Ker Miaou

Villégiature ►

Nombreuses sont les pages web littéraires — les autres aussi — qui ne sont que des copies d’une autre page web. On ne voit pas très bien où est l’intérêt, d’autant que l’on perd en même temps l’origine du texte et donc la possibilité, en ces temps de complotisme, d’en vérifier la source.

L’étude un peu sérieuse d’un auteur implique de se référer aux sources et donc d’acheter des livres. Les livres de l’auteur, bien sûr, mais aussi les livres sur l’auteur. Il se trouve que souvent, les seconds sont bien plus nombreux que les premiers. Dans le cas de Paul Léautaud, si l’on considère le Journal littéraire dans l’édition en dix-neuf volumes, le rapport est au moins de un à dix.

Il faut quand même noter que parmi les dix, certains sont fort minces.

L’un des plus minces1 que nous connaissions compte seize pages, c’est le texte d’un amateur, comme les pages de ce site.

Mais est-ce un livre ? Le vendeur l’affirme :

Il y a bien écrit « description du livre », il y a bien écrit « un volume in-8 broché » La mention « pages dans un dossier éditeur » évoque un parfum de luxe délicieux. « Numéroté et signé par l’auteur », on ne se tient plus. Il est temps de se faire une tisane apaisante.

Mais qu’en est-il en fait ?, comme disent les associations de consommateurs.

Eh bien en fait, comme souvent quand on achète un grille-pain, c’est vrai et c’est faux.

Une semaine plus tard, à l’ouverture de l’enveloppe à bulles sort une sorte de… comment dire ?… on hésite entre un parapheur pour l’y glisser ou une poubelle pour l’y jeter, le machin ne tient pas debout tout seul. Enfin on regarde quand même avec la nette certitude de s’être fait avoir2.

Dans une chemise de bureau défraîchie, quelques feuilles demi-format éparses et mal imprimées. Des photocopies. De deuxième génération au moins. J’ai payé 25 €uros pour dix vieilles photocopies ? Bienvenue dans le monde merveilleux du bouquin d’occase. Tant qu’il y a des andouilles pour acheter…

C’est peut-être le moment de se préparer une autre tisane apaisante.

La tasse en main, on lit. C’est quoi ? C’est le récit d’un léautaldien. Un mordu, de ceux qui non contents de faire le pèlerinage à Fontenay où il n’y a plus rien à voir, poussent jusqu’à Pornic pendant qu’ils sont, pour ne pas voir grand-chose de plus.

En lisant ce texte sur papier on se dit « C’est une page web. C’est exactement une page web. » Puis on se dit qu’on a payé 25 €uros pour lire une page web mal imprimée et avec des fautes d’orthographe et on se ressert une tasse de tisane. Il en reste, on avait sorti la grande théière.

Alors pour vous éviter de dépenser 25 €uros, voici ce texte, avec les fautes d’orthographe et de typographie corrigées. Lisez-le, il est intéressant et il apprendra même des choses aux plus jeunes léautaldiens et est donc parfait pour une petite page d’été.

L’auteur s’appelle Pierre Carrasset. Après quelques recherches sur Internet on trouve quelqu’un pouvant correspondre, né en 1926 et mort fin mai ou début juin 2011. En clair les héritiers ont tout vendu en vrac, ce qui nous arrivera à tous. Et les libraires sont parvenus à vendre l’invendable : quelques photocopies dans une chemise. Un commerçant, c’est un commerçant. Après deux tasses de tisane relaxante, on peut trouver que c’est une excellente chose. On réessaiera sans tisane, c’est ça, la critique.

Au bas de ce texte, un lien permettant de télécharger l’objet en PDF.

Mais pas la chemise rouge.

Post-Scriptum rédigé plusieurs mois plus tard : En fait Pierre Carrasset n’est pas si inconnu que ça. En parcourant les Cahiers Paul Léautaud on le trouve à la page 72 du numéro 24 : « Un adhérent, P. Carrasset, nous écrit… »  Et ce qu’il nous dit est bien surprenant…

Le monde des Léautaldiens est tout petit.

Ker Miaou

par Pierre Carrasset

Il y a une grande jouissance de mélancolie savoureuse
à considérer le peu de prix de ce qu’on écrit3.
Paul Léautaud

La lecture des grands écrivains stimule et donne l’envie d’écrire soi-même. Ce qui n’est pas facile ; on se rend vite à une telle évidence si l’on essaie. La souplesse, la simplicité de la prose de Paul Léautaud, l’aspect franc de ses phrases, donnent la sensation de la facilité, alors que ce sont l’aboutissement d’un travail assidu, bien qu’il ait affirmé que rien n’égalait le texte écrit en courant.

Je n’ai pas négligé la lecture d’autres auteurs, mais toute ma vie, je suis revenu à l’œuvre de Paul Léautaud. Les universitaires méprisent ce primaire, lui accordent peu de confiance, au point d’établir le tableau récapitulatif de ses lectures sur une période donnée. Sera-t-il reçu à l’examen ?

Il était homme de lettres dans toute l’acception du terme, érudit à force de curiosité, d’indiscrétion, ayant compris que l’anecdote était la vérité sur les gens. Paul Léautaud est un modèle auquel je me réfère constamment, quitte à lasser mes amis.

*****

Si l’on se propose d’écrire la relation d’un voyage, immédiatement remontent à la mémoire, les récits des rares déplacements que fit, presque à son corps défendant, Paul Léautaud, tout au long de sa vie : Calais, Rouen, Saint-Malo, Pornic. C’était bien assez que, chaque jour, il fit, plusieurs fois, aller et retour, le trajet de Fontenay à Paris, et, à nouveau, le soir, vêtu de son smoking4, à l’époque des chroniques dramatiques. Ces voyages quotidiens lui permettaient d’observer les travers et les ridicules, moisson fructueuse, de ses compagnons de compartiment5.

Élire domicile à Courbevoie ou à Fontenay aux Roses, c’était en ces temps-là, 1912, choisir d’habiter la campagne, ce qui était bon, aussi, pour assurer liberté et santé à ses enfants — je veux parler de ses bêtes — Le matin, il partait inquiet au Mercure, s’il laissait un chien ou un chat enrhumé.

La maison du 24 Rue Guérard, modeste, presque pauvre — quelle baraque ! — subsiste, reléguée au fond d’un écrin d’arbres.

Sera-t-elle protégée de la démolition ? La question est posée6 ! Ce quartier change, déjà touché par le nouvel urbanisme qui monte depuis la gare. Le jardin sauvage, où dorment ses compagnons, est défiguré, amputé d’une partie de sa surface. Un immeuble sans style a été construit à l’arrière7, un odieux pavillon rose, au crépi épineux, flanque le côté droit de l’entrée. Mais aucune autorité officielle ne s’inquiète de sauver ce patrimoine. Convenez qu’il n’y a pas là l’occasion d’une opération de prestige propre à flatter la vanité de quelqu’un, à l’exemple de l’admirable réhabilitation de la maison de Chateaubriand, à la Vallée aux Loups, si proche.

Paul Léautaud se souciait peu du désordre de son intérieur, qu’il n’embellit jamais, bien qu’il admirât à juste raison, le raffinement de celui de Gide. Son intérieur à lui, était uniquement son esprit, les idées qu’il remuait, somnolant sur sa chaise longue, pendant les heures de rêveries. Le souvenir de l’écrivain est déjà masqué. Sa trace sera-t-elle assez profonde pour s’inscrire dans les mémoires ? Y aura-t-il un personnage assez puissant et détenant le pouvoir légal, qui, enfin, ne nous glissera pas entre les doigts comme un poisson et fera œuvre de mécénat ?

*****

Paul Léautaud n’était pas fait pour les voyages. Son tempérament casanier le retenait au même sol. Il confesse que ses déplacements les plus lointains se bornaient à un voyage à Versailles, un autre à Chartres. Cependant, nous savons qu’il en fit d’autres. Pour notre bonheur, il les a narrés dans le ton de son alacrité habituelle, sans nous épargner ses commentaires désabusés sur les gens et sur les villes visitées. D’ailleurs, furent-ils jamais enthousiastes ?

Voyons, en quelques mots, ce que furent ces voyages, non négligeables en regard de sa vie casanière.

Celui de Calais, le 24 octobre 1901, devait lui laisser une blessure jamais fermée face à la mort, et à ce retour unique, d’une mère qu’il n’avait pas vue depuis vingt ans et qu’il ne revit jamais.

Celui de Rouen, en septembre 1908, avec ses camarades littérateurs, Gourmont et Dumur. Paul Léautaud se révèle un observateur attentif, jamais satisfait des circonstances, difficile à satisfaire comme toute personne ne possédant rien somme toute, un parfait touriste.

Celui de Saint-Malo, le 23 juin 1930, avec sa “compagnie”. Il se montre tatillon dans les précisions qu’il rapporte. Là encore, peu échappe à ses regards sans que son envie irrépressible de revenir, enfin, à Paris, le quitte.

J’ai fait l’expérience du même voyage soixante ans plus tard. On peut me croire : rien n’est changé. Mes impressions collent à celles de Paul Léautaud, chaque détail qu’il a vu, je l’ai revu, identique. Les couleurs de la Bretagne sont fidèlement décrites comme par un impressionniste sensible.

Mais ce sont les voyages à Pornic — pour y conduire une colonie de chats… et voir Anne — ce sont ces voyages, que tout à la fois, il déteste et désire, les attendant impatiemment, comme le montrent les lettres échangées avec Anne et les enfantillages amoureux qu’elles contiennent. Ils seront fréquents pendant environ vingt ans. Il les supporte, malgré douze heures de chemin de fer, malgré la promiscuité du wagon, malgré la présence un soir, d’une grand’mère bavarde, allant conduire sa petite fille à la mer et dont la litanie inutile et monotone lui porte sur les nerfs : “c’est Ninette qui va faire joujou sur la plage8”.

À l’arrivée, il est capable de marcher neuf kilomètres sous la pluie, pour rejoindre le plaisir.

*****

Après un demi-siècle écoulé, y a-t-il encore quelqu’un dans ce quartier de la rue du Casino, ayant conservé le souvenir de Paul Léautaud ? Question pertinente, n’est-ce-pas ? Mais qui interroger ? Les promeneurs qui flânent dans les rues de Gourmalon sont des étrangers, c’est à dire les vacanciers, vêtus comme vous savez. Rien à espérer de sérieux de ce côté-là, encore qu’il se pourrait bien que quelque amateur à mon image, furète avec la même curiosité. Il me faudrait, pour réussir, trouver une habitante âgée, très âgée. J’ai frappé sans succès à plusieurs portes. Ah ! la mine étonnée de ces gens à mes questions. Personne n’avait jamais entendu ce nom.

— Léautaud ? dites-vous ! je ne connais pas.

— Alors qu’il vint ici souvent, à deux pas de chez vous ? disais-je contrarié de cette indifférence.

La chance — ou le hasard — est de mon côté. Une vieille dame m’ouvre, une vieille fille qui se souvient l’avoir aperçu… en 1914. Sa mémoire est indécise. Mais, elle se souvient d’un vieux Monsieur mal habillé. (Dépenaillé ! nous le savons, regrettant en son for de n’être pas un dandy conquérant, léger et insolant, trottinant avec vivacité). Pensez donc, il avait dépassé la quarantaine9… et elle-même, à cette époque n’avait pas vingt ans.

— Je ne regardais pas les vieux messieurs, me répondit-elle, émue rétrospectivement, d’avoir croisé autrefois ce séducteur.

*****

Les vacances ? moi, j’aime !

C’est devenu une folie. Du haut en bas de l’échelle tout le monde part. Les difficultés de l’économie n’arrêtent rien. Être bruni par le soleil est un signe de bonne santé, de réussite, puisque l’on a pu se libérer du travail et goûter à la liberté.

Cet été, les vacances m’ont amené à Pornic. Je viens revoir de près le plateau de Gourmalon, d’où l’on ne découvre plus, au loin, les moulins de Vendée. Un charme de moins, quand, en plus, on tourne le dos à la mer.

Donc, courte villégiature à Pornic, chef-lieu de la Loire Atlantique, arrondissement de Saint-Nazaire. Afin de cerner mon modèle, si l’envie de plagiat me taraude, la crainte du ridicule m’arrête. Pour m’imprégner de mon sujet, je sais que je vais relire les pages, sèches comme les articles d’un règlement administratif, du voyage à Saint-Malo10. Je leur trouve un charme singulier. Cela vient modestement de nos sensibilités proches. Il y a quelques années, j’ai fait, moi-même, ce voyage. Je peux vérifier à quel point il décrit la réalité. J’ai revu ce qu’il avait vu. Refaisant, sur ses pas, le même parcours dans la ville, sur les remparts, vis à vis l’îlot du Grand Bé, où veille Chateaubriand dont on aperçoit distinctement la tombe, tournée vers le large. Paul Léautaud qui n’aimait pas les excessifs, les sauvages, les êtres un peu en marge, sauf lui-même, a peut-être murmuré en passant là : “ne le réveillons pas, il aurait le front d’ajouter une page à ses mémoires…”.

Mon imagination vagabonde vers la Vallée-aux-Loups, où ces deux grands fantômes élirent domicile, à un peu plus de cent ans et trois kilomètres l’un de l’autre.

*****

Pornic, comme Saint-Malo, épousent la mer sous un ciel bas. Pornic, comme Saint-Malo, s’animent l’été, de touristes offrant à nos regards, un joli spectacle : la bêtise, la vulgarité humaine sont là dans leur plein11. À peine si la coupe des vêtements est changée. Les chemises ont un col démesurément ouvert. Les peaux luisent sous la couche protectrice des huiles solaires. Mais, si je me remémore les vacances d’avant 1940, je juge les touristes de ce temps-là fort distingués. Aujourd’hui il n’y a pas un coin de France, pendant les mois de juillet et d’août, où il est possible de trouver le calme complet. À moins de choisir septembre, époque où les familles retournent à leurs occupations. J’arrive à Pornic fin août, quand les jours gardent une belle provision d’été, qu’ils sont sereins parce que plus courts, sous un soleil doré.

J’entre dans la ville par l’avenue qui débouche au fond du port. Je franchis le pont12. À gauche, voici la gare, trop vaste en raison du nombre réduit de voyageurs qui l’empruntent. En face, je monte la pente raide de la rue de la Source. Je guette, à droite, la boutique à l’enseigne de “Tubalcaïn”, tenue par un artisan sur cuivre. Elle est fermée. Dommage : une curiosité en moins.

Photo Michel Perdrial. https://is.gd/BC3qtQ

En haut de la rue de la Source, je tourne à droite. Cette portion longe la crête de la colline, au-dessus du port, puis vire à gauche, le long de la mer13. Très exactement le chemin que suivait Paul Léautaud quand il allait à Pornic faire des courses. L’un de ces lieux, désert en 1914, a-t-il été le témoin des caprices érotiques d’Anne, troussant ses jupes et offrant au voyageur amoureux la jubilation d’embrasser les replis secrets de son désir ?

Ker-Miaou (ici encadrée de rouge) et le plateau de Gourmalon. (photo Google Earth de juin 2018)

Si, autrefois, le plateau de Gourmalon était peu bâti, il n’en est plus de même de nos jours. Les maisons, entourées de jolis jardins, sont peu éloignées les unes des autres. Les rues se croisent à angle droit, volonté d’uniformité, ne laissant aucune place au caprice d’une fantaisie créatrice. Sauf pour les maisons de la première ligne, la vue sur la mer est toujours masquée. La route se termine en cul de sac, marqué par un panneau : sens interdit. Enfin, en remontant la dernière rue à gauche, on se retrouve, presque en face de “Ker Miaou”. Ouvrons bien les yeux. Filmons passionnément ces paysages, nous ne reviendrons pas souvent.

Paul Léautaud à Pornic et les époux Cayssac

Dans les livres consacrés à Paul Léautaud, si précieux aux yeux des inconditionnels, se trouve insérée parfois, la photo, peut-être unique, représentant le chalet vu de façade. En un jour d’été, sont réunis les personnages du roman de Pornic : le Bailli et Anne, sagement assis côte à côte dans des fauteuils d’osier. À gauche, Paul Léautaud un peu à l’écart, comme si un reste de pudeur ou de timidité naturelle l’y poussait. Il est vêtu d’une veste foncée et d’un pantalon blanc. Fichtre ! quelle recherche vestimentaire pendant les quelques jours de sa présence, pour séduire le Fléau, s’il évite toutefois ses brusques sautes d’humeur. Ne soyons pas dupes : il languit ici, comme un exilé pleurant sa patrie, son Fontenay ombreux, irrité de poser ses regards sur la mer sans intérêt, vraiment. Pourtant il est à Pornic, avec la femme aimée, auprès de laquelle il ne vient demander qu’un peu de tendresse.

*****

Marie Galier, dite Anne, était née le 11 Juillet 1868 à Epinac en Saône-et-Loire, fille de Galier Ambroise et de Legros Céline. Elle était devenue Madame Cayssac, se haussant, réussite inespérée, dans la bonne société d’un fonctionnaire14, elle, la fille d’une concierge de la rue Saint-André-des-Arts et d’un ouvrier maçon, en épousant en 1896, alors qu’elle a déjà coiffé Sainte-Catherine, Henry Louis Cayssac, dit Le Bailli15, beaucoup plus âgé.

Ce fut en 1909, l’amour commun des animaux qui favorisera la rencontre du couple16 avec Paul Léautaud, tous trois affiliés à la SPA. Des relations familières se nouèrent, souvent commentées dans le Journal Littéraire, qui enchantèrent Paul Léautaud. Relations si étroites que, en juin 1913, Henry Cayssac et sa femme jugent leur ami, au plan zoophile, comme possédant les qualités qu’il faut pour continuer leur “œuvre sacrée” de soins désintéressés envers les bêtes, ce qu’ils décident de reconnaître. Un testament a donc été rédigé à Pornic le 22 Août 1913. Il institue Paul Léautaud légataire des biens du couple. La passation entre ces personnes d’un acte aussi solennel permet de mesurer le sérieux du secours apporté aux bêtes abandonnées.

À la veille de la Grande Guerre, Mme Cayssac venait chaque soir apporter au Mercure les pâtées des chats du Luxembourg. Mais un soir, poussée par son démon intérieur, n’en pouvant plus d’envie, elle s’offrit tout bonnement17. Ainsi débute en 1914 une liaison faite d’orages, de réconciliations, de mesquineries, de jalousies, de petites vanités, de coups parfois. Elle durera jusqu’en 1934.

Veuve depuis le 5 Septembre 1924, Anne Cayssac, vieillissante, vit modestement à Pornic dans le chalet “Ker Miaou”. Le dentiste Beck, propriétaire d’une maison de vacances route de la Birochère, qui la rencontre de temps en temps, donne épisodiquement des nouvelles à Paul Léautaud, occupé maintenant d’autres amours : M. D.

En 1941, Anne Cayssac vend son chalet “Ker Miaou”, trop coûteux pour ses revenus, puis s’installe juste derrière, rue Rapine, dans le modeste chalet “Ker Lory”, acquis sur le produit de la vente précédemment réalisée. Déjà très handicapée, âgée de 81 ans, elle s’éteint le samedi 15 Avril 1950, à 8 heures du matin. La garde-malade de la défunte, Mme Laurence Francheteau née Fradin, alors âgée de 47 ans, domiciliée rue de la République au Clion s/Mer, est son héritière, signe la déclaration du décès à la Mairie de Pornic tout en se rendant acquéreur d’une concession trentenaire au cimetière de Pornic : Section IX — No 991 — dont la jouissance prend fin en 1980. Personne ne l’ayant prolongée, pas même les familiers de la vie des amants, dont je suis, pour qui les pages tendres du “Journal Particulier” sont un breuvage des Dieux, le 10 juin 1980, la concession est abandonnée. Aujourd’hui, l’emplacement devant lequel Paul Léautaud n’a jamais rêvé, peut-être vu, Section IX bien sûr, No 120, sous le nom de Brie Pierre.

*****

De l’image photographique, je reviens à la réalité. Vrai ! tout concourt à lui donner la poésie qui me charme : la douceur du jour, le soleil voilé, le calme du quartier.

Je peux affirmer que rien n’est changé ici, à part la verdure, aujourd’hui plus abondante. L’horizon, vers la mer, est fermé par la grande villa construite devant “Ker Miaou” dont le portail, ouvert à deux battants, invite à entrer. Je ne résiste pas à l’émotion qui m’envahit. Un instant je crois que sont ressuscités les personnages qui ont hanté ces lieux, il y a bien longtemps, ou leurs fantômes aimables, venus accueillir des visiteurs familiers. Ils savent qu’ils ont été les acteurs ordinaires d’événements auxquels nous attribuons une importance exagérée.

La prose de Paul Léautaud me revient en mémoire et me rend le jardin et le chalet vibrants de souvenirs légers18. Mais c’est à la faveur du silence de l’instant que j’ose franchir le portail. Je pénètre précautionneusement dans le jardin. Les graviers répandus sur le sol de l’allée crissent doucement. Je regarde de tous côtés : personne.

J’appelle : “Y a-t-il quelqu’un ?” Pas de réponse.

Je suis tout près du chalet.

La balustrade de bois, laquée blanc selon l’habitude de la région, est toujours la même. Portes et fenêtres sont, en confiance, ouverts à tous vents. Intrigué, je m’enhardis à contourner la maison par la droite, toujours appelant, afin de signaler ma présence.

J’appelle : “Y a-t-il quelqu’un ?” Pas de réponse.

Si, j’ai été entendu. Vient à ma rencontre un couple dont l’allure décontractée prolonge les personnages aux mines guindées de la photo évoquée plus haut. Je me présente — sans rire — comme étant le type accompli de l’Amateur, l’Admirateur coiffé, épris, fou, entiché de Paul Léautaud, venant cueillir sur place des souvenirs inédits. Car il fut l’hôte occasionnel de Pornic, sous l’aspect de l’amoureux délirant, jeté à la côte par la tempête de la Grande Guerre, naufragé se débattant désespérément, navré de constater sa lâcheté devant le danger19, réfugié dans les bras de la dévoreuse Anne, dans lesquels il aurait failli se noyer s’il n’avait eu la sagesse de rêver à d’autres amours. Je m’efface, par modestie, dans l’ombre du grand homme, gommant ma présence au bénéfice de sa renommée.

Ma visite inopinée ne semble, ni étonner, ni contrarier. Je suis reçu simplement, avec une amabilité naturelle, quoiqu’un tantinet narquoise, par les propriétaires de “Ker Miaou”. Ils savent qu’ils vivent dans une maison chargée d’“histoires”, que la notoriété grandissante de l’homme de lettres rendra célèbre un jour. Ils se montrent compréhensifs et patients pour répondre à mes questions, comme l’on supporte les manies inoffensives d’un malade. D’ailleurs, je ne suis pas, paraît-il, le premier toqué qu’ils reçoivent. Peu de temps auparavant, deux dames — que par souci de galanterie je me garde de qualifier de toquées — étaient déjà venues effectuer le même pèlerinage et visiter la maison qui, pour elles comme pour moi, résonnait de sons, de miaulements, de voix, pour nous seuls audibles, de gestes obscènes, très bien détaillés dans le J L et d’autres livres. À certains moments dans la vie, il faut savoir se ressourcer afin de poursuivre sa route sereinement.

— Veuillez, je vous prie — dis-je avec mon meilleur sourire — excuser mon incursion dans votre propriété, mais je suis, depuis bien longtemps, un passionné de Paul Léautaud et comme je sais, bien entendu, qu’il venait chaque année ici, accompagner une colonie de chats et rejoindre la propriétaire de l’époque, ma curiosité naturelle m’y poussant, je souhaite, avec votre permission visiter la maison… Je me rends compte de la gêne que je vous cause, mais j’aurais tant de plaisir à voir, de mes yeux, les lieux où vécut Paul Léautaud, que j’ose…

Ces phrases, trop bien tournées, sont ridicules et inutiles, je le sens, car mes interlocuteurs m’écoutent avec une politesse exquise, doublée d’un sourire entendu. Ils ne font aucun obstacle à mon désir, au contraire. Ils comprennent que ce souhait, exprimé de manière si distinguée, ne saurait être refusé.

*****

Aujourd’hui encore réservé aux séjours de vacances, le chalet dont mon hôtesse est l’héritière avait été acquis par sa mère le 26 Septembre 1941, l’acte de vente signé chez Maîtres Courot & Ledoux, notaires à Pornic20. L’on me raconte une circonstance de cette vente, révélatrice de la nature insolite — ce qui est peu dire, ajouterait Paul Léautaud — du Fléau. J’apprends donc que plusieurs acheteurs s’étant présentés, la mère de mon hôtesse avait eu la préférence, parce qu’elle ne portait pas de bijoux. Le Fléau détestait les “femmes à bijoux”. On le sait, par la suite, Anne Cayssac, peu disposée à quitter ce quartier où elle avait tant de souvenirs, s’est retirée dans le petit chalet “Ker Lory”. Une disposition testamentaire faisait don à ses acquéreurs, d’une bande de terrain large de cinq mètres pour agrandir “Ker Miaou” quand elle serait décédée. Les raisons de cette particularité sont oubliées.

L’escalier montant au grenier. Photo Michel Perdial. https://is.gd/BC3qtQ

Je sollicite l’autorisation, aussitôt accordée, de prendre des photos. L’appareil en mains, je fais le tour de la maison. À droite, je vois l’escalier extérieur — ou, plutôt, l’échelle de meunier — de la luxure : il conduit au grenier, encore encombré de vieux meubles, d’outils de jardin, d’ustensiles de ménage au rebut, de vieux journaux, de sacs de pommes de terre, de malles, de chaises et de fauteuils empilés, de tapis roulés à l’abri de l’humidité, de pots de confitures qui attendent leur emploi21, etc… Inventaire en avance sur la manière de Jacques Prévert, quand Paul Léautaud, reclus volontaire dans ce capharnaüm, énumérait ce qu’il voyait autour de lui, prenant son bien là où il le trouve. En somme, le plus classique des greniers, un vrai grenier, vous dis-je, comme sorti d’une description d’Alphonse Daudet. Mais il recèle des secrets…

Dans un coin, une petite table où écrire, où poser un livre22. Le petit ami passe son temps là. Il se compare à Paul-Louis23 dans son grenier de La Chavonnière, sa “boutique à grec”, encombrée du même bric-à-brac, avec, pareillement, “sa petite table”24.

Minuit a sonné. Tout dort. Ce sont les heures chères à Paul Léautaud : les TSF se sont tues, l’amour vient à soi, à la rencontre de la volupté partagée. Suprême bonheur, si Anne est de bonne humeur et bien disposée à son endroit.

Il y a encore, là, le lit sur lequel il couchait — où ils couchaient — je rêve un instant à leurs ébats. L’atmosphère que je respire n’a jamais été renouvelée, aucun courant d’air, aucun chiffon n’ont jamais chassé la poussière tenace qui pique un peu la gorge. Elle estompe le contour des objets sous une gangue, translucide comme un voile pudique, respectée depuis des années. Ne l’effaçons pas, dans la crainte d’effacer aussi le passé. J’ai le sentiment, tout-à-coup, d’être un intrus, surprenant un secret sans y avoir été admis.

En descendant du grenier, le refuge le plus secret de la maison, je suis invité à visiter le rez-de-chaussée. Je gravis les quelques marches de la terrasse où je m’attarde, promenant lentement mon regard sur le jardin. Paul Léautaud devait aussi se tenir ici et voir, presque exactement, ce que je vois, ayant au cœur le regret constant de n’être pas chez lui.

Pour éviter d’abuser de la disponibilité qu’on me témoigne et pour éviter de me montrer indiscret, je me borne à jeter un regard dans la pièce principale, qui remplace les deux pièces primitives qu’a connues Paul Léautaud. Cette pièce est joliment garnie de meubles rustiques, bretons bien sûr. Alors je me dis que tous ces changements, ces modernisations, nécessaires aujourd’hui, d’une certaine manière font disparaître les traces du passage, il y a soixante-dix ans, de ce ménage si peu assorti, deux êtres aussi dissemblables que possible et de l’amant parisien. Quel tour de magie faudrait-il pour que le visiteur occasionnel retrouve le passé, hormis dans son imagination ?

*****

À Pornic, la merveille, c’est le climat25. Je ne m’étonne pas que Paul Léautaud ait consenti à accompagner le Fléau, enfin apaisée par la sérénité nocturne, à la promenade du soir.

Ils empruntent, tout à côté de “Ker Miaou”, la ruelle qui conduit à la côte. Très bourgeoisement, le couple, suivi des chats qui gambadent autour d’eux, va s’asseoir sur un banc. Je suis allé exactement au même endroit qu’eux, à cent mètres du chalet, où sont toujours disposés des bancs, mis à la disposition des estivants, dont il était, bien qu’il s’en défendît avec humeur.

Le rivage, très accidenté, descend brusquement jusqu’à l’eau. Les particuliers ont installé des pontons, ressemblant à de grandes araignées, pour pêcher à la balance, procédé qui ne manque pas de pittoresque.

L’éternel citadin qu’il reste, évite de s’extasier, indifférent à la poésie du ciel étoilé ou à la lune, en son entier reflétée sur le miroir de la mer. Il ajoute qu’il préfère rester au chalet.

*****

Je découvrirai quelques semaines plus tard, que la chambre de Paul Léautaud (celle de Fontenay) a été reconstituée au Musée Carnavalet où, immobile, privée de ses odeurs, elle se ouate d’une autre poussière, publique celle-là. Mitoyenne, a été reconstituée celle de Marcel Proust, tout autant privée de vie et d’odeurs.

Il y a, dans ces vitrines d’exposition de meubles et d’objets intimes leur ayant appartenu, quelque chose d’indécent. Ces deux littérateurs, aux origines, aux conceptions, aux habitudes totalement opposées, et si proches, tous deux raffinés à leur manière, mais dont la façon de s’exprimer est tout aussi précieuse ainsi que la recherche introspective, sont rapprochés, livrés nus à nos regards, alors qu’ils vivaient cachés, misanthropes l’un et l’autre.

*****

Le « Fléau » et l’« Inconnue »

Deux photos seront retrouvées après la mort de Paul Léautaud dans le portefeuille qu’il portait toujours sur soi, dans la poche gauche de son gilet. Celle du Fléau26 ; celle de l’Inconnue27 avec, écrit au dos “que personne ne sache, ne se doute seulement combien je t’ai aimée. Garde ce souvenir en toi, comme un secret”.


1       C’est l’un des plus minces parce qu’il y en a un plus mince encore, le Paul Léautaud de Jean Dutourd, édité par Élisabeth Brunet, libraire à Rouen, dont nous parlerons peut-être ici un jour.

2       Certes pas autant que dans le cas d’Une victoire sur les Allemands (juillet 1940), arnaque indépassable et ouvrage plus mince encore.

3       « On se pèse alors à son juste poids. Chacun le sien, et les légers sont plus nombreux que les lourds. Il y a une grande jouissance de mélancolie savoureuse à considérer le peu de prix de ce qu’on écrit. » Lettre à André Rouveyre datée du six février 1945, reproduite dans André Rouveyre, Choix de Pages de Paul Léautaud, éditions du Bélier, 1946 (367 pages), page 321.

4       Pierre Carrasset semble avoir oublié (il est sûr qu’il la connait) l’anecdote des deux vestons l’un sur l’autre, le moins usé, plus court, étant sur l’autre. Voir au seize janvier 1914 : « Ce soir, aux Bouffes-Parisiens, avec Billy, pour La Pèlerine écossaise, de Sacha Guitry. » Voir aussi, évidemment la chronique dramatique du premier février 1914. Toutes les notes sont de l’auteur de ce site web, Pierre Carrasset n’en ayant donné aucune.

5       Dans les trains de cette époque, les compartiments de chaque voiture ne communiquaient pas entre eux. Il fallait donc attendre un arrêt pour changer de compartiment.

6       La maison de Paul Léautaud était encore debout en juillet 2018 ainsi qu’on peut le voir sur cette image Google:

7       La résidence Marina !

8       Voir Villégiature, éditions de la Belle page, février 1926 ou à défaut Les Nouvelles littéraires du 18 août 1923 au bas de la page quatre. Villégiature sera publié ici le premier décembre 2021.

9       En 1914, Paul Léautaud était âgé de 42 ans.

10     Ce voyage à Saint-Malo a eu lieu du vingt juin au quatre juillet 1930 avec Anne Cayssac. Il n’est qu’évoqué dans le Journal littéraire mais fait l’objet d’un texte paru dans Passe-Temps II (Mercure 1964, 217 pages) sous le titre « Voyage ».

11     Villégiature.

12     Pont du huit-mai 1945.

13     En fait, selon Michel Perdrial, avant d’arriver tout en haut de la longue rue de La Source qui s’arrête à la mer, il faut prendre à droite la rue Jean Courot et marcher jusqu’à la rue Rapine, la première à droite. À l’angle est de la rue Rapine nous sommes devant le portail de Ker Miaou.

Photo d’août 2012 extraite de Street view

14     Henri Cayssac (1849-1924) était fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique et chef du secrétariat et rédacteur à la très laïque Ligue de l’Enseignement.

15     Préface de « Pierre Michelot » (Marie Dormoy) au Journal particulier (Le Cap, 1956, deux volumes) : « M. Cayssac était faible de caractère et d’humeur pacifique. Pendant que les deux amants faisaient l’amour, il jouait du piano. Ils lui avaient donné le surnom de Bailli, parce qu’ayant assisté ensemble à une comédie genre XVIIIe siècle dans laquelle le Bailli du village, tout en voulant jouer au tyran, se rendait toujours aux raisons du dernier venu. Ce qui le faisait tourner comme une girouette. Les deux complices rirent fort de cette ressemblance et le surnom fut tout de suite trouvé. Lui-même s’en amusa beaucoup. »

16     Journal littéraire au seize février 1909 : « Très bonne soirée, de 8 heures et demie à minuit passé, chez M. et Mme Cayssac, 24, rue Dauphine. »

17     Le 18 février 1914. Aucune note ce jour-là dans le Journal mais dans le Journal particulier du 24 février 1917 nous lisons : « Grands reproches aussi d’avoir laissé passer, sans venir, le premier de nos anniversaires (celui de sa visite au Mercure, à midi, dans laquelle elle vint me dire des paroles qui décidèrent de tout) qui tombait dimanche dernier 18. »

18     Le léautaldien Pierre Carrasset a évidemment en tête le titre que Paul Léautaud avait choisi pour son premier roman. Alfred Vallette lui imposa Le Petit Ami. Voir la lettre à Paul Valéry datée du sept octobre 1902 : « Le titre me navre, mais il n’y a rien à faire. »

19     Lettre à Paul Morisse, son compagnon de bureau, datée du huit septembre 1914 : « Mon cher Morisse, / Je suis en effet ici depuis le 3, ou 4 ou 5 du mois, je ne sais plus au juste. Je n’en ai aucun contentement. Ce départ a été une folie. Sans doute, avec ma ménagerie, en voyant le gouvernement filer, les portes de Paris se fermer, les Allemands à Creil, on pouvait avoir des craintes motivées. Mais, quand même, j’eusse mieux fait d’écouter ma négligence, mon indécision, ma résignation, et de ne pas bouger. Je serais aujourd’hui tranquille chez moi, n’ayant pas subi cet odieux voyage »…

20     Journal littéraire au 25 septembre 1941 : « Ce matin, réponse de l’ébéniste Séjourné, de Pornic, s’excusant de son retard à me répondre. Le fléau est en bonne santé, toujours à Gourmalon, elle a vendu son chalet mais l’habite toujours. » On peut noter que le lendemain 26 septembre, Paul Léautaud a été licencié du Mercure par Jacques Bernard. On peut aussi noter, bien que cela suit assez hors-sujet, la mort d’Henri Bachelin le 21 septembre.

21     Villégiature.

22     Villégiature ; « À peine un petit coin pour une petite table sur laquelle écrire ou poser un livre. »

23     Sous la plume de Paul Léautaud il s’agit évidemment de Paul-Louis Courier de Méré (1772-1825). Paul-Louis Courier a donc 17 ans lorsque survient la Révolution. À vingt ans on le retrouve jeune officier d’artillerie face aux Prussiens. Comme parfois les officiers, il n’aime pas la guerre mais la pratique beaucoup, ce qui ne l’empêche pas de lire les grecs entre deux coups de canon. Avec l’arrivée de Napoléon, où la France est en guerre contre le reste du monde, Paul-Louis Courier voyage beaucoup. Après dix-huit ans de batailles quasiment ininterrompues il quitte enfin l’armée pour entreprendre des batailles de bibliothèques, à peine moins dangereuses à cette époque, comme on le verra. La Révolution ayant bien été digérée dans le bonapartisme, Paul-Louis Courier se met à pencher à gauche et le fait savoir en de nombreux pamphlets dont il s’est fait une spécialité. Cela lui vaut quelques amis délicats et de robustes ennemis. L’ancien artilleur tire sur tout ce qui bouge, prêtres et puissants. Viennent les procès, les amendes, la prison. Mais il y a plus efficace et en avril 1825 Paul-Louis Courier est assassiné dans sa demeure de La Chavonnière, à quinze kilomètres au sud-est de Tours.

24     « Je pense à Paul-Louis dans son grenier de La Chavonnière, encombré de sacs de blé et d’avoine, de débris de meubles, plein de poussière et de toiles d’araignées, sa “boutique à grec”, comme il disait, logeant là ses quinze cents ou deux mille volumes, avec un matelas sur quelques fagots et une petite table sur laquelle il écrivait ses pamphlets. J’écris là cette lettre, morceau par morceau, au fur et à mesure de mes impressions. » Villégiature.

25     Villégiature.

26     Selon Édith Silve, dans son édition du Journal particulier de 1935, cette photo « a été prise dans le jardin des époux Cayssac, à Gourmalon. En effet, en arrière-plan de son visage, apparaît un de ces pins qui étaient dans la propriété du couple. »

27     Journal particulier au vendredi 14 mai 1935 : « Je ne te lâcherai pas. / Tu l’as bien fait pour un autre. / Tu peux bien le faire pour moi. / À un vieil appareil. J’essayerai. / J’apprendrai avec. / Dans le jardin… » Note d’Édith Silve à cette page : « Par l’expression “pour un autre”, Léautaud fait allusion à une photo prise par Lucien Michelot, représentant Marie Dormoy, nue, peut-être lors d’un voyage à Taormina. Léautaud se propose, ce 17 mai, de la prendre à son tour en photo. Il a donc utilisé “le vieil appareil” que Marie Dormoy possédait. La porte, le dallage, ce mur décrépi qui ressemblent fort à ceux de la maison de Léautaud nous inclinent à penser qu’elle a bien posé pour une photo, au rez-de-chaussée, sur le pas de la porte qui donne à l’arrière de la maison de Léautaud. Le peu de lumière avantage Marie dont le corps paraît plus fin qu’il n’était peut-être. Son visage est caché. Dissimulé par une étoffe noire, semble-t-il. »