fait-elle pas aimer celui qui l’a écrite ?

C’est également à cette époque que Jules Laforgue connut M. Paul Bourget93, auquel, croit se rappeler M. Émile Laforgue, il avait envoyé quelques vers, et qui l’invita à venir le voir. L’amitié et l’influence réunies de MM. Charles Ephrussi et Paul Bourget procurèrent alors à Jules Laforgue une place de lecteur auprès de l’Impératrice Augusta, grand’mère de l’empereur Guillaume II94, poste qu’il occupa pendant près de cinq années, de décembre 1881 à septembre 1886. Le père de Jules Laforgue ne connut rien de cette amélioration dans le sort de son fils : il mourut en novembre 1881, quatre jours avant l’entrée de Jules Laforgue en fonction. Il lui manqua ainsi de rien connaître également de sa carrière littéraire, qu’au rebours de nombre de pères il avait beaucoup espérée et souhaitée. Lui-même, dans sa jeunesse, avait rêvé de « faire de la littérature » et avait écrit des vers ; M. Émile Laforgue en a retrouvé des traces dans un « Journal » tenu par lui de 1857 à 1860. On a quelques détails, dans les lettres de Jules Laforgue à M. Charles Ephrussi95, sur ses occupations de lecteur comme sur l’emploi de ses loisirs. Le matin, il notait dans les revues et journaux français les articles intéressants, résumait les bulletins politiques et les bibliographies, dont il allait faire ensuite la lecture à l’Impératrice. La lecture avait aussi lieu quelquefois le soir, à sept heures et demie. Dans ses loisirs, collaborant en même temps à La Revue l’allemand et l’anglais, travaillait à refaire un volume de vers emporté de Paris ou à écrire des articles pour La Gazette des Beaux-Arts, ou allait se promener dans Berlin, visiter les musées et les expositions, regrettant, écrivait-il, « les galeries de l’Odéon, les ciels malades que l’on voit du pont de la Concorde, les belles flaques de la place de ce nom96 », et aussi « les enterrements à la Madeleine et à Saint-Augustin et les rosses résignées et somnolentes des fiacres ». C’est vers la fin de ce séjour en Allemagne qu’il se lia avec une jeune Anglaise, Miss Leah Lée97, auprès de laquelle il prenait des leçons de prononciation et avec laquelle il se fiança. En décembre 1886, tous les deux quittèrent l’Allemagne, elle rentrant en Angleterre, lui revenant à Paris, où il ne passa que quelques jours, descendu rue Laugier, chez M. Gustave Kahn*. Il partit ensuite retrouver Miss Lee à Londres, où leur mariage eut lieu le 31 décembre 1886. Depuis quelque temps déjà, Jules Laforgue était malade de la maladie — la phtisie — qui devait l’emporter. Rentré à Paris avec sa femme aussitôt après leur mariage et installé rue de Commaille98, il lui fallut, malgré sa santé très atteinte, s’occuper de gagner leur vie à tous deux, au moyen d’articles qu’il plaçait çà et là ; collaborant en même temps à La Revue Indépendante de M. Edouard Dujardin*, et à La Vogue de M. Gustave Kahn*. Il en alla ainsi jusqu’en juillet 1887. À ce moment, il eut un redoublement de maladie, dont ses amis s’émurent : Théodor de Wyzewa99, M. Charles Henry et M. Paul Bourget, qui l’adressa au docteur Robin. Le résultat de la consultation fut l’absolue nécessité pour Laforgue de quitter Paris pendant quatre ou cinq ans, pour aller vivre dans le midi, sous un climat plus favorable, dans un endroit où il pût « respirer sans souffrance ». Ses amis s’occupèrent aussitôt de lui trouver une place suffisante à Alger et il comptait pouvoir s’y installer dès octobre. « Je n’ai pas pour deux sous d’idées, — écrivait-il à sa sœur un dimanche de juillet100, après l’avoir mise au courant de sa mauvaise santé et de son prochain départ, — et cependant je publie des articles, et c’est pour mon talent que mes amis s’intéressent à moi. Il y a longtemps que tu ne sais plus rien de mes affaires littéraires. Ce serait trop long à détailler, mais sache d’un mot que j’ai le droit d’être fier ; il n’y a pas un littérateur de ma génération à qui on promette un pareil avenir. Tu dois penser qu’il n’y a pas beaucoup de littérateurs qui s’entendent dire : vous avez du génie. » Ironie des choses, où ne manque pas on ne sait quelle mystérieuse beauté ! Un mois après, Laforgue mourait, le 20 août 1887, moins d’un an après son mariage et à quatre jours de son anniversaire, suivi à huit mois de distance par sa femme qui avait contracté le même mal en le soignant.

Image extraite du volume des Moralités légendaires dans l’édition Vanier de 1894

La place nous est bien mesurée maintenant pour parler de l’œuvre de Jules Laforgue. Les écrits en prose n’y ont pas moins d’importance que les vers, dans cette œuvre, les uns et les autres d’une fantaisie complexe et savante, débordante de sensibilité et un peu clownesque, qui a fait comparer leur auteur à un Heine français101. « Jules Laforgue, nous a dit M. Émile Laforgue, pour le connaître vous n’avez qu’à lire son Hamlet102. Il est là tout entier. C’est lui qu’il a peint. La ressemblance est frappante. » « C’était un esprit doué de tous les dons et riche d’acquisitions importantes, a écrit d’autre part M. Remy de Gourmont*. (Le Livre des Masques.) Son génie naturel, fait de sensibilité, d’ironie, d’imagination et de clairvoyance, il avait voulu le nourrir de connaissances positives, de toutes les philosophies, de toutes les littératures, de toutes les images de nature et d’art ; et même les dernières vues de la science semblent lui avoir été familières… C’est de la littérature entièrement renouvelée et inattendue, et qui déconcerte et qui donne la sensation curieuse (et surtout rare) qu’on n’a jamais rien lu de pareil… Si son œuvre interrompue n’est qu’une préface, elle est de celles qui contrebalancent une œuvre. » Enfin, voici sur lui quelques mots de M. Maurice Maeterlinck : « Il a vu bien des choses autrement que les autres ; et voir autrement que les autres, c’est presque toujours voir un peu mieux que les autres. Et puisqu’il les a vus, il a su nous faire voir des paysages, des images et des sentiments assez différents de ceux qui nous étaient habituels. Mais ce qu’il a, je crois, le plus clairement aperçu dans une beauté et une vérité inattendues, c’est une sorte de sourire puéril et divin qui est peut-être au fond de toutes nos actions, et qu’on pourrait nommer “le sourire de l’âme”… » (Introduction à Jules Laforgue, Essai, par Camille Mauclair*103.)


79     Jules Laforgue est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition de 1900. Note de Paul Léautaud : « Nous devons les renseignements de cette notice à M. Émile Laforgue, auquel nous tenons à faire encore ici nos sincères remerciements. » Émile Laforgue, illustrateur et graveur né au début des années 1860 est le frère de Jules Laforgue. Dans la Correspondance générale nous pouvons consulter la lettre que Paul Léautaud lui a écrite le sept janvier 1908 : « Vous m’obligeriez fort en me donnant, sans le moins de retard possible, quelques renseignements dont j’ai besoin pour une nouvelle notice sur Jules Laforgue dans une édition remaniée de Poètes d’aujourd’hui. Je me suis trouvé arrêté soudainement hier dans ce travail par le manque d’indications et je désire vivement faire une notice un peu complète. » La réponse d’Émile Laforgue a permis en 1908 la notice considérablement enrichie (et reconduite en 1930) que nous lisons ici (six pages au lieu d’une).

80     Note de Paul Léautaud : « Et non le 22 août, comme on l’a écrit jusqu’à présent. »

81     Il semble que Jules Laforgue ait eu une sœur plus jeune, Marie (1862-1932) et un autre frère, Adrien (1871-1952).

82     Jules Laforgue, Moralités légendaires, six contes en prose, éditions de La Revue indépendante, fin 1887, 420 exemplaires numérotés accompagnés d’un portrait de l’auteur, eau-forte d’Émile Laforgue, 231 pages. L’eau-forte d’Émile Laforgue est celle reproduite ici en début de notice. Les Œuvres complètes de Jules Laforgue ont été rééditées en trois volumes, de 1986 à 1998, à L’Âge d’homme dont nous connaissons le sérieux mais aussi hélas les prix.

83     Charles Henry, né vers 1860 et mort vers 1930 était un érudit scientifique particulièrement éclectique, proche des peintres.

84     Derrière l’ancien hôpital du Val-de-Grâce, dans l’axe de la rue des Lyonnais, le 22 rue Berthollet a aussi logé Charles Vildrac.

85     Note de Paul Léautaud : « Complainte d’un autre dimanche : Poésie. Edition du Mercure de France, page 88. Ce poème est daté : octobre 1884. Erreur, probablement. À cette époque, Jules Laforgue était en Allemagne. » Le poème est daté d’octobre 1884 mais PL n’indique pas de date d’édition du recueil. Le Mercure a édité les œuvres complètes de Jules Laforgue en cinq volumes en 1903 dont deux volumes de poésies. Première strophe de la Complainte d’un autre dimanche : « C’était un très-au vent d’octobre paysage, / Que découpe, aujourd’hui dimanche, la fenêtre, /Avec sa jalousie en travers, hors d’usage, / Où sèche, depuis quand ! une paire de guêtres / Tachant de deux mals blancs ce glabre paysage. »

86     De nos jours un quartier très populaire de Paris, et sans doute davantage à l’époque, entre place et porte de Clichy.

87     Charles Ephrussi (1849-1905), historien et critique d’art russe (né à Odessa), puis français. Charles Ephrussi, fils d’une lignée de céréaliers, a été un très important collectionneur d’art. À l’âge de 22 ans Charles Ephrussi quitte Vienne où il a terminé ses études pour s’installer à Paris après la guerre de 1870. Il fréquente le grand monde, finance certains peintres, dont Auguste Renoir, qui le représente, en 1881, en haut-de-forme, à l’arrière-plan de son Déjeuner des canotiers en conversation avec Jules Laforgue.

Fragment du Déjeuner des canotiers (1881) visible à la Phillips collection de Washington

88     Charles Ephrussi avait acheté en 1885 une petite moitié de la Gazette des Beaux-arts, fondée en 1859, rue Vivienne, avant d’en être rédacteur en chef en 1894.

89     Cette lettre se trouve entièrement reproduite page 287 des Mélanges posthumes, Mercure de France 1903, illustré d’un portrait-frontispice de Jules Laforgue par Théo van Rysselberghe, 341 pages.

90     Cheviote ou cheviotte : « Laine du mouton cheviot, abondante et fine. Par métonymie, tissu léger et souple fait avec cette laine. Veston, jaquette, costume de cheviotte ; cheviotte rayée. » (TLFi)

91     Les chocolats Lombart (avec un t), entreprise fondée en 1770, étaient la plus ancienne chocolaterie de France avant d’être absorbée par les chocolats Menier dans la fin des années 1950.

92     Une palatine est une étole, souvent en fourrure, portée sur les épaules et descendant en pans sur la poitrine jusqu’à la ceinture. La mode en a été initiée par Élisabeth-Charlotte de Bavière (1652-1722), parfois nommée princesse palatine, puis duchesse d’Orléans, épouse de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.

93     Paul Bourget (1852-1935), écrivain et essayiste catholique. Ses premiers romans ont un grand retentissement auprès d’une jeune génération en quête de rêve et de modernité. À partir du Disciple, en 1899, Paul Bourget s’oriente davantage vers l’étude des mœurs et les sources des désordres sociaux, qu’il relie parfois à la race.

94     Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach (1811-1890).

95     Dans les Mélanges posthumes (voir note 89) on trouve également, page 221, dix-neuf « Lettres à M. Ephrussi » de 1881-1882.

96     Lettre du neuf janvier 1882.

97     Leah Lée, née vers 1862 et morte en juin 1888, à 26 ans, de phtisie.

98     La rue de Commaille est une très agréable rue de Paris, longée par un jardin, donnant sur la rue du Bac. Jules Laforgue était au numéro huit.

99     Téodor de Wyzewa (Teodor Stefan Wyżewski, 1862-1917), critique d’art éclectique, auteur de nombreux ouvrages sur la peinture. Téodor de Wyzewa est le dédicataire des Moralités légendaires.

100   Juillet 1887.

101   Harry, puis Heinrich (et Henri à Paris) Heine (1797-1856) est l’un des plus grands poètes allemands et le dernier romantique. Docteur en droit à Göttingen en 1825, HH, d’origine juive, se fait baptiser sous prénom de Heinrich pour se protéger de l’antisémitisme qui pourrait nuire à son travail mais la démarche n’a pas l’effet escompté et peut-être même un effet contraire. Face à cet échec, HH abandonne tout espoir dans les métiers de justice et se consacre alors entièrement à l’écriture. La censure littéraire, très forte dans l’Allemagne de cette époque, conduit HH à s’installer à Paris au début des années 1930, d’abord comme correspondant de journaux de langue allemande. Il fréquente les milieux intellectuels parisiens. Ses œuvres sont interdites en Allemagne. HH, rongé par une maladie neurologique meurt à Paris à l’âge de cinquante-neuf ans.

102   « Hamlet ou les suites de la piété filiale », première partie des Moralités légendaires, op. cit. note 82).

103   Jules Laforgue, essai, par Camille Mauclair*, avec une introduction par Maurice Maeterlink*, Mercure de France, 1896.

Léo Larguier104
1878

M. Léo Larguier est né le 6 décembre 1878 à la Grand-Combe (Gard) d’une forte race de paysans cévenols. Il ne renie pas ses origines. Il s’est comparé lui-même, un jour, dans l’envoi d’un de ses ouvrages à un ami, à un « rustre poétique ». Il fit ses études au lycée d’Alais105, de mauvaises études, dit-il lui-même, sans doute par amour du pittoresque. Jusqu’à l’âge de vingt ans, il vécut dans sa ville natale. C’est pendant son service militaire, à Aix-en-Provence, où il eut l’occasion de connaître le peintre Cézanne, qu’il écrivit ses premiers vers, qui devaient composer son livre de début : La Maison du Poète, publiée en 1903(106). M. Léo Larguier a connu de bonne heure une certaine réputation littéraire. Ce livre de début, La Maison du poète, fut couronné la même année de sa publication par l’Académie française107. Cette réputation s’accrut encore quand M. Léo Larguier publia son deuxième volume de vers : Les Isolements108. Les poètes de sa génération se plaisaient à voir en lui un futur grand poète. Lui-même, plein de confiance dans sa force et son génie, ne doutait pas de leur donner raison un jour. Il faut reconnaître que Les Isolements contiennent nombre de poèmes remarquables par leur lyrisme, leurs images, de grandes qualités d’évocation et d’émotion. L’écrivain qui les a écrits est incontestablement un poète. M. Léo Larguier occupait alors dans la poésie une place assez originale en ce sens qu’il était, au milieu des nouveaux poètes, le seul disciple, on pourrait même dire le seul continuateur de Hugo et de Lamartine, par son verbe sonore, son éloquence chaleureuse, et aussi son intransigeante fidélité à l’alexandrin régulier. Un néo-romantique, ce terme le peignait parfaitement. Les noms de Hugo et de Lamartine revenaient du reste souvent dans ses vers. Leurs livres étaient ses lectures préférées. On voyait leurs portraits, chez lui, en belle place, dans la pièce dans laquelle il travaillait… Il avait aussi, comme eux, quelque chose d’un peu théâtral dans ses vers109 et dans ses attitudes, ce qui offrait d’ailleurs en lui un certain pittoresque, auprès des poètes derniers venus, qui ressemblent peut-être un peu trop, par leur extérieur, à tout le monde. Le dernier ouvrage poétique de M. Léo Larguier est une sorte de roman en vers, ayant pour titre : Jacques110, qui s’apparente d’assez près à Jocelyn de Lamartine111 en même temps qu’à l’Olivier de François Coppée112. Tentative un peu hardie, à notre époque, qu’un poème formant à lui seul tout un volume, mais qui montrait que M. Léo Larguier ne suivait que son goût et écrivait ce qu’il lui plaisait d’écrire.

Depuis Jacques, M. Léo Larguier n’a guère publié comme poète, — nous ne comptons pas deux ou trois petites pièces sans importance jouées à l’Odéon. Il y a eu la guerre à laquelle il a pris part. Il y a eu les nouvelles écoles poétiques. À-t-il senti que son romantisme serait un peu dépaysé au milieu de ces nouveautés littéraires qu’il doit, en lui-même, traiter de folles ? Il s’est marié, aussi113, et est tout entier aux joies de la famille. Ce disciple de Hugo aurait pu nous donner cependant L’art d’être père. Il se contente de publier régulièrement dans le Petit Journal des chroniques d’un flâneur parisien. Il est devenu de plus grand amateur de peinture. Il a écrit sur Cézanne et sur Corot. Devenu également fureteur de magasins d’antiquités Il tient à l’Art vivant le Carnet de l’Amateur, dans lequel il raconte ses découvertes, et on ne parle plus de lui que comme amateur et dénicheur très éclairé de vieux meubles et de vieux tableaux.

Le côté anecdotique, le côté curiosité, dans la biographie d’un poète, n’est pas à dédaigner. Voici, sur l’auteur des Isolements, qui a su s’en amuser tout le premier, car il ne manque pas d’esprit, quoique poète lyrique, un sonnet humoristique paru dans la revue Psyché, numéro de mai 1906.

LÉO LARGUIER

Poète ayant tété des muses surhumaines,
Dès l’Age le plus tendre il tutoya Hugo ;
Il est fécond — il chante en rimes toulousaines
Les bourgeoises vertus, l’âme du Calico114,
Son jardin, sa « maison » et le vin de Suresnes !
— Il « raccroche » la gloire, — il est illustre et beau ;
— Ancien sous-officier aux légions romaines,
Il a vaincu Mardrus115, mis César au tombeau !
Il aime Cicéron, — il sera député,
Il connaîtra — enfin ! — la « popularité » —
Il vivra dix mille ans, — il aura du génie !
Il est imperator, il est ménétrier,
Membre d’un orphéon et d’une académie,
Et Joseph, et Prudhomme,… Ubu,… Léo Larguier !

Robur.


104   Léo Larguier est entré dans les Poètes d’aujourd’hui lors de la deuxième édition (1908). Notice vraisemblablement rédigée par Paul Léautaud, qui a bien connu Léo Larguier et l’évoque souvent dans les premières années de son Journal.

105   Vraisemblablement Alès, à treize kilomètres au sud de La Grand-Combe.

106   Léo Larguier, La Maison du poète, stock 1903, 299 pages).

107   Prix Archon-Despérouses 1904.

108   Léo Larguier, Les Isolements 1903-1904, dédié à « Mon ami Antoine Albalat » Stock 1905, 215 pages.

Envoi des Isolements à son ami Léon Gros

109   Comme cette pièce des Isolements : « Lorsque je serai vieux et qu’illustre poète, / En marchant lentement, j’inclinerai la tête, / Ne songeant qu’à mes vers, qui m’accompagneront / comme un essaim doré bourdonnant sur mon front, » Ne dirait-on pas des vers de certificat d’études ?

110   Léo Larguier, Jacques, recueil de poèmes dédié à Léon Lafarge « en témoignage d’une vieille amitié », Mercure 1907, 164 pages,

111   Alphonse de Lamartine, Jocelyn, Charles Gosselin et Furne, 222 pages (nombreuses contrefaçons d’époque).

112   François Coppée, Olivier, poème, Alphonse Lemerre, 1876, 100 pages.

113   Le 18 octobre 1919, Léo Larguier a épousé, à Paris Ve arrondissement, Elvira Touru (Tourn ?), citoyenne suisse née en 1895. Le couple divorcera en mars 1935. Il ne semble pas que cette union ait produit d’enfant.

114   Calico ici pour la rime avec Hugo. Un calicot (avec un t) est un employé de magasin de nouveautés, correspondant masculin de la midinette.

115   Il ne s’agit pas d’un empereur romain (aucun n’a porté ce nom) mais de (les lecteurs de Paul Léautaud l’ont déjà compris), Joseph-Charles Mardrus (1868-1949), médecin, poète et traducteur, orientaliste d’origine arménienne né au Caire. J.-C. Mardrus fit ses études au Liban avant de s’installer à Paris où il devint une personnalité de la vie parisienne. En 1900 il épousa la poétesse et romancière Lucie Delarue (1874-1945) qui s’était refusée à un Philippe Pétain de dix-huit ans son aîné. Le couple s’est séparé en 1915.

Louis Le Cardonnel116
1862

D’origine normande et lointainement irlandaise par son père, et dauphinoise et lorraine par sa mère, M. l’abbé Louis Le Cardonnel est né à Valence en 1862. Il fit ses études au Petit Séminaire, puis au collège de cette ville, montrant déjà un goût très prononcé pour les lettres latines, la philosophie et la poésie. À vingt ans, il vint à Paris, où il fit ses premières amitiés littéraires. Sous le nom de Nous autres, un petit cénacle venait de se fonder (septembre 1883) qui comprenait notamment MM. George Auriol117, Léon Riotor118, Antony Mars119 et Paul Morisse120. M. Louis Le Cardonnel, en compagnie d’Albert Samain*, avec lequel il s’était lié, se joignit bientôt à eux. Peu après, M. George Auriol étant un des assidus du Chat Noir de Salis121, tous ses camarades de Nous Autres l’y suivirent, et de 1884 à 1886 ; M. Louis Le Cardonnel fréquenta les soirées du pittoresque cabaret, où il récitait ses poèmes, comme tous ses compagnons. En correspondance avant son arrivée à Paris avec Stéphane Mallarmé*, il était devenu en même temps un de ses intimes, et un des fidèles des mardis de la rue de Rome. C’est à cette époque que M. Louis Le Cardonnel sentit se préciser en lui les sentiments qui devaient le mener plus tard à la vie religieuse. Pendant quelque temps, il se retira au Séminaire d’Issy, mais incertain sur la solidité de sa vocation, craignant de se tromper, il le quitta bientôt, pour un court retour à la vie du siècle. Enfin, en 1890, se sentant cette fois-ci appelé impérieusement au sacerdoce, M. Louis Le Cardonnel entra au Séminaire français de Rome, où il compléta ses études philosophiques, joignant, dans un même amour, la théologie et la poésie, En 1896, il était ordonné prêtre. Après quelques années, de ministère dans le diocèse de Valence, M. Louis Le Cardonnel entra comme novice chez les Bénédictins de Ligugé122, où il resta de 1900 à 1901, publiant des vers dans le journal de la communauté : Bulletin de saint Martin et de saint Benoit123, sous son nom de religieux : Frère Anselme. Des raisons de santé l’obligèrent malheureusement à interrompre ce noviciat et à renoncer à la vie bénédictine. Il quitta Ligugé, retourna pendant quelque temps comme vicaire dans son diocèse de Valence, puis, en 1905, se retira à Assise124, où il vécut, prêtre libre, à l’ombre du Monastère de saint François, priant, méditant et écrivant, tel qu’il s’est dépeint lui-même :

Il s’en ira, semant la Parole céleste,
Et, pour dire le Verbe aux temps qui vont venir,
Harmonieusement il mêlera le geste
D’accorder la cithare au geste de bénir.

Sous le souffle divin, il la fera renaître,
Fils des premiers Voyants, fils des Chanteurs sacrés,
Cette antique union du Poète et du Prêtre,
Tous deux consolateurs, et tous deux inspirés !

M. Louis Le Cardonnel, qui vit actuellement à Avignon, a rédigé pendant quelque temps la chronique des « Questions religieuses » au Mercure de France125.


116   Louis Le Cardonnel est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la deuxième édition en 1908. La notice, vraisemblablement rédigée par Paul Léautaud, est demeurée peu changée pour cette édition de 1930.

117   George Auriol (Jean-Georges Huyot, 1863-1938), né à Beauvais, a d’abord été secrétaire du journal Le Chat noir où il rencontre nombre d’auteurs et d’artistes. Il collabore à son tour à d’autres revues où il place poèmes et dessins. George Auriol crée aussi des polices de caractères dont une porte son nom. Ce savoir-faire le conduit à enseigner le dessin à la célèbre école Estienne.

Quelques lettres de la police Auriol, présentant cette particularité de ne pas comprendre de w

118   Léon Riotor (1865-1946), homme de lettres prolifique, poète, romancier et critique d’art. Léon Riotor est également conseiller municipal du quartier Saint-Gervais (années 1920) puis vice-président du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine. Léon Riotor est surtout connu pour avoir voulu introduire le phonographe, puis le cinématographe comme instruments pédagogiques dans les écoles.

119   Antony Mars (1860-1915), auteur dramatique, a d’abord vécu de petits travaux avant, vers l’âge de 22 ans, d’écrire dans quelques journaux. Sa première création théâtrale a lieu en province, prélude à une cinquantaine de pièces ou livrets d’opéras ou opérettes populaires.

120   Paul Morisse (1866-1946) a partagé le bureau de Paul Léautaud à partir de janvier 1908 jusqu’en 1911. Le 30 mars 1942, PL écrira : « Été voir Paul Morisse dans sa librairie avenue de Breteuil. 76 ans, mémoire défaillante, surdité, un vrai petit vieux. » Paul Morisse est aujourd’hui connu pour être le traducteur des Hymnes à la nuit de Novalis en 1908 (voir le Journal au 26 octobre 1908) et aussi de Stefan Zweig pour son Émile Verhaeren*, sa vie, son œuvre en 1910. Voir André Billy, Le Pont des Saint-Pères, Fayard 1947, pages 35-37.

121   « Le Chat noir de Salis » n’indique pas s’il s’agit du cabaret ou de la revue « organe des intérêts de Montmartre paraissant le samedi », tous deux étant dirigés par Rodolphe Salis. Le premier numéro de la revue (rédacteur en chef Émile Goudeau) est paru le 14 janvier 1882, quelques semaines après l’ouverture du cabaret en novembre 1881, la seconde étant destinée à soutenir le premier.

122   On connaît Ligugé, à dix kilomètres au sud de Poitiers, pour être la commune dans laquelle Maurice Garçon possédait une demeure. On peut profiter de cette note pour signaler, après la parution en mai 2015 des années 1939-1945 du passionnant Journal de Maurice Garçon, la sortie, le seize septembre 2022, des années 1912-1939.

123   Cette revue a été fondée vers 1890. Les bulletins étaient publiés, parfois plusieurs étaient réunis pour former un volume plus conséquent. On en trouve encore quelques exemplaires sur le marché de l’occasion.

124   Assise est une ville du centre de l’Italie, entre Florence et Rome. 28 000 habitants.

125   Louis Le Cardonnel a tenu 25 rubriques des « Questions morales et religieuses » entre 1905 et 1910 et, curieusement, bien plus tard, en août 1934, une rubrique des « Questions religieuses » (mais pas morales). À cela il faut ajouter 23 autres textes divers, dont des poèmes. On ne confondra pas Louis Le Cardonnel avec son frère Georges, lui aussi auteur Mercure.

Grégoire Le Roy126
1862

M. Grégoire Le Roy est né le 7 novembre 1862, à Gand (Belgique), où il passa toute son enfance et une partie de sa jeunesse. Son père était brodeur, et il a gardé une profonde impression de l’atelier paternel, où des ouvrières très dévotes « alanguissaient les après-midi par des cantiques chantés en chœur, et attristaient les soirs par le bourdonnement des prières récitées à haute voix ». M. Grégoire Le Roy fit ses études au Collège Sainte-Barbe de Gand, dirigé par les Jésuites, et où il avait pour condisciples Charles Van Lerberghe* et M. Maurice Maeterlinck*, dont il devint bientôt l’ami, surtout pour le premier, avec lequel le lia tout de suite une très grande amitié. Comme eux, il fit ensuite son droit, et après avoir passé les épreuves de philosophie et de lettres, quitta l’Université pour s’adonner à la peinture. Il alla alors vivre pendant une année environ aux bords de l’Escaut, à Castel, un hameau perdu au cœur de la Flandre. La vocation littéraire s’éveillait en même temps en lui, car c’est pendant ce séjour à Castel qu’il écrivit ses premiers vers, qui ne devaient être publiés que plus tard. Cela se passait en 1885. L’année suivante, M. Grégoire Le Roy vint passer quelque temps à Paris, en compagnie de M. Maurice Maeterlinck. Installés tous les deux, 22, rue de Seine, ils passèrent leur temps, pendant ce séjour de quelques mois, à visiter ensemble la capitale et ses musées. M. Grégoire Le Roy fut même à cette époque élève des ateliers Gervex et Humbert127, et des cours d’anatomie de l’École des Beaux-Arts, études qu’il abandonna bientôt, lassé d’un enseignement qui ne différait guère de celui des Académies belges. Il se sentait d’ailleurs attiré de plus en plus vers la littérature, par la fréquentation de nouveaux amis, tel que Villiers de l’Isle-Adam128, Ephraïm Mikhaël*, Pierre Quillard* et Rodolphe Darzens. Ce fut même lui qui leur révéla à tous M. Maurice Maeterlinck, en leur lisant un soir, chez Pierre Quillard, un de ses contes : Le Massacre des Innocents129. Le lendemain, il leur présentait l’auteur, et ce fut de leurs entretiens à tous que naquit bientôt La Pléiade, petite revue qui n’eut que sept numéros, mais qui n’en a pas moins sa place marquée dans l’histoire symboliste. Rentré en Belgique dans l’hiver de 1886, pour reprendre avec son fidèle compagnon Charles-Van Lerberghe* leur existence provinciale, M. Grégoire Le Roy réunit l’année suivante, en 1887, ses premiers poèmes en un recueil La Chanson du Soir, tiré seulement à vingt exemplaires130. En 1889, un second recueil parut, Mon Cœur pleure d’autrefois131, publié dans une édition de luxe rapidement épuisée. Fatigué un moment de sa vie de rêve, de son existence toujours égale de peintre et de poète, M. Grégoire Le Roy, à cette époque, quittant son isolement, partit pour Bruxelles, dans un grand désir de voir de près la vie active : industrie, commerce, finance, et d’y prendre part lui-même. Contraste saisissant, qui ne devait avoir d’autre résultat que de lui rendre bientôt le goût plus profond de son ancienne existence, à laquelle il s’empressa de retourner. Depuis, M. Grégoire Le Roy vit dans la banlieue de Bruxelles, avec sa femme et ses trois filles dans une maison qu’il a baptisée Laethem-Rust, ce qui signifie, — librement, — « qu’on me laisse le repos ».

Existence d’un sage, existence d’un vrai poète que le désir de la notoriété n’a jamais préoccupé, qui vit dans la compagnie de ses rives et n’écrit qu’à sa fantaisie, pour son plaisir et pour charmer son isolement. M. Grégoire Le Roy publia en 1907 La Chanson du Pauvre132. À propos de ce livre, dans lequel l’auteur a réuni, à vingt ans et plus de distance, deux séries de poèmes : La Chanson du Pauvre et Mon cœur pleure d’autrefois, « qui diffèrent de ton et de manière autant que le rêve d’un jeune homme qui n’a vécu que dans le passé et dans le futur est dissemblable de l’expérience cruelle de celui qui est arrivé à mi-chemin des jours133 », Pierre Quillard* a ingénieusement commenté l’œuvre du poète en ces termes :

« Une autre parabole de l’Enfant Prodigue m’a été contée qui convient mieux aux âmes dolentes et chagrines. Jamais l’Enfant Prodigue ne quitta la maison de son père ; mais lors des aventures de sa jeunesse, il y vécut comme un étranger ; sa pensée habitait ailleurs ; elle errait dans des pays merveilleux et funèbres, hors des heures présentes qu’elle ignorait, ne connaissant que l’espérance et le souvenir ; cependant les jours s’écoulaient ; sans qu’il en eût conscience, autour de lui les uns vieillissaient et les autres mouraient, et lorsqu’il s’éveilla de son rêve et de son voyage imaginaire, tous les siens avaient disparu et dans la maison vide qui avait été pleine de bruits de fêtes et de foule joyeuse, il demeura seul désormais, en lutte non plus avec les formes irréelles de la douleur, mais avec les vraies souffrances des hommes, livrés sur la terre hostile à tous les assauts de la faim et à toutes les angoisses de la détresse. Il sut alors ce qu’était la vie des malheureux ; et bien qu’il eût suspendu dans la cheminée son violon où dormaient les chansons d’autrefois, il chanta encore dans les soirs tristes la misère éparse autour de lui dans les maisons basses et renfermées et le souvenir plus amer de ses vains souvenirs et de ses vaines espérances.

« Si cette parabole n’avait pas été contée, en effet, il eût fallut l’inventer pour mieux faire comprendre par images et figures la vie poétique de M. Grégoire Le Roy. » (Mercure de France, 16 juillet 1907.)


126   Grégoire Le Roy est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la deuxième édition. Sa notice, dont on ne connaît pas l’auteur (vraisemblablement Paul Léautaud à cause de ces longues et nombreuses citations), est restée inchangée en 1930.

127   Henri Gervex (1852-1929) et Ferdinand Humbert (1842-1934) ont repris ensemble à la fin du siècle l’atelier de Fernand Cormon du boulevard de Clichy.

128   Auguste de Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889), poète, romancier, auteur dramatique et journaliste. Villiers de L’Isle-Adam a raté absolument tout ce qu’il a entrepris mais bénéficie néanmoins d’une réputation surprenante. Ainsi, dans Le Figaro du 12 avril 1913, page quatre nous pourrons lire, au-dessus de la signature de Victor-Émile Michelet : « Villiers de l’Isle-Adam domina de sa haute stature de chevalier la littérature de son temps. » Ne reste de lui de nos jours que ses vingt-huit Contes cruels, rassemblés chez Calmann Lévy en 1883 et son Êve future (de Brunhoff 1893, 380 pages), où Thomas Edison crée la première poupée sexuelle.

129   Maurice Maeterlinck, Le Massacre des Innocents, 1886, d’après une peinture de Breughel l’Ancien. Ce texte est paru une première fois sous le nom de Mooris Maeterlinck en mars 1886 dans La Pléiade de Rodolphe Darzens. En 1916 ce texte a été rassemblé avec 22 autres pour former un volume paru dans la Bibliothèque Charpentier (224 pages).

130   Exemplaires hors-commerce, sans nom d’éditeur.

131   Grégoire Le Roy, Mon Cœur pleure d’autrefois, Léon Vanier 1889, tiré à 200 exemplaires ornés d’un frontispice dessiné par Fernand Khnopff (1858-1921), 75 pages particulièrement luxueuses. L’ouvrage est dédié « Au très cher et très admiré maître le comte de Villiers de l’Isle-Adam ».

Le frontispice de Fernand Khnopff

132   Grégoire Le Roy, La Chanson du Pauvre, couplée avec Mon Cœur pleure d’autrefois, Mercure janvier 1907, 191 pages. L’ouvrage est dédié « À la compagne de ma vie — À mes enfants ».

133   Mercure de France du seize juillet 1907, page 224, dont est aussi extraite la citation suivante.

Philéas Lebesgue134
1869

Philéas Lebesgue, d’après un dessin de Tristan Klingsor.
Cette illustration provient d’un ouvrage de 1918 des éditions Les Humbles entièrement réservé à Philéas Lebesgue et contenant seize articles de (parmi les auteurs souvent rencontrés ici) : Adolphe van Bever, Tristan Klingsor, Marcel Lebarbier, Georges Polti, Han Ryner…

M. Philéas Lebesgue — ce n’est pas un pseudonyme — est né en 1869, d’une vieille souche terrienne, à La Neuville-Vault, humble village du pays de Bray135. Fils unique de petits propriétaires, il commença au collège de Beauvais de bonnes études classiques, interrompues par une grave maladie136, qui devait l’immobiliser pendant dix ans. Jamais loisirs forcés ne furent mieux employés. M. Philéas Lebesgue enrichit, comme en se jouant, son bagage intellectuel par l’étude approfondie des langues classiques, du français médiéval, du celtique, de la langue d’oc, de plusieurs langues étrangères, et aussi des sciences occultes, de l’histoire de l’art, de la musique ; il ne négligea pas la grammaire comparée, l’ethnologie, s’intéressa au folklore, et même aux sciences exactes. Enfin, sa santé se rétablit, et tout en continuant de ses mains l’exploitation du petit domaine paternel, M. Philéas Lebesgue débutait dans les lettres en 1891 par une plaquette de poèmes intitulée Décidément137.

Dès lors, la vie en partie double de cet esprit encyclopédique n’a pas dévié d’une ligne. M. Philéas Lebesgue, de l’aube au crépuscule, vaque aux âpres travaux de la terre. Le soir venu, sous l’abat-jour, il écrit, d’une main calleuse et savante, des ouvrages de l’inspiration la plus diverse et présupposant la science la plus avertie. Il publie Le Grand Ferré, trilogie, en 1899(138), Les Lois de la Parole139, essai de synthèse phonétique, en1903, Les Folles Verveines140, poèmes, en 1904, L’Au=delà des grammaires141, un des ouvrages qui ont le mieux contribué à établir sa réputation. En même temps, il collabore à de nombreuses revues de province et de l’étranger, fait des traductions de l’espagnol, du portugais, du grec moderne, du yougoslave. Quand son travail de cultivateur lui en laisse le répit, il s’échappe même pour donner des conférences à Rouen, Dieppe, voire à Bruxelles, Bordeaux, Lisbonne, Et il dit ceci :

« L’art que j’envisage pourrait être affiné des multitudes, comme les cathédrales le furent, comme la musique par endroits l’est encore ; car il est apte à suivre toutes les pulsations du cœur humain ; il jaillit de l’effort incessant qui cherche à domestiquer toutes les énergies de la planète ; il est curieux, passionné, téméraire, gonflé d’enthousiasme et rétif à toute cristallisation définitive… » Puis il précise sa pensée : « …La Raison en art n’est point prépondérante et, si les nombres organisent les rythmes, ceux-ci néanmoins doivent naître en toute spontanéité, par la vertu créatrice de l’émotion qui marie l’âme individuelle à l’âme universelle… »

M. Philéas Lebesgue se rapproche ainsi de Verhaeren* et, dans une certaine mesure, de Walt Whitman. Sa poésie est libre, dégagée de toute servitude d’école, et d’un bel accent de sincérité un peu naïve.

Ajoutons que M. Philéas Lebesgue est président de l’Académie de Province et qu’il exerce une grande influence à l’étranger, où il est certes plus aimé et mieux connu qu’à Paris. Un volume de Pages Choisies142, publié en 1923 par les soins de M. Marcel Coulon, le représente d’une façon très fidèle et très complète. De nombreux écrivains, et entre autres MM. Jean Richepin143, Henri de Régnier*, Camille Mauclair*, Jean Ajalbert144 ont, à cette occasion, rendu hommage au probe et fécond labeur de ce sympathique écrivain de terroir.

M. Philéas Lebesgue tient au Mercure de France, depuis 1896, la rubrique des Lettres portugaises, néo-grecques et yougoslaves145.


134   Philéas Lebesgue est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de cette troisième édition. Cette notice a été rédigée par Yves Gandon à la demande de Marguerite van Bever (voir note 135 du premier volume).

135   La Neuville-Vault se trouve à quinze kilomètres au nord de Beauvais.

136   Il a été déterminé depuis qu’il s’agissait d’une paratyphoïde.

137   Philéas Lebesgue, Décidément, La Librairie universelle, 1891.

138   Le Grand Ferré, trilogie, les Libraires associés, 1892. Une autre édition a pour titre : La Tragédie du Grand Ferré, présentée au public pour la seconde fois par le poète Philéas Lebesgue, Les Libraires associés, 204 pages.

139   Philéas Lebesgue, Les Lois de la parole, essai de synthèse phonétique, Beauvais, Imprimerie du Moniteur de l’Oise, 1899, seize pages.

140   Philéas Lebesgue, Les Folles Verveines, poèmes, éditions du Beffroi 1903.

141   Philéas Lebesgue, L’Au=delà des grammaires, Essai de prosodie générale, Sansot 1904, 316 pages.

142   Philéas Lebesgue, Pages choisies assemblées et préfacées par Marcel Coulon, édition de La République de l’Oise, 1923, 369 pages.

143   Jean Richepin (1849-1926), normalien, poète, romancier et auteur dramatique. Jean Richepin rencontre une immense notoriété en 1876 avec La Chanson des Gueux, qui lui vaut un procès pour outrage aux bonnes mœurs. Il fait un mois de prison mais en sort célèbre. Jean Richepin sera reçu à l’Académie française par Maurice Barrès en 1909. On ne confondra pas Jean Richepin avec son fils Jacques Richepin (1880-1946).

144   Jean Ajalbert (1863-1947), critique d’art, avocat et écrivain naturaliste. Anarchiste et dreyfusard engagé, Jean Ajalbert fut aussi un soutien des peuples autochtones sous la férule coloniale. La fin de la vie de Jean Ajalbert sera hélas moins glorieuse puisqu’il sera incarcéré à Fresnes au printemps 1945 pour faits de collaboration.

145   La signature de Philéas Lebesgue se trouve dans 168 numéros du Mercure mais les rubriques des lettres anglaises, brésiliennes, néo-grecques et norvégiennes n’ont été tenues qu’une fois chacune à la fin du siècle et une fois en 1948. La rubrique des « Lettres portugaises » est parue dans 148 numéros.

Sébastien-Charles Leconte146
1860

Sébastien-Charles Leconte dans le revue mensuelle Nos Poètes, parue chez Alphonse Lemerre (36 numéros de 1923 à 1936)

M. Sébastien-Charles Leconte est né à Arras (Pas-de-Calais), d’une vieille famille du pays, le 21 octobre 1860. Après avoir fait ses études de droit, il entra dans la magistrature et fut, pendant plusieurs années, Président de la Cour d’appel à Nouméa. Il profita des congés qui lui étaient accordés pour visiter l’Inde, la Polynésie, et étudier sur place les religions et l’histoire des peuples disparus. C’est en 1897, pendant un de ses rares séjours à Paris, qu’il publia ses deux premiers recueils : L’Esprit qui passe147 et Le Bouclier d’Arès. La même année, l’Académie française le couronna au concours pour son poème Salamine148. Après un court passage dans les milieux littéraires, M. Sébastien-Charles Leconte regagna son poste, qu’il quitta définitivement en 1901, nommé à la Cour de Dôle. Il siège aujourd’hui au Tribunal civil de la Seine.

La poésie de M. Sébastien-Charles Leconte, comme celle de M. le Vicomte de Guerne149, s’apparente de très près à celle de Leconte de Lisle150, au moins par l’aspect. Comme l’auteur des Poèmes barbares151, M. Sébastien-Charles Leconte trouve beau de donner une orthographe singulière à certains mots. Il n’écrit pas comme nous Empereur, Chaldée, Trésor, Moloch, Autocrate, Cithéron, Taurus, Acropole, mais Impérator, Thrésor, Molock, Autokrator, Kithéron, Tauros, Akropolis, etc… Il aime également à mettre des majuscules à certains autres : Homme, Beauté, Femme, Monde, Mal, Force, Esprit, Amour, etc… Il ne faudrait pas croire, cependant, que, sous ces grands mots, M. Sébastien-Charles Leconte se désintéresse de son époque. Au contraire, il la regarde, et s’y mêle, au moins par l’esprit, très ardemment, et l’on voit passer dans son œuvre, enveloppées de l’éloquence du poète, les idées de justice et de bonté qui l’animent. S’il apporte dans ses fonctions ces nobles préoccupations, qui sont chez lui extrêmement sincères et désintéressées, nul doute que M. Sébastien-Charles Leconte ne soit le modèle du magistrat. Au milieu du mouvement et des nouveautés symbolistes, M. Sébastien-Charles Leconte est resté fidèle à la poétique parnassienne dans toute son expression. Le symbolisme, le naturisme, pas plus que l’extrême modernisme d’aujourd’hui, n’ont eu de prise sur son esprit. M. Sébastien-Charles Leconte ne tient d’ailleurs nullement à être classé dans tel ou tel groupe. Un solitaire, dans sa vie comme dans son œuvre, il ne demande qu’à être considéré comme tel, et les théories poétiques ne lui sont pas moins indifférentes que les groupes. « Il importe peu que l’on fasse des vers libres ou que l’on n’en fasse pas, dit-il. L’essentiel est de faire de beaux poèmes. Toute théorie est inutile. »

M. Sébastien-Charles Leconte, que l’Académie française a distingué à deux autres reprises, en 1902 en lui décernant une part du Prix Archon-Despérouses, et en 1905 en couronnant une seconde fois un de ses poèmes : L’Absolution152, a collaboré à de nombreuses revues : Mercure de France153, Renaissance latine, Nouvelle Revue, Les Lettres, Le Beffroi, Revue socialiste, Annales de la jeunesse laïque, Vers et Prose, Les Poèmes, Revue Franco-Allemande, Humanité nouvelle, Le Feu, Durendal, Grande Revue, Le Censeur, etc. Il rédige aujourd’hui la critique littéraire au journal La Victoire.


146   Sébastien-Charles Leconte est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dans la deuxième édition. La notice semble avoir été rédigée par Adolphe van Bever. Elle est restée inchangée pour l’édition de 1930.

147   Sébastien-Charles Leconte, L’Esprit qui passe et Le Bouclier d’Arès, recueils de poésies parus tous deux au Mercure de France.

148   Le poème Salamine a reçu le prix de poésie de l’Académie française. Il est inclus dans Le Bouclier d’Arès : « Ô vous, qui revenez victorieux et graves, / Les mains libres du glaive aux autels suspendu, / Purifiés du sang par vos bras répandu, / Et pieux, comme il sied que soient pieux les braves,… »

149   Le poète André de Guerne (1853-1912) est généralement nommé « Vicomte de Guerne », nul ne sait pourquoi (peut-être parce qu’il était vicomte).

150   Charles Leconte de Lisle (le prénom est généralement omis, 1818-1894) est unanimement considéré comme le maître des parnassiens, par son ancienneté, d’abord, par son charisme et par le fait qu’il a été le premier à en définir clairement la doctrine et enfin par sa publication de trois volumes de poésies rassemblant une centaine de poètes sous le titre Le Parnasse contemporain, chez Alphons Lemerre entre 1866 et 1876. Cet ouvrage est resté la référence poétique de toute cette fin de siècle. La doctrine parnassienne peut être résumée par un certain retrait, un fort attachement à la forme stricte, un classicisme rigoureux et une référence constante aux mythologies. Charles Leconte de Lisle condamne donc fermement les lamentations débridées et autocentrées des romantiques, et pour tout dire les enterre. Très soutenu par Victor Hugo, Charles Leconte de Lisle sera élu à l’Académie française à la mort de celui-ci (en mai 1885), le remplacera au fauteuil quatorze en février 1886 et prononcera son éloge en mars 1887. Dans son Journal au 29 février 1928, Paul Léautaud émettra une opinion assez tranchée sur ce poète.

151   Charles Leconte de Lisle, Poèmes barbares, Poulet-Malassis 1862, réédité par Alphonse Lemerre en 1871 (350 pages dans cette deuxième édition). Première strophe du premier poème, Caïn : « En la trentième année, au siècle de l’épreuve, / Étant captif parmi les cavaliers d’Assur, / Thogorma, le Voyant, fils d’Élam, fils de Thur, / Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve, / À l’heure où le soleil blanchit l’herbe et le mur. »

152   L’Académie française indique en 1905, un Prix de poésie pour « Un poème se rapportant aux croisades ». Il ne semble pas que le texte en ait été publié.

153   La signature de Sébastien-Charles Leconte apparait 23 fois dans le Mercure entre décembre 1893 et février 1933.

Jean Lorrain154
1856-1906

Jean Lorrain à la fin du siècle, par Ernest La Jeunesse

Jean Lorrain (de son vrai nom Paul Duval, et qui signa pendant quelque temps Jehan-Lorrain) était né à Fécamp (Seine-Inférieure), le 9 août 1856, fils d’un armateur de la région. Son grand-père, capitaine au long cours, puis armateur également, était fils d’un corsaire qui, durant le blocus continental organisé par Napoléon Ier se signala en donnant activement la chasse aux bâtiments anglais. Comme l’a noté très justement M. Ernest Gaubert dans sa biographie de l’écrivain155, on retrouve çà et là dans l’œuvre de Jean Lorrain quelque chose de cet atavisme de marins. Jean Lorrain entra comme interne à neuf ans au petit lycée Louis-le-Grand, ensuite au lycée Henri-IV, et termina ses études chez les Dominicains d’Arcueil. Là, une crise de mysticisme, que ses maîtres encourageaient, lui fit croire un moment qu’il avait la vocation sacerdotale. Mais cette exaltation passa vite. Sorti d’Arcueil, il s’engagea au 12e régiment de hussards, à Saint-Germain, passant bientôt, par permutation, aux spahis de Biskra156. Il retourna ensuite à Fécamp, puis vint à Paris. Nous laissons la parole à M. Ernest Gaubert, qui l’a connu, et qui a montré qu’il le connaissait bien. « Comme plusieurs écrivains de sa génération, Jean Lorrain essaya d’abord de la peinture157. Ce mode d’expression qui ne pouvait guère, semble-t-il, convenir à son tempérament, fut vite délaissé. Il se tourna vers la poésie et débuta en publiant en 1881, chez l’éditeur du Parnasse158, des poèmes où l’on ne sent pourtant pas le souci, alors unique, de la forme. L’auteur de La Forêt Bleue159 et du Sang des Dieux160, en outre de Gustave Moreau161 et Burnes-Jones162, présents dans les attitudes et les décors, se souvient de ses visions d’enfant et de ses rêveries devant la mer. Ces vers, réunis à d’autres, formeront plus tard L’Ombre Ardente163. Ce sont, évoquées dans le cadre étroit du sonnet ou dans l’ampleur des stances, les princesses fabuleuses : Typhaine, Ahès, Viviane, Morgane, Hérodias, et les éphèbes Ganymède, Alexis164, Narcisse, etc… Mais l’éphémère muse moderniste triomphe, cependant que dans les cénacles de la rive gauche s’élabore, en réaction contre le naturalisme, le proche mouvement idéaliste. Jean Lorrain écrit Modernités165, et joue à ses compatriotes le mauvais tour, devenu classique, de les peindre tout vifs dans Les Lepillier166. Tout Fécamp167 s’indigne et le jeune-romancier continue par Très Russe168, dont l’intrigue se situe â Yport169. À ce moment, L’Événement était encore un grand journal (Scholl170 y gagnait 40 000 fr.). Jean Lorrain se trouva heureux d’y entrer, ainsi qu’au Courrier Français171. Il publie de nouveaux poèmes inspirés de Pater172 et Watteau. : Griseries173, et obtient avec Dans l’Oratoire174, série de portraits de gens de lettres, son premier succès, succès de surprise scandalisée devant l’audace mordante d’un débutant “qui ne s’effrayera pas”. Il se bat en duel avec René Maizeroy175, son ami depuis ce jour. Il entre à L’Écho de Paris, où il donne la série “une femme par jour176” et les premiers « Pall-Mall177 », signés Raitif de La Bretonne178-179-180. L’heure de la gloire a sonné pour lui. Il vient de dépasser la trentaine et voici que sa légende se forme. De 1886 à 1896, durant cette période chaotique de littérature maladive, où un immense effort littéraire se disperse en tous sens, Jean Lorrain témoigne d’une fiévreuse activité dans la recherche absorbante de l’étrange et de l’inédit… Familier du grenier d’Edmond de Goncourt, Jean Lorrain devait se ressentir de l’influence des maîtres des Frères Zemganno181… Ayant souffert de troubles au cœur, il en venait, pour réveiller sa sensibilité nerveuse, à abuser de l’éther. Sept ou huit volumes devaient attester sa redoutable emprise182… Edgar Poe183, Barbey d’Aurevilly184, Villiers de l’Isle-Adam, Quincey185 et les Erckmann-Chatrian186 de L’Araignée-Crabe et de L’esquisse mystérieuse187 sont les auteurs favoris de cette période de l’activité littéraire de Jean Lorrain. Cependant, cette activité semble suivre trois courants presque toujours différenciés et parfois confondus. Incarné dans une sorte de trinité créatrice, Jean Lorrain se manifesta comme l’observateur ironique et cruel de son temps, comme le voyageur insatiable et désolé, revenu d’une contrée de songes mauvais et d’un pays de malaria. Sonyeuse188, Buveurs d’âmes, Sensations et Souvenirs189, Un Démoniaque190, Histoires de Masques191, Fards et Poisons192. Voici la part du rêve malsain ou de l’hallucination, qui aboutit au Vice Errant193 et à Monsieur de Phocas194. Ce sont des contes qui affectent généralement l’allure d’une confession. Ils disent les angoisses exaspérées, les inédites criminalités, les fantaisies de L’Amant des poitrinaires195, le suicide lent du Buveur d’éther et les coupables joies du Buveur d’âmes… Le fantôme des nuits d’insomnie, dans ces pages, va de pair avec l’escarpe de la place Maubert et la rouleuse de la barrière d’Italie196. Amas d’automne, âmes de moisissures déjà molles, âmes de proie, poignards et snobismes, Vices et puérilités… Cette série de volumes aboutit au Vice Errant et à Monsieur de Phocas, deux livres où se découvre l’extrême des qualités de Jean Lorrain… Nul parmi les chroniqueurs des grands quotidiens ne fut plus accessible à la beauté. Il a loué toutes les formes, toutes les conceptions d’art… Il a défendu Maeterlinck*, Louÿs*, Henri de Régnier*, Bataille*, etc. Ses « Pall-Mall semaine », au Journal (où il les continua après son départ de L’Écho, de 1896 à 1901), lui ont été plus souvent l’occasion de louer que de dénigrer. Mais c’est le sort commun des violents de ne se voir compter que leurs attaques… Ses notes au jour le jour, où défile le Tout-Paris des premières, des expositions, du boulevard et des cercles et qu’il a réunies sous le titre Poussières de Paris197, sont peut-être une des meilleures sources de l’histoire de demain — celle qui voudra évoquer la vie et les vices et les tares, comme aussi les beautés et les forces de ce temps. (La Petite classe198, Madame Baringhel, doivent être situées dans co-courant de l’œuvre, celui qui nous vaut la peinture amère des contemporains) … Les « Pall-Mall semaine » ont fait en majeure partie la réputation de Jean Lorrain… Par ces chroniques, il exerça sur Paris une sorte de royauté de la mode. Grand, grisonnant, élégant, avec des yeux étranges, un lys à la boutonnière, d’apparence dédaigneux, il appuyait sur le velours des loges, les soirs de première, des mains lourdes de bagues. Il recevait à Auteuil le jeudi, dans un cabinet de travail luxueux et peuplé de nombreuses grenouilles de bois, de grès, de porcelaine (de toutes dimensions). Il venait là des comédiennes, de jeunes poètes, des clubmen, des artistes de toutes sortes et de tout poil. Avec une affabilité exquise, il accueillait tout ce monde et nul ne marqua jamais dans ses rapports une plus large cordialité…

« Jean Lorrain a été joué, sur bien des scènes : Très Russe, (coll. O. Méténier, à la Bodinière), Yanthis199, à l’Odéon, Le Conte du Bohémien200, au théâtre Minuscule, L’Araignée d’Or201, aux Folies-Bergère, La Princesse au Sabbat202, La Belle aux cheveux d’or, Watteau203, à l’Olympia, Prométhée204, aux Arènes de Béziers, et cinq ou six pièces (en coll. avec Gustave Coquiot205) au Grand-Guignol206. »

Après un séjour de quelques années à Nice, Jean Lorrain est mort à Paris, à la Maison de Santé du Docteur Prat-Dumas207, le samedi 30 juin 1906. On ne lira pas sans intérêt ce passage d’une lettre qu’il écrivait à l’une de ses cousines quelques mois avant sa mort.

« Nice, le 30 novembre 1905(208)209

        « Ma chère Lucie,

 ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙ Une ligne de points. ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙  ∙

On juge les gens indifférents parce qu’ils se tiennent à l’écart et vivent très loin de nous ; ils ne vivent justement ainsi que parce qu’ils sont très sensibles et que tout les heurte et les froisse, la bêtise et la vanité d’autrui, la suffisance de l’un, la morgue de l’autre, la prétention de tous.

Il ne faut pas croire qu’on s’endurcit en vieillissant ; au contraire, on s’écorche à vif, et plus on avance en âge, plus on aime la solitude et il faut bien l’aimer puisque les autres ne vous aiment plus ! Mais assez de philosophie dans le vide. Tu as demandé de mes nouvelles. Elles ne sont pas fameuses et ma santé n’est guère brillante. Les eaux de Châtel-Guyon m’ont fait le plus grand mal. J’en suis revenu congestionné, dilaté, ballonné, avec une apparence de force et de santé qui a été un désastre. Voilà deux mois que je traîne ; mon retour ici, qui a eu lieu il y a un mois, ne m’a pas rétabli ; le huit novembre, j’ai été pris d’une crise terrible : l’estomac, les intestins, la vessie, tout a été pris : J’en sors à peine.

Il parait qu’on me tirera de là, mais ce sera long, très long. Comme je veux te marquer ma gratitude pour l’intérêt que tu as bien voulu me porter, je t’envoie ma dernière photographie faite en novembre dernier. J’y suis amaigri, marqué, déjà souffrant ; c’est de toutes mes photographies celle que je préfère. Voilà pourquoi je te la donne. C’est l’image que je voudrais laisser de moi à ceux qui m’auront connu. Garde-la en souvenir de moi, et quand, plus tard, tes enfants te demanderont : « Qu’est-ce que c’est que ce Monsieur-là ? » tu pourras leur répondre en leur citant ces beaux vers d’Henry Bataille* qui résumeront la situation :

Une histoire, une histoire, tout finit en histoire !
On a beau crier, souffrir,
Et partir et s’en revenir
Tout se calme par un beau soir.

Ah ! toi, mon cœur, toi seul le sais,
Dis-le leur avec moi qui fus du voyage.
Voici le feu, la nappe, et les enfants sont sages…
Une histoire, une histoire, tout finit en histoire !

Plus tard, ainsi, je ne serai dans la famille
Que l’oncle ou le cousin qui a eu des malheurs
Et dont on parle à l’heure fade de la camomille…
Et tu finiras là, histoire de mon cœur !

Et là-dessus je t’embrasse, toi, les tiens, et les enfants.

Mes amitiés à ton mari.


154   Jean Lorrain est entré dans la deuxième édition des Poètes d’aujourd’hui en 1908 alors qu’il est mort en juin 1906. L’auteur de cette notice est de peu d’importance dans la mesure où l’essentiel du texte est extrait de l’ouvrage d’Ernest Gaubert paru chez Sansot en 1905, objet de la note suivante. On lira dans les premières lignes de cette notice cette bizarrerie : « Jean lorrain était né à Fécamp ». Jean Lorrain est né à Fécamp, ce qui sera encore vrai dans mille ans. Nous savons que Paul Léautaud était particulièrement attentif à cette notion de permanence des faits, ce qui rendait impossible qu’il soit l’auteur de cette notice. La même faute, hélas, a été commise dans la première ligne de la notice suivante, dans laquelle nous lirons : « Pierre Louÿs était né à Gand ». Or la notice de Pierre Louÿs a été rédigée par Paul Léautaud. On peut donc avec un bon niveau de certitude lui attribuer aussi celle de Jean Lorrain.

155   « Les célébrités d’aujourd’hui » — Jean Lorrain, par Ernest Gaubert, biographie critique illustrée d’un portrait-frontispice et d’un autographe, suivi d’opinions et d’une bibliographie, Sansot 1905, 64 pages. L’autographe est la reproduction d’une lettre. Les opinions ont été recueillies dans la presse ; ce sont celles d’Anatole France, de Jacques des Gachons, de Remy de Gourmont, d’Achille Segard, d’Henry Bataille, de Jacques Collandres et de Georges Cazella.

156   À plus de 400 kilomètres au sud-est d’Alger.

157   Ernest Gaubert op. cit. page sept.

158   Évidemment Le Parnasse contemporain de Charles Leconte de Lisle, chez Alphonse Lemerre (voit note 150).

159   Jean Lorrain, La Forêt bleue, Alphonse Lemerre. La couverture indique 1882 mais la parution semble être de 1883. 167 pages.

160   Jean Lorrain, Le Sang des Dieux, avec un dessin de Gustave Moreau, Alphonse Lemerre 1882. L’ouvrage est dédié « Au maître Leconte de Lisle » avec la date du 23 janvier 1882. Ce recueil contient trois cahiers de poésies : Légendes dorées, Parfums anciens et Le Sang des dieux. 154 pages.

161   Gustave Moreau (1826-1898) est entrée à l’école des Beaux-Arts en 1846 sans y achever sa formation et a entrepris des peintures à sujets historiques ou mythologiques qu’on peut ne pas aimer. La maison-musée Gustave Moreau de la rue de La Rochefoucauld est un endroit agréable valant l’heure qu’on y passe.

162   Edward Burne-Jones (1833-1898), peintre anglais de l’école préraphaélite se forme en dessinant des personnages sur vitraux. Il visite la France et l’Italie et est accroché à l’Exposition universelle de 1878.

163   Jean Lorrain, L’Ombre Ardente, Charpentier-Fasquelle 1897, 261 pages. Ce recueil contient quatre cahiers de poésies : L’Ombre ardente, L’Ombre bleue, L’ombre glauque et L’Ombre d’or. Le premier poème, La Chimère, est dédié à Gustave Moreau.

164   Ahès et Alexis proviennent du texte original d’Ernest Gaubert à la place d’Aliès et Alies dans l’édition 1930 des Poètes d’aujourd’hui qui d’ailleurs reprend les mêmes fautes de l’édition de 1908.

165   Jean Lorrain, Modernités, Giraud 1885, 124 pages.

166   Jean Lorrain Les Lepillier, roman, Giraud 1885, 306 pages.

167   Fécamp, entre Dieppe et Le Havre, est à sept kilomètres au nord d’Yport.

168   Jean Lorrain, Très-Russe, Giraud, printemps 1886, 322 pages, dédié à Élémir Bourges. Le texte de Très-Russe est accompagné dans cette édition par trois nouvelles, Holly Rodays, À la mer et Estéticité. Ce roman a fait l’objet, avec l’aide d’Oscar Méténier, d’une pièce en trois actes créée à La Bodinière le trois mai 1893. Le texte de la pièce est paru chez Charpentier-Fasquelle la même année.

169   Le problème est que Guy de Maupassant se reconnut dans ce roman sous les traits de Jean de Beaufrilan, amant de Madame Livitinof qui ressemble beaucoup à Emmanuela Potocka, maitresse de Guy de Maupassant.

170   Aurélien Scholl (1833-1902), journaliste, romancier et auteur dramatique populaire. Les chroniques d’Aurélien Scholl étaient particulièrement mordantes.

171   Nous savons qu’à cette même époque, Paul Léautaud a publié quelques poèmes dans Le Courrier français.

172   Jean-Baptiste Pater (1695-1736) est un peintre de scènes de genre : déjeuners à la campagne, danses champêtres, baignades des jeunes filles… Les décors naturels verdoyants dominent et mettent en valeur les tenues de ces dames.

173   Jean Lorrain, Les Griseries, Tresse et Stock 1887, 135 pages.

174   Jean Lorrain, Dans l’Oratoire, Camille Dalou 1888. Le dernier texte de ce livre est un chapitre intitulé « Mademoiselle Salamandre », qui est un portrait de Rachilde. Le premier chapitre a pour titre « Mademoiselle Baudelaire », qui est un surnom que Maurice Barrès avait donné à Rachilde mais qui n’a rien à voir avec elle dans ce volume. Le chapitre « Mademoiselle Salamandre » avait d’abord été publié dans Le Courrier français du douze décembre 1886.

Illustration de Joseph Faverot pour l’article de Jean Lorrain « Mademoiselle Baudelaire », dans Le Courrier français du douze décembre 1886

175   René Maizeroy (René-Jean Toussaint, 1856-1918), Saint-Cyrien, romancier, ami de Guy de Maupassant. Ce duel a été brièvement rapporté dans Le Matin du 19 avril 1887 : « À la suite d’une polémique de presse, une rencontre à l’épée a eu lieu hier à midi entre MM. Jean Lorrain et René Maizeroy. À la première et à la seconde reprise, M. Maizeroy ayant été atteint de deux coups d’épée au bras, les témoins ont mis fin au combat. »

176   Il semble que cette série ait commencé dans le numéro du deux juillet 1890 sous le pseudonyme de Raitif de La Bretonne. À la fin de ce premier texte, une note indique : « À la suite d’une protestation du petit-fils de Restif de La Bretonne, notre collaborateur signera ses Portraits, paraissant sous le titre : “Une femme par jour”, du pseudonyme de Raitif de la Bretonne. » Ce texte indique que ce pseudonyme avait déjà été utilisé par Jean Lorrain mais on peut ne pas le prendre au pied de la lettre.

177   Ces « Pall-Mall » ont à l’évidence repris le titre du journal londonien Pall-Mall Gazette paru pendant soixante ans, de 1863 à 1923. Ce quotidien radical de gauche (jusqu’en 1892), populaire et de qualité a su s’attirer les grandes plumes du temps et profiter des avancées technologiques de la presse. Il a disparu en 1923, racheté par l’Evening Standard. L’Écho de Paris a souvent cité le Pall-Mall Gazette.

178   Allusion évidente à Nicolas Restif de La Bretonne (1734-1806), parfois écrit phonétiquement Rétif. NRLB était typographe et homme de lettres éclectique et particulièrement fécond, surtout connu pour son autobiographie en huit volumes, Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé, concentré sur le récit de seulement trois années de sa vie (1794 à 97).

179   Les « Pall-Mall » de Raitif de La Bretonne ont paru dans L’Écho de Paris « Journal littéraire et politique du matin » à partir du neuf juin 1894 sous le titre de « Pall-Mall semaine » jusqu’au 18 septembre 1895 avant de reprendre dans Le Journal. Dans ce numéro du 18 septembre, ce dernier « Pall-Mall » de L’Écho de Paris est sur les deux premières colonnes de une, position la plus prestigieuse de tout quotidien. La veille à cet endroit était un texte d’Anatole France, familier de l’emplacement. La semaine suivante, dans Le Journal du 26 septembre, après un texte de François Coppée, nous pourrons lire cette annonce :

L’identité réelle de Raitif est donc connue de tous. Le premier octobre est parue, en haut de la première colonne de une cette autre annonce, indiquant un petit contretemps :

C’est enfin le deux octobre 1895 qu’est paru le premier texte signé Jean Lorrain dans Le Journal. Il ne s’agit donc pas d’un « Pall-Mall semaine » qui sera publié le dix mais de « Fontarabie », récit où il expose, sur une colonne et demie, le voyage qu’il fit au Pays Basque et en Espagne en août 1896. Pour donner une idée de l’importance de ces colonnes, voyons les auteurs qui les occupent habituellement. La veille, premier octobre, Catulle Mendès ; le lendemain trois, François Coppée ; le six, Octave Mirbeau. Le premier « Pall-Mall semaine » est paru en une du Journal du dix, à côté d’un autre texte de François Coppée. On peine à imaginer de nos jours le niveau culturel et la puissance de la presse quotidienne de cette époque.

180   Le Pall Mall (sans tiret) était au XVIIe siècle à Londres un terrain où l’on jouait au croquet. Ce fut plus tard un lieu prestigieux rassemblant musées et galeries d’art. C’est de nos jours une des grandes rues de Londres, reliant Trafalgar square à Saint-James palace.

181   Edmond de Goncourt, Les Frères Zemganno, dédié « à Madame Alphonse Daudet », Charpentier 1879, 375 pages.

182   On peut penser à Buveurs d’âmes, Charpentier 1893, 276 pages où à Contes d’un buveur d’éther, recueil dans lequel nous apprenons que Jean Lorrain a habité rue de Courty (au numéro huit). Voici la recette de Jean Lorrain : « Râpures de noix de coco, fraises et cerises fraîches dans un bain de champagne frappé, et là-dessus cinq cuillérées à café d’éther. » Ces contes ont été repris, avec d’autres récits et réunis en volume par le Mercure de France en novembre 2015.

183   Edgar Poe (1809-1849) homme de lettres américain surtout connu pour ses contes.

184   Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), écrivain majeur de son temps, a toujours été une référence pour Paul Léautaud, bien moins que Stendhal toutefois.

185   Thomas de Quincey (1785-1859), journaliste et écrivain anglais, n’étais pas buveur d’éther mais fumeur d’opium. En 1821 il a écrit Confessions d’un mangeur d’opium anglais. En 1828 cet ouvrage a été (mal) traduit par Alfred de Musset. Charles Baudelaire l’a utilisé pour ses Paradis artificiels. En 1903 une traduction a été effectuée bien plus tardivement par un V. Descreux pour Stock. Thomas de Quincey est aussi connu pour son livre De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, dont une traduction a été effectuée par André Fontainas en 1901 pour le Mercure de France (250 pages).

186   Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890), tous deux natifs du département de la Meurthe ont écrit ensemble de nombreux romans populaires (un par an entre 1849 et 1885) à trame historique (L’Ami Fritz, Waterloo), régionale (Contes vosgiens, Les fiancés d’Alsace) ou fantastique comme les deux contes faisant, l’objet de la note suivante.

187   L’Araignée-Crabe et L’esquisse mystérieuse sont deux contes, l’un ouvrant, l’autre fermant le recueil des quatorze Contes fantastiques d’Erckmann–Chatrian paru chez Hachette en 1860 (363 pages).

188   Jean Lorrain, Sonyeuse, bibliothèque Charpentier 1891. Sonyeuse contient deux recueils de nouvelles : Soirs de province et Soirs de Paris. Sonyeuse, première partie de Soirs de province, a donné son titre au livre.

189   Jean Lorrain, Sensations et Souvenirs, recueil de six cahiers de nouvelles, Bibliothèque Charpentier 1895. Une lettre de Jean Lorrain à Georges Charpentier est parvenue jusqu’à nous, sans date : « Ce lundi matin toutes les guignes, mon cher Charpentier, une crise d’influenza. Et moi, qui me faisais une fête de cette soirée d’hier. Jusqu’au dernier moment j’ai cru pouvoir y aller ; je suis resté couché toute la journée d’hier pour ne me lever qu’à l’heure du dîner. Eh bien, non, je n’ai pas pu. J’ai dû me recoucher à 9 heures et ce matin je vais presque bien. J’irai vous voir mercredi vers deux heures, vous porter mon livre de chez Ollendorff et en terminer avec les Sensations et Souvenirs. Voulez-vous présenter à Madame Charpentier les vifs regrets de ma mère et les miens aussi et trouver ici pour vous mes meilleures amitiés. Votre Jean Lorrain. »

190   Jean Lorrain, Un Démoniaque, recueil de nouvelles, Édouard Dentu 1885, 358 pages.

191   Jean Lorrain, Histoires de masques, contes fantastiques, Paul Ollendorff 1900, 284 pages

192   Jean Lorrain, Fards et poisons, Paul Ollendorff 1903, 326 pages.

193   Jean Lorrain, Le Vice errant, recueil de nouvelles, Paul Ollendorff 1902, 366 pages.

194   Jean Lorrain, Monsieur de Phocas — Astarté, dédié à Paul Adam, frontispice de Léo Dupuis, Paul Ollendorff 1901, 410 pages.

195   L’Amant des poitrinaires est une nouvelle du recueil Sonyeuse, objet de la note 188.

196   La barrière d’Italie était un octroi du mur dit des Fermiers généraux, construit à la fin du XVIIIe siècle mais avant la Révolution. Cet octroi se trouvait à l’actuel emplacement de la porte d’Italie.

197   Jean Lorrain, Poussières de Paris, accompagné d’un index des noms, Ollendorff 1902, 383 pages.

198   Jean lorrain, La Petite classe, recueil de quatre nouvelles (dont Madame Baringhel) accompagné d’une préface de Maurice Barrès, et dédié à Maurice Barrès, Ollendorff 1895, 316 pages. Ces quatre nouvelles sont : Comtesse des Audraies (Hiver de Nice), Madame Baringhel (Printemps de Paris), Miss Enigma (Été de Trouville) et Mademoiselle Tenner (Printemps de Paris).

199   Jean Lorrain, Yanthis, comédie en quatre actes, en vers, représentée au théâtre de l’Odéon le dix février 1894. Le texte de la pièce est paru chez Charpentier-Fasquelle en 1894 (67 pages).

200   Jean lorrain, Le Conte du bohémien, lumino-conte en quatorze tableaux, décors d’André des Gachons, musique de Charles Silver, représenté le deux décembre 1895 au théâtre Minuscule a aussi été représenté début décembre 1895 au Salon des Cent de La Plume.

201   Jean Lorrain, L’Araignée d’or, conte féerique en deux tableaux avec une musique d’Edmond Diet représenté aux Folies-Bergère le sept mars 1896. Dans Alfred de Vaulabelle et Charles Hémardinquer, La Science au théâtre — Étude sur les procédés scientifiques en usage dans le théâtre moderne, Henry Paulin 1908, nous pouvons lire, page 96 : « Il s’agissait de faire surgir du fond d’une caverne l’araignée charmeresse, représentée par une jeune femme impérieusement belle. Or, pour rendre cette apparition absolument féerique et lui donner tout l’attrait désirable, [le décorateur] fit établir une trappe en verre qui permettait d’éclairer la fée par en-dessous au moyen d’un puissant projecteur électrique. »

202   Jean Lorrain, La princesse au sabbat, ballet en deux actes et trois tableaux sur une musique de Louis Ganne, représenté pour la première fois le 23 janvier 1898 au théâtre des Folies-Bergère. Cette Princesse au sabbat est à l’origine le troisième chapitre de Princesses d’ivoire et d’ivresse, conte qui a donné son titre au recueil paru chez Ollendorff.

203   Jean Lorrain, Watteau, ballet en un acte sur une musique d’Edmond Diet créé à l’Olympia le huit octobre 1900.

204   Jean Lorrain et André-Ferdinand Herold*, Prométhée, tragédie lyrique en trois actes sur une musique de Gabriel Fauré créée au théâtre des Arènes de Béziers le 27 août 1900 avec Édouard De Max et Cora Lapacerie. Le texte de cette œuvre est paru au Mercure de France en 1901 (58 pages).

205   Gustave Coquiot (1865-1926), auteur dramatique et surtout critique d’art, secrétaire, un temps, d’Auguste Rodin, a écrit des livres sur les peintres. Son portrait par Pablo Picasso en 1901 fait partie des collections du musée Picasso.

206   Le précieux ouvrage de Guy Schoeller Le Grand Guignol, le théâtre des peurs de la Belle époque (Laffont Bouquins octobre 1995) indique : au printemps 1897, Sans dot et Leur frère, deux drames de Jean Lorrain. En novembre 1903 : Deux heures du matin… quartier Marbeuf, drame de Jean Lorrain et Gustave Coquiot. En mai 1904 : Hôtel de l’Ouest… chambre 22, drame de Jean Lorrain et Gustave Coquiot. En avril 1905 : L’École des jeunes filles, comédie de Jean Lorrain. En février 1906 : Une conquête, comédie de Jean Lorrain et Charles Esquier. » À ces spectacles on peut ajouter Sainte-Roulette, comédie dramatique en quatre actes de Jean Lorrain et Gustave Coquiot créé au théâtre des Bouffes du Nord en 1904. Le texte de la pièce est paru chez Ollendorff en 1904 (29 pages sur deux colonnes).

207   19 rue d’Armaillé, qui est l’actuelle adresse de l’hôpital Marmottan

208   Note de l’auteur : « G. Normandy, Jean Lorrain, son enfance, sa vie, son œuvre. » Bibliothèque générale d’édition 1907, 349 pages dont les blanches, les hors-texte et l’index. Cette lettre est reproduite page 201. La Bibliothèque générale d’édition de Gaston Tournier sera reprise par Eugène Figuière en 1910.

209   Fin du texte d’Ernest Gaubert.

Ton cousin :
Jean Lorrain

Pierre Louÿs210
1870-1925

Pierre Louÿs (de son vrai nom : Louis) était né à Gand (Belgique) le 10 décembre 1870, de parents français qui habitaient Dizy, près d’Épernay, et qui vraisemblablement s’étaient réfugiés en Belgique devant l’invasion allemande. Il était d’autre part petit-neveu du général Junot, duc d’Abrantès, et arrière-petit-fils du Docteur Sabatier, médecin de Napoléon et membre fondateur de l’Institut en 1795. Son frère, Georges Louis, mort il y a quelques années, était ambassadeur de France en Russie à la veille de la Grande Guerre (il avait été auparavant consul de France en Orient), et la librairie Rieder a publié de lui, récemment, des Carnets dont on a beaucoup parlé211. Pierre Louÿs fit ses études, jusqu’à la rhétorique, à l’École alsacienne, institution protestante212. Il acheva sa philosophie au lycée Janson de Sailly, passa ses deux baccalauréats ès sciences et ès lettres, et termina par quelques études à la Sorbonne. Pierre Louÿs, qui est surtout connu (très connu) comme romancier depuis son célèbre roman Aphrodite213, avait débuté par une plaquette de vers : Astarté214, publiée en 1891. Elle était composée de poèmes parus dans La Conque, petite revue fondée par lui la même année, où collaborèrent notamment MM. Henri de Régnier*, André Gide et Paul Valéry, et dont les onze numéros furent honorés successivement d’une page inédite de Leconte de Lisle*, Paul Verlaine*, Stéphane Mallarmé*, José-Maria de Heredia, Swinburne215, Jean Moréas*, Léon Dierx216, Judith Gautier217, etc218. Quelques plaquettes de prose suivirent, contes dans le goût antique, en même temps qu’une traduction des Poésies de Méléagre219 et les premières Chansons de Bilitis220(221) puis Pierre Louÿs publia Aphrodite222, dont le premier chapitre avait paru dans La Wallonie en décembre 1892. Tout le monde a lu Aphrodite, publiée par le Mercure de France dans ses numéros d’août 1895 à janvier 1896 (sous le titre L’Esclavage), puis en volume en mars 1896. Dans un article enthousiaste, François Coppée, qui n’avait jamais vu Pierre Louÿs, salua en lui « un artiste accompli, un écrivain de race, à qui l’on devait déjà un livre charmant, et sur qui les lettres françaises avaient le droit de fonder les plus magnifiques espérances »223. Ce fut alors le succès le plus éclatant. Dans la même année de sa publication, Aphrodite fut tirée au Mercure de France jusqu’à trente et un mille exemplaires224, et on en a fait depuis bien d’autres éditions, tant de luxe que populaires, sans compter les traductions en toutes les langues, et quatre livrets d’opéra, et l’Aphrodite de M. Camille Erlanger225, représentée à l’Opéra-Comique en 1907. Les ouvrages que Pierre Louÿs publia ensuite, romans ou recueils de contes et de nouvelles, comme la Femme et le Pantin226, un très beau roman, bien supérieur à Aphrodite227, les Aventures du Roi Pausole228, Archipel229, Sanguines230, ne firent qu’accroître sa réputation de romancier et de conteur. Cette renommée n’a pourtant jamais fait oublier à Pierre Louÿs l’art dans lequel il s’était manifesté tout d’abord. Poète, mettant l’art des vers au-dessus de tout, il continuait à écrire des vers au gré de sa fantaisie et de son inspiration, et de temps en temps il publiait un poème dans une revue ou dans une autre, témoin cette merveille : L’Apogée231, parue dans la revue Les Lettres en 1907. La librairie Crès a réuni récemment toute son œuvre de poète dans un volume Poésies232, qui fait penser, comme on l’a écrit, « au livre unique de Baudelaire233 ». Ce qu’il faut dire aussi, c’est que la renommée n’a jamais grisé Pierre Louÿs, entamé en rien son indolence naturelle, sa distinction d’esprit, son souci de l’œuvre parfaite. Rarement un écrivain célèbre a vécu plus retiré et plus effacé. Il s’était mérité pour tout cela la plus grande, la plus complète estime littéraire, laquelle lui était unanimement accordée. Très érudit, aimant les livres, il vivait au milieu d’eux, se livrant à des études de textes, il s’était peu à peu détaché de son œuvre personnelle. On se souvient de la polémique littéraire qu’il souleva, en prétendant avoir découvert, avec certitude, la marque de Corneille dans certains vers de pièces de Molière. Dans les dernières années de sa vie, il s’était presque complètement claustré, vivant la nuit, dormant le jour, passant presque tout son temps au lit, ne recevant pour ainsi dire personne, devenu d’ailleurs à demi aveugle et obligé de se faire lire les livres qu’il étudiait, les ouvrages qui se rapportaient à ses recherches littéraires. Il est mort en juin 1925, après une courte maladie234.

Pierre Louÿs avait épousé, en 1899, Mlle Louise de Heredia, fille cadette du poète des Trophées, dont un divorce le sépara ensuite235.

Mes souvenirs de Pierre Louÿs236

J’ai toujours professé la plus complète estime littéraire pour Pierre Louÿs. On a rarement été plus proches, plus désintéressé, moins grisé par le succès que l’auteur d’Aphroditela Femme et le Pantin est bien supérieur —, célèbre, comme on sait, du jour au lendemain avec ce livre.

J’avais refait, il y a quelques semaines, pour la nouvelle édition en préparation des Poètes d’aujourd’hui, la notice qui lui est consacrée dans cet ouvrage, dans lequel il a eu sa place dès le premier jour, et j’avais accentué l’expression du sentiment de grande estime, que d’ailleurs tous lui accordaient, mérité par l’écrivain. Je l’ai, toutefois, trop peu connu pour parler de lui. Le seul souvenir que j’ai, et qui montre bien l’homme charmant qu’il était, est celui-ci, justement à propos des Poètes d’aujourd’hui (édition en un volume, en 1900) : Je lui avais écrit pour lui demander de m’accorder un rendez-vous pour me donner les renseignements dont j’avais besoin pour rédiger sa notice. Il me répondit aussitôt qu’il ne voulait pas du tout que je me dérange et que ce serait lui qui prendrait la peine de venir chez moi.

J’étais alors logé 9, rue Bonaparte, dans une petite chambre en forme de couloir étroit, dans laquelle tenaient à peine un lit et une table (mais sous ma fenêtre un joli. jardin) et où je ne pouvais, sans une certaine gêne, recevoir qui que ce fût. Je répondis à sa simplicité par une simplicité égale, en lui disant tout franchement que la façon dont j’étais logé ne permettait pas d’avoir le plaisir de sa visite.

Quant à la place donnée, dès le premier jour, à Paul Valéry dans les Poètes d’aujourd’hui (ce qui me valut bien des étonnements) je ne crois pas — tout cela est si loin — que Pierre Louÿs y fut pour rien. J’étais lié avec Valéry. Nous passions alors presque toutes nos soirées ensemble (souvent nos dimanches) en promenades et en conversations, parcourant Paris dans tous les sens, installés sur d’un omnibus pris au hasard, ou allant prendre des bavaroises chez le glacier Prévost, en face le Gymnase. Je connaissais ses vers, alors bien peu connus, et la Soirée avec Monsieur Teste, dont j’ai toujours un exemplaire, feuillets arrachés par Valéry, pour me les donner, à un volume du Centaure, avec une dédicace au-dessus du titre. Je savais quel esprit extrêmement particulier il était. Je n’avais pas besoin d’aucun avis, et quand Pierre Louÿs m’en parla — s’il m’en parla ? j’en avais déjà décidé.

P. Léautaud.


210   Pierre Louÿs est entré dans les Poètes d’Aujourd’hui dès la première édition de 1900. Sa notice a été rédigée par Paul Léautaud, un peu mise à jour au gré des éditions. Pierre Louÿs a été plusieurs fois évoqué dans les pages de leautaud.com concernant Paul Valéry et surtout dans la cinquième partie. À l’occasion de la mort de Pierre Louÿs le quatre juin 1925, Les Nouvelles littéraires ont publié un numéro d’hommage le treize juin. À la page trois de ce numéro nous trouvons un court texte de Paul Léautaud revenant sur les conditions de l’entrée de Paul Valéry dans les Poètes d’aujourd’hui, reproduit ici après cette notice et avant celle de Maurice Maeterlinck.

211   Georges Louis (1847-1917), est entré au ministère des Affaires étrangères en 1881. Il fut notamment délégué de la France à la commission de la dette égyptienne, au Caire en 1893, directeur des Consulats et affaires commerciales en 1902, directeur des Affaires politiques en 1907 et ambassadeur à Saint-Pétersbourg en 1909-1913 avant de prendre sa retraite en 1914. Les papiers Georges Louis revinrent aux archives diplomatiques après la mort de Pierre Louÿs en 1925. Après examen ont été restitués à la famille en mars 1927 les carnets de Georges Louis qui ont été publiés par Ernest Judet en deux tomes pour les éditions Rieder à la fin de 1927 (251 et 256 pages). Tome I : 1908-1912, tome II : 1912-1917.

212   L’École alsacienne est une des prestigieuses écoles privées de Paris, entre la rue Notre-Dame des champs (petites classes) et la rue d’Assas (jusqu’au bac), au nord du jardin du Luxembourg.

213   Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, Mercure de France 1896, 327 pages). Constamment réédité.

214   Pierre Louÿs, Astarté, librairie de l’Art indépendant, 1891, 28 pages, à compte d’auteur, cent exemplaires aujourd’hui hors de prix.

215   Algernon Swinburne (1837-1909), poète anglais, eut, malgré le scandale provoqué par son œuvre, la particularité d’être nommé plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature. À l’occasion de sa mort, le Mercure a publié le premier mai 1909 un article de Charles Chassé en ouverture, sur neuf pages.

216   Léon Dierx (1838-1912), que des pairs élurent « prince des poètes » à la mort de Stéphane Mallarmé. Voir un saisissant portrait de Léon Dierx dans André Billy, Le Pont des Saint-Pères, à partir de la page 156.

217   Louise, dite Judith Gautier (1845-1917), est la fille de Théophile Gautier. Judith Gautier a été une femme de lettres particulièrement originale, s’intéressant à l’Orient lointain et proche des auteurs nouveaux. Elle était aussi une wagnérienne convaincue. C’est donc presque naturellement qu’on la trouve siégeant à l’académie Goncourt devant le couvert de Jules Renard en compagnie d’Octave Mirbeau et de Paul Margueritte. Parmi les amis de son père, Judith choisit pour mari Catulle Mendès malgré le désaveu de son père, qui connaissait la vie dissolue du fiancé. Théophile Gautier n’assistera pas au mariage, qui a eu lieu en avril 1866.

218   Michel Arnauld, Henry Bérenger, Léon Blum, Armand Dennery, Léon Dierx, Georges Doncieux, Edmond Fazy, Judith Gautier, André Gide, José-Maria de Heredia, Eugène Hollande, Lecomte de Lisle, Pierre Louÿs, Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, Camille Mauclair, Jean Moréas, Claude Moreau, Charles Morice, Maurice Quillot, Henri de Régnier, Émile Schaller, Algernon Charles Swinburne, Paul Valéry, Paul Verlaine, André Walter [Gide] et Émile Watyn.

219   Pierre Louÿs, Les Poésies de Méléagre mises en français et dédiées à un poète lyrique, éditées par la Librairie de l’Art indépendant d’Edmond Bailly, été 1893, 142 pages. Méléagre est un héros grec de la mythologie. On en trouve des traces dans L’Iliade. Pierre Louÿs décrit sa vie au début de l’ouvrage. Certaines de ces poésies n’avaient jamais été traduites auparavant.

220   Note de Paul Léautaud : « Ce livre, simple amusement d’érudit, a si bien le ton, dans son imitation parfaite, d’une traduction de livre ancien, qu’un savant professeur, ancien élève de l’école d’Athènes, auquel Pierre Louÿs l’avait envoyé, lui répondit, en le remerciant, qu’il avait lu bien avant lui l’œuvre de Bilitis.

221   Les Chansons de Bilitis est paru au Mercure de France en 1894 et a fait l’objet d’une réédition en 1898. Cette réédition comprend 148 textes répartis sur quatre cahiers, le dernier — Le Tombeau de Bilitis — ne comptant que trois épitaphes.

222   Dans le Mercure de juillet 1895 Pierre Louÿs avait publié « Danaë ou le malheur », daté d’août 1894 à Constantine et dédié à Ferdinand Herold. Dans les numéros d’août 1895 à janvier 1896 Pierre Louÿs a publié son roman « L’Esclavage » qui paraîtra en 1896 en volume sous le titre Aphrodite — Mœurs antiques, prélude à de nombreuses rééditions.

223   En une du quotidien Le Journal du seize avril 1896. Critique de Rachilde dans le Mercure de mai 1896 page 286 : « Signe des temps : François Coppée, à lire Aphrodite, s’est emballé comme une simple petite folle. Du heurt, il en a joyeusement dit toutes les bêtises qui lui ont passé par la tête, et ce délire honore le très tendre académicien. »

Cette reproduction de journal est émouvante pour qui aime l’imprimé. Pour la signature de Pierre Louÿs dans le Mercure (non reproduite ici), le tréma sur le y était trop gros. Ici dans le titre, il est trop petit et décentré. On sent bien que les typos ont dû se débrouiller et sortir la lime. Mais si pour un titre on veut bien passer un peu de temps, c’est moins concevable dans le texte courant pour lequel le choix a été fait de ne plus utiliser le tréma.

224   À ce propos voir l’article d’Alfred Vallette « Le Mercure au temps d’Aphrodite » dans le Mercure du quinze décembre 1928, page 707.

225   Camille Erlanger (1863-1919), compositeur de musique, prix de Rome en 1888. Il est surprenant que Paul Léautaud cite ici le musicien en occultant le librettiste Louis de Gramont (1854-1912). Réparons cela : Aphrodite, drame de Louis de Gramont en cinq actes et six tableaux sur une musique de Camille Erlanger a été créé à l’Opéra-Comique le 27 mars 1906 dans une mise en scène d’Albert Carré avec Mary Garden dans le rôle d’Aphrodite et Léon Beyle dans celui de Demetrios.

226   Pierre Louÿs, La Femme et le pantin — roman espagnol. Orné d’une reproduction en héliogravure du Pantin de Goya. Mercure 1898, 248 pages.

Couverture de l’édition originale de 1898

227   Journal de Paul Léautaud au deux novembre 1941 : « Gérard Le Dantec prépare un volume des poésies complètes de Pierre Louÿs et de sa correspondance avec son frère Georges Louis. Il s’y trouvera le poème que Marie de Régnier a écrit pour Louÿs en réponse au sien : Psyché, ma sœur, écoute, immobile et frissonne… [Marie Dormoy] fait une copie de tout cela pour sa Bibliothèque. Elle m’a fait lire le poème de Marie de Régnier. C’est presque mieux que celui de Pierre Louÿs, en ce sens que moins parfait, et par là plus touchant. Je n’ai jamais aimé la littérature de Pierre Louÿs, son Aphrodite et ses vers. Les Chansons de Bilitis sont pour moi un chiqué du diable. Il n’y a que La Femme et le Pantin.

228   Les Aventures du Roi Pausole est d’abord paru en feuilleton, annoncé en première colonne de une du quotidien Le Journal du huit mars 1900.

Cette annonce était prématurée, le texte n’était pas prêt. Une deuxième annonce est donc parue à la même place du même Journal du 17 mars : « Dans quelque jours nous commencerons “Les Aventures du roi Pausole” par Pierre Louÿs ». Puis le lendemain dimanche seize mars la publication est annoncée pour le mardi suivant. L’annonce, toujours en haut de la première colonne de une reparaît le lundi. Il faut dire que le directeur littéraire du Journal était José-Maria de Heredia, beau-père de Pierre Louÿs. Et le mardi enfin paraît, au bas de la page deux, le premier épisode de ce feuilleton tant attendu qui paraîtra jusqu’au sept mai. Le volume paraîtra chez Charpentier-Fasquelle au printemps 1901 (404 pages).

229   Archipel est un recueil de contes en deux parties paru chez Charpentier-Fasquelle en 1906 (304 pages) et qui aurait dû être cité avant Sanguines, paru en 1903. Archipel est dédié à son médecin Louis Landouzy (1845-1917), très mondain doyen de la faculté de médecine en 1901.

230   Sanguines, recueil de dix contes paru chez Charpentier-Fasquelle en 1903 (259 pages).

231   Il semble que cette Apogée ait reparu sous le titre Stances à Psyché dans un recueil.

232   Pierre Louÿs, Poésies, comprenant Astarté, Iris, Aquarelles passionnées, Hivernales, La Forêt des nymphes, Stances. Crès 1927, 156 pages.

233   Les Fleurs du mal.

234   Un Emphysème pulmonaire.

235   Pierre Louÿs et Louise de Heredia se sont mariés le 22 juin 1899 et ont divorcé le 29 juillet 1913. En octobre 1923, Pierre Louÿs a épousé Aline Steenackers (1895-1979).

236   Texte paru dans le numéro spécial des Nouvelles littéraires du treize juin 1925 à l’occasion de la mort de Pierre Louÿs survenue le quatre juin.

Maurice Maeterlinck237
1862

M. Maurice Maeterlinck (Polydore-Marie-Bernard) est né à Gand (Belgique), le 29 août 1862. Il appartient à une vieille famille flamande qui s’était fixée, au XIVe siècle, à Renaix, localité de la Flandre occidentale, dont Gand est le chef-lieu. Un de ses ancêtres, bailli, aurait, pendant une année de disette, distribué aux pauvres des mesures de grain. De ce fait, et du terme qui servait à désigner cette « mesure », dériverait le nom de Maeterlinck. M. Maurice Maeterlinck fit ses études chez les jésuites, au Collège Sainte-Barbe de Gand, où il eut comme condisciples Charles Van Lerberghe* et M. Grégoire Le Roy*. Pour satisfaire aux désirs de sa famille, il fit ensuite son droit à l’Université, puis se fit inscrire au barreau de Gand. Il plaida peu, l’esprit tourné uniquement vers les lettres, ayant d’ailleurs commencé à écrire, dès le collège, quelques essais qu’il ne songeait pas à publier. C’est en 1886 que M. Maurice Maeterlinck vint pour la première fois à Paris. Il était accompagné de M. Grégoire Le Roy, dont la vie, à cette époque, se confond avec la sienne. Tous deux prirent contact avec le monde littéraire. « Je voyais souvent, a dit quelque part M. Maurice Maeterlinck, Villiers de l’Isle-Adam. C’était à la Brasserie Pousset, faubourg Montmartre238. Il y avait là également Saint-Pol Roux*, Ephraïm Mikhaël*, Pierre Quillard*, Rodolphe Darzens… Catulle Mendès y passait quelquefois239… » La Pléiade, fondée comme il a été dit dans la notice de M. Grégoire Le Roy, M. Maurice Maeterlinck y fit ses débuts avec un conte en prose : Le Massacre des Innocents240, et quelques-uns des poèmes241 dont il devait former, en 1889, son premier ouvrage et son unique recueil de vers : Serres Chaudes242. Au bout de sept mois, M. Maurice Maeterlinck quitta Paris, pour retourner vivre en Flandre, passant l’hiver à Gand et l’été dans sa campagne d’Oostacker243, au milieu de ses rosiers et de ses ruches pleines d’abeilles. Présenté en 1887 aux rédacteurs de La Jeune Belgique244 par Georges Rodenbach245, il publia dans cette revue quelques autres poèmes qu’on retrouve également dans Serres Chaudes, puis, à la fin de 1889, il fit paraître La Princesse Maleine246, drame en cinq actes, où l’on voulut voir, à tort, une imitation de Shakespeare. C’est de la publication de La Princesse Maleine que date la grande réputation de M. Maurice Maeterlinck. Un écrivain se trouva, en effet, assez curieux pour lire cette œuvre, assez épris des novateurs et assez clairvoyant pour l’apprécier, et assez courageux, si l’on songe à toute la routine d’esprit contre laquelle il allait, pour faire part de son enthousiasme au public. Ce fut M. Octave Mirbeau, et l’article qu’il écrivit à ce sujet dans le Figaro (24 août 1890) rendit célèbre du jour au lendemain le nouvel écrivain. « Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck, écrivait M. Mirbeau. Je ne sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui ; et je sais aussi qu’il a fait un chef-d’œuvre, non pas un chef-d’œuvre étiqueté chef-d’œuvre à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre — ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable, et pur et éternel chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand ; un chef-d’œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maurice Maeterlinck nous a donné l’œuvre la plus géniale de ce temps et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable — et oserai-je le dire ? — supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle La Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute…247 » Une si éclatante révélation de son nom ne troubla point M. Maurice Maeterlinck dans sa vie paisible. Pendant que tout le monde discutait autour de son œuvre, il continua à travailler et bientôt d’autres drames vinrent s’ajouter à La Princesse Maleine. D’abord L’Intruse248, représentée au Théâtre d’Art en juin 1891, dans une soirée au bénéfice de Paul Verlaine et du peintre Gauguin, puis Les Aveugles249, représentés au même théâtre quatre mois après, puis Les Sept Princesses250. Entre temps, M. Maurice Maeterlinck avait publié une traduction de L’Ornement des Noces Spirituelles, traité de mystique du moine flamand Ruysbroeck l’Admirable251, avec une Introduction qui fut la première de ces méditations métaphysiques qui composent aujourd’hui ces livres universellement connus : Le Trésor des Humbles252, La Sagesse et la Destinée253, Le Double Jardin254, La Vie des Abeilles255, Le Temple enseveli256, etc. En 1893, MM. Lugné-Poe257 et Camille Mauclair* firent représenter aux Bouffes-Parisiens un nouveau drame de M. Maurice Maeterlinck : Pelléas et Mélisande258, dans lequel nos critiques dramatiques, toujours bons juges, s’imaginèrent de retrouver toutes les situations théâtrales connues, depuis Shakespeare jusqu’à M. Courteline, en passant par Musset, Poe, Feuillet et Augier. M. Maurice Maeterlinck publia ensuite une traduction d’Annabella (‘Tis pity she’s a whore), drame de John Ford, représenté au Théâtre de L’Œuvre en novembre 1894(259), — les trois petits drames pour marionnettes : Alladine et Palomides, Intérieur et La Mort de Tintagiles260, dont le deuxième seul a été joué, au Théâtre de L’Œuvre, en mars 1895, et, ces dernières années, à la Comédie-Française261, — une traduction des Disciples à Saïs262 et des Fragments de Novalis263, — et nous arrivons ensuite au Trésor des Humbles, La Sagesse et la Destinée, Le Double Jardin, La Vie des Abeilles, Le Temple enseveli, Le Grand Secret264, Les Sentiers dans la Montagne265, La Vie des termites266, sans oublier Monna Vanna267 et Joyzelles268 deux pièces représentées à paris ces dernières années. On ne saurait dire en peu de ligues toute la beauté profonde et rare qu’on trouve dans tous les livres de M. Maurice Maeterlinck, la lumière spirituelle qu’ils dégagent, la voix grave et unique qu’on y entend. « Tous les journaux et toutes les revues du monde, a dit M. Camille Mauclair*, ont commenté, critiqué, loué, exposé longuement l’esprit original de cette philosophie psychologique et mystique, le style pur de ces drames, leur composition puissamment tragique, la haute et curieuse aisance d’analogies qui s’y révèle, la maîtrise, le sens de perfection simple, l’expansion intérieure qui en vivifient la durable et particulière beauté. Un fait suffit ; la voix des foules, qui a obscurément raisonné, prononce couramment le nom de ce jeune homme avec celui de l’auguste vieillard scandinave, Henrik Ibsen. Ce sont des gloires occidentales, au-dessus de la mode, et il y a là un signe infaillible de grandeur. J’observerai seulement la dualité de cet esprit. Comme celui de Poe, il est également apte à la construction d’œuvres tangibles et saisissantes, et à la spéculation abstraite, conciliation naturelle chez lui et si difficile aux autres esprits : c’est l’intellectuel complet. Il semble pourtant préférer la dissertation métaphysique à la réalisation littéraire directe où il a trouvé la célébrité. Son évolution l’y entraine, et cet homme, qui a commencé par être un parfait artiste de légendes, finira par renoncer aux drames et aux œuvres imaginatives pour se consacrer exclusivement aux sciences morales. Ce qu’il en a esquissé présage un métaphysicien peut-être inattendu de l’Europe intellectuelle, un surprenant continuateur de la philosophie imagée et artiste de Carlyle269. Je répète que M. Maurice Maeterlinck est un homme de génie authentique, un très grand phénomène de puissance mentale à la fin du XIXe siècle. L’enthousiaste Mirbeau l’approche à tort de Shakespeare, avec qui il n’a nulle affinité intellectuelle. La vraie figure à qui fait songer M. Maeterlinck, au-dessus de la vaine littérature, j’ose dire que c’est Marc Aurèle. (Camille Mauclair : Maurice Maeterlinck. Les Hommes d’aujourd’hui270.)

Vers la fin de 1896, M. Maurice Maeterlinck quitta définitivement la Flandre et vint se fixer à Paris, dans une grande et vieille maison de la rue Raynouard271. Il a écrit là beaucoup de ses ouvrages. Il passait ses hivers dans le midi, l’été gagnait la Normandie, s’installait à l’abbaye de Saint-Wandrille272, dans la Seine-Inférieure. Entre temps, il voyageait. Depuis quelques années, il s’est fixé définitivement à Nice.

Il a écrit au Figaro, dans les revues anglaises et allemandes, les magazines américains. Ses livres se trouvaient tout naturellement formés des essais qu’il publiait ainsi pour une élite. À tout instant, des machines roulaient pour l’impression de ses spéculations, des théâtres jouaient ses pièces avec succès. En même temps qu’une de ses œuvres paraissait en France, des éditions en toutes langues en étaient faites à l’étranger. C’est ce qui explique l’influence considérable qu’il a exercée hors de chez nous, dans les pays anglo-saxons, germaniques et slaves.

M. Camille Mauclair a vu juste quand il écrivait, il y a pourtant longtemps, que M. Maurice Maeterlinck délaisserait un jour les œuvres d’imagination pour donner uniquement aux sciences morales. Des ouvrages comme Le Grand Secret, la Vie des abeilles, la Vie des Termites, réalisent à merveille cet aboutissement de sa pensée.


237   Maurice Maeterlinck est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition de 1900. Ses trois notices ont été rédigées par Paul Léautaud. Seuls quelques aménagement et ajouts mineurs ont été apportés çà et là.

238   Peut-être la taverne Pousset du carrefour Châteaudun ouverte en 1879 par Fernand Pousset. La rue du faubourg Montmartre traverse le carrefour Châteaudun. Voir le Journal de Paul Léautaud au quatre janvier 1904 : « Mendès finissait généralement sa soirée à la Brasserie du carrefour Châteaudun. »

239   Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Bibliothèque Charpentier 1891 (455 pages), page 128 : « — Je voyais très souvent Villiers de l’Isle-Adam pendant les sept mois que j’ai passés à Paris. C’était à la brasserie Pousset, au faubourg Montmartre. Il y avait là Saint-Pol-Roux, Mikhaël, Quillard, Darzens ; Mendès y passait quelquefois, toujours charmeur. Tout ce que j’ai fait, c’est à Villiers que je le dois, à ses conversations plus qu’à ses œuvres que j’admire beaucoup d’ailleurs. »

240   « Le Massacre des Innocents » est d’abord paru en ouverture du numéro de mai 1886 de La Pléiade de Rodolphe Darzens (dix pages) avant d’être repris, en plus ou moins bon état, dans différentes revues. Ce n’est que trente ans plus tard, en 1916, que ce texte a été réuni en volume avec d’autres « articles et discours » dans Les Débris de la guerre, chez Charpentier. Dans cette édition, Maurice Maeterlinck choisit de supprimer « Les premiers alinéas qui retarderaient assez inutilement le récit. » Ces « premiers alinéas » représentent tout de même près de trois pages. La version définitive de ce court texte ne reparut qu’en 1929, soit 43 ans après sa première publication, chez l’éditeur bruxellois L & M, orné de six bois originaux du Belge Anto Carte.

241   Dans le numéro de juin 1886, après des poèmes de Paul Roux (qui n’avait pas encore pris le nom de Saint-Pol-Roux) et de Jean Ajalbert, nous trouvons « Reflets », « Fleuves las », « Feuillage au cœur », « Serre d’ennui », « Le Souvenir » et « Visions ». On peut à la rigueur, retenir le dernier : « Je vois passer tous mes baisers, / Toutes mes larmes dépensées, / Je vois passer dans mes pensées / Tous mes baisers désabusés. » quatre de ces cinq poèmes (sauf « Le Souvenir » paraîtront dans le recueil Serres chaudes.

242   Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, frontispice et six bois gravés (culs de lampe) par George Minne. Tirage à 155 exemplaires numérotés sur vergé de Hollande pour Léon Vanier, printemps 1889, 97 pages.

243   Oostacker, de nos jours en banlieue nord de Gand.

244   La revue bimensuelle La Jeune Belgique a été fondée par Albert Bauwens, étudiant à l’Université libre de Bruxelles. Après s’être nommée La Jeune Revue littéraire en 1880, La Jeune Belgique est parue le premier décembre 1881 sur 52 numéros jusqu’à la fin de 1897 sous la direction de Max Waller, objet de la note à paraître dans le tome III à propos de la notice d’Émile Verhaeren. Elle a été reprise par Le Thyrse, objet de la note suivante du tome III.

245   Georges Rodenbach (1855-1898), poète symboliste et romancier belge vivant à Paris. Par son côté dandy, Georges Rodenbach serait l’un des modèles de Charles Swann. Il fut pressenti pour faire partie des membres fondateurs de l’académie Goncourt. Voir l’article d’Antoine Orliac en ouverture du Mercure du quinze décembre 1923.

246   La Princesse Maleine, « drame pour un théâtre de fantoches », n’a été publié qu’en trente exemplaires, chez Louis Van Melle, à Gand. Une réédition a été entreprise à Bruxelles l’année suivante par Paul Lacomblez, qui s’adonnait parfois à des rééditions précoces, comme celle de Serres chaudes en 1895.

247   Cet article rappelle celui qu’écrira six ans plus tard François Coppée à propos de l’Aphrodite de Pierre Louÿs. Suite à cet article, Maurice Maeterlinck dédiera son Pelléas et Mélisande (note 258) à Octave Mirbeau.

Début de l’article d’Octave Mirbeau, correspondant exactement à l’extrait noté par Paul Léautaud

248   L’Intruse a été représentée au théâtre du Vaudeville lors de deux matinées consécutives organisées au bénéfice de Paul Gauguin et de Paul Verlaine, en même temps que quelques autres pièces courtes. Voir aussi dans le tome III la note à propos de Charles Van Leberghe.

249   La Princesse Maleine, L’Intruse et Les Aveugles ont été réunis dans un premier volume de Théâtre en 1901 par l’inévitable Paul Lacomblez, associé pour la France à Per Lamm, sept rue de Lille à Paris. Rien n’indique que les deux dernières pièces aient été éditées séparément. Les Aveugles — comme L’Intruse — a fait partie de quelques représentations d’un ensemble de courtes pièces de différents auteurs.

250   Maurice Maeterlinck, Les Sept Princesses, drame en un acte, Lacomblez, distribué en France par Calmann-Lévy, automne 1891, 65 pages. Les Sept Princesses a été jouée le dix avril 1892 à Passy, dans le salon de l’hôtel du conseiller d’État Georges Coulon, sous forme de spectacle de marionnettes. Lire le très intéressant article de Maria Einman : « De l’événement social à l’événement intime : la réception critique de la première création de Pelléas et Mélisande aux Bouffes-Parisiens », Textyles, revue des Lettres belges de langue française.

251   L’Ornement des noces spirituelles est considéré comme le principal ouvrage de Jan Van Ruysbroeck (1293-1381). Avant cette traduction parue chez Paul Lacomblez en 1891 (298 pages), Maurice Maeterlinck avait publié en 1889 un article « Ruysbroek l’admirable » dans La Revue générale (belge), correspondant à peu près à notre revue Esprit.

252   Maurice Maeterlinck, Le Trésor des humbles, treize essais mystiques, Mercure de France 1896, 309 pages.

253   Maurice Maeterlinck, La Sagesse et la destinée, dédiée à Georgette Leblanc, Charpentier-Fasquelle 1898, 313 pages. Georgette Leblanc (1869-1941) est la sœur cadette du romancier Maurice Leblanc, le créateur d’Arsène Lupin. C’est son amant Camille Mauclair* qui lui fit connaître Maurice Maeterlinck, dont elle fut la compagne, délaissant ainsi le pauvre Camille. L’histoire a retenu la brouille entre Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, Georgette Leblanc espérant le rôle de Mélisande (1902) et ne l’obtenant pas (ce rôle sera tenu par l’écossaise Mary Garden). Georgette Leblanc a écrit Le Choix de la vie, roman autobiographique paru chez Charpentier en 1904. Voir Maxime Benoît Jeannin, Georgette Leblanc (1869-1941), Le Cri (Bruxelles), 1999, 581 pages, signalé dans le Cahier Paul Léautaud numéro 25, page 55 (janvier/juin 1999).

254   Maurice Maeterlinck, Le double jardin, dédié à son ami Cyriel Buysse, seize essais, Charpentier-Fasquelle 1904, 297 pages. Cyriel Buysse (1859-1932), romancier et auteur dramatique belge d’expression néerlandaise.

255   Maurice Maeterlinck, La Vie des abeilles, Charpentier-Fasquelle 1901, 311 pages.

256   Maurice Maeterlinck, Le Temple enseveli, Charpentier-Fasquelle 1902, 308 pages.

257   Lugné-Poe (Aurélien Lugné, 1869-1940), comédien, metteur en scène et directeur de théâtre. Fondateur du Théâtre de l’Œuvre, il est, avec André Antoine et Firmin Gémier, l’artisan d’un renouveau du théâtre français en cette fin du XIXe siècle. Le tiret à Lugné-Poe est souvent omis. On raconte que c’est par admiration pour Edgar Poe qu’Aurélien Lugné a accolé son nom au sien.

Portrait de Lugné Poe par le sculteur Paul Belmondo (1898-1982) sur la facade du théâtre de l’œuvre (photographie de novembre 2022).
On peut observer le tréma fautif

258   Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande, dédié à Octave Mirbeau « en témoignage d’amitié, d’admiration et de reconnaissance profondes ». Paul Lacombiez 1892, 159 pages. La pièce a été créée l’année suivante, le 17 mai 1893 pour une seule matinée. Il semble que Claude Debussy ait été dans la salle. À la demande de Claude Debussy, Maurice Maeterlinck a écrit le livret pour le « drame lyrique » en cinq actes et douze tableaux qui a été créé le trente avril 1902 à l’Opéra sous la direction d’André Messager.

259   Maurice Maeterlinck, Annabella (‘t is pity she’s a whore), drame en cinq actes de John Ford, traduit et adapté pour la troupe du théâtre de L’Œuvre par Maurice Maeterlinck. La première représentation a eu lieu le six novembre 1894 au Nouveau théâtre (actuel Théâtre de Paris) dans une mise en scène de Lugné-Poe avec lui-même dans le rôle de Giovanni, et Berthe Bady. Après l’entracte de cette première représentation — à laquelle assistait Paul Léautaud — Marcel Schwob a prononcé une conférence sur la pièce. Le texte de cette conférence est paru dans le numéro du Mercure de décembre 1894 page 323 (douze pages) et aussi en tiré à part. Le texte de la pièce est paru chez Paul Ollendorff au début de l’année suivante (81 pages). John Ford (1586-1640), poète et auteur dramatique, a écrit ‘t is pity she’s a whore vers la fin des années 1620. La pièce a été publiée en 1633. Il s’agit d’une histoire d’inceste entre frère et sœur.

260   Ces « Trois petits drames pour marionnettes » ont été publiés en un volume chez Edmond Deman à Bruxelles en 1894. Alladine et Palomides, drame en cinq actes, est dédié à Camille Mauclair. Intérieur, drame en un acte, a été créé le quinze mars 1895.

261   Intérieur a été créé à la Comédie-Française en 1919 dans une mise en scène de Maurice de Féraudy avec lui-même et Berthe Bovy.

262   Novalis, Les Disciples à Saïs, récit d’éducation, 1798. Il s’agit de la première traduction française. Les Disciples à Saïs et Les Fragments de Novalis, traduits de l’allemand et précédés d’une introduction, Lacomblez 1895. Saïs est une ville disparue de l’ancienne Égypte.

263   La source la plus avisée et la plus précise concernant ces Fragments est l’article de Marie-Christine Barillaud, « Lecture des Fragments de Novalis » paru dans le numéro treize des Cahiers de Fontenay de 1979 (il s’agit de l’ENS Fontenay/Saint-Cloud) (https ://is.gd/mXsPNC).

264   Maurice Maeterlinck, Le Grand Secret, Charpentier-Fasquelle 1921. Ce « Grand secret » est en fait l’étude de religions orientales.

265   Maurice Maeterlinck, Les Sentiers dans la Montagne, Charpentier-Fasquelle 1919, 306 pages. C’est cette année 1919, en février, que Maurice Maeterlinck (né en 1862) a épousé la comédienne Renée Dahon (1897-1969), de 35 ans sa cadette. Son beau-père, armateur né en 1869, a sept ans de moins que lui.

266   Maurice Maeterlinck, La Vie des termites, Charpentier-Fasquelle 1926, 219 pages. Après La Vie des abeilles (note 255) Maurice Maeterlinck complètera une trilogie avec La Vie des fourmis (Charpentier-Fasquelle 1930), non cité dans cette notice.

267   Maurice Maeterlinck, Monna Vanna, drame en trois actes, Charpentier-Fasquelle 1902, 116 pages. La création de la pièce a eu lieu, pour quatre représentations, au Nouveau théâtre la même année 1902, le 17 mai (générale le quinze) avec Georgette Leblanc (qui faisait ici ses débuts) dans le rôle-titre, Jean de Froment (son époux) et Lugné-Poe, père de Monna Vanna. La pièce a été reprise à la Comédie Française le samedi quinze décembre 1923 (générale, première le 17). Pour cette reprise, lire l’article de Robert de Flers au bas de la une du Figaro du 31 décembre 1923.

268   Maurice Maeterlinck, Joyzelles, drame en cinq actes, Charpentier-Fasquelle 1903, 183 pages. La pièce, écrire avec et pour Georgette Leblanc a été créée au théâtre du Gymnase le vingt mai de la même année dans un silence poli. Pour la reprise, à Bruxelles en 1992, voir Le Monde du 28 avril 1992.

269   Thomas Carlyle (1795-1881), écrivain et historien britannique. Entre novembre 1895 et février 1897 sont parus dans le Mercure douze textes « Sartor resartus — Vie et opinions de Thomas Carlyle ». En 1909 au Mercure de France est paru de Thomas Carlyle : Nouveaux essais choisis de critique et de morale (328 pages).

270   La revue Les Hommes d’aujourd’hui éditée par Léon Vanier, n’est pas datée. Dans le numéro 434 réservé à Maurice Maeterlinck, seule apparait l’indication « 9e volume », qui est peut-être de 1893. Ce magazine paraissait sur quatre pages et traitait d’une personnalité. La couverture étant entièrement réservée au titre et à un dessin (souvent une caricature) du personnage. Ci-dessous la couverture du numéro pour Maurice Maeterlinck.

271   Cette maison, 69 rue Raynouard, n’existe plus.

272   Cette abbaye se trouve à 35 kilomètres au nord-ouest de Rouen.

Maurice Magre273
1877

Maurice Magre par Édouard Chimot en 1922

M. Maurice Magre est né à Toulouse le 2 mars 1877. Après avoir quitté cette ville pour habiter successivement La Rochelle et Villefranche de Lauraguais, il y revint bientôt, et fonda, en 1894, Les Essais d’Art jeune274, la première revue littéraire parue à Toulouse, puis, en 1898, L’Effort275, qui groupa dans une idée commune tous les jeunes écrivains de la province. Il en abandonna peu après la direction pour venir se fixer à Paris. La première œuvre de M. Maurice Magre fut une plaquette de vers : Éveils276, écrite et publiée en 1895 avec la collaboration de son frère André Magre277, et qu’il fit suivre d’une pièce lyrique représentée à Toulouse, au Théâtre du Capitole, le 27 avril 1896(278). Son premier recueil important fut La Chanson des Hommes279, paru en 1898, et dans lequel il réunit la plupart des poèmes qu’il avait publiés dans des revues. Ce n’était encore que l’œuvre d’un tout jeune homme, d’une inspiration encore peu ordonnée, mais sincère, pleine de générosité et de l’amour candide de la vie. « J’ai mis dans ce livre, écrivait M. Maurice Magre dans sa préface, ma foi à la vie, à la bonté des hommes… Puisse-t-il aller à tous ceux qui cherchent comme moi les routes de l’existence future. Trop heureux serais-je, si, une seule fois, dans une pauvre maison, mes vers portaient quelque douceur à un cœur simple. » Depuis, la vie a mûri M. Maurice Magre, lui a donné de la réflexion, de l’observation, et son talent, toujours fait de sincérité, de passion, y a gagné comme lui, en force et en émotion, on le constate à lire ses nombreux recueils : Le Poème de la Jeunesse280, Les Lèvres et le Secret281, La Porte du Mystère282. M. Maurice Magre a écrit aussi des romans dont les titres : L’appel de la bête, Priscilla d’Alexandrie, La luxure de Grenade283, sont assez significatifs d’une littérature un peu particulière. Au théâtre, il a donné plusieurs pièces, en un ou plusieurs actes, dont on trouvera les titres plus loin284. Enfin, témoignage que le poète se double chez lui, dès sa jeunesse, d’un observateur, il a publié un petit livre : Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire de la littérature à Paris285, qui semble bien contenir toute sa propre histoire. M. Maurice Magre a collaboré au Mercure de France286, à L’Ermitage, au Mouvement, fondé par lui en 1906, aux Lettres, au Journal, à La Petite République, à Messidor, à L’Action, etc. Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1913(287).


273   Maurice Magre est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition en 1900. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever qui écrivait alors « M. Maurice Magre est un poète de vingt-deux ans, il peut tenir ici la place des derniers venus. » Hormis cette phrase, ce texte a été peu modifié dans les éditions suivantes.

274   Plutôt Essais de jeunes, revue fondée par Emmanuel Delbousquet, parue à Toulouse de 1892 à 1895.

275   L’Effort, littéraire, artistique et social. Revue « fédérale » mensuelle parue de mars 1896 à août 1905. Le numéro de janvier 1900 (118 pages) indique un R. de Miranda comme directeur et une adresse à Paris. Pour ces deux revues, voir Colette Zytnicki, « Entre l’ambition provinciale et la nécessité parisienne : deux revues poétiques toulousaines, Essais de Jeunes et L’Effort (1892-1898) » dans Les Annales du Midi, numéro 196, 1991 (https ://is.gd/wcYHUB).

276   Maurice Magre, Éveils, Imprimerie Vialette et Pierry, Toulouse 1895, 46 pages.

277   André Magre (1873-1949), préfet du Tarn en 1918, préfet des Vosges en 1921, préfet de Meurthe-et-Moselle de 1923 à 1931, Conseiller d’État en 1933.

278   Maurice Magre, Le Retour, pièce lyrique en un acte et en vers, Toulouse 1896, 24 pages.

279   Maurice Magre, La Chanson des Hommes, Charpentier-Fasquelle 1898, 221 pages.

280   Maurice Magre, Le Poème de la Jeunesse, dédié à son frère, André Magre, Charpentier-Fasquelle 1901, 342 pages.

281   Maurice Magre, Les Lèvres et le Secret, accompagné d’un portrait de Maurice Magre par Henry Bataille*, Charpentier-Fasquelle 1906, 258 pages.

Maurice Magre, par Henry Bataille

En 1922 l’éditeur La Bibliothèque des curieux, dans sa collection « les Maîtres de l’amour » a publié un volume de 254 pages : L’Œuvre amoureuse et sentimentale de Maurice Magre contenant les recueils de poésie suivants : Les belles de nuit, Les Soirs d’opium, La Robe arrachée, Les Lèvres et le secret, Soirs de Paris et d’ailleurs.

282   Maurice Magre, La Porte du mystère, Charpentier-Fasquelle 1924, 284 pages.

283   Trois romans de Maurice Magre parus chez Albin Michel en 1920, 1925 et 1926, respectivement de 255, 370 et 312 pages.

284   Rappel : seules les notices (et non les bibliographies) sont reproduites ici.

285   Maurice Magre, Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire de la littérature à Paris, Bernard Grasset 1908, 76 pages. Table des matières : I. De l’hôtel garni ; II. La question d’argent ; III. Importance des habits ; IV. Les maîtresses ; V. Manière de se conduire avec les hommes influents ; VI. Le prestige du monde ; VII. Possibilité de faire fortune par le jeu ; VIII. Les petites annonces : emprunts, beaux mariages, maîtresses désintéressées ; IX. Faut-il avoir une situation ? ; X. La richesse que donne l’amitié ; XI. La force de l’homme joyeux ; XII … [sans titre].

286   41 textes, dont 25 rubriques « Sciences occultes et théosophie » entre 1930 et 1938.

287   La BNF conserve un recueil d’articles nécrologiques de Maurice Magre (mort le onze décembre 1941) parus dans : Le Petit Parisien du 13, Paris-Midi des 13 et 14, L’Œuvre du 17, Les Nouveaux temps du 18 et du 31, Comœdia du 20, La Gerbe du 19 février 1942.

Stéphane Mallarmé288
1842-1898

D’une famille d’origines bourguignonnes, lorraines et lointainement hollandaises, Stéphane Mallarmé naquit à Paris, le 18 mars 1842, dans une rue qui s’appela plus tard passage Laferrière289 et qui est aujourd’hui la rue Laferrière, tournante et silencieuse. Du côté paternel et du côté maternel, ses ascendants présentaient depuis la Révolution une suite ininterrompue de fonctionnaires dans l’administration de l’Enregistrement, chez lesquels le goût des lettres s’était déjà manifesté. L’un d’eux fut, en effet, syndic libraire sous Louis XVI, et l’on trouve son nom au bas du privilège du roi, en tête de l’édition originale française du Vathek de Beckford, que Stéphane Mallarmé réimprima290. Un autre écrivait des vers badins dans les Almanachs des Muses291 et dans les Étrennes pour les Dames292. Enfin, Stéphane Mallarmé avait connu dans son enfance un arrière-petit-cousin, M. Magnien, qui était l’auteur d’un ouvrage romantique : Ange et Démon293, dont on voit quelquefois le titre dans des catalogues de bouquinistes. Stéphane Mallarmé commença son éducation à Auteuil, dans un pensionnat riche, fréquenté surtout par des enfants de familles nobles. Il aimait à raconter sur ce sujet l’anecdote suivante. Le jour qu’il fut amené dans cet établissement par sa grand’mère qui l’avait élevé, — il avait perdu sa mère à sept ans et son père s’était remarié, — l’un des élèves s’approcha et lui présenta, en les nommant, ses nouveaux camarades, qui portaient tous des noms célèbres. Quand cette énumération fut terminée : « Et toi, comment t’appelles-tu ? » lui demanda-t-il. « Je m’appelle Mallarmé. » Aussitôt une grêle de coups de poing s’abattit sur lui, comme pour lui démontrer l’insuffisance d’un nom si simple. Se souvenant alors que son père possédait une maison au Hameau de Boulainvilliers294, il s’empressa d’ajouter « Je m’appelle aussi marquis de Boulainvilliers », ce qui eut pour résultat d’éteindre immédiatement toute animosité. Les mains se tendirent cordialement vers le « Marquis de Boulainvilliers » et ce nom lui resta pendant tout son séjour au pensionnat. Les jours de visite des parents, le garçon chargé de faire venir les élèves ne l’appelait pas autrement, et il laissait toujours s’écouler un moment avant de se montrer, pour que sa grand’mère ne sût pas qu’une si noble appellation le concernait. Stéphane Mallarmé traversa ensuite bien d’autres pensions et lycées, pour finir enfin ses études au lycée de Sens. Il a raconté quelque part ses dispositions littéraires à cette époque, son secret désir de remplacer un jour Béranger295, rencontré dans une maison amie, et qu’on lui avait désigné comme un grand poète. « Il parait que c’était trop difficile pour être mis à exécution, ajoutait-il, mais j’ai longtemps essayé, dans cent petits cahiers de vers qui m’ont toujours été confisqués. » À vingt ans, esquivant la carrière de fonctionnaire à laquelle ses parents le destinaient, il partit vivre quelque temps en Angleterre. Il avait commencé à apprendre l’anglais pour mieux lire Poe, et il voulait se perfectionner dans cette langue, de façon à pouvoir se créer comme professeur les ressources nécessaires à assurer son indépendance littéraire. C’est ainsi que, pendant trente ans, de 1862 à 1892, il fut professeur d’anglais dans divers collèges ou lycées, d’abord à Tournon296, puis à Besançon, puis à Avignon, où il connut Mistral297, Aubanel298, Roumanille299, Gras300 et Roumieux301, avec lesquels il participa au mouvement félibréen302. Cela se passait avant la guerre. Stéphane Mallarmé avait déjà collaboré à de nombreuses revues, mais son nom n’était guère sorti du groupe des Parnassiens. Rentré à Paris vers 1873, il fut peu après nommé professeur au lycée Condorcet303, d’où il devait passer plus tard à Janson-de-Sailly304, puis à Rollin305. De 1874 à 1875, Stéphane Mallarmé rédigea seul La Dernière Mode, Gazette du Monde et de la Famille, « où étaient promulgués les lois et vrais principes de la vie tout esthétique, avec l’entente des moindres détails : toilettes, bijoux, mobiliers et jusqu’aux spectacles et menus de dîners ». Une notice détaillée sur cette publication, qui eut huit ou dix numéros, a paru en 1890 dans la Revue Indépendante et a été reproduite dans le Mercure de France d’octobre 1898(306). C’est également à cette époque que Stéphane Mallarmé, sur l’invitation que lui fit son maitre et ami Théodore de Banville, d’écrire un poème qui serait récité par Coquelin aîné307, composa L’Après-midi d’un Faune308, dont le projet de réalisation théâtrale n’aboutit pas. Une des grandes amitiés de Stéphane Mallarmé dans ce temps fut le peintre Manet, que, pendant dix ans, il vit tous les jours. Avec lui, il fréquentait les dîners de Victor Hugo, où celui-ci trônait, assis sur un siège plus haut que ceux de ses convives. Il rappelait volontiers la façon dont l’auteur d’Hernani l’accueillait chaque fois, l’appelant « son cher poète impressionniste » en lui pinçant très amicalement l’oreille. À cette époque, Stéphane Mallarmé avait déjà publié sa traduction du Corbeau309, d’Edgar Poe, L’Après-midi d’un Faune et sa réimpression du Vathek, de Beckford. Il avait aussi donné dans de nombreuses revues quantité de poèmes, comme Le Guignon, Les Fenêtres, Les Fleurs, Renouveau, À celle qui est tranquille, Las de l’amer repos où ma paresse offenseLe Sonneur, Tristesse d’Été, L’Azur, Brise marine, Soupir, Le Mendiant, Hérodiade, Toast funèbre, Le Tombeau d’Edgar Poe, et des poèmes en prose tels que La Pipe, Le Petit Saltimbanque, Le Démon de l’analogie, Plainte d’automne, Frisson d’hiver, Le Spectacle interrompu et Le Phénomène futur. Mais les premiers publiés dans des éditions de luxe fort coûteuses et les seconds trop dispersés, tout cela était peu connu et Stéphane Mallarmé demeurait ignoré. Enfin, en 1884, J.-K. Huysmans publia son roman À Rebours, dont le héros, Jean des Esseintes, épris de littératures vraiment belles, et que « subjuguait de même qu’un sortilège » l’Hérodiade de Stéphane Mallarmé, « en aimait ces vers :

.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    O miroir !
Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée,
Que de fois et pendant des heures, désolée
Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont
Comme des feuilles sous ta glace au trou profond,
Je m’apparus en toi comme une ombre lointaine.
Mais, horreur ! des soirs, dans ta sévère fontaine,
J’ai de mon rêve épars connu la nudité !

« comme il aimait les œuvres de ce poète qui, dans un siècle de suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l’écart des lettres, abrité de la sottise environnante par son dédain, se complaisant, loin du monde, aux surprises de l’intellect, aux visions de sa cervelle, raffinant sur des pensées déjà spécieuses, les greffant de finesses byzantines, les perpétuant en des déductions légèrement indiquées que reliait à peine un imperceptible fil. » (À Rebours, p. 260(310).)

Il semble que ce soit surtout ce livre qui ait révélé alors Stéphane Mallarmé aux jeunes écrivains de l’époque et qui ait décidé de sa réputation. Ils le proclamèrent leur maître — et il le fut plus encore qu’on l’a dit, plus encore qu’on peut le croire — et lui demandèrent sa collaboration pour leurs revues. En hommage à son admirateur, Stéphane Mallarmé écrivit le poème Prose pour des Esseintes, si musical, si voilé et incertain, que publia La Revue Indépendante311. Puis d’autres poèmes suivirent, en d’autres revues, d’abord les sonnets célèbres : Quelle soie aux baumes de temps…, Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui…, Hommage à Richard Wagner, M’introduire dans ton histoire…, Toujours plus souriant au désastre plus beau…, etc…, etc…, puis de nouveaux poèmes en prose. C’est de cette époque que datent les mardis de la rue de Rome, où Stéphane Mallarmé recevait les jeunes écrivains312. « Ceux-là seuls qui vinrent assidûment visiter sa retraite savent quel lucide, quel inquiétant esthète fut Stéphane Mallarmé, a écrit Bernard Lazare313 dans ses Figures contemporaines314. Pour connaître les ressources de cet esprit d’une netteté inoubliable315, il faut avoir entendu sa parole pendant des années. Le souvenir des soirées de la rue de Rome restera toujours dans la mémoire de ceux que Stéphane Mallarmé admit auprès de lui, dans ce salon discrètement éclairé, auquel des coins de pénombre donnaient un aspect de temple, ou plutôt d’oratoire316. À ces auditeurs fidèles, Mallarmé se révélait d’une séduction infinie, soit qu’il se plût à dire une anecdote,… soit qu’il s’oubliât à rappeler des amis chers et disparus, soit qu’il exposât de séduisantes et hautaines doctrines sur la poésie et sur l’art, sur le poème en prose et sur la chronique, sur la musique et sur le théâtre… Plus tard, ceux qui auront connu Stéphane Mallarmé dans leur prime jeunesse, ceux qui l’auront aimé comme un des plus purs, des plus désintéressés parmi les poètes, ceux qui l’auront entendu et qui auront chéri sa parole, raconteront sa vie comme le bon Xénophon raconta celle de Socrate. Fidèles, scrupuleux, ils commenteront vers par vers ses sonnets, et cela dans le but unique de révéler aux jeunes hommes de ce temps futur quel noble, profond et merveilleux artiste fut Stéphane Mallarmé. » (B. Lazare Figures contemporaines.) Ces auditeurs fidèles, on peut même dire ces disciples, car l’expression « être en première, en deuxième, en troisième de Mallarmé » était courante entre eux, furent d’abord, sans que nous prétendions les nommer tous au complet, MM. Édouard Dujardin*, Théodore Duret317, Félix Fénéon, René Ghil*, Gustave Kahn*, Jules Laforgue*, Albert Mockel*, Charles Morice318, Henri de Régnier*, Laurent Tailhade*, Francis Viélé-Griffin*, Charles Vignier319, Théodor de Wyzewa, etc., etc. « … La causerie naissait vite320. Sans pose, avec des silences, elle allait d’elle-même aux régions élevées que visite la méditation. Un geste léger commentait ou venait souligner ; on suivait le beau regard, doux comme celui d’un frère aîné, finement sourieur, mais profond, et où il y avait parfois une mystérieuse solennité. Nous passions là des heures inoubliables, les meilleures sans doute que nous connaîtrons jamais ; nous y assistions, parmi toutes les grâces et toutes les séductions de la parole, ce culte désintéressé des idées qui est la joie religieuse de l’esprit, Et celui qui nous accueillait ainsi était LE TYPE ABSOLU DU POÈTE, le cœur qui sait aimer, le front qui sait comprendre, — inférieur à nulle chose et n’en dédaignant aucune, car il discernait en chacune un secret enseignement ou une image de la Beauté… » (Alb. Mockel : Stéphane Mallarmé, Un Héros.) Puis quelques-uns quittèrent, et à ceux qui restaient vinrent se joindre MM. Paul Claudel, André Fontainas*, André Gide, A.-Ferdinand Herold*, Pierre Louÿs*, Camille Mauclair*, Stuart Merrill*, Jean de Mitty321, John Payne322, Adolphe Retté*, Marcel Schwob, Paul Valéry, Whibley323, etc. Tout cela dura jusque vers 1895, un peu plus, peut-être. Stéphane Mallarmé avait d’ailleurs obtenu sa retraite comme professeur et dans sa petite maison de Valvins324, au bord de la Seine, près de Fontainebleau, dont il avait fait « le lieu préféré de sa solitude et de sa rêverie325 », il séjournait plus assidûment, et plus souvent s’apercevait sur la rivière « le vol blanc de sa voile326 ». Les travaux de Stéphane Mallarmé à cette époque furent successivement un florilège de ses œuvres : Vers et Prose327, paru en 1893, des études publiées dans La Revue blanche sous le titre : Variations sur un sujet328, et qu’on retrouve avec tous ses écrits en prose dans Divagations329, et enfin ; Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, poème en prose, singulier autant par sa teneur que par ses dispositions typographiques, paru dans Cosmopolis330 en mai 1897. Mais ces années de repos et de liberté dans le travail littéraire ne devaient pas être nombreuses. En 1898, Stéphane Mallarmé, retiré pour tout l’été à Valvins, travaillait à achever son poème Hérodiade331, quand une soudaine maladie du larynx le prit, et après trois jours à peine de cette indisposition, au moment même où il se plaignait d’étouffements au médecin qui le soignait, il mourut, le 9 septembre 1898. On ne saurait dire toute la douloureuse surprise que cette mort causa dans le monde des lettres, chez les jeunes admirateurs de Stéphane Mallarmé comme chez les écrivains de sa génération332. « Cet homme qui vient de mourir, écrivirent MM. Paul et Victor Margueritte, et que les jeunes gens avaient appelé durant sa vie le prince des poètes, était vraiment un prince. Il l’était de par sa nature élégante et hautaine, qui donnait tant de grâce fière au moindre de ses gestes, tant de finesse à son sourire, tant d’autorité à son beau regard lumineux. Il l’était de par cette maîtrise de soi, empreinte à chaque ligne de son œuvre comme à chaque ride de son front, de par cette aristocratie absolue qui le faisait vivre à l’écart, et qui, à peine surgissait-il en quelque réunion, le désignait, le consacrait. Il l’était de par tout son être exquis et rare. » (Écho de Paris, 17 septembre 1898.) Nous ne saurions songer non plus à donner un aperçu, même très court, des nombreux articles et études écrits sur Stéphane Mallarmé et son œuvre, avant comme après sa mort. Voici un passage d’une étude de M. Remy de Gourmont* dans La Culture des idées333 et où l’œuvre du poète est analysée de façon très pénétrante, par un de ses fidèles admirateurs. « Il y a au Louvre334, dans une collection ridicule, par hasard une merveille, une Andromède, ivoire de Cellini. C’est une femme effarée, toute sa chair troublée par l’effroi d’être liée : où fuir ? et c’est la poésie de Stéphane Mallarmé. Emblème qui convient encore, puisque, comme le ciseleur, le poète n’acheva que des coupes, des vases, des coffrets, des statuettes. Il n’est pas colossal, il est parfait. Sa poésie ne représente pas un large trésor humain, étalé devant la foule surprise ; elle n’exprime pas des idées communes et fortes, et qui galvanisent facilement l’attention populaire engourdie par le travail ; elle est personnelle, repliée comme ces fleurs qui craignent le soleil ; elle n’a de parfum que le soir ; elle n’ouvre sa pensée qu’à l’intimité d’une pensée cordiale et sûre. Sa pudeur trop farouche se couvrit de trop de voiles, c’est vrai ; mais il y a bien de la délicatesse dans ce souci de fuir les yeux et les mains de la popularité. Fuir, où fuir ? Mallarmé se réfugia dans l’obscurité comme dans un cloître ; il mit le mur d’une cellule entre lui et l’entendement d’autrui ; il voulut vivre seul avec son orgueil. Mais c’est là le Mallarmé des dernières années, lorsque, froissé, mais non pas découragé, il se sentit atteint de ce dégoût des phrases vaines qui jadis avait touché Jean Racine ; lorsqu’il se créa, pour son usage propre, une nouvelle syntaxe, lorsqu’il usa des mots selon des rapports nouveaux et secrets. Stéphane Mallarmé a relativement beaucoup écrit et la plus grande partie de son œuvre n’est entachée d’aucune obscurité ; mais dans la suite et la fin, à partir de la Prose pour des Esseintes, s’il y a des phrases douteuses ou des vers irritants, un esprit inattentif et vulgaire redoute seul d’entreprendre une conquête délicieuse. Il y a trop peu d’écrivains obscurs en français ; ainsi nous nous habituons lâchement à n’aimer que des écritures aisées, et bientôt primaires. Pourtant, il est rare que les livres aveuglément clairs vaillent la peine d’être relus… La littérature qui plait aussitôt à l’universalité des hommes est nécessairement nulle… L’œuvre de Mallarmé est le plus merveilleux prétexte à rêveries qui ait encore été offert aux hommes fatigués de tant d’affirmations lourdes et inutiles : une poésie pleine de doutes, de nuances changeantes et de parfums ambigus, c’est peut-être la seule où nous puissions désormais nous plaire ; et si le mot décadence résumait vraiment tous ces charmes d’automne et de crépuscule, on pourrait l’accueillir et en faire même une des clefs de la viole : mais il est mort, le maître est mort, la pénultième est morte335. » (Stéphane Mallarmé et l’idée de décadence.)

288   Stéphane Mallarmé est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition en juin 1900 alors qu’il était mort près de deux ans plus tôt, le neuf septembre 1898. Lire le Journal de Paul Léautaud au dix septembre 1898. Voir aussi au seize janvier 1900 la visite que Paul Léautaud a rendu aux « dames Mallarmé » (sa veuve et sa fille) dans le but d’obtenir des renseignements pour la publication de cette notice : « J’ai donc pénétré dans l’exquis petit appartement où vécut Mallarmé et dans lequel je devais aller lui rendre visite, conduit par Valéry, si sa mort soudaine n’était survenue. »

289   Le passage Laferrière a ainsi été ouvert en 1832 et renommé en rue Laferrière en 1882, quarante ans après la naissance de Stéphane Mallarmé et deux ans avant le jour où un jeune Paul Léautaud de huit ans retrouva sa mère dans un hôtel de ce passage. Stéphane Mallarmé est né au numéro douze, dans l’arrondi de la rue.

290   William Beckford (1760-1844), écrivain et parlementaire, fils d’un maire de Londres. William Beckford a beaucoup voyagé pour cette époque, en France, en Suisse et en Italie. Il est surtout connu pour son roman Vathek, écrit directement en français et publié à Lausanne en 1787. Le livre a été traduit en anglais contre sa volonté et publié à Londres l’année précédente, avant l’édition de Lausanne. L’édition de Lausanne a été rapidement suivie d’une édition française chez Claude Poinçot (190 pages) comprenant des variantes. En 1819 une traduction de l’édition anglaise (!) est parue en France sous le titre Histoire du calife Vathek en deux volumes de 160 et 134 pages chez Anthelme Boucher, imprimeur libraire à Paris. C’est enfin en 1876 qu’est paru « Le Vathek de Berkford » « Réimprimé sur l’édition française originale avec préface par Stéphane Mallarmé » tiré à 120 exemplaires « paraphés et numérotés » chez Adolphe Labitte, libraire de la Bibliothèque nationale, édition introduite par quarante pages de préface de Stéphane Mallarmé.

291   Almanach des Muses, revue annuelle de poésie fondée en 1765 par l’écrivain et journaliste Claude-Sixte Sautreau de Marsy (1740-1815), qui a compilé de nombreux recueils. Dans le Mercure de France (ancien) de janvier 1812, on peut lire la présentation de l’almanach de cette année : « Un vol. in-12 de 312 pages, petit papier, orné d’une belle gravure et d’un frontispice gravé, avec un joli fleuron, dont l’un représente Eginhard et Imma surpris par Charlemagne ; et l’autre, l’Aurore annonçant la naissance du roi de Rome. / Depuis près d’un demi-siècle, l’Almanach des Muses se charge du soin de transmettre aux amateurs de la littérature les poésies légères de nos plus célèbres et de nos plus aimables écrivains. Le succès mérité dont cet almanach a joui pendant trente ans, ouvrit le champ aux spéculations : de l’Almanach des Muses sont nés les grands et petits Almanachs des Dames, les Étrennes lyriques, les Étrennes d’Apollon, etc. […] » Dans son Tableau de Paris, Louis Sébastien Mercier (1740-1814) donne un chapitre (495) traitant de cet almanach : « C’est une corbeille de fleurs poétiques, que frère-quêteur au Parnasse offre tous les ans au public. On appelle ainsi le rédacteur, parce que pendant toute l’année il sollicite les faveurs des enfants d’Apollon, qui contribuent de leurs travaux à former son recueil et son patrimoine. Il vit de sa quête. »

292   À l’évidence, Paul Léautaud, pour au moins le début de cette chronique, s’est inspiré de celle que Verlaine avait écrite dans Les Hommes d’aujourd’hui de février 1887 et reproduit à la page 345 du tome V des Œuvres complètes de Paul Verlaine sous-titré « Biographies de poètes et littérateurs », paru chez Léon Vanier (Albert Messein, successeur) en 1905. Léon Vanier était l’éditeur des Hommes d’aujourd’hui. Paul Verlaine évoque peut-être les Étrennes nationales de dames, par Monsieur de Pussy et une société de gens-de-lettres, (huit pages) parue le trente novembre 1789. Il ne semble pas que d’autres numéros aient paru.

293   Édouard Magnien (1795-1864), Mortel, ange ou démon, Spachmann 1836, deux tomes de 346 et 386 pages.

294   Ce hameau de Boulainvilliers est un quadrilatère privé de cent mètres sur 250, compris entre la rue du Ranelagh au nord, la rue de l’Assomption au sud, la rue de Boulainvilliers à l’est et une école à l’ouest.

295   Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier particulièrement populaire.

296   Tournon-sur-Rhône, à une vingtaine de kilomètres au nord de Valence.

297   Frédéric Mistral (1830-1914), écrivain et lexicographe occitan, fondateur, aux côtés notamment d’Aubanel et de Roumanville (objets des notes suivantes) du Félibrige, association de sauvegarde et de promotion et la langue d’Oc. Mireille, poème provençal en langue d’Oc, publié en 1859 vaudra à Frédéric Mistral le prix Nobel en 1904. C’est ici le seul endroit de l’œuvre de Paul Léautaud où Mistral est évoqué. Il n’en parlera jamais dans son Journal.

298   Théodore Aubanel (1829-1886), imprimeur et poète provençal.

299   Joseph Roumanille (1818-1891), écrivain provençal. Professeur au collège Dupuy à Avignon où il a rencontré Frédéric Mistral qui était alors un de ses élèves.

300   Félix Gras (1844-1901), juriste et poète provençal. Sa sœur, Rose-Anaïs (1841-1920), poète également, a épousé Joseph Roumanille en 1863.

301   Louis Roumieux (1829-1894), poète provençal.

302   Ce mouvement, aussi nommé félibrige, a émergé au milieu du XIXe siècle. Il promeut la culture languedocienne.

303   Ce lycée, formé sur le couvent des Capucines de la chaussée d’Antin a changé huit fois de de nom en quatre-vingt ans ce qui fait qu’on ne sait jamais trop comment le nommer selon les époques. Après avoir été Bonaparte (deux fois) il a été Condorcet en 1870, puis Fontanes en 1874 puis de nouveau Condorcet en 1883 jusqu’à nos jours.

304   Le lycée Janson-de-Sailly a ouvert pour la rentrée d’octobre 1884 et il fallait bien trouver des professeurs. Stéphane Mallarmé y a enseigné dès la première année.

305   Le lycée Rollin de l’avenue Trudaine, dans le IXe arrondissement de Paris a été renommé Jacques Decour à la Libération, du nom d’un de ses professeurs, résistant.

306   Page 276, sous la plume de Remy de Gourmont (six pages) : « “La Dernière Mode, gazette du monde et de la famille. Directeur : Marasquin.” Huit pages […], tachetées, çà et là, de vignettes dessinées par Morin ; après quinze ans, archaïques. / La première livraison des datée du 6 septembre 1874. Comme les suivantes, elle s’orne de figurines, les unes noires, les autres coloriées. » En 1978 ces numéros ont été réunis en volume par Ramsay (112 pages), ce qui nous permet d’apprendre que cette revue est parue du six septembre 1874 au vingt décembre suivant, était donc hebdomadaire et a vécu le temps de seize numéros.

307   Constant Coquelin (1841-1909), dit Coquelin aîné (par rapport à son frère Ernest), est l’un des comédiens les plus notoires de son temps pour avoir créé le rôle de Cyrano de Bergerac. Après son premier prix de comédie au conservatoire en 1860, Constant Coquelin a débuté à la Comédie-Française la même année et en est devenu sociétaire en 1864 pour la quitter en 1886 et y revenir en 1891 comme pensionnaire. En 1895, Constant Coquelin entre au théâtre de la Renaissance, puis prend la direction du théâtre de la Porte-Saint-Martin avec son fils Jean, jusqu’en 1901 où il laisse cette direction à son fils seul. En 1897, il y crée le rôle de Cyrano de Bergerac, ce qui lui assure une gloire éternelle. En 1911, son nom a été donné à une avenue à Paris (en fait une impasse prenant sur le boulevard des Invalides). Constant Coquelin est le fondateur de la maison de retraite des vieux comédiens de Pont-aux-Dames, au sud de Meaux.

308   Stéphane Mallarmé, L’Après-midi d’un Faune, églogue en cent-dix alexandrins, illustré de quatre bois d’Édouard Mannet. Feuilles libres, impression à 195 exemplaires, dont vingt sur japon. Alphonse Derenne 1876. François Coppée et Anatole France parvinrent à convaincre Alphonse Lemerre de ne pas inclure ce poème dans le dernier volume du Parnasse contemporain. Stéphane Mallarmé prit alors la décision de le publier séparément et fit appel à Alphonse Derenne (qu’on ne confondra pas ici avec Charles Derennes*).

309   Ce Corbeau est paru en janvier 1845 dans un quotidien new yorkais. Il a été traduit en français par un anonyme à l’occasion d’un article de l’éditeur Auguste Poulet-Malassis sur Edgar Poe paru dans le Journal d’Alençon le neuf janvier 1853, premier d’une longue série (L’Artiste en mars, Le Pays en juillet 1854, Le Mousquetaire en janvier 1856…) La traduction de Charles Baudelaire est parue dans La Revue de Paris du quinze mars 1869, celle d’Eugène Goubert en un volume de huit pages en mars 1869 et enfin celle de Stéphane Mallarmé en 1875 chez Richard Lesclide, avec des illustrations d’Édouard Manet. Cette traduction a été reprise dans un volume de Poèmes d’Edgar Poe par Léon Vanier en 1889 (tirage à 850 exemplaires de 197 pages).

Envoi de Stéphane Mallarmé à son “cher Maurras”, sur un papier qui, à l’évidence, bave un peu
(pour des raisons de place les lignes ont été rapprochées)

310   Fin du chapitre 13.

311   La Revue Indépendante de décembre 1885 : « Hyperbole ! de ma mémoire / Triomphalement ne sais-tu / Te lever aujourd’hui grimoire / Dans un livre de fer vêtu : / Car j’installe, par la science, / L’hymne des cœurs spirituels / En l’œuvre de ma patience, / Atlas, herbiers et rituels. »

312 Stéphane Mallarmé habitait au 89 rue de Rome, face aux voies ferrées de la gare Saint-Lazare, en contrebas de la rue.

Le 89 rue de Rome (pas l’immeuble d’angle mais le suivant avec la boutique verte) et les voies de la gare Saint-Lazare en contrebas.
Le toit pointu au fond à gauche derrière les arbres est la tour d’angle du lycée Chaptal avec le boulevard des Batignolles.

313   Bernard Lazare (Lazare Bernard, 1865-1903), critique littéraire, journaliste politique et polémiste fut, dit-on, « le premier dreyfusard ». Bien que modérément pratiquant, une grande partie de l’œuvre de Bernard Lazare est orientée dans la défense des Juifs, notamment dans L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, Léon Chaillet, 1894.

314   Bernard Lazare, Figures contemporaines — Ceux d’aujourd’hui, ceux de demain, Perrin 1895 (282 pages). Le texte cité par Paul Léautaud est page 243. La plupart des « figures », toutes littéraires, ont d’abord été publiées dans le supplément littéraire du Figaro. Cet ouvrage a été réédité en 2018 chez Ellug (174 pages).

315   C’est toujours Bernard Lazare qui parle. Paul Léautaud a recueilli de ce texte quelques fragments épars, qui restituent bien le ton de Bernard Lazare.

316   À propos de cet oratoire et de l’intérieur de Stéphane Mallarmé, voir cette photographie assez connue de Stéphane Mallarmé chez lui par Dornac dans la collection « Nos contemporains chez eux ». Dornac est l’anagramme du photographe Paul Cardon (1858-1941).

317   Théodore Duret (1838-1927), critique d’art et grand voyageur. Son portrait par Édouard Manet (1866) est conservé au Petit palais. Lisons un extrait de la notice de cette œuvre : « Après l’exposition tumultueuse de l’Olympia qui fait scandale au Salon de 1865, Manet part en Espagne oublier ce qu’il ressent comme les persécutions de la critique parisienne. Durant ce court séjour, il rencontre par hasard Théodore Duret, attablé au même restaurant. Les nouveaux amis décident de découvrir Madrid ensemble… »

318   On ne confondra pas Charles Morice avec Paul Morisse, qui a été le collègue de Paul Léautaud à partir d’octobre 1908. Charles Morice (1860-1919), écrivain, poète et essayiste. Fils de militaire, élevé dans une famille très chrétienne, Charles Morice, âgé de 22 ans, a quitté la maison paternelle pour fréquenter les milieux anticléricaux de gauche. En 1890 il a fait partie des membres fondateurs du nouveau Mercure de France. Comme pour les autres fondateurs, Paul Léautaud l’a peu évoqué dans son Journal. Dans son Enquête sur l’évolution littéraire (note 239), Jules Huret a écrit de Charles Morice, en ouverture de sa notice, page 83 : « Celui-là, c’est, dit-on, le Cerveau du Symbolisme, Malgré qu’il s’en défende,… »

319   Charles Vignier (1863-1934), poète et orientaliste, collectionneur.

320   Les phrases suivantes proviennent d’Albert Mockel, Stéphane Mallarmé, un héros, Mercure de France 1899, 69 pages (ici page 65).

321   Jean de Mitty (Mircea Barbo Golfineano, 1864-1911), journaliste d’origine roumaine, stendhalien, directeur du magazine Le Cri de Paris. « Dans Claudine s’en va, Willy avait placé le personnage de Jean de Katorzeur, un cerbère à tête de palefrenier, dans lequel on pouvait reconnaître Jean de Mitty qui l’avait provoqué en duel, et blessé [en avril 1903]. Willy dut présenter ses excuses, mais il ne modifia pas son texte. » Colette, Mes vérités, entretiens avec André Parinaud. Colette qualifie Jean de Mitty de romancier mais il n’a jamais écrit de roman, ni même aucun livre, semble-t-il.

322   John Payne (1842-1916), poète anglais ami proche de Stéphane Mallarmé (qu’il a rencontré grâce à Théodore de Banville) et de Théophile Gautier, aussi connu comme traducteur de l’italien ou du français vers l’anglais.

323   Leonard Whibley (1863-1941), poète anglais.

Fragment d’une carte envoyée à Leonard Whibley, vraisemblablement du printemps 1894

324   En 1874 la santé de Stéphane Mallarmé s’est dégradée et il séjournait souvent à Valvins, sur la Seine, à 70 kilomètres au sud de Paris. Dans une auberge dans laquelle il a commencé par louer deux pièces à l’étage, où l’on accédait par un escalier extérieur, puis ensuite quatre autres au rez-de-chaussée. Voir à l’occasion et sans urgence le documentaire de 27 minutes réalisé par Lionel Bernard dans le cadre de la série « une maison, un artiste » diffusé sur France 5 le 31 juillet 2022. On peut regretter les épouvantables dictions des participants.

325   Gérard Walch, Anthologie des poètes français contemporains — Le Parnasse et les Écoles postérieures au Parnasse (1866-1906), tome II, préface de Sully Prudhomme. Delagrave 1906, 555 pages. Stéphane Mallarmé ouvre ce tome II et la phrase citée est page quatre.

326   Article de Paul et Victor Margueritte paru en une de L’Écho de Paris du 17 septembre 1898 à propos de la mort de Stéphane Mallarmé le neuf septembre à Valvins.

327   Stéphane Mallarmé, Vers et prose, morceaux choisis, avec un portrait par James M. N. Whistler, Perrin 1893, 223 pages. Ce recueil est précédé d’un Avant-dire assez méprisant pour le lecteur : « Afin d’obvier à des déprédations et souhaitant se mettre en rapport aisé avec le lettré amateur de publications courantes, M. Mallarmé a imaginé de donner lui-même ce florilège, ou très modeste anthologie, de ses écrits ; à quoi la librairie Perrin voulut apporter ses soins. / Ce petit recueil peut suffire au public. »

Couverture de Vers et prose à laquelle a été juxtaposé le portrait de Stéphane Mallarmé par le peintre et graveur américain James McNeill Whistler (1834-1903), qui a passé plusieurs années à Paris. On ne confondra pas ce recueil avec le « Recueil trimestriel, de littérature » à qui il a donné son nom (l’idée venant de Pierre Louÿs), fondé par Paul Fort en mars 1905.

328   Stéphane Mallarmé, Variations sur un sujet. Ces onze études (dix à l’origine) sont parues sur onze numéros de La Revue blanche de février à novembre 1895 puis le dernier dix mois plus tard dans le numéro de septembre 1896 (page 214).

329   Stéphane Mallarmé, Divagations, « un livre comme je ne les aime pas, ceux épars et privés d’architecture », Charpentier-Fasquelle 1897, 379 pages. Frissons d’hiver, un des poèmes de Divagations sera repris par Stuart Merrill dans Pastels in prose, sa traduction en anglais de poètes français en 1890 (note 368).

Illustration par Harry Whitney McVickar de “Frissons d’hiver” dans Pastels in Prose

330   Cosmopolis, comme son nom l’indique était une revue internationale trilingue (français, anglais, allemand) dont le siège se trouvait chez Armand Colin. Cette revue mensuelle n’est parue que de janvier 1896 à novembre 1998 sans pouvoir clore la troisième année. Le poème de Stéphane Mallarmé est paru dans le numéro 17, de mai 1897 pages 419-427 après deux pages d’« Observations relatives au poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard par Stéphane Mallarmé ».

Première page du Coup de dés dans Cosmopolis

331   Hérodiade, on l’a compris, n’est pas paru en entier du vivant de Stéphane Mallarmé. Hérodiade est donc un poème, inachevé, en trois parties : 1. La Scène, 2. L’Ouverture, 3. Le Cantique de Saint Jean. La première partie a été publiée dans le deuxième Parnasse contemporain d’Alphonse Lemerre sous le titre « Fragment d’une étude scénique ancienne d’un poème de Hériodade ». L’ouverture a été publiée en ouverture du numéro de novembre 1926 de La NRF en hommage à Stéphane Mallarmé. Le titre est « Ouverture ancienne d’Hérodiade ». Le « Cantique de saint Jean », enfin, troisième partie, est paru à la NRF en 1913, treize ans avant la deuxième partie, dans le volume Poésies, sous-titré « Édition complète, comprenant plusieurs poèmes inédits et un portrait ». Le portrait provient de la série réalisée par Nadar entre 1895 et 1897 (selon les sources), où il porte le fameux châle à petits carreaux offert par son amie, la peu chaste Méry Laurent.

332   Mais pas dans les journaux. Le Figaro du dix n’a même pas fait un titre et la nouvelle se trouve dans la rubrique « À travers Paris » qui s’ouvre par des nouvelles de plusieurs ministres (dîners, etc.) avant de réserver 29 lignes à l’événement. Il faudra attendre le numéro du treize pour lire, sur les deux premières colonnes de une, un article de Georges Rodenbach à la hauteur de ce deuil. Dans les autres grands quotidiens nationaux il semble que seul Le Matin ait tenu son rang avec, le dix, un texte plus long et plus riche dans la rubrique nécrologique et un reportage sur l’inhumation le douze dans lequel nous apprenons que « deux cent personnes » étaient présentes le onze à seize heures, dont, dans l’ordre arbitraire donné par le quotidien : Catulle Mendès, Léon Dierx, Édouard Dujardin, Robert Scheffer, Henri de Régnier, Paul Fort, Stuart Merrill, Alfred Jarry, Hugues Rebell, José-Maria de Heredia, Alfred Vallette et Rachilde. « Henri Roujon a prononcé un discours émouvant et sentimental. Paul Valéry a dit quelques mots au nom des jeunes. »

333   Remy de Gourmont, La Culture des idées (Du style ou de l’écriture — La création subconsciente — La dissociation des idées — Stéphane Mallarmé et l’idée de décadence — Le paganisme éternel — La morale de l’amour — Ironies et Paradoxes) Mercure de France, novembre 1900, 320 pages.

334   Page 130.

335   Cette « Pénultième » se trouve dans Vers et prose, deuxième partie, « Prose », cahier « Plusieurs pages », page 120 de l’édition Perrin de 1893 (voir note 327) : « Je sortis de mon appartement avec la sensation propre d’une aile glissant sur les cordes d’un instrument, traînante et légère, que remplaça une voix prononçant les mots sur un ton descendant “La Pénultième est morte”, de façon que / La Pénultième / finit le vers et / Est morte / se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le vide de signification. » En 1993, Jean-Michel Rabaté a écrit pour Champ Vallon La Pénultième est morte — Spectrographies de la modernité (Mallarmé, Breton, Beckett et quelques autres), 240 pages.

Louis Mandin336
1872

Né le 14 avril 1872 à Paris, en plein quartier latin337, d’une mère creusoise et d’un père provençal, il est encore enfant quand il perd celui-ci, et il doit vivre plus de quinze années dans un petit bourg de la Creuse. Sans livres, sans un guide intellectuel, c’est là pourtant que s’éveille sa vocation poétique. Mais il lui faut gagner son pain et celui de sa mère. Il n’a pas dix-sept ans quand il entre dans une étude de notaire ; il y reste six années. Puis, secrétaire de mairie, il se trouve malgré lui mêlé aux querelles de deux factions locales qui se disputent la domination de la commune. Pour lui arracher son pauvre emploi, l’une de ces factions s’acharne, jette sur lui le député de l’arrondissement, s’adresse au préfet, même au ministre. Traqué, obligé de veiller jour et nuit pour soigner sa mère atteinte d’une maladie longue et mortelle, il tombe malade à son tour, crache le sang, mais fidèle à sa devise : Ne jamais abdiquer, il tient tête à la meute, la met en déroute. Il est devenu rédacteur en chef d’un petit journal de Guéret ; il y démolit pièce à pièce le député338, y prépare l’élection de son successeur339, dont le voici secrétaire, et il peut enfin revenir à Paris (juin 1902). Il étudie la jeune littérature, se met un peu à la page et publie en 1905 un petit recueil, Les Sommeils340, qui n’est qu’un essai. Mais la lutte politique, incessante, l’absorbe pendant quatre ans. Enfin, grâce à une foudroyante campagne de presse, il voit son patron réélu en 1906 par plus de 17 000 suffrages, contre 5 000 à peine, réunis par deux concurrents. C’est la plus belle élection de France, proclament les journaux.

L’année suivante, nouveau recueil d’essai, Ombres voluptueuses341. En 1908, M. Louis Mandin lance (dans La Phalange et La Revue des Lettres et des Arts) le vers de quatorze syllabes, qu’il a régularisé, discipliné et a, le premier, préconisé comme un pendant à l’hexamètre des anciens, des Anglais. Ce vers, soigneusement césuré après la sixième syllabe, sera un jour, a-t-on dit, appelé vers mandinien.

En 1912. M. Louis Mandin fait paraître le premier de ses recueils qui compte à ses yeux : c’est Ariel esclave342, le premier volume d’une série intitulée L’Aurore du soir343. Ariel (un Ariel qui a paru onze ans avant le livre intitulé ainsi par M. Maurois344), c’est, non le poète visible, mais son âme étouffée, enterrée vive et qui chante encore sous la persécution des Calibans345. Ne jamais abdiquer ! La même inspiration anime Les Saisons ferventes346, pleines de paysages d’âme où fusionnent le moi et le non-moi. C’est dans ce livre que figure L’Automobile, poème écrit en 1911 et où l’auteur prédit que la France sera sauvée par les autos parisiennes347.

Les Saisons ferventes parurent au printemps de 1914. Quelques mois plus tard, la vision du poète se réalisait. Classé soldat auxiliaire, refusé pour le service armé en décembre 1914, M. Louis Mandin se résigne d’abord.

Mais la guerre s’éternise. Placé dans un bureau et ne voulant pas du prosaïque travail des embusqués, il demande avec instances le service armé. Mais myope, arthritique, qualifié de malingre, il est refusé encore par les médecins, rabroué par ses chefs. Il s’obstine, il finit par obtenir gain de cause.

Envoyé au commencement d’avril 1917 aux tranchées de Champagne, Puis devant Verdun, il resta au front jusqu’à la fin des hostilités et, outre de nombreux cahiers de notes d’où un livre de souvenirs sortira peut-être un jour, il en rapporta un recueil de poèmes en vers et en prose, Notre Passion348, où un profond patriotisme et un large sentiment d’humanité s’unissent et s’accordent. Il se marie à la fin de 1921(349), et il élabore un nouveau recueil, La Caresse de Jouvence350, qui paraît au printemps de 1927. En même temps, il publie, en collaboration avec Paul Fort, une Histoire de la Poésie française depuis 1850, qui est jusqu’à nouvel ordre le moins incomplet des ouvrages de ce genre351.

À la fois clair et subtil, libre et discipliné, ardemment lyrique avec un fond de tristesse, mais vibrant de vie intérieure, jalousement indépendant et se posant en incorruptible, M. Louis Mandin veut être le poète qui a mis « de la volupté jusque dans le de profundis ». Il est, plus que tout autre, le chantre frémissant de la Solitude, une solitude de poète, faite de réalité douloureuse et de rêve enivré. Il a collaboré au Mercure de France, — à La Phalange, — à Vers et Prose, dont il fut secrétaire de 1909 à la Grande Guerre, qui tua cette belle revue, — au Feu, de Marseille, où il tint la chronique des poèmes de 1909 à 1912, — aux Marges, où il fait cette même chronique depuis avril 1925, — à L’Île sonnante, dont il fut l’un des fondateurs, — à La Vie, des frères M. A. Leblond, — à L’École et la Vie (1923-1924), etc., etc.

Les poèmes que nous donnons, tirés des recueils de M. Louis Mandin, sont reproduits avec des corrections et modifications apportées par l’auteur352.


336   Journal littéraire au 27 juillet 1933 : « Il s’est produit une chose amusante, à propos de sa place dans les Poètes d’aujourd’hui, lors de l’édition en trois volumes. Je l’y ai mis au dernier moment, sur la demande de Vallette (parce que employé au Mercure). Je lui ai demandé d’écrire lui-même sa notice et de faire lui-même son choix de poèmes. Or, je ne sais combien de fois on m’a dit : “Ce pauvre Louis Mandin, vous êtes-vous fichu de lui, dans sa notice. Mais c’est un grotesque, ce garçon-là.” Et c’est lui-même qui s’est joué ce tour. » Dans cette date et dans cette phrase du Journal littéraire, Louis Mandin est désigné par la lettre I.

337   Dans cette très méconnue rue de l’Hirondelle, à cinquante mètres de la place Saint-Michel.

La rue de l’Hirondelle à Paris en avril 2021

Début du poème de Louis Mandin Sous le symbole de l’hirondelle : « Petite rue, / Enfumée et vieille et perdue, / Et sans voitures, sans aurores, sans matins, / Car, entre tes murs noirs, l’ombre règne comme un destin ; / Toute petite rue, / Tronquée et mutilée, et qui dors inconnue / Au seuil du jeune et frémissant quartier latin, / Petite rue où je suis né, / Je souris en pensant que ton coin si fané, / Si reclus, si fermé, / Et qui te cache, ainsi qu’une captive mal vêtue, / Au bord bruyant de la fontaine Saint-Michel, / Ton nom, parmi les ténèbres accrues, / Porte du printemps et des ailes, / Car tu restes mon enfantine et vieille rue / De l’Hirondelle. »

338   Armand Berton (1859-1916), député radical-socialiste de la Creuse de 1898 à 1902).

339   Alphonse Defumade (1844-1923), trois fois député Républicain radical de la Creuse (1893, 1902 et 1908) et sénateur en 1907 et 1912).

340   Louis Mandin, Les Sommeils, Librairie de La Plume 1905, 104 pages. Louis Mandin a aussi écrit des textes, essentiellement des poèmes, dans quarante numéros du Mercure, entre 1910 et 1940.

341   Louis Mandin, Ombres voluptueuses, Sansot 1907, 132 pages.

342   Louis Mandin, Ariel esclave, Mercure 1912, 197 pages. Le 21 janvier 1913, pour les Archives de la parole de Pathé, Louis Mandin a enregistré sur cylindre quelques extraits de son Ariel Esclave, dont il a été pressé un disque que l’on peut entendre sur le site web de la BNF : https ://is.gd/UhCsEX

343   Après Ariel esclave, cette série comprend encore Les Saisons ferventes, L’Âge de foudre, La Caresse de jouvence et Les Ténèbres sacrées, l’ensemble ayant été réuni en volume de 320 pages en 1938, sans nom d’éditeur, vraisemblablement à l’initiative de l’auteur, peut-être en édition muette du Mercure. Chacun des recueils fera l’objet d’une note séparée ci-après.

344   André Maurois, Ariel ou la vie de Shelley, Grasset 1923, 358 pages.

345   Selon le Trésor de la langue française, un caliban est un personnage dont l’apparence grossière rebute la vue. Dans La Tempête, Shakespeare a donné ce nom au rusé et brutal esclave du duc de Milan, dont Ariel est proche.

346   Louis Mandin, Les Saisons ferventes, Mercure 1914, annoncé dans les « Publications récentes » dans le numéro du seize avril pages 884 et 986. Ce poème seul est paru dans le premier numéro de la revue bimestrielle de Lugné-Poe Poème & drame en novembre 1912, entre Georges Polti et Guillaume Apollinaire*.

347   Allusion évidente aux taxis de la Marne.

348   Louis Mandin, Notre Passion, 1914-1918, poèmes en vers et en prose, La Renaissance du livre, 1920, 272 pages.

349   Le dix décembre 1921 avec Marie-Louise Alphonse (1896-1945).

350   Louis Mandin, La Caresse de Jouvence, Albert Meissein, février 1927 (111 pages). Quatre poèmes de ce recueil sont parus dans le Mercure du premier janvier 1922, page 77.

351   Paul Fort et Louis Mandin, Histoire de la poésie française depuis 1850, Flammarion, H. Didier, et Privat à Toulouse, 1926, 392 pages.

352   En septembre 1940, quelques amis de la droite traditionnelle dont Louis Mandin fonderont le groupe de résistance « La Vérité française », qui sera aussi le titre de leur journal clandestin. Ce groupe se spécialisera dans l’exfiltration de prisonniers de guerre évadés. Très rapidement, en août 1941, le groupe sera infiltré par le Belge Jacques Desoubrie (1922, fusillé en décembre 1949) appartenant à la police secrète allemande. Le 25 novembre plus de quatre-vingt personnes seront arrêtées et certains fusillés. En septembre 1942 Louis Mandin et au moins trois autres de ses camarades seront déportés au camp de Sonnenburg, réservé aux prisonniers politiques. Louis Mandin y mourra le 28 juin 1943. Marie-Louise Mandin, arrêtée en même temps que son mari, déportée dans divers camps de concentration mourra à Bergen-Belsen en avril 1945. Voir le Mercure d’août 1953, page 760.

Camille Mauclair353
1872

Parisien et fils de Parisiens, avec des origines lorraines et danoises très lointainement, M. Camille Mauclair est né le 29 décembre 1872. Il fit ses études à Paris, montrant de très bonne heure des aptitudes littéraires très remarquables. Dans les groupes de jeunes écrivains, aux environs de 1893, il étonnait jusqu’à ses amis, et tous voyaient en lui un écrivain dont la carrière devait être rapide autant qu’éclatante. Il publia tout d’abord des vers, à La Plume354, puis une étude sur le peintre Albert Besnard355, dans La Revue Indépendante, puis d’autres poèmes, dans le Mercure de France356, La Conque, L’Ermitage et La Revue blanche. Son premier livre fut un ouvrage de critique morale : Eleusis, causeries sur la Cité intérieure357, paru en 1893, et suivi, en 1894, d’un recueil de poèmes Sonatines d’automne358. Depuis, M. Camille Mauclair n’a pas cessé de prouver, au moins par le nombre et la diversité de ses ouvrages, la précocité qu’on admirait en lui alors qu’il sortait à peine du collège. La poésie, le roman, le conte, la critique littéraire, la critique d’art et la critique sociale, la politique, le théâtre, les conférences et les études de métaphysique, il n’est rien à quoi, littérairement, il n’ait touché, ni d’idées et de beautés, de façons de sentir et de penser auxquelles il ne se soit prêté, signe au moins d’une extrême intelligence, d’une grande sensibilité littéraire, sinon de capacité créatrice et de vraie personnalité. « La grande puissance géniale, dirait-on presque, a dit Emerson dans son Essai sur Shakespeare359, consiste à n’être pas original du tout, à être une parfaite réceptivité, à laisser les autres faire tout, et à souffrir que l’Esprit de l’heure passe sans obstruction à travers la pensée. » Une parfaite réceptivité, voilà bien ce qu’a été, ce qu’est encore M. Camille Mauclair, et jamais L’Esprit de l’heure ne traversa pensée plus docile que la sienne. Dans notre notice des éditions précédentes, nous avions donné à M. Camille Mauclair une origine sémitique et dit qu’il montrait comme écrivain tout le génie de sa race360. Il nous en a beaucoup voulu361. Il parait que nous nous trompions, que M. Camille Mauclair n’est pas du tout juif. Une erreur n’est pas une malveillance et celle-ci est facile à réparer : c’est un membre de phrase et le mot : génie, à enlever, voilà tout. La preuve que nous n’entendions rien dire de défavorable, c’est que l’intelligence juive, en littérature, a son intérêt. C’est le don extrême de l’analyse, de l’assimilation, la faculté de tout dissocier, pour s’approprier et reconstruire à son image. Même nullement juif, M. Camille Mauclair a montré de bonne heure toutes ces qualités et de façon trop évidente pour être niées. De nombreux écrivains l’ont séduit, parce que chacun apportait à son esprit sans cesse curieux un aliment nouveau et une nouvelle expérience. C’est ainsi qu’on l’a vu disciple et imitateur tour à tour de Stéphane Mallarmé, de Madame Rachilde, de M. Maurice Maeterlinck*, de Maurice Barrès, de Paul Adam, comme se rallier successivement aux théories ibséniennes, à la morale nietzschéenne, aux revendications féministes, etc. Certes, le changement, c’est le plaisir, et dans tous ses avatars M. Camille Mauclair a dû connaître de grandes joies intellectuelles. Il en résulte toutefois un certain manque d’unité dans son œuvre, tableau assez complet de la littérature au temps de sa jeunesse et où l’on chercherait en vain le moindre témoignage de personnalité. Les poèmes qu’on va lire sont tirés des deux recueils de M. Camille Mauclair : Sonatines d’automne et Le Sang parle362. Ce sont, pour les premiers, tantôt des lieds363, tantôt des historiettes, et tantôt des prières, tour à tour violents et lents, ou frissonnants et souriants. M. Camille Mauclair, en les composant, s’est placé sous l’invocation du Schumann des Novelettes364. Comme il l’a dit, dans ces poèmes les formes du vers lui furent indifférentes. Il n’y fut question que de faire un peu de musique. C’est ici un homme se jouant à lui-même de petites sonates, dans la nonchalance de l’automne.

M. Camille Mauclair s’occupe aujourd’hui presque exclusivement de critique d’art, genre littéraire reconnu par tous le plus facile et assez à la portée du premier venu à qui peut prendre l’idée d’écrire sur la peinture. Il est également devenu un défenseur de l’« ordre » après avoir été, dans sa jeunesse, un esprit « avancé ».


353   Cette notice a été rédigée par Paul Léautaud dès l’entrée de Camille Mauclair dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui.

354   La Plume est une revue littéraire et artistique fondée en 1889 par Léon Deschamps qui la dirigea durant onze années. Karl Boès (1864-1940) lui a succédé. La revue disparut en 1914. Les bureaux étaient situés 31 rue Bonaparte.

355   Albert Besnard (1849-1934), peintre, décorateur et graveur. Comme décorateur on lui doit notamment le plafond de la Comédie-Française, que personne ne regarde : Apollon et les vingt-quatre heures, toile peinte exécutée en 1913. Voir sa nécrologie par Gustave Kahn* dans le Mercure du premier janvier 1925 page 40.

356   Camille Mauclair a écrit 124 textes dans le Mercure entre 1894 et 1897 puis trois autres en 1902, 1921 et 1927 mais pas ou peu de poèmes.

357   Camille Mauclair, Eleusis, causeries sur la Cité intérieure, signé d’août 1893. « À Stéphane Mallarmé, ce livre de foi idéaliste est respectueusement et filialement dédié » Perrin 1894, 275 pages.

358   Camille Mauclair, Sonatines d’automne. « À Robert Scheffer, sont dédiées en amical témoignage ces mélodies oublieuses » Perrin 1895, 124 pages.

359   Ralph Waldo Emerson (1803-1882), essayiste et poète américain. Lors d’un voyage en Europe de l’ouest au milieu du siècle, comme beaucoup d’américains il découvrit l’« ancien monde » et à cette occasion écrivit ce Representative Men, série d’essais sur Napoléon, Platon, Swedenborg, Montaigne, Shakespeare et Goethe. Deux ou trois de ces essais ont été traduits en français pour La Revue de Paris avant que tous paraissent en français en un volume en 1863 réédité par Crès en 1920 avec le sous-titre Les Surhumains (305 pages).

360   Alors que Camille Mauclair est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dans la première édition (1900), ce n’est que dans l’édition de 1908 que Paul Léautaud a écrit « D’origine sémitique, M. Camille Mauclair a le génie de sa race, le don extrême de l’analyse, de l’assimilation, la faculté de tout dissocier pour s’approprier et reconstruire à son image. »

361   Lire la lettre de protestation de Camille Mauclair en ouverture des « Échos » du Mercure du seize janvier 1909, page 379 où il précise : « J’ai été baptisé à l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, j’ai fait ma première communion en 1883 dans la chapelle du lycée Louis-le-Grand, et j’y ai été confirmé par Mgr di Rende, alors nonce du pape. Un de mes oncles paternels est mort chanoine de la cathédrale de Metz, et l’abbé Faure, aumônier de la Roquette, fut mon parrain. Mes ascendants de Sarrebourg et Saverne étaient plutôt antisémites : en tous cas, plusieurs furent élevés dans des séminaires. Ce n’est pas d’un intérêt palpitant : mais enfin, pour l’amour de la simple vérité, il faut bien que j’apprenne ces détails à MM. Van Bever et Léautaud, et à quelques-uns des lecteurs qui feront de leur notice un article de foi… pas très catholique, d’autant moins que ces messieurs n’ont fait cette découverte que dans leur nouvelle édition ; mon sémitisme n’existait point pour eux dans la première version de leur notice. / Je tiens l’antisémitisme pour une manie absurde en son principe et répugnante en ses conséquences. Quelques-uns de mes plus intimes amis sont Israélites : leur générosité, leur droiture, leur délicatesse, leur dignité morale me touchent profondément. Si j’étais né juif, je serais très fier de l’être. » Pendant l’occupation allemande Camille Mauclair aura une opinion tout à fait opposée à ces belles déclarations, en écrivant dans Le Matin du treize décembre 1941 (page deux) un article titré « La jeune peinture française libérée des métèques et des juifs ». À la Libération Camille Mauclair a été inscrit sur la liste des écrivains interdits avant de mourir peu après, le 23 avril 1945, à l’âge de 72 ans.

362   Camille Mauclair, Le Sang parle, La Maison du livre 1904, 268 pages.

363   Camille Mauclair avait déjà eu l’occasion de travailler avec des musiciens comme Ernest Chausson ou Florent Schmitt. La pianiste Nadia Boulanger (1887-1976) a écrit une partition pour certains poèmes du Sang parle.

364   Robert Schumann (1810-1856) a écrit huit Novelettes opus 21 pour piano, qu’il qualifia de « longues histoires excentriques, des badinages, des scènes de famille, un mariage, bref rien que les choses les plus chères et les plus aimables ».

Stuart Merrill365
1863-1915

Stuart Merrill dans Nos poètes, Alphonse Lemerre 1923-1926 (trois tomes)

le héros de A Rebours, le 1er août 1863, à Hempstead, dans l’île de Long Island366, la patrie de Watt Whitman, — près de New-York (États-Unis). Il est mort à Versailles, le 1er décembre 1915. Son enfance passée à Paris, il fit ses études au lycée Condorcet, où l’on a vu, par d’autres notices de ce recueil, sa camaraderie avec Éphraïm Mikhaël*, Pierre Quillard*, René Ghil* et Rodolphe Darzens, avec lesquels il fonda un petit journal autographié, Le Fou. Retourné après cela en Amérique, Stuart Merrill prépara son droit au Columbia College de New-York, de 1885 à 1889, mais sans aucun succès, à cause de ses préoccupations tout autres, c’est-à-dire exclusivement littéraires. Il en donna d’ailleurs une preuve en publiant pendant ce séjour en Amérique son premier ouvrage de poète : Les Gammes367, paru à Paris chez Léon Vanier, et bientôt suivi, chez un éditeur de New-York, de Pastels in Prose, un volume de traduction de Théodore de Banville, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Judith Gautier, Hennequin, Huysmans, Mallarmé*, Paul Margueritte, Catulle Mendès, Éphraïm Mikhaël*, Pierre Quillard*, Henri de Régnier* et Villiers de l’Isle-Adam368. Revenu définitivement en France en 1890, Stuart Merrill fut un des plus actifs parmi les écrivains qui travaillaient alors à une renaissance littéraire, collaborant avec des poèmes et avec des études de critique, à toutes les revues de l’époque369. En même temps, il faisait paraître en Amérique, dans le Times et l’Evening Post, de nombreux articles sur des écrivains français : Gérard de Nerval, Glatigny370, Alphonse Daudet, etc.

Stuart Merrill n’a pas été seulement un très curieux poète, un magicien du verbe, faisant revivre dans ses vers pleins de scintillements de pierreries et d’harmonies savantes les plus gracieuses des légendes. Il a été un citoyen justement préoccupé du mouvement social de son époque, généreux aux déshérités, aux opprimés, dévoué à toute cause juste, payant partout de sa personne comme de sa fortune. Pendant que ses vers révélaient en France un artiste délicat, quelquefois jusqu’à la préciosité, il organisait à New-York les groupes socialistes américains, et, revenu en France, on l’a vu s’intéresser à toutes les affaires où l’idée d’une justice meilleure était en cause. Puis vint un jour que le poète se retira un peu à l’écart. Sa vie intime traversée d’un grand chagrin, il semble que son art en ait reçu une heureuse influence. Que l’on compare les derniers poèmes que nous donnons de lui à ceux qui les précèdent. Il y a là toute la différence d’un homme qui pense et qui sent vraiment à celui qui n’était, — si brillant qu’il fût, — qu’un décorateur de sentiments un peu artificiels.

Une plaque a été apposée, par les soins de l’Académie de Versailles, le dimanche 23 Juin 1929, sur la maison, 22, boulevard du Roi, dans laquelle habitait et est mort Stuart Merrill371.


365   La notice de Stuart Merrill a été rédigée par Adolphe van Bever depuis la première édition de 1900, accompagnée de quelques aménagements çà et là.

366   Hempstead est à l’est de Long Island, loin des plages de l’océan, dans une partie densément construite de nos jours. À la naissance de Stuart Merrill la ville comptait 12 500 habitants, elle dépasse maintenant les 800 000. Pour Walt Whitman, voir note 47.

367   Stuart Merrill, Les Gammes. « À René Ghil, maître de la musique et du verbe, ce livret de vers est dédié ». La Flûte, premier poème de ce « livret » est offert à Stéphane Mallarmé. Retenons-en le troisième vers : « Et son souffle qui siffle en la flûte polie ». Vanier 1887, 71 pages.

368   Stuart Merrill, Pastels in Prose, recueil de 77 textes traduits en anglais, de Louis (Aloysius) Bertrand, Paul Leclercq, Théodore de Banvile, Alphonse Daudet, Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, George Auriol, Judith Gautier, Joris-Karl Huysmans, Éphraïm Mikhaël, Pierre Quillard, Rodolphe Darzens, Charles Baudelaire, Achille Delaroche, Stéphane Mallarmé, Émile Hennequin, Adrien Remacle, Paul Margueritte, Maurice de Guérin, Paul Masy, Hector Chainaye, Catulle Mendès, Charles-Eudes Bonin, Henri de Régner. Les auteurs sont ici cités dans l’ordre de la pagination de l’édition d’Harpers & brothers, Franklin square, 1890, 270 pages, nombreuses illustrations de Henry (ou Harry) Whitney McVickar (1860-1905) dont celle déjà reproduite sous la note 329.

369   Stuart Merrill a collabore à 28 numéros du Mercure de 1896 à 1913. Dans ces textes on peut noter « Le Tombeau d’Éphraïm Mikhaël » en février 1897, « Charles-Louis Philippe » dans celui du seize janvier 1910, et « La Question Walt Whitman » le seize novembre 1913.

370   Albert Glatigny (1839-1873), comédien et auteur dramatique précoce mort avant ses 34 ans.

371   Il existe à Paris, une place Stuart Merrill, Porte de Champerret, en fait un dépôt de bus. La ville de Paris n’a jamais su honorer ses hommes de lettres dignement.

Éphraïm Mikhaël372
1866-1890

Né à Toulouse le 26 juin 1866, Éphraïm Mikhaël (Georges-Ephraim-Michel), mourut à vingt-quatre ans, le 5 mai 1890, laissant des poèmes et des poèmes en prose373 dispersés dans diverses revues, et un drame encore inédit : Briséis374, écrit en collaboration avec Catulle Mendès. Licencié ès lettres, élève de l’École des Chartes, Éphraïm Mikhaël fut attaché à la Bibliothèque Nationale. Ses premiers poèmes furent réunis par lui dans une plaquette d’amateur, sous ce titre : L’Automne375. Il publia également, en 1888, une légende dramatique en trois actes : La Fiancée de Corinthe376, écrite en collaboration avec Bernard Lazare, et fit représenter le 10 décembre de la même année, au Théâtre Libre377, une féerie en un acte : Le Cor Fleuri378. Un de ses poèmes : Florimond379, fut couronné en 1889, au concours de L’Écho de Paris.

Le premier acte de Briséis, mis en musique par Emmanuel Chabrier, fut interprété pour la première fois, le 31 janvier 1897, aux concerts Lamoureux. Le musicien, comme le poète, était mort, et Catulle Mendès fut seul à connaître le succès de l’œuvre.


372   Notice rédigée par Adolphe van Bever depuis la première parution des Poètes d’aujourd’hui. Les trois rédactions sont sensiblement différentes, la première étant la plus longue et la deuxième la plus courte.

373   Cette rédaction interroge. « des poèmes en vers et des poèmes en prose » aurait sans doute été préférable.

374   Éphraïm Mikhaël et Catulle Mendès, Briséis (ou Les amants de Corinthe), drame lyrique en trois actes d’après Die Braut von Korinth (La fiancée de Corinthe) de Goethe sur une musique d’Emmanuel Chabrier composée entre 1888 et 1893. Seul le premier acte a été achevé par Emmanuel Chabrier, représenté le cinq mai 1899 sur le théâtre de l’Académie nationale de musique. Avant cela une version de concert (donc sans action et sans mise en scène de théâtre) avait eu lieu aux Concerts Lamoureux le 31 janvier 1897. Le texte seul des trois actes est paru chez Édouard Dentu en 1899 (72 pages).

375   Éphraïm Mikhaël, L’Automne, recueil de quatorze poèmes accompagnés d’un portrait de l’auteur (celui qui ouvre cette notice). Ce recueil a été tiré à très petit nombre (vraisemblablement moins de cinquante, peut-être vingt). L’Automne, qui ouvre ce recueil, est dédié à Rodolphe Darzens.

L’Achevé d’imprimer de l’exemplaire d’auteur, accompagné d’une copie manuscrite de l’original, corrigée

376   Eh oui, le même titre, ou à peu près et avec un autre collaborateur : Éphraïm Mikhaël et Bernard Lazare, La Fiancée de Corinthe, légende dramatique en trois actes dédiée à Catulle Mendès, Camille Dalou 1888, 55 pages. Pour Bernard Lazare, note 313).

377   Le Théâtre libre a d’abord été un mouvement théâtral créé par André Antoine. Ce mouvement put rapidement s’épanouir dans une salle, l’actuel théâtre Antoine, qui est toujours actif au 14 boulevard de Strasbourg.

378   Éphraïm Mikhaël, Le Cor fleuri, féérie en un acte à quatre personnages, en vers, Tresse et Stock 1888, seize pages.

379   Voir L’Écho de Paris des 19 et 25 décembre 1889.

L’Écho de Paris du 19 décembre 1889

Albert Mockel380
1866

M. Albert-Henri-Louis Mockel381 est né à Ougrée-lez-Liège382 (Belgique) le 27 décembre 1866. Sa famille paternelle fut longtemps fixée dans l’ancien duché bilingue de Limbourg, spécialement dans la petite ville d’Eupen, première agglomération allemande après la frontière actuelle383. Sa famille maternelle est originaire de la Courlande384, qu’elle quitta au XVIIIe siècle pour la Hollande et la Belgique. Sa bisaïeule maternelle était d’ailleurs de famille française réfugiée, et tous les ascendants de sa grand’mère, — une Namuroise — invoquaient une lointaine origine française. M. Albert Mockel fit ses classes primaires à Seraing, puis étudia la philosophie, la philologie et la musique à l’Université de Liège. En 1884, il fonda dans cette ville, avec ses camarades, un cercle d’étudiants L’Élan littéraire, dont le bulletin mensuel, transformé et devenu sa propriété, devint bientôt la revue La Wallonie385. On a pu se rendre compte dans de précédentes notices, et on en pourra juger encore dans de suivantes, de l’importance de La Wallonie dans le mouvement symboliste. M. Albert Mockel l’avait fondée pour défendre la nouvelle esthétique littéraire, en même temps que pour combattre en Belgique en faveur de la culture française. La Wallonie dura sept ans, groupant la plupart des nouveaux écrivains. C’est dans ses numéros que publièrent leurs premières pages notamment Charles Van Lerberghe*, Bernard Lazare, Maurice Maeterlinck*, Pierre Louÿs*, Emile Verhaeren*, Francis Vielé-Griffin*, Grégoire Le Roy*, Stuart Merrill*, René Ghil*, Jean Moréas*, Pierre Quillard*, André Gide, A.-Ferdinand Herold*, André Fontainas*, Fernand Severin*, Albert Saint-Paul386, Adolphe Retté*, etc. José-Maria de Heredia et Stéphane Mallarmé* y collaborèrent à plusieurs reprises, et une seule fois Paul Verlaine*, Après un séjour de quelques mois en Allemagne, Albert Mockel vint se fixer définitivement à Paris en 1890. Il avait, à cette époque, déjà publié quelques plaquettes de vers, livres d’essais, en quelque sorte, tout à rait négligeables aujourd’hui dans son œuvre, et un petit livre satirique sur le mouvement littéraire wallon Les Fumistes Wallons387. En 1890, il publia son premier ouvrage de critique : Quelques livres388, édité à Liège, et suivi, en 1891, de Chantefable un peu naïve389, poème, paru sans nom d’auteur ni d’éditeur. M. Albert Mockel s’est surtout distingué dans la critique de l’école symboliste, une critique un peu précieuse et spécieuse, plus attachée au détail et au moment qu’aux idées générales et à une vue d’ensemble. L’ouvrage qui le signala dans ce sens fut ses Propos de littérature390, publiés en 1894, et dans lesquels il étudiait l’esthétique poétique du mouvement symboliste à propos des œuvres de ses deux plus notoires poètes : MM. Henri de Régnier* et Francis Viélé-Griffin*, D’autres études l’ont encore montré comme le critique méticuleux et profondément clairvoyant des nouveaux poètes, notamment celles qu’il a écrites sur Stéphane Mallarmé*, Charles Van Lerberghe* et Émile Verhaeren*. L’œuvre poétique de M. Albert Mockel se compose aujourd’hui de deux volumes : Chantefable un peu naïve et Clartés391. On y trouve, avec la même préciosité que dans ses écrits en prose, une certaine recherche d’harmonie verbale, et, musicien autant que poète, il a joint à ces deux recueils des pages de musique destinées en souligner l’esprit. Deux autres ont suivi : La Flamme stérile392 et La Flamme immortelle393, dont des fragments ont paru dans diverses revues. M. Albert Mockel s’est aussi essayé dans l’art du conteur, avec un volume : Contes pour les enfants d’hier394, d’une note habilement puérile et vieillotte.

Une grande part des écrits de M. Albert Mockel se trouve encore dispersée dans des revues et journaux, notamment dans La Revue de Belgique (deux études : Réflexion sur la critique ; Discussion sur la méthode dans la critique, — et toute une série d’articles sur les Peintres primitifs français) et dans La Réforme395, de Bruxelles (Lettres d’Italie).


380   La première parution de cette notice date de l’édition de 1908 des Poètes d’aujourd’hui. Elle n’a pas été rectifiée pour l’édition suivante. À la lecture, le rédacteur de cette notice semble être Adolphe van Bever.

381   Journal littéraire au trois février 1930 : « longue lettre de Mockel à Vallette pour signaler des manques dans des bibliographies, […] manques qui étaient inévitables, avec la façon dont a traîné cette nouvelle édition. En même temps une lettre à moi, pour me remercier, me faire la remarque que certaines notices auraient peut-être pu être plus objectives, mais qu’en tous cas, on m’y retrouve tout entier, ce qui, après tout, est un autre plaisir.

382   La commune d’Ougrée est à quatre kilomètres en ligne droite de Liège mais à sept kilomètres en voiture du centre de Liège parce qu’il faut longer la Meuse qui fait une boucle à cet endroit. Cette commune est de nos jours rattachée à Seraing.

383   Cette ville d’Eupen a connu un passé mouvementé. Sans remonter trop loin, la ville et la région faisaient partie, depuis le début du XVIIIe siècle des Pays-Bas autrichiens (grosso-modo l’actuelle Belgique alors sous domination des Habsbourg d’Autriche). Après le Congrès de Vienne de 1815 (celui où l’on dansait), la région a été rattachée à la Prusse, puis à l’Allemagne lors de sa réunification en 1871 avant d’être rendue à la Belgique après la première guerre mondiale. Eupen est, depuis, la capitale de la communauté germanophone de Belgique et constitue l’une des neuf communes belges de langue allemande. Eupen est à quarante kilomètres à l’Est de Liège mais à moins de vingt kilomètres au sud d’Aix-la-Chapelle.

384   La Courlande est l’ancienne dénomination de la partie ouest de la Lettonie, représentant environ un cinquième de son territoire.

385   Cet Élan littéraire est paru de février 1885 à mai 1886. On y trouve la signature d’Hector Chainaye déjà cité note 368 à propos de Pastels in prose de Stuart Merrill. Albert Mockel pensait qu’une revue littéraire ne devait pas durer plus de sept ans aussi La Wallonie, « revue mensuelle de littérature et d’art », n’a paru que de 1886 à 1892. On la considère généralement comme un trait d’union entre les poètes symbolistes belges et français d’autant qu’Albert Mockel, après au moins un séjour en 1886, s’est installé à Paris à partir de 1890 et dirigeait sa revue par correspondance tout en fréquentant les Mardis de Stéphane Mallarmé. C’est donc tout naturellement que La Wallonie a publié des auteurs français. Ce nom de Wallonie était encore peu utilisé en Belgique à cette époque et c’est la revue qui l’a popularisé, ce qui fera dire au poète et militant wallon Marcel Thiry (1897-1977) « un poète de vingt ans a inventé le nom de son pays ».

Le premier numéro de La Wallonie daté du quinze juin 1886

386   Albert Saint-Paul est né en 1864. La BNF le crédite que de quatre œuvres : Les Encensoirs (1885), Scènes de bal (1889), Pétales de nacre (Léon Vanier 1891, 27 pages), De la Lumière effeuillée, poème d’un jour de fête orné de douze bois originaux dessinés et gravés par Jean Saint-Paul (un frère ?). Préface de Gustave Kahn, collection d’art La Cible, 1922. La bibliothèque Doucet possède une lettre d’Albert Saint-Paul datée du 28 janvier 1891 adressée à Stéphane Mallarmé lui demandant de recevoir le poète Paul Percheron à un de ses mardis. L’enveloppe de la lettre mérite d’être vue.

387   Louis Hemma (Albert Mockel), Histoire de quelques fous « prose humanitaire » dédiée à Ernest Mahain, Albert Mockel, Gustave Rahlenbeck et Maurice Siville. Imprimé sur les presses de Vaillant-Carmanne, imprimeur à Liège, 1887, 112 pages. L’imprimerie H. Vaillant-Carmanne était au numéro 8 de la rue Saint-Adalbert qui était aussi l’adresse de La Wallonie.

388   « Quelques livres » est un article de critique littéraire par Albert Mockel paru dans La Wallonie en 1890 dont il a été constitué un tiré à part de 47 pages hors-commerce.

389   Albert Mockel, Chantefable un peu naïve, sans nom d’auteur, accompagné d’une partition musicale, édité par presses de La Wallonie (Vaillant-Carmanne) le quinze juin 1891 (200 exemplaires, 152 pages).

390   Albert Mockel, Propos de littérature, dédiés à André Gide, Librairie de l’Art indépendant 1894, 148 pages. On peut lire la dédicace : « Il n’est pas d’usage, je crois, d’ajouter à une critique littéraire l’ornement d’une dédicace, car elle se dédie d’elle-même au prosateur ou au poète dont les œuvres en forment l’objet. Cependant mon amitié, qui trouve une joie vive à tracer ici votre nom, s’enhardit d’une excuse. / Vous en souvenez-vous ? Cet été, en Bretagne, lorsque nous parcourions ensemble les pages inachevées de ce petit volume, j’hésitais à confier au libraire un travail — du genre ennuyeux — qui m’a coûté quelque peine et me vaudra peut-être chez nos amis une solide réputation de pédanterie. / Vos conseils m’y ont décidé pourtant et ne faut-il pas dès lors que vous figuriez à cette place, — ne fût-ce que comme éditeur responsable ? / A. M. / décembre 1893 » Journal d’André Gide au trois septembre 1891 (Pléiade 1996, page 140) : « Avec Mockel de Dinard à Saint-Lunaire. Mockel charmant, — mais je n’ai pas su bien causer. J’ai, dans la solitude, perdu l’usage du vocabulaire artiste. Pour les louanges, deux ou trois épithètes, absurdes d’impropriété, revenaient obstinément sur mes lèvres. » Propos de littérature a été réédité en janvier 2009 chez Honoré Champion, suivi de Stéphane Mallarmé, Un héros (Mercure 1899, 69 pages) et autres textes, précédés d’une étude par Paul Gorceix (304 pages, 75 €uros).

391   Albert Mockel, Clartés, recueil de poésies, suivi d’une conclusion musicale, cent exemplaires de 141 pages parus au Mercure de France en 1902, annoncés dans le numéro de mars, page 857.

392   La Flamme stérile, poésie dialoguée, est parue dans le numéro du quinze octobre 1923 (pages 351-362) du Mercure de France, dont il a été constitué un tiré à part.

393   Albert Mockel, La Flamme immortelle, sous-titrée La Tragédie sentimentale, tirage à 318 exemplaires pour La Renaissance du livre, Bruxelles 1924, 241 pages.

394   Albert Mockel, Contes pour les enfants d’hier, illustrations d’Auguste Donnay Mercure de France 1908, 302 pages.

Illustration d’Auguste Donnay pour la page 9 des Contes pour les enfants d’hier

395   La Réforme est un quotidien belge radical de gauche qui a paru de 1884 à 1907. En 1885 Hector Chainaye (déjà cité ici note 368) et son frère Achille en ont été les dirigeants.

Robert de Montesquiou396
1855-1921

Robert de Montesquiou dans un album « Vin Mariani » Figures contemporaines »

Le Comte Robert de Montesquiou-Fézensac est né à Paris le 19 mars 1855. Il descendait d’une illustre famille française qui a produit des hommes de guerre et des hommes d’État, aux nombre desquels le Maréchal de Montluc, le Maréchal Gaston de Gassiou, d’Artagnan, le héros des Trois Mousquetaires, Pierre de Montesquiou, l’un des plus fameux maréchaux de Louis XIV, Anne-Pierre de Montesquiou, conquérant de la Savoie, l’abbé de Montesquiou, ministre de Louis XVIII. La jeunesse de Robert de Montesquiou fut studieuse. « À quoi j’ai employé les années qui ont précédé la publication de mes livres ? a-t-il dit. Mais d’abord à former leur auteur, puis à les écrire. » Robert de Montesquiou, comme poète, est, en effet, un résultat de la culture. L’ordonnance des poèmes, la recherche des rythmes, le choix des images et des rimes ne sont, dans son œuvre, que l’expression d’une esthétique longtemps réfléchie et mûrie. La réputation de Robert de Montesquiou comme chercheur de sensations rares et amateur d’un art compliqué et subtil était établie bien avant qu’il eût rien publié. On connaissait, chez les écrivains et les artistes, ses fantaisies de raffiné, ses vers d’une préciosité étrange, et c’est ce renom qui donna à J.‑K. Huysmans l’idée de son Duc Jean des Esseintes, le héros de À Rebours. En 1892, Robert de Montesquiou fit ses débuts d’écrivain avec Les Chauves-Souris397, recueil de curieux poèmes, ayant pour sujet le nocturne dans la nature et dans l’âme. Le succès en fut vif, comme furent vives les critiques que l’ouvrage inspira, certains persistant à ne vouloir voir en l’auteur qu’un poète de salons. Sa réputation s’affermit de toutes ces contradictions. Il publia ensuite Le Chef des Odeurs suaves398, « poème dont les fleurs et les parfums groupés en symboles forment le sujet varié », Le Parcours du Rêve au Souvenir, « multiples feuillets recueillis au long de ses voyages », Les Hortensias bleus, « qui représentent la vue en bleu, à savoir un peu plus mélancolique, de cette vie que d’autres voient en rose », Les Perles Rouges, recueil de quatre-vingt-treize sonnets sur Versailles, Les Paons, « poèmes dont les pierreries et leurs correspondances forment le sujet » et Les Prières de tous. On doit également à Robert de Montesquiou quatre volumes de prose : Roseaux pensants399 et Autels privilégiés400, dans lesquels il s’est plu à évoquer des physionomies d’artistes et d’écrivains oubliés ou méconnus, et Professionnelles Beautés401 et Altesses Sérénissimes402, recueils de divers essais. Dans l’un de ces volumes, il a notamment réimprimé en partie le texte d’un petit livre : Félicité, qu’il écrivit autrefois sur Marceline Desbordes-Valmore403. Ce n’est pas un de ses moindres titres comme écrivain que d’avoir ainsi contribué par ses livres, par ses conférences et par sa participation aux fêtes de Douai, en 1896, à la résurrection littéraire de cette poétesse de génie.

[…]

Le comte Robert de Montesquiou est mort à Menton dans la nuit du 11 au 12 décembre 1921.

Il a laissé des Mémoires, des Indiscrétions, jusqu’à des épigrammes sur les gens de son monde et les écrivains de son temps. Ces écrits seront certainement publiés un jour, quand un certain temps aura passé, comme il convient. M. Louis Thomas404, qui a eu la charge d’examiner ces papiers, en a publié quelques petites parties, notamment « Les Cahiers secrets », Mercure de France, 15 avril 1929(405).


396   Robert de Montesquiou est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition de 1900. Sa notice, rédigée par Adolphe van Bever, a peu varié au cours des éditions.

397   Robert de Montesquiou, Les Chauves-Souris, clairs-obscurs, suivi de et de Des nuits, Georges Richard 1892, 626 pages. Tirage à cent exemplaires à compte d’auteur hors-commerce. Un exemplaire de cette édition appartenant à Pierre Bergé a été vendu 35 500 €uros le neuf novembre 2016 à Drouot. Cet exemplaire portait cette adresse à Edmond de Goncourt de la main de RdeM : « a / Monsieur Edmond de Goncourt / C’est à vous, Monsieur, que j’eusse osé demander pour un volume de prose (dont vous n’êtes pas encore quitte) le noble imprimatur dont mes vers remercient aujourd’hui un illustre Poëte ; parce que, tout comme lui, parmi des malentendus et des légendes, des litiges et des contestes, vous m’avez témoigné une haute bienveillance graduée, puis accrue, d’autant plus précieuse entre vos respectives juridictions justes et sévères. / Permettez-moi de ne point dissocier ici “Les deux Goncourt” dans mon remerciement et mon hommage, la glorieuse survivance d’avec la belle et touchante mémoire. / Comte Robert de Montesquiou Fezensac. / Juillet 92. » On pourra préférer l’édition courante « définitive » avec un portrait de l’auteur parue en 1907 dans le cadre d’une première édition complète de ses poésies en plusieurs volumes, toujours chez le même Georges Richard, imprimeur-éditeur, sept rue Cadet (441 pages).

398   Robert de Montesquiou, Le Chef des Odeurs suaves, édition identique aux Chauves-souris de 1907, 396 pages. Cette édition complète de l’œuvre poétique de RdeM est en sept volumes : Les Hortensias bleus (décembre 1906), Les Chauves-Souris (mai 1907), Le Chef des odeurs suaves (novembre 1907), Le Parcours du rêve au souvenir, Les Paons, Les Perles rouges, Les Prières de tous.

399   Robert de Montesquiou, Roseaux pensants, Charpentier-Fasquelle 1897, 361 pages.

400   Robert de Montesquiou, Autels privilégiés, Charpentier-Fasquelle 1898, 401 pages. Cet Autels privilégiés s’ouvre avec un premier texte « Félicité — Marceline Desbordes-Valmore », dont il sera question ci-dessous note 403.

401   Robert de Montesquiou, Professionnelles Beautés, critiques littéraires et artistiques émaillées d’anecdotes, Félix Juven, 1905, 315 pages.

402   Robert de Montesquiou, Altesses Sérénissimes, dédié « À Maurice Barrès, son Admirateur Affectionné » Félix Juven 1907, 406 pages.

Sur l’exemplaire de Maurice Barrès, sur la page de dédicace, RdeM lui a écrit cet envoi

403   Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est la fille d’un cabaretier de Douai. Après diverses péripéties et sa famille à court d’argent, Marceline Desbordes devient comédienne et chanteuse lyrique à seize ans, se fait des amis. À 31 ans, Marceline épouse le comédien Prosper Lanchantin, dit Valmore, de sept ans son cadet, et lui donne quatre enfants. Deux ans plus tard Marceline, devenue Desbordes-Valmore, publie son premier recueil de vers, Élégies et Romances, qui obtient un certain succès. Ses œuvres suivantes lui permettent d’abandonner le théâtre. Félicité est un tiré à part du premier chapitre (80 pages) d’Autels privilégiés ici sous-titré « Étude de la Poësie de Marceline Desbordes-Valmore, suivie d’un essai de classification de ses notes d’inspiration » avec un « portrait de Madame Valmore d’après Devéria », Alphonse Lemerre 1894, un peu plus de 200 pages.

404   Louis Thomas (1885-1962), romancier, polémiste et éditeur. Louis Thomas a écrit sous plusieurs pseudonymes : Marquis de Tombelaine, Georges d’Amphoux, Louis Danger, Lafontaine, Marquis de Z***… Journaliste collaborateur sous l’occupation en même temps que « marchand de biens » (voir le Journal littéraire au premier janvier 1944 et au 25 février 1947.) Louis Thomas sera inquiété à la Libération.

405   Pages 296-322. Tout cela est adorablement suranné, fait de petites choses comme celle-ci, écrite à un retour d’Espagne : « Comme je parlais de l’Escurial (récemment vu) à l’Infante Eulalie, elle s’est écriée gentiment “Il est allé voir ma tombe !” »

Jean Moréas406
1856-1910

Jean Moréas, portrait-charge par Émile Cohl paru dans Les Hommes d’aujourd’hui numéro 268 de 1886

Jean Moréas était né à Athènes le 15 avril 1856. Il descendait de deux grandes familles de la Grèce : Son aïeul paternel, Papadiamantopoulos407 (on sait que Moréas était un pseudonyme), mourut héroïquement au siège de Missolonghi408. Son aïeul maternel, Tombazis, s’illustra en brûlant, comme Canaris409, les flottes turques. La Biographie Didot410 donne sur les Tombazis des articles très circonstanciés. Le père de Jean Moréas, qui vivait encore en 1908, fort âgé, était un jurisconsulte renommé à Athènes. Il fit longtemps autorité à la Cour de Cassation, comme Procureur général. Plusieurs parents du poète brillèrent ou brillent encore aujourd’hui, au premier rang dans l’armée et dans le parlement helléniques. L’éducation de Jean Moréas, qui fit ses études à Athènes, fut toute française. Il l’a expliqué lui-même à un rédacteur du Temps « J’ai eu pour gouvernante une femme de goût, très instruite, la tante de M. Dumény, l’acteur connu411. C’est avec vos poètes que j’ai passé les moments les plus agréables de ma première jeunesse, je les lisais sans trêve, je n’avais pas encore atteint ma dixième année que je m’étais déjà promis de chanter comme eux sur une lyre française. Les dieux ont exaucé mes vœux. Lorsque, au lendemain de la guerre, je quittai, mon pays pour venir en France, je laissai à Athènes une bibliothèque de deux mille volumes, œuvres de presque tous les poètes de la Renaissance et de nos meilleurs classiques. À Paris je suivis vaguement les cours de l’École de Droit ; mon père, élève de Savigny412, me destinait à la magistrature. Mais je m’abandonnai au démon de la poésie et fréquentai les cercles artistiques et littéraires du quartier Latin, entre autres les fameux Hydropathes413. Il faut que jeunesse se passe. Les bords de la Seine m’avaient conquis au point que je ne pus vivre à Athènes, à mon retour chez les miens, après trois ans de séjour ici. Je revins à la hâte me fixer à Paris, et de vingt ans je n’ai plus revu la Grèce. Mon dernier voyage remonte à 1897, au moment de la guerre contre la Turquie414. » Auparavant, Jean Moréas aurait visité Francfort, Heidelberg, Stuttgart, Genève, le Rhin et l’Italie. Jean Moréas débuta en 1882 à La Nouvelle Rive Gauche, petit journal qui prit dans la suite le nom de Lutèce415 (6 avril 1883) et il publia sa première œuvre : Les Syrtes416, en décembre 1884. L’influence de Baudelaire et de Verlaine se retrouvait dans ces poèmes, mais quelque chose aussi de très personnel dans la nouveauté des rythmes et des notations. Les Syrtes furent suivies en 1886 d’un nouveau recueil : Les Cantilènes417. On était alors au début du mouvement symboliste, et Jean Moréas, qui en était l’un des chefs, publia dans le Supplément du Figaro (18 septembre 1886(418)) un manifeste assez retentissant, dans lequel il formulait l’esthétique de la nouvelle école poétique et prenait sa défense, y montrant, au dire d’Anatole France, « plus de curiosité d’art et de forme que d’esprit critique et de philosophie419 ». En 1891, Jean Moréas publia Le Pèlerin passionné420, l’ouvrage qui établit solidement sa réputation de poète. À cette époque, il venait de fonder l’École Romane421, ayant pour disciples Maurice du Plessys, M. Raymond de La Tailhède, M. Ernest Raynaud et M. Charles Maurras, et les poèmes du Pèlerin passionné étaient précédés d’un nouveau manifeste dans lequel Jean Moréas tentait une justification des audaces de son groupe422. Poèmes et manifeste furent loin de passer inaperçus de la critique. « Il (Jean Moréas) est nourri de nos vieux romans de chevalerie, écrivit à ce sujet Anatole France, alors critique littéraire au Temps423, et il semble ne vouloir connaître les dieux de la Grèce antique que sous les formes affinées qu’ils prirent sur les bords de la Seine et de la foire, au temps où brillait la Pléiade424. Il fut élevé à Marseille425 et, sans doute, il ranime, en les transformant, les premiers souvenirs de son enfance quand il nous peint, dans le poème initial du Pèlerin passionné, un port du Levant, tout à fait dans le goût des marines de Vernet426 et où l’on voit « de grands vieillards qui travaillent aux felouques, le long des môles et des quais427 ». Mais Marseille, colonie grecque et port du Levant428, ce n’était pas encore pour M. Jean Moréas la patrie adoptive, la terre d’élection. Son vrai pays d’esprit est plus au nord ; il commence là où l’on voit des ardoises bleues sous un ciel d’un gris tendre et où s’élèvent ces joyaux de pierreries sur lesquels la Renaissance a mis des figures symboliques et des devises subtiles. M. Jean Moréas est une des sept étoiles de la nouvelle Pléiade. Je le tiens pour le Ronsard du symbolisme… M. Jean Moréas, qui est philologue et curieux de langage, n’invente pas un grand nombre de termes ; mais il en restaure beaucoup, en sorte que ses vers, pleins de vocables pris dans les vieux auteurs, ressemblent à la maison gallo-romaine de Garnier429 où l’on voyait des fûts de colonnes antiques et des débris d’architraves430. Il en résulte un ensemble amusant, mais bizarre et confus. Paul Verlaine l’a appelé :

Routier de l’époque insigne,
Violant des villanelles.

« Et il est vrai qu’il est de l’époque insigne et qu’il semble toujours habillé d’un pourpoint de velours. Je lui ferai uni autre querelle. Il est obscur. Et l’on sent bien qu’il n’est pas obscur naturellement. Tout de suite au contraire, il met la main sur le terme exact, sur l’image nette, sur la forme précise. Et pourtant il est obscur. Il l’est parce qu’il veut l’être ; et, s’il le veut, c’est que son esthétique le veut, Au reste, tout est relatif ; pour un symboliste, il est limpide…

« En définitive, M. Jean Moréas est plutôt un auteur difficile. Du moins il n’est point banal, cet Athénien mignard, épris d’archaïsmes et de nouveautés, qui combine étrangement dans ses vers le pédantisme élégant de la Renaissance, le joli mauvais goût du style rocaille et le vague inquiétant de la poésie décadente. »

C’était aussi l’époque où M. Charles Maurras, le critique de l’École Romane, dépeignait ainsi son fondateur431 « On rencontre communément M. Jean Moréas sur le boulevard Saint-Michel, l’hiver dans les cafés hospitaliers au retentissement des poètes, l’été sur les terrasses, bonnement exposé à la curiosité du passant. À quelque heure du jour que vous l’abordiez, il travaille ; je veux dire qu’il fait des vers ou qu’il en récite. D’une belle voix de gorge, où les muettes s’accentuent de sorte bizarre, il aggrave les strophes de Ronsard et de La Fontaine, de Thibaut de Champagne et d’Alfred de Vigny ; et, au frémissement paisible de sa lèvre, tout le monde comprend que M. Moréas se sent parfaitement heureux. Il a trouvé le souverain bien432. »

Dans Le Pèlerin passionné, Jean Moréas usait du vers libre, un vers libre très modéré, qui gardait par son ordonnance et sa cadence tout le rythme de l’alexandrin mais auquel il n’avait pas moins renoncé depuis. « J’ai abandonné le vers libre, disait-il un jour, m’étant aperçu que ses effets étaient uniquement matériels et ses libertés illusoires. La versification traditionnelle a plus de noblesse, plus de sûreté, tout en permettant de varier à l’infini le rythme de la pensée et du sentiment ; mais il faut être bon ouvrier433. »

Toutes ces choses, d’ailleurs, l’École romane, Le Pèlerin passionné, le Vers libre, ses Lettres et ses Manifestes, étaient pour Jean Moréas du passé ; un passé dont il souriait, dépris des témérités et des innovations de sa jeunesse. « Ces choses ne me regardent plus, a-t-il dit dans une enquête littéraire434. Cependant, je ne renie point l’École romane. Le mot a pu très bien prêter à quelque confusion, mais l’idée était substantielle. Mon instinct n’avait pas tardé à m’avertir qu’il fallait revenir au vrai classicisme et à la vraie antiquité, ainsi qu’à la versification traditionnelle la plus sévère. Et en plein triomphe symboliste, je me séparai courageusement de mes amis, qui m’en gardèrent longtemps rancune. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de constater que tout le monde revient au classique et à l’antique. » C’est de ce retour, à la tradition, et de la solitude et du recueillement où Jean Moréas se retira après la publication de quelques autres recueils de poèmes : Autant en emporte le vent435 et Eriphyle436, que sont nées Les Stances437, son chef-d’œuvre et peut-être un chef-d’œuvre et dont on a pu dire438 avec raison qu’il s’y « élève à une austérité stoïcienne qui rappelle Vigny », — et que ces vers, « par l’ampleur de leur harmonie, la sévérité du style, l’élévation du sentiment philosophique, sont égaux à ceux des plus grands maîtres ». — « Là forme est admirable, a écrit notamment Émile Faguet, d’une pureté absolument classique, avec le goût des images justes et le don de les trouver toujours sans effort. C’est une des manifestations “d’âme poétique” les plus extraordinaires que nous ayons vues depuis des années et des années. » Ainsi Jean Moréas nous aura montré que la maturité peut être le plus bel âge du poète.

Jean Moréas a également publié de petits livres de voyages, de souvenirs, d’impressions littéraires : Le Voyage en Grèce439, Feuillets440, Paysages et Sentiments441, réunis aujourd’hui en un seul volume : Esquisses et Souvenirs442, et un recueil de contes : Contes de la Vieille France443, récits tirés de notre vieille littérature et traduits par lui dans leur simplicité originale. Il n’est personne également qui ne connaisse l’Iphigénie444 qu’il a écrite d’après Euripide. Représentée pour la première fois au Théâtre d’Orange en 1903(445), et reprise à l’Odéon en 1905(446), Iphigénie a été jouée depuis sur plusieurs théâtres de France et de l’étranger, notamment à Athènes, au Théâtre royal et au Stade, et la Comédie-Française, à son tour, l’a représentée447.

Jean Moréas, qui était officier de la Légion d’honneur, et avait obtenu la naturalisation française, est mort le 30 mars 1910 à Saint-Mandé.

406   Jean Moréas est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition. Les trois notices sont de rédactions différentes, cette dernière, à l’évidence rédigée par Adolphe van Bever semblant davantage proche de la première que de la deuxième.

407   Ioánnis Papadiamantópoulos (1766-1826), homme politique grec. Son petit-fils porte le même prénom.

408   Missolonghi est un port grec situé au nord du golfe de Patras. La ville est surtout connue pour les trois sièges qu’elle eut à subir lors de la guerre d’Indépendance Grecque contre l’empire ottoman (1821-1829). Il n’y eut pas que le grand-père de Jean Moréas qui mourut lors d’une tentative de percement de ce siège mais aussi Márkos Bótzaris (1788-1823) dont un square de Strasbourg et une rue de Paris portent le nom.

409   Konstantínos Kanáris (1793-1877) est surtout connu dans ce rôle de brûlotier lors de la guerre d’Indépendance grecque. Il finit amiral et fut plusieurs fois Premier ministre grec. Un brûlotier est un marin en charge de commander un navire en flammes devant aller incendier un navire ennemi, aventure périlleuse mais courante à cette époque. On ne confondra pas Konstantínos Kanáris avec Wilhelm Canaris (1887-1945), amiral allemand antinazi.

410   Firmin Didot (1764-1836), imprimeur, éditeur et homme politique. On doit à Firmin Didot une police de caractères à son nom et une unité de mesure typographique, l’une et l’autre encore utilisées de nos jours.

Firmin Didot est cité ici par Adolphe van Bever pour sa Nouvelle biographie générale : « Depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours avec les renseignements bibliographiques et l’indication des sources à consulter, publiée par MM. Firmin Didot frères sous la direction de M. le Dr Hoeffer », 46 volumes parus de 1852 à 1866, ce qui paraît extrêmement court. Au risque de contrarier l’excellent Adolphe van Bever, cette Nouvelle biographie générale ne propose aucun article sur la famille Tombazis (volume 45) ni sur la famille Papadiamantópoulos (volume 39). À moins qu’il s’agisse d’une autre « Biographie Didot ». De l’inconvénient d’être imprécis.

411   Camille Dumény (Camille Richomme, 1854-1920), comédien, a commencé à l’Odéon avant de rejoindre les théâtres privés des boulevards.

412   Friedrich Carl von Savigny (1779-1861), juriste prussien particulièrement renommé, spécialiste du droit international. Lors de son mandat de ministre de la justice prussienne il a réformé le droit prussien et créé l’école historique de droit allemande.

413   Pour les Hydropathes, note 36.

414   Adolphe van Bever aurait pu préciser que cet article du Temps est paru dans le numéro daté du 25 novembre 1903, page deux, sous le titre « Promenades et visites ».

415   Lutèce, hebdomadaire politique et littéraire est d’abord paru le vendredi sur 21 numéros (novembre 1882-mars 1883) sous le titre La Nouvelle Rive gauche puis sous celui de Lutèce (avril 1883-1897). La revue a d’abord été dirigée par Fernand Hauser (1869-1941) puis, à partir du sixième numéro par Léo Trézenik (1855-1902).

416   Jean Moréas, Les Syrtes, sans nom d’éditeur, 1884. Une « nouvelle édition », plus courante, a été entreprise par Léon Vanier en 1892 (98 pages).

417   Jean Moréas Les Cantilènes, Léon Vanier, « éditeur des modernes », 147 pages.

418   Page deux et trois (deux colonnes en tout), sous le titre « Un manifeste littéraire », dont voici le « chapeau », rédigé par le service littéraire du Figaro.

419   Cette phrase d’Anatole France a été écrite dans sa chronique « La Vie littéraire » du Temps du 21 décembre 1890, page deux, non à cause du manifeste de septembre 1886, évidemment, mais à propos du Pèlerin passionné, objet de la note suivante. La réaction, virulente, d’Anatole France au manifeste de Jean Moréas est dans sa chronique littéraire hebdomadaire « La Vie à Paris » du Temps du 26 septembre 1886, page deux. Le texte est remarquable.

420   Jean Moréas, Le Pèlerin passionné, Léon Vanier, daté du début 1891 mais paru en 1890 ainsi qu’on peut le comprendre dans la note précédente. 130 pages.

421   Pour cette École romane, lire le début de la notice de Raymond de La Tailhède.

422   « De l’auteur au lecteur », pages I à V, datées du 24 novembre 1890, commençant ainsi, toutes capitales dehors : « Avoir contemplé, en cet ouvrage, tel apparat d’architectures, tant fussent-elles jugées magnifiques ! avoir ouï tels sons, tant fussent-ils goûtés délectables ! — c’est en avoir contemplé la fausse face, c’est en avoir ouï le discord. / Rechercher, en cet ouvrage, une Idée se voulant son but à elle-même, un Sentiment répercuté dans son sens immédiat, — c’est mésestimer de l’Art en sa totalité, et du mien-ci en son essence. / Car, celui-là seul se pourra dire légitimement éjoui de mes poèmes, qui aura su scruter en quelle manière une Sentimentale Idéologie et des Plasticités Musiciennes s’y vivifient d’une action simultanée. » Texte soigneusement relu avant la publication de cette note.

423   Le Temps du 21 décembre 1890, page deux, dans sa chronique « La Vie littéraire » déjà citée à propos du Pèlerin passionné.

424   On peut imaginer qu’Anatole France pense aux sept poètes du XVIe siècle rassemblés sous ce nom : Jean-Antoine de Baïf (1532-1589), Jean Bastier de La Péruse (1529-1554), Joachim du Bellay (1522-1560), Rémy Belleau (1528-1577), Jean Dorat (1508-1588), Étienne Jodelle (1532-1573), Jacques Peletier du Mans (1517-1582), Pierre de Ronsard (1524-1585) et Pontus de Tyard (1521-1605). Neuf sont nommés ici à cause des remplacements, comme ce pauvre La Péruse, mort à 25 ans ou Étienne Jodelle, à 41 ans.

425   Si Jean Moréas « fit escale à Marseille pour débarquer finalement à Paris » (Pierre Dufay, « Moréas au Chat noir » (supplément littéraire du Figaro du 22 mars 1925 page deux en haut de la quatrième colonne) il semble exagéré pour ne pas dire faux de dire que Jean Moréas a été élevé à Marseille.

426   Joseph Vernet (1714-1789), peintre célèbre pour ses marines, qu’on ne confondra pas avec son petit-fils Horace Vernet (1789-1863), davantage spécialisé dans le portrait.

427   Agnès : « Dans la cité au bord de la mer, la cape et la dague lourdes / De pierres jaunes, et sur ton chapeau des plumes de perroquets, / Tu t’en venais, devisant telles bourdes, / Tu t’en venais entre tes deux laquais / Si bouffis et tant sots en vérité, des happelourdes ! — / Dans la cité au bord de la mer tu t’en venais et tu vaguais / Parmi de grands vieillards qui travaillaient aux felouques, / Le long des môles et des quais. » Une happelourde est une brillante verroterie.

428   Le mot levant est de nos jours davantage rattaché au Moyen-Orient (Liban, Israël…) mais au siècle dernier ce mot était davantage l’opposé du ponant (l’Atlantique). Du temps de la marine royale, il y avait la flotte du Ponant et la flotte du Levant, qui était ancrée à Marseille et surtout à Toulon.

429   Lors de l’Exposition universelle de 1889 était proposée une « Histoire de l’habitation » consistant en une série de constructions réalisées par Charles Garnier, disposées par époque, en ligne le long des quais d’Orsay et d’Iéna. Il y avait des maisons de l’époque phénicienne, de l’ancienne Égypte, et cette maison Gallo-romaine, à l’approche de la Tour-Eiffel. Des figurants en costume d’époque servaient des bières.

430   L’architrave est la poutre maîtresse couchée horizontalement sur les colonnes ou piliers, afin de les relier les uns aux autres. Ce mot a évidemment été choisi pour sa rareté. On peut être surpris de la médiocre qualité de la langue employée ici par Anatole France comme ce « Il commence là où » ou ce « ses vers, pleins de vocables ».

431   Vraisemblablement dans l’ouvrage de Charles Maurras : Jean Moréas, Plon 1891, 50 pages, paru l’année de la fondation de l’École romane.

432   Cette citation de Charles Maurras est aussi donnée par Maurice Monda (Maurice Gunzberger, 1876-1955) dans le supplément littéraire du samedi du Figaro du 28 mars 1925 en partie réservé à Jean Moréas avec deux colonnes et demie en pages une et deux signées Ernest Raynaud, un « coup d’œil sur l’œuvre de Moréas », la colonne et demie signée Maurice Monda : « Moréas à l’aube », un poème de Maurice Levaillant et « Moréas au Chat noir », trois colonnes par Philippe Dufay. La première page de ce supplément du Figaro offre en une, la reproduction du portrait de Jean Moréas gravé sur bois par Achille Ouvré (1872-1951) pour Le Septième livre des Stances paru chez François Bernouard en 1920, 42 pages à l’italienne, tiré à 530 exemplaires.

À la Mauvaise reproduction du Figaro il a été trouvé préférable de donner ici l’image d’Achille Ouvré — même très réduite — recueillie dans l’édition Bernouard

433   Citation extraite de l’enquête de Georges Le Cardonnel et Charles Vellay La Littérature contemporaine, Mercure de France en 1905, 332 pages (page 38 pour cette citation).

434   Ibidem.

435   Jean Moréas, Autant en emporte le vent, poésies de 1886-1887, Léon Vanier 1893, 52 pages.

436   Jean Moréas, Eriphyle, poème, suivi de quatre Sylves, Bibliothèque artistique & littéraire, 1894. « Suivant la docte trace / Du Mantouan fameux qui m’a nourri de sa grâce, / Sur le Styx odieux et l’Achéron avare, / Eriphyle, je viens au fond du noir Tartare. »

437   Jean Moréas, Les Stances, avec un portrait de l’auteur par Antonio de La Gandara (1861-1917), Mercure de France 1905, 214 pages.

Jean Moréas par Antonio de La Gandara d’après l’image de l’édition des Stances du Mercure en 1905

Lettre de Paul Léautaud à Jean Moréas datée du trente avril 1901 : « J’aurai bien tardé, mon cher Monsieur, à vous remercier de l’exemplaire des Stances que vous avez bien voulu laisser pour moi au Mercure. Il ne faut pas trop m’en vouloir, voyez-vous : c’est la vie, et nous sommes nombreux qui remettons au lendemain… À dire vrai, votre livre ne m’a rien révélé, ou à peine, car des Stances qu’il contient je sais de mémoire la majeure partie, et me les réciter est souvent le plaisir de mes promenades. Quel bel aboutissement du silence que vous avez gardé pendant quelques années ! Mais que me sert de vous complimenter, après toutes les justes louanges qu’on vous a prodiguées ? Et combien je regrette de n’avoir pas écrit votre notice, dans les Poètes d’aujourd’hui. »

438   « on » est René Lalou dans son Histoire de la littérature française contemporaine de 1870 à nos jours, Georges Crès 1922, 787 pages.

439   Jean Moréas, Le Voyage en Grèce, éditions de La Plume, 1902.

440   Jean Moréas, Feuillets, éditions de La Plume, 1902, 176 pages.

441   Jean Moréas, Paysages et Sentiments, Sansot 1906, 107 pages.

442   Jean Moréas, Esquisses et Souvenirs, Mercure 1908, 348 pages, comprenant « Romantiques », « Les ratures de Chateaubriand », « Comédiens en voyage », « Maurice Barrès et l’Attique », « Paysages et sentiments », « Feuillets 1898-1902 » et « Le Voyage de Grèce ».

443   Jean Moréas, Contes de la Vieille France, Mercure 1910. Ces contes ont été suivis de Trois nouveaux contes de la vieille France en 1921 chez Émile Paul (cent pages).

444   Jean Moréas, Iphigénie, tragédie en cinq actes, Mercure 1904, 184 pages.

445   Le 24 août 1903.

446   Cette reprise à l’Odéon semble bien plus précoce. Dans ses Propos de théâtre (IIe série) Émile Faguet en dresse un compte rendu daté du 14 décembre 1903 dans lequel il écrit : « L’Odéon “a eu l’honneur”, car c’en est un, de nous donner jeudi une tragédie d’Euripide, Iphigénie à Aulis, […] en vers M. Jean Moréas. » Le 14 décembre 1903 étant un lundi, le jeudi précédent était le dix décembre. Par ailleurs le programme du théâtre de l’Odéon indique bien cette pièce comme ayant été jouée au cours de la saison 1903-1904.

447   Le 22 mai 1912 en matinée, avec Albert-Lambert fils (Achille), Julia Bartet (Iphigénie) et Louise Silvain (Clytemnestre). La notice de la Comédie-Française indique aussi pour cette même date une reprise du Poil de Carotte de Jules Renard, en matinée également.

Annonce de ces deux pièces dans Le Figaro du 22 mai 1912 page cinq

Comtesse Mathieu de Noailles448
1876

Mme la Comtesse de Noailles est née à Paris. Une brochure de la Collection des Célébrités d’aujourd’hui449 donne sur elle les renseignements biographiques suivants « La comtesse Mathieu de Noailles descend par son père de la puissante maison valaque des Bibesco, devenus Brancovan par adoption au milieu du XIXe siècle. Son grand-père Georges Bibesco, hospodar de Valachie450 de 1843 à 1848, avait épousé une princesse moldave de race grecque, Zoé Mavrocordato, fille adoptive du dernier des princes Bassaraba de Brancovan. Celui-ci vécut assez pour adopter également le fils aîné de Georges Bibesco et de Zoé Mavrocordato, Grégoire, à qui furent transférés tous les titres, privilèges et dignités de l’antique famille des Brancovan. La princesse actuelle de Brancovan, sa veuve, mère de Constantin de Brancovan, qui fut directeur de La Renaissance latine, et de Mmes la comtesse de Noailles et la princesse de Chimay, appartient à la famille grecque orientale des Musurus (originaire de l’Île de Crète) — où la haute culture est traditionnelle. Un cardinal Musurus fut l’ami et le collaborateur d’Erasme451, et l’auteur d’une recension de Platon. Le père de Mme de Brancovan, Musurus Pacha, ambassadeur de Turquie à Londres, a laissé une traduction de Dante en grec ancien… La vocation de Mme de Noailles s’affirma de très bonne heure. Vers sa dixième année, elle vit venir en visite à Amphion452, à quelques jours d’intervalle, un prince régnant et Frédéric Mistral. Elle vénéra, adora Mistral, et négligea le prince. Dès lors, son choix était fait : déjà elle s’essayait à versifier… Après avoir de 11 à 16 ans couvert de prose de volumineux cahiers, elle revint à la poésie. C’est seulement en 1901, après son mariage453, qu’elle publia son premier livre, Le Cœur innombrable454, depuis assez longtemps déjà achevé (couronné par l’Académie française455). Puis parurent L’Ombre des Jours (1902), La Nouvelle Espérance (1903), Le Visage Émerveillé (1904), La Domination (1905), Les Éblouissements (1907)456 : trois romans, trois recueils de poèmes. » Depuis cette étude, Mme de Noailles a publié bien d’autres recueils de poème : Les Vivants et les Morts457, Les Forces éternelles458, L’honneur de souffrir459, et est devenue une des figures éminentes de la littérature d’aujourd’hui, et une célébrité française. On a appelé Mme de Noailles la « Muse des Jardins460 ». Elle a à ses débuts assez bien mérité ce titre. Tout ce qui compose un jardin, du plus riche, du plus paré au plus agreste, lui a fourni bien souvent tout le principe de ses émotions, tout le décor de ses poèmes, et il n’est pas jusqu’aux plus humbles légumes, aux plus modestes herbes qui n’aient mérité son amour et ne soient pour elle de « douces personnes », comme elle a dit quelque part461. Toute la nature lui est un thème inépuisable et préféré :

Les forêts, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,

a-t-elle dit ailleurs462. « L’essence de sa poésie, a noté M. André Chaumeix, est une émotion toute personnelle devant le monde sensible. La nature est l’ample et multiple matière sur laquelle l’imagination toujours prête du poète travaille passionnément. Tous les phénomènes sont pour son cœur retentissant un sujet d’émoi éternellement neuf et qu’elle ne se lasse pas de traduire avec une merveilleuse abondance. Ses vers sont pleins, comme elle l’a dit, de l’odeur de l’aube et de la nuit, “des fleurs de mai dont chaque brin se pâme463”, des fruits, du vent, des douze mois, “et des trente jardins de lis et de verveines” ; ils reflètent le ciel à tous ses moments. » Par une rencontre des plus heureuses, on retrouve chez Mme de Noailles beaucoup de choses de M. Francis Jammes*. Ce sont souvent les mêmes motifs d’inspiration, les mêmes tableaux, qu’elle sait exprimer, rendre avec plus de rhétorique, dans des vers plus soignés. En grande dame, elle a mis des rubans à la flûte du pâtre et joué académiquement des airs analogues. Est-ce cela qui a amené M. Jean de Gourmont à formuler cette appréciation « Vraiment, la poésie de Jammes est tout entière dans la poésie de Mme de Noailles. Il ne s’agit pas ici d’imitation, mais d’une sorte de transposition inconsciente et merveilleuse, d’un résultat admirable. Instinctivement, l’auteur du Cœur innombrable a su éliminer ce qui dans Jammes était encore trop nouveau pour s’adapter à la sensibilité du public. Cependant, sous une forme plus traditionnelle, c’est la même sensibilité. Elle est d’ailleurs sincère, mais sans Jammes, se serait-elle éveillée, aurait-elle su s’exprimer ? » Ce qui revient à dire que Mme de Noailles a tout bonnement vulgarisé la poésie de M. Francis Jammes. À le prendre. ainsi, M. Francis Jammes n’aurait pas été le seul initiateur de Mme de Noailles. Il y a aussi chez elle beaucoup de Verlaine, par endroits.

Le soir tombait, un soir si penchant et si triste

ce vers de L’Ombre des Jours464 ne rappelle-t-il pas, jusque par sa modulation, celui de Verlaine dans Les Ingénus465

Le soir tombait, un soir équivoque d’automne…

Mais ce sont là des détails, et une critique peut-être bien méticuleuse. Mme de Noailles est incontestablement un vrai poète, sensible, ému, avant le don du rythme et des images, sans cesser pour cela d’être une femme, c’est-à-dire d’avoir quelquefois plus de force dans ce qu’elle sent et veut exprimer que dans ce qu’elle exprime. On l’a aussi un peu apparentée aux romantiques, — et il y a du vrai, — pour son exubérance, ses dons de description, son alliance du rêve et de la réalité, « sa prédominance du sentiment sur la raison466 ». « Pour la quatrième fois, a écrit à son sujet M. Charles Maurras467, nous avons à saluer l’influence persistante des romantiques sur un brillant esprit féminin. C’est bien d’eux que Mme de Noailles a mémoire quand elle vit, quand elle songe, quand elle écrit. La face épanouie de la lune l’émeut à peu près des mêmes pensées qui auraient visité l’imagination d’un poète du Cénacle. Elle l’interpelle et l’invoque sur le même ton qu’employait Alfred de Musset pour Phœbé la blonde468. À propos d’animaux, des “sobres animaux469”, quand elle les admire et les salue un à un, en suppliant une divinité champêtre de la rendre elle-même pareille à ces doux bestiaux,

Rendez-nous l’innocence ancestrale des bêtes,

le souvenir de Baudelaire s’entre-croise à celui de Vigny, qui voulait que les animaux fussent nos “sublimes” modèles. Enfin, elle s’est exercée à fusionner, sur les savants exemples de Victor Hugo, le matériel et le mystique, le pittoresque et le rêve, le cœur et la chair ». Et M. Léon Blum470 : « Le retour au Romantisme fut, il y a dix ans, le caractère du mouvement poétique. Ce qu’on a nommé l’humanisme ne fut qu’un romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes l’influence verlainienne restait sensible, et Mme de Noailles en est restée, à ce que je crois, totalement exempte. Elle n’est guère qu’une romantique, et c’est de Musset que je la verrais proche, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare. Il faut cependant marquer dès à présent quelques différences essentielles. Sans doute le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même de Hugo est un lyrisme purement personnel. Mais si le poète se chante lui-même, il ne chante pas lui seul. Le poème, sorti d’un homme, vaut pour tous les hommes… Le rêve romantique, le chant romantique, même en ce qu’ils eurent de plus spécial ou de plus neuf, furent le rêve et le chant communs d’un moment de l’humanité… Rien de pareil chez Mme de Noailles. Sa poésie sort d’elle-même et retombe en elle, comme l’élan du jet d’eau dans le bassin. Son éternel sujet, c’est sa personne, mais dans ce qu’elle a de particulier, d’unique, non dans ce qu’elle a de commun et de général…471 » Si nous avons en effet, aujourd’hui, un poète romantique, c’est bien elle, depuis ses derniers recueils surtout : Les Vivants et les morts, Les Forces Éternelles et L’Honneur de souffrir. Mme de Noailles écoute le Dieu qui chante en elle, sans toujours bien vérifier ce qu’il lui fait dire ni les termes dans lesquels elle l’exprime. Le sens est vague souvent, et les mots paraissent souvent mis au hasard. Le critique n’a pas absolument manqué de justesse qui l’a appelée récemment, pour cet abandon auquel elle se laisse aller, le « poète de l’adjectif et de l’adverbe472 ». Il est remarquable à quel point certaines de nos femmes de lettres, aujourd’hui, écrivent sans rien connaître de la langue française. Mme Jane Catulle Mendès473, par exemple, que nous sommes heureux de nommer dans cet ouvrage consacré à des poètes, brille particulièrement sous ce rapport, qu’elle écrive en prose ou en vers. Ce dont il faut toutefois louer Mme de Noailles, c’est de ne jamais montrer, à aucun endroit de son œuvre, de ce fade et vague spiritualisme si fréquent chez les femmes poètes, — nous voulons parler de celles passées, car pour celles d’aujourd’hui, sa célébrité les a si fort touchées qu’elles se sont toutes mises à être païennes.

Mme de Noailles, qui a publié également des romans, si c’est là le mot juste : La Nouvelle Espérance474, Le Visage émerveillé475 et La Domination476, a collaboré à La Revue féfibréenne, à La Revue de Paris, à la Revue des Deux-Mondes ; à La Renaissance latine, aux Essais, au Beffroi, au Feu, au Mouvement, aux Nouvelles littéraires, etc., etc.


448   Madame de Noailles est entrée dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la parution de la deuxième édition en 1908. La notice de cette édition et de la suivante, assez peu différentes, ont été rédigées par Paul Léautaud. Dans son Journal au vingt août 1908 nous pouvons lire : « J’ai terminé aujourd’hui la correction des 384 placards du Saint-Simon (Plus belles Pages). Je ne connaissais qu’à peine, et quelques pages, les Mémoires de Saint-Simon. […] Se remettre, après cela, à des biographies de Poètes d’aujourd’hui, à celle de Mme de Noailles, par exemple, dont je m’occupe en ce moment ! Ah ! c’est ce qu’on peut appeler varier ses plaisirs. Et le 24 août 1927 : « J’ai fait hier soir la notice de Mme de Noailles pour la nouv. édit. des Poètes (simplement arrangé et complété la notice de l’édition actuelle).

449   René Gillouin, La comtesse Mathieu de Noailles, collection « Les célébrités d’aujourd’hui », Sansot 1908, 70 pages. Cette étude a été chroniquée par Jean de Gourmont dans le Mercure du premier octobre 1908 pages 482-483.

450   Nous ne sommes pas dans un album de Tintin et la Valachie a vraiment existé, ancienne province de l’est de la Roumanie avec, au nord, la Moldavie et au nord-ouest la Transylvanie et ses vampires. L’Hospodar était le prince gouverneur de la province, mis en place par les Turcs.

451   Didier Érasme (v. 1466-1536), ecclésiastique et philosophe néerlandais.

452   Amphion est une commune située sur la rive sud du lac Léman, donc en France, à l’est de Thonon-les-bains et à l’ouest d’Évian-les-bains.

453   Anna Bassaraba de Brancovan a épousé le 17 août 1897 à Évian-les-Bains Mathieu de Noailles (1873-1942).

454   Comtesse M. de Noailles, Le Cœur innombrable, recueil de poésie, Calmann-Lévy 1901, 193 pages. Ce recueil a reçu le prix Archon-Despérouses en 1902.

455   En plus du prix cité supra, Anna de Noailles a reçu le grand prix de l’Académie en 1921 pour l’ensemble de son œuvre.

456   Tous ces livres chez Calmann-Lévy.

457   Comtesse de Noailles, Les Vivants et les Morts, Fayard 1913, 352 pages.

458   Comtesse de Noailles, Les Forces éternelles, Fayard 1920, 421 pages.

459   Comtesse de Noailles, L’honneur de souffrir, Grasset 1927, 192 pages.

460   Selon Yves-Gérard Le Dantec (1898-1958) dans la Revue des deux mondes du premier juin 1953 pages 523-526 ce surnom aurait été attribué par Maurice Barrès.

461   Dans le recueil Les Éblouissements, (Calmann-Lévy 1907) le poème « Enchantement » page 252 : « Tout ce qui vit ici, la fontaine, le banc, / La cloche du jardin qui sonne, / Le délicat cerfeuil qui frise sous le vent, / Sont pour moi de douces personnes. »

462   Dans « L’Offrande à la nature », deuxième poème du recueil Le Cœur innombrable, Calmann-Lévy 1901 : « La forêt, les étangs et les plaines fécondes / Ont plus touché mes yeux que les regards humains, / Je me suis appuyée à la beauté du monde / Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains. »

463   « Mes vers malgré le sang », antépénultième poème du recueil Les Éblouissements, op. cit. : « Malgré vos fleurs de mai dont chaque brin se pâme, / Malgré les fruits, le vent, le miel des douze mois, / Malgré tout ce torrent qui coule en vous de moi, / Qu’avez-vous fait du suc et du sel de mon âme ? »

464   Poème « Le Premier chagrin », dans L’Ombre des Jours, page 145 de l’édition Calmann-Lévy de 1902 : « Le soir tombait, un soir si penchant et si triste, / C’était comme la fin de tout ce qui existe. »

465   Verlaine « Les Ingénus », poème du recueil des Fêtes galantes, Vanier 1902 : « Le soir tombait, un soir équivoque d’automne : / Les belles, se pendant rêveuses à nos bras, / Dirent alors des mots si spécieux, tout bas, / Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne. »

466   Remy de Gourmont, « La prose de Madame de Noailles », Promenades littéraires, 2e série, Mercure de France 1906. Il s’agit de la première phrase du texte dans lequel cette prééminence n’est pas attribuée à Madame de Noailles mais au romantisme.

467   Dans la revue Minerva du premier mai 1903. L’extrait reproduit ici commence par les mots « Pour la quatrième fois », qui ne sont compréhensibles que si l’on sait que ce texte est le quatrième d’une suite dévolue au romantisme féminin et que trois autres auteurs y ont été traitées dans ce même numéro et les précédents : Renée Vivien, Gérard d’Houville (Marie de Régnier) et Lucie Delarue-Mardrus. Minerva « revue des lettres et des arts » fondée et dirigée par René-Marc Ferry, est parue sur trente numéros, du premier mars 1902 au quinze mai 1903, ce qui a fait écrire à Charles Maurras (préface à L’avenir de l’intelligence, Nouvelle librairie nationale, 1917) : « Minerva n’a pas eu le sérieux bonheur de vieillir. Mais cinq trimestres lui suffirent pour plaire et pour déplaire considérablement. »

Titre de l’avant-dernier numéro de la revue Minerva datée du premier mai 1903 (image approximativement reconstituée depuis presque rien)

468   Alfred de Musset (1810-1857), Ballade à la lune : « Va, lune moribonde, / Le beau corps de Phœbé / La blonde / Dans la mer est tombé. »

469   Poème « Animaux » dans Le cœur innombrable (note 454 page 89), page 143, ces vers un peu niais : « Dieux gardiens des troupeaux qui tenez des houlettes / Rendez-nous l’innocence ancestrale des bêtes ; // Afin que nous ayons l’endurance des maux, / Donnez-nous la douceur des sobres animaux. »

470   Léon Blum (1872-1950), se lie avec André Gide en 1888 alors qu’ils sont élèves du lycée Henri-IV. C’est dans une revue créée à eux deux que sont publiés ses premiers poèmes. Après une scolarité assez ordinaire et un échec rue d’Ulm, Léon Blum obtient une licence de droit en 1894. Avec sa licence il passe le concours du Conseil d’état et est reçu auditeur en 1895 où il est resté 25 ans. Cette activité essentiellement alimentaire permet au jeune Léon Blum de se réserver à la critique littéraire et dramatique, notamment à la revue Le Banquet de Fernand Gregh (où il rencontre Marcel Proust) puis à la Revue Blanche des frères Natanson. Léon Blum a écrit un seul article pour le Mercure de France, sur Jules Renard, paru dans le numéro de juillet 1895, dont voici la première phrase : « Si j’étais tout à fait sincère, je dirais que je n’ai pas de sympathie pour M. Renard : il m’humilie ; je sens en lui des perfections qui m’offensent. »

471   Léon Blum, « L’Œuvre poétique de Madame de Noailles », La Revue de Paris 1908, pages 228-229.

472   Bien que cette critique soit souvent rencontrée sous des formes diverses, toutes époques confondues et jusqu’à nos jours — et bien que cette citation ait souvent été reprise exactement, elle n’est jamais sourcée plus précisément.

473   Jeanne Mette (1867-1955), mère de Marcel Boussac (1899-1980) a épousé Catulle Mendès en 1897.

474   Comtesse Mathieu de Noailles, La Nouvelle Espérance, Calmann-Lévy 1903, 325 pages.

Dédicace de La Nouvelle espérance à Edmond Sée « en témoignage d’admiration »

475   Comtesse Mathieu de Noailles, Le Visage émerveillé, Calmann-Lévy 1904, 212 pages.

476   Comtesse Mathieu de Noailles, La Domination, dédié aux jeunes écrivains de France. Calmann-Lévy 1905, 307 pages. On peut profiter de cette dédicace pour noter qu’il est très rare qu’un ouvrage d’Anna de Noailles soit dédié.


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