II. Le Journal de Paul Léautaud dans La NRF
1942 1943 Les Cahiers de la Pléiade Notes
Samedi 19 Juillet
Je me suis mis, tantôt, à chercher dans mon Journal (année 1924) la matière de la première dizaine de pages que je dois donner à Drieu la Rochelle pour la N.R.F. Je suis bien désenchanté de tout ce que j’ai retrouvé. Même attristé. Je crois bien que c’est moi qui ai raison en disant qu’on s’exagère bien les choses, en parlant de mon Journal comme on le fait. J’ai bien peur qu’à ne prendre que les passages vraiment intéressants, cela ne fasse pas gros. C’est, de plus, bien souvent, écrit bien longuement.
Dimanche 20 Juillet
Il m’est venu ce matin l’idée de faire une seconde dizaine de pages Journal pour Drieu la Rochelle, de façon à être tranquille à ce sujet pendant quelque temps. Toujours année 1924. J’ai trouvé deux longs morceaux intéressants, bien écrits, sans longueur : la mort du Bailli92 (le mari du fléau, c’est peut-être un peu vif de ma part de le publier, mais je saute par là-dessus) et un morceau sur Gourmont. Toute cette année 1924 est remplie de mes relations avec le fléau. Ce n’est pas d’un grand intérêt. Que diable ai-je noté tout cela !
Mardi 22 Juillet
Porté à la N.R.F. pour Drieu la Rochelle mes deux fois une dizaine de pages de la revue, de mon Journal. Il est en vacances, jusqu’à fin août. C’était bien la peine que je fasse si tôt ce travail. Il m’a été assuré qu’on va le mettre au courant.
Vendredi 8 Août
Avant-hier, je suis allé à la N.R.F. acheter un volume de la Pléiade. Je me suis trouvé avec Paulhan. Il m’a reparlé du désir de Gallimard de faire la réédition du Petit Ami. Je lui ai répondu que je ne dis pas non et que je pense que je pourrais écrire en une quinzaine de jours (soirées), et les pages à arranger et les ajoutés. Ce soir, à 5 heures, lettre de Gallimard, qui considère la chose faite, me remercie pour le plaisir qu’il en a et me dit qu’il y a dès maintenant à la N.R.F. 12 000 francs comme acompte sur un traité et que je peux aller les prendre. Il va un peu vite.
[…]
Je n’en ai pas moins écrit ce soir quelques pages du nouveau Petit Ami.
Lundi 1er Septembre
J’avais à acheter pour M. D. des volumes à la N.R.F. (les 3 vol. de Sodome et Gomorrhe93 de Proust, pour des gens de sa maison). Je suis monté voir si on avait des nouvelles à me donner des deux fragments de mon Journal que j’ai donnés pour la revue. J’ai vu M. Festy94, je crois. Drieu rentré. Viendra probablement aujourd’hui. Il lui en parlera. Je puis y compter. « Drieu attache un trop grand prix à votre Journal. Comme Gallimard… » Toute la maison est décidément au courant.
Lundi 8 Septembre
Au Mercure, lettre de remerciements, avec luxe de compliments, de Drieu la Rochelle, pour les deux portions de Journal que je lui ai déposées pour la N.R.F. Très intéressé par tout le morceau Gourmont, qu’il a beaucoup admiré quand il était jeune. « Je lui garde beaucoup de reconnaissance et une estime que je voudrais moins mêlée que la vôtre, mais qui, hélas ! l’est autant. » Gourmont reste néanmoins pour lui « un homme de qualité très fine et très rare » qu’il voudrait voir redresser un peu dans la revue. « C’est déjà beaucoup que vous rameniez l’attention sur lui, par vos chemins si plaisants et si humains. »
Le morceau sur Gourmont que je lui ai donné est en effet très intéressant. Il ne m’apprend rien.
J’ai répondu à sa lettre.
Il n’y a qu’une chose qui me surprend dans sa lettre, le mot : humain. Il la termine en me disant : « Je vous trouve très humain. »
Que diable entend-il par ce mot devenu à la mode aujourd’hui, — le comique, c’est que je l’ai écrit, moi aussi, dans ma réponse. Il faudra que je le lui demande, quand je le verrai.
Jeudi 18 Septembre
Vu Drieu la Rochelle, tantôt à la N.R.F. Il me renouvelle son contentement de publier le passage de mon Journal sur Gourmont, déplorant qu’il soit si oublié actuellement, mais certain qu’on le redécouvrira un jour. Il me dit qu’il le lisait avec volupté d’esprit quand il n’était encore qu’un tout jeune homme.
Il me parle de Gide : « Quant à Gide. Hé ! hé ! il m’envoie de petits billets doucereux, complimenteurs, sans dire grand-chose…
Il hausse les épaules, fait d’une main le geste de quelque chose d’ondoyant, de sinueux. Il me raconte que Gide, après avoir écrit sur Chardonne cet article féroce dans Le Figaro95, l’accable maintenant de lettres admiratives, lui disant qu’il aurait voulu reproduire bien des passages de son récit. Il a un petit sourire de moqueuse pitié.
[…]
Je lui ai demandé aussi s’il est dans ses intentions de continuer à publier des morceaux de mon Journal ? Réponse : « Certainement. » Il s’est plaint du peu de pages de la N.R.F. Il faudrait une autre revue littéraire. Il ne peut publier tout ce qu’on lui apporte. Il me donne à entendre, avec un mouvement des deux mains, qu’il a des manuscrits haut comme cela. Je lui dis en riant : « Vous allez vous faire bien des ennemis. — Vous aussi, vous avez beaucoup d’ennemis ? Je pense que ça vous est égal ? » Je lui en donne la preuve en me mettant à rire. « Vous avez aussi des gens qui aiment beaucoup ce que vous faites. — Moquez-vous aussi des ennemis. Les ennemis ?… C’est la santé. »
Lundi 22 Septembre
René Trintzius96 fait depuis quelques jours le service de presse d’un roman : Les Clés du désordre, […]. [Il] me demande si je veux bien lui permettre de m’offrir un exemplaire de son roman. Je l’en remercie. Il m’écrit quelques mots d’envoi et me le donne. Je lui dis : « Alors, vous avez changé d’éditeur97 ? — Il faut bien de temps en temps changer d’éditeur », puis m’explique que la N.R.F. est une maison impossible, qu’il est impossible d’y avoir des comptes de qui que ce soit, que si on en obtient il n’y a jamais accord entre ce qu’ils portent et ce qu’on vous explique, que même dans la maison personne ne peut s’y reconnaître, tant il y règne de désordre, etc., etc. Je lui demande, s’il n’y a pas d’indiscrétion de ma part, quel genre de traité il a avec la N.R.F. Sans doute un traité : règlement des exemplaires vendus à chaque inventaire annuel. Il me répond que c’est en effet le traité qu’il a. Je ne m’étonne plus et je lui dis que ce genre de traité est l’étranglement des auteurs. J’ajoute que, si cela peut le consoler, le pontife de la N.R.F., — il devine tout de suite que c’est Gide (je ne lui ai pas dit le propos de Gide à ce sujet : « J’ai 3 volumes au Mercure et tout le reste de mon œuvre à la N.R.F. et les 3 volumes du Mercure me rapportent plus que le reste de mon œuvre à la N.R.F.), — est logé à la même enseigne que lui. Il me raconte une histoire de Pierre Hamp, ami d’enfance de Gallimard, mais comme auteur pas mieux traité que les autres.
∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ Une ligne de points. ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
Le 26 septembre, Paul Léautaud se fait renvoyer du Mercure avec effet le trente.
À Pierre Drieu la Rochelle
Samedi 27 septembre 1941
Cher Monsieur,
Vous me rendrez un service moral en publiant, sans trop attendre, s’il vous est possible, la première portion de mon Journal (celle du morceau Gourmont, comme vous le désirez98). Je viens d’être liquidé de la façon la plus grossière, la plus injurieuse, sans autre motif exprimé que le désir de ne plus me voir, de mon emploi au Mercure. Après trente-trois ans de présence et quarante-cinq de collaboration à la revue.
Cordialement à vous.
P. Léautaud
Le quatre octobre, Drieu la Rochelle se rend en Allemagne jusqu’au trois novembre sur invitation de Joseph Goebbels, en compagnie d’Abel Bonard, Robert Brasillach, Jacques Chardonne, Ramón Fernández, André Fraigneau et Marcel Jouhandeau. Ils sont accompagnés par Gerhard Heller.
Lundi 10 Novembre
Passé […] à la N.R.F., pour voir Drieu la Rochelle. Il m’avait promis de me faire passer le fragment de Journal sur Gourmont dans le numéro de décembre et je n’ai pas encore d’épreuves.
Je le trouve dans son bureau avec la sœur de Boudot-Lamotte99, en train de taper à la machine sous sa dictée.
[…]
Quant à mon fragment de Journal Gourmont : il a été assailli par des manuscrits de gens dont ledit manuscrit100 faisait partie d’un livre à paraître le mois prochain et qui l’ont supplié… Mon fragment de Journal sera pour le numéro de février et il va faire composer et m’envoyer des épreuves dès maintenant.
Je lui ai demandé s’il ne pourrait pas me faire avoir du charbon par les Allemands. Rien à faire. Il n’a pu lui-même en obtenir pour une parente malade.
Il me dit : « Vous avez su ce que Gallimard voulait faire pour vous ? (À la suite de mon renvoi du Mercure.) Qu’est-ce que vous en pensez ? » Je lui réponds que je ne suis pas du tout disposé à redevenir employé à mon âge, que j’ai à travailler pour Gallimard et que j’aime mieux avoir ma liberté. Il me dit : « Mais ce n’est pas cela du tout. Gallimard voulait vous offrir de faire pour vous de petites brochures, comme il a fait autrefois pour Suarès. »
Je ne me rappelle pas du tout ce que c’était. En tout cas, je ne suis pas l’homme de cela.
Jeudi 27 Novembre
Été ensuite à la N.R.F. pour voir Drieu la Rochelle, au sujet de mon fragment de Journal, dont il devait, à ma dernière visite, m’envoyer les épreuves, que je n’ai pas vu venir. Il était 4 heures et demie. Pas arrivé. Il est arrivé à 5 heures moins dix. Des gens l’attendaient aussi. Heureusement, j’étais le premier. Nous sommes entrés dans son bureau. Un jeune homme, qu’il m’a présenté et dont j’ai mal entendu le nom, était entré avec nous. Je me suis permis de dire à Drieu la Rochelle que j’avais quelque chose à lui dire et que… Il a prié ledit jeune homme de nous laisser seuls un instant. Il souriait en me regardant : « Je pense que vous vous doutez que je viens en auteur pas content, lui ai-je dit. — Ah ! non, non, ne me faites pas de scène », m’a-t-il répliqué en plaisantant. J’ai continué : « Vous savez, moi, je ne suis pas démocrate. J’accepte très bien les privilèges, pour une raison ou pour une autre. Eh bien ! je pensais, s’ajoutant le temps que vous avez ces papiers, que je pourrais avoir un petit privilège, et vous faites passer avant moi je ne sais quelles gens qui vous ont donné un motif, vrai, peut-être, mais, quand même, ce n’est pas gentil. Non, non et non. Si vous avez changé d’avis, ne vous gênez pas, rendez-moi mes papiers… — Je n’ai pas changé d’avis. Pas du tout. Je suis toujours très heureux de publier votre Journal, mais, mettez-vous à ma place… — Oui, je sais, vous êtes le martyr des auteurs, mais, je vous le répète, vous vous dites peut-être que vous vous êtes encombré là, avec mes papiers. Je vous le répète, rendez-les-moi. Je ne serai pas fâché du tout. En tout cas, moi, c’est la première fois de ma vie que je fais des démarches de ce genre pour être publié. Vous m’aviez dit : en décembre. Vous n’aviez qu’à me dire : dans deux ou trois ans… — Voyons ! voyons ! je vous le répète, ne me faites pas de scène. Mettez-vous à ma place. — Enfin, bien. Alors, quand ? Février ? Vous m’avez dit : février. — Oui, février, sans manquer. » Je suis sorti de son bureau, lui me suivant. Nous nous retrouvons devant le jeune homme qu’il avait prié de nous laisser seuls un instant. Il me dit, en me le montrant : « Vous pourriez dire un mot aimable à …, que vous m’avez fait mettre à la porte. » J’ai donné une poignée de main à ce jeune homme, et me tournant vers Drieu : « J’avais des choses désagréables à vous dire. Je ne voulais pas vous les dire devant un tiers. »
1942
Samedi 10 Janvier
Reçu ce matin les épreuves de mon fragment de Journal N.R.F. Il commence par un morceau sur la mort du Bailli (le mari du fléau). J’ai fait, sur mes épreuves, pour la publication dans la N.R.F., une petite modification au début, en le présentant comme la lettre d’un ami.

La première ligne et le « Mon cher ami, » ont été rajoutés pour la publication de ce texte sur la mort du Bailly (l’époux d’Anne Cayssac). Ces onze pages de fragments sont de 1924, les 14 et 16 décembre, 7 octobre, 27 novembre et 3 décembre.

Le même texte dans le Journal littéraire
Lundi 12 Janvier
[…] Ensuite, reparti à la N.R.F., mes épreuves corrigées (fragment de Journal avec la mort du Bailli et un morceau sur Gourmont). J’ai laissé la petite modification à la première partie. Fait prendre note de ne plus m’envoyer de chèque pour mes collaborations. Je n’arrive pas à les toucher, n’ayant pas de compte en banque.
En sortant, croisé avec Drieu la Rochelle qui arrivait. Je lui dis que je viens de remettre mes épreuves corrigées. Il me fait ses excuses de m’avoir fait tant attendre. Je ris et lui dis que ma mauvaise humeur est passée, mais que « je ne me serais plus dérangé ». Et malicieusement : « Vous avez un autre morceau, vous le savez ? » Il m’a répondu qu’il le sait très bien.
Mardi 27 Janvier
Ce matin aussi, pneumatique de Gaston Gallimard, suite à ma lettre. Il dit qu’il voudrait bien m’être utile dans les petites difficultés que je subis et m’annonce qu’il me fait envoyer un colis : café, sucre, etc., qu’il tâchera de renouveler. Évidemment, c’est très gentil. Mais les liens que cela crée ? Le diable emporte le moment où mon nouveau texte du P. A. sera terminé et où j’aurai à me décider. En attendant, j’ai écrit sur-le-champ à Gallimard pour le remercier et lui dire que j’accepte le sucre et le café, rien de plus, et en payant. Il m’explique dans son pneumatique qu’il a organisé une sorte de popote à la N.R.F. et que cela lui donne quelques facilités.
Vendredi 13 Mars
Été à la N.R.F. déposer un ex. Notes101 pour Gaston Gallimard et Drieu la Rochelle. Un exemplaire aussi à l’employée des services de presse Mme Fiévée, toujours très obligeante quand j’ai besoin d’un numéro. Touché ma coll. du no du 1er février. 800 francs, pour 11 pages et 6 lignes, et qui ne m’ont donné aucun travail. C’est merveilleux.
Le 31 mars, Paul Léautaud se rend chez son médecin, Jean Saltas :
Mardi 31 mars
J’apprends de Saltas ce détail relativement à la limitation de l’édition aux « ouvrages utiles ». Fasquelle avait présenté une liste de vingt ouvrages. On lui en a permis trois. Il est vrai qu’il paraît bien y avoir cette circonstance : Fasquelle demandait du papier pour ces vingt ouvrages. On a trouvé la quantité excessive. Saltas m’a bien dit : « Fasquelle a employé tout son papier pour le volume des Discours du Maréchal102. Il croyait que cela le mettrait en bonne posture… » On peut penser qu’il en sera tout autrement pour les éditeurs ayant leur papier et ne demandant rien.
J’ai immédiatement téléphoné à la N.R.F., pensant avoir Gallimard. Il est en voyage. J’ai prié qu’on lui dise, dès son retour, de me donner un rendez-vous, qui, m’a-t-on dit, pourrait être mardi prochain.
Vendredi 17 Avril
[…] Ensuite un instant à la N.R.F. voir Mme Fiévée. Elle m’annonce qu’on parle d’un remaniement dans la direction de la revue : Paulhan reviendrait plus ou moins, il y aurait Valéry, Claudel, peut-être Gide, Drieu la Rochelle restant, au moins pour le moment. Suite probablement des nombreux désabonnements de ces derniers temps. Je ne vois pas comment Drieu la Rochelle pourrait rester bien longtemps. Il n’y avait à peu près que ses articles qui fussent des articles propres à les provoquer.
Lundi 18 Mai
Je reçois ce matin la Nouvelle Revue Française, numéro de mai, fort en retard et encore bien diminuée d’un bon nombre de pages103. Un article de Drieu la Rochelle, d’ailleurs purement littéraire (l’aristocratisme chez les écrivains). Cela me donne l’idée de lui téléphoner pour savoir enfin ce qu’il en est des changements, dont il a été parlé, dans la direction de la revue. Je lui téléphone chez lui. Je lui demande s’il reçoit toujours le jeudi et si je pourrais le voir. Il me répond qu’il va un peu moins régulièrement à la revue, mais que si j’ai quelque chose à dire ou à demander, je trouverai son secrétaire, un M. Blanchot104, un très gentil garçon… Je lui dis que c’est lui que je voulais voir et que je peux aussi bien lui dire tout de suite. Je lui demande donc, en lui disant que s’il ne veut pas me répondre je l’en laisse absolument libre, ce qu’il y a de vrai dans tout ce qu’on dit, annonce, raconte sur des changements dans la direction de la revue. Qu’il y a même eu un article à ce sujet dans un journal belge : Cassandre105. Il me répond : « Il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. Ce sont des potins, des racontars. Il est seulement exact que je vais un peu moins à la revue. Je me suis senti un peu fatigué par tout le travail que j’ai fourni. J’ai aussi un peu à travailler pour moi. J’ai donc mis là-bas un secrétaire, ce M. Blanchot… Voilà toute la vérité. » Je lui dis : « C’est que Paulhan lui-même a dit à certaines gens… — Oui, oui, je sais. Il a pris ses désirs pour la réalité. — Je m’étonnais aussi que les « occupants » acceptent… — Parbleu !… » J’ai fini en le remerciant, en m’excusant et en lui disant que je suis fort heureux, et qu’il eût été lamentable de voir revenir l’ancien personnel. Je ne lui ai pas dit qu’il est suffisant qu’il en survive le prétentieux et sot discoureur qui a nom Alain.
Vendredi 24 Juillet
Passé à la N.R.F. déposer ma lettre pour Emmanuel Boudot-Lamotte. Je voulais savoir quelque chose de mon café, de Claude Gallimard. Il n’était pas arrivé. Ni Mlle Boudot-Lamotte qui, peut-être, aurait pu me dire ce qu’il en est. Vu Mme Fiévée. Je lui parle de la minceur du dernier numéro de la N.R.F. et que Gallimard m’a dit que le prochain, celui de ce mois, serait normal. Elle me dit qu’il y a certainement eu quelque chose. Je lui fais part de ce que m’a dit Drieu la Rochelle qu’en effet il y a eu quelques tentatives de conjurés pour le déposséder, mais que rien n’a abouti. Elle me raconte alors ce qui suit, qu’elle tient de Valéry lui-même, pas plus tard qu’hier (venu pour un service de presse qu’il fait, devant même revenir aujourd’hui). Paulhan devait reprendre une part dans la direction de la revue, sans évincement de Drieu la Rochelle.
Vendredi 28 Août
Quai Voltaire, rencontré Rolland de Renéville106, qui écrit dans la N.R.F. des choses si carabinées sur la poésie.
[…]
Il me parle de la N.R.F. J’apprends de lui ce petit détail supplémentaire sur la petite conspiration qui a eu lieu pour évincer Drieu la Rochelle. On est bien allé trouver Gide en zone libre (Paulhan, probablement), pour lui demander de revenir et prendre la direction de la revue, avec Valéry et Mauriac. Gide, Mauriac et Valéry ont posé comme condition à leur acceptation : l’exclusion de la revue de tous les écrivains ayant laissé voir dans leurs écrits des opinions ou sentiments pro-allemands. Et ils se disent contre les régiments autoritaires ? On reconnaît bien là Gide le bolcheviste, l’adepte du Front populaire espagnol, Mauriac, le Tartufe démagogue, Valéry, le prébendier de notre Front populaire.
En revenant de la rue Saint-Honoré, passé à la N.R.F. voir Festy, le chef de la fabrication. Je lui dis que je vais lui apporter ces jours-ci les placards corrigés de mon second volume de chroniques dramatiques et je lui demande ce qu’il en fera. « Mais les envoyer à l’imprimerie pour les corrections et la mise en pages. » Comme je m’étonne une nouvelle fois qu’on ait mis en fabrication un pareil volume sans avoir le visa nécessaire, il me fait remarquer que cette mise en fabrication a été décidée bien avant l’institution du Comité de Censure. Je lui demande ce qu’il adviendra si le visa est refusé. Il me répond qu’il n’y a pas de raison à cela, que le volume ne contient rien qui puisse le motiver, qu’au surplus le refus de visa n’est pas sans appel. Je lui parle des cas récents Fargue et Valéry. Il me dit, comme Renéville, que ce n’est pas le contenu des ouvrages qui a été en jeu, mais la position politique de Fargue et de Valéry. Voilà qui me donne joliment raison de renoncer à ma collaboration au Figaro.
Il me demande ce que je fais, si je travaille, et à quoi. Je lui dis que je vais terminer l’affaire des placards de ce second volume de chroniques, celles à ajouter que j’ai publiées dans la N.R.F. en 1939 et 1941, qu’ensuite il y a Le Petit Ami, ensuite le Journal (j’ai oublié le second Passe-Temps). Il s’exclame « Ah ! oui, Le Petit Ami ! Figurez-vous que je ne l’ai jamais lu. Gallimard en parle souvent. Il y tient beaucoup. Il dit que c’est un livre… » Je me suis mis à rire : « Allons ! Gallimard lui aussi est un peu fou à ce sujet. » J’ai ajouté que je crains bien que jamais un tel livre ne soit permis. Il m’a demandé si je n’ai rien à publier dans la N.R.F. Je lui ai parlé du second fragment de Journal que j’y ai107, que je me propose même de venir voir à ce sujet M. Blanchot, dont Drieu la Rochelle m’a parlé, surtout pour qu’on ne me perde pas mes feuillets, qui font partie de la copie dactylographiée de mon Journal. « M. Blanchot ? Ça n’existe plus. Drieu a été en effet absent de la revue pendant quelque temps. Il est du reste encore absent en ce moment, en vacances. Mais c’est fini. Il a repris sa place. » Il a pris note très gentiment pour lui en parler. Je lui ai ajouté que j’avais compté pouvoir publier trois fragments par an dans la N.R.F., que cela aurait pu être comme une excellente annonce pour l’édition en volumes, mais que devant l’amaigrissement de la revue… « Pas du tout, m’a-t-il expliqué. Tenez, pour le prochain numéro, j’ai … pages » (je n’ai pas retenu le chiffre, mais pas loin du chiffre du temps normal108).
Parlé de la guerre, des Allemands, de l’occupation, des gens qui jugent de tout cela par le sentiment, sans le moindre apport de raison. Festy a été passer ses vacances en Charente, où on n’a eu qu’à se louer, et lui-même, pendant son séjour, des Allemands présents. Il loue comme moi leur propreté physique et leur propreté vestimentaire, même chez les simples soldats, leur langage poli. Il m’a cité l’opposition d’un soldat français en permission rencontré par lui, le calot de travers, les cheveux en désordre, la cigarette à la bouche, les chaussures pas cirées, marchant sans aucune tenue. Ce qui, en général, n’est que trop ce qu’on voit et qu’on a à peu près toujours vu. Je lui parle du livre du capitaine de réserve109 : Jardins et Routes110. Il se trouve qu’il l’a lu aussi : « Il s’y trouve des choses qui me gênent, le botaniste, le côté Gide, je n’aime pas cela du tout, mais quand même c’est un beau livre. » Il m’apprend que la N.R.F. a publié, avant la guerre, la traduction d’un livre de ce capitaine Jünger. Je lui raconte, à ce propos, en gros, sans le nommer, ma conversation avec Garçon111, — il est justement l’avocat de la maison, — ses injures à l’égard de Chardonne pour ses tableaux d’occupation en Charente, son propos que, même ces choses seraient vraies, il ne fallait pas les dire, sa mise en doute du récit du capitaine Jünger concernant sa conduite à l’égard d’un convoi de prisonniers, son grand argument : « Nous devons être de mauvaise foi. » J’apprends de lui également que ce capitaine Jünger, qui se trouvait en France, a été rappelé en Allemagne et envoyé en Russie. De même le Docteur Brenner112, qui professait la langue allemande à l’École normale avant la guerre, envoyé en Russie, blessé, envoyé à l’hôpital, où il est mort. Dans le même cas, plusieurs jeunes officiers, avec lesquels il s’est trouvé en rapports, qui se croyaient bien « planqués » à Paris et qui ont été rappelés et envoyés là-bas.
En passant devant le Mercure, il est 6 heures, Mme Izambard113 est sur la porte. Je lui demande si elle ne sait toujours rien des Mandin114. Rien. Elle n’a pas pensé à demander à Bernard. Puis elle me demande : « Vous n’avez pas vu Duhamel ? » Je lui réponds que je rencontre très rarement Duhamel. « Vous savez que son nouveau livre a été interdit… » Voilà qui confirme les dires de Rolland de Renéville et de Festy : opinions politiques.
Le deux décembre, Paul Léautaud a enfin terminé la correction des placards de son second tome des Chroniques dramatiques. Mécontent de son texte sur La Maternelle, il l’a supprimé (Cette Maternelle est la pièce en trois actes que Léon Frapié a tirée de son prix Goncourt de 1904 et qui a été créée en 1920 au théâtre Moncey de l’avenue de Clichy). Le texte en sera heureusement rétabli dans les éditions ultérieures.
Jeudi 3 Décembre
Avant de quitter la Nouvelle Revue Française, je suis monté voir Mme Fiévée, n’osant pas remonter embêter Festy pour cette recommandation, pour la prier de lui recommander de veiller qu’il n’arrive pas, pour mes placards corrigés, ce qui est arrivé pour la douzaine de placards en épreuves envoyés dans une fausse direction, avec le texte concordant, et qu’on n’a jamais revus. Je n’ai aucun double des « ajoutés ». Tout serait par terre si quelque chose se trouvait égaré. Elle m’a promis de veiller à ce sujet dans le service des expéditions. Je suis resté un moment à parler de quelques écrivains de la N.R.F., amené à cela par la vue du numéro de ce mois, qu’une collègue de Mme Fiévée était en train de mettre sous bande. Comme je prononçais le nom de N.115, disant que ses articles m’intéressent toujours beaucoup, appris de Mme Fiévée qu’il fait partie du parti doriotiste, et comme gradé, et qu’il circule en uniforme du parti, avec des galons, et des épaulettes. Une pareille naïveté à son âge (il a environ quarante-cinq ans), faire partie d’un mouvement politique ! Un pareil étalage, une pareille vanité, se promener en uniforme, avec des épaulettes ! — ce qui est bien l’avis également de toutes ces employées. J’ai dit : « Il dégringole joliment pour moi. Je ne pourrai plus le lire maintenant sans penser à ses épaulettes. Des épaulettes ! Si c’est possible ! » Et comme je disais que je dois à N. d’avoir lu un roman prodigieux de Balzac, et que je parlais de Balzac comme de l’écrivain extraordinaire qu’il est, Mme Fiévée a eu ce mot : « Celui-là ne portait pas d’épaulettes. »
Il me reste à donner à Festy, pour mettre en supplément à la suite des chroniques, celles que j’ai publiées dans la N.R.F. en 1939-1940.
Je me suis trouvé, en rentrant, dans le métro, avec Galtier-Boissière116. Il me dit qu’il vient de relire deux fois mon premier volume de Chroniques dramatiques et qu’il a fait cette remarque que j’y montre déjà un fort antisémitisme. Si on peut appeler antisémitisme au sens courant du mot le fait du déplaisir de voir jouer la Comtesse du Mariage de Figaro par une petite juive au faciès indéniable, comme je crois bien, Ventura, et bien d’autres personnages féminins du répertoire117.
Samedi 5 Décembre
Déjeuner chez Galtier-Boissière118. Excellent déjeuner.
[…]
Galtier-Boissière toujours dans le même état d’esprit, dans lequel il entre beaucoup de fantaisie, et dont il est le premier à rire par moments, bien que je croie bien qu’il pense pour de bon tout ce qu’il dit. Les Allemands sont fichus. On les zigouillera tous. […] On fusillera tous les « collaborationnistes ». Luchaire sera fusillé119. Suarez fusillé120. Drieu la Rochelle sera fusillé. Il l’a dit à Drieu la Rochelle, qui, paraît-il, s’y attend. « Mon vieux, lui a dit Galtier-Boissière, tu es sur la liste noire des Américains. Tu seras fusillé, tu peux y compter. » Drieu la Rochelle n’a pas contredit. Galtier-Boissière me dit que son article, dans la N.R.F. de ce mois (je l’ai reçue ce matin), laisse voir qu’il s’y attend121.
1943
Le quatorze janvier, Jean Paulhan et Madame122 se rendent à Fontenay visiter Paul Léautaud.
Jeudi 14 Janvier
Tantôt visite de Paulhan et de sa femme, ce qui ne m’amusait pas du tout, dans l’état dans lequel est en ce moment ma maison, avec les pluies et toute la boue du jardin. Conversation sur la guerre, sur quelques-uns des gens que nous connaissons, comme il ne pouvait manquer. Ils sont nettement, tous les deux, toujours communistes et anti-allemands, et anglophiles.
Paulhan trouve, comme moi, d’un très joli ton, l’article de Drieu la Rochelle, sur ce thème : De quel côté seront les guillotinés ? Mme Paulhan a ce mot : « Des deux côtés, peut-être ! »
Vendredi 15 Janvier 1943
Passé à la Nouvelle Revue Française acheter pour M. D., sur sa demande, un Goethe, dans la collection de La Pléiade123. Fait à ce propos la connaissance de Michel Gallimard, fils de Raymond Gallimard124. Après un téléphone avec Gaston Gallimard, et pour satisfaire à son ordre, il ne voulait pas que je le paie. Je me suis refusé absolument à cette libéralité, disant que je trouve déjà fort aimable qu’on me fasse la remise.
Mercredi 17 Mars
[…]passé à la Nouvelle Revue Française, bureau de Mme Fiévée. Comme je lui demande s’il n’y a rien de nouveau dans la maison, elle me dit que le bruit y court du départ de Drieu la Rochelle de la revue. Pour être remplacé par qui, on l’ignore. Verrions-nous déjà revenir l’ancienne équipe ? Je ne peux pas le croire. On ne peut pas dire que je parle selon mon intérêt. Paulhan a toujours été charmant avec moi, ne cessant de me demander ma collaboration, ne me faisant jamais attendre pour me publier — et voilà bientôt deux ans que Drieu la Rochelle a un fragment de mon Journal, dont il m’a accusé réception en m’en remerciant, et qui dort toujours dans ses cartons.
Samedi 15 Mai
Ce soir, au courrier, les cahiers de mise en pages des dernières chroniques de mon second volume Boissard. J’ai encore à donner à composer la dernière, inédite, sur L’École des femmes, avec Louis Jouvet dans le rôle d’Arnolphe, que j’écris sur les notes prises au retour de ce spectacle, en décembre 1941. Je ne me reconnais plus dans ces derniers cahiers. Je n’ai rien des précédents pour vérifier. Il me semble qu’il y a un trou. Il va falloir que j’aille à la N.R.F. où je pense trouver un jeu complet de mise en pages.
Ce soir également, un pneumatique de Jean Paulhan. (Le départ qu’il m’avait annoncé, en me demandant de n’en rien dire, de Drieu la Rochelle comme directeur de la revue est chose faite.) Il m’écrit que Jacques Lemarchand125 (je ne connais pas), qui devient rédacteur en chef de la revue (Paulhan, qui ne peut encore reparaître, comme il me l’avait dit également, probablement derrière lui), désirerait beaucoup donner dans son premier numéro un article de moi, et il me demande quinze à vingt pages, par exemple, de mon Journal. Pour ces quinze à vingt pages, 3 500 francs. Ce dont je suis éberlué. Il me demande également si je voudrais reprendre la chronique du théâtre, ou une chronique quelconque.
J’avais parlé à Paulhan du second fragment de Journal resté entre les mains de Drieu la Rochelle qui devait le publier après le premier, paru dans le numéro de février 1942. Dans les papiers que Drieu leur a remis, rien de ce genre. Voilà la copie d’une année de Journal avec des pages perdues.
Lundi 17 Mai
Été à la Nouvelle Revue Française voir Festy, au sujet des derniers cahiers de ma mise en pages. Le volume n’est pas près de paraître, au train que va l’imprimerie Arrault. De plus, quelle équipe de typos : on leur donne à composer des textes imprimés, ils trouvent encore le moyen de composer des mots pour d’autres.
Le correcteur de la N.R.F. n’a guère de lettres. Dans une de mes chroniques, il est question de la Pension Vauquer (Le Père Goriot). Il a corrigé en Vauquier. C’est Festy, devant moi, qui s’en est aperçu.
J’ai demandé à Festy qui est ce Jacques Lemarchand devenu rédacteur en chef de la revue. Un jeune écrivain, vers 34 ans, qui a publié à la N.R.F. un roman qui a eu quelque succès126. C’est Paulhan qui l’a choisi. C’est bien ce que je pensais : en réalité, c’est Paulhan qui reprend, mais, comme il me l’a dit, comme il ne peut pas encore reparaître, il a mis en place un autre, en apparence. Il est bien certain que ce Jacques Lemarchand, jeune écrivain, intéressé à se ménager le bon accueil de la maison comme auteur, sera tout aux directives de Paulhan. Espérons que lui, Paulhan, sera assez adroit, et sage, pour ne pas aller aux imprudences.
J’ai aussi demandé à Festy si on a des nouvelles de Gide127. Excellentes. Il va bien. Il a même trouvé le moyen de faire passer une lettre pour Gallimard, qui est arrivée ces jours-ci. Il a réussi à trouver un logement dans l’immeuble d’une banque (anglaise, je crois) et il descend, lors des alertes, dans les caves de cette banque, qui sont devenus de sérieux abris, construits pour la sécurité des coffres. Il a aussi trouvé à s’employer dans une librairie, où il vend des livres, comme une sorte de commis. Tout ce que ci-dessus concernant le temps où on se battait encore à Tunis. Festy a une fois de plus éclaté de rire en parlant de Gide parti là-bas « pour être tranquille ».
Je suis passé ensuite dire bonjour à Mme Fiévée et à sa collègue (fournisseuse de beurre, marché noir). J’ai parlé à Mme Fiévée de ce que j’ai lu sur Ramon Fernandez dans le dernier numéro de cette petite revue clandestine que je reçois : Les Lettres françaises128. Elle me dit que c’est ce qui a fait son succès dans le voyage à Berlin qu’ont fait quelques écrivains de la Nouvelle Revue Française, de pouvoir entonner des liquides en quantité telle que les convives (les Allemands surtout) n’en revenaient pas, sans signes réels d’ivresse ni perdre la tête. Alors que Jouhandeau a été affreusement malade pour peu de chose.
Mercredi 19 Mai
Téléphoné ce matin à Paulhan que je porterai tantôt à la N.R.F. le texte du fragment Journal demandé pour le numéro de juin129. Il m’y donne rendez-vous à 3 heures et demie. Il m’annonce ensuite que la « Censure française » — je mets entre guillemets parce que, sur le moment, je me suis mépris et alarmé à ce sujet, comme on le verra plus loin, — que la « Censure française », donc, a tiqué sur plusieurs endroits de mon second volume de chroniques dramatiques, qu’on espère toutefois la faire revenir sur quelques points, même tous. Je me mets déjà à me dire qu’à ce compte-là, je n’ai guère à espérer pour publier le nouveau Petit Ami (ce que j’ai toujours entrevu, depuis les changements politiques), ni In Memoriam, que je voulais mettre dans un second Passe-Temps.
De 4 à 5, avec Paulhan, dans son bureau de la N.R.F. J’apprends là que la « Censure française », c’est la censure de l’autre zone, et dont le siège est à Clermont-Ferrand. Mon second volume de Chroniques dramatiques imprimé chez un éditeur de cette zone (encore considérée comme zone libre politiquement) devant être soumis à la Censure de cette zone, je suis tombé sur un censeur très remarquable. Il a censuré : un sonnet patriotique de Cora Laparcerie remontant à la guerre 1914-1918(130), de très beaux vers, d’une grande inspiration généreuse et équitable, de François Porché, dans sa pièce, et que je reproduis dans mon compte rendu, Les Butors et la Finette, toute la chronique sur le Pasteur131 de Sacha Guitry et sur le personnage de Pasteur lui-même, biffant particulièrement les deux ou trois lignes dans lesquelles je parle en me moquant de la croyance de Pasteur, un savant ! à l’Immaculée Conception, un passage, dans une chronique, dans lequel j’estime que j’aurais été un mauvais général par mon manque de goût à faire s’entretuer des hommes132, un autre passage, dans une autre chronique, ainsi conçu : « Dieu sait si je me moque d’être Français plutôt que n’importe quoi d’autre. C’est l’homme qui compte, et non le citoyen »133, enfin, le plus beau, après quelques autres choses aussi dangereuses pour l’ordre public et la morale, une citation d’une lettre de Stendhal à son ami Mareste134, dans laquelle il lui dit : « Ne gagnerions-nous pas à être Belges135 ? » Censurer Stendhal ! J’ai dû avoir affaire à un ex-capitaine d’habillement versé, à l’armistice, dans la censure littéraire. Si c’est là le régime qui nous attend après la paix, ce sera gai. Comme j’exprime cela à Paulhan, il me répond : « Mais non. Après la paix, Vichy disparaîtra. Nous aurons une période communiste, courte. Ensuite, tout reviendra comme auparavant. »
J’ai demandé à Paulhan ce qu’on va faire. Le voici : 1o tâcher de faire revenir ladite Censure sur ses défenses. 2o On demandera le visa à la Censure allemande, ici, et l’ayant, se moquer de celle de l’autre zone. Il y a bien de ce côté aussi une censure française, mais très effacée devant les Allemands. 3o Ou donner le volume à imprimer à un imprimeur de Paris ou des environs et ne s’occuper ensuite que de la Censure de ce côté, avec laquelle tout irait très bien. J’ai demandé à Paulhan, dans le cas où on tirerait le volume en y faisant les suppressions indiquées par la « censure française », qu’on pense à me donner un jeu d’épreuves contenant le texte complet. Entendu.
[…]
Le fragment de Journal que j’ai porté à Paulhan comprend quelques passages fort libertins, charmants, certes, mais enfin, pas absolument convenables. J’étais parti, ce matin, avec cette nouvelle des manifestations de cette « censure française » en me disant que ces passages seraient très probablement supprimés. Quand j’ai appris de Paulhan que cette censure est celle qui règne de l’autre côté, j’ai commencé à me rassurer. Paulhan, à qui j’ai parlé de ces passages, se montre certain, lui, que tout passera très bien. Ce que je lui ai porté représente certainement plus des vingt pages (de la revue) qu’il m’a demandées. Je le lui ai fait prévoir. Ou il ne s’est pas rendu compte, ou il n’y attache pas d’importance : il a trouvé que tout allait très bien comme cela136.
J’ai parlé à Paulhan de cette espèce de revue clandestine, tirée en polycopie, Les Lettres françaises, qui m’est adressée sans que je sache par qui, et dans le dernier numéro de laquelle encore un très beau poème. Il m’apprend que l’auteur est Éluard. Je relis ce soir ce poème, en écrivant cette note : très bien. C’est certainement à Éluard que je dois l’envoi de cette revue. Je dois avoir noté, à sa date, la réception d’une petite plaquette : Europe 1942(137), si je me souviens bien, dans laquelle un poème : Liberté est aussi une très belle chose. Justement, tantôt, dans le hall de la N.R.F. où j’étais assis à attendre Paulhan, est passé devant moi un grand garçon, fort bien vêtu. Se retournant, et me voyant, est venu à moi, me tendre la main, et se nommant : Éluard. J’ai été un peu pris de court, ne m’y attendant pas. Sans cela, je lui aurais parlé des poèmes en question.
Paulhan m’a reparlé de Benjamin Crémieux138.
[…]
Paulhan me parle ensuite de Benda139, en riant : « Quant à Benda, il va très bien. La ville de Carcassonne l’a déclaré un « hôte d’honneur de la Cité » et elle lui fait une pension de 800 francs par mois, ce qui lui permet de vivre à peu près. D’autre part, il a gagné près de 3 millions de droits d’auteur avec son livre sur Les Démocraties140 qui a été traduit en Amérique et y a connu une vente considérable. Seulement, les 3 millions sont en Amérique, et Benda est là, avec ses 800 francs par mois ».
Je le note, pas par vanité, pour le trait. Le bureau de Paulhan est au dernier étage de la N.R.F. À mon départ, il a tenu à m’accompagner jusqu’à la porte de la rue. Comme je le priais, d’étage en étage, de ne pas se déranger ainsi, il m’a dit, arrivé en bas : « Mais si, mais si. Cela vous est dû » (ou quelque chose d’approchant). Si je n’avais pas été toujours si complètement dénué de vanité, quelle jouissance, — imbécile ! — j’aurais peut-être de traits de ce genre.
Lundi 24 Mai
Téléphoné ce matin à Paulhan, pour savoir ce qu’il advient pour mon second volume Boissard. On va faire imprimer ici. Rendez-vous demain à la N.R.F. à 4 heures avec lui pour parler avec Gallimard des perspectives pour les volumes à venir, par exemple le second Passe-Temps avec I. M.
Téléphoné mardi à Festy. Je suis renseigné plus exactement par lui. On va faire faire toutes les corrections (les miennes). On fera ensuite venir la composition ici, pour faire tirer le volume ici. Il y a toutefois des « suppressions » qui devront être maintenues.
Mon fragment de Journal est parti à l’imprimerie. J’aurai les épreuves dans quelques jours. Si au moins j’avais la paix de ce côté-là. Sous la direction Drieu la Rochelle (je l’ai tenu de lui-même dès le début), il n’y avait pas d’examen de censure pour la revue par le Bureau de presse allemand. C’était une question de confiance et de bonne foi de part et d’autre. On portait les épreuves du numéro audit Bureau. Un cachet de visa y était apposé sans examen. Rien de plus. Espérons qu’il en est toujours de même.
Mardi 1er juin
C’est bien Paulhan qui s’occupe de la N.R.F. derrière la façade de Jacques Lemarchand. J’ai reçu de lui ce soir un pneumatique me demandant la permission de retirer de mon fragment de Journal, à propos de Jouhandeau, ce qui pourrait le mettre en délicatesse avec Gaston Gallimard. Ce que je lui ai accordé tout de suite141. Je lui ai laissé, de mon côté, tantôt, sur son bureau de la N.R.F., une lettre attirant son attention sur un autre passage… Convenu avec Paulhan que je remplacerai par d’autres morceaux ceux qu’il retirera.
Mardi 8 Juin
En allant ce matin chez [Marie Dormoy], rencontre de Paulhan boulevard Jourdan.
[…]
Je lui rappelle alors que je tiens absolument à remplacer les passages qui seront retranchés, dans le fragment de Journal que je lui ai donné sur Marcel Jouhandeau, et sur la partie du Journal de Jules Renard brûlé par Mme Jules Renard. Je lui dis que j’ai reçu hier la N.R.F. du 1er mai, ce qui est un joli record. Il me demande : « Qu’est-ce que vous pensez des vers qui sont dans ce numéro ? » (de Maurice Fombeure142 et de Henri Thomas143). Je lui dis, cela a été sur-le-champ mon impression : « Mon cher, c’est bien simple, on pourrait intervertir les signatures. Ce sont les mêmes vers chez l’un et chez l’autre. » Comme il a l’air de me les vanter, je lui ajoute : « Non, non. Ce n’est pas là la poésie. Il n’y a rien pour toucher, pour faire rêver. La poésie, c’est Verlaine. Des riens, mais extrêmement émouvants ou suggestifs. — Et Audiberti, qu’en pensez-vous ?» Audiberti est une de ses grandes admirations, et à sa femme aussi. Je ne m’en suis pas caché : « Ah ! celui-là, non par exemple. J’ai horreur des chinoiseries, des tarabiscotages littéraires. Ces choses-là ne sont pas mon affaire. Valéry a écrit, dans un de ses derniers livres, que le naturel ennuie. Moi, c’est l’art qui m’ennuie. Il s’est moqué de Jammes : « Quand il pleut, dites : il pleut, disant qu’un employé suffit à cela. Vive l’employé ! Quand il pleut, moi, je dis : il pleut, et rien de plus. »
Le fragment de Journal, remis à Drieu la Rochelle et qu’il a négligé de publier, malgré les remerciements écrits qu’il m’en a fait en le recevant, et que je croyais perdu, a été retrouvé. Paulhan, à qui je dis que je vais à la N.R.F. dans l’après-midi, me dit que je pourrai le reprendre dans le tiroir de son bureau, avec un petit sac de noisettes pour ma guenon.
Les Cahiers de la pléiade
Nous venons de voir que le numéro de La NRF de mai 1943 est arrivé à Fontenay le sept juin (un lundi) et est donc paru le quatre ou cinq. On peut imaginer que le numéro de juin contenant les fragments de Journal (pages 684-700) est paru en juillet mais Paul Léautaud n’en a pas fait mention dans son Journal. Ce sera le dernier numéro de La NRF de la guerre.
Que s’est-il passé à la Libération ? L’ordonnance du Gouvernement provisoire du trente septembre 1944 a interdit de publication tous les journaux ayant paru après le 25 juin 1940 en zone occupée ou après le 26 novembre 1942 en zone libre. C’est ainsi que Le Temps qui est paru jusqu’au trente novembre 1942 a été interdit et que Le Figaro qui a cessé de paraître six jours avant, le 24 novembre, a pu reparaître. Le choix de cette date, favorisant l’un et excluant l’autre, a fait l’objet de débats.
Pour La NRF, parue avec l’accord et même l’incitation des autorités allemandes la question ne s’est pas posée mais, comme beaucoup, a été résolue au prix d’un changement de titre. C’est ainsi qu’en 1946 (achevé d’imprimer le 25 avril), est paru le premier numéro des Cahiers de la Pléiade daté d’« Avril 1946 » Le dernier est daté « automne 51-printemps 52 ». C’est le numéro treize.

Le format de ces cahiers est plus grand (18×23), plus souple, plus luxueux (couverture rempliée, faux-titre et grand titre) et compte 216 pages. L’achevé d’imprimer est en tête pour le premier numéro mais reviendra en dernière page par la suite. Les exemplaires du premier numéro sont numérotés.

Le prix est de 200 francs, ce qui ne veut rien dire, ni de nos jours ni à l’époque où le cours du franc était très fluctuant. En avril 1946 un Figaro coûtait deux francs, soit un rapport de un à cent. Un numéro du Figaro est de nos jours à 3,20 €uros, ce qui ferait un numéro des Cahiers de la Pléiade à 320 €uros, on voit bien qu’il y a un problème. À titre indicatif le dernier numéro de La NRF de la guerre (juin 1943) était à quinze francs, le premier numéro d’après-guerre (janvier 1953) n’a pas de prix affiché mais l’abonnement annuel est à 1950 francs, soit 162 francs le numéro.
La table des matières est en tête, on y rencontre bien des noms connus.

Ces numéros de nos jours sont des curiosités que l’on trouve parfois sur Internet pour une vingtaine d’€uros, parfois moins. Il est sans doute possible, en une année ou deux, de disposer d’une collection complète.
En voici la liste :
No | Dates | Pages |
---|---|---|
1 | Avril 1946 | 216 |
2 | Avril 1947 | 285 |
3 | Hiver 1948 | 160 |
4 | Printemps 1948 | 179 |
5 | Été 1948 | 177 |
6 | Automne 48/hiver 49 | 183 |
7 | Printemps 1949 | 198 |
8 | Automne 1949 | 202 |
9 | Printemps 1950 | 208 |
10 | Été-automne 1950 | 188 |
11 | Hiver 1950-1951 | 214 |
12 | Printemps-été 1951 | 206 |
13 | Automne 51-printemps 52 | 204 |
Notes
La numérotation des notes suit la page « La NRF de Drieu I ».
92 « J’écris tout ce qui suit ce soir dimanche 14 septembre. Le pauvre Bailli est mort. »
93 Édité en deux volumes en 1921 (282 et 237 pages) et en un seul volume de 492 pages en 1992 (édition d’Antoine Compagnon dans la collection blanche), cette édition de 1940 comptait effectivement trois volumes, représentant 703 pages en tout. L’édition de La Pléiade de 1988 par Jean-Yves Tadié représente 495 pages.
94 Jacques Festy a été le secrétaire de Raymond Gallimard, frère de Gaston, puis directeur de fabrication dans les années 1950.
95 « Chardonne 1940 » dans Le Figaro du 12 avril 1941.
96 René Trintzius (1898-1953), romancier, auteur dramatique, journaliste et peintre amateur.
97 René Trintzius était, jusqu’en 1934, édité par La NRF. Les Clés du désordre sera son seul roman au Mercure de France, semble-t-il.
98 Ce texte ne paraîtra que dans le numéro de février, page 138.
99 Pour Emmanuel Boudot-Lamotte (1908-1981), note au trois mars 1937. Sa sœur Madeleine, née en 1917, est secrétaire de DLR après avoir été celle de Gaston Gallimard. Elle se mariera en 1945 à Munich avec Horst Wiemer. Dans le récit de Gerhard Heller Un Allemand à Paris (Le Seuil 1981, 221 pages) nous pouvons lire, au chapitre « Les jeudis de Florence », page 57 : « Ainsi, je fus très tôt amené à rencontrer Madeleine Boudot-Lamotte, secrétaire de Gallimard ; je la revis souvent, soit rue Sébastien-Bottin, soit dans mon bureau pour traiter avec elle les affaires de la maison. Elle m’introduisit dans le salon de sa mère, Mme Boudot-Lamotte [née Andrée Louise Del (1888-1950)] ; c’est là que, plus tard, je fis la connaissance de Jean Cocteau et de son compagnon, l’acteur Jean Marais. »
100 La phrase n’est pas très claire et est enrichie d’un sic dans l’édition papier mais le lecteur attentif comprendra.
101 Paul Léautaud, Notes retrouvées, Jacques Haumont 1942, 52 pages. Ce texte correspond aux cinq « Mots, propos et anecdotes » parues dans Comœdia en 1941.

102 Vraisemblablement La France nouvelle, principes de la communauté, appels et messages, 17 juin 1940-17 juin 1941, 172 pages.
103 Les deux numéros de mai et juin 1942 n’ont que 64 pages (voir note 50) mais juillet reviendra à 128 pages jusqu’à l’interruption de juin 1943.
104 Maurice Blanchot (1907-2003) a d’abord été un jeune homme d’extrême droite avant d’évoluer vers la gauche sinon extrême, du moins radicale. Au moment où nous le rencontrons, Blanchot a été récemment encore rédacteur en chef du très extrémiste hebdomadaire Aux écoutes et chroniqueur régulier du très maréchaliste Journal des débats. À la Libération, Blanchot saura renier ses engagements passés avec suffisamment de conviction pour être blanchi (on a blanchi Blanchot). Il se rapprochera des intellectuels de gauche.
105 Cassandre « hebdomadaire belge de la vie politique, littéraire et artistique. » a été créé en décembre 1934 par Paul Colin (1895-1943), mort à 48 ans abattu par la Résistance belge.
106 André Rolland de Renéville (1903-1962), poète. “Rolland de Renéville” est son nom de famille. Journal littéraire au douze mars 1922 : « Déjeuné chez Paulhan, dans sa maison de Châtenay. [Parmi les invités :] Rolland de Renéville, collaborateur à la N.R.F., jeune magistrat en herbe, Tourangeau, féru de Mallarmé, de Rimbaud et de métaphysique littéraire transcendantale, et à l’entendre fort calé également en philosophie. Lui aussi charmant, simple, acceptant fort bien qu’on rie (moi) de tout son amphigouri. »
107 Ce second fragment paraîtra en juin 1943, qui sera aussi le dernier numéro de La NRF de la guerre.
108 Le numéro de septembre de La NRF comptera 128 pages comme tous les numéros jusqu’au dernier de la guerre en juin prochain.
109 Ernst Jünger (1895-1998, à 103 ans), n’est pas un écrivain débutant au moment où PL le découvre. Même s’il a participé aux deux guerres mondiales il est autant un écrivain qu’un militaire, ce qui ne l’a pas empêché de refuser le régime nazi dès son apparition. Il a été mobilisé en août 1939 pour participer à la campagne de France et s’est trouvé dans un bureau parisien après la victoire allemande.
110 Ernst Jünger, Jardins et routes, pages de journal 1939-1940, traduction de Maurice Betz, Plon 1942, 244 pages. En février 2008 ce récit sera intégré dans le second volume des Journaux de Guerre d’Ernst Jünger édités par la Pléiade (1452 pages) dans la même traduction.
111 La conversation du dix décembre 1941.
112 Karl-Heinz Bremer (1911-1942), (que PL écrit toujours « Brenner ») historien, membre du parti nazi en mai 1937, lecteur à la Sorbonne et à l’École normale supérieure en 1936 puis adjoint au directeur de l’Institut allemand de Paris de 1940 à 1942, proche de Robert Brasillach. Karl-Heinz Bremer sera envoyé sur le front de l’est où il est mort en mai dernier.
113 Madame Izambard est la concierge du Mercure et aussi bonne à tout faire de Rachilde.
114 Louis Mandin (1872-1943, en déportation), poète et homme de lettres surtout connu, non pour ses vers de quatorze pieds mais pour avoir écrit avec Paul Fort une Histoire de la poésie française depuis 1850 parue en 1926 chez Flammarion (392 pages, plus six pages de préface de Paul Crouset). Voir sa notice (rédigée par lui-même) dans l’édition en trois volumes des Poètes d’aujourd’hui. En septembre 1940, quelques amis de la droite traditionnelle dont Louis Mandin ont fondé le groupe de résistance « La Vérité française », qui est également le titre de leur journal clandestin. Ce groupe s’est spécialisé dans l’exfiltration de prisonniers de guerre évadés. Très rapidement, en août 1941, ce groupe a été infiltré par le Belge Jacques Desoubrie (1922, fusillé en décembre 1949) qui appartenait à la police secrète allemande. Le 25 novembre plus de quatre-vingt personnes ont été arrêtées et certains fusillés. En septembre 1942 Louis Mandin et au moins trois autres de ses camarades seront déportés au camp de Sonnenburg, réservé aux prisonniers politiques. Louis Mandin y mourra le 28 juin 1943. Madame Mandin, arrêtée en même temps que son mari, déportée dans divers camps de concentration mourra à Bergen-Belsen en avril 1945. Voir le Mercure d’août 1953, page 760. Il est prévu qu’une page sur Louis Mandin soit présentée ici en 2024.
115 Ramón Fernández (avec un ó et un á), a écrit ce mois-ci une chronique sur Alexis de Tocqueville. Ramón Fernández (1894-1944), écrivain et journaliste, père de l’écrivain Dominique Fernandez. D’abord militant communiste Ramón Fernández a participé activement à la presse collaborationniste dès les premiers jours de la guerre, et même avant.
116 Jean Galtier-Boissière (1891-1966), journaliste et romancier. C’est dans les tranchées d’août 1915 que JGB sort les premiers numéros du Crapouillot, journal des tranchées, humoristique comme tous ses concurrents mais où la réalité de la guerre n’est pas absente, au point parfois d’activer la censure. Le nom du journal est celui d’un petit canon. À la fin de la guerre JGB a poursuivi la publication du titre, qui est devenu une revue littéraire et artistique bimensuelle accueillant des écrivains souvent atypiques, de gauche ou anarchistes. Le journal sera suspendu en 1939 et reprendra en 1947.
117 Marie Ventura est citée trois fois dans les chroniques dramatiques mais pas à la fin de la chronique du 16 octobre 1911 où PL évoque davantage le public, composé de plusieurs élèves du Conservatoire. Ce devait être un lundi.
118 Jean Galtier-Boissière, Mon journal pendant l’occupation : « Léautaud à déjeuner. La Parisienne. Il déteste la maigre Cocéa, n’appréciant que les femmes très étoffées. La Parisienne, d’après lui, fut écrite par Henry Becque d’après sa maîtresse Mme d’Aubernon. »
119 Jean Luchaire (1901-fusillé le 22 février 1946 au fort de Châtillon), fondateur, en novembre 1940, du quotidien Les Nouveaux temps, largement financé par les Allemands. En 1941, Luchaire est devenu le président de l’Association de la presse parisienne et a influé grandement sur la ligne idéologique de la presse collaborationniste. En août 1944 Luchaire se réfugiera à Sigmaringen et sera arrêté, en fuite vers l’Italie en avril 1945. Dans Mon journal pendant l’Occupation, Jean Galtier Boissière a écrit en octobre 1940 : « Il a palpé des subventions de tous les gouvernements successifs. Il touche aujourd’hui des Allemands, comme Il toucherait demain des Mongols, si les Mongols campaient à Paris. »
120 Écrivain et journaliste, Georges Suarez (1890-1944) a été, après 1918, correspondant de l’agence Havas à Vienne. Il s’est lié avec Joseph Kessel. En 1928, avec Horace de Carbuccia ils ont fondé tous les trois l’hebdomadaire « parisien, politique, littéraire » Gringoire, qui est devenu « social, politique, littéraire » le 19 septembre 1941. Avec le temps, comme bien d’autres, Georges Suarez s’est droitisé et Gringoire également. Il fréquente Jean Luchaire ou Bertrand de Jouvenel (fils d’Henri, ex-mari de Colette) et en 1940 il est rédacteur, chez Plon, de la première biographie de Pétain tout en éditant le journal Aujourd’hui. En octobre 1944, Suarez sera condamné à mort et fusillé le 9 novembre au fort de Montrouge.
121 Drieu La Rochelle, « La Fin des haricots », pages 744-751.
122 Germaine Dauptain (1885-1976) a épousé Paul Pascal dont elle a divorcé pour épouser Jean Paulhan en décembre 1933.
123 Il s’agit du Théâtre complet, paru le 16 novembre 1942 avec une préface d’André Gide, 1368 pages, qui est le soixante-troisième volume de la collection. Ce volume a été mis à jour en 1988, conservant la même numérotation, plusieurs traductions restant inchangées. La préface d’André Gide ne semble pas avoir été conservée.
124 Raymond Gallimard (1883-1966) est le frère cadet de Gaston. Raymond Gallimard a épousé en 1908 Yvonne Dorigny (1889-1983) qui lui a donné deux enfants, Michel (1917-1960) et Nicole (1919-1967). Gaston et Raymond ont un autre frère, Jacques (1886-1964).
125 Jacques Lemarchand (1908-1974) est arrivé à Paris au début des années 1930 et a été accueilli par Jean Paulhan qui l’a aidé à publier quatre romans. Il est entré cette année 1943 au secrétariat de La NRF et restera attaché à la maison Gallimard comme lecteur de manuscrits et éditeur jusqu’à sa mort, en février 1974. À la Libération, Albert Camus dont il deviendra un ami très proche lui demandera d’assurer la critique théâtrale du journal Combat où ses articles seront vite remarqués. En 1950, il entrera au Figaro, puis au Figaro littéraire. Jacques Lemarchand représentera un appui fidèle et actif pour les auteurs nouveaux, les jeunes compagnies, les metteurs en scène désargentés, les directeurs de théâtre exigeants ou les acteurs de la décentralisation théâtrale. (Site web Gallimard).
126 Jacques Lemarchand a publié chez Gallimard R.N. 234 en septembre 1934 (208 pages) puis Conte de Noël suivi de Mots d’enfants en juillet 1937 (228 pages). À la Libération, Jacques Lemarchand participera à Combat auprès de Maurice Nadeau puis aux Lettres Nouvelles, toujours avec Maurice Nadeau. Jacques Lemarchand a tenu son journal de 1942 à 1972, publié par Claire Paulhan.
127 André Gide est à Tunis.
128 D’abord hebdomadaire, la revue Les Lettres françaises a été fondée clandestinement en septembre 1942 par Jacques Decour et Jean Paulhan. On y trouvait les signatures de Louis Aragon, François Mauriac ou Raymond Queneau. Après la Libération, à partir de 1953 jusqu’en 1972, cette revue, dirigée par Louis Aragon, a bénéficié d’un important soutien financier du parti communiste par de très nombreux abonnements. Jamais Paul Léautaud ne saura d’où lui vient cet abonnement.
129 Voici les dates de ces fragments de 1938 : 1er, 4, 6, 7 et 9 janvier, 2 et 3 mars, 1er avril, 5 et 13 mai, 10 juin, 17, 18 et 31 juillet et 24 octobre, qui paraîtront entre les pages 684 et 700.
130 Chronique du 1er août 1916 dont les vers n’avaient donc pas été censurés à l’époque.
131 Pour Les Butors et la Finette, chronique du 16 janvier 1918, que les lecteurs du JL connaissent bien. Pour Pasteur, chronique du premier mars 1919.
132 Chronique d’octobre 1922.
133 Il ne s’agit pas d’une autre chronique mais de la même, à propos de Natchalo, d’André Salmon et René Saunier.
134 C’est en 1817 que Stendhal a rencontré Louis-Adolphe de Mareste mais ils se sont surtout connus de 1821 à 1830. La correspondance de Stendhal à Louis-Adolphe de Mareste constitue une importante source biographique.
135 Chronique d’avril 1922.
136 Dans le numéro de juin, ces fragments couvrent les pages 684 à 700.
137 Poésie et Vérité 1942. Voir le Journal au 21 octobre 1942.
138 Lire la suite dans la page Benjamin Crémieux II.
139 Julien Benda (1867-1956), critique et philosophe a publié La Trahison des Clercs chez Grasset en 1927, son ouvrage le plus connu. Julien Benda a été dans les années 1930, une des figures intellectuelles les plus respectées de la gauche antifasciste. Julien Benda sera pressenti à quatre reprises entre 1952 et 1955 pour recevoir le prix Nobel de littérature. Bien que d’idées politiques opposées, Paul Léautaud et Julien Benda se sont régulièrement fréquentés tout au long de leurs vies.
140 Julien Benda, La Grande Épreuve des démocraties. « Essai sur les principes démocratiques. Leur nature, leur histoire, leur valeur philosophique », écrite entre 1938 et 1942, l’étude a été publiée en 1942 aux Éditions de la Maison française, à New York. La publication française interviendra en France au Sagittaire en 1945. Voir https://is.gd/tSrcFb.
141 Vraisemblablement la journée du 14 octobre 1938.
142 Maurice Fombeure (1906-1981) écrivain et poète.
143 Henri Thomas (1912-1993), romancier, poète et traducteur de l’anglais. Henri Thomas et Maurice Fombeure sont de la même génération et ont eu le même parcours.