Mais les violettes étaient pour vous

Texte pour un acteur


Pour cette fin d’année un peu triste, Auguste Poulon nous offre un conte de Noël pas follement gai non plus mais qui va droit au cœur des léautaldiens.


Rencontre

En remontant le chemin qui conduit de la gare de Fontenay-aux-Roses à la maison de Paul Léautaud, je repense à toutes ces personnes qui ont suivi la même route que moi dans l’espoir d’être reçues par le vieil écrivain.

Cette route, il l’a parcourue lui aussi de nombreuses fois par tous les temps pour aller au Mercure de France ou bien pour revenir nourrir ses bêtes.

Me voilà arrivé devant le portail sur lequel Léautaud a accroché un petit panneau illisible. Avec précaution, je pousse la barrière de fer forgé qui menace de s’effondrer. J’entre dans le jardin. Peut-on encore appeler cela un jardin ? L’herbe a envahi l’allée principale et s’est frayée un chemin entre les dalles inégales qui devaient à l’origine guider le visiteur depuis la rue jusqu’au seuil de la maison. Les arbres ont poussé follement et forment une voûte au-dessus du tapis d’herbe. Cette cathédrale de verdure dissimule la maison comme pour préserver la solitude de l’homme qui l’habite.

Soudain, alors que je me suis arrêté afin d’observer l’incroyable jungle, j’entends un frémissement dans l’océan de bromes. À quelques mètres de moi, les longues pousses de fourrage qui atteignent par endroits un mètre de hauteur, remuent, comme frôlées par une main invisible. Ce n’est pas le vent, il n’y en a pas. Imaginez-vous un chasseur perdu en pleine savane et qui sent la présence inquiétante du fauve rôdant autour de lui. La chose semble se rapprocher. C’est peut-être ridicule mais mon cœur s’emballe. Tout à coup surgit au beau milieu de l’allée un petit chat gris. Ce dernier, comme fatigué par l’expédition qu’il vient d’accomplir, s’arrête et se met à lécher avec application sa patte avant de la passer derrière son oreille, répétant ce mouvement plusieurs fois. Un autre chat, jaillissant de nulle part, le rejoint d’un bond. Les deux bêtes se reniflent et, sans raison apparente, le petit chat assène au nouveau venu un puissant coup de patte.

Je contemple silencieusement cette charmante saynète lorsqu’une voix rauque et espiègle se fait entendre à l’autre bout du jardin : Je ne vous attendais pas si tôt mais le grincement de la grille m’a prévenu de votre arrivée. Vous voyez que j’ai encore l’ouïe fine pour mon âge. Comme je ne vous voyais pas arriver, j’ai pensé que vous vous étiez perdu dans les recoins de mon domaine. Un rire aigu résonne dans l’allée et je vois venir à moi, s’appuyant sur une canne, un tout petit homme affublé d’une chapka doublée de fourrure.

On est pourtant en plein été mais Léautaud — car c’est bien lui ! — ne se sépare plus de cette coiffe. Il est vêtu d’un grossier gilet dont certaines mailles sont défaites et d’où jaillissent, par endroits, des morceaux de laine décousus.

Nous pénétrons dans sa demeure.

Quelques années après la mort de l’écrivain, j’eus l’occasion de visiter sa chambre reconstituée au musée Carnavalet, avec son petit lit propret et ses cadres suspendus au mur avec grand soin. Permettez-moi de vous dire que cette représentation de l’intérieur de l’écrivain est bien loin de la vérité. Quand vous pénétrez dans cette maison, la première chose qui vous saisit, c’est l’odeur, une odeur âcre et rance, où se mêlent indistinctement les effluves des déjections félines et canines et les miasmes d’une crasse sordide. Léautaud ne semble pas gêné par ces émanations et il continue de marcher devant moi, suivi par toute une ribambelle de chats qui évoluent, au gré de leurs humeurs, dans cette immense maison devenue leur terrain de jeu. Certains sont nonchalamment allongés sur les rebords de fenêtre tandis que d’autres se sont installés sur les marches du vieil escalier. Au passage du maître, ils lèvent tous la tête et le regardent fixement, presque amoureusement.

Les murs sont abîmés et le papier peint, déchiré par endroits, laisse apparaître des plaques de plâtre dévorées par le salpêtre. Quelques lézardes courent sur les murs jusqu’au plafond.

Faites attention où vous marchez. En vous attendant, j’ai fait un peu de ménage, mais vous savez… Je suis heureux d’apprendre que la maison a été nettoyée. Léautaud monte les escaliers, sans préciser où il m’emmène. Arrivé sur le palier, nous entrons dans une petite pièce qui, apparemment, sert de pièce à vivre. Dans un coin se trouve un petit réchaud en émail. Quelques casseroles bosselées posées sur une petite table d’appoint. En face, près de la fenêtre, une longue table en bois recouverte de papiers disparates, noircis par une petite écriture quasi illisible et à moitié effacée. Un encrier trône au beau milieu du plateau.

Léautaud m’invite à m’asseoir et, sans même me proposer un rafraîchissement — aurais-je seulement accepté ? —, il me fait signe de commencer mon interrogatoire.

Voilà comment j’ai longtemps imaginé ma rencontre avec Léautaud. Elle n’a pas pu avoir lieu. J’ai manqué le rendez-vous. Je suis né avec quelques années de retard. Alors j’ai entamé un dialogue par-delà la mort. Une discussion où chacun de nous parle de soi, de l’autre. J’ai sûrement trahi en de nombreux endroits la pensée de celui que j’appelle désormais « mon cher Léautaud » et qu’il m’arrive, dans l’intimité, de tutoyer comme un grand-père que l’on aurait appris à aimer depuis l’enfance.

Je lui ai prêté ma voix mais c’est bien sa propre voix, écoutée durant de longues heures, qui a guidé mes mots. Mes yeux ont longuement fixé une dédicace tracée de sa main à l’orée d’un livre envoyé à une danseuse de cabaret afin de ressentir, dans un élan de communion sympathique, les mouvements de l’âme qui rédigea cette dédicace légère et enjouée « A Mademoiselle ***, qui doit s’y connaître bien mieux que moi pour les choses de l’amour ». Peut-être Léautaud pensait-il à sa mère ? Peut-être versa-t-il quelques larmes en écrivant ces lignes à cette femme, en ressassant tout le malheur qu’il eut en amour ?

J’ai emprunté à l’écrivain du Mercure certaines de ses paroles. Je les ai raboutées aux miennes en effaçant les coutures et les jointures. Ne reste que la voix d’un écrivain réincarnée par des mots qui ne sont jamais ni tout à fait les siens, ni tout à fait les miens. Le reste n’est que littérature.

Costume de Paul Léautaud, si l’on veut : un pantalon de flanelle large et mal taillé tenu par une vague ceinture usée à la taille, des souliers déformés mais propres, une chemise d’un blanc passé, un gilet en laine, une vieille robe de chambre sombre élimée aux manches et aux coudes. Les manches sont rabattues afin de s’ajuster aux bras du comédien. Une toque en homespun usée recouvrira par moments la tête. Une canne posée sur un coin de fauteuil dont le comédien ne se servira que rarement.

I. La mère

J’étais à peine né que ma mère me plantait là.

Je n’ai jamais su comment on devait aimer une maman. Je ne sais même pas ce que c’est que l’amour d’une mère.

Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que d’avoir grandi tout seul, de n’avoir jamais eu sa mère : on en garde pour toujours quelque chose de dur et de maladroit.

On a souvent dit de moi que je n’aimais pas les humains, et plus particulièrement les femmes. Que je leur préférais la compagnie d’un chat ou d’un chien. C’est vrai. Mais comment voulez-vous aimer quelqu’un lorsqu’on ne vous a jamais appris à aimer ? Les bêtes vous aiment sans condition. Mais les humains ? hein ?

Ma mère est partie. Elle a donné tout son amour à d’autres hommes, à d’autres enfants. Elle a oublié qu’à Paris, à des centaines de kilomètres d’elle, vivait son premier enfant. Et je me suis imaginé, durant des nuits entières, qu’elle était heureuse, qu’elle riait en buvant entourée d’étrangers…

Ça ne vaut rien.

(L’homme traverse la scène de part en part tentant tant bien que mal de ravaler son émotion.)

J’ai été mis au courant de la mort de ma mère par celle qui deviendra mon amante. Je lui avais attribué le doux nom de « Fléau ». Elle trouvait toujours le moyen de transformer nos rendez-vous en crise hystérique, me reprochant tantôt ma laideur, tantôt ma méchanceté, même ma stupidité. Chaque article que j’écrivais, chaque chronique que je publiais était une occasion de m’insulter, de m’humilier. J’étais le dernier des écrivains, un raté, incapable de vivre de sa plume.

Était-ce de l’amour ?

Je ne sais pas. Je ne l’ai jamais su.

Comme attiré, je cherchais en permanence à la revoir. Dès que je me retrouvais entouré de mes animaux dans ma froide maison de Fontenay-aux-Roses, une envie me prenait. Je voulais la tenir dans mes bras, la posséder, embrasser ses magnifiques seins bien conservés pour son âge, et je lui écrivais immédiatement un petit billet afin de la retrouver chez elle le lendemain. Son pauvre mari, le Bailli comme on l’appelait, devait bien se douter de quelque chose, mais lui qui se flattait de fréquenter le monde des lettres, se satisfaisait sûrement de savoir que le monde des lettres, en ma petite personne, visitait régulièrement sa femme.

Je me laisse aller. Je devais parler de ma mère.

Quelle ressemblance parfaite pourtant entre les deux, sous le rapport de la dureté, de la rancune, du silence obstiné, du mauvais souvenir toujours présent !

Je n’aurai pas eu de chance durant toute ma vie dans les choses de la tendresse et de l’amour. Je puis dire que ma vie n’aura été qu’une longue solitude morale.

C’est chez le Fléau, donc, que j’ai appris la mort de ma mère. Je me souviens encore de la date : vendredi 17 mars 1916.

Je venais ce matin-là donner à la Panthère — autre petit nom qui lui allait à merveille ! — des nouvelles de mon chien Castor. Oui, ce qui nous a unis, au début peut-être, c’était notre amour des bêtes !

J’avais amené, disais-je, mon chien Castor, la veille, chez le vieux Léon Bloy que j’avais rencontré à plusieurs reprises au Mercure. Si je n’ai jamais pu lire un seul de ses livres, totalement insensible que j’étais à ces propos de catholique désespéré et vulgaire, je n’ignorais pas en revanche qu’il aimait les animaux. Ne sachant plus quoi faire de ce pauvre Castor que j’avais pris chez moi un an auparavant en attendant de lui trouver une autre maison, j’avais décidé de le lui donner. Quand j’ai vu l’état du bonhomme, entouré de sa femme — et on comprend en la voyant qu’il ait écrit Le Désespéré — et de ses filles, j’ai immédiatement pensé qu’on ne tarderait pas à me rendre Castor. J’ai cru bon de préciser, dans un élan d’amour pour mon petit chien, que, s’il devait arriver quelque chose, on me le rendît. Il faut croire que j’ai porté la poisse à Bloy : il est mort quelques semaines plus tard. (Rire sonore). En attendant, j’étais content de venir annoncer cela au Fléau et à son cocu de mari. À peine étais-je entré dans l’appartement qu’elle me tendit le journal en me disant ces mots :

Savez-vous la nouvelle ?

J’ai eu envie de lui répondre qu’en termes de nouvelles, j’en apprenais une à peu près tous les quarts d’heure au Mercure de France, où je travaillais alors comme secrétaire de rédaction, mais je sentis à son ton et je vis dans ses yeux que quelque chose de grave était arrivé.

Je me contentais de répondre non.

Nous allions vous envoyer à l’instant, me dit-elle, notre bonne au Mercure. Elle devait vous porter Le Journal de Genève que nous avons reçu ce matin et qui est daté d’hier.

J’ai pris le journal.

Je savais déjà ce que j’allais y trouver. J’avais presque oublié depuis toutes ces années que ma mère s’était retirée dans ces terres romandes afin d’y construire une nouvelle vie, loin de son errance parisienne.

Journal de Genève, numéro du 16 mars 1916
La famille T… fait part du décès de Jeanne T… survenu le 15 mars 1916.

En lisant ces deux petites lignes, écrites en caractères minuscules, à la rubrique nécrologique, j’ai tout revu en un instant : ma jeunesse, l’histoire de notre entrevue à Calais, la correspondance qui suivit, la rupture qui la termina, le silence implacable, cruel qu’a conservé dès lors ma mère à mon égard. Et maintenant, en guise de conclusion, ces trois petits mots imprimés.

Décès de Jeanne T.

C’est de tout cela que j’aimerais vous parler.

Et d’elle, surtout.

Ma mère.

Ça n’intéresse personne, la vie d’un petit homme qui n’a jamais réussi à se faire une place dans le monde des lettres et qui ne laissera sûrement que des milliers de feuillets remplis de notes sur une vie littéraire qu’il s’est contenté d’observer sans oser y entrer.

Après tout.

II. Le fils

(L’homme se lève à nouveau et va dans un coin de la pièce. Il se roule une cigarette qu’il allume fébrilement.)

Je suis né le 18 janvier 1872, en plein hiver, au cœur de Paris. Mon père, Firmin Léautaud, exerçait alors le noble métier de souffleur au Français. On a, lorsque j’étais encore petit, déménagé plusieurs fois. À ma naissance, nous habitions au 13 rue des Martyrs, pas loin de Montmartre. Puis nous avons été rue Rodier avant de revenir au 21 rue des Martyrs. Je ne garde qu’un souvenir assez vague des deux premiers appartements. Je me souviens simplement qu’un jour, rue Rodier, nous avions rapporté du Bois de Boulogne, un petit lapin que j’élevais alors sur la terrasse.

Je n’ai jamais vraiment aimé l’école et je l’ai d’ailleurs rapidement abandonnée après mon certificat d’études. Je manquai souvent la classe. Je réussis même un jour à m’absenter pendant quinze jours d’affilée ! Les cours avaient été suspendus, le directeur avait perdu sa mère, le maître était malade… tout y passa. Et mon père me croyait. Il ne cherchait pas à connaître la vérité ! Et j’en profitais pour flâner. Mais un jour, pendant le déjeuner, on vint de l’école pour savoir les raisons de mon absence. Quelle raclée je reçus ! Je m’entends encore crier à mon père, qui me marchait presque dessus de colère : Pardon, papa, je ne le ferai plus !

Mais il tapait toujours.

Ah oui, je m’en souviens comme si c’était hier.

Ça m’a marqué. Dans tous les sens du terme.

J’ai moins le souvenir de marques d’affection, mais il devait quand même m’aimer pour supporter seul la garde d’un fils un peu turbulent. Je ne le voyais pas beaucoup à vrai dire. Qui aurait pu cacher à un père un peu attentif qu’il faisait l’école buissonnière pendant quinze jours !

Il avait un certain succès auprès des femmes. J’ai dû le décevoir de ce côté-là… Il n’était pas très grand mais avait une certaine prestance et portait fièrement la moustache, tel un grenadier des armées napoléoniennes. C’était la mode à cette époque. Il lui arrivait régulièrement de rentrer le soir avec une nouvelle conquête. Ma mère avait été une de ces femmes ; elle avait simplement réussi à le supporter quelques mois tandis que la plupart des femmes rencontrées ne restaient que quelques jours.

Mon père avait embauché une femme de chambre pour s’occuper de moi, Marie Pezé, ma « chère maman » comme je l’appelais alors. Je ne couchais pas à la maison paternelle, mais chez Marie, rue Clauzel, à quelques pas de la rue des Martyrs. Je revois parfaitement la petite chambre mansardée qu’elle occupait au sixième étage, dans cette grande maison qui porte le no 14 de la rue que nous regagnions chaque soir vers les neuf heures et demie. On appelle ça aujourd’hui des chambres de bonne, je crois.

C’était une petite pièce avec un grand lit, un petit fauteuil et ma table d’enfant. J’entends encore les poignées de cuivre de la commode retombant sur le bois et faisant ce petit claquement si particulier. Il n’y avait rien dans cette chambre, si ce n’est beaucoup d’amour. Comme j’y étais bien, et quelles heures tranquilles j’y ai vécues, bien plus heureux que dans les appartements paternels. La seule chose qui me fatiguait, c’était ces grands escaliers qu’il me fallait grimper. Mais il suffisait que je demande à ma chère Marie de me porter, et aussitôt, elle me prenait dans ses gros et grands bras aimants. Je me laissais emporter dans un tourbillon de tissus et de parfums au dernier étage de cet immeuble, qui me semblait être le paradis.

Avec mon père, il me fallait marcher, où qu’on aille. Je ne devais pas marquer de signe de fatigue sous peine de me faire traiter de mauviette.

Il y avait d’autres femmes qui m’intéressaient à cette époque-là.

Même si je ne saisissais pas véritablement les raisons de leur présence continuelle dans la rue, elles me fascinaient. Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi ma bonne Marie me faisait accélérer le pas lorsque nous passions à côté d’elles pour nous rendre rue Clauzel. J’allais souvent me planter devant la vitrine du changeur où s’étalaient des monnaies, des coupons périmés et des assignats des siècles passés. Mais je me moquais pas mal de tout ça. Ce qui me fascinait, c’était ces femmes maquillées que j’apercevais dans le reflet de la vitrine, habillées de couleurs vives. Je voyais bien qu’elles abordaient les messieurs d’une manière confidentielle, mais je ne me doutais pas de ce qu’elles pouvaient leur dire.

J’imaginais qu’elles leur demandaient des renseignements, ou qu’elles leur proposaient des marchandises qu’elles auraient dissimulées dans les maisons alentour. Certains passaient leur chemin, l’air outré, sans même leur répondre. D’autres, au contraire, se laissaient souffler quelques mots à l’oreille avant de disparaître par une porte dérobée.

Il faut croire que Marie avait compris ma tactique car, par la suite, à chaque fois que nous arrivions à la vitrine du changeur, elle accélérait le pas en me disant que nous étions pressés.

Il y avait Loulou aussi.

Elle vivait au quatrième étage dans la maison de Marie. Elle était très gentille avec moi. On s’arrêtait parfois chez elle pour bavarder, mais le plus souvent nous la croisions à l’angle de la rue, faisant des allers et venues sur le trottoir. Je me précipitais vers elle en criant : Loulou ! Loulou ! Je veux embrasser Loulou ! Marie avait beau me retenir par le bras, et Loulou faire semblant de ne pas me voir, il fallait bien qu’elle s’arrêtât pour me faire un baiser. Marie me récupérait alors en me grondant et, en m’en allant, tiré par le bras, je me retournais pour regarder Loulou qui recommençait à se promener d’un même pas agile : Qu’est-ce qu’elle a donc à marcher comme ça ? je me demandais On la fait bien attendre ! 

(L’homme s’arrête un instant, comme plongé dans ses pensées. Il regarde dans le vide et rallume un moignon de cigarette.)

Mais toutes ces femmes ne remplaçaient pas ma mère.

Elle venait parfois me voir lorsqu’elle était de passage à Paris.

Je ne garde de ces visites qu’un souvenir fugace et bien vite effacé.

Deux de ses visites sont pourtant restées dans ma mémoire. Je devais avoir à peine sept ans lors de la première. Mon père m’avait prévenu que ma mère passerait dans la journée pour nous rendre visite. J’avais dû la voir deux fois depuis ma naissance. Elle vint déjeuner. Je ne reconnaissais évidemment pas cette dame qui me paraissait très familière avec mon père.

Nous décidons d’aller nous promener l’après-midi et ils m’emmènent aux chevaux de bois, en me faisant promettre de ne pas en bouger tant qu’ils ne seraient pas revenus. Ils partent donc bras dessus bras dessous.

Ils ne revinrent qu’à la tombée de la nuit.

Je les attendais sur un banc, transi.

Ils m’avaient oublié.

La deuxième fois, ce fut dans cette maison meublée de la rue Laferrière où elle avait loué une chambre pour la durée de son séjour à Paris (elle habitait alors à Genève). Je me rendis donc de bon matin dans cet hôtel. Je devais avoir neuf ans à peine. On m’indiqua une chambre au premier étage. Je la trouvai encore couchée, le buste un peu dressé, les cheveux défaits légèrement, les bras nus dehors, et la gorge aussi un peu nue, à cause de la chemise qui avait glissé… Elle me dit de venir près d’elle, qu’elle m’embrasse. Elle me prit la tête dans ses mains, l’attira sur sa poitrine, et pendant un instant m’embrassa comme un enfant…

Comme un enfant.

Moi, étourdi par le parfum capiteux qui se dégageait de ses bras, de ses draps, de cette chemise entrouverte, je n’étais déjà plus son enfant. Tout cela sentait trop la légèreté, la coquetterie, l’amour sans importance. Elle bondissait à travers la chambre en s’habillant tout en me parlant. Ah ! la jolie maman que c’était, je vous assure, et souple, et vive, et gracieuse.

Elle disparut.

Je ne la revis plus.

Son nom, son visage s’effaçait. Mon père ne l’évoquait que très rarement et ce nom de « Jeanne Forestier » n’était plus qu’un vague souvenir. Et puis, un jour, une lettre de ma grand-mère m’annonçant que ma tante Fanny était sur le point de mourir.

Je ne vous ai pas parlé de Fanny.

Mon père l’avait séduite avant ma mère et l’avait placée dans son lit. Ayant rencontré ma mère, il ne vit pas d’inconvénient à faire une petite place à la sœur cadette dans le lit conjugal. C’est ainsi qu’il séduisit à la fois ma tante et ma mère. Ma grand-mère ne lui a jamais pardonné d’avoir déshonoré ses deux filles. La lettre qui annonçait que ma tante Fanny agonisait m’était donc adressée en personne. Hors de question que mon père vienne à Calais ! Il n’en avait d’ailleurs aucune envie.

III. L’Amante

Je me rendis donc à Calais en 1901. Je fus accueilli par ma grand-mère que je voyais là pour la première fois. Ma mère arriva quelque temps après.

C’était un jeudi.

Je venais de raccompagner une visiteuse et j’entendis des pas dans l’escalier et des bruits de discussions. Je rouvris la porte que je venais de fermer et je regardai par-dessus la rampe.

Elle était là.

Elle montait doucement l’escalier en prenant appui sur la rampe. Un profil aigu et pâle sous des frisures très brunes, cette voix chaude et scandée, cette allure rapide et souple.

Je rentrai en laissant la porte entrouverte, prévins ma grand-mère et m’enfermai dans ma chambre. J’étais comme l’enfant qui, entendant ses parents, qu’il a attendus durant de longues heures dans son grand lit froid, revenir de soirée, écoute, le cœur battant, le bruit des pas qui se rapprochent et guette la poignée de la porte.

J’étais, là, seul, dans cette petite chambre.

Je savais que ma mère devait passer par cette pièce pour se rendre dans la cuisine. Elle devait avoir faim.

J’attendais sur le lit.

De l’autre côté de la porte, des bruits de voix, celle de ma grand-mère, lente et fatiguée, si peu familière, celle de ma mère — j’ai du mal à dire ce mot — vive et impatiente, parlant de maison, de bonnes, d’enfants — étais-je seulement dans ses pensées, lorsqu’elle prononçait ce mot ? — de mari.

Soudain, la porte qui s’ouvre.

Ma grand-mère surgit tout en continuant à parler, la tête tournée vers la pièce qu’elle vient de quitter, à ma mère.

Ma mère.

Elle était là.

Je me levai du lit. Ne se doutant pas que quelqu’un fût là, elle s’arrêta, me fixa : Bonjour, Monsieur.

Ce furent là les premiers mots de ma mère.

Bonjour, Monsieur.

Avec une légère pause après le « bonjour ».

Alors évidemment, je répondis, la tête baissée et d’une voix sourde, presque éteinte Bonjour, Madame. Une seconde, à peine, elle était déjà passée. Elle ne m’avait pas reconnu. Moi le fruit de ses entrailles, elle m’avait salué comme un inconnu qu’on croise par hasard dans la rue et auquel on rend son salut.

Est-ce bête ?

J’entendis à nouveau ma mère et ma grand-mère discuter dans la cuisine. Ma mère cherchait à savoir qui était ce jeune homme.

Mais elle savait.

Ma grand-mère m’avoua quelque temps après qu’elle lui avait dit qui j’étais dès son arrivée. Et pourtant, elle ne cessa de jouer la comédie. C’est ce qu’elle savait faire de mieux.

Nous nous sommes rapprochés alors que nous veillions ma tante. Ce fut elle qui rompit la glace : Écoutez, Paul, je sais qui vous êtes…

Et ce furent alors beaucoup de paroles échangées à voix basse, des choses de très loin, des choses de sa jeunesse, de ses premières amours. Je la contemplais, éclairée par le feu tremblant de quelque bougie en fin de course.

Elle était belle.

C’est vrai qu’elle était jeune encore. Penchée vers moi comme une infidèle pressée d’être absoute, elle voulait m’expliquer sa fuite, son silence. Je l’écoutais distraitement et pendant qu’elle tachait de devenir mère, j’aimais la femme.

Rompue de fatigue, elle voulut aller se coucher. Je me proposai de l’accompagner. Arrivés dans la chambre, quelle étreinte ce fut, à peine la porte poussée. Mon chéri ! me disait-elle en m’embrassant. Et je l’appelais Maman en lui rendant ses baisers. C’était si nouveau pour moi de l’embrasser, quelque chose d’inconnu. Je ne me souvenais que des bras aimants de Marie qui m’enlaçaient tendrement mais rien ne remplace les bras d’une mère.

Et il faudra m’écrire et me dire maman, et me tutoyer. Je te donnerai mon adresse, et je t’écrirai aussi.

Après un dernier baiser, je la quittai à regret. Je devais regagner ma chambre d’hôtel. Je traversai les rues comme un amoureux hagard auquel une femme désirée a enfin daigné répondre. La vision de sa chevelure brune tombant sur ses épaules tandis qu’elle se penchait sur le lit pour arranger la couverture occupait mon esprit et, sans savoir comment j’étais arrivé là, je me retrouvais dans ma chambre froide et sombre.

Le lendemain, tout alla très vite.

Lorsque j’arrivais chez ma grand-mère, j’appris que ma chère tante Fanny était morte une heure auparavant. Pris par mes amours, je l’avais presque oubliée. J’allais dans sa chambre.

Elle était là, étendue et froide.

On n’avait pas encore rabattu le catafalque sur son pauvre visage. Elle avait l’air, à présent, d’une énorme petite fille jaune, ridicule et bouffie. Pauvre tante Fanny !

Ma mère arriva dans la chambre. On échangea un regard de commisération et nos mains se frôlèrent. Ah cette main volage et tiède, comme j’aurais aimé la recouvrir de mille baisers.

Mais Fanny était là, qui veillait de son œil vitreux. Pendant que ma mère s’affairait auprès de sa sœur, j’allais dans sa chambre.

Toutes ses affaires étaient là, étalées devant mes yeux. Une parcelle de vie offerte à ma vue. Je fouillais dans son sac, respirais son eau de toilette de chez Houbigant, volais une de ses petites épingles à cheveux et l’emportais comme un précieux trophée dans ma poche de veston. La croisant dans le couloir, elle me glissa à l’oreille Embrasse-moi vite, nous sommes seuls !

Et c’était des Paul, des mon enfant, des mon chéri à n’en plus finir.

Et moi je ne voulais plus qu’une chose : l’enlacer et l’aimer, comme on aime une mère, comme on adore une femme.

Le lendemain eurent lieu les funérailles de ma tante. Une messe seulement. Trois gouttes d’eau bénite sur le cercueil et le tour était joué. L’inhumation devait avoir lieu à Paris et j’étais chargé du rapatriement du corps. Quand la cérémonie fut finie, nous rentrâmes à la maison. Dois-je l’avouer ? Pas une minute depuis la levée du corps jusqu’au scellement du fourgon, à la gare, je ne pensai à la morte… Je devais repartir le soir même à Paris avec le corps de ma tante. Mais seul le corps chaud et vivant de ma mère occupait mes pensées. Je redoutais la séparation.

Pourrais-je la revoir un jour ?

Elle devait prendre un train pour Genève depuis Paris le lendemain. Il fut convenu que nous nous verrions le lendemain à la Gare du Nord. Son train de Calais arrivait à six heures du soir. Celui de Genève, qui devait partir de la Gare de Lyon, n’était qu’à huit heures cinquante. Cela nous laissait amplement le temps de souper, une dernière fois, à la Gare du Nord.

Je quittai Calais le soir même au train de six heures. Le cercueil de ma tante était dans un des wagons. Le train roula toute la nuit mais mon cœur était encore à Calais, dans la petite chambre de ma mère. Je l’imaginais, étendue dans son lit, rêvant de son « petit Paul ».

Je vous passe toutes les formalités à accomplir en arrivant le matin à Paris. À huit heures le corps était en route pour le cimetière. À dix heures le caveau était fermé. Je m’en retournai chez moi et ne pus, malgré l’épouvantable nuit passé dans le train, dormir un seul instant. Tout mon esprit était tendu vers ce seul but : accueillir ma mère à son arrivée à la Gare du Nord.

À six heures.

Je pars avec une heure d’avance, m’arrête acheter un petit bouquet de violettes et vais me poster au bout du quai. En attendant, je lis les affiches, fais des va-et-vient, m’assoie sur un chariot à bagages, me relève. Je m’agite. À six heures, je guette l’arrivée de son train. Mais aucun train n’est annoncé.

Rien.

L’aurais-je manqué ? Je cours d’employé en employé pour leur demander des renseignements. Ils me regardent tous l’air béat. Je m’emporte.

Mais rien.

Pas de Train. Après deux heures d’attente, je décide de courir chez moi. Peut-être m’aura-t-elle fait parvenir une dépêche ? « Pardon, mon chéri, j’ai dû retarder mon départ pour régler des affaires », « Mon pauvre petit Paul, je suis désolée, je ne peux rester ».

Mais rien chez moi.

Je redescends les escaliers quatre à quatre et cours à la Gare de Lyon. Son train doit partir à huit heures cinquante. Il est huit heures trente-cinq.

On m’indique le train pour Genève. Je me précipite sur le quai. Mes violettes, qui commençaient à flétrir, et que j’avais fourrées dans la poche de mon manteau, pendouillaient lamentablement en se balançant au rythme de ma course effrénée.

Je l’aperçois.

Elle est là, accoudée à la portière de son wagon, regardant nonchalamment sur le quai si quelqu’un vient.

Eh bien mon garçon, qu’y a-t-il ?

Comment cela Qu’y a-t-il ?

J’aurais voulu lui faire mille reproches, l’humilier publiquement, cette mère indigne qui abandonnait une seconde fois son fils. J’aurais voulu tout lui lancer au visage. Mais, secoué par l’émotion et envahi d’une tendresse infinie, je m’assis et pleurai. Oui, je pleurais comme un enfant.

C’est ridicule.

Ridicule.

Elle est là, face à moi. Elle me tapote gentiment sur la cuisse en me disant que ce n’est rien, que ce n’est qu’un rendez-vous manqué, qu’il y en aura d’autres. Et moi, je fixe cette main aux phalanges effilées, à la peau douce comme peut l’être la peau d’une maman, comme l’est la peau d’une femme qu’on aime.

Je l’aime.

Enfin.

On ferme les portières. Des coups de sifflet retentissent. Le train va partir. Elle est là face à moi. Elle m’embrasse une fois, une seule fois. Je dépose maladroitement le bouquet de violettes presque fanées sur la banquette et je descends.

Ce fut la dernière fois que je la vis.

IV. Le silence

(L’homme se tient pendant quelques minutes assis en silence, sans bouger. Il attrape un paquet de lettres déposé là, à côté de lui, les feuillette un instant, puis les repose.)

Nous nous sommes écrits pendant quelques mois. Je lui ai envoyé une première lettre désespérée dès le lendemain de son départ. Elle m’a répondu, la garce. Elle m’a lancé des appels du pied. Que pouvais-je faire, moi ? Cette mère que je ne connaissais pas, je lui ai répondu. Elle me disait qu’elle ne m’avait jamais oublié, que j’étais son fils, son cher fils. Qu’elle m’aimait d’un amour tendre. Alors je me suis confié. Je lui ai offert mon amour, cet amour dont je ne savais que faire et que je ne parvenais pas à nommer.

Pouvait-elle redevenir ma mère, celle que je n’ai connue qu’à l’âge d’homme ? Pouvait-on reconstruire ce lien que les années avaient distendu ? Avait-il seulement existé ?

Je ne sais pas.

L’amour que je lui confiais, elle s’en est saisi pour le détruire aussitôt. D’abord par méfiance, ensuite par méchanceté. Ce que je désirais par-dessus tout, c’était de ne pas la perdre à nouveau, maintenant que j’avais eu ce bonheur de la retrouver. C’était de pouvoir continuer à l’aimer quel que soit le nom que l’on donnât à cet amour.

Mais ça encore, c’était trop.

Lettre de ma mère, datée du 7 janvier 1902.

Mon cher Paul, je veux profiter de ce que ma tête va relativement mieux pour causer sérieusement avec toi. Je suis vraiment fâchée, mon cher enfant que ta sensibilité te fasse toujours interpréter les choses autrement qu’elles ne sont dites et correspondre avec toi est vraiment difficile avec la déplorable habitude que tu as de lire entre les lignes des choses qui n’existent pas. Nous ne nous connaissons pas et nous avons tous deux fait fausse route. Tes premières lettres étaient toutes de reproches et de suspicion, ton affection dans d’autres était dépeinte dans de tels termes que je me suis vue forcée de le faire remarquer, et voilà qu’à présent tu recommences après t’être torturé l’esprit pour défigurer tout ce que je te dis ! Donc mon cher Paul, après une décision sur laquelle je ne reviendrai pas, je te prie de me renvoyer toutes mes lettres, y compris celle-ci. J’ai déjà détruit toutes les tiennes. Que veux-tu, nous nous sommes trompés ! moi en employant sans songer que je ne t’ai pas élevé, des expressions de tendresse que peut employer une mère, et toi ne sachant pas les interpréter. Mon cher Paul, fais ce que je te demande si tu veux m’être agréable et reçois un très affectueux baiser de ta mère. Jeanne.

Je refusais de renvoyer les lettres. Elle se fendit d’un dernier petit mot. Ce qui me fit le plus de mal, c’est que le « vous » avait remplacé le « tu ». Nous redevenions deux étrangers, une fois encore.

Puis le silence.

Elle rompit tout commerce. Nous étions en mars 1902.

Je lui ai écrit encore. Chaque année. En 1903, en 1904, en 1905, en 1906, en 1907. « Mère inoubliée, Votre silence, votre oubli à mon égard va sans cesse. Encore une année d’écoulée sans que j’aie reçu de vous le moindre mot, le moindre signe de vie. Comment allez-vous, comment vivez-vous, quelles sont vos pensées ; je suis là bien souvent, assis des heures chez moi, à y rêver de toute ma rêverie. »

C’est ridicule.

Ce que j’étais naïf…

C’est bête, hein.

(Un long temps)

Ma mère ?

Je m’en fous.

Vous savez, un de mes camarades en littérature m’a raconté ceci. Il a perdu sa mère quand il était encore enfant. Une maladie foudroyante. Eh bien, il lui arrive encore de faire ce cauchemar étrange et pénétrant, comme dit l’autre : il imagine que sa mère vit toujours, ailleurs, loin de lui, mais qu’elle a rompu tout lien et qu’elle vit une autre vie, avec d’autres enfants. Il se réveille alors en sursaut et est presque soulagé de se rendre compte que sa mère est vraiment morte.

Moi, j’ai vécu ce cauchemar.

C’est une douleur qui ne passe pas. Elle revient toujours, lancinante, sournoise. On se repasse sans cesse le fil des événements. On se dit qu’on aurait pu agir autrement, qu’on aurait dû agir autrement. Mais ça finit toujours par des pleurs. Quoi ? Qu’est-ce ?

Une femme !

Une femme !

Et il y en a des milliers d’autres ! Et on ne tient qu’à une ! Une seule compte ! Bêtise. Illusion. On doit toujours se résigner en amour à des « à peu près ».

(L’homme fait silence quelque temps comme absorbé dans ses pensées ; il fait mine de se lever, puis se rassoit.)

Ah tiens j’y pense ! Je vous ai raconté ce tour que j’ai joué à ce pauvre vieux Verlaine ? Un jour, je l’aperçois à la terrasse d’un café. Le café Mahieu, peut-être, à l’angle du Boul’mich. Il avait les yeux baissés, comme un chien battu, et semblait contempler la fée verte avec amour au fond de son verre. Depuis l’autre côté de la rue, je lui fis porter par un petit coursier qui passait par là un bouquet de violettes. Le vieux les reçut. Hagard et un peu perdu, il chercha autour de lui une femme qui aurait pu lui faire ce don.

Un bouquet de violettes !

(L’homme se lève et sort dans un éclat de rire.)

VOIX d’HOMME ou de FEMME

Après la mort de Paul Léautaud, le 22 février 1956, on trouva au fond d’un tiroir de son bureau une petite boîte métallique qui visiblement n’avait pas été ouverte depuis des dizaines d’années. Elle contenait quelques tiges et corolles desséchées, munie d’une étiquette portant ces mots : Fleurs envoyées par ma mère le 13 novembre 1901.