Par
Remy de Gourmont ▼
Rachilde ▼
Alfred Vallette ▼
Louis Dumur par Georges Batault ►
Voici trois textes évoquant Louis Dumur.
Le premier, le plus sympathique, est de Remy de Gourmont1, c’est-à-dire l’élégance et le raffinement.
Le deuxième de Rachilde2, datant de 1929, est le plus insignifiant.
Le troisième est d’Alfred Vallette, une nécrologie purement factuelle, parue en ouverture du Mercure de France du 15 avril 1933.
Les notes sont au bas de chaque chapitre mais conservent leur numérotation continue.
* * *
Les lecteurs de Paul Léautaud on généralement envers Louis Dumur une sympathie modérée. Seul le refus de tout parti-pris — et de tout parti politique — a pu conduire ici à l’étude de cet intellectuel qui prend une place importante dans le Journal littéraire de Paul Léautaud. Louis Dumur et Paul Léautaud ont été collègues et se sont vus quotidiennement de janvier 1908, date de l’embauche de Paul Léautaud au Mercure à la mort de Louis Dumur au début de 1933. Seule la rareté des informations sur cet homme secret nous a conduit à donner ces quatre textes, jusqu’ici peu accessibles.
Le premier texte est issu du premier Livre des Masques, de Rémy de Gourmont. À cette époque (1896), le Louis Dumur de 33 ans était encore fréquentable, sans quoi il est permis d’imaginer que Gourmont n’aurait jamais écrit ces lignes.
1 Toute note sur Remy de Gourmont est vaine face à l’immense richesse documentaire offerte par le site capital des Amateurs de RdG : http://www.remydegourmont.org/ Disons juste « (1858-1915), romancier, journaliste et critique d’art, proche des symbolistes. » Le Mercure de France n’aurait jamais pu être ce qu’il a été — la première revue française d’avant 1914 — sans Remy de Gourmont. Paul Léautaud deviendra son intime. Jean de Gourmont (1877-1928, cadet de 19 ans de son frère) sera salarié du Mercure de France.
2 Marguerite Eymery (1860-1953), personnage complexe, a épousé Alfred Vallette en 1899. Rachilde tient la rubrique des « Romans » dans le Mercure. Elle a publié une soixantaine d’ouvrages.
Louis Dumur, par Remy de Gourmont3
Représenter la logique parmi une assemblée de poètes, est un rôle difficile et qui a ses inconvénients. On risque d’être pris trop au sérieux et, par suite, de se sentir porté à maintenir sa littérature dans les tons graves. La gravité n’est pas nécessaire à l’expression de ce que l’on croit être la vérité ; l’ironie pimente agréablement la tisane morale ; il faut du poivre dans cette camomille ; affirmer avec dédain est un moyen assez sûr de n’être pas dupe, même de ses propres affirmations. Cela est très utilisable en littérature, car tout y est incertain et l’art lui-même n’est sans doute qu’un jeu où, philosophiquement, nous nous trompons les uns les autres. C’est pourquoi il est bon de sourire.
M. Dumur sourit rarement. Mais si maintenant, ayant conquis, rien qu’en vivant, plus d’indulgence et quelques droits à la véritable amertume, s’il voulait sourire pour se défendre et se distraire, il semble que toute l’assemblée des poètes protesterait, étonnée et peut-être scandalisée. Alors il demeure grave, par habitude et par la logique.
Il est la Logique même. Il sait observer, combiner, déduire ; ses romans, ses drames, ses poèmes sont des constructions solides dont l’architecture pondérée plaît par la savante symétrie des courbes, toutes dirigées vers un dôme central où l’œil est sévèrement ramené. Il est assez fort et assez volontaire pour, épris d’une erreur, ne l’abandonner qu’après l’avoir acculée à ses conséquences les plus extrêmes, et assez maître de lui-même pour ne pas avouer son erreur et même la défendre avec toutes les ingéniosités du raisonnement. Tel son système de vers français basés sur l’accent tonique4 ; il est vrai que le résultat, souvent manqué, car les langues ont, elles aussi, une logique assez impérieuse, était parfois heureux et inattendu avec des « hexamètres » comme celui-ci.
L’orgueilleuse paresse des nuits, des parfums et des seins5.
C’est vers le théâtre que M. Dumur semble avoir orienté définitivement son activité intellectuelle. Ses pièces (je ne parle pas de Rembrandt, drame purement historique, de grand style et de vaste déploiement) : d’abord, les pages coupées6, on est surpris par un décor rentoilé et des noms repeints et un jour de réalisme conventionnel, une ordonnance de choses et d’êtres usés sous l’habit neuf et le vernis frais, — mais dès la troisième ligne lue, l’auteur affirme qu’en ce triste paysage scénique il fera entendre des paroles valables et qu’un souffle progressif jusqu’à la tempête renversera la plantation.
Le paravent rentoilé est voulu tel que, sa banalité peu à peu détruite, êtres et choses déshabillés par un caprice de la foudre, il ne reste debout qu’une idée nue ou voilée de sa seule obscurité essentielle.
Donc ce vieux-neuf décor est là comme le plus simple, le plus sous la main, et celui où l’imagination neutre d’une foule spectatrice pourra, avec le moindre effort, situer un combat mental dont les armes sont des accessoires de théâtre.
Un homme s’en va par le monde portant avec soi un coffre plein de terre natale et libre ; il porte son amour ; mais un jour il est écrasé par son amour. À l’heure de cette chute, un autre homme comprend : il éloigne de lui la femme qui va lui briser les bras. Aimer, c’est se charger d’un impérieux fardeau au moment même où, cessant d’être libre, on cesse d’être fort. La Motte de terre7 explique cela avec lucidité et avec force, travail d’un écrivain tout à fait maître de ses dons naturels et qui les manie avec aisance et cet air de domination qui dompte facilement les idées. Il arrive qu’une œuvre soit, et soit supérieure à l’homme et à son intelligence même, mais de peu ; si peu et mensonge innocent, c’est un spectacle humiliant et qui incite au mépris plus que l’aveu écrit de la médiocrité la plus hideuse et la plus adéquate au cerveau qui l’enfanta : l’homme de valeur est toujours supérieur à son œuvre, car son désir est trop vaste pour qu’il le remplisse jamais, et son amour trop miraculeux pour qu’il le rencontre jamais.
La Nébuleuse7, que l’on vient de jouer, est un poème d’une belle et profonde perspective, où se voient symbolisées, par des êtres ingénus, les générations successives des hommes qui se suivent sans se comprendre, presque sans se voir, tant leurs âmes sont différentes, et toutes toujours résumées, vers le moment de leur déclin, par l’enfant, par l’avenir, par la « nébuleuse » dont la naissance enfin avérée va faire mourir, sous sa clarté matinale, les sourires fanés des vieilles étoiles. Et l’on pressent, la vision close, que ce demain, qui va devenir aujourd’hui, sera tout pareil à ses frères défunts, et qu’en somme il n’y a rien d’ajouté au spectacle dont s’amusent les défuntes années penchées
Sur les balcons du Ciel en robes surannées.
Mais ce rien ne laisse pas d’avoir quelque importance pour les atomes humains qui le forment et qui le déterminent ; il est le délicieux nouveau que nous respirons et dont nous vivons. Du nouveau ! Du nouveau ! Et que chaque intelligence affirme, même passagère, sa volonté d’être, et d’être dissemblable des manifestations antérieures ou ambiantes, et que chaque nébuleuse aspire au rôle d’un astre dont la lueur soit distincte et claire entre les autres lueurs !
J’ai lu tout cela dans le texte et dans les silences du dialogue, car lorsque, ce qui arrive, une œuvre d’art est le développement d’une idée, les interlignes mêmes répondent à ceux qui savent les interroger.
M. Dumur est en train de créer un théâtre philosophique, un théâtre à idées, et, parallèlement, de renouveler le roman à thèses, car Pauline ou la Liberté de l’Amour9 est une œuvre sérieuse, ordonnée avec talent, originalement pensée, et qui implique une rare valeur intellectuelle.
3 Texte paru dans Le Livre des masques, Mercure 1896, 271 pages.
4 Voir le texte de Louis Dumur « À propos de l’accent tonique », Mercure de juin 1890 page 88.
5 Louis Dumur aimait à se livrer de temps à autres à certains écrits sinon grivois du moins « légers ».
6 « les pages coupées » : Remy de Gourmont écrit à une époque où les livres n’étaient pas massicotées et où donc il fallait couper les pages avant de pouvoir les lire. Cette expression souvent utilisée par les chroniqueurs littéraires est remplacée de nos jours par « dès les premières pages… »
7 La Motte de terre, pièce en un acte parue originellement dans le Mercure d’octobre 1894.

Dédicace de Louis Dumur à Stéphane Mallarmé sur son exemplaire de La Motte de terre : « A Stéphane Mallarmé / Le maître aimé et admiré »
8 Cette pièce en un acte, en prose, est parue dans le Mercure de janvier 1895. Elle a ensuite été représentée le 27 avril 1896 au Théâtre libre d’André Antoine, suivie de La Fille de d’Artagnan, drame en un acte, en prose, d’Alfred Mortier et de Dialogue inconnu, scène en prose d’Alfred de Vigny. Le texte de La Nébuleuse est paru en volume au Mercure en 1895 (63 pages).
9 Louis Dumur, Pauline ou la liberté de l’amour, Mercure de France 1896, 339 pages.
Louis Dumur, Le Volontaire français, par Rachilde
Ce deuxième texte est extrait de l’ouvrage de Rachilde, Portraits d’hommes, d’abord paru en édition de luxe chez Mornay en 1929 puis au Mercure en 1930(10).
À propos de ces Portraits d’hommes, il paraît nécessaire d’indiquer ici un point d’histoire littéraire. Avant la publication chez Mornay, il était prévu que ces quinze portraits dont la liste est donnée en note 10 ci-dessous, paraissent sur quinze numéros (pas nécessairement consécutifs) dans Les Nouvelles littéraires. Il était courant à l’époque qu’un livre paraisse d’abord, en « prébublication » dans une revue, voire dans un quotidien, les gens avaient le temps de lire. Le premier portrait, celui d’Alfred Vallette est paru dans le numéro du 22 décembre 1928 (page cinq). Mais après le onzième portrait, celui de Léon Bloy, la série a été arrêtée. Pourquoi ? la réponse se trouve dans le Journal de Paul Léautaud au cinq juillet 1929 :
« Voilà plusieurs numéros des Nouvelles dans lesquels je ne vois plus de Portraits d’hommes de Rachilde. Je demande ce matin à Vallette. Il me dit : “C’est fini.” Je dis : “Comment, c’est fini.” Il me répond “Oui. Ils n’ont pas voulu continuer. Ils n’ont pas voulu de Dumur. Ils ont prétendu que Dumur n’était pas sur la liste que leur a remis Rachilde. Il y était : elle a le double de sa liste. Ils sont de mauvaise foi.” »
Paul Léautaud continue :
« Il est bien certain que Martin du Gard a inventé là un prétexte. Il n’a pas voulu de Dumur à cause de ses romans sur la guerre. Dumur jouit d’un mépris assez répandu et il faut bien le dire assez justifié à ce sujet. Vallette et Rachilde sont peut-être les seuls à l’ignorer. À la place de Martin du Gard j’aurais publié le “portrait”. D’abord parce qu’il devait être sur la liste. Ensuite parce que l’odieux et le ridicule de ce morceau (Rachilde y dit, elle me l’a dit elle-même, le matin que Mornay était dans mon bureau, qu’elle s’entend parfaitement avec Dumur à cause de leur haine commune des Allemands) seraient retombés sur tous les deux. »
Voici ce texte :
Depuis plus de trente ans, Louis Dumur vit au Mercure de France. Non seulement il y vit mais il aide à le faire vivre. J’ai donc quelque raison de le bien connaître et d’avoir pour lui une sincère admiration, très motivée. Homme d’une probité exemplaire, travailleur héroïque, poète et dramaturge, romancier dont les romans, terriblement documentés, font foi en face de l’histoire de la grande guerre, le célèbre auteur de Nach Paris !11 est une de ces figures graves, un de ces caractères entiers, qui forcent l’estime des honnêtes gens et mettent les autres en rage !… Il parle et peut traduire six ou sept langues, a lu tout ce qui est à lire, classiques ou modernes, et cherche à apprendre tout ce qui doit s’apprendre. Je constate que le travail, le plus austère des devoirs accomplis, conserve. Louis Dumur ne vieillit pas, ne change pas ; tel je l’ai vu arriver au jeune Mercure, à son retour de Russie où il vécut plusieurs années en qualité de professeur, tel il demeure, à peu de nuances près, dans le vieux Mercure, qui lui non plus ne change pas de physionomie, austère érudit sous sa soutane violette, tour d’ivoire en demi-deuil littéralement inabordable pour une époque débordant, en général, toutes les règles de la bienséance.

J’ai l’habitude de juger les hommes de lettres, non d’après mes préférences, mais d’après les besoins d’une logique sociale que je respecte beaucoup si je m’en sers assez peu. Je ne vois rien de plus opposé que nos deux tempéraments d’écrivains : Dumur est un esprit sage, pondéré, quoique un sectaire protestant en sa qualité primordiale de Suisse de la bonne roche ; je suis une fantaisiste vieille France sans frein ni loi, et si j’ai l’amour de la logique, souvent, par esprit d’opposition, j’ai une grande estime pour les gens raisonnables. Ce pourquoi nous nous entendons très bien Louis Dumur et moi, et il y a tout à parier que si j’avais été seulement une femme de lettres et lui un simple sectaire protestant, nous serions depuis belle heure brouillés à mort ! Mais il est un point sur lequel nous nous retrouvons toujours et ce point-là ce n’est pas rien puisque c’est la France. La guerre nous a unis dans une férocité commune : la haine de l’ennemi parce que, lui et moi, nous avons appris à le bien connaître, à ne rien oublier à cause de nos deux mémoires aussi cruelles que des mémoires d’historiens faisant un sort romanesque ou légendaire à tous les détails… ce que, naturellement, les défaitistes12, les antimilitaristes, les internationaux de mauvaise foi et les bons petits snobs de cénacles littéraires ne nous pardonneront jamais.
Il paraît que nous sommes ridicules tous les deux ! Dans l’époque singulière où nous finissons de vivre la nôtre rien, vraiment, ne peut nous faire plus de réclame qu’un bon ridicule… si j’en juge par les petits camarades… et pour nous la séance continue !
J’ai eu l’honneur de défendre Louis Dumur au Faubourg13 ; ce fut mon premier démêlé avec le grand public, toujours fanatisé par Léo Poldès14, cette si curieuse figure moderne qui a l’autorité d’un tribun tout en conservant à sa tribune la plus entière impartialité. Ce jour-là un beau jeune homme, devenu député depuis, tant à cause de sa réelle éloquence que pour sa jolie silhouette (les foules sont des femmes qu’on prend surtout par les apparences aimables), se mit en devoir de démolir Louis Dumur et, ma foi, il n’en laissa rien parce qu’il préparait son entrée dans le Parlement. J’ai remarqué que pour devenir un député socialiste on commence toujours par le communisme à tous crins, de même qu’un député socialiste quand il devient ministre finit par se découvrir nationaliste, forcément. Au Faubourg, on attaque d’un côté, mais de l’autre on permet la défense… et Léo Poldès qui a l’œil de l’aigle quand il s’agit de saisir le tremblement d’indignation d’une… souris, se précipita de toute sa hauteur sur moi en me demandant si j’avais quelque chose à dire, en français, pour la défense.
Alors, entre autres plaisanteries, presque gauloises, je déclarai ceci, aux gens qui me menaçaient de leur courroux : « Je préfère un Suisse qui fait bon Français au mauvais Français… qui fait Suisse ! » Ce n’était pas très sérieux, mais ça fit éclater la salle et je pus dire ensuite quelques autres vérités, un peu plus convenables.
Je détache d’un grand article de Blasco Ibáñez15 un paragraphe de sa préface de la traduction espagnole de Nach Paris ! : « Dumur a une grande supériorité sur les autres romanciers de la récente guerre. Il connaît l’allemand comme sa propre langue et il a beaucoup vécu en Allemagne où il a pu emmagasiner toute espèce d’observations conscientes et subconscientes sur la psychologie germanique. »
Moi je ne connais pas du tout l’Allemand, je n’ai donc pu le juger que par ses actes… mais ça m’a suffi pour le détester parce que je suis persuadé que chez lui la parole ne signifie rien.
Maintenant, je dirai mon goût particulier, dans l’œuvre de Louis Dumur, pour ses récits de jeunesse, d’une délicieuse fraîcheur de ton et d’une grande sensibilité poétique : les Trois demoiselles du père Maire, l’École du dimanche et le Centenaire de Jean-Jacques Rousseau16. Et, plus tard, le Coco de génie17, qui vint mettre à la grande lumière de la publicité le don satirique de l’auteur, cette manière de forcer la gaîté du lecteur par les raisonnements les plus imperturbablement graves sur un cas de folie.., beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense : l’art de plagier.
Puisque aussi bien j’en ai l’occasion, je citerai les dernières lignes de ce récit18, qui atteignent à la plus haute philosophie et à la meilleure des morales :
« Au fond, qu’est-ce que le génie ? Qu’est-ce que l’inspiration ? Qui sait si les hommes de génie ne sont pas des somnambules ? Les somnambules d’œuvres écrites de toute éternité existant déjà dans d’autres planètes ou dans d’autres mondes peut-être, que nous ne soupçonnons pas. Un philosophe n’a-t-il pas émis l’idée du retour éternel des choses ? Qui sait ? »
Hum ! Ce que je sais bien, moi, c’est que de tout temps il y eut les voleurs et les volés. Ça fait tout de même deux races !
10 Achevé d’imprimer le 28 avril 1930. Marges généreuses et interlignage fort. Les « hommes » en question sont au nombre de quinze : Alfred Vallette, Maurice Barrès, Willy, Jules Renard, Jean Lorrain, Albert Samain, Paul Verlaine, Jean de Tinan, Laurent Tailhade, Jean Moréas, Léon Bloy, Louis Dumur, Remy de Gourmont, Paul Léautaud et Léon Delafosse.
11 Nach Paris !, Albin Michel 1919, Payot 1920, 352 pages.
12 Rachilde reprend le titre du livre de Louis Dumur Les Défaitistes, paru chez Albin Michel en 1923 (442 pages).

13 Le Club du Faubourg, créé en 1927 et animé par Léo Poldès était complémentaire de la revue homonyme (politique, littérature, théâtre).
14 Léo Poldès (Léopold Szeszler, 1891-1970), journaliste et auteur dramatique, créateur, en septembre 1918, du mensuel Le Faubourg.
15 Vicente Blasco Ibáñez (1867-1928), écrivain, journaliste et homme politique espagnol anticlérical et républicain. Blasco Ibáñez est surtout connu pour ses romans Arènes sanglantes ou Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Blasco Ibáñez a quitté l’Espagne en 1925 pour vivre en France, où il est mort trois ans plus tard, à l’âge de 61 ans.
16 Rachilde cite ici ce que l’on nomme la trilogie genevoise, composée des Trois Demoiselles du Père Maire (Mercure 1909, 177 pages), Le Centenaire de Jean-Jacques (Mercure 1910, enrichi de 64 dessins par Gustave Wendt) et L’École du dimanche, dédié à Remy de Gourmont, Mercure 1911, 302 pages.
17 Un coco de Génie, Mercure 1902, 289 pages. Ce livre a été réédité par Tristram en avril 2010. Davantage de détails seront donnés sur ce curieux livre dans le texte de George Batault.
18 En fait l’avant-dernier paragraphe.
La Mort de Louis Dumur, par Alfred Vallette19
La mort de Louis Dumur, le 28 mars, c’est l’épilogue d’un drame qui nous afflige depuis de longs mois. Nous étions quelques-uns à savoir ce dont il n’eut la pleine conscience qu’en ses derniers moments, n’opposa au mal lentement progressif un courage, une énergie, une volonté de vivre sans exemple. Et qui a vu son visage farouche, alors que la mort donne aux traits une sérénité suprême, comprend qu’il ne se résigna point à la destinée, et qu’il expira en révolté contre ce que sa constitution robuste lui faisait considérer comme une injustice. Et puis il laissait son œuvre inachevée.
Sa famille, d’origine vaudoise, s’était fixée à Genève vers le milieu du siècle dernier. Il est né dans les environs de cette ville, à Chougny, commune de Vandœuvres, le 5 janvier 1863. Il fit ses études à Genève, et, après le baccalauréat, reçut pendant quelques mois l’enseignement de l’Université. Il avait entre-temps voyagé en Italie et fait deux séjours en Allemagne.
Il vint à Paris en 1883, prit son inscription à la Faculté des Lettres ; puis ce fût au Quartier Latin la vie des milieux littéraires de jeunes, les premières armes à Lutèce de Léo Trézenik20, au Chat noir21 de Salis, au Scapin de Louis Libaude22, et à différentes publications éphémères ; plus tard à la Plume de Léon Deschamps23, et à la seconde Pléiade24. Il devint, en 1888, précepteur en Russie, dans la famille du comte Warpakhovsky, dont le fils Martin, son élève, devait un jour entrer dans la garde de l’empereur. Il reparut en France en 1889, pour peu de semaines, et c’est alors que, vers la fin de l’année, notre groupe d’amis, dont neuf sur onze ne sont plus, fonda le Mercure de France, avec l’espoir de mener ce recueil de littérature (on n’osait le qualifier revue) jusqu’à son cinquième numéro… Mais il était reparti pour la Russie quand sortit le premier fascicule, le 25 décembre 1889, daté de janvier 1890. Il s’occupait passionnément à cette époque de prosodie, ayant imaginé de baser le rythme du vers français sur l’accent tonique. L’avant-propos d’une plaquette de vers publiée en Russie, La Néva, formule la règle de cette métrique. Et il nous envoya de Saint-Pétersbourg, daté du 28 avril 1890, un article À Propos de l’Accent tonique, qui fut inséré dans le numéro de juin suivant.
Je ne veux, en ce jour triste, qu’évoquer ces heures de jeunesse et fixer quelques traits de caractère de l’homme. Son œuvre considérable de poète, de romancier, de moraliste, d’auteur dramatique, a été rappelée par toute la presse. Nous reviendrons sur son activité, prodigieuse quand on sait les multiples travaux, parfois des besognes, qu’il assuma durant tant d’années dans notre laborieuse maison.
Très lettré, lisant plusieurs langues, Louis Dumur était ce qu’on a appelé un « esprit européen ». Mais sa curiosité universelle s’étendait au-delà de l’Europe ; rien ne lui était indifférent de ce qui se passait sur le globe, et avec sa droiture et sa conscience il souffrait et s’indignait de la sottise des peuples. On a dit qu’il aima la France comme sa patrie même : il l’aima jusqu’à ne point pardonner aux Français de l’administrer si mal.
Louis Dumur pratiqua plus que tout autre une vertu, aujourd’hui désuète, particulière à sa génération : le désintéressement, l’insouci de soi. Il était aussi généreux ; très peu de ses amis, même intimes, le soupçonnèrent et qu’il le fut jusqu’à la faiblesse ; mais sans doute préférait-il être dupe d’une fausse misère à risquer de ne point secourir une détresse authentique. Et encore, cet homme parfois bourru, d’aspect froid, sévère, de physionomie fermée, était serviable : ceux qu’il aida de son expérience, de ses avis, de ses relations, sont beaucoup, comme l’attestent tant de lettres venues ici depuis sa mort, où aux condoléances s’associent les sentiments de gratitude.
Sa vie simple, nombreuse, probe et sans ostentation est éteinte. C’est maintenant l’éternelle inertie sous un peu de terre de cette rive gauche de Paris que définitivement rentré en France il ne déserta jamais. Notre pensée sera souvent avec lui, en ce lieu paisible du cimetière Montparnasse où, avec sa famille venue de Genève, un long cortège d’amis anciens et nouveaux le conduisit par une frileuse journée de printemps, le 31 mars.
A. V.
Mercure de France du 15 avril 1933
19 Texte paru en ouverture du Mercure de France du 15 avril 1933.
20 Léo Trézenik (Léon Épinette, 1855-1902), poète, romancier et journaliste. La revue Lutèce a paru de 1883 à 1886.
21 Cette revue, créée par Rodolphe Salis (1851-1897), propriétaire du cabaret, devait assurer sa publicité. Elle parut de 1882 à 1897. Léon Bloy y aurait collaboré.
22 Louis Libaude (Louis Lormel, 1869-1922), marchand de tableaux et publiciste.
23 Le nom de Léon Deschamps (1863-1899, à 36 ans), romancier et poète, ne reste connu que grâce à cette revue, étendard du symbolisme.
24 Si l’on excepte une première Pléiade (un groupe de sept poètes du XVIe siècle (Ronsard, du Bellay…) qui ne furent pas édités sous ce nom, la première Pléiade éditée parut en 1886 pour sept numéros mensuels sous l’impulsion de Saint-Pol-Roux (Pierre-Paul Roux 1861-1940) avec Pierre Quillard, Stuart Merrill, René Ghil et André Fontainas, élèves du Lycée Condorcet où enseignait Stéphane Mallarmé. D’autres de cette génération (Éphraïm Mikhaël, Darzens…), que nous connaissons ici, les rejoignirent rapidement. La seconde Pléiade (il n’y a pas encore eu de troisième) fut en fait, en 1889 une résurgence de la première, sous la direction de Louis-Pilate de Brinn’Gaubast. Cette deuxième Pléiade qui parut sur cinq numéros, tous recueillant la signature de Louis Dumur et de plusieurs autres fondateurs du Mercure. Voir évidemment ici-même la page Le Mercure de France (1890). Il n’y a pas encore eu de troisième Pléiade dans la mesure où la prestigieuse collection que nous connaissons sous ce nom n’est pas une revue.
Page web publiée le quinze décembre 2020, mise à jour le 18 août 2022.