Lucien Descaves (1905-1908)

1905      1906      1907      1908      notes

Cette page devrait avoir pour titre « Lucien Descaves, Paul Léautaud et le prix Goncourt » parce que c’est ce dont elle traite. Mais ce titre aurait été un peu long.

Pendant les deux années 1905-1906, Lucien Descaves a fait miroiter à Paul Léautaud un prix Goncourt qu’il ne pouvait obtenir, à la fois par exigence et par négligence. Pendant ces deux années, Paul Léautaud et tout le monde au Mercure y ont cru.

Lucien Descaves, né en mars 1861, avait onze ans de plus que Paul Léautaud. Il est mort six ans et demi avant lui, en septembre 1949.

Lucien Descaves est le fils d’Alphonse, graveur à Château-Thierry, la ville de Jean de La Fontaine. Le jeune Alphonse est « monté à Paris » et s’y est marié avec la belle Hélène Château (sans accent) en octobre 1859. Lucien Descaves est né dix-huit mois plus tard, en mars 1861 à Paris. Il s’en est fallu de peu qu’il naisse à Montrouge, grâce au rattachement l’année précédente d’une partie de la commune de Montrouge, le « Petit Montrouge » à la commune de Paris, formant ainsi une partie du XIVe arrondissement. C’est ainsi que nous avons, dans Paris, un cimetière de Montrouge.

En avril 1888 Lucien Descaves a épousé Céleste Embocheur, qui lui a donné deux enfants, dont Pierre Descaves, qui sera administrateur de la Comédie-Française de 1953 à 1959 et homme de radio.

Malheureusement la divine Céleste ne connaitra pas longtemps les joies ineffables du mariage et mourra avant ses noces de coquelicot (huitième année). Près de trois ans plus tard, en novembre 1898, Lucien Descaves a épousé l’imposante Marie Lancelot (1876-1958), qui lui survivra largement.

Depuis 1954, Lucien Descaves a une avenue à son nom, peut-être la plus minable de France, dans une zone indéterminée. Il paraît que c’est encore Paris mais personne ne le sait vraiment parce que personne n’y habite. Cette « avenue » commence avenue Paul-Vaillant-Couturier (c’est rarement bon signe) et se termine, cent-quarante mètres plus loin dans un tunnel sous le périphérique en un lieu obscur que personne ne saurait déterminer avec certitude. Il y a des gens, à la mairie de Paris, que l’on aimerait forcer à habiter là. Longtemps.

Naître en 1861 était sans doute une meilleure idée que celle d’avoir vingt ans en 1870, mais quand même, après cette guerre désastreuse le service militaire était de quatre ans. Donc, de 21 à 25 ans, sonnez clairons, résonnez trompettes et corvées. Ça en a énervé plusieurs. À peine libéré de tout ça, Lucien Descaves fait paraître La Caserne, misères du sabre (Tresse et Stock, 1887) puis deux ans plus tard chez le même éditeur Les Sous-Offs, roman militaire.

Lucien Descaves, par H. Reboul dans le numéro 367 des Hommes d’aujourd’hui (1890)

La publication de ce livre vaudra à Lucien Descaves et à son éditeur de se retrouver devant une cour d’Assises — une cour d’Assises ! — pour injures à l’armée (45 chefs d’accusation) et outrages aux bonnes mœurs (sept chefs d’accusation). Il sera acquitté en Appel le quinze mars suivant (1890)1.

Ça n’a pas trainé : en mai, parait, toujours chez Tresse et Stock Sous-Offs en cour d’Assises, sous-titré : « Notes de l’auteur, arrêt de renvoi de la Chambre des mises en accusation, réquisitoire, plaidoirie de Maîtres Tezenas et Millerand, bibliographie ».

Comme on peut s’y attendre, le succès des Sous-Offs et de ce procès entraineront l’éditeur à une deuxième édition en 1892 rassemblant les deux ouvrages, La Caserne et Les Sous-offs sous la même couverture, agrémentés de nombreuses illustrations d’Eugène Courboin en pleine page. L’ensemble est enrichi d’une cinquième partie reprenant le texte des Sous-Offs en cour d’Assises. L’ensemble représente 735 pages. Ce livre est dédié « À tous ceux dont la Patrie prend le sang, non pour le verser, mais pour le soumettre, dans l’obscure paix des chais militaires, aux tares du mouillage et de la sophistication, je dédie ces analyses de laboratoire. » Il faudrait lire ce livre pour comprendre ce que sont ces « tares du mouillage ».

Lucien Descaves ne s’est pas arrêté là. Il a encore écrit un drame en un acte, L’Envers du Galon, qui n’a jamais été joué à cause du procès fait aux Sous-Offs. Le texte a été composé chez Tresse et Stock en 1890 mais n’a jamais été imprimé. De nos jours les deux épreuves, peut-être trois, se vendent une fortune… quand on les trouve.

À l’été 1896 Edmond de Goncourt meurt en laissant un testament dans lequel il charge son ami Alphonse Daudet « de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire […] [qui] se composera de dix membres qui seront : 1. Alphonse Daudet ; 2. Joris-Karl Huysmans ; 3. Octave Mirbeau ; 4. Rosny (l’aîné) ; 5. Rosny (le jeune) ; 6. Léon Hennique ; 7. Paul Margueritte ; 8. Gustave Geffroy ; 9. … ; 10. … »

Les couverts (à l’Académie française ce sont des fauteuils, à l’académie Goncourt, ce sont des couverts) neuf et dix sont donc à pourvoir et ça va prendre un moment parce que des cousins d’Edmond, lésés par ce testament qui ne leur laisse rien attaquent en nullité. C’est que ce testament indique « Je déclare affecter pour la constitution de cette société tant le produit de la vente de mes biens et objets mobiliers que les sommes à provenir de mes droits d’auteur […] » En clair les cousins perdent tout2. Procès et Appel. Les intérêts de la future académie sont défendus par Raymond Poincaré, futur président de la République mais encore avocat. Au printemps 1900 les cousins ont tout perdu, on imagine leur déception. La vente des meubles et immeubles va pouvoir être réalisée. On commence par élire les trois membres manquants. Trois parce qu’Alphonse Daudet est mort à la fin de 1897, 17 mois après Edmond. On élit son fils, Léon Daudet3, au premier couvert, puis Élémir Bourges4 et Lucien Descaves. Les Dix sont enfin au complet, pour la première fois.

Le 19 janvier 1903 la société est constituée, elle peut recevoir les fonds. Comme nous sommes en France ça commence par un repas, le jeudi 26 février 1903 dans un salon privé du Grand hôtel, que les parisiens connaissent pour abriter le Café de la Paix, place de l’Opéra5. Ce repas, comme on le sait, est le premier d’une longue série.

Revenons à Lucien Descaves, nous voilà en 1913.

Fragment de La Petite illustration du premier novembre 1913

Dans la même veine anti-guerrière, en collaboration avec Fernand Nozière6, Lucien Descaves a fait représenter le deux octobre 1913 sur la scène de L’Ambigu7 La Saignée (1870-1871) sans se douter qu’une autre saignée, pire encore, attend les français moins d’un an plus tard.

Le décor de La Saignée, au premier acte

On l’a compris, Lucien Descaves est un antimilitariste. Paul Léautaud aussi, ils ont de quoi s’entendre.

Les premières rencontres entre Paul Léautaud et Lucien Descaves datent de 1905.

L’été 1905 de Paul Léautaud a été réservé à l’écriture d’In Memoriam qui paraîtra en deux livraisons du Mercure des premier et quinze novembre.

Au printemps 1902, Paul Léautaud a quitté l’étude Barberon du quai Voltaire et trouvé du travail dans l’étude Lemarquis rue Louis-le-Grand, près de l’Opéra. Il y gère des successions puis, en 1904, administre l’Université populaire jusqu’en janvier 1906. Après, il lui faut vivre de sa plume en plaçant des textes çà et là, essentiellement au Mercure de France. En avril 1905 il quitte la rue de l’Odéon pour emménager rue Rousselet.

Le deux novembre, Lucien Descaves vient au Mercure de France, 26 rue de Condé :

1905

2 novembre 1905

Descaves est venu cette après-midi trouver Vallette, pour lui demander si In Memoriam va être publié en volume et fera un volume. Les membres de l’Académie Goncourt n’ont pas encore pu trouver un volume auquel décerner le prix cette année8, et autant qu’on peut assurer une chose, Descaves assure que c’est moi qui aurais le prix. Il a avec lui dans cette intention Huysmans9 et Geffroy10. Là-dessus Vallette lui a répondu que d’abord il n’est nullement projeté de publier In Memoriam en volume et que de plus, ce qui est publié en représentant une bonne moitié, il n’y a pas de quoi faire un volume11. À quoi Descaves a répliqué que je pourrais peut-être ajouter une ou deux nouvelles, ou une suite quelconque. À ce que j’ai pu comprendre, dans ce que m’a raconté Morisse12, Vallette a alors expliqué à Descaves qu’il ne me voit guère écrivant une nouvelle, etc… Bref, Gourmont13 se trouvant avec Vallette et étant préférable, c’est aussi mon avis, de ne pas parler de tout cela, tout de suite, devant lui, il a été convenu que je viendrai demain après-midi14 vers trois heures pour en parler plus en détails.

Rachilde, nous entendant causer, Morisse et moi, dans l’escalier, est venue se mêler à notre conversation. Elle avait assisté à la visite de Descaves. Elle n’a pas encore lu In Memoriam, croyant que c’était un roman, et attendant elle aussi le volume. Elle va alors le lire, a-t-elle dit, mais, voilà, elle n’a pas la seconde partie. À quoi Morisse lui a répondu qu’elle n’avait qu’à faire comme Vallette, qui hier matin, dès l’arrivée des épreuves, s’était mis à la lire.

J’ai agité un moment avec Rachilde et Morisse l’idée de faire un volume avec In Memoriam15 et ma correspondance avec ma mère16. […] Morisse me dit que si je n’ai vraiment rien, si je ne peux pas allonger un peu cet In Memoriam, si je ne peux pas me mettre à écrire mes histoires de femmes. Je lui ai répondu, ce qui est vrai : que je n’ai rien, qu’il est impossible d’allonger des pages comme celles dont il s’agit, et qu’ensuite, pour écrire mes histoires de femmes, il me faudra au moins deux mois, sans compter que je n’y ai point encore assez réfléchi et que rien n’en est ordonné et rangé dans ma tête, ce qui m’est absolument nécessaire. Or, nous sommes le 2 novembre, le prix se donne le 25 décembre, il me faudrait donner le manuscrit au moins le 2 décembre. Et puis, bâcler quelque chose, comme cela, à date fixe. Ce que j’écris me tient vraiment trop au cœur, je veux dire est vraiment trop lié à moi-même. Je serais bien avancé après, avec cinq mille francs et un mauvais livre ! Et Morisse de me rétorquer : « Oui, oui, mais ce serait cinq mille francs, plus la vente du Petit Ami17 et du second volume, bien plus de cinq mille francs par conséquent. » Je riais, de bon cœur, oui, à l’idée de ce bon Descaves, s’éreintant, accourant au Mercure, disant son histoire, sa pénurie de chefs-d’œuvre. « Ils se taperont, ils se taperont, il n’y a pas à dire », ai-je dit à Rachilde et à Morisse. Comme c’est drôle. La première fois, j’ai raté le prix parce qu’on m’a trouvé trop scandaleux18. Et aujourd’hui !

En partant avec van Bever, je l’ai mis au courant. C’est vrai, ce que je lui ai dit, que dans le secret de mon cœur j’ai une sorte de plaisir d’échapper ainsi, comme j’y échapperai sûrement, à ce prix littéraire. Être ainsi, comme un bon élève, qui a bien travaillé, et à qui l’on donne une récompense ! Moi qui aime tant la liberté, l’indépendance, encore plus intellectuellement que matériellement. Je me vois, caricaturé, le Petit Ami ou autre chose sous le bras, et sur la tête, une couronne de papier doré, découpé en feuilles de laurier. Ah ! gloire… de carton ! Tout cela vaut-il son propre contentement. C’est difficile plus que quoi que ce soit, ce contentement-là.

[…] J’aurais eu quatre mois, encore ! J’aurais tout envoyé au diable, je me serais mis à travailler ferme, et j’aurais peut-être pu m’en tirer. Je commence à avoir assez de ce remue-ménage. Cinq mille francs, cinq mille francs, grand éclairage, du coup ! Et ce pauvre Mercure. Pas de chance ! C’est la deuxième fois qu’avec moi il est sur le point, à peu près, d’avoir le prix. II paraît que la visite de Descaves a assez excité Vallette, à cause de l’excellente affaire, relativement, que ce serait pour le Mercure et de la sorte de réclame que cela lui ferait. Je n’ai pas sous la main mes notes d’alors, mais il me semble que lors du Petit Ami, Vallette m’avait dit que le Prix Goncourt, rien qu’au point de vue matériel, pouvait bien représenter pas loin de 10 000 francs19. Et il y a le côté moral, réputation, nom plus connu, et aujourd’hui il y aurait deux volumes. Enfin, je le verrai demain.

Ce matin, Morisse m’a demandé un exemplaire du Petit Ami que je dois lui donner dans quelques jours, quand j’y aurai ajouté les corrections oubliées à l’époque.

Je disais ce soir à Gourmont : « J’ai envie d’ajouter à la fin d’In Memoriam : L’auteur se permet d’avertir que les présentes pages ne sont pas près d’être publiées en volume. Les critiques qui désirent en parler peuvent donc se payer ce plaisir dès à présent. — Allons ! allons ! non ! ne faites pas cela, m’a répondu Gourmont, ne faites pas d’acrobaties. »

Il paraît que les membres de l’Académie Goncourt sont si embarrassés qu’ils parlent de donner le prix à l’Enquête de Jules Huret20 sur l’Amérique.

3 novembre 1905

J’ai vu Vallette. Il n’y a rien de très différent de tout ce que m’avait dit Morisse hier. Descaves m’a attendu hier tout un moment, ayant dit : « Je voudrais bien le connaître » — et Vallette lui ayant dit que je devais venir. Il paraît aussi que Descaves a été extra-désappointé quand Vallette lui a répondu que In Memoriam n’était pas du tout un volume à publier prochainement. « Ce n’est pas drôle, ce que vous dites là, disait Descaves. Vous comprenez. Nous n’avons rien. Je lis cela hier matin, je me dis voilà notre affaire. Je cours chez Huysmans, chez Geffroy, tout est entendu avec eux. Et vous m’annoncez qu’il n’y a pas moyen !… Tâchez d’arranger cela et tenez-moi au courant. »

Bref, après bien des tergiversations de ma part, bien des hésitations, que j’ai encore — après un examen par Vallette du cahier de ma correspondance avec ma mère, nous sommes arrivés à ceci : Faire un volume avec In Memoriam, une Introduction à la Correspondance et la Correspondance. Vallette a écrit une lettre dans ce sens à Descaves, en le priant de lui répondre son avis, si cela en valait la peine.

Vrai, vrai, je donnerais quelque chose pour que Descaves réponde non, déconseille, etc… Quel poids de moins. Rien ne me force, je sais bien, mais je suis de caractère si hésitant, Vallette, Morisse, van Bever, Bl…21, me font voir l’occasion, qui ne se représentera peut-être jamais, l’argent et par lui la liberté, au lieu de reprendre, forcément, un jour ou l’autre un emploi. Et je leur réponds : « Je vais gâcher une chose — je n’ai pas assez de temps pour écrire mon introduction aux lettres — je ne voulais publier ces lettres qu’après être allé à Genève, essayer de revoir ma mère22, en rapportant alors des choses intéressantes, aussi bien avec un échec qu’une réussite, mais enfin de quoi écrire une vraie introduction — et surtout, ah ! surtout, je vais me fermer à jamais la chance de revoir ma mère. » Ma mère. Ah ! on n’en a qu’une et je suis si triste, si profondément triste quand je pense à toute notre histoire. Le jour qu’elle mourra, quel chagrin j’aurai, même en restant dans ma présente situation, si je ne l’ai pas revue — et que sera-ce alors quand volontairement je lui aurai donné toutes les raisons de me fermer sa porte.

4 novembre 1905

Été au Mercure ce matin, en passant je dis à Vallette que je me suis tout de même décidé à mettre à la poste, hier soir, après l’avoir quitté, la lettre à Descaves que j’avais emportée. Il me dit que le comité de lecture, hier soir, ne s’est occupé que de moi, et de parler de mon In Memoriam. Régnier23 entre autres l’a trouvé très bien, et surtout l’histoire du chien, avec Clotilde24, l’a amusé, disant : « Ce Léautaud ! Voyez-vous, ce Léautaud ! » On a même été jusqu’à rechercher mes vers, dans d’anciens tomes du Mercure. L’Élégie a été trouvée très bien, mais le Sonnet trop mallarmiste.

6 novembre 1905

Reporté à Vallette mes secondes [épreuves], corrigées, de la deuxième partie d’In Memoriam. La réponse de Descaves était arrivée, une lettre où il dit en substance ne pas vouloir nous causer, à Vallette, de grands frais inattendus, et à moi, un travail qui me déplairait peut-être, alors que somme toute le résultat est toujours un peu hypothétique et qu’il préfère ajourner cela à l’année prochaine, avec un livre plus uni, plus à mon goût, de façon à ne pas gâcher une candidature qui, à son avis, est à l’avance posée et viendra sûrement un jour, et aura son tour. D’accord avec moi, Vallette lui a répondu que tous deux nous étions de son avis, le remerciions, et que l’année prochaine, à cette époque, j’aurai un livre tout prêt.

J’ai dit ouf ! et un ouf ! heureux, tout de suite. La publication de notre correspondance, à ma mère et à moi, maintenant, ne m’allait pas. Il est convenu avec Vallette : je vais écrire mes histoires de femmes, comme je l’avais projeté avant tout cela. Vers octobre ou novembre prochain, on en publiera un morceau dans le Mercure, puis on tâtera Descaves, pour savoir si l’Académie Goncourt a ou n’a pas de candidat sérieux, et si j’ai quelque chance. Si non et oui, on publiera ce livre — si oui et non, nous remettrons à l’année suivante. Car publier un livre pour le seul plaisir d’emplir les cases de la librairie du Mercure, c’est aussi inutile pour le Mercure que pour moi.

Je le répète ma seconde moitié d’In Memoriam me retire toute ma satisfaction de la première.

9 décembre 1905

Morisse me dit que Descaves est venu, pour rapporter à Rachilde le livre de Farrère25, qu’il ne connaissait pas et qu’elle lui avait prêté. Il aurait dit à Morisse : « Oh ! ça, vous savez, c’est sûr, l’année prochaine c’est Léautaud qui aura le prix…, à moins qu’il n’y ait un candidat vraiment imposant… ce qui n’est guère à croire. » Van Bever disait de son cru : «… à moins qu’il n’y ait un chef-d’œuvre ! »

1906

9 janvier 1906

Recommencement des mardis de Rachilde26. J’y suis allé. Les gens les plus divers […].

Il y avait là Claude Farrère, le dernier prix Goncourt, garçon très simple. Compliments aussi de Mme Monceau27, avec des mots sur l’affaire Descaves-Goncourt. Ma surprise de la voir si bien informée. À mes questions : C’est tout simplement Descaves qui a raconté la chose à des dîners et déjeuners chez Guitry28, chez Donnay29, etc… disant partout : « Je viens de lire une chose étonnante. J’aurais vraiment voulu donner le prix à ce garçon-là », etc., etc… Et pendant ce temps-là, Vallette et moi avions le doigt sur la bouche comme deux augures ! Cela m’explique que Demolder30 m’en ait parlé aussi, il y a quelques jours, me disant qu’il était au courant, etc… Il est très lié avec Guitry.

Au cours de l’été 1906, Paul Léautaud écrit Amours en pensant au prix Goncourt. Avec Alfred Vallette, il y a des tractations :

Vendredi 1er juin 1906

Été ce matin au Mercure. […] J’ai rappelé à Vallette notre entente de l’année dernière, le manque de coïncidence entre une publication au mois d’août, et la consultation Descaves en octobre, notre commun intérêt, l’utilité de tenter quelque chose utilement et adroitement, ou alors ne rien faire, etc., etc… Vallette a été tout à fait gentil. Il m’a donné raison. Nous avons examiné ce qui pouvait se faire. Finalement, il a été décidé qu’il commencerait son gros roman dès le 1er juillet31. Il finira dans le numéro du 15 septembre. La nouvelle qui devait faire deux numéros sera mise dans un seul, le 1er octobre — et j’aurai pour moi le 15 octobre et le 1er novembre. Entre le 15 octobre et la fin de novembre, on écrira à Descaves. Le volume, s’il paraît, paraîtrait vers le 10 novembre.

21 juillet 1906

Je n’ai rien noté, depuis un mois [dans le Journal]. Pourtant, j’ai vu des gens, et je suis allé presque chaque soir au Mercure, comme à l’habitude, mais je suis si assommé par mon travail littéraire ! Cela ne vaudra pas cher, ces amours que j’écris en ce moment. Cela m’embête à écrire comme jamais quelque chose ne m’a embêté. Le résultat en est que cela ne vaut rien, ne vient pas. Je suis là comme un employé à sa besogne. J’écris parce qu’il le faut. Désastreuse méthode ! sans plaisir, sans émotion, il n’est pas de bonnes pages. Quand j’en aurai fini, je pourrai encore dire que j’ai passé par certains moments !

1er octobre 1906

Le premier morceau d’Amours dans le Mercure a paru. Dieu de Dieu que c’est long, pesant, gris, assommant et mal écrit ! Je ne suis pas Flaubertiste, mais écrire mal à ce point-là, c’est un peu trop tout de même. Encore une belle expérience. J’ai voulu trop en mettre, n’omettre aucun détail, parler de mille choses hors du sujet. J’ai obtenu quelque chose comme un fait divers. Toujours le résultat aussi, de ce qu’on écrit sans plaisir, avec la hâte d’avoir fini.

Au Mercure, Vallette et Morisse, malgré tout cela, ne continuent pas moins à s’échauffer, à s’emballer pour le Prix Goncourt. « Un livre qui ira loin, si il a le Prix » disent-ils, tous les deux. On m’a laissé en blanc, avec des lignes de points, les passages un peu trop vifs, ce qui les rend plus vifs encore, tant on se demande ce qu’il pouvait bien y avoir là. En corrigeant, en relisant dans le Mercure, j’ai déjà supprimé la valeur d’une bonne page. C’est plein de choses inutiles, et aussi sans aucune allure. C’est surtout la suite qu’il faudra revoir.

Ce matin, au Mercure. J’ai vu Dumur. Je lui ai demandé son avis. Le comble, c’est que cet avis n’est pas mauvais. Amours ne vaut pas In Memoriam, naturellement, me dit-il. In Memoriam était un sujet neuf, traité pour la première fois. Mais Amours l’a tout de même amusé. Une autre chose à retenir aussi dans ce que m’a dit Dumur, c’est cette opinion que les ironies littéraires enlèvent un peu de valeur à In Memoriam, en coupant l’émotion. « Vous comprenez, me disait-il, vous avez là un beau sujet, vous pouviez faire un grand effet d’émotion. Alors, de temps en temps, les ironies arrêtent, déconcertent, etc… on est moins pris. » Combien peu de gens comprennent, goûtent, sentent l’ironie ! Cette opinion de Dumur en est une nouvelle preuve. Et c’est pourtant un esprit clairvoyant et très renseigné littérairement. L’essentiel c’est ceci : mes ironies, mes boutades en pleine émotion ne sont nullement voulues. Elles viennent bien de mon caractère, et elles me viennent bien en écrivant. J’aurais donc grand tort de les rejeter, — pour ressembler aux autres.

Je suis retourné au Mercure à quatre heures. Grande nouvelle. Descaves n’a pas attendu que Vallette lui écrivît. Il est venu tantôt, et à mon sujet, uniquement. Tout de même, je trouve que ce n’est pas mal, un écrivain qui se dérange ainsi pour un jeune inconnu. Voici, en résumé, le compte rendu de sa visite : Il a demandé s’il y aurait la matière d’un volume. Vallette l’a renseigné. « J’aime moins cela qu’In Memoriam, a-t-il dit, mais il y a tout de même des choses… » On lui a dit alors qu’il n’y aurait dans le Mercure qu’un morceau et que de plus le tout serait rattaché à In Memoriam (ce que je l’aurai écrit de fois cette année, ce titre joyeux !). Descaves en a paru satisfait. Il a reproché des négligences, des répétitions de mots. Selon lui, il faudra ôter ou déguiser les passages vifs. Ne pas mettre non plus mon nom. Jusqu’ici il n’y a aucun livre de retenu pour le prix. Jaloux32, peut-être ? Mais c’est plus que vague. Quant à Charles-Louis Philippe33, à en croire Vallette, Descaves lui a assuré (sous le sceau du secret !) c’est tout à fait fini, usé, tous les académiciens Goncourt en ont plein le dos. On trouve ses livres procédé, procédé en diable. Rasé ?… procédé ?… Je pensais que moi-même, peut-être…

Il y a à l’Académie Goncourt une extrême gauche : Mirbeau34, Descaves, Geffroy, et Huysmans. Les autres, tout ce qu’il y a de bien-pensant, de moralisant, etc., etc… Descaves a confirmé à Vallette que j’avais été, lors de l’attribution du prix la première année, l’objet de grandes discussions, avec Le Petit Ami et que ma victoire avait tenu à vraiment très peu de chose. Il faut donc selon lui éviter de donner prise au moindre grief, raison d’honnêteté, de morale, etc… et encore plus d’exécution.

Un détail amusant, — et ridicule. Les deux Goncourt détestaient fortement, paraît-il, Vallès35, et il y a tout un groupe des académiciens qui met un soin pieux à respecter, même posthumement, cette haine de leurs bienfaiteurs, en écartant du prix tout volume où peuvent se retrouver des idées, opinions ou sentiments analogues plus ou moins à ceux de Vallès, touchant la famille.

Enfin, en ce qui me concerne, nous ne pourrons rien savoir avant le 20 courant. Il y aura ce jour-là le dîner de rentrée. Là chacun dira son candidat, s’il en a un, on jettera des jalons, on pronostiquera, etc… Descaves a promis à Vallette de lui écrire après ce dîner.

Gourmont à qui j’ai dit, à six heures, l’essentiel de tout cela, me conseillait d’aller voir Descaves, la situation de convenance et de discrétion n’existant plus maintenant. Je le remercierais, lui demanderais conseil. Ce serait une façon de me l’attacher encore davantage. Il faudra que je demande son avis à Vallette.

Gourmont trouve que j’exagère en trouvant Amours si assommant. Je le lui ai dit : un écrivain intelligent sait toujours ce qu’il a fait, et son opinion est toujours la plus sûre. Quand on a écrit quelque chose avec ennui, c’est un élément d’appréciation pour jauger l’ennui du lecteur. Tandis qu’une chose écrite en cinq minutes, avec plaisir, presque toujours elle est bonne, et le reste.

Vraiment, j’ai hâte d’être débarrassé de tout ce fouillis d’histoires de femmes pour me mettre à autre chose. Seulement, quoi, autre chose ? Je n’en sais rien. De plus, j’aurai des besognes, Lemarquis, Poètes d’aujourd’hui, Pages choisies de Stendhal, et je perdrai encore une fois le bénéfice de l’entrain, de l’expérience, etc… Descaves a encore dit qu’il y avait vaguement comme candidats les frères Tharaud pour Dingley l’illustre écrivain36, ouvrage qu’on trouve un peu court, pourtant.

Mercredi 17 octobre 1906

Rencontré Théry37, à quatre heures, sous l’Odéon38. Promené avec lui dans le Luxembourg et assis un moment au café au coin de l’avenue de l’Observatoire, devant le petit Luxembourg39. Il venait de voir Vallette, à qui il avait fait part de son amusement à me lire. Nous parlons, toujours ! du P. G. Il me confirme combien j’ai été près de l’avoir avec le Petit Ami. Toujours questions de moralité, et pas moralité pour les côtés obscènes, licencieux, non, moralité, vraiment, c’est-à-dire aucun sentiment social, familial, irrespect de la mort, etc., etc… Il m’assure que je dois avoir Hennique40 pour moi, ce qui me fait cinq académiciens : Hennique, Descaves, Mirbeau, Geffroy et Huysmans. Dirait-on pas qu’il s’agit de me présenter à l’Académie Française ! En tout cas, mon sentiment, mon désir, le voilà, et vrai du fond du cœur : Si seulement mon livre me contentait, combien je préférerais cela, plutôt que le P. G., avec un livre qui me laisserait des regrets.

Vendredi 26 octobre 1906

Je suis allé voir cette après-midi quand on peut voir Descaves : tous les dimanches matin, de 9 h.½ à midi. Vallette va me faire une lettre d’introduction. J’irai après-demain matin. Vallette n’est plus si emballé. Il entrevoit maintenant que je peux très bien rater, à cause de la pudibonderie de la majorité des Acad. G. Quant à moi, et je n’en reviens même pas, et je le disais à Vallette, c’est bien simple, je suis dans l’état d’esprit suivant : le prix Goncourt a été attribué, ce n’a pas été moi le lauréat, et je n’en suis ni plus triste ni plus gai. Et la vérité, en effet, c’est que ce à quoi je tiens avant tout, c’est à refaire mes mauvais morceaux, oui, cela avant tout. Très joli, le prix, mais un livre mauvais ? […].

Dimanche 28 octobre 1906

Ce matin, à neuf heures et demie, dix heures, plutôt, je suis arrivé chez Descaves. La bonne m’a fait monter au premier, et m’a introduit dans son cabinet de travail. « Je vous salue, Monsieur, lui ai-je dit. Je viens de la part de M. Alfred Vallette et un peu de la mienne (en lui tendant la lettre de Vallette). — Asseyez-vous », me répond Descaves un peu sèchement en m’indiquant un canapé et se dirigeant vers son bureau pour lire la lettre. Puis, se ravisant, et se tournant vers moi : « Vous êtes Monsieur ?… — Léautaud », lui réponds-je. Et alors, grand accueil, grandes poignées de main, grand plaisir de me voir, qu’il était donc heureux de me connaître enfin, etc., etc… Nous avons tout de suite abordé le vif du sujet, moi disant à Descaves que Vallette ne l’ayant pas vu revenir, nous avions pris la liberté de venir nous-mêmes nous informer. Et voilà le résumé : le dîner du vingt courant n’a pas eu lieu, de là la non-visite de Descaves. Par conséquent, il ne peut non plus me fixer en rien. De plus, il sera empêché d’assister au prochain dîner. Nouvelles difficultés à nous renseigner. « Et vous, où en êtes-vous et que désirez-vous que je fasse ? » me demande alors Descaves. Je lui dis alors que j’ai fini, que j’attendais les nouvelles, que s’il fallait marcher je marcherais tel quel, mais que je voudrais bien aussi refaire mes mauvais morceaux. « Quand pourriez-vous paraître ? me demande-t-il. — Pas avant le vingt ou vingt-cinq novembre. — Ce serait trop tard, me dit Descaves, trop tard. Nous aurions moralement l’air de nous être entendus d’avance, d’avoir donné le prix avant d’avoir lu. Notre dîner d’attribution aura lieu le cinq décembre. Trop peu de temps entre, vous voyez. » Et puis, Descaves m’a dit alors qu’il ne voyait pas encore de candidat sérieux, sinon Charles-Louis Philippe, s’il publiait son Croquignole. Philippe est venu le voir dernièrement, pour lui demander s’il devait publier. « Que voulez-vous que je vous dise, lui a répondu Descaves, vous me demandez mon opinion sur un livre que je n’ai pas lu. » Descaves m’a expliqué que l’Académie était déjà en retard, en ce sens que plusieurs auteurs étaient désignés pour avoir le prix, non pour un dernier livre, mais pour un livre qu’une cause ou autre avait empêché de couronner, exemple Philippe, s’il a le prix cette année ce ne sera pas Croquignole qui sera couronné, mais Bubu de Montparnasse41 et moi-même paraît-il, je commence à être un peu dans cette condition. Descaves m’a encore dit combien ma victoire avait tenu à peu de chose pour Le Petit Ami. Au sujet d’Amours, et des morceaux que je lui disais vouloir refaire, il me disait : « Non, non, ce n’est pas si mal. » Je lui ai cité alors deux pages du dernier Mercure où il y a bien dix fois le mot encore et le mot époque. « — Ça, c’est vrai, m’a-t-il répondu. Je l’avais remarqué. Mais je pensais que la publication en revue ne vous servait que comme épreuves et que vous retravailleriez là-dessus. » Je lui ai dit aussi combien j’étais étonné et ravi qu’un écrivain se fût ainsi dérangé comme lui pour un inconnu, que c’était vraiment très bien, et rare, sans doute. « Mais non, mais non, m’a-t-il répondu. Moi, quand un livre me plaît, je courrais au bout du monde. » Il m’a parlé d’In Memoriam. « Un morceau de tout premier ordre », m’a-t-il dit. Je lui ai raconté alors quelle avait été mon impression en le donnant au Mercure, et que ce n’avait guère été que pour gagner les 120 francs qu’il devait me rapporter. Il n’en revenait pas. Je lui parlais aussi de ma façon d’écrire, qu’il avait trouvé des répétitions. « Mais non, m’a-t-il dit, vous n’écrivez pas mal du tout. Vous avez votre style à vous. » Une chose qu’il m’a dite aussi tout de suite, au sujet d’In Memoriam : « Ah ! dites donc, j’ai réfléchi. Il ne faut pas changer votre nom. J’avais dit que si à Vallette, qui m’avait parlé de cela. Il se pouvait en effet que nous nous attirions l’opposition de certains académiciens. Mais tant pis. Vous avez fait une certaine chose. Il ne faut pas la démolir, la faire à moitié, en changeant le nom. Durand ou Dupont au lieu de Léautaud, et tout le caractère, tout votre caractère d’écrivain tombe. Il faut laisser votre nom. » Je lui ai dit combien j’étais heureux de cette opinion, combien je m’étais montré têtu42 au Mercure pour refuser de changer le nom, etc., etc. Nous avons aussi parlé de l’effet de Vallès à l’Académie Goncourt. Je lui ai dit que je trouvais cela un peu ridicule et niais. « Et, a ajouté Descaves, cela n’empêche pas L’Enfant de Vallès d’être un chef-d’œuvre. » Descaves m’a encore expliqué que ce n’étaient pas du tout les passages lestes qui risquaient de me créer des difficultés au sein de l’Académie, mais bien les questions de haute morale, famille, mort, etc… qu’on m’a déjà opposées pour Le Petit Ami. « Mais alors, lui ai-je dit, ce sera pire encore pour ce livre-ci, avec In Memoriam ? — Non, m’a-t-il répondu, ce ne sera plus tout à fait la même chose. La grande raison opposée au Petit Ami, c’était que c’était la première fois que le prix était donné, qu’on pensait que le lui donner c’était attacher à l’Académie Goncourt une réputation d’immoralité, de scandale, etc… Depuis, les sentiments se sont un peu modifiés. Et d’ailleurs, qu’est-ce que tout cela fait, si nous avons la majorité. » Descaves m’a dit qu’il avait avec lui Geffroy et Mirbeau et probablement Huysmans. Je lui ai dit mon avis que le prix Goncourt devait avoir un certain caractère subversif, révolutionnaire. Il m’a tout à fait approuvé. « Ah ! si vous aviez été prêt l’année dernière, m’a-t-il dit, vous l’aviez. On l’a donné à Farrère, ne pouvant faire mieux, et ça n’a rien d’étonnant, son livre. » Nous avons parlé de quelques candidats, soit actuels, soit à venir. Dans les premiers Villetard43, Jaloux. Dans les seconds, Géniaux44, d’autres noms que j’ai oubliés. Quant aux fameux Marius-Ary Leblond45, rasés complètement. Finalement, Descaves me demandant ce que je désirais, et faire moi-même, et qu’il fît lui-même, il a été convenu que je ne paraîtrais que l’année prochaine, autant à cause du manque de renseignements sûrs sur la situation actuelle que du retard où je me trouve, que pour donner un livre le plus soigné possible.

Là-dessus deux amis à lui sont arrivés. La conversation a roulé sur La Préférée46, la pièce de Descaves à l’Odéon chez Antoine47. Puis la bonne a apporté la carte de Pilon48. « Mais vous le connaissez, m’a demandé Descaves. Cela ne vous gêne pas, de le voir ? » J’ai alors expliqué à Descaves que n’étant venu le voir que parce qu’il s’était dérangé le premier et que sans cela il ne m’aurait jamais vu chez lui, je préférais autant que Pilon ne m’y vît pas, de façon à ce que je n’aie pas l’air que je n’avais nullement, c’est-à-dire celui de candidat courtisan et raseur. Descaves a très bien compris, et l’on a fait attendre un moment Pilon. Enfin, je suis parti. Descaves m’a accompagné jusqu’à la sortie, aimable, cordial au possible, me demandant de revenir, et de meilleure heure, pour être davantage seuls ensemble, qu’il était là chaque dimanche matin, amabilité, etc., etc…

J’oublie certainement bien des détails, qui me reviendront sans que j’y pense. Par exemple, un des deux amis présents ayant demandé quel était, le soir de la première de La Préférée, ce monsieur rasé, décoré, l’air d’un acteur, qui se trouvait avec Descaves, Descaves a répondu : « Mais c’est Coppée, c’est Coppée ! » en faisant sentir très nettement les deux pp. Là-dessus il nous a parlé de Coppée qui a paraît-il une existence pas drôle depuis une dizaine d’années, vivant avec trois pansements par jour, avec sa vieille sœur à moitié folle. Le dévouement pour lui du docteur Duchatelet49, qui ne le quitte pas, lâche tous ses malades pour suivre Coppée en voyage, l’accompagne au théâtre, partout, pour être toujours là en cas d’accident. C’est lui qui prolonge Coppée, disait Descaves. Le brave homme qu’est aussi Coppée, selon Descaves. Grand cœur, généreux. « Chaque jour j’apprends tel ou tel fait de générosité, me dit Descaves, et jamais il n’en parle. » Descaves l’a beaucoup fréquenté autrefois, avant l’Affaire50. Depuis,… plus moyen, et chez lui, une société ! Descaves s’est aussi beaucoup promené avec Coppée dans Paris, qui le connaît à fond, qui sait des tas de choses sur la ville « un vrai chat parisien » comme disait Descaves. « Cet homme qui est si supérieur à son œuvre ! » disait-il aussi de Coppée.

Descaves m’a dit aussi qu’il avait fait la plus grande réclame possible à In Memoriam. Dernièrement encore, il en parlait à Guitry51, à qui il en avait déjà parlé souvent, lui demandant s’il l’avait enfin lu, ce qui a amené Guitry à envoyer acheter les Mercure de novembre 1905.

Je me rappelais une nouvelle fois, en écoutant tout cela, ce que j’avais été sur le point de dire dans mon interview Le Cardonnel. « Une chose que je ne me consolerai jamais de ne pas avoir, c’est le style élégant de M. Lucien Descaves. » Une simple boutade, sans rime ni raison. Comme je n’arrivais pas à la placer avec le ton nécessaire, je la supprimai. Je ne l’ai pas regrettée ce matin, en écoutant cet homme me parler si chaleureusement, si sincèrement aussi, sans doute, car enfin, c’est lui qui s’est dérangé et il doit être sincère.

Descaves m’a dit aussi qu’il n’en irait d’ailleurs pas moins voir Vallette.

À propos de Vallès, Descaves m’a dit aussi : « Vous, c’est pire. Vallès, encore, quand il parlait de sa famille, s’il en disait du mal, c’était avec un certain regret. Il déplorait de n’avoir pas eu, comme tant d’enfants, un bon foyer familial. Tandis que vous, vous n’y croyez même pas, à ces sentiments de la famille, vous vous en moquez avec cynisme, etc… Et je le comprends. L’idée de la famille, au fond, c’est une convention. — C’est tout à fait mon sentiment, ai-je dit à Descaves. La parenté n’est rien. Ce sont les faits qui comptent, et l’on aime plus justement son père, s’il a été bon et dévoué pour vous, que simplement parce qu’il est votre père. Ainsi, ce que vous avez fait pour moi, en vous dérangeant comme vous l’avez fait, mon père n’en a jamais fait autant à mon égard. »

Lundi 29 octobre 1906

Été rendre compte à Vallette de ma visite à Descaves. « Qu’en pensez-vous, lui ai-je demandé après avoir fini. Bon, ou mauvais. — Bon, m’a répondu Vallette. Descaves est un petit homme têtu qui s’est mis dans la tête de vous faire avoir le prix. Il fera certainement tout son possible pour y arriver. Le tout, c’est qu’il faut attendre encore un an. »

Comme je le disais à Vallette : « C’est un peu ma faute. Je n’ai pas eu assez de talent pour raconter mes Amours. Savez-vous ce qu’il me faudrait ? Ce serait que ma mère mourût. Quel beau pendant à In Memoriam. Et puis, c’est aussi un peu la faute de mon père. S’il avait été moins muet, j’aurais peut-être pu faire cinquante pages de plus et l’emporter l’année dernière, ou même cette année, rien qu’avec In Memoriam. Cet homme-là n’aura rien fait pour moi jusqu’au bout. »

Une autre raison que j’expliquai à Vallette d’avoir confiance dans Descaves c’est que la bonne impression d’In Memoriam sur lui, au bout d’un an n’a pas diminué. Et c’est si rare. On lit une chose, on la trouve très bien. Puis ensuite on en lit d’autres, du temps passe, et ladite chose se trouve oubliée, mélangée, indistincte avec d’autres qu’on a lues. De plus, Descaves n’a pas attendu qu’on lui écrivît. Il est venu dès le premier morceau d’Amours.

Mardi 30 octobre 1906

Mercure. Gourmont. Vallette l’a mis hier soir au courant. Il m’en parle. Je lui raconte les éloges de Descaves sur In Memoriam. « Le boulevard Arago n’était plus assez large pour moi en revenant52 », lui ai-je dit. Régnier était là. Il paraît que ce Binet-Valmer53 guette aussi le prix. Mais quand ? Cette année ou l’autre ? Je n’ai pas voulu questionner Régnier.

Vendredi 14 décembre 1906

Je lis ce soir dans L’Intransigeant que c’est ce soir le dîner de l’Académie Goncourt, pour l’attribution du Prix. J’ai rêvé cette nuit dernière que c’était Charles-Louis Philippe le lauréat. Morisse à qui j’ai dit cela cette après-midi, m’a répondu : « Comme on rêve toujours le contraire… » Je vote néanmoins pour Philippe.

Je pense toute la soirée à la délicieuse fièvre où doivent se trouver les deux ou trois candidats sérieux. Sale moment d’attente, il n’y a pas à dire, et si, le lendemain, on n’est pas l’élu, second sale moment. Dire que je pourrais être, ce soir, en train de passer par le premier de ces deux sales moments.

Samedi 15 décembre 1906

Dix heures du matin. Ce sont les frères Tharaud qui l’ont emporté ! Six voix, au troisième tour54. Encore deux nouveaux frères en littérature ! Décidément l’exemple des Goncourt devient de plus en plus regrettable. Cela fera toujours mon émerveillement qu’on puisse écrire un livre à deux. Il est vrai que tout cela n’est bien que de la littérature, c’est-à-dire un travail qu’on s’efforce d’exécuter de son mieux. L’individu n’y a qu’un part minime. Pour en revenir aux Tharaud et à leur livre : Dingley, l’illustre écrivain, il faut observer : que le livre est plutôt une plaquette qu’un livre (cent cinquante pages au plus et de très petites pages55. Et Descaves prétendait qu’In Memoriam était trop court !), ensuite que ce livre n’est qu’un remaniement de l’ouvrage paru sous le même titre, il y a quatre ou cinq ans aux Cahiers de la Quinzaine56. Que devient la clause des Goncourt : livre paru dans l’année ? Ensuite encore, le livre est bien, très bien même, écrit par de vrais écrivains (j’entends ouvriers du style) mais où la nouveauté, l’originalité, la personnalité ? Il est vrai que le livre, rentrant absolument selon moi, dans le caractère du Prix Goncourt (caractère plus ou moins subversif, comme je l’ai déjà dit et à Descaves lui-même, et subversif veut dire surtout tendant à exprimer des sentiments ou une morale personnelle, sans souci du qu’en-dira-t-on ?) il est vrai que ce livre, c’est plutôt un objet rare, et qui ne se présentait pas encore cette année. Je garde mon appréciation : le prix Goncourt n’a été bien donné qu’une seule fois : la première, avec Nau. Ce pauvre Philippe, si j’en crois les journaux, a eu hier soir deux voix, jusqu’au dernier tour, et deux voix aussi Gaston Chérau57, l’auteur de Champi-Tortu. Je voudrais bien voir la tête de Philippe. Maintenant, son compte doit être réglé. Il n’aura jamais le prix.

Il n’y a pas à s’en rapporter aux appréciations des journaux. Un nommé Estienne, lui-même, ce matin, dans le Gil Blas, donne Victor Margueritte58 comme membre de l’Académie Goncourt59. Comment se fier aux autres journalistes. Je verrai ce soir au Mercure ce qu’on dit, et demain matin, si j’ai le courage de me lever, j’irai visiter cet excellent Descaves. Encore une exactitude des journaux. Le Cri de Paris prétendait l’autre jour que le grand électeur était Descaves. Or, le vote d’hier montre assez le contraire, et qu’il y a eu deux camps bien nets le camp Rosny, Daudet, Hennique et Bourges, et le camp Descaves, Mirbeau et Geffroy. Quant à Huysmans, je suis embarrassé pour le caser.

Dimanche 16 décembre 1906

Fragment de l’article de Charles-Louis Philippe et Eugène Montfort en une du Gil Blas du seize décembre 1906

Pas été chez Descaves ce matin. En me réveillant, l’idée de me transporter là-bas, derrière la Santé, m’a assommé et je me suis rendormi. À onze heures je descends pour les commissions. Je trouve dans le Gil Blas un article de polémique contre l’Académie Goncourt et le vote d’hier, article signé Ch.-Louis Philippe et Eugène Montfort60, et dans lequel je suis nommé61. Que Ch.-L. Philippe ait écrit cet article — pas méchant, d’ailleurs — oui : il a dû dire, comme je l’ai pensé moi-même hier matin, que maintenant c’était bien fini pour lui et qu’il ne perdrait rien. Mais Montfort ! leur attitude du reste fait plutôt sourire : ils avouent une déception, ce qu’on ne doit jamais avouer, et qu’ils ont été piqués. Encore deux qui sont moins forts que moi, et qui n’ont pas su se taire jusqu’au bout — non plus que se payer avec vigueur, car sauf quelques petits détails sur Descaves — et sont-ils exacts ? — tout l’article est bien doux. L’amusant, c’est qu’ils mettent un mot aimable pour Huysmans. Ils ignorent sans doute que le vote de Huysmans était acquis depuis assez de temps aux Tharaud. Cet article m’a fait regretter de n’être pas allé chez Descaves. Je l’aurais vu tout chaud de l’affaire.

Voici un extrait de l’article :

Mais laissons cette année et remontons un peu plus haut. Remontons à l’attribution du premier prix dont nous n’avions pas compris les motifs, lorsqu’il fut décerné. Nous les comprenons très bien maintenant.

Le lendemain même de la décision de l’Académie, l’un de nous rencontra M. Lucien Descaves et lui parla du prix Goncourt, qui était l’événement du jour. M. Descaves dit :

— Croyez-vous que c’est drôle ! Qu’est-ce que c’est que ce Nau, en somme ? Nous ne le connaissons ni les uns ni les autres. Où est-il ?… Où perche-t-il ? Nous n’avons même pas son adresse pour lui annoncer son succès !…

Or ce Nau, si inconnu et si mystérieux, était le frère de M. Torquet, le secrétaire de M. Maurice Donnay, dont, comme on le sait, M. Descaves est le collaborateur, l’ami et le familier.

Et tout s’explique ! Nous avons, d’ailleurs, depuis, appris par quelqu’un qui fréquente chez M. Descaves, qu’il avait rencontré le mystérieux et inconnu John-Antoine Nau chez M. Descaves lui-même avant l’attribution du prix.

Mon Dieu ! faut-il que ces auteurs dramatiques aient de l’imagination pour transformer des événements si simples en aventure mirobolantes !

Sur la même une du même Gil Blas Jean Ernest-Charles62 écrit à son tour sous le titre « Surproduction littéraire » : …

Les académiciens de Goncourt ont voulu protester contre la surproduction littéraire d’aujourd’hui.

Les frères Tharaud ont publié jusqu’à maintenant des essais à la fois très rares et très brefs. La brochure […] est une modeste plaquette de 141 petites pages. Et deux frères se sont associés pour l’écrire. Si elle leur a coûté plusieurs années de travail, chacun d’eux écrivant soixante-dix pages, cela ne fait pas beaucoup plus d’un mot par jour pour les deux collaborateurs réunis.

[…]

À ce titre, la désignation des académiciens de Goncourt a une signification littéraire d’une portée incomparable. Espérons qu’elle ne restera pas vaine et que désormais la surproduction dont souffre la littérature cessera.

Cependant pour que la leçon soit bien comprise de tout le monde, les académiciens dont s’agit ont encore quelque chose à faire. Ils viennent de récompenser l’association fraternelle de Jean et Jérôme Tharaud, qui n’ont presque rien écrit. Espérons que, l’année prochaine, ils récompenseront trois cousins unis qui qu’auront rien publié du tout63.

Ces deux articles sont le début d’une campagne du Gil Blas qui se déroulera du 21 au 31 décembre à laquelle participeront Remy de Gourmont, Rachilde, Léon Bloy, Lucien Descaves, Henri de Régnier et André Gide. Le 19 décembre un jeune journaliste sonnera à la porte de Paul Léautaud rue Rousselet pour l’interviewer en ce sens.

18 décembre 1906

À noter aussi ceci : quand je suis allé voir Descaves, et qu’il s’est rallié si facilement à mon idée de ne paraître que l’année prochaine, il devait très bien savoir que le prix serait pour les Tharaud. Je ne sais si je l’ai noté. Samedi matin, en lisant dans le journal la victoire des Tharaud, j’ai eu la sensation que si je m’étais présenté cette année, j’aurais été aussi battu par eux, le degré de perfection de leur livre ne pouvant que renforcer les arguments de la majorité contre mon « amoralisme, scandale, etc… ». Morisse, à qui j’avais soumis cette impression, ne l’avait pas trouvée juste. Or, dans le Gil Blas, ce matin, Mirbeau, en constatant qu’on n’avait pas à me donner le prix, mon volume n’ayant pas paru, a ajouté : « D’ailleurs il n’aurait pas eu le prix cette année. Il y avait Dingley. »

20 décembre 1906

Visite à Mirbeau à deux heures et demie. Il est en train de travailler. Debout, allant et venant, écrivant sa phrase quand il l’a trouvée. Il me lit un passage sur Mauclair : « Oui, Monsieur Mauclair… de la lune. » Il rit de bon cœur de la trouvaille. Il me parle de l’entrée de Victor Margueritte à l’Académie Goncourt, ce que voudrait bien Paul Margueritte. « Voter pour votre frère (Victor Margueritte), j’aimerais mieux voter pour mon concierge. »

Octave Mirbeau dans le quatrième volume des Figures contemporaines édité par le vin Mariani.

Pour ce qui est de l’objet précis de ma visite, l’impression que je rapporte n’est pas bonne. J’ai trouvé tout le contraire de Descaves, c’est-à-dire un homme qui fait des phrases, qui parle, mais qui ne vous écoute pas. À part cela, de quoi m’amuser n’a pas manqué. J’ai commencé par remercier Mirbeau de sa bienveillance pour moi, d’avoir ainsi parlé de moi, à plusieurs reprises, sans me connaître. « Mais non, non. C’est moi qui dois vous remercier des heures délicieuses que vous m’avez fait passer. » Première fadeur, flatterie, politesse presque bête, étant donné qu’en face de Mirbeau je suis un tout jeune écrivain. Ensuite : « Ah ! s’il n’y avait que moi, si cela ne dépendait que de moi, il y a longtemps que vous l’auriez eu, le Prix Goncourt. Mais voyez-vous, il y a Descaves… C’est lui qui fait tout, qui décide de tout, c’est inimaginable !… » Étant donné la peine que Descaves a prise de se déranger deux fois pour moi, sans me connaître, et à un an d’intervalle, cette façon chez Mirbeau de me le montrer opposant est plutôt drôle64. Je l’ai laissé parler là-dessus tout à son aise. Couplet sur la bêtise inimaginable, insoupçonnable, de Paul Margueritte, sur le manque de hardiesse de Descaves et de Geffroy, sur le chauvinisme des Rosny. Rien sur Huysmans, Daudet, Hennique, ni Bourges. « Alors, si j’en juge par ce que vous me dites, je ne l’aurai jamais, le prix ? » lui dis-je. Mirbeau lève les bras au ciel : « Ah ! c’est à craindre. » Du mal de Farrère : « Si vous saviez comment cela s’est fait !… Tenez, c’est Louÿs qui a été voir Coppée, lequel a été ensuite voir Huysmans, etc… » Or, il a été dit par Vallette que c’est Rachilde qui a indiqué à Descaves, revenu après sa première visite pour In Memoriam, le livre de Farrère. J’ai parlé à Mirbeau de l’article Ch.‑L. Philippe et Montfort, de la rectification que me conseillait Vallette, et que j’avais préféré lui demander avis là-dessus : fallait-il que je me dégage, ou que je ne fasse rien. Il m’a répondu en l’air, sans que je puisse savoir si c’était oui ou non. Je lui ai aussi montré la note de L’Intransigeant sur le Prix de 1907(65). Rien répondu. « Descaves vous a promis de voter pour vous. Vous pouvez être sûr qu’il votera contre66. »

[…]

À ajouter sur ma visite à Mirbeau que comme je lui parlais des potins contre Descaves contenus dans l’article de Philippe et Montfort et que toute cette polémique semblait surtout viser lui, Descaves, Mirbeau me répond : « Oh ! vous savez, entre nous, il ne l’a pas volé. Il s’amuse à raconter qu’il ne connaît pas des gens qu’on a vus chez lui, promet à l’un, promet à l’autre… Non, il ne l’a pas volé. »

[…]

Mon impression sur Mirbeau une girouette, un parleur, rien au fond. C’est bien ce que disait Vallette « Vous iriez trouver Mirbeau, pour un secours à un ami. Il ne vous laisserait pas parler, vous donnerait cent francs tout de suite. C’est un impulsif, l’homme de la minute. Mais quelque chose qui demande de la suite… Je ne crois pas qu’on puisse compter sur lui. » Maintenant que je l’ai vu, je ne le crois guère non plus.

23 décembre 1906

Ce matin, à neuf heures un quart, visite à Descaves. Rien de bien intéressant. Je me suis expliqué sur l’article du Gil Blas, et que je n’y étais pour rien, ne connaissant pas Montfort et à peine Philippe, etc., etc. Descaves n’a pas l’air très content des deux mécontents, « Ces deux petits voyous ! » m’a-t-il dit de Montfort et de Philippe. Je lui ai dit que tout le monde au Mercure trouve l’article en question niais, ridicule, et déplacé ; il m’a paru satisfait. Sur Jeanne Landre67 il me dit : « Ah ! celle-là ! M’en a-t-elle envoyé des gens, pour me dire ses besoins, qu’elle soutenait sa vieille mère, etc… Le Prix Goncourt n’est pas un secours. C’est un prix littéraire. Le jour où il sera devenu un secours, il sera fichu. Ce jour-là, du reste, je resterai chez moi. »

Je lui ai montré l’écho de L’Intransigeant, m’annonçant pour 1907. Il ne le connaissait pas. Surpris plutôt désagréablement, tout en m’assurant que rien de nuisible pour moi n’en résulterait. Assuré aussi que je ne savais d’où ce potin venait. Quant au membre de l’Académie qui aurait raconté cela, par truc, lui ai-je dit. Il m’a répondu que ce pourrait bien être Nau, et les Rosny, qui sont d’un bavard, paraît-il !

La lettre anonyme à Hennique est vraie. Il y a même mieux, me raconte Descaves. Montfort lui-même s’est transporté chez un des Dix, avec le Cahier de la Quinzaine contenant Dingley, pour bien lui montrer que c’était un livre déjà paru, et ne pouvant par conséquent avoir le prix. Il faut croire que je suis encore naïf, car l’idée seulement qu’on puisse avoir tant d’aplomb, et faire de pareilles démarches, me coupe bras et jambes. Il m’en vient aussi, à l’égard de Montfort, un peu de méfiance. Moi qui m’apprêtais, à propos de La Turque68, pour le remercier et le complimenter, à lui écrire si cordialement69, si franchement, lui parlant de moi, littérairement, sans retenue. Un monsieur qui utilise de plus dans des articles de journaux ce qu’on lui a dit ! Je veux bien le faire moi-même, mais non qu’on me le fasse. Je ferai ma lettre.

Descaves me parle aussi de l’article d’Ernest Charles dans Le Censeur, la veille du Prix, chauffant la candidature Montfort. « Voyez-vous, cette façon de presser sur nous, de nous désigner tel candidat. Tous ces gens-là ont fait le jeu des Tharaud. » Il me raconte aussi que le seul des Dix qui avait formellement donné sa parole aux Tharaud de voter pour eux est justement celui qui, le moment venu, a voté contre eux. (Le dix dont il s’agit n’est autre que l’admirable Paul Margueritte70, celui dont Mirbeau dit : « Vous ne pouvez avoir une idée, rien au monde ne peut donner une idée de l’imbécilité de Paul Margueritte »).

Je n’ai pas été maladroit, je suis arrivé à être renseigné sur Descaves à mon égard. Il savait très bien à ma dernière visite qui aurait le prix, et je commence à croire que le prix était en effet donné d’avance71. Je m’y suis pris ainsi. J’ai parlé de cette accusation portée par Philippe et Montfort du prix donné d’avance. « Pure sottise, ai-je dit, car je suppose que je suis l’un des Dix. Il paraît au mois de mars un livre qui me plaît, qui m’emballe, etc. Je me dis voilà mon candidat. Je travaille cela le reste de l’année, et parce que le prix n’est donné qu’en décembre, on viendra me dire que je l’ai donné d’avance ?… — Mais naturellement, vous avez raison, m’a répondu Descaves sans prendre garde. C’est ce qui s’est passé. J’ai lu Dingley à Pâques, et je me suis dit voilà le livre qui aura le Prix. » Il m’a aussi parlé du dîner d’octobre, du dîner de novembre, où on avait parlé des candidats, alors qu’il m’avait dit à ma première visite n’avoir pu assister au premier, ou qu’il n’avait pas eu lieu72, et ne pouvoir se rendre au second. Oubli dans la conversation, erreur, ou bien s’est-il vraiment « coupé » ?

Descaves a eu l’air de me dire que si Philippe publiait un chef-d’œuvre toutes ces histoires ne l’empêcheraient pas de voter pour lui. Il se vante. Il est homme comme un autre, on l’a offensé, on a donné à suspecter son caractère. On n’oublie pas cela.

Nous n’avons rien dit de bien précis sur mon affaire pour 1907. Je dois lui procurer un numéro de L’Intransigeant, et aller le revoir de temps en temps. Il a été très aimable, m’a parlé de Mirbeau, que j’aurai toujours pour moi… Ce que je commence à avoir assez de tout ce manège ! Je commence aussi à me faire bisquer moi-même : L’aura, l’aura pas.

Descaves, sur ce que je lui ai dit du conseil de Vallette, était aussi d’avis que j’aurais peut-être pu écrire au Gil Blas pour rectifier. Maintenant, bien tard. « Du reste, m’a-t-il dit, tout cela sera vite oublié, et cela a aussi si peu d’importance… »

24 décembre 1906

En allant porter L’Intransigeant chez Descaves, passé devant Pelletan, l’éditeur de Dingley, boulevard Saint-Germain73. Je n’y pensais pas, et je me suis trouvé soudain devant la boutique. Une affiche assez grande, avec un Edmond de Goncourt presque en pied. Impossible de faire dessiner ce portrait, et tirer cette affiche, en effet, en une demi-nuit, de minuit à neuf heures du matin. Donc, Pelletan était très bien au courant.

Passé au Mercure, mettre Vallette au courant de ma visite Descaves hier. Le Mercure a déjà trois candidats pour 1907 : moi, Jaloux, et un M. Ségalen74, qui n’a d’ailleurs aucune chance. Mais Jaloux ? Descaves m’en avait parlé à ma première visite, il me semble.

1907

16 juin 1907

Été voir Descaves ce matin. Sans grand motif, ni grand entrain. Toujours très bien reçu. Il m’a dit qu’il n’y avait encore aucun candidat en vue. Que du reste il se faisait une joie de ne rien lire, comptant sur moi pour venir les tirer d’affaire au bon moment. Il m’a dit de ne pas paraître plus tard que le 1er octobre. Que j’aurais certainement, s’il est nommé, Renard75 pour moi. Et voilà tout. Si seulement j’étais débarrassé de mes épreuves, moi ! J’ai dit à Descaves que ce serait beaucoup changé, beaucoup resserré. Cela a eu l’air de lui aller.

Descaves m’a parlé de l’élection du successeur de Huysmans. Elle aura lieu vers novembre. Son candidat est Céard76, quoique Céard ne lui ait rien dit. Mirbeau, lui, veut voter pour Renard. Il le clame déjà partout. Descaves me disait en riant : « Je le lui ai dit : Ce n’est pas la peine de crier si fort. On ne dit pas du tout qu’on n’en veut pas de Renard. On verra cela. »

Mais voilà, comme d’habitude Paul Léautaud ne fait rien, son chat est malade et aucun prix au monde ne vaut quoi que ce soit face à ça. D’où le « Sans grand motif, ni grand entrain » de ce début de journée. Une raison plus rationnelle lui impose aussi de ne pas publier un texte dont il est mécontent. Il est rare que Paul Léautaud soit mécontent d’un texte au moment de le publier mais il est systématique qu’il soit mécontent après. Il ne fournira donc aucun texte et Amours ne paraîtra en volume que fin décembre 1956 ou début janvier 1957, après sa mort en février 1956. Le six septembre 1907 nous lirons :

Quelles années pour moi, celles 1906 et 1907. Mauvais travail, manque complet d’argent, un état moral déplorable…

« État moral déplorable… » Toute sa vie le ricanant Paul Léautaud a eu un état moral déplorable et toute sa vie il a fait tout ce qu’il fallait pour ça. Pour le prix Goncourt, c’est fichu. L’aurait-il eu, en 1907 ? Face à Émile Moselly, écrivain régionaliste lorrain assez ordinaire, c’est possible. En 1908 face à Francis de Miomandre, peut-être, en 1909 face aux cousins Marius-Ary Leblond, c’est beaucoup moins sûr.

En attendant il va falloir expliquer à Lucien Descaves que pour cette année, ce ne sera pas possible. Ce serait bien si Alfred Vallette pouvait se charger de la besogne par écrit. Un bouclier, peut-être ?

En attendant histoire de se faire une idée de la fiabilité de Lucien Descaves (il serait temps, ici), dans le Journal de Paul Léautaud au samedi cinq octobre nous lisons :

J’ai porté ce matin ma chronique au Mercure. Vallette était parti à la campagne. Morisse m’a dit que Descaves est venu hier. Sur ma remise à l’année prochaine, il a dit qu’il le regrettait et que j’avais grand tort, tout à fait grand tort. Selon lui, j’aurais eu le prix. Ils n’ont absolument rien à l’Académie Goncourt.

Mais dans le Journal de Jules Renard, le samedi précédent 29 septembre, nous lisons :

Pléiade 1965 page 1153

25 octobre 1907

La réunion de l’Académie Goncourt pour l’élection du successeur de Huysmans a eu lieu hier au soir. Pas de résultat. Ballottage, pourrait-on dire. Voici les votes : Victor Margueritte 4 voix — Henri Céard 3 voix — Jules Renard 2 voix77 — et cela, d’après les journaux, en plusieurs tours. L’élection est remise à huitaine. Les quatre voix de ce plat Victor Margueritte montrent bien que le parti droitier, pour ainsi dire, est en majorité à l’Académie, quoiqu’on puisse leur opposer les cinq voix réparties sur Céard et Renard. Il est à souhaiter que les partisans de Renard reportent leur voix sur Céard. C’est assez d’un Margueritte. Je préférerais, je parle uniquement au point de vue de mon goût d’écrivain, Renard à Céard.

26 octobre 1907

Il paraît que le scrutin d’avant-hier à l’Académie Goncourt se décompose ainsi : pour Victor Margueritte : Paul Margueritte naturellement, les deux Rosny, et Bourges. — Pour Céard : Hennique, Léon Daudet et Geffroy — et pour Jules Renard : Descaves et Mirbeau. Il paraît en outre que Mirbeau parlerait de démissionner si Victor Margueritte était élu. Toujours emballé, ce bon Mirbeau. Démissionnerait-il vraiment ? Il est vrai qu’il n’a aucun besoin des rentes de l’Académie Goncourt. Nous verrons tout cela dans huit jours. Après, j’irai voir Descaves. À en juger par le scrutin, c’est Céard qui sera élu.

Le mercredi trente octobre 1907, Paul Léautaud passe l’après-midi à l’Odéon. Il assiste d’abord à un « lever de rideau », Le Voyage au Caire, un acte de Gabriel Faure puis à Son père, comédie en quatre actes d’Albert Guinon et Alfred Bouchinet. Ces deux pièces seront évoquées dans le Mercure du seize novembre.

30 octobre 1907

Descaves était à l’Odéon aussi, avec sa femme78. Au dernier entr’acte, nous nous sommes croisés. « Vous aurez ma visite un prochain dimanche matin », lui dis-je, ne voulant pas le déranger davantage. Là-dessus, Descaves me prend le bras, me disant : « Ah ! vous savez, il y a longtemps que je vous attends », et nous voilà sortant du théâtre pour aller bavarder dans une galerie de l’Odéon, celle parallèle à la rue Corneille79. Descaves me raconte que je l’ai bien embarrassé en ne publiant pas, lui, Mirbeau, et ceux qui auraient voté pour moi. Lui et Mirbeau comptaient sur moi, Mirbeau, à la nouvelle à lui donnée par Descaves, que je ne publiais pas, a été navré. Il paraît qu’ils n’ont encore rien. C’est curieux. Ils n’avaient rien en 1905 ni en 1906. Ils ont pourtant donné le prix tout de même. Ils le donneront encore bien cette année. Descaves m’a dit que c’était bien fâcheux, que je perdais encore une belle occasion, et me répétant toujours qu’ils n’avaient rien. Je lui ai répondu : « Vous savez, c’est encore moi le plus embêté. Vous, vous n’avez qu’à donner le prix, tandis que moi, j’avais à le recevoir. » Il m’a ensuite questionné sur les raisons de ma non-publication, tout en me disant que Vallette lui avait dit que j’avais eu des embêtements. J’ai confirmé, en lui expliquant qu’Amours, tels que dans le Mercure, me déplaisait, que je n’avais plus l’âge d’écrire des blagues, qu’il fallait que ce fût écrit comme In Memoriam, que lui-même avait dit tout de suite que cela ne valait pas In Memoriam. « Pour la forme » m’a-t-il dit aussitôt. « Nous sommes d’accord, les histoires ne changeront pas. Je veux simplement que ce soit écrit plus net et plus durement. » Il m’a approuvé. « D’ailleurs, m’a-t-il dit, je ne sais pas s’il ne vaut pas mieux que vous ne tombiez pas dans les histoires qui se passent en ce moment à l’Académie Goncourt. Vous avez vu ce qui s’y passe. Nous sommes à couteaux tirés. L’élection n’a pu se faire jeudi dernier. Nous recommençons demain soir. Je ne sais pas trop comment cela va se passer. Nous ne voulons démordre ni les uns ni les autres. Je voterai jusqu’au bout pour Renard, et Mirbeau aussi. Nous avons réussi à avoir avec nous Justin Rosny80. » Il m’a questionné sur mon candidat à moi. « Voyons, Léautaud, dites-moi sincèrement pour qui vous voteriez ? » Je lui ai dit alors nettement qu’avec mon âge il ne s’étonnerait pas que je préfère Renard à Céard, que Renard était plus près de moi de toutes les façons, et que de plus, c’était un très intéressant écrivain, qu’il n’y a rien de négligeable dans son œuvre. J’ai ajouté qu’en tous cas, si Renard ne pouvait passer, je souhaitais Céard, de façon à écarter absolument Victor Margueritte. Descaves m’a approuvé, tout en ajoutant : « D’ailleurs, il y a une autre considération. Céard n’a pas besoin de l’Académie Goncourt. Il est riche. Il a au moins vingt mille francs de rente. »

« Et Goncourt l’a dit : l’Académie est faite pour aider à travailler un écrivain non fortuné. C’est tout à fait le cas de Renard. Je n’en démordrai pas. Nous voterons Mirbeau et moi pour Renard. » Le plus curieux, c’est que Renard n’est pas du tout pauvre, loin de là, Vallette me le répétait encore à six heures au Mercure81. Là-dessus Descaves m’a ajouté qu’il était excédé de tout cela, qu’il en avait par-dessus la tête, qu’il allait foutre le camp, repartir, car il avait aussi sa vie à gagner et que pendant tout cela il ne faisait rien. J’ai dit aussi à Descaves, au cours de la conversation à mon sujet, que j’avais un peu peur de subir le préjudice des gens dont on a un peu trop parlé, et qu’à force de m’attribuer le Prix Goncourt, on finirait par se dire que c’est comme si je l’avais eu. « Mais non, mais non, m’a dit Descaves. Ce n’est pas comme les gens qui ont été candidat, avec un livre, une, deux ou trois fois et qui ne l’ont pas eu. Vous, vous n’avez rien publié. Vous n’avez donc subi aucun échec. » Quelque chose à souligner dans tout cela, c’est le changement de Descaves. Quand je l’ai vu chez lui, après la mort de Huysmans, il ne parlait que de Céard.

J’ai remarqué aussi que Descaves est comme les gens qui parlent avec fougue : ils disent tantôt un mot pour un autre. Comme il s’agissait de noms, Descaves une ou deux fois, s’est mis à dire Céard pour Renard, ce qui m’a fait répondre oui, où il fallait non, et non où il fallait oui. Heureusement, Descaves est aussi de ces gens qui n’écoutent parler qu’eux seuls, les réponses qu’on leur fait, ils les entendent à peine. Il ne s’est pas plus aperçu de mon erreur que de la sienne.

Après la conversation avec Acker82, j’ai été au premier entr’acte acheter le Gil Blas. On m’y nomme en effet parmi les candidats ayant des chances83. Très sincèrement, je voudrais bien qu’on ne parlât pas du tout de moi en cette circonstance.

À la sortie de l’Odéon, je suis monté au Mercure. […]

Vallette m’a dit que Gaubert84 lui a raconté ceci. Au sujet du Prix Goncourt Mirbeau dit partout : « Moi, je donne le prix à Léautaud. Il n’a rien publié ? Ça ne fait rien. Je lui donne le prix quand même. » Brave Mirbeau. Toujours exagéré.

En 1907, Alfred Jarry85 est bien malade, il va mourir le premier novembre.

31 octobre 1907

Vallette a été cette après-midi voir Jarry à l’hôpital. Mirbeau y était venu également. Il a parlé à Vallette des histoires de l’A. G. Grand dégoût. Il a donné sa démission86. Descaves, de son côté, a donné sa démission de secrétaire, renvoyé tous les papiers qu’il avait, en se promettant de ne plus flanquer les pieds aux réunions. Renard s’est désisté de sa candidature. Tout le mal vient d’Hennique qui s’est conduit, paraît-il, comme une brute, voulant voter envers et contre tous pour Céard, ne cédant ni aux partisans de Victor Margueritte, ni à ceux de Renard, répondant à tout et à tous par : « M’en fous. » Comme manœuvre de la dernière heure, Geffroy a apporté une lettre tendant à démontrer que Goncourt s’était réconcilié avec Céard, après leur brouille et l’avoir biffé sur la liste de son Académie. Ladite lettre n’est qu’un banal remerciement de Goncourt pour un article de Céard : on n’a pas voulu voir là vraiment une réconciliation. Les sept membres restant doivent se réunir quand même ce soir, et il y a tout lieu de croire que le Victor Margueritte l’emportera. Vallette a reconnu ce soir que j’ai raison : l’Académie Goncourt avait certainement dans la pensée du fondateur un certain caractère révolutionnaire. Avec une élection comme celle de Victor Margueritte, candidat à tous les honneurs officiels : croix, présidence des gens de lettres, sénateur, cela fiche plutôt le camp. Ce sera même fini tout à fait si Mirbeau et Descaves maintiennent leur démission. Ce que j’avais pensé dès les approches de cette élection, et que m’a confirmé Descaves, dans notre rencontre d’hier, à propos de toutes ces chicanes, était juste : c’est plutôt une sorte de chance pour moi de n’être pas tombé dans un pareil moment. Une autre conclusion, c’est que, Mirbeau parti, et Descaves se désintéressant, je n’ai plus guère de chances d’avoir jamais le Prix Goncourt. Paul Margueritte sera le chef de la maison, et Vallette me le disait lui-même ce soir : « Paul Margueritte, mais c’est un bourgeois, un homme moral. Il a beau écrire des articles soi-disant à idées avancées. C’est un moralisateur. Tous ces gens-là ne sont pas libres. Ils ont peur de tout, surtout de la nouveauté. Positivement, je suis sûr que quand Margueritte lit quelque chose comme In Memoriam, ça lui fait peur. »

J’ai regardé les journaux du soir. Rien de curieux, rien sur les derniers incidents racontés à Vallette par Mirbeau.

[…]

Gourmont parlait ce soir, à propos de toutes ces histoires de l’Académie Goncourt, du manque de tenue des Académiciens Goncourt, avec « Mirbeau, violent, et Descaves un peu arsouille ». Ce sont ses propres mots. Le fait est qu’ils auraient peut-être pu éviter qu’on connût tout cela. Cela n’aura peut-être été qu’un beau rêve, et qui aura été court, cette Académie Goncourt, fondée en face de l’autre. L’Académie des écrivains libres, en face de celle des faiseurs hypocrites. Je pensais ce soir : « Comment se fait-il que Goncourt ait pu se tromper à ce point sur Paul Margueritte ? Son amitié a dû fausser son jugement, il a vu l’ami, et pas l’écrivain bourgeois, flatteur, moral comme un père de famille ». Vallette disait que l’Académie Goncourt va devenir comme les autres, une affaire de relations, de recommandations, etc., etc… plus rien de vraiment littéraire.

1er novembre 1907

L’Académie Goncourt s’est réunie hier soir chez Hennique. Jules Renard est élu avec cinq voix, contre Céard deux voix, et Victor Margueritte deux voix également. On ajoute que les bruits de démission qui ont couru n’ont rien de fondé.

En lisant cela ce matin dans les journaux, j’ai pu constater, ce n’est pas la 1re fois, une contradiction de mon caractère. Cette nouvelle ne m’a nullement enchanté. J’en ai plutôt éprouvé quelque chose comme une déception. À quoi cela tient-il ? Jules Renard m’est très sympathique comme écrivain, mon intérêt est plutôt que Mirbeau et Descaves restent membres actifs de l’Académie Goncourt, et l’échec de Victor Margueritte m’enchante. Alors ? C’est peut-être que je comptais sur des disputes, des batailles, et que je trouve l’entente.

Malgré cela, je n’en suis pas moins allé l’après-midi, en me promenant, porter ma carte chez Descaves avec ces mots : « Compliments sincères et plaisir personnel pour votre victoire d’hier soir. »

2 novembre 1907

[…] Je vois dans le Gil Blas que Jarry est mort hier87.

[…] En rentrant, passé au Mercure. Je trouve van Bever en train d’expédier les faire-part Jarry. L’enterrement a lieu demain à trois heures, Saint-Sulpice et Bagneux. […]

Je monte chez Vallette. Absent, occupé par les obsèques de Jarry. Je trouve Rachilde, et Morisse. Nouvelles nouvelles, par Rachilde, de l’Académie Goncourt. Elle commence par me dire : « Ah ! nous avons joliment entendu parler de vous hier, par Mirbeau. Votre nom lui revenait à chaque instant, livre, prix, etc… Tout cela devant le lit de ce pauvre Jarry, qui ne comprenait du reste plus grand’chose à rien, déjà. » L’élection de Renard s’est faite ainsi, d’après ce que Mirbeau a raconté à Vallette et à Rachilde. Descaves et lui ont dit aux autres : « C’est à prendre ou à laisser. Vous élisez Renard. Sinon, nous donnons notre démission, et c’est vous qui aurez voulu le scandale. » À la fin les autres ont cédé.

3 novembre 1907, enterrement d’Alfred Jarry

Aujourd’hui, enterrement de Jarry. Je suis arrivé à la Charité88 à trois heures moins vingt. On se réunissait dans une petite cour à part. Quand j’y suis arrivé, Mirbeau m’a aperçu et s’est dérangé pour venir au-devant de moi me dire bonjour très cordialement. Il m’a d’abord demandé si j’avais vu Jarry mort. Je lui ai répondu non. Il m’a expliqué qu’il avait d’abord conservé une assez vilaine et grimaçante figure, mais qu’aujourd’hui, tout s’était remis en place. Il m’a ensuite dit : « Votre dernier article m’a joliment amusé. » Je le regardais en riant : « Quel article89 ? — Votre article de théâtre… Je vous ai reconnu tout de suite… »

[…]

Je trouve Vallette. Il me demande aussi si j’ai vu Jarry. Je lui réponds non. « Voulez-vous le voir », me dit-il, et je le suis. Sous une sorte de hangar, le cercueil était exposé, encore ouvert, ce dont je ne m’étais pas douté en le voyant de loin. Je suis resté un moment à regarder ce pauvre Ubu. Il était mieux que vivant, certes, l’air d’un jeune Christ de l’école espagnole, avec un visage très calme, très reposé. Toujours l’expression habituelle : l’air de dormir. C’est curieux cette espèce de vernis que la mort met sur les visages.

Nous sommes partis à 3 heures. Arrêt vingt minutes à Saint-Sulpice, puis en route pour Bagneux. Nous avons dû y arriver vers cinq heures. Foule au cimetière, visites aux morts. Des globes électriques allumés çà et là sous les arbres, dans les allées90. C’est le premier enterrement que je vois avoir lieu si tard, auquel j’assiste, plutôt. Mirbeau, Descaves et Renard91 ont suivi jusqu’au bout. J’ai salué de loin Descaves, et serré la main à Mirbeau au départ du cimetière. À l’arrivée à la Charité, il m’a semblé que Renard me regardait, comme si quelqu’un lui eût dit qui j’étais. […]

28 novembre 1907

Morisse m’a dit que Descaves est passé aujourd’hui au Mercure, pour demander des volumes, comme il fait de temps en temps. Il a encore répété que mon absence, comme candidat, le mettait, et avec lui Mirbeau et Renard, dans un grand embarras. Morisse, à qui j’avais raconté l’autre soir ma rencontre de Séché92, lui a dit qu’on racontait que Fasquelle avait fait des démarches auprès des Académiciens pour faire donner le prix à un auteur de sa maison. Descaves n’a rien démenti. D’après ce que m’a dit Morisse, il paraîtrait cependant que le choix ne se porterait pas sur Payen93.

À noter aussi ceci, en attendant que je puisse enfin ne plus rien écrire sur cette maudite question. Morisse disait à Descaves : « Somme toute, combien êtes-vous, pour Léautaud ? Il y a vous, Mirbeau, Renard, Geffroy… — Oh ! Geffroy, répondit Descaves en hochant la tête de l’air d’un homme qui doute. » Il a pourtant assez dit dans le temps que Geffroy était avec lui. Maintenant, ce n’a plus l’air aussi sûr. C’est le pendant du mot de Mirbeau : « Ah ! s’il n’y avait pas Descaves !… » Tout ce monde-là est bien amusant, comme nous le serions du reste nous-mêmes, dans les mêmes circonstances.

30 novembre 1907

Été ce soir au Mercure. Gourmont absent. Bavardé avec Vallette et Morisse. Descaves sait aussi que M. Boissard c’est moi. Il l’a dit avant-hier à Vallette : « Je lis le Mercure, l’autre jour, la chronique dramatique. Que diable, me dis-je, ce n’est pas du Herold, ça. J’ai su ensuite que c’était Léautaud. Je me suis dit alors : ça ne m’étonne plus. »

1908

Le deux janvier 1908, Paul Léautaud devient salarié du Mercure de France. On lui donne un bureau, qu’il partage avec Paul Morisse et il faut qu’il y soit.

29 janvier 1908

À cinq heures, visite de Descaves, venu pour demander l’adresse de Léon Séché. Il me dit en me voyant « Eh ! bien, qu’est-ce que vous faites ? — Vous le voyez, je travaille. — Oui. Ce n’est pas cela que j’entends. Je parle du livre. Il se fait, le livre ? — Je lui réponds oui. — Alors, nous l’aurons ? — Il le faut bien, lui ai-je répondu. Il faut bien en finir. Ça ne peut pas durer toujours. »

[…]

Vallette arrive. Descaves lui dit : « Non, c’est vrai que Léautaud est ici, maintenant ? Je croyais qu’il était là seulement pour écrire un article. » Il a fallu que Vallette lui confirme ce que je lui ai dit pour qu’il le croie.


Notes

1       Voir « Une protestation » en une du Figaro (5e colonne) du 24 décembre 1889.

2       Le testament d’Edmond (Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro trois (1994), pages 113-121) indique en préambule : « Considérant que je laisse les parents qui me sont affectionnés et chers dans un état de fortune tel qu’ils n’ont pas besoin de mon bien après ma mort, je dispose de ce que je possède ainsi qu’il suit : »

3       Léon Daudet (1867-1942), écrivain, journaliste et homme politique, sera député de Paris de 1919 à 1924 et personnage influent de l’Action française.

4       Élémir Bourges (1852-1925), d’abord critique dramatique à la revue le Parlement, fonde avec Henri Signoret, la Revue des chefs-d’œuvre (1883-1885), et est parallèlement chroniqueur au Gaulois. Il est élu membre de l’académie Goncourt le 7 avril 1900 (au neuvième couvert), chez Léon Hennique, en même temps que Lucien Descaves et Léon Daudet. Son élection a surpris. Voir Marie-France David-de Palacio : « Élémir Bourges, ou les paradoxes du neuvième couvert », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro 10, 2003. Voir aussi, dans Les Nouvelles littéraires du 21 novembre 1925 plusieurs articles sur Élémir Bourges.

5       Cet hôtel, inauguré au printemps 1882 par Eugénie, était le plus grand du monde, à une époque où les Américains, qui sont de grand enfants, jouaient encore aux cow-boy et aux indiens.

6       Fernand Nozière (1874-1931), auteur dramatique, homme de lettres, courriériste théâtral du Temps, critique dramatique du Gil Blas. Maurice Boissard chroniquera plusieurs pièces de Fernand Nozière, dont La Saignée dans le Mercure du premier novembre 1913, pour en dire le plus grand bien.

7       Le théâtre de l’Ambigu-Comique a été élevé en 1769 par le comédien Audinot, ancien montreur de marionnettes. Le bâtiment ayant été détruit par un incendie en 1827 il a été reconstruit (au même endroit ?) sur le boulevard Saint-Martin, pas très loin des théâtres de La Porte-Saint-Martin et de La Renaissance, rue René Boulanger au carrefour de la rue de Lancry. En 1966 ce théâtre a été détruit une seconde fois, non par un incendie mais par l’homme et remplacé par un assez laid cube de verre et de béton abritant une administration.

8       Après bien des atermoiements, l’académie Goncourt étant de création récente. Elle n’a encore décerné que deux prix, en 1903 et 1904. La presse et les auteurs ne s’en soucient pas encore. Le premier prix, en 1903, a été décerné à l’assez médiocre Force ennemie du très obscur John-Antoine Nau. Seuls trois courriéristes s’étaient déplacés pour attendre l’événement, qui a été annoncé par la caissière du restaurant Champeaux, place de la Bourse. Le deuxième prix Goncourt a été pour La Maternelle de Léon Frapié (Albin-Michel). Ce prix Goncourt 1905 sera attribué au roman Les Civilisés du marin Claude Farrère (voir note 25), chez Paul Ollendorff.

9       Joris-Karl Huysmans (1848-1907), a d’abord été un romancier naturaliste, proche d’Émile Zola. Il sera l’un des six auteurs du recueil Les Soirées de Médan avec sa nouvelle « Sac au dos ». Vers la quarantaine, J. K. Huysmans a changé d’écriture en se tournant vers ce que l’on a appelé l’esthétique « fin de siècle », qui apparaît de nos jours décadente, illustrée par son roman À rebours. Lucien Descaves est proche de JKH qui va mourir.

10     Gustave Geffroy (1855–1926), journaliste, critique d’art, historien et romancier. Collaborateur au quotidien La Justice en 1880, il y rencontre son fondateur Georges Clemenceau avec qui il se lie. Georges Clemenceau le nomme administrateur de la Manufacture des Gobelins en 1908, poste auquel il demeurera jusqu’à sa mort.

11     Les fragments parus dans les Mercure des premier et quinze novembre représentent moins de 36 pages.

12     Paul Morisse (1866-1946) partagera le bureau de Paul Léautaud à partir de janvier 1908 jusqu’en 1911. Paul Morisse est aujourd’hui connu pour être le traducteur des Hymnes à la nuit de Novalis en 1908 (voir le Journal littéraire au 26 octobre 1908) et aussi de Stefan Zweig pour son Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre en 1910.

13     Remy de Gourmont (1858-1915), romancier, journaliste et critique d’art, proche des symbolistes. Paul Léautaud deviendra son intime.

14     Nous sommes en 1905, Paul Léautaud est secrétaire d’administrateur judiciaire de l’Étude Lemarquis, rue Louis-le-Grand, où il restera jusqu’en janvier 1906. Il ne sera salarié du Mercure de France qu’au premier janvier 1908.

15     In Memoriam ne paraîtra qu’en décembre 1956, après la mort de Paul Léautaud, dans un volume commun avec Le Petit Ami.

16     Ces Lettres à ma mère ne paraîtront qu’en juin 1956, après la mort de Paul Léautaud en février. Pour les rapports calamiteux de Paul Léautaud et sa mère, et l’origine de ces lettres voir la page « Paul Léautaud et sa mère ».

17     Le Petit Ami est le premier livre de Paul Léautaud, un livre de souvenirs, comme In Memoriam qui concerne la vie de son père, et comme tout ce qu’il écrira.

18     En 1903, avec Le Petit Ami.

19     On peut penser qu’il s’agit de 10 000 francs de chiffre d’affaires pour l’éditeur.

20     Jules Huret (1863-1915), journaliste surtout connu pour son Enquête sur l’évolution littéraire parue au cours de l’été 1891 dans L’Écho de Paris au cours de laquelle il a interrogé 64 écrivains. C’est à cette occasion qu’il se lie avec Octave Mirbeau. À la fin du siècle, il a tenu la chronique théâtrale du Figaro. À partir de 1902, Jules Huret voyage à l’étranger, d’où il a rapporté ses impressions, notamment sur les États-Unis qui seront publiées en volume en 1904 et 1905 chez Charpentier. C’est à cette occasion qu’Octave Mirbeau le propose pour le prix Goncourt, qu’il n’obtiendra pas. On a parfois écrit que le prix Goncourt devait être attribué à un roman pour expliquer cet échec. Le texte du testament indique précisément ouvrage littéraire mais précise plus loin : ouvrage d’imagination en prose.

21     Blanche Blanc, maîtresse de Paul Léautaud à cette époque, dont il n’a jamais voulu que le nom soit écrit en entier dans son Journal.

22     Après une rencontre désastreuse à Calais au chevet de sa tante Fanny en 1903 Paul Léautaud avait entretenu une correspondance avec sa mère, Jeanne Forestier, qu’il n’avait « pas vue trois jours dans sa vie ». Jeanne Forestier avait rencontré en 1880 le médecin genevois Hugues Oltramare, qu’elle avait épousé en 1895 après lui avoir donné deux enfants. Après cette rencontre de 1903, Paul Léautaud n’a jamais revu sa mère et ne s’est jamais rendu à Genève ni dans aucun pays étranger. Voir aussi la page « Fanny Forestier rue de Guise, à Calais ».

23     Henri de Régnier (1864-1936) a épousé en 1895 Marie, la deuxième des trois filles de J.-M. de Heredia, elle-même poète sous le nom de Gérard d’Houville. À partir de 1897, Marie fut la maîtresse en titre de Pierre Louÿs, ami d’Henri de Régnier. De cette liaison naquit Pierre, qui prit le nom de Régnier et eut Pierre Louÿs comme parrain. Henri de Régnier a été élu à l’Académie française en 1911.

24     Mercure du premier novembre, page 93 : « Elle s’appelait Clotilde, avait quinze ou seize ans, avec un petit visage de sainte Vierge, et était la fille, du reste, d’une vieille bigote de l’endroit. On l’avait prise pour aider ma future belle-mère [Louise Viale] qui venait d’avoir son fils [Maurice], et comme il n’y avait pas de chambre pour elle à la maison, on la faisait coucher avec moi. C’était en 1886, j’avais treize ans. Mon père a toujours eu force chiens, et au moment dont je parle, une chienne venait de faire des petits. Ces petites bêtes étaient gracieuses comme on sait, et souvent Clotilde et moi nous en prenions une ou deux pour coucher avec nous. Or, un certain soir, nous étions couchés depuis un moment, quand étendant la main au hasard, déjà un peu endormi, probablement, je sentis dans le lit un petit corps velu et très chaud. “Tiens dis-je à Clotilde, en me mettant à caresser machinalement, vous avez donc pris un des petits ?” Elle me répondit d’une façon singulière, quelque chose de plutôt soupiré que parlé, et, tout en continuant mes caresses, je sentais ce que je caressais se prêter très bien à ma caresse et me la faciliter, même, en me donnant plus d’espace. Hélas ! on ne s’en étonnera pas, après tout ce que j’ai dit. Des façons si engageantes me laissèrent froid, je restai dans mon erreur sur l’animal, croyant vraiment à un chien, et au bout d’un instant je me retournai dans mon coin pour dormir. »

25     Claude Farrère (Frédéric-Charles Bargone, 1876-1957), écrivain voyageur et officier de marine, prix Goncourt 1905 avec Les Civilisés. Élu à l’Académie française en 1935. Un court portrait de Claude Farrère sera dressé par Paul Léautaud dans son Journal le six mai 1932 à propos de l’attentat contre Paul Doumer. Claude Farrère s’étant interposé a reçu deux balles dans le bras. Cet acte de courage lui a valu, disent les mauvaises langues, son élection à l’Académie française (devant Paul Claudel !) en mars 1935 au fauteuil de Louis Barthou, mort à l’occasion de l’attentat contre le roi Alexandre Ier de Yougoslavie en visite en France.

26     Dans Rachilde Femme de lettres 1900 (Pierre Fanlac 1985), Claude Dauphiné cite un texte de Léon-Paul Fargue paru dans le Mercure du 1er décembre 1935 : « Ces réunions célestes avaient lieu à la fin de la journée. Au bout d’une heure, le petit salon était devenu une tabagie. L’air y était épais comme une miche. On se voyait à peine. Les grands personnages y semblaient peints sur un fond de brouillard, comme les génies du Titien ou de Rubens, au point que Vallette fut un jour tout à fait obligé d’acheter un appareil à absorber la fumée. Il nous fut alors possible de voir nos grandes personnes, autrement que dans les formes de fantômes : Remy de Gourmont […], Henri de Régnier […], Valéry, tout en traits vigoureux et en nerfs, la moustache en pointe, déjà maître d’une conversation qui cloquait d’idées ; Marcel Schwob, plein de lettres et de grimoires […], Pierre Louÿs, qui avait un des plus jolis visages de l’époque […], Alfred Jarry, […], Paul Fort […], Jean Lorrain, […] aux yeux poilus et liquides […], les mains baguées des carcans, des ganglions et des cabochons de l’époque […], Jean de Tinan, Philippe Berthelot, Édouard Julia et tant d’autres, ceinturés dès la porte d’un coup de lasso par le grand rire de Rachilde ! » Source Martine Reid, « Le Roman de Rachilde », cairn.info.

27     Vraisemblable épouse de Lucien Monceau (1873-1907), agent comptable au Mercure. Lucien Monceau est le frère de la comédienne Marguerite Moreno, veuve de Marcel Schwob mort en février dernier.

28     En janvier 1906, Sacha Guitry n’a pas encore 21 ans. Il s’agit donc de repas chez Lucien Guitry.

29     Centralien et ingénieur, c’est par la petite porte que Maurice Donnay (1859-1945) est entré en littérature, comme chansonnier au côté d’Alphonse Allais, avant de poursuivre une carrière d’auteur dramatique à succès, particulièrement apprécié de Jules Renard. Dans le Mercure du 16 avril 1908 à propos de Petite hollande, comédie de Sacha Guitry, Maurice Boissard écrira : « M. Sacha Guitry, lui, est un élève de M. Maurice Donnay. Il mêle, comme l’auteur d’Amants [Donnay], le pathétique avec la blague boulevardière, et adoucit de plaisanterie la passion de ses personnages. » De Maurice Donnay, Maurice Boissard chroniquera Le Ménage de Molière (Mercure du 16 juillet 1912) et Les Éclaireuses (premier avril 1913). Maurice Donnay siègera trente-huit ans à l’Académie française, où il sera élu en février 1907.

30     Eugène Demolder (1862 à Molenbeek-1919), romancier, conteur et critique d’art. Paul Léautaud lui écrira le 22 avril pour le remercier de son envoi de L’Espagne en auto. Voir aussi le Journal au 22 novembre 1928.

31     « il commencerait son gros roman » signifie qu’Alfred Vallette commencerait la publication d’un roman s’étalant sur plusieurs numéros du Mercure. Il semble que les sommaires aient encore été remanies après cette décision. Le « gros roman » non cité semble être Le Voluptueux voyage ou les pèlerins de Venise de Ginko-Biloba (Marie-Aimery de Comminges (1862-1925)) qui paraîtra non le premier juillet mais le quinze juillet (aucun « gros roman » n’est paru le premier juillet) et s’est prolongé jusqu’au premier octobre. « Amours » a aussi paru le premier octobre, réparti sur trois numéros jusqu’au premier novembre.

32     Edmond Jaloux (1878-1949), journaliste, poète et romancier, a fondé une revue à l’âge de dix-huit ans et a ensuite participé aux plus grandes revues françaises. On lui doit une trentaine de volumes et, après la guerre, une Introduction à l’histoire de la littérature française chez Pierre Cailler à Genève (deux tomes de 220 et 354 pages). L’ensemble était prévu en six volumes (un par siècle) mais la mort a arrêté sa main. Edmond Jaloux a été élu à l’Académie française en 1936, au fauteuil de Paul Bourget.

33     Croquignole, le dernier roman de Charles-Louis Philippe paru de son vivant (il va mourir en décembre 1909) est paru cette année 1906 chez Charpentier (265 pages).

34     Octave Mirbeau (1848-1917), auteur célèbre et populaire mais également reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques.

35     Jules Vallès (1832-1885), journaliste, écrivain et homme politique d’extrême gauche au point d’être plusieurs fois emprisonné et condamné à mort. Fondateur du journal Le Cri du Peuple, il fait partie des élus lors de la Commune de Paris en 1871. Sur le plan littéraire, Jules Vallès est surtout connu pour son triptyque autobiographique Jacques Vingtras (L’Enfant (1879), Le Bachelier (1881) et L’Insurgé (posthume et terminé par sa maîtresse, Séverine, en 1886).

36     Les frères Tharaud, Jérôme (1874-1953) et Jean (1877-1952), auteurs féconds, l’un rédigeant, l’autre corrigeant, sont de cette droite coloniale, raciste et antisémite, courante à l’époque. Ils seront d’ailleurs tous deux élus à l’Académie française, l’un en 1938, l’autre en 1946. C’est Dingley l’illustre écrivain (Éditions d’Art Édouard Pelletan, 155 pages) qui recevra le prix Goncourt 1906. Si Paul Léautaud connaît ce livre, c’est que, fait rare, il a déjà été publié en 1902 dans les Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy. Cette publication ancienne aurait dû suffire à disqualifier ce roman, le testament d’Edmond indiquant que le prix devait être décerné « pour le meilleur ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année. »

37     José (Joseph) Théry (1868-1944), avocat, romancier et auteur dramatique, auteur notamment de La Bâtonnière (1938), histoire de la première femme ayant occupé cette fonction. Il sera l’avocat de Guillaume Apollinaire en 1911 à l’occasion de l’affaire des statues phéniciennes du Louvre. Il sera aussi l’avocat de Louis Dumur et d’Alfred Vallette en 1921 à l’occasion de la parution du Boucher de Verdun. José Théry a collaboré au Mercure (rubrique des « Questions juridiques ») et à L’Œuvre.

38     À partir de 1818, les galeries de l’Odéon étaient louées à bail et on y trouvait toutes sortes de commerces, dont des loueurs de journaux. C’est à partir de 1873 qu’Ernest Flammarion a commencé à louer des emplacements les uns après les autres. Lire l’intéressant article de Georges Cain dans Le Figaro du 21 janvier 1912, deux premières colonnes de une.

39     Ce « petit Luxembourg », où habite le président du sénat, est à la droite de l’entrée du sénat rue de Vaugirard, à peu près dans l’axe de la rue Servandoni, donc très loin de l’avenue de l’Observatoire qui se trouve de l’autre côté du jardin. Il semble s’agir d’un lapsus de Paul Léautaud.

40     Léon Hennique (1850-1935), romancier naturaliste et auteur dramatique. Exécuteur testamentaire et colégataire avec Alphonse Daudet, d’Edmond de Goncourt, il s’occupe activement de la fondation de l’académie Goncourt, dont il assumera la présidence de 1907 à 1912.

41     Bubu de Montparnasse a été publié en 1901, ce qui devrait logiquement lui interdire le prix.

42     têtu ajouté selon une hypothèse de l’édition papier.

43     Pierre Villetard (1874-1956), auteur de romans populaires et sentimentaux La Maison des sourires (1905), La Montagne d’amour (1906)… Paul Léautaud le qualifiera de niais (13 novembre 1906) ou de phoque, toujours aussi bête, affairé et prétentieux (3 décembre 1907).

44     Charles Géniaux (1870-1931), écrira plusieurs romans de style colonial. Il est marié à Claire Mazeres (1879-1971), femme de lettres.

45     Ces cousins signent ensemble du nom de Marius-Ary Leblond et sont tous deux critiques d’art réunionnais. Marius Leblond (Georges Athénas (1880-1953) et Aimé Merlo (1877-1958) obtiendront le prix Goncourt en 1909 pour En France, leur douzième livre et septième roman, paru chez Charpentier (470 pages).

46     Pièce en trois actes, créée à l’Odéon le 25 octobre 1906. À cette époque André Antoine était directeur de l’Odéon.

47     André Antoine (1858-1943), comédien, metteur en scène, directeur de théâtre, considéré comme l’inventeur de la mise en scène moderne. Directeur du théâtre des Menus-Plaisirs en 1888, il lui a donné son nom. En 1906, André Antoine est directeur du théâtre de l’Odéon, qu’il quittera en 1914 pour se tourner vers le cinéma puis la critique dramatique.

48     Edmond Pilon (1874-1945), poète, critique littéraire, essayiste et éditeur. Voir son portrait dans le Journal de Paul Léautaud au 17 novembre 1908.

49     René Duchastelet (avec un s, contrairement à ce qu’indique pourtant le rigoureux Index d’Étienne Buthaud — 1858-1910) était le médecin et ami de François Coppée et aussi son exécuteur testamentaire. On peut voir son portrait, au côté de François Coppée en couverture de L’Illustration du 14 mars 1908. René Duchastelet est mort écrasé par son « landaulet électrique » tout neuf qui a démarré tout seul peut-être à cause d’un court-circuit. Voir Le Figaro du six juillet 1910, page deux.

50     François Coppée a été un antidreyfusard farouche, membre fondateur, puis président d’honneur de la Ligue de la patrie française, aux côtés de Jules Lemaître et de Paul Bourget. François Coppée va mourir en mai 1908.

51     Lucien, évidemment.

52     Lucien Descaves habitait au 46 rue de la Santé, immeuble faisant l’angle avec l’actuelle rue Jean Dolent. L’autre angle de la rue Jean Dolent est la prison de la Santé. Le boulevard Arago n’est pas très loin mais comme en 1906 Paul Léautaud habitait rue Rousselet, c’est plutôt le boulevard du Montparnasse qu’il a pris pour rentrer chez lui.

53     Binet-Valmer (Jean (de ?) Binet, 1875-1940), romancier suisse, a demandé la naturalisation française en 1914 pour faire la guerre. Après des études de médecine, Binet-Valmer fonde la revue La Renaissance latine. En 1922 il engagera un jeune Simenon de 19 ans débarquant à Paris. Binet-Valmer fera ensuite partie des mouvements de la droite la plus extrême. À titre indicatif, son deuxième roman a pour titre Les Métèques. Il n’obtiendra jamais le prix Goncourt.

54     Contre deux voix à André Suarès, et deux voix à Gaston Chérau.

55     Environ 163 000 caractères, espaces compris, soit le double des 84 000 caractères d’In Memoriam.

56     Dans les Cahiers de la Quinzaine du quinze avril 1902. Les Cahiers de la Quinzaine, revue bimensuelle fondée et dirigée par Charles Péguy, d’inspiration dreyfusarde, ayant paru de janvier 1900 à juillet 1914.

Couverture du numéro des Cahiers de la quinzaine du quinze avril 1922

57     Gaston Chérau (1872-1937), journaliste et romancier de la province, membre de l’Académie Goncourt en 1926. Champi-Tortu est paru chez Ollendorff en 1906.

58     En haut de la sixième colonne de une. Victor Margueritte (1866-1942), romancier et auteur dramatique, est le cadet de six ans de Paul Margueritte, titulaire du septième couvert. Victor Margueritte est surtout connu pour son roman La Garçonne qui paraîtra en 1922 chez Flammarion et qui lui fera perdre sa Légion d’honneur, retirée l’année suivante.

59     En une, en haut de la dernière colonne, nous lisons : « Malgré l’absence de MM. Huysmans, Victor Margueritte, en tournée électorale, et Rosny, le jeune, les dix voix se sont prononcées. »

60     Eugène Montfort (1877-1936), créateur du mouvement littéraire « Naturiste », fondateur de la revue Les Marges, éditeur historique, le 15 novembre 1908, du premier « premier numéro » (il y en aura un second) de La Nouvelle revue française. Un portrait d’Eugène Montfort a été dressé par Paul Léautaud qui s’est rendu chez lui, rue Chaptal, le 28 septembre 1908. Un autre portrait en sera dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, pages 297-298. Pour les circonstances particulières de la mort d’Eugène Montfort, voir le Journal littéraire au 13 décembre 1936.

61     En une, première colonne, un article très critique et argumenté : « Le premier prix [la première année] fut décerné. Il provoqua bien évidemment quelque étonnement mais nous faisions crédit à l’Académie Goncourt sur sa bonne mine. Nous prîmes patience. Nous nous disions : “Nous verrons la prochaine fois !” / “La prochaine fois” le prix fut donné à un jeune de quarante ans sonnés. Nous fûmes surpris. Il avait du talent. Cela passa. / Mais l’année dernière, on nous donna M. Farrère, dont la valeur est contestable, et l’on nous donne cette année les frères Tharaud qui ont mis six ans, paraît-il, à écrire une plaquette de 140 pages, où nous ne distinguons pas bien nettement la marque du génie. Cela ne passe plus ! […] / Cependant, ceux qui suivent le mouvement littéraire se demandent : “Pourquoi diable, cette Académie Goncourt n’a-t-elle pas choisi plutôt Louis Bertrand, Francis Jammes, Paul Léautaud, Marius-Ary Leblond, dont le talent est incontestable […]” »

62     Jean Ernest-Charles (Paul Renaison, 1875-1925), journaliste et avocat. Jean Ernest-Charles, est surtout connu pour avoir été le créateur de la revue Le Censeur politique et littéraire avec son épouse Louise Faure-Favier. Il fut en 1918 le premier président du Syndicat national des journalistes. Dans le Journal de Paul Léautaud on pourra lire, à la date du 12 mai 1908, le récit d’un incident auquel Jean Ernest-Charles est mêlé, en tant que journaliste au Gil Blas.

63     Rachilde reprendra un extrait de cet article dans sa chronique des « Romans » du Mercure du quinze janvier pages 315/316.

64     Nous comprendrons infra la naïveté de Paul Léautaud à propos de Lucien Descaves.

65     Dans L’Intransigeant du 20 décembre, page quatre, rubrique « Nos échos » : « Si nous en croyons les confidences d’un membre, et non des moindres, de l’Académie des Dix, on connaîtrait déjà le lauréat du prix Goncourt pour 1907. Ce sera Monsieur Paul Léautaud, auteur du Petit Ami, le collaborateur de Ad. van Bever pour les Poètes d’aujourd’hui, le rédacteur au Mercure de France, le biographe de M. Henri de Régnier. Il obtiendrait les 5 000 francs pour son livre : Amours, tout plein de confidences peu respectueuses à l’égard de sa famille. Quoi qu’il en soit, voilà une façon curieuse de disposer des fonds du vieux Goncourt. »

66     Sur le peu de foi dont on peut créditer les propos de Lucien Descaves, voir la déconvenue d’Auriant racontée par Paul Léautaud dans son Journal au quatre mai 1937.

67     Jeanne Landre (1874-1936), romancière, auteure notamment d’Aimé d’une baronne, de L’Amant qui s’ignore, ou encore de Badigeon aviateur.

68     Eugène Montfort, La Turque — roman parisien, Charpentier-Fasquelle 1906, 270 pages.

69     Paul Léautaud a déjà écrit à Eugène Montfort le cinq décembre pour le remercier, mais n’a peut-être pas encore envoyé sa lettre, qui de plus, est un brouillon.

70     La fin de ce paragraphe est absente de l’édition papier du Journal de Paul Léautaud tel que nous le connaissons. Grâce à notre ami Bertrand Vignon elle a été restaurée depuis le tapuscrit de la bibliothèque de Grenoble.

71     Bien sûr ! Lisons un autre extrait de l’article de Charles-Louis Philippe et Eugène Montfort dans ce Gil Blas du seize décembre : « […] nous savons qu’il y a une quinzaine de jours, l’éditeur Pelletan (éditeur du livre des frères Tharaud) a fait photographier un portrait d’Edmond de Goncourt, destiné à figurer sur le volume devant obtenir le prix. Et hier matin, dès huit heures, soit tout juste la moitié d’une nuit après la délibération des Dix, le volume a fait son apparition chez les libraires orné du portrait en question et de la mention : Prix Goncourt 1906 ! »

72     Lors de la visite de Paul Léautaud chez Lucien Descaves, le 28 octobre, il lui a été dit que le dîner du 20 n’avait pas eu lieu et que Descaves ne pourrait assister au prochain.

73     L’éditeur d’art Édouard Pelletan tenait sa boutique au 125, boulevard Saint-Germain, près du métro Mabillon.

74     Victor Segalen (1878-1919), médecin, romancier, poète, ethnographe, sinologue et archéologue. En 1901 il a rencontré Rémy de Gourmont, Catulle Mendès et J. K. Huysmans. En 1902, devenu médecin il est affecté en Polynésie, puis ce sera la Chine, puis la Première Guerre mondiale.

75     Joris-Karl Huysmans est mort il y a à peine plus d’un mois, le douze mai dernier, âgé de 59 ans. Ce seize juin son couvert est encore évidemment vacant. C’est Jules Renard qui sera désigné le 31 octobre.

76     Romancier naturaliste, poète, auteur dramatique et critique littéraire, Henry Céard (1851-1924) est l’un des six auteurs du recueil de nouvelles Les Soirées de Médan (1880). L’année suivante paraîtra Une belle journée, le roman l’ayant fait connaître. Henri Céard sera élu à l’académie Goncourt en 1918.

77     Journal de Jules Renard au 26 octobre (Pléiade, page 1137) « Nuit du 24 au 25 passée à me promener, à regarder ma montre, puis par la fenêtre. L’aventure finit par n’avoir aucun sens. Il ne reste qu’à se coucher, et, ma foi ! abruti, je m’endors tout de suite. / Réveillé de bonne heure, le matin. Si, tout de même, j’étais élu ? Le premier, Le Figaro m’apprend qu’il n’y a eu aucun résultat / […] les autres journaux, que Victor Margueritte a eu quatre voix, Céard, trois, moi deux. » Ces journées du Journal de Jules Renard sont particulièrement riches pour tout lecteur s’intéressant à l’événement.

Le Figaro du 25 octobre 1907

78     Marie Lancelot, évoquée au début de cette page.

79     Lorsque l’on regarde la façade du théâtre de l’Odéon, la rue Corneille est celle montant à gauche. On y trouve de nos jours, au numéro trois, ce qu’il reste de la prestigieuse librairie Honoré Champion.

80     J.-H. Rosny jeune.

81     Jules Renard a fait ce qu’il est l’usage d’appeler « un beau mariage ». Il a été le principal actionnaire du Mercure à sa création.

82     Avant sa rencontre avec Lucien Descaves, Paul Léautaud avait aussi, « avant le lever de rideau » de l’Odéon, rencontré Paul Acker (1874-1915), journaliste et romancier populaire mort à la guerre.

83     Page une, colonne trois : « On sait que l’académie Goncourt se réunira de nouveau jeudi soir pour l’élection du successeur de J. K. Huysmans, ajournée à huitaine, faute de majorité. / […] / Aussitôt après cette élection, les “Dix” s’occuperont du prix annuel de 5 000 francs. […] / Parmi les candidats, on cite : Charles-Louis Philippe, Montfort, Gaston Chérau, Pierre Villetard, Rolmer, qui sont des candidats déjà anciens, et de M. Geiger qui est nouveau. Le Vertige des cimes, de Casella ; Le Personnage de M. Pierre Louis ; Les Colons, de M. Randau ; Amours, de M. Léautaud, ont des chances, dit-on. Et il y a aussi les recueils de nouvelles, dont il faut parler : Les magots d’Occident, de André Tudesq ; La Chèvre de Pescadoire, de Léon Lafarge… » Eugène Montfort et Gaston Chérau démentiront dans le Gil Blas du deux novembre. Pour info, ce « M. Geiger » est André Geiger, qui a présenté La Printane, idylle de Biarritz, Fasquelle 1906 (307 pages), et qui était bien connu de Lucien Descaves.

84     Ernest Gaubert (1881-1945), journaliste, romancier et poète. Ernest Gaubert a écrit cette année 1907 une première biographie de Rachilde, chez Sansot (74 pages).

85     Alfred Jarry (1873-1907) est le célèbre auteur d’Ubu roi, drame en cinq actes publié au Mercure de France en 1896. Il a été très proche du couple Rachilde/Alfred Vallette

86     Pour le texte de cette lettre de démission, dans la main de Pierre Michel, président de la Société Octave Mirbeau, voir Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle, Librairie Séguier, 1990, 1020 pages. Suite à l’élection, finalement, de Jules Renard dans la soirée de ce 31 octobre, Octave Mirbeau réintégrera l’académie Goncourt jusqu’à sa mort en 1917.

87     En une, colonne trois. Sous un article de Jean Ernest-Charles écrivant que le bénéficiaire de l’élection de Jules Renard est l’inconnu Henry Céard qui y gagne en notoriété, ces quelques lignes :

88     Fondé au début du XVIIe siècle cet hôpital abrite de nos jours la Faculté de médecine, 45, rue des Saints-Pères. Le bâtiment fermera le 15 avril 1935 pour être démoli le 5 décembre 1936.

89     À part la chronique plus littéraire que théâtrale « À la comédie Française », il s’agit de la troisième chronique dramatique de Maurice Boissard et à cette époque très peu de gens savent que Maurice Boissard est Paul Léautaud. Il s’agit de la chronique parue dans le Mercure du premier novembre 1907, page 152.

90     Ce que Paul Léautaud nomme « globes » étaient vraisemblablement des ampoules nues.

91     Aucune mention de cet enterrement dans le Journal de Jules Renard, muet entre le 29 octobre et le 12 novembre.

92     Il s’agit ici du fils, Alphonse Séché (1876-1964), journaliste, écrivain et directeur de théâtre (le père Séché, Léon (1848-1914), historien du romantisme, ne s’occupait pas de revue littéraire ni de théâtre). Avec Romain Rolland et Frédéric Pottecher, Alphonse Séché dirige la Revue d’art dramatique et musical. Pendant la Première Guerre mondiale, il fondera et dirigera le Théâtre aux Armées. Lecteur à la Comédie-Française en 1919, il en épousera une sociétaire, Andrée de Chauveron.

93     Louis Payen (Albert Liénard, 1875-1927), librettiste, secrétaire général de la Comédie-Française. Collaborant au Mercure, à L’Ermitage, Louis Payen fonde le Nouveau théâtre d’Art. Il n’aura pas le prix Goncourt.


Il a existé, alimenté jusqu’en février 2011, un site web spécialisé sur Lucien Descaves, tenu par Jean de Palacio, professeur à Paris IV Sorbonne mais malheureusement né en février 1931. Comme bien d’autres, une fois ce site abandonné l’adresse a été récupérée par un marchand…