Les “Poètes d’aujourd’hui” et la critique

Les Poètes d’aujourd’hui et la critique
Chronique « Littérature » de Robert de Souza
Notes

Page publiée le quinze novembre 2023. Temps de lecture : 24 minutes.

Commençons par une de ces minuscules affaires qui font le quotidien des « Échos » du Mercure de France ce qui évitera ici une note déraisonnablement longue.

Les « Échos » du Mercure de septembre 1900 ouvrent, c’est bien naturel, par une (très courte) nécrologie d’Albert Samain, mort le 18 août. En même temps les délais d’impression de l’époque ne permettaient pas de faire mieux en une douzaine de jours et heureusement le Mercure se rattrapera dans le numéro d’octobre.

L’écho suivant est une lettre de Francis Vielé-Griffin à propos de la parution des Poètes d’aujourd’hui, à laquelle on ne comprend rien mais qui se termine par ce paragraphe :

D’autre part, je n’ai pas publié de poème intitulé Thrène pour Mallarmé ; enfin, et principalement, je tiens à affirmer que je n’ai eu aucune part à l’établissement du volume en question, que j’en regretterais le ton « petit bourgeois », timoré et pauvre, en face d’une matière si riche, les omissions vraiment scandaleuses et l’innocente suffisance, s’il ne suffisait précisément de tout cela pour qu’on nous épargne toute erreur d’attribution, et pour que le public ne risque pas de voir dans ce petit recueil une manifestation collective des poètes nouveaux, dont on prépare une ANTHOLOGIE.

        À vous cordialement,

Francis Vielé-Griffin

Dans les « Échos » du Mercure de novembre 1900, page 285, les deux auteurs font paraître leur réponse :

Une lettre de MM. Ad. van Bever et Paul Léautaud

        Monsieur le Directeur,

Cette réponse, s’il vous plaît, uniquement pour autrui, à la lettre de M. Vielé-Griffin, dans le dernier Mercure, au sujet des Poètes d’aujourd’hui.

M. Vielé-Griffin se défend, dans cette lettre, d’avoir jamais publié un poème intitulé Thrène pour Mallarmé. M. Vielé-Griffin a été par l’un de nous consulté verbalement sur le titre à donner, dans notre ouvrage, au poème qu’à propos de la mort du Maître et sous ce titre de Thrène il publia dans le Mercure d’octobre 1898(1). Il a su notre intention d’intituler ce poème Thrène pour Stéphane Mallarmé. Il ne nous a fait alors aucune objection.

        Vos dévoués,

Ad. Van Bever
Paul Léautaud

Après cette entrée en matière, voici le texte d’Adolphe van Bever et Paul Léautaud paru dans le Mercure de décembre 1900, pages 758-771. Peut-être est-ce du parti-pris mais ce texte semble bien de la main de Paul Léautaud.

Les Poètes d’aujourd’hui et la critique

Les Poètes d’Aujourd’hui sont décidément un livre qui provoque l’écriture. Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. Nous avouerons pourtant que nous n’avions jusqu’ici prêté qu’une attention tranquille à tout ce qui s’imprimait sur notre ouvrage. Assurés en quelque sorte d’avoir fait un travail utile et attendu et qui remplissait sa destination, ce qu’on pouvait écrire d’injuste et d’inclairvoyant à son sujet nous importait peu. Et semblables si l’on veut à ce moine de Gustave Doré que rien des disputes l’environnant ne détournait de sa tâche, nous songions doucement à ce second volume que nous avons presque promis et qu’il nous faudra bien publier un jour ou l’autre2.

À dire vrai, notre tranquillité n’était que naturelle. Les auteurs des articles qui paraissaient sur notre ouvrage avaient tous qualité pour les écrire. S’ils parlaient quelquefois des Poètes d’Aujourd’hui avec méchanceté, on ne pouvait guère leur reprocher qu’une certaine passion un peu inutile ; et encore cette passion devenait-elle très louable si l’on prenait la peine de changer de point de vue. En un mot, aucun d’eux, jusqu’ici, n’avait rien montré qui n’appartint à la critique libre, désintéressée et courtoise.

Tels furent autrefois Kahn3, Doumic4 et Beaunier5.

“et malgré le sous-titre précis qu’on lui voit”

Hélas ! voici que les temps commencent à changer. Après avoir une première fois pris la plume pour rétablir un point que M. Vielé-Griffin négligeait vraiment trop, voici qu’il nous la faut prendre de nouveau pour répondre à des reproches dont l’inconvenance et l’inanité n’ont d’égale que la présomption de leur auteur. Que les lecteurs nous excusent pour qui uniquement nous écrivons ces pages. D’ailleurs, nous lire ne sera pas oiseux si, après avoir profité de l’occasion pour répondre civilement aux critiques civiles, nous avons su montrer ce que ces reproches contiennent d’erreur et de parti-pris. Nous soulignerons tout d’abord l’incompréhension que certains de nos censeurs ont apportée à lire l’Introduction des Poètes d’Aujourd’hui. En dépit de notre déclaration que cet ouvrage est uniquement un recueil de « morceaux choisis », et malgré le sous-titre précis qu’on lui voit, ils se sont en effet obstinés à le considérer comme une anthologie. Il semble pourtant qu’une telle erreur est impossible si l’on lit attentivement notre Introduction : « C’est ici un ouvrage didactique, y avons-nous marqué, si l’on veut un guide de la poésie récente. Des livres des mieux connus d’entre les poètes qui participèrent au mouvement littéraire appelé “symboliste”, nous avons extrait, non pas toutes les belles pièces, mais quelques-unes seulement des plus belles pièces, et sous le titre qu’on voit à ce travail nous les apportons au public comme un témoignage du parfait labeur d’art où se vouèrent ces écrivains et comme un renseignement direct sur leur œuvre. Et c’est ici un livre de Morceaux choisis, sans plus » Ce ne pouvait d’ailleurs être autre chose. Surtout, ce ne pouvait être une anthologie. Qu’est-ce, en effet, qu’une anthologie ? Et de ceux qui prétendent que nous en avons fait une, lequel pourrait nous le dire ? Ce n’est sûrement pas M. de Souza6, dont nous nous occuperons plus particulièrement tout à l’heure. Lui qui fut le plus empressé, sinon le plus habile, à soutenir que notre ouvrage en était une, il ne sait ce que c’est. Du moins n’a-t-il pu l’expliquer à quelqu’un qui l’en pressait. Que ce critique veuille bien pencher ici sa vaniteuse ignorance. Pour définir ce qui constitue à notre sens une anthologie, nous n’avons qu’à reprendre quelques lignes de notre Introduction, supprimées au dernier moment par suite du manque de place. Elles suffiront certainement. « C’est ici un livre de Morceaux choisis, sans plus, et non point une anthologie, comme on s’est plu à le dire de notre ouvrage durant que nous y travaillions. Et cette distinction n’importe pas peu. Une anthologie, en effet, doit comprendre, selon nous, tous les meilleurs poètes de l’époque qu’elle concerne. Elle ne doit pas être le choix de quelques poésies de quelques-uns de ces poètes, mais bien le choix de toutes les meilleures poésies de tous ces poètes. Ce qui en fait le caractère essentiel, c’est que le choix de poèmes qu’elle contient est un choix définitif, un choix absolu, qui ne supporte pas d’être augmenté ni diminué. De là cet empêchement de composer une anthologie autrement qu’avec des extraits d’œuvres closes, c’est-à-dire d’œuvres dont les auteurs sont morts — et la différence qui la sépare d’un livre livre de morceaux choisis dont l’époque qu’il concerne, les poètes qui y figurent et le choix de poèmes varient suivant qu’il est dû à tel ou tel compilateur. Et il éclate que cet ouvrage ne saurait en être une, puisque la plupart des poètes qu’on y voit et qui furent eux-mêmes l’objet d’un choix — et dont il contient, nous le répétons, non pas toutes les belles pièces, mais quelques-unes seulement des plus belles pièces — sont à peine à la moitié de leur carrière, et que notre choix de poèmes n’a pu porter, par cela même, sur un ensemble complet. »

Nous devons toutefois à la vérité de reconnaître qu’il n’existe guère d’anthologie dans le sens rigoureux où nous l’entendons. Méléagre7, le premier, il nous semble bien, qui en composa une, n’accueillit dans la sienne que ceux des poètes grecs qu’il préférait Et depuis, il en fut toujours ainsi, ou à peu près. Dans toutes les anthologies qui nous ont été données des poètes manquent, sans qu’on puisse s’expliquer les raisons de leur exclusion. Celle de la Maison Lemerre8, que M. de Souza nous oppose si maladroitement, est un exemple récent de la fantaisie qu’on apporte habituellement dans l’établissement de ces sortes d’ouvrages, et des sens nombreux donnés au mot anthologie. M. Catulle Mendès, en effet, ne s’y trouve point, et quand on songe à la place qu’il occupe parmi les poètes parnassiens, on ne peut que supposer que seuls des motifs tout à fait étrangers à la poésie ont amené l’éditeur à une telle injustice. M. de Souza sait bien que les raisons qui nous ont fait l’exclure des Poètes d’Aujourd’hui sont plutôt toutes contraires. Quittera-t-il pour cela son erreur et reconnaîtra-t-il enfin, après nous avoir lu, que nous n’avons voulu faire et que nous n’avons fait qu’un recueil de morceaux choisis ? La nature de son esprit rend une telle espérance un peu ridicule. Heureusement la vérité demeure : les Poètes d’Aujourd’hui ne sont point une anthologie ; et ils en seraient une, que M. de Souza, qui ne manque en rien au premier volume, ne figurerait pas plus, mourut-il d’ici-là, dans le second, si tant est qu’il y en ait jamais un.

Quant aux reproches qu’on nous a faits relativement à notre choix de poètes, ils se détruisent les uns les autres et nous n’en parlerons qu’à peine. Chaque critique, en effet, a publié ses préférences et ses inimitiés, et les noms cités à propos de nos prétendues complaisances comme à propos de nos omissions en ont varié d’autant. Nous ne reproduirons rien de ces énumérations diverses et changeantes, où figurent à la fois des noms de poètes et des noms d’écoliers en poésie, lesquels sont tantôt honnis et tantôt célébrés. Il est certain que si notre choix de poètes eût dépendu de M. Gustave Kahn, beaucoup de ceux que nous avons accueillis auraient été négligés et que beaucoup de ceux que nous avons négligés auraient été accueillis. Mais il est non moins certain que si ce même choix eût dépendu d’un troisième arbitre, tout encore en aurait été changé. Et il est indiscutable que ni l’un ni l’autre, qui, pas plus que nous, dans un seul volume, n’aurait mis tous les poètes, n’aurait, mieux que nous, satisfait tout le monde. D’ailleurs, cette difficulté de notre travail n’a point échappé à M. Gustave Kahn. Le seul de nos juges, il en a tenu compte et l’a signalée, et sa critique des Poètes d’Aujourd’hui9 en garde nous ne savons quel ton amène et encourageant. Sans doute, il n’a montré, ce faisant, que la clairvoyance et l’impartialité qui convenaient. Mais quand on voit le parti pris de ces mécontents qui ont qualifié nos omissions de « vraiment scandaleuses », cette clairvoyance et cette impartialité deviennent appréciables et valent qu’on les loue.

Encore, ces omissions qu’on nous a reprochées, si elles se rapportaient toutes à de jeunes poètes ou du moins à des poètes d’expression récente. Quand on songe que M. Henry Bordeaux est allé jusqu’à écrire10 que notre livre ment à son titre parce que n’y figurent point MM. de Heredia, Sully-Prudhomme, Léon Dierx et François Coppée. Comme si ces poètes, qui seront peut-être de tous les temps, pouvaient être appelés des « poètes d’aujourd’hui » au sens où il faut l’entendre au sujet de notre ouvrage, et comme si la date de parution des Trophées (1892) était un argument soutenable. De telles critiques, nous le répétons, ne se tiennent pas. Nous gardons cette idée que les poètes que nous avons choisis représentent assez bien les différentes nuances de la poésie actuelle. Nous avons admis dans notre recueil de jeunes morts dont la place y était marquée. Nous y avons placé le délicieux Verlaine et le pur Mallarmé — qu’on nous a reprochés, verbalement, il est vrai — comme des ainés dont l’œuvre méritait cet hommage. Nous avons négligé des poètes que nous aimons et nous en avons accueillis que nous ne goûtons guère. Mais qu’il y ait dans notre ouvrage des noms inutiles et qui tiennent la place de noms indispensables, nous ne le croyons pas. Nous croyons plutôt que les quelques poètes que nous avons choisis méritaient tous de l’être, et qu’on peut seulement regretter notre impossibilité à en accueillir davantage. Mais disposant du cadre étroit d’un seul volume — car le second ne fut jamais certain — il nous fallait bien nous borner, et c’est surtout pour nous qu’il n’y a pas compensation.

D’ailleurs, les listes de noms qu’on a publiées si complaisamment sont elles-mêmes incomplètes. Il est en effet un poète qui, plus qu’aucun de ceux qu’on nous a reproché d’avoir omis, avait, pour toutes sortes de raisons, sa place indiquée dans notre recueil aux côtés de Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé. Mais personne ne s’est souvenu de lui. Aucun de nos critiques, aucun même des poètes qui ont écrit sur notre ouvrage, n’a daigné rappeler son nom admirable et triste. Charles Baudelaire ! celui-là surtout manque peut-être à notre livre11. Nous avions pourtant songé à l’y placer. Pourquoi n’en avons-nous rien fait ? Et quoi nous consolera de n’avoir pas tout au moins réalisé ce projet que nous eûmes un moment de dédier sa mémoire les Poètes d’Aujourd’hui

Si nous abordons maintenant les critiques qu’on nous a faites sur notre choix de poèmes, nous voyons que là aussi l’accord manque un peu. Tandis que M. Gustave Kahn nous reproche d’avoir « donné trop calme, trop pâle », d’avoir « cherché des pièces sages », M. Henry Bordeaux, lui, émet cet avis que nous aurions dû éviter les poèmes de Tristan Corbière, d’Arthur Rimbaud et de M. René Ghil, qu’il qualifie de « déraisons » ; et cependant qu’un jeune auteur publie çà et là que nous montrons dans notre ouvrage une tendance trop « symboliste », M. de Souza… écrit, en employant des mots de politicien et dont le sens n’est pas fixé, que nous avons sacrifié les poètes au public et que nous avons dénaturé l’art de chacun d’eux. À tout cela nous répondrons brièvement. Nous osons croire qu’aussi bien que M. Gustave Kahn — car dire aussi bien que M. de Souza serait un peu exagéré — nous savons juger de la beauté d’un poème. Nous gardons cette opinion que notre choix est exact, qu’il raconte fidèlement les successifs aspects de l’art des poètes, et qu’on n’y pouvait apporter un esprit différent, ni surtout qui fût meilleur. Nous savons au surplus ce que nous avons fait, qui est précisément ce que nous voulions faire. Et les critiques qu’on nous adresse sur ce point sont d’autant plus négligeables que leurs auteurs n’ont tenu compte aucunement du but que nous nous proposions, le seul, d’ailleurs, qu’il était possible de se proposer.

Il y a d’autre part de quoi sourire quand on voit M. de Souza nous reprocher d’avoir sacrifié les poètes au public, alors que nous avons tout au contraire tenté d’élever celui-ci jusqu’à ceux-là. Ne trouve-t-on pas dans notre recueil des fragments de poèmes de M. René Ghil, qui sont plutôt abstraits, et des poèmes de Jules Laforgue, qui ont besoin d’être sentis plus encore que compris et qui demandent pour être goûtés une sensibilité extrêmement particulière ? N’est-il pas clair aussi que les lecteurs d’un volume de vers ne sont tout de même pas les habitués des bas romans-feuilletons, comme semble l’avancer M. de Souza, quand il donne au mot public un sens péjoratif qu’il n’a point en l’espèce ?

Il vaut mieux d’ailleurs ne pas insister sur ces points, qui sont délicats au regard des poètes eux-mêmes, et à présent que nous en avons fini, ou à peu près, avec les critiques courtoises, nous allons nous occuper des autres.

Nous rappellerons tout d’abord, pour que ces pages soient une réponse complète, la lettre de M. Vielé-Griffin, dans le Mercure de septembre dernier. On sait que M. Vielé-Griffin nous a reproché, dans cette lettre, d’avoir donné un titre fantaisiste à l’un de ses poèmes, reproduit dans notre ouvrage. M. Vielé-Griffin oubliait simplement l’accord intervenu entre nous et lui. Au moment de reproduire dans les Poètes d’Aujourd’hui le Thrène qu’à l’occasion de la mort de Stéphane Mallarmé il publia dans le Mercure d’octobre 1898, il nous apparut en effet que ce poème n’aurait peut-être pas auprès du lecteur son entière signification, le nom du Maître ne s’y lisant point et la date l’accompagnant pouvant n’être pas éloquente sûrement. L’idée nous vint alors de le titrer comme un précédant poème du même auteur, intitulé Thrène pour Paul Verlaine, et d’ajouter au mot Thrène les mots pour Stéphane Mallarmé. Et M. Vielé-Griffin, consulté, nous ayant donné toute liberté, il fut procédé ainsi. On conviendra aisément qu’il nous était difficile après cela de prévoir que M. Vielé-Griffin se défendrait un jour, en jouant sur les mots, d’avoir jamais publié de poème intitulé Thrène pour Stéphane Mallarmé, et nous accuserait ainsi d’avoir en quelque sorte dénaturé son texte.

Nous arrivons maintenant à l’article de M. de Souza sur les Poètes d’Aujourd’hui, paru dans le dernier Mercure. Nous ne reprendrons pas dans cet article ce qui concerne le caractère de notre ouvrage ; notre choix de poètes et notre choix de poèmes, y ayant répondu d’une manière générale dans les pages qui précèdent. Nous montrerons seulement ce qu’il contient d’erreur (?), de « personnalisme sectaire » et de trissotinisme, et l’on pourra juger si nous exagérons.

Au cours de cet article, et comme pour renforcer ses griefs contre notre ouvrage, M. de Souza écrit ceci « Rien qu’un article rendu possible comme Le Bilan du Symbolisme par M. Doumic est significatif des erreurs qu’une publication pareille entraîne… » Or, l’article de M. Doumic sur les Poètes d’Aujourd’hui est en réalité intitulé Œuvre du Symbolisme12. Le mot Bilan n’a été mis là par M. de Souza que pour donner à ce point de sa critique la valeur qu’il lui désirait. Les mots Œuvre et Bilan ont pourtant une signification très différente, surtout ici. Mais cette distinction n’a pas arrêté M. de Souza qui, d’ailleurs, l’ignorait peut-être, comme il ignore tant de choses, entre autres le français, ainsi qu’il apparaît quand il écrit anthologiste au lieu d’anthologue. Et le mot Bilan donnant à l’article de M. Doumic le sens très aggravé qu’il désirait qu’on lui crut, il n’a pas hésité à fausser la citation et à écrire Le Bilan du Symbolisme au lieu de L’Œuvre du Symbolisme. Et voilà pour l’erreur (?).

Nous reprochant inexplicablement nos notices détaillées et nos bibliographies documentées le mieux possible, M. de Souza écrit : « Les poèmes de Mallarmé comprennent neuf pages, mais les notes qui les précèdent en remplissent onze ! Il est vrai que Verlaine n’a que sept pages de poèmes pour onze pages encore de notices… Maeterlinck a autant de pages de notice en petit texte que de poèmes en gros caractères… » Nous ne demanderons pas à M. de Souza, dont les écrits sont plutôt du genre amusant et qui, cette fois encore, n’a pas démenti sa réputation d’homme spirituel, ce qui l’a poussé à écrire ces lignes. L’opinion est trop répandue que dès qu’il s’agit de lui il ne faut jamais supposer la mauvaise foi. Mais la table des matières des Poètes d’Aujourd’hui renseigne quelque peu sur notre méthode de travail, et l’on peut, en la consultant, constater, comme l’aurait pu M. de Souza, si un certain dépit, bien naturel d’ailleurs, et une faiblesse de moyens, plus naturelle encore, ensemble ne l’en avaient empêché, que le nombre de poèmes, pour chaque poète varie simplement selon à la fois le rang du poète, l’importance de sa production et la longueur de ses pièces. Nous n’écrirons pas non plus des mots à l’infini pour répondre aux finesses qu’il montre quand, dans ces mêmes lignes, il tend encore à nous reprocher d’avoir donné trop peu de poèmes de Stéphane Mallarmé, de M. Maurice Maeterlinck et de Paul Verlaine13. Il est trop facile de prendre notre ouvrage et l’œuvre poétique de Stéphane Mallarmé et de M. Maurice Maeterlinck pour juger que le nombre de poèmes qu’il leur voit est tout à fait en rapport à la fois avec leur production et le nombre de poèmes des autres poètes, et qu’ils n’ont été en rien moins favorisés que ces derniers. Et pour nous expliquer d’un coup relativement aux poèmes de Paul Verlaine, nous marquerons uniquement que certaines exigences, formelles de la Maison Vanier14 ne nous ont pas permis de faire mieux, bien que, selon nous, les pièces que nous avons données ne manquent pas d’autorité.

D’ailleurs, tout cela n’est rien. Le comble, c’est quand M. de Souza, toujours dans les mêmes lignes, ose trouver trop longues nos notices et notre documentation sur Paul Verlaine, sur Stéphane Mallarmé et sur M. Maurice Maeterlinck. Il n’a pas vu que celles de nos notices qui sont un peu détaillées sont celles-là surtout qui concernent des morts. Et les noms qu’on vient de lire ne l’ont point arrêté. Il n’a pas songé non plus qu’on ne pouvait écrire négligemment sur de tels écrivains. Tout notre soin à rappeler au public le souvenir des deux premiers est sans prix à ses yeux. Et quant au troisième, il semble, selon lui que nous eussions dû l’expédier plus rapidement. Et tandis que la plupart de nos critiques ont bien voulu, au contraire, apprécier en passant notre travail de documentation, lui, le Trissotin sec et amer, il fait le léger et parle avec hauteur de nos « habitudes de paperasserie littéraire ». Encore une fois, n’est-ce point énorme, et ne serait-ce pas pénible si ce n’était aussi bouffon ? Et surtout, n’est-ce point un peu laid ce prétendu poète, ce soi-disant admirateur de Stéphane Mallarmé qui trouve mauvais notre désir de raconter, incomplètement, hélas ! mais pour la première fois, il nous semble bien, la vie du Maître mort, et nos efforts à rassembler les indications essentielles de ce qui fut écrit sur lui et sur son œuvre ?

Mais non, et nous nous échauffons alors que dans tout cela rien n’en vaut la peine. C’est uniquement par dépit de n’y point figurer que M. de Souza a écrit sur notre ouvrage tant de sottises et nos lecteurs l’ont compris depuis longtemps. Aussi nous presserons-nous de terminer ces pages. Nous nous tairons sur cette faiblesse qu’a montrée M. Vielé-Griffin quand il a tenu à éviter « toute erreur d’attribution » les Poètes d’Aujourd’hui sont signés, il nous semble, de nos noms et non pas du sien, et nous voyons mal ce qu’il a voulu dire. Nous passerons également sur l’accueil empressé fait par le Mercure à nos éreinteurs, surtout à celui d’eux qui n’avait aucune qualité écrire sur notre ouvrage : il vérifie ce qu’a dit M. Gustave Kahn, que les Poètes d’aujourd’hui ne sont en rien une « prime quasi commerciale », et, d’autre part, M. Pierre Quillard, titulaire de la rubrique des Poèmes, en profitera peut-être un jour pour écrire sur ce livre qui a quelques droits à ses soins par les inédits qu’il contient. Nous ne consolerons pas non plus M. de Souza de l’échec qu’il essuya auprès des poètes à qui il demanda, au lendemain de la parution du livre, de signer avec lui une protestation contre et qui n’y consentirent, lui refusant ainsi, après nous, le plaisir de se compter parmi les « poètes d’aujourd’hui ». Nous profiterons néanmoins de la place qui nous reste pour marquer très rapidement quelques mots sur M. de Souza, mais quelques mots seulement, car la tâche entière serait au-dessus de nos forces. D’ailleurs, l’incertitude où l’on est encore sur son compte force d’ajourner ce travail. On ignore, en effet, ce qu’est au juste M. de Souza15. Les poètes disent : c’est un critique ; les critiques disent : c’est un poète ; et des gens bien élevés ajoutant qu’il est surtout un gentleman, on s’y perd, d’autant mieux que si ses poèmes ne donnent pas raison aux critiques, sa critique, elle, donne tout à fait tort aux poètes. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il faudrait la plume de 1’auteur d’Ubu roi pour écrire sur lui les pages qui conviennent ; et ces pages, définitives on n’en saurait douter, on les pourrait épigraphier, par un souci d’amusante pédanterie, de ce vers de Boileau, si bien approprié :

             Chapelain veut rimer et c’est là sa folie16.

Car M. de Souza, lui aussi, veut rimer (quand nous disons : rimer…) et c’est là, pour lui, plus que sa folie. Il envisage la poésie d’une façon si particulière et la place si haut qu’il n’a pu jusqu’ici réussir à y atteindre. « Quelque effort qu’il fasse pour inventer des mythes et des images, M. Robert de Souza, a écrit M. Pierre Quillard à propos de Sources vers le Fleuve17, compose plutôt des poèmes du genre démonstratif et d’où trop souvent la beauté même est absente… la langue des vers ne lui est point native et naturelle ; il la parle comme on parle les langues étrangères, avec recherche et gauchement, sans en saisir le sens intime et familier. Il croit outre mesure à la vertu efficace des recettes et des procédés : à ce compte, un vers deviendrait sûrement beau, pour peu que le dosage des e muets18 y fût calculé en proportions congrues… » Et l’on a vu son chagrin de ne point figurer dans notre recueil de morceaux choisis. Il a toutefois négligé de produire de ses poèmes à l’appui de ses reproches ; et malgré nos explications et les lignes qu’on vient de lire de M. Pierre Quillard, peut-être il est encore malaisé de se faire une opinion sur le poète qu’il est. C’est pourquoi nous oserons n’imiter pas sa modestie et donnerons ici quelques brefs échantillons de ses vers, comme un « renseignement direct sur son œuvre ». Et qu’on ne vienne pas nous dire que ce sont là des extraits et qui dénaturent intentionnellement quand un poète a du talent, cela éclate aux moindres pages de son livre ; et le comique un peu plat où excelle assez souvent M. de Souza ne sera en rien faussé par nos citations.

Par petits jets jaillis à fuites menues
D’entre les doigts qui pressent la mamelle,
Gerbe, épanouie blanche du bouton nu,
La source première est de lait.
La source seconde est de larmes.
Elle fléchit d’amertume les charmes
Qui ont par nos désirs notre cœur levé…

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

O éternel Passant, vainqueur des fables,
Tu l’es toi-même au bout du voyage conquis !

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

— Mon frère, n’ayez souci :
Ce sera comme vous désirez.
Mais nous sommes tous deux comme occis ;
il faut que l’âme songe au paradis.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Où brûle le feu qui fume de tant de bruine ?
Mais écoute !… n’entends-tu pas sans voir ?
Entends la cloche, la cloche…
Approche :
Entends l’espoir, l’espoir…
Du port…

— Ah nul n’entend sans voir
La cloche, la cloche,
L’appel de paix, l’appel d’espoir,
L’appel du port.

L’espoir, hélas ! est noir,
Où chacun tourne, et tourne.
Où chacun trouve,
Sur le but proche,
La mort…

La mort…

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Sœur aimée, ce n’est qu’aux plis de mes lèvres, pareils aux plis…
Je veux t’abandonner, sœur, pour enfin connaître
Ceux, en même temps qu’ils voient, qui entendent,

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Je te retrouve, libertine !.. Allons, rentre…
Chasseresse mauvaise qui s’en va courre l’éphèbe
Et quitte l’affût de gloire de ton père !

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Mais s’éleva, lente et pure, une voix d’argent et de cristal
Qui eût des échos polaires cherché
Misérables, qui pensez séduire des Filles de beauté.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

La vie est libre.
Chacun est par l’ombre le maître glorieux
De soigner à l’écart des foules déprédatrices,
En soi-même, les semis de l’heure…

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Elle disparut.
Je m’en allai…

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

D’étranges choses tombent sur nous…

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Descendent les grands vaisseaux le Fleuve, vers l’infini…

Sources profondes ! au long de votre course, descendent,
Sans qu’un fil se rompe vers un plus vaste avenir,
Les liens dénoués, qui traînent, des légendes ;
Et dans un sillon d’arômes et de couleurs
Qui pousse, sans l’assoupir jamais, l’éveil du désir,
Descendent les saisons au long de la fuite des rivages ;
Et les renouveaux suivant le croisement des sillages
Qui descendent, de toutes les hardiesses qui meurent,
S’unir vers un plus large espoir, quand même, de vie,
Descendent tous les vaisseaux le Fleuve, vers l’infini
19.

Hélas ! M. de Souza, si nous osons nous exprimer ainsi, ne les rattrapera jamais20.

Paul Léautaud.
Ad. van Bever.

Chronique « Littérature » de Robert de Souza

Ce texte est paru dans le Mercure du mois précédent (novembre 1900), pages 496-499. Il suit un compte rendu de l’ouvrage de Paul Claudel Connaissance de l’Est, paru au Mercure.

Ce n’est pas que j’hésitais à rendre compte des Poètes d’Aujourd’hui, 1888-1900, morceaux choisis, accompagnés de Notices biographiques et d’un Essai de Bibliographie, dus à la bonne volonté opportuniste de MM. Ad. van Bever et Paul Léautaud ; mais je préférais attendre les manifestations diverses que cet étrange recueil devait provoquer, afin que sa publication nous fournît tout l’enseignement qu’il importe qu’on en retire. Et je n’étais pas arrêté le moins du monde par mon exclusion d’un choix qui avait témoigné du plus parfait arbitraire. J’en pense ce qu’il convient, du moment que tant d’ouvriers de la première heure comme M. Charles van Lerberghe, comme M. Albert Mockel, comme M. Saint-Pol-Roux21, et d’autres, n’étaient jugés dignes que d’une seconde mouture, — problématique. Mais j’ai donné trop de gages d’indépendance et de justice, jusqu’au scrupule d’allonger ridiculement en certain livre les éloges d’un petit poète qui m’avait injurieusement peu compris, pour craindre un instant que ce fait personnel puisse avoir sur mon jugement quelque influence ou, dans les esprits honnêtes qui seuls comptent, m’en attirer même le soupçon. Quant à l’importance qu’il ne faudrait pas accorder à un ouvrage de vulgarisation mal confectionné et qui ne retranche ni n’ajoute rien aux œuvres qui en leur entier demeurent par ailleurs, l’ouvrage, du seul fait de son existence et de la portée d’introduction à ces œuvres qu’il prend malgré tout, oblige le critique à le situer au point juste de son mérite. Le défaut principal de l’ouvrage de MM. van Bever et Léautaud, c’est qu’avec le sous-titre de « morceaux choisis », il a été fabriqué comme une « anthologie » et qu’il est aussi peu d’une sorte que de l’autre Des « morceaux choisis » en effet n’auraient pas demandé une introduction où les premières phrases présentent les affirmations suivantes : « C’est ici un ouvrage didactique, si l’on veut : un guide de la poésie récente. Des livres des mieux connus d’entre les poètes qui participent au mouvement littéraire appelé “Symboliste” nous avons extrait… » etc. Lorsque après cela les auteurs ajoutent : « Et c’est ici un livre de morceaux choisis, sans plus », ils n’ont fait qu’ajouter un pur non-sens à leurs déclarations premières. Un recueil de « morceaux choisis » ne peut pas être « un guide de la poésie récente » ; et vice versa. Ne serait-ce donc pas une anthologie, c’est-à-dire un recueil plus étendu, impersonnel, complet ? Les notices sont longues, les bibliographies abondantes22 ; il y a même des iconographies et un appendice. Et comment le serait-ce puisque d’abord les auteurs, tout en agissant comme s’ils le voulaient, ne le veulent pas ? et qu’à vrai dire les deux premières parties de l’appendice ont l’air d’une gageure, par laquelle on se demande de qui l’on se moque vraiment, du public ou des poètes. Aussi bien une anthologie comporte-t-elle un écartement systématique « de telles pièces d’une beauté trop neuve ou trop vive » pour telles autres qui semblaient aux auteurs « convenir mieux » ? Sa raison d’être n’est-elle pas de présenter l’état sincère, aussi absolu que possible de la poésie d’un temps, justement dans les caractères qui la distinguent le mieux de l’époque antérieure ?

Mais voici les lignes qui légitiment, selon MM. van Bever et Léautaud, les antinomies inconciliables de leur ouvrage : « Avant tout, nous faisions un livre pour le public et, SEULE, cette considération devait être notre guide. Avant tout, nous faisions un livre que tout le monde(?) pourrait lire, où chacun sûrement trouverait sa complaisance. »

J’ai lu, et relu vingt fois cette phrase pitoyable de prospectus. J’ai bien lu elle y est. Ainsi, pauvres poètes, ce n’était pas pour donner le goût de vos œuvres, pour révéler une bien faible part des découvertes de votre sensibilité qu’on arrachait ces poèmes de vos livres, c’était pour que tout le monde pût les voir au grand soleil, comme si dans vos livres ils étaient inaccessibles à la lumière. Ainsi donc, pauvres poètes, dans l’ouvrage de MM. Ad. van Bever et Léautaud tout le monde peut enfin goûter le tri parfait de vos poèmes, car pour tout le monde vos livres restent fermés, « chacun n’y trouverait pas sûrement sa complaisance » ! Et c’est bien au sens intellectuel que nos vulgarisateurs l’entendent, et pour légitimer leurs choix ; il n’y a pas à s’y méprendre : ils ont eu bien soin de ne pas invoquer la seule excuse de tous les anthologistes, qui est de mal atténuer matériellement par une publication unique la dispersion et le nombre des œuvres. — Ainsi, malheureux poètes, c’est pour le public qu’on vous a présentés sous votre jour le plus adouci, le plus sage, comme si on lui disait (et on le lui a dit) : « Tu vois : ils ne sont pas si méchants que cela, ni si monstrueux, ils sont comme tout le monde ! » Et de fait il n’en est pas cinq d’entre vous pour lesquels le choix soit vraiment représentatif de toutes les étapes de leur génie, des formes les meilleures de leur art.

Se serait-on jamais douté qu’il arriverait un jour qu’au Mercure LA POÉSIE serait l’objet d’une publication OPPORTUTUNISTE ? Eh bien, il faut avoir le courage de le constater : jamais la maison Lemerre, au temps où elle représentait la poésie vivante de l’autre génération, n’eut la faiblesse d’un opportunisme de ce genre. Lorsque parut le premier Parnasse23, le public était loin d’avoir été préparé comme il l’est aujourd’hui pour nous par tant d’articles de combat et par des parutions de poèmes à intervalles réguliers jusque dans les feuilles quotidiennes. Ce furent cependant les vers les plus caractéristiques des poètes d’alors qui y furent insérés. Nous avions donc encore moins à craindre de réunir des pièces « d’une beauté trop neuve ou trop vive ». Et puis cela ne peut pas être en question à propos d’art. Une librairie dont tout l’honneur, toute l’autorité première, qu’on le veuille ou non, repose sur la poésie ne peut pas la compromettre pour des nécessités commerciales qui trouvent en d’autres modes d’écrire les compensations matérielles légitimes. Il n’est pas admissible qu’en art les moyens de transmission vulgarisateurs soient des sortes de passe-partout diplomatiques. On n’a jamais vu les peintres nouveaux composer leur salon de leurs œuvres les moins particulières, les moins audacieuses.

Ce qu’il y a de grave, c’est qu’on savait que l’anthologie des nouveaux poètes était depuis des années dans l’air, mais que nous reculions toujours de l’exécuter, parce qu’en somme nous répugnons à ce mode de communication insuffisant et rudimentaire. L’anthologie est le musée des poètes ; et le musée, au fond, n’est qu’un asile d’orphelins ou de vieillards. Puis la délicatesse prodigieuse de la tâche effrayait. Nous sentions que quelques habitudes de paperasserie littéraire ou quelque patience bibliographique sont les moindres outils pour ce genre de travail. Or qu’aboutissant à cette forme bâtarde de morceaux choisis qui n’est pas une anthologie et d’une anthologie qui n’est pas « morceaux choisis », la bonne volonté peu éclairée de deux jeunes écrivains se soit méprise, cela s’explique, cela ne dégage pas la responsabilité du Mercure. Il est réconfortant que M. Francis Vielé-Griffin ait dégagé celle des poètes.

C’est que les conséquences ne sont point négligeables. Rien qu’un article rendu possible comme le Bilan du Symbolisme24 par M. Doumic est significatif des erreurs qu’une publication pareille entraîne et des incompréhensions qu’elle soutient. Mais j’aurai l’occasion de les rendre plus sensibles par l’analyse de plusieurs chapitres de l’Histoire de la langue et de la Littérature françaises qui a été achevée il y a quelques mois sous la direction de M. Petit de Julleville25, mort depuis, en montrant le tort profond, jamais comblé, qu’ont fait, que continuent à faire à notre génération la négligence, l’incompétence, le manque de méthode apportés à l’histoire littéraire critique de l’admirable Renaissance des vingt dernières années.

De toute la compilation de MM. van Bever et Léautaud, il n’y a à retenir dans sa confusion qu’un certain amas bibliographique. Cela pourra servir. Mais il importait que des paroles très nettes fussent prononcées à son sujet, et ici même.

Robert de Souza

Notes

1       Mercure d’octobre 1898 page onze, Stéphane Mallarmé étant mort le neuf septembre.

2       Cette édition en deux volumes paraîtra à la toute fin de 1908.

3       Gustave Kahn (1859-1936), chartiste, poète symboliste et critique d’art. La critique des Poètes d’aujourd’hui par Gustave Kahn est parue dans La Revue blanche d’août 1900. Elle est reproduite au bas de la page des notices du tome I des Poètes d’aujourd’hui.

4       René Doumic (1860-1937), homme de lettres et critique littéraire. Normalien, premier de sa promotion en 1879 et aussi premier à l’agrégation de lettres, René Doumic sera élu à l’Académie française le premier avril 1909 et en sera le secrétaire perpétuel en 1923.

5       André Beaunier (1869-décembre 1925), romancier, auteur dramatique et critique littéraire.

6       Robert de Souza (1864-1946), urbaniste (architecte ?), poète symboliste, critique littéraire et romancier. Robert de Souza a écrit 92 textes dans la revue entre janvier 1895 et mai 1939. Il collabore aussi à la Revue de Paris et à la Revue des deux mondes. Robert de Souza a réservé la plus grande partie (quatre pages) de sa rubrique du Mercure du mois dernier aux Poètes d’aujourd’hui. Ces pages sont reproduites en annexe en fin de page.

7       Méléagre de Gadara (-140 -60) avant notre ère, vivait dans l’actuelle Jordanie. Méléagre composa une « Couronne tressée » de poètes légers. Ce texte est perdu, comme presque tous ceux de cette époque. Pierre Louÿs a publié en 1893 un volume de cent « Poésies de Méléagre » (140 pages) dont il a rédigé la préface.

8       Alphonse Lemerre, Anthologie des poètes français du XIXe siècle, quatre volumes, 1888, Alphonse Lemerre, éditeur.

9       Note de PL : « Revue blanche, 1er août 1900. »

10     Note de PL : « Revue hebdomadaire, 29 septembre 1900. »

11     Charles Baudelaire, mort en 1867, ne figurera évidemment pas davantage dans les éditions suivantes.

12     Note de PL « Voir Revue des Deux-Mondes 15 juillet 1900, « Études sur la littérature française », 4e série, Paris, Perrin, 1901 ».

13     On peut noter que ces trois notices ont été rédigées par Paul Léautaud.

14     Léon Vanier (1847-1896), libraire, a été le premier éditeur de Paul Verlaine.

15     Note de PL : « On ne connaît guère, comme document sur lui, qu’un certain Intermède du Jeune Homme à la grosse tête, dans XIII Idylles diaboliques, de M. Ad. Retté, Paris, Bibliothèque Artistique et Littéraire, 1898. »

16     Boileau, Œuvres poétiques, Satire IV : Chapelain veut rimer, et c’est là sa folie, / Mais bien que ses durs vers, d’épithètes enflés, / Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés, / Lui-même il s’applaudit, et, d’un esprit tranquille, / Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.

17     Note de PL : « Voir Mercure de France, janvier 1898. » page 221.

18     Le premier texte de Robert de Souza (en ouverture du Mercure de janvier 1895) a pour objet « Le rôle de l’e muet dans la poésie française ».

19     Note de PL : « Sources vers le Fleuve, pages 9, 10, 17, 32, 73, 75, 93, 94, 115, 116, 121, 123, 135, 136, 153, 176, 203, 211 et 212. » Robert de Souza, Sources vers le fleuve, Mercure fin 1897, 217 pages.

20     Lire (non cité ici) en complément de ce texte, la reproduction d’une conférence prononcée par Henri de Régnier à la société des Conférences le six février 1900 « Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain » (Mercure d’août 1900, pages 321-350).

21     Ces trois poètes seront de l’édition suivante, en 1908. Les notices de Charles van Lerberghe et Albert Mockel seront rédigées vraisemblablement par Adolphe van Bever. On ne connait pas l’auteur de la notice de Saint-Pol-Roux, les notices n’étant plus signées à partir de l’édition de 1908.

22     Note de RdS : « Les poèmes de Mallarmé comprennent neuf pages, mais les notes qui les précèdent en remplissent onze ! Il est vrai que Verlaine n’a que sept pages de poèmes pour onze pages encore de notices… Maeterlinck a autant de pages de notices en petit texte que de poèmes en gros caractères ; la proportion générale est d’un tiers de notes pour deux tiers de poèmes. Une vaste anthologie ne pourrait peut-être pas admettre cette proportion ; et l’on s’explique, en dehors du choix fantaisiste, que le nombre des poètes ait été réduit à la portion congrue pour que s’étale au large l’incomplète abondance compilative de nos aimables vulgarisateurs. »

23     Charles Leconte de Lisle (le prénom est généralement omis, 1818-1894) est unanimement considéré comme le maître des parnassiens, par son ancienneté, d’abord, par son charisme ensuite, par le fait qu’il a été le premier à en définir clairement la doctrine et enfin par sa publication de trois volumes de poésies rassemblant une centaine de poètes sous le titre Le Parnasse contemporain, chez Alphonse Lemerre entre 1866 et 1876. Cet ouvrage est resté la référence poétique de toute cette fin de siècle. La doctrine parnassienne peut être résumée par un certain retrait, un fort attachement à la forme stricte, un classicisme rigoureux et une référence constante aux mythologies.

24     René Doumic, « L’Œuvre du symbolisme », Revue des deux mondes, quinze juillet 1900, pages 431-442.

25     Louis Petit de Julleville, né en 1841, vient de mourir le 25 août 1900. Histoire de la langue et de la Littérature françaises des origines à 1900, Armand Colin (huit tomes).