Paul Valéry II — 1915-1925

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II — La séparation

1914-1915

 La dernière rencontre de Paul Valéry notée dans le Journal littéraire est de 1907, à l’occasion de l’enterrement d’Alfred Jarry le trois novembre. Il faudra ensuite attendre près de sept ans, le cinq mai 1914 :

 Un mot de Valéry, ce matin, me disant son plaisir à lire mes Chroniques61. Il n’a pas changé. Toujours son style précieux et imprécis.

 Voici la réponse à ce mot, une semaine plus tard exactement, le 12 mai :

 Très gentil, votre mot. Si ces chroniques vous amusent, tant mieux. J’ai surtout eu plaisir à avoir de vos nouvelles. Il y a si longtemps que nous nous sommes vus ! Mais vous habitez loin. Moi, j’ai à peine de liberté. Je suis aussi, devenu bien paresseux pour les déplacements. Dites-moi tout de même si et quand on peut vous voir. Je tâcherai de trouver un jour.

 Je n’ose me rappeler au souvenir des vôtres, depuis le temps ! Cordialement à vous.

 Un an et demi plus tard, le onze septembre 1915, PL note dans son Journal :

 Je n’avais pas vu Valéry depuis bien des années. Il vient de republier dans le Mercure son essai sur le livre de Maurice Schwob62, le Péril allemand, paru autrefois dans une revue anglaise63. Il en fait faire un tirage à part et je l’ai revu il y a quelques jours comme il venait au Mercure rapporter ses épreuves. Il a été convenu qu’il me ferait part d’un jour pour aller déjeuner chez lui, où il est seul en ce moment. Aujourd’hui, j’ai reçu de lui cette jolie invitation :

Vendredi 10 Septembre 1915
40, rue de Villejust

Muse de J. Truffier64, prête-moi ta clarté !

Mardi, sombre Boissard dont le cerveau travaille,
Venez, midi l’exige, à ma tasse de thé ;
Le thé ni le festin ne vaudront rien qui vaille
Mais notre infâme langue et Stendhal invité
Feront de ce repas la curiosité.

 (Hum !)
P. V.

 Et le quatorze septembre PL note dans son Journal le récit de cette rencontre dont voici de larges extraits (les deux lignes de points figurent dans l’édition papier de 1956) :

 Déjeuner chez Valéry. Plus d’aise pour moi que lorsque toute sa famille est là. Les femmes me gênent toujours, et encore plus quand je les connais peu et qu’elles sont plus ou moins cérémonieuses.

 En attendant de nous mettre à table, nous avons donné un souvenir aux jours déjà lointains que nous nous voyions chaque soir : causeries, promenades sur des impériales d’omnibus, la petite chambre de Valéry dans un hôtel de la rue Gay-Lussac, sa fenêtre donnant sur l’impasse Royer-Collard65, et ma chambre à moi, 11, rue de Condé, sous le toit. Nous avons aussi parlé de notre impression à se sentir vieillir66. Valéry y est fait et n’y pense plus guère. Je lui ai dit l’angoisse que j’éprouve, quand je pense à cela, la nuit, quelquefois, dans un moment de réveil. Nous avons eu aussi un mot sur le peu que nous avons fait, parlé de certains autres qui ont fait leur affaire : notoriété, décorations, même Académie. Valéry est comme moi, il ne leur porte nulle envie67. Ce qu’ils ont attrapé ne nous fait pas illusion. Leur œuvre est là et qui est en réalité purement travail de fabricants.

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 Valéry m’a parlé de Pierre Louÿs68, qui est pour lui un ami très cher. Il l’a revu récemment. Il a été très impressionné de la transformation opérée en lui. Louÿs est, paraît-il, devenu bouffi, épais, déformé de corps comme de visage, lui qui était, taille et physionomie, si joli homme et distingué. Il paraît qu’il est en outre devenu noctambule enragé. Il passe ses journées au lit, de huit heures du matin à huit heures du soir. À cette heure-là il se lève et s’en va dîner, passer la nuit et souper dans les endroits les plus divers, avec des gens comme Feydeau et d’autres, et les femmes de ces endroits-là. Quant à ses moyens pour vivre, c’est un mystère. Il a tiré à peu près tout ce qu’il pouvait tirer de ses livres, qu’il a mis à toutes les sauces. Comme il a une très belle collection de livres, rares, de grand prix, Valéry pense que de temps en temps il en fait un choix, qu’il vend. Il achète aussi de temps en temps des livres rares, qu’il revend au bout d’un certain temps avec bénéfice.

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 Valéry en est encore à ses vers d’autrefois. Il s’occupe à les corriger, à les améliorer69. Cela fera un petit volume qu’il publiera à la Nouvelle Revue Française. Peut-être y joindra-t-il ce qu’il a écrit en prose. Presque vingt ans ont passé sans l’avoir presque changé. Il m’a montré son Cahier de vers. J’ai regardé. J’ai lu çà et là. Moi, ces choses ne me disent plus rien. Ce sont ce que j’appelle des artisteries sans beaucoup de signification. J’ai gardé mon opinion70.

 Valéry a toujours ses occupations chez M. Édouard Lebey, qui est, paraît-il, encore plus abîmé, inerte, que lorsque je l’ai connu. Sa femme morte71, il vit dans son hôtel de l’Avenue du Bois72 avec une sorte de dame de compagnie et ses domestiques. Il n’a plus que deux préoccupations, également pressantes : Dieu, et sa fortune. Il avait un peu craint pour celle-ci au début de la guerre, mais il n’est rien arrivé.

 […]

 Après le déjeuner et un moment de causerie, nous sommes sortis pour faire un tour : l’Avenue du Bois, le boulevard Flandrin, et retour jusqu’à l’Étoile73. J’ai revu, 22, rue Dufresnoy, le petit pavillon74 où j’ai été voir quelquefois cette jolie et amoureuse aventurière de Mme Dehaynin75. Parlé littérature tout le long de la promenade. Surprise quand on voit Valéry occupé encore à ses vers obscurs et précieux. Il est vrai qu’il est plein de ces contrastes. Valéry adore comme moi le XVIIIe siècle et il pense comme moi que c’est la plus belle époque de la France. Il paraît le connaître assez bien. Nous avons parlé de cette espèce de mystère qui fait que la langue de Voltaire est restée si parfaite. Valéry aime beaucoup, estime beaucoup Diderot, sauf quelques très légères réserves. Il a été d’accord avec moi pour trouver que le début du Neveu de Rameau est un chef-d’œuvre. Tout Le Neveu de Rameau un chef-d’œuvre, du reste76. Parlé aussi de cette « époque de l’esprit », de la jolie façon d’écrire qu’on avait, légère, vive, disant des choses, pittoresque souvent. Valéry m’a cité certains passages des Mémoires de Talleyrand77, entre autres. Que nous étions loin, avec tout cela, de la guerre actuelle !

 Parlé ensuite, (nous étions arrivés à l’Étoile et Valéry venait de me dire, pour terminer sur ce chapitre, qu’il y a des traces du XVIIIe siècle dans certains passages des Mémoires de Napoléon78, notamment l’aventure avec la fille, au Palais-Royal), parlé ensuite de Schwob et de Gourmont, Valéry disant que le premier est plus intelligent et plus vraiment instruit que le second. Je lui ai dit, pour ma part, le contraste que j’ai trouvé entre les deux, quant au caractère : Schwob aimant la flatterie, les compliments, supportant mal qu’on ne fût pas de son avis. Gourmont, au contraire, gêné par les compliments, les fuyant, les interdisant presque, autant, sans doute, par timidité que par réelle simplicité, et supportant fort bien, et même avec la meilleure bonne humeur qu’on pense autrement que lui sur tel ou tel sujet. Qu’en un mot, combien je me suis toujours senti gêné avec Schwob, et combien toujours libre et à l’aise avec Gourmont. Valéry, qui a aussi beaucoup connu Schwob, a reconnu l’exactitude de mon appréciation sur lui en ce point. Quant à Gourmont, il le connaît à peine comme homme. Il le trouve, comme écrivain, souvent bien superficiel, donnant l’impression d’un homme sachant une chose depuis peu, ce qui est vrai : Gourmont sait souvent une chose pour avoir lu un livre la veille. Son emballement tardif pour Stendhal a dégoûté Valéry. « C’est vous qui avez dû le lui découvrir », m’a-t-il dit, ce qui est un peu vrai au moins pour le Stendhal autobiographe et touriste. « J’ai renoncé à lire Stendhal depuis ce jour-là », a ajouté Valéry. Valéry n’en achète pas moins chaque jour La France79 pour lire le petit article quotidien de Gourmont80, qui dit tout de même assez souvent, selon lui, des choses intéressantes. D’autres fois bien effarantes aussi, toujours selon lui. Moi, je n’ai pas lu une seule fois ce journal.

 J’ai quitté Valéry à sa porte à quatre heures et demie. Je suis revenu à pied au Mercure par l’Avenue Victor-Hugo, l’Avenue des Champs-Élysées, la Concorde, le quai des Tuileries, le quai Voltaire et le quai Malaquais81. Je l’ai déjà dit dans ma Chronique du Mercure sur les examens du Conservatoire82. Paris est délicieux en ce moment. Plus d’autobus, peu de voitures, peu de circulation. C’est l’aisance d’une ville de province et c’est Paris tout de même. Ce soir, la Colonnade du Louvre, dorée par le soleil couchant, vue du quai Voltaire, était bien belle83.

 On appelle ça une très belle journée ensemble. Malgré cela, plus rien pendant cinq ans. Pas un mot dans le Journal. Pendant cinq ans !

L’Après-guerre

 Pas un mot dans le Journal, que les léautaldiens ont un peu trop tendance à considérer comme une Bible. Pas un mot cela ne signifie pas forcément que l’un n’a pas pensé à l’autre. La preuve en est qu’au milieu de ces cinq années, Paul Léautaud a dû effectuer un remplacement à l’été 1917. En effet, depuis son abandon par Georges Duhamel après le numéro du 16 juillet 1914, la rubrique « Poèmes » du Mercure a été en déshérence pendant toute la durée de la guerre, même si tout le monde s’y est un peu mis. La rubrique a été tenue quinze fois, par quatorze signataires différents, dont deux fois par Paul Léautaud, le premier août et le seize septembre. Ces deux chroniques seront un jour données intégralement ici mais voici en attendant l’extrait — bien tardif — de cette première chronique à propos de La Jeune Parque84 même si on peut regretter la première phrase, particulièrement malheureuse.

 Il n’y a pas que la mort, en ces temps effroyables, qui fasse des vers. Des gens en font aussi, sans plus de ménagements. Depuis un an et demi, les volumes s’entassent. D’abord, vingt. Puis, cinquante. Puis, la centaine, bientôt. C’est vraiment un beau spectacle. J’en ai joui d’abord à le considérer, gardien professionnel de tous ces trésors. Puis, on m’a dit, un jour : « Si vous lisiez tout cela, et si vous en rendiez compte ? Cela ferait plaisir aux auteurs, et cela fera peut-être plaisir également à nos lecteurs de savoir qu’en dépit des événements, la poésie n’est pas morte. » J’ai accepté. J’ai lu. J’ai réfléchi un petit peu. J’ai évalué la matière de mon travail. Il me faudra deux ou trois chroniques, peut-être quatre ? Voici la première.

 Les poètes dont j’ai à parler peuvent être divisés en trois séries : ceux qui ont écrit ou continué leur œuvre en dehors des événements actuels, — les écrivains de métier qui n’ont pas voulu manquer l’occasion de faire un volume sur la guerre, — et enfin les gens à qui la guerre a dérangé l’esprit, qui se sont soudain découverts poètes et qui ont tenu absolument à nous le montrer. Entre eux tous, je mettrai en tête les premiers. Ils le méritent bien.

 Voici d’abord M. Paul Valéry, dont on n’a pas souvent l’occasion de parler dans un compte rendu d’ouvrages littéraires. M. Paul Valéry offre un cas curieux dans la poésie d’aujourd’hui. Ce serait exagéré de dire qu’il est très connu du public, et pourtant il a une place au nombre de nos poètes, pour de rares et beaux poèmes qu’il a publiés çà et là dans des revues. Faut-il dire qu’il aurait pu avoir aussi une place au nombre de nos critiques ? Une ou deux Méthodes85, une étude sur Huysmans86, qu’il a publiées autrefois dans le Mercure87, une Introduction à la méthode de Léonard de Vinci88 parue il y a une vingtaine d’années dans la Nouvelle Revue, et ce que ses amis connaissent de ses études demeurées manuscrites, en sont des témoignages. Il faut penser que M. Paul Valéry a gardé sa préférence à la poésie, puisque le premier ouvrage qu’il publie en librairie est, aujourd’hui, La Jeune Parque89, un poème mystérieux, fluide, à la fois plein d’ombres et d’éclats de lumière, édité en une plaquette de luxe par la Nouvelle Revue Française. M. Paul Valéry, qui a très intimement connu Stéphane Mallarmé et subi profondément son influence, demeure aujourd’hui le seul vrai disciple de ce poète. On songe, en lisant la Jeune Parque, à l’Hérodiade90 célèbre :

Oui, c’est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte,
Vous le savez, jardins d’améthyste, enfouis
Sans fin dans de savants abîmes éblouis,
Ors ignorés…

 Et M. Paul Valéry, dans la Jeune Parque, recueil de beaux vers du premier au dernier :

Tout puissants étrangers, inévitables astres
Qui daignez faire luire au lointain temporel
Je ne sais quoi de pur et de surnaturel ;
Vous, qui dans les mortels plongez jusques aux larmes
Ces souverains éclats, ces invincibles armes,
Et les élancements de votre éternité.
Je suis seule avec vous, tremblante, ayant quitté
Ma couche ; et sur l’écueil mordu par la merveille,
J’interroge mon cœur quelle douleur l’éveille,
Quel crime par moi-même ou sur moi consommé ?…

 Ainsi, vingt ans et plus ont passé et M. Paul Valéry a gardé le même rêve. Les mêmes images habitent son esprit, la même beauté le retient, et il est resté, par excellence, le fidèle. Je n’écris pas, songeant à lui, ces mots sans une certaine émotion. C’est une belle chose, la fidélité. C’est une grande chose. C’est une des plus belles vertus. C’est une force, souvent. C’est peut-être aussi, en littérature comme en amour, la plus désastreuse des faiblesses.

 C’est la grande qualité de Paul Léautaud : il dit et écrit ce qu’il pense même s’il sait que ses amis le liront. C’est aussi la grande qualité de ses amis… d’être restés malgré tout ses amis.

1920-1925

 Près de trois ans plus tard, nous sommes le 29 avril 1920, dans le Journal :

 Une chose bien curieuse en ce moment, c’est l’apothéose de Paul Valéry, sacré grand poète. Dans le numéro de la Revue Universelle91 paru ce matin, tout un article de Daniel Halévy92 pour le célébrer.

 Le 23 juillet, ça n’est toujours pas passé et PL note à nouveau dans son Journal :

 Voilà longtemps que je veux noter cela. C’est une chose bien comique que l’apothéose de Paul Valéry depuis un an ou deux. Les jeunes revues sont pleines de son nom. Les critiques s’occupent de lui. Le Divan lui a consacré un numéro spécial93 dans lequel des gens, de Gide à de plus jeunes, ont chanté ses louanges. La N.R.F. édite ses poèmes dans des tirages luxueux et chers. À peine un critique clairvoyant et de bonne santé littéraire ose-t-il de temps en temps dire ce que vaut en réalité la poésie de Valéry, pour commencer tout l’opposé de la poésie, froide et stérile, pur jeu de syllabes, obscure comme à plaisir et volontairement, et assez semblable à un cristal bien taillé et vide. Mon pauvre ami Valéry en est resté au même point qu’il était en 1897 et 1898, quand nous flânions ensemble le soir. Il ne s’est dépris d’aucune des chimères qui l’occupaient alors. Sans doute Mallarmé reste toujours pour lui le poète unique et exemplaire. L’apothéose de cette poésie sans le moindre frisson et sans guère de signification sous son mystère — tout comme celle de Mallarmé — est une jolie bouffonnerie.

 L’opinion de Paul Léautaud est faite et il n’en bougera plus jamais.

 Il faut attendre trois ans encore. Et le 14 juin 1923 :

 Billy94 a un article (dans L’Œuvre95) à écrire sur Valéry96. Il avoue qu’il est impressionné par la littérature de Valéry. Il ne revenait pas que je n’aie que de la pitié et du mépris pour de pareils vers, que je compare à des bouchons de carafe bien taillés, faisant l’illusion du cristal, mais vides. Il me disait que son sentiment lui vient de la comparaison de Valéry avec lui-même. Il le sent supérieur à lui, plus intelligent, écrivant des choses plus hautes. Je lui ai répondu que je juge la poésie de Valéry d’après la ligne générale de la littérature française et que tout nous montre que des œuvres de ce genre sont passagères, inexistantes et équivalentes à des pures curiosités, des enfantillages. Rien d’humain, rien de vivant, rien de sensible. Jeux de syllabes, amusements de verbalisme, rien de plus. Moi, cela me donne presque de la haine, quand je songe à ce que sont vraiment les belles œuvres littéraires, tout à l’opposé de cette esthétique de précieux et d’impuissant.

 On parle de Valéry pour le Grand Prix de littérature à l’Académie97. Richepin98 est pour lui. C’est Richepin qui a dit à Téry99 de faire faire l’article. Billy ne peut être qu’élogieux. Il semble bien au surplus qu’il n’aura guère à se forcer.

 Le deux novembre 1925, Paul Léautaud n’a pas changé d’avis sur Paul Valéry et semble même plus acerbe lors d’une conversation avec Maurice Martin du Gard100, directeur des Nouvelles littéraires :

 Parlé de Valéry, à propos de la controverse Brémond101-Souday102 sur la Poésie pure103. J’ai à peine lu ces articles. Je peux à peine en parler. Je suis de l’avis de Souday : il faut savoir ce que sont Minos et Pasiphaé pour goûter le vers :

La fille de Minos et de Pasiphaé104

 Parlé à ce sujet de la bouffonnerie qu’est pour moi l’apothéose actuelle de Valéry. Je le trouve très intéressant quand il écrit en prose, mais ses vers… J’ai horreur de ces chinoiseries. Martin du Gard a l’air de penser comme moi. Je dis que j’ai lu quelque part que Valéry est si sûr de son élection à l’Académie105 qu’il est parti en voyage, en Italie, je crois. Martin du Gard me dit que c’est faux, que Valéry est toujours à Paris.

 Et 17 jours plus tard, le 19 novembre 1925 :

Jeudi 19 novembre [1925]

 Il paraît que Valéry a été élu tantôt à l’Académie. La bouffonnerie continue. C’est le couronnement. En réalité, ce plaidoyer de l’abbé Brémond pour la « poésie pure », c’est une forme de combat contre la raison. Cela appartenant bien à un prêtre.

 Valéry succède à France. Comment va-t-il s’y prendre pour faire son éloge106, lui qui le tenait en tel mépris au temps que nous passions nos soirées ensemble ?

 J’ai recherché ce soir mon exemplaire de la Jeune Parque pour revoir cela. Quelle plaisanterie !

 Quel bel article j’écrirais sur le Valéry que j’ai connu, ses opinions, ses antipathies littéraires, à côté du Valéry, aujourd’hui académicien.

 Je le revois dans sa petite chambre d’hôtel, impasse Royer-Collard, au premier, une petite table surchargée de papiers, un tableau noir tout près de son fauteuil — et dans la salle de table d’hôte où il prenait ses repas, avec la tenancière, tout à fait genre Maman Vauquer de la Pension Vauquer du Père Goriot, nous faisions souvent tous les deux le rapprochement, en jeunes balzaciens que nous étions. Il doit y avoir aujourd’hui en province deux ou trois bourgeois rassis, notaires ou plus ou moins avocats qui ont dû se dire en lisant le nom du nouvel académicien dans les journaux : Valéry ? Mais j’ai connu quelqu’un de ce nom ?… en cherchant dans leur mémoire.

 Je fais bien des réflexions sur moi-même. Sommes-nous brouillés, Valéry et moi ? Comment serais-je en face de lui, et comment serait-il lui-même en face de moi, si nous nous rencontrions quelque part. Moi, je me connais, je m’en irais, timidité, embarras réunis. Je n’ai pas été très aimable pour sa Jeune Parque quand elle a paru et que j’en ai rendu compte dans le Mercure comme Intérim de la rubrique des Poésies. Pourtant, quand je l’ai rencontré, beaucoup plus tard, à la veille de prendre la Ch. dramat. à la N.R.F.107, au coin du carrefour de l’Odéon et du boulevard Saint-Germain, rien de changé dans ses façons. Au fond, c’est de moi qu’est venue la séparation, s’il faut employer ce mot. Quel drôle de caractère que le mien. L’amitié, les souvenirs de jeunesse, n’ont pu me retenir de dire, d’écrire ma façon de penser à son sujet (Nouv. litt. à propos du monument Paul Adam108)109. Il s’est même plaint à ce sujet à Rachilde que « Boissard n’eût pas le respect des amitiés de jeunesse ». C’est vrai, mais l’antipathie littéraire est plus forte chez moi, le plaisir de dire ce que je pense. J’aurais pu aussi bien me taire. Je n’aurais pas perdu un ami. N’empêche que c’est bien ce que je pense de sa réputation de poète : une bouffonnerie. Je n’ai même pas pu résister à mettre un mot sur lui dans Madame Cantili110 : « Oronte111 n’est pas mort. »

 Et dix jours plus tard, le premier décembre 1925 la nostalgie reste vive, comme toujours chez PL :

 Je passais tantôt rue Gay-Lussac. J’ai regardé pour l’hôtel où logeait Valéry. Impasse Royer-Collard no 5, au premier, sur la rue, Hôtel Henri IV. Le bâtiment principal, avec la table d’hôte au rez-de-chaussée, était rue Gay-Lussac no 12. Les deux corps d’hôtel communiquaient.

 L’hôtel Henri IV existe toujours rue Gay-Lussac, même numéro, mais séparé maintenant du corps de bâtiment de l’impasse Royer-Collard. La salle dans laquelle se tenait la table d’hôte est transformée en boutique : une marchande de modes, si je ne me trompe. J’ai eu les renseignements sur la séparation survenue entre les deux corps de bâtiments de la patronne même de l’hôtel Henri IV.

* * *

 La numérotation des notes de ces quatre pages réservées à Paul Valéry est continue de page en page. La première note de cette deuxième page est numérotée 61.

 Dans ce site web, Paul Valéry est aussi évoqué dans les pages sur la Vallée-aux-Loups I, II, III, Rachilde, Adolphe Van Bever et Henri Bachelin.

 Le chapitre III, largement réservé à la vente des lettres de Paul Valéry au libraire Robert Télin sera en ligne le quinze janvier.

Notes

Les notes continuent la numérotation de la première partie.
Les personnages n’ayant pas leur note ici l’on eue dans la première partie.

61     Ce « mot » de Paul Valéry a très vraisemblablement été vendu au libraire Robert Télin dont il sera beaucoup question dans la troisième de ces pages sur Paul Valéry. La chronique qui a entrainé ce mot est celle du premier mai 1914 dont voici le sommaire : « Une dédicace [à Guy-Charles Cros]. — Le départ de M. [André] Antoine [du théâtre de l’Odéon]. — Théâtre du Vieux-Colombier : La Jalousie du Barbouillé, comédie en un acte, de Molière. La Navette, comédie en un acte, de Henry Becque. Le Testament du père Leleu, pièce en 2 tableaux, de M. Roger Martin du Gard. — Un mot de critique dramatique. — Esprit de danseuses. »

62     Paul Valéry « La Conquête allemande », Mercure du 1er septembre 1915, page 51. Le titre du livre de Maurice Schwob est Le Danger allemand. Essai sur le développement industriel et commercial de l’Allemagne, paru chez Léon Chailley en 1896 puis chez Flammarion l’année suivante. Maurice Schwob (1859-1928) est le frère aîné de Marcel Schwob (1867-1905). L’article de Paul Valéry « La Conquête allemande » est paru dans le Mercure du 1er Septembre, page 51.

63     Une note de ce numéro du Mercure indique bien que c’est l’essai de Paul Valéry (et non le livre de Maurice Schwob) qui est paru dans une revue anglaise, le numéro 92 de la New Review de Londres en janvier 1897.

64     Vraisemblablement Jules Truffier (1856-1943), comédien, sociétaire de la Comédie-Française ayant bien connu Firmin Léautaud (voir le JL au 12 octobre 1928).

65     L’impasse Royer-Collard prend à l’intersection de la rue Royer-Collard et de la rue Gay-Lussac. Les mêmes bâtiments sont toujours en place mais des appartements semblent avoir remplacé les chambres d’hôtel.

66     Les deux Paul n’ont que 43 ans !

67     Cette année 1915, Paul Valéry, qui n’a publié que deux monographies et un roman, est encore largement inconnu du public. La Jeune Parque, qu’il est en train d’écrire — voir ci-après note 69 — ne paraîtra que dans deux ans à la NRF, luxueusement tirée mais à six-cents exemplaires seulement.

68     Pierre Louÿs (Pierre Félix Louis, 1870-1925), poète et romancier. Pierre Louÿs a épousé la plus jeune fille de José-Maria de Heredia après avoir été l’amant de la sœur aînée Marie, qui épousera Henri de Régnier. Les trois filles de JMH inspireront à Pierre Louÿs, dit-on, et de façon très libre, le roman Trois filles et leur mère. La Correspondance « à trois voix », couvrant les années 1888-1920, entre Pierre Louÿs, Paul Valéry et André Gide est parue chez Gallimard en juin 2004 (1 696 pages).

69     La Jeune Parque, évidemment. Dans une page du site web de Gallimard, Amaury Nauroy écrit que durant la première guerre mondiale, Paul Valéry « se fixe la “tâche infinie” de composer, en mobilisant le plus de conscience possible, des “vers non seulement réguliers mais césurés, sans enjambements, sans rimes faibles”. » dans son discours de réception à l’Académie française, les premiers mots de Gabriel Hanotaux seront : « l’Académie qui, en vous nommant, a surtout considéré, dans votre œuvre, cette recherche ardente de la forme… »

70     Début de La Jeune Parque : « Cette main, sur mes traits qu’elle rêve effleurer, / Distraitement docile à quelque fin profonde, / Attend de ma faiblesse une larme qui fonde, / Et que de mes destins lentement divisé, / Le plus pur en silence éclaire un cœur brisé. »

71     Édouard Lebey a épousé en 1877 Marie Caroline Hugues (1850-1909).

72     L’avenue du Bois-de-Boulogne sera renommée en avenue Foch en 1929. C’est l’un des lieux les plus chers du Monopoly et aussi de Paris (donc de France) dans la vie réelle. C’est aussi l’avenue la plus large de Paris (120 mètres, contre 70 pour les Champs-Élysées ou l’avenue de Breteuil, figurant aussi toutes deux sur le même bort du plateau de Monopoly. Édouard Lebey habite au numéro 48.

73     La promenade a été belle ; à la fin de l’avenue Foch (en s’éloignant du centre de Paris), l’avenue Flandrin, à gauche, longe la lisière du bois de Boulogne. Le retour vers la place de l’Étoile a dû se faire en prenant l’avenue Victor-Hugo dans toute sa longueur, soit un trajet d’environ deux kilomètres et demi.

74     La rue Dufresnoy est traversée par le boulevard Flandrin. Ce petit pavillon était vraisemblablement construit sur la ligne de chemin de fer dite de « petite ceinture ». Il a été remplacé par un autre pavillon, la gare de l’avenue Henri-Martin.

75     Paul Léautaud, en tant qu’employé de l’étude Lemarquis, avait eu la responsabilité de la gestion de la succession Dehaynin. Les conditions rocambolesques de cette succession ont parfois été décrites dans son Journal.

76     Ce Neveu de Rameau est le seul livre que Léautaud emportera dans sa dernière demeure de la Vallée-aux-loups le 21 janvier 1956, dans l’édition Plon de 1891 qui l’a accompagnée toute sa vie.

77     Mémoires du prince de Talleyrand publié avec une préface et des notes par le duc de Broglie, de l’Académie française, Calmann-Lévy 1891.

78     Mémoires de Napoléon écrits sous sa dictée à Sainte-Hélène par un de ses valets de chambre, chez Philippe, Libraire rue Dauphine, 1829, 426 pages. On ne confondra pas ce texte avec le Mémorial de Sainte-Hélène d’Emmanuel de Las Cases, deux volumes de Pléiade (1935), 1 344 et 1 520 pages.

79     Le Quotidien La France a été fondé l’été 1862 par le diplomate Arthur de La Guéronnière (1816-1875), derrière qui se trouvait une assemblée d’hommes politiques et d’industriels. Ce journal passant rapidement de mains en mains a cessé de paraître en 1937. En passant devant le 152 rue Montmartre, les parisiens peuvent encore admirer le très classique immeuble à cariatides soutenant le balcon du premier étage sur le soubassement duquel figure encore l’inscription « La France, journal du soir » ce bel ensemble est malheureusement défiguré par une boutique sur rue.

80     Généralement au bas de la cinquième colonne de une, « Les idées du jour ». Ce dix septembre 1915 : « L’Orient », à propos de L’Orient à vol d’oiseau. Carnet d’un pèlerin. Hellénisme-Aramaïsme et Sémitisme ou la vérité sur le voyage de Guillaume II, de H. de Saint-Germain (en fait Victor Cogniard (1840-1905)), paru en 1902 (535 pages).

81     Compter cinq kilomètres de plus.

82     À la toute fin de la chronique du 1er août 1915.

83     PL nomme ici « colonnade » la façade sud du Louvre, qui ne comporte aucune colonne. La colonnade se trouve sur la façade est, qui donne sur Saint-Germain l’Auxerrois et compte quatorze paires de colonnes dans sa partie supérieure, disposition assez unique.

84     Paul Valéry, La Jeune Parque, Gallimard 1927, 42 pages. Voir la Chronique des poèmes de Paul Léautaud (signée Intérim), Mercure du premier août 1917.

85     Mercure d’octobre 1897, janvier 1898 et mai 1899. Ces « Méthodes » étaient des critiques de livres utilitaires. La troisième et dernière, page 481, traite du temps.

86     À propos de Durtal, personnage commun à quatre romans de J.-K. Huysmans, Là-bas (Tresse & Stock 1891, 441 pages) et En route (Tresse & Stock 1895). La Cathédrale (Stock 1898, 488 pages) et L’Oblat (Stock 1903, 448 pages), qui n’était pas paru au moment de la rédaction de l’article de Paul Valéry dans le Mercure de mars 1898. En 2015, l’éditeur Bartillat a réuni ces quatre ouvrages sous la même couverture, enrichis d’une préface de Paul Valéry.

87     Dans le Mercure, Paul Valéry a aussi publié — pour être complet — mais bien après ces dates, « La Conquête allemande (1897) » dans le Mercure du premier septembre 1915, « Aurore », un poème assez quelconque, dans le Mercure du 16 octobre 1917 et « Le Rameur », un autre poème dédié à André Lebey (objet de la note 38 et neveu d’Édouard Lebey) dans le Mercure du premier décembre 1918. Ces parutions ont eu lieu dans le Mercure tout simplement parce que La NRF était fermée depuis août 1914. Dès la réouverture de La NRF, dans le numéro d’après-guerre (juin 1919) nous y verrons un poème de Paul Valéry et en ouverture du numéro d’août un grand article (seize pages) sur « La crise de l’esprit ».

88     Nouvelle Revue, 1894 quinze août 1895, pages 742-770, réédition Gallimard 1919.

89     Gallimard, 1917.

90     Premier poème de Stéphane Mallarmé, écrit en 1864, à 22 ans.

91     Périodique récent (1920), qui paraîtra jusqu’en 1944 et qu’on ne confondra pas avec le « recueil documentaire illustré » dictionnaire thématique annuel paru sous le même titre de 1901 à 1905.

92     Daniel Halévy (1872-1962), historien et homme de lettres, est le fils du librettiste Ludovic Halévy. Daniel Halévy a été le condisciple de Proust au lycée Condorcet. Il est le beau-père de Louis Joxe et le grand-père de Pierre Joxe, tous deux ministres sous la cinquième République. Voir l’ouvrage de référence de Sébastien Laurent, Daniel Halévy, Grasset, 2001, 595 pages, préfacé par Serge Berstein.

93     Mai-juin. Le Divan est la revue d’Henri Martineau, active du début de l’année 1909 jusqu’à la fin de 1958. Cette revue bimensuelle, comme le Mercure, mais sensiblement à droite, était considérée comme une gardienne du classicisme littéraire. Sous ce nom et sous la même direction, la librairie se trouvait au 18, rue Bonaparte (à l’angle de rue de l’Abbaye, qui longe l’église Saint-Germain-des-Prés).

94     En préface aux Entretiens de Robert Mallet avec Paul Léautaud, André Billy dira avoir rencontré PL « pour la première fois en 1908 dans une librairie du Boulevard des Italiens. » André Billy ajoute « C’est seulement deux ou trois ans après que je me liais avec lui au Mercure de France. » Dans sa chronique dramatique de juin 1919, Maurice Boissard a dressé un portrait d’André Billy, qui sera, avec André Rouveyre, son ami jusqu’aux derniers temps.

95     L’Œuvre est un quotidien fondé en mai 1904 par Gustave Téry, venant du Matin. Particulièrement astucieux, Gustave Téry (note 99 ci-après) sut faire de L’Œuvre, d’abord mensuel puis hebdomadaire, un quotidien populaire à succès entre les deux guerres, flattant en même temps plusieurs couches de la société, de la gauche modérée à l’antisémitisme à outrance. À l’entrée de la seconde guerre mondiale, la voie était donc tracée vers sa chute. André Billy a longtemps écrit dans L’Œuvre, avant de rejoindre Le Figaro.

96     Cet article paraîtra le 19 juin, page cinq et commencera ainsi : « Il y a quatre ou cinq ans, quand vous demandiez à un jeune poète moderne quel était, selon lui, le plus grand poète de ce temps, neuf fois sur dix il vous répondait : “Paul Claudel”. / Depuis quelques années, sinon quelques mois seulement, la réponse a changé. On vous dit maintenant : “Paul Valéry”. / La substitution s’est faite le plus discrètement du monde. Il a suffi à M. Paul Valéry de publier deux ou trois plaquettes ; il a suffi à M. Claudel d’obtenir l’applaudissement du boulevard. »

97     Ce sera François Porché. Paul Valéry n’aura jamais ce prix.

98     Jean Richepin (1849-1926), normalien, poète, romancier et auteur dramatique. Jean Richepin rencontre une immense notoriété en 1876 avec La Chanson des Gueux, qui lui vaut un procès pour outrage aux bonnes mœurs. Il fait un mois de prison mais en sort célèbre. Jean Richepin a été reçu à l’Académie française par Maurice Barrès en 1909.

99     Gustave Téry (1870-1928) journaliste particulièrement retors et efficace. Normalien et agrégé de philosophie, enseignant, Gustave Téry a été révoqué par le ministère de l’Instruction publique vers 1895. En 1905 il a fait partie du groupe fondateur du journal antisémite L’Œuvre.

100   Maurice Martin du Gard (1896-1970), écrivain et journaliste, petit-cousin de Roger Martin du Gard (le grand-père de Roger était le frère du grand-père de Maurice) et fondateur des Nouvelles littéraires, dont le premier numéro est paru le 21 octobre 1923. Direction : Jacques Guenne et MMG. Rédacteur en chef : Gilbert Charles.

101   Henri Bremond (sans é) (1865-1933), ancien jésuite, prêtre, historien et critique littéraire, reçu à l’Académie française en avril 1923. Dans ses Mémorables, MMG a brossé un élogieux portrait de l’académicien. Voir également Les Nouvelles littéraires du 25 octobre « Une heure avec Henri Brémond » (é) par Frédéric Lefèvre. Pour Paul Souday, voir le Journal au 28 mars 1913.

102   Paul Souday (1869-1929) a été le critique littéraire du Temps, de 1911 à sa mort.

103   Dans Les Nouvelles littéraires du 31 octobre 1925, Henri Bremond a écrit : « Avec tous ceux qui lisent poétiquement les poètes, j’avais remarqué que, pour sentir le charme d’un vers, d’un lambeau de vers, pas n’est besoin de connaître le poème où ce vers, ce lambeau se trouvent. / La fille de Minos et de Pasiphaé. / “Exagération”, me répond M. Souday. “Si vous ne savez pas qui sont le père et ma mère de phèdre”, ces magnifiques syllabes vous laisseraient froid. Ici, manifestement, je n’ai plus qu’à m’incliner. Il est ainsi fait. Cette généalogie le met en extase. Nous autres pas. Quand je vous disais que nous n’habitons pas le même monde ! » cet article vaudra, la semaine suivant une réponse de Pierre Mille intitulé justement « La fille de Minos et de Pasiphaé » où Pierre Mille trouvera admirable qu’en ces temps d’incertitudes financières et politiques les français se passionnent pour de tels débats poétiques. « Et sincèrement, de tout mon cœur et de tout mon faible esprit, j’estime que c’est magnifique ! tant que nous serons comme ça […] nous aurons quelque chose à donner au monde, que les autres ne pourront lui servir. » Les pages sur la poésie pure par Henri Bremond se poursuivront dans tous les numéros des Nouvelles littéraires jusqu’en janvier 1926.

104   Au tout début du Phèdre de Jean Racine (vers 34-36), c’est Hypolyte qui parle : « Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face / Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé / La fille de Minos et de Pasiphaé »

105   Paul Valéry sera élu à l’Académie française le 19 novembre 1925 mais par 17 voix au quatrième tour, au fauteuil d’Anatole France.

106   Paul Valéry, dans son discours de réception à l’Académie française le 23 juin 1927 réussira l’exploit de prononcer l’éloge de son prédécesseur, ce qui est l’usage, sans prononcer une seule fois son nom, ce qui provoquera un certain émoi. Anatole France n’est évoqué par des périphrases comme « mon illustre prédécesseur », voire plus simplement « votre confrère », pour mieux le démolir dans la phrase suivante : « Son œuvre ne surprit que doucement » ou bien « On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans y trop penser » ou encore « Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance. » Ce discours renferme quatre pages au moins de ces rosseries d’autant plus cruelles que d’autres auteurs sont cités comme Jules Vallès ou Alphonse Daudet, qui n’étaient pas académiciens. Dans sa réponse, Gabriel Hanotaux parlera malicieusement de « l’illustre confrère dont vous venez de célébrer la mémoire ».

107   La première chronique dramatique de Maurice Boissard pour La NRF est parue dans le numéro d’octobre 1921.

108   Les Nouvelles littéraires du 2 août 1924 : « J’ai lu dans les journaux qu’on a ouvert une sorte de concours pour l’inscription à graver sur son monument [à Paul Adam). Il paraît que c’est M. Paul Valéry qui a emporté la palme avec cette trouvaille : “Il vécut pour les plus grandes choses. ” M. Paul Valéry a-t-il acquis, en vieillissant, l’admiration du pathos ? Il est vrai qu’il est orfèvre… Je me suis rappelé, en lisant sa phrase lapidaire, nos promenades ensemble, quand nous avions tous les deux entre vingt-cinq et trente ans, et que nous riions de bon cœur du “grand écrivain” Paul Adam. » Les chroniques des deux et neuf août 1924 sont reproduites dans les « Mots, propos et anecdotes » de Passe-Temps II.

109   Après bien des vicissitudes, comme souvent, ce monument commandé par Camille Mauclair au sculpteur Paul Landowski à la mort de Paul Adam en 1920 sera enfin inauguré le deux juillet 1931. Entre 1963 et la fin des années 1970 les spectateurs de la Cinémathèque française sortant du métro Trocadéro sont passés devant cette sculpture où est inscrit ce texte que beaucoup connaissent encore par cœur et dont certains en ont fait le fond de leur pensée : « L’art est l’œuvre d’inscrire un dogme dans un symbole ».

110   Le conte « Madame Cantili » est paru dans le Mercure du 15 janvier 1921, page 548.

111   Le surnom est cruel ; on se souvient en effet d’Oronte venant présenter son sonnet L’Espoir à Alceste au premier acte du Misanthrope.