Petite hollande, Un beau mariage, La Prise de Berg-Op-Zoom, La Pèlerine écossaise, Les Deux couverts, Deburau, Le Mari, la femme et l’amant, Je t’aime, Jacqueline, Lucien Guitry dans Le Misanthrope, Une petite main qui se place, Un sujet de roman Notes
Toute biographie de Sacha Guitry (cette page n’en est pas une) commence par Lucien, son père.
La première fois que le nom Guitry est écrit dans le Journal littéraire de Paul Léautaud est à propos de la mort de Marcel Schwob. Nous sommes le 27 février 1905.
Paul Léautaud se rend chez Marcel Schwob, onze rue Saint-Louis-en-L’Île. Après une heure sur place, il retourne chez lui en faisant un crochet pour accompagner l’avocat José Théry1 au palais de Justice.
La comédienne Marguerite Moreno2 épouse de Marcel Schwob, est dans le sud de la France au chevet de son frère (à elle) Gaston3 en train de mourir lui aussi.
Arrivé devant le Palais, je le quitte. Il a conseillé à Maurice Schwob de ne pas laisser rentrer Moréno rue Saint-Louis-en-l’Île, d’autant plus que Guitry4 et Jean Coquelin5 se sont offerts tout de suite à la prendre pendant quelques jours.
Lucien Guitry dont il est question ci-dessus sera encore plusieurs fois évoqué dans le Journal littéraire sans que le prénom soir donné parce qu’avant 1908 il n’y a qu’un seul Guitry, c’est Lucien.
1908 — Petite Hollande
La première pièce de Sacha Guitry — un acte — parvenue jusqu’à nous est Le KWTZ, (tout en capitales) créé au théâtre des Capucines, le 14 avril 1905, un mois et demi après la mort de Marcel Schwob. Mais Sacha est encore en apprentissage. La première fois que Paul Léautaud rendra compte d’une de ses pièces, ce sera pour sa comédie en trois actes Petite Hollande6, dans le Mercure du seize avril 1908, page 721.
M. Sacha Guitry, lui, est un élève de M. Maurice Donnay7. Il mêle, comme l’auteur d’Amants, le pathétique avec la blague boulevardière, et adoucit de plaisanterie la passion de ses personnages.
Maurice Boissard résume la pièce, puis :
La pièce serait tout à fait bien si M. Sacha Guitry s’était montré moins prolixe dans les scènes de sentiment. Il y a notamment à la fin du troisième acte une tirade sur l’amour, comparé à un soleil qu’on a dans le cœur, qu’on n’entend pas sans gêne, tant elle est puérile et embrouillée. M. Sacha Guitry, qui passe pour avoir de l’esprit, m’a aussi semblé un peu trop porté aux jeux de mots, ce qui est un peu différent. […] À côté de cela, un vrai joli mot, à propos d’un homme qui vient de mourir, à l’âge de soixante ans. « Soixante ans, dit un personnage de Petite Hollande. C’est un peu jeune pour mourir, mais c’est si vieux pour vivre ! » N’est-ce pas là du véritable esprit, celui qui fait penser ? Nous étions quelques vieux messieurs8 dans la salle qui avons senti ce mot profondément.
1911 — Un beau mariage
Trois ans et demi plus tard, la chronique de Maurice Boissard dans le Mercure du seize novembre 1911, page 406 est entièrement réservée à Un beau mariage, créé le seize octobre sur la scène du théâtre de la Renaissance, dirigé par Abel Tarride. Ce Beau mariage a été l’une des grandes pièces de la saison, tous les journaux en ont parlé. On peut lire, par exemple, l’article de Robert de Flers dans Le Figaro du 18 octobre, page cinq dont provient le dessin ci-dessous. Et bien entendu Maurice Boissard sur cinq pages entières du Mercure (mais sans dessin). Nous sommes loin de la tiédeur pour Petite Hollande. C’est même exactement le contraire puisque :
Les personnages de M. Sacha Guitry dans Un beau mariage n’ont rien de fabriqué, ils parlent bien le langage de leur milieu, l’esprit qu’ils montrent leur est très naturel, et les situations dans lesquelles ils nous apparaissent sont bien adéquates à leurs personnalités. Dame ! ce ne sont pas des héros, ni même, peut-être, de très, très honnêtes gens. Mais je vous l’ai dit, M. Sacha Guitry peint la vie, il nous montre des gens vrais.

Charlotte Lysès et Sacha Guitry dans Un beau mariage (Le Figaro du 18 octobre 1911).
La pièce est jouée à merveille. C’est M. Sacha Guitry lui-même qui joue le rôle du jeune comte de Valencey. Vous ne vous étonnerez pas qu’il soit parfait. Il est chez lui, il parle comme chez lui, il est simple, naturel, vrai, son héros au complet, en un mot. Est-ce parce que je ne l’ai pas vu jouer souvent ? Je lui trouve vraiment plus de talent qu’à son père, toujours le même dans tous ses rôles. Il faut dire aussi grand bien des décors, surtout celui du dernier acte. Il représente un jardin, avec une réelle fraîcheur. M. Sacha Guitry en blanc, Mme Charlotte Lysès9 en noir, sur le fond vert des arbres, c’est un Manet très réussi.
En même temps une chronique de Maurice Boissard n’en serait pas une s’il ne réservait pas la moitié de son texte à démolir Henry Bataille10 — pourtant présent dans les Poètes d’aujourd’hui — ou Georges de Porto-Riche11. Que ses lecteurs se rassurent, cette chronique répond à la norme.
1912 — La Prise de Berg-op-Zoom
Un an plus tard, le quatre octobre 1912, Sacha Guitry met en scène au théâtre du Vaudeville du deux boulevard des Capucines sa comédie en quatre actes La Prise de Berg-op-Zoom dont il tient le premier rôle avec son épouse Charlotte Lysès. La chronique de Maurice Boissard paraît dans le Mercure du premier novembre 1912 page 173. Dès la première ligne, il se plaint d’avoir vu onze pièces en six soirées :
Cela a pourtant son avantage. L’équilibre se fait dans le jugement à porter sur chacune d’elles.
Et c’est La Prise de Berg-op-Zoom qu’il place en premier12.
Je ne sais pas s’il est vrai que M. Sacha Guitry est l’enfant gâté du public. On le dit. Cela se peut. Fils d’un comédien célèbre avec l’importance qu’on accorde de nos jours aux gens de théâtre — auteur dramatique, acteur lui-même, journaliste et caricaturiste, il est en effet déjà devenu, encore tout jeune, une notoriété parisienne, et la moindre œuvre de lui, sitôt annoncée, crée tout un mouvement de curiosité… sur le boulevard. C’est un enfant terrible, et, comme tel, qu’on adore.
Janvier 1914 — La Pèlerine écossaise
Au début de l’année, le quinze janvier, est créée au théâtre des Bouffes-parisiens de Gustave Quinson13, le fameux initiateur des « billets Quinson », La Pèlerine écossaise, comédie en trois actes.
C’est la première fois que le nom de Sacha Guitry apparaît dans le Journal littéraire14 hors la mention de sa présence aux obsèques de Marcel Schwob. Le nom de cette pièce fait toujours venir le sourire aux lèvres du Léautaldien :
Ce soir, aux Bouffes-Parisiens, avec Billy, pour La Pèlerine écossaise, de Sacha Guitry. Il fait un tel froid, et j’ai une telle peine à avoir un peu chaud, que j’ai pris le parti depuis deux jours de mettre deux vestons, l’un et l’autre, hélas ! presque aussi usés. Je suis allé ainsi, au risque de me faire regarder, aux Bouffes-Parisiens, comme j’aurais été de même à la Comédie. Pour rien au monde je ne mettrais un habit, avec un pareil froid. Billy regarde un peu toutes les choses sous l’aspect de l’argent. Assis dans nos fauteuils au théâtre, avec une salle de gens élégants, d’aspect cossu, gens à autos, il me dit : « Nous sommes certainement, dans toute cette salle, ce soir, les deux individus qui ont le moins d’argent. » Il entendait cela de la situation, de la position sociale. Je lui ai répondu : « Mon Dieu ! c’est bien possible, certainement. N’empêche que je suis habillé avec deux vestons. Trouvez-moi quelqu’un dans la salle qui puisse en montrer autant. »
C’est de ce chapitre que provient cette affaire des deux vestons, souvent reprise dans la geste léautaldienne. Lisons un extrait de la chronique parue dans le Mercure du premier février 1914, à partir de la page 620, dans laquelle Maurice Boissard se montre très pertinent dans son analyse du théâtre de Sacha Guitry.
M. Sacha Guitry et Mme Charlotte Lysès — qui sont mari et femme — sont certainement appelés à avoir un jour une grande réputation, tout au moins parisienne. Ils sont si bien appareillés l’un à l’autre comme comédien et comédienne, qu’ils sont un peu — ils voudront bien ne voir rien de désobligeant dans cette comparaison — comme un numéro de cirque. Ils peuvent jouer ce qu’ils voudront, des pièces de M. Sacha Guitry lui-même ou des pièces d’autres auteurs, ils ont par leur seule présence une telle action sur le public qu’ils auront toujours du succès. Il convient de dire qu’ils ont l’un et l’autre un talent remarquable, fait de naturel, de sincérité, de fantaisie nullement cherchée, un talent qui est si peu théâtral qu’on est porté tout naturellement à penser qu’ils sont dans leur vie privée les mêmes que nous les voyons sur la scène. Mais je ne vois pas pourquoi ils joueraient des pièces d’autres auteurs. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, et M. Sacha Guitry, en plus de son talent de comédien, a assez de talent comme auteur dramatique pour fournir des rôles à toute leur carrière. Mon Dieu ! elles ne sont pas des choses éternelles, les pièces de M. Sacha Guitry. Elles ne posent ni ne résolvent aucun problème. Elles ne se proposent en rien de nous corriger ou de nous améliorer. Elles ne sont en rien de la grande littérature. Mais c’est justement ce qui fait leur agrément. Elles ne comportent même, généralement, aucune intrigue, exposée au premier acte, compliquée au deuxième, dénouée au troisième, comme on ne voit que trop souvent aujourd’hui au théâtre. Elles sont tout bonnement un assemblage bien dosé, bien choisi, ordonné le mieux possible, de ces petits riens qui composent la vie quotidienne. On se lève le matin, on prend son café au lait, en lisant les journaux, le mari faisant part à sa femme des nouvelles à peu près sensationnelles. On a des chiens, qui donnent de petits soucis, qui donnent aussi l’envie, le besoin, de temps en temps, de leur serrer la patte, comme à de bons compagnons qu’ils sont. Des amis arrivent, puis un voisin, ou un autre. On bavarde, on a des paroles, des gestes, quelques pensées. Puis, c’est le déjeuner, puis la journée qu’on passe à ceci ou à cela. Le soir arrive, on dîne, encore un peu de conversation, et on va se coucher. Si vous cherchez ce qui s’est passé dans toute cette journée, vous ne trouvez rien. Mais M. Sacha Guitry arrive, lui. Il prend ce rien, le détaille, le distribue, l’arrange un peu, peut-être ? et avec sa fantaisie, sa cocasserie, son esprit, même, mais oui, son esprit ! un esprit que je souhaiterais pourtant plus sensible, plus fin, plus pensé, moins chargé, moins jeu de mots, plus du véritable esprit, pour tout dire, il compose une pièce, trois actes, écrits et développés si bonhommement qu’on a assez bien l’impression, en les écoutant, de passer un moment chez des gens qui vivent leur petite vie comme si vous n’étiez pas là. N’allez pas croire, après cela, que M. Sacha Guitry n’est pas un auteur ambitieux. Au contraire, il se propose, en écrivant ses pièces, la chose la plus difficile qui soit : « Amuser est mon seul but », dit-il. Il a l’air, n’est-ce pas ? en disant cela, d’un bon garçon pas exigeant, qui se contente d’un rang secondaire. Considérez cependant la masse des auteurs dramatiques qui ne savent que nous ennuyer par leurs thèses, leurs grandes phrases, ce qu’ils croient être de la poésie, des situations inventées de toutes pièces, leur bavardage métaphorique, leurs prêches prétentieux. Vous verrez que le but que se propose M. Sacha Guitry, et qu’il atteint presque toujours, ce qu’il y a de mieux ! n’est pas si modeste, ni si négligeable. C’est une chose qu’oublient trop d’écrivains, et celle pourtant à laquelle doit penser tout homme qui écrit : ne pas ennuyer qui vous lira — qui vous écoutera si vous êtes auteur dramatique. Ne pas ennuyer ! La chose la plus naturelle, et cependant la plus difficile, tout en reconnaissant qu’on n’y réussit pas seulement par la volonté ! Que de mauvais livres nous n’aurions pas, que de mauvaises pièces, si ce précepte littéraire était observé ! Que d’auteurs s’arrêteraient d’écrire, n’auraient même jamais commencé ! Je vous en prie, pensez-y un moment, faites un effort, imaginez ce bonheur : être privé des livres de M. Paul Adam15, des pièces de M. Paul Hervieu16, des romans de M. Paul Bourget17, des prêches délirants de M. Paul Claudel18, des tragédies genre Jean Moréas19, de tant de romans, de tant d’œuvres dramatiques, de tant de recueils de vers, de tant d’articles, études, critiques, tout aussi récréatifs ! Comme on respirerait, comme on reprendrait du goût à lire ! Hélas ! ce n’est qu’un rêve, et nous continuerons jusqu’au bout à jouir de cette espèce d’auteurs qui croient qu’on ne peut écrire sur des sujets sérieux sans combler d’ennui qui se hasarde à vous lire ou à vous entendre. C’est que tous ces gens-là manquent en réalité, par un endroit ou par un autre, de ce qui fait le véritable écrivain : le vrai talent. Ils écrivent, oui, mais avec des côtés d’esprit de professeur, et Dieu sait ce qu’est en général l’esprit professeur : la chose la plus abominable qui soit. M. Sacha Guitry, lui, n’a rien de cet esprit. Il ne veut que nous distraire, et comme sa manière n’est ni malpropre, ni vulgaire, qu’elle ne manque pas de légèreté, d’invention curieuse, et même, parfois, d’observation, on doit lui en savoir gré. La Pèlerine écossaise, qu’il vient de donner aux Bouffes-Parisiens, est tout ce que j’ai dit plus haut : une journée de la vie de gens sans prétentions, mais piquants par leurs manières d’être, et par la drôlerie de leur esprit. Il y a même ceci de curieux, si nous en croyons l’auteur, c’est que c’est une journée de sa propre vie, dans sa propre maison de campagne, dans son propre mobilier, avec des chiens et des amis qui sont ses chiens et ses amis à lui. Raconter ces trois actes, je n’ose pas m’y risquer. Il n’y a pas absolument de sujet, je vous l’ai dit, du moins pas de sujet comme on l’entend habituellement au théâtre. Tout est dans la manière dont M. Sacha Guitry a arrangé, présenté les choses. Qu’il soit content : si La Pèlerine écossaise n’est qu’un amusement de trois heures, du moins est-elle un amusement sûr. Il y a pourtant une philosophie dans cette pièce gaie, rapide et sans prétentions, une philosophie peut-être pas très neuve, mais qui a sa vérité. C’est qu’il ne faut pas se laisser aller dans son ménage, c’est qu’il ne faut pas, sous le prétexte qu’on se sait aimé, le mari par sa femme, la femme par son mari, perdre toute coquetterie, tout soin de sa personne, se coiffer, par exemple, avec un journal plié en bicorne, ni traîner sa nonchalance, les pieds dans des pantoufles éculées. Le mari et la femme que nous montre M. Sacha Guitry, malgré tout leur amour, manquent de bien peu de se tromper mutuellement, parce qu’il passe ses journées, lui, dans un vieux pardessus qui date bien de sa première jeunesse, et parce qu’elle ne quitte pas, elle, du matin jusqu’au soir, une affreuse pèlerine écossaise. Ils se ressaisissent à temps, heureusement, et renoncent pour toujours à ces vieilles frusques pour revenir à la coquetterie des amoureux. On en est enchanté pour la pièce qui finit ainsi de façon charmante, et pour M. Sacha Guitry et Mme Charlotte Lysès, qui seraient bien embarrassés, puisque c’est leur propre intérieur qui nous est montré là, s’il leur fallait, étant séparés, jouer la comédie chacun de leur côté20.
Juin 1914 — Les deux couverts
Paul Léautaud ne l’évoque pas dans son Journal mais le trente mars 1914 il a assisté à la première apparition de Sacha Guitry sur la scène de la Comédie-Française pour sa comédie en un acte : Les deux couverts.
Octave Mirbeau21 a aidé efficacement nombre de jeunes auteurs. Il a soumis à Jules Claretie le texte de cette pièce, qui a été reçue par le Comité de lecture le trente mai 1913 puis représentée le trente mars 1914 avec Maurice de Féraudy et Berthe Cerny. Sacha Guitry, très malade n’a pu y assister. Le 22 avril il a écrit à Maurice de Féraudy : « j’ai pu enfin me faire installer le théâtrophone et ce soir — enfin — je vais vous entendre. Soyez à l’avant-scène que je vous entende bien22. »
Lisons un extrait de la chronique de Maurice Boissard parue dans le Mercure du premier juin 1914 (page 626). L’autre pièce chroniquée est L’Envolée, en trois actes de Gaston Devore23.
Voyez, au contraire, M. Sacha Guitry. Je n’en sais rien, mais j’imagine qu’il lui est venu, un jour, tout à coup, une petite idée de pièce, un rien, une chose d’une demi-heure, à deux ou trois personnages, un croquis rapide. Il s’est mis tout de suite à l’écrire, sans chercher midi à quatorze heures, comme pour s’amuser lui-même. Le résultat de cela ? Les Deux Couverts. Le talent n’est pas autre chose. D’un côté trois actes solennels qui ne disent rien, de l’autre un simple petit acte qui est toute une page de la vie. Je l’avoue, j’avais pris jusqu’ici M. Sacha Guitry pour un fantaisiste, un simple amuseur, un auteur comique un peu farce, agréable et réjouissant à entendre, certes, mais qui ne pouvait guère dépasser cette note. Les Deux Couverts ont beaucoup changé cette opinion. C’est là, avec de l’esprit pour de bon, de l’observation, de la simplicité, de l’émotion vraie. Pour une fois aussi, un auteur faisant ses débuts24 à la Comédie-Française, après avoir eu du succès dans d’autres théâtres, ne s’est pas montré inférieur, bien au contraire. Pour cette raison, M. Sacha Guitry mérite deux fois des éloges. Je n’ai pas le temps d’écrire tout ce que je voudrais. Je pense que M. Sacha Guitry a été de bonne heure à même de voir la vie et dans un milieu, celui des gens de théâtre — je l’ai connu moi-même — dans lequel elle est assez particulière. Cela lui a profité, expérience et sensibilité tout ensemble. Jamais il ne l’avait encore montré comme dans Les Deux Couverts. Je n’ose raconter le sujet de ce petit acte. Je voudrais qu’on aille le voir. Il est d’ailleurs bien probable qu’il restera au répertoire de la Comédie et qu’elle le donnera de temps en temps25. Il le mérite, et au-delà. Il est d’ailleurs joué parfaitement par M. de Féraudy et Mme Berthe Cerny.
Puis c’est la guerre. Les journaux ferment les uns après les autres. Parce que nous aurons l’occasion d’y revenir, voici un encadré en une du Gil Blas du quatre août 1914 :

1915 — André Berthellemy
C’est le vingt septembre 1915 qu’apparaît dans le Journal littéraire André Berthellemy26, personnage qui sera souvent l’intermédiaire entre Paul Léautaud et Sacha Guitry. De plus, le mot intermédiaire lui convient parfaitement.
Lundi 20 septembre 1915
J’arrive tantôt au Mercure, n’y étant pas allé ce matin. Le caissier me dit qu’un amateur de livres, un M. Berthellemy, est venu ce matin pour voir les volumes de la Petite Tribune des Collectionneurs. Il reviendra dans la journée, à trois heures. À cette heure, ce monsieur arrive. Nous causons d’abord. Il connaît fort bien mon nom et un peu ce que j’écris. Il me dit admirer fort Le Petit Ami, avoir même une passion pour ce livre. Il avait donné commission jusqu’à deux cents francs pour avoir le manuscrit à la vente Dauze27. Un autre ayant poussé plus loin, il l’a raté. Il sait aussi que c’est moi Maurice Boissard, informé de cela par Sacha Guitry, qu’il connaît. Il a lu aussi, dans le Mercure, In Memoriam et Amours28. Il m’en a parlé, en y mettant des choses qui m’ont montré qu’il confond un peu, dans sa mémoire, avec d’autres écrits. Il m’a dit avoir fait lire ces choses au chanteur Jean Périer29, à qui elles ont plu aussi beaucoup. Un homme charmant, sûrement fort riche, il a dit lui-même, ce matin, au caissier qu’il ne regarde pas aux prix, qui ne me paraît pas avoir un goût littéraire très sûr (il m’a traité Stendhal « d’emmerdeur », bien qu’il recherche les éditions originales de cet auteur. Il est vrai qu’il m’a dit adorer Laforgue30) et qu’il me paraît bien acheter des livres rares ou singuliers un peu par une sorte de vanité.
1917 — L’Illusionniste
La désillusion sur ses propres travaux est une constante chez Paul Léautaud. Dans son Journal au 23 octobre 1917 il écrit :
Comme les bonnes choses passent vite, je veux dire un certain bonheur d’esprit. J’étais enchanté de ma Chronique sur L’Illusionniste31. En revoyant aujourd’hui mes corrections sur la mise en page, je la trouve absolument quelconque.
Cette comédie et trois actes a été créée le 23 novembre 1917 au théâtre des Bouffes parisiens de la rue Montsigny (et de Gustave Quinson). Sacha est toujours Sacha mais Charlotte Lysès a été remplacée par Yvonne Printemps32. Une fois de plus, Maurice Boissard réserve la quasi-totalité de sa chronique à la pièce de Sacha Guitry. Encore que les deux premiers paragraphes soient davantage réservés à Remy de Gourmont sans le nommer. Nous sommes en octobre 1917, l’issue de la guerre est absolument incertaine, les français vont la gagner d’un cheveu.
Dans le Mercure du premier novembre 1917 la chronique de Maurice Boissard commence en haut de la page 139 mais il faut attendre le bas de la page 142 pour lire enfin ces trois paragraphes :
J’arrive donc à L’Illusionniste de M. Sacha Guitry. Je n’ai pas besoin de dire que l’auteur s’est tenu dans le domaine sentimental, romanesque, et nous l’avons retrouvé dans cette pièce tel que toujours, charmant, spirituel, moqueur, insolent, presque cynique, si plein de séductions que, pour ma part, à ce point conquis par lui, il peut bien de temps en temps montrer quelques faiblesses, je refuserai de les voir. Le sujet qu’il a pris est mince — encore fallait-il le trouver — mais avec M. Sacha Guitry c’est moins le sujet qui importe que la façon dont il l’arrange, le présente, l’exprime, et, cette façon-là, je n’exagère pas en disant que c’est, à chaque fois, une surprise et un ravissement. Le dommage, c’est que le public ne comprend pas toujours. Il y a dans L’Illusionniste des passages de chagrin et de tendresse. Parce qu’ils sont exprimés en souriant, et corrigés par une boutade, le public s’esclaffe. M. Sacha Guitry a bien raison d’être insolent et moqueur.
L’Illusionniste je donne le sujet et seulement le sujet — c’est un faiseur de tours de passe-passe qui remplit un numéro dans tel music-hall que vous imaginerez. Après une de ses représentations, il reçoit dans sa loge la visite de deux spectateurs : une dame et l’oisif qui l’entretient, lesquels viennent le prier de venir, le soir même, donner une séance chez eux, devant quelques invités. Comme il y a déjà un certain nombre de représentations que cette dame vient l’applaudir, arrivant juste pour son numéro, l’illusionniste comprend tout de suite… Nous voyons ensuite cette dame et son entreteneur rentrés chez eux, et occupés à dresser la liste de leurs invités. La dame a son plan. Elle cherche chicane à son amant, fêtard comme il y en a tant, sur les relations qu’il lui impose. La chicane tourne à l’aigre. On renonce à la séance et à convoquer personne. La dame téléphone à l’illusionniste que la séance est remise au lendemain soir. La chicane s’aggrave encore. Le malheureux entreteneur, infiniment maltraité, est obligé de prendre le parti d’aller coucher chez lui, en jurant que, s’en allant dans ces conditions, c’est pour ne plus revenir. Il est à peine parti, que l’illusionniste fait son entrée, la dame ayant téléphoné sans établir la communication. Un court dialogue. La situation s’éclaire. Le désir s’avoue d’un côté, est compris et partagé de l’autre, les baisers s’échangent, et l’illusionniste commence ses tours. Ils sont délicieux, comme le sont les mots d’amour qu’on entend et qu’on dit, qu’ils soient sincères ou seulement un jeu. Car les tours de l’illusionniste, maintenant, ce sont des mots d’amour. Il doit partir le lendemain en tournée, toute l’Europe et l’Amérique à parcourir, et il offre à sa conquête de l’accompagner. Quel enchantement ce sera de s’aimer sous des cieux si divers ! La tenant dans ses bras, frémissante de désir et de rêverie, il lui énumère tous ces pays qu’ils traverseront, avec les charmes particuliers à chacun, leur couleur, leur atmosphère, leur bruit ou leur silence, leurs foules ou leur solitude, leur soleil ou leurs neiges. Oui, quel enchantement ce sera ! La pauvre femme y est prise, et je ne jurerais pas que l’illusionniste lui-même n’y est pas pris, emporté par sa virtuosité. Là-dessus, on va se coucher, pour les débuts d’un si beau programme et vous devinez bien quel voyage ils vont faire, dans les bras l’un de l’autre. Nous les retrouvons tous les deux le lendemain matin. L’illusionniste paraît le premier. Son domestique lui apporte son courrier, qu’il lit en véritable homme d’affaires. Puis, c’est la femme qui paraît, lasse, et si heureuse ! « Quand part-on ? » demande-t-elle à peine entrée. Comment ? quand part-on ? On part donc ? Et où part-on ? L’illusionniste a déjà quelque peu oublié. Ah ! oui, hier soir ?… Quelques heures seulement se sont écoulées, et hier soir est déjà loin. Hier soir était l’heure du désir. Ce matin est l’heure du désir satisfait. C’est inouï le changement que cela peut apporter. Oh ! ce n’est pas que l’illusionniste revienne sur sa parole. Il a offert de partir ensemble ? Il est toujours prêt. Si elle y tient, on partira. Seulement… Seulement, ce voyage sera-t-il vraiment si agréable ? C’est bien vieux jeu, les musées de l’Italie. C’est bien surfait, l’Espagne, Gautier a très arrangé33, et les courses de taureaux sont répugnantes. La Russie n’est qu’une glace, impossible à des gens frileux d’y vivre. L’Angleterre est toujours plongée dans l’ombre et dans l’humidité, et quant à l’Amérique, il faut en faire son deuil : l’impresario a décidé qu’on n’irait pas. Bref, il refait à sa conquête, mais à l’envers, l’itinéraire qu’il lui montrait si séduisant la veille. Comme elle est femme, elle comprend, et devant son rêve écroulé, elle fond en larmes, sans la moindre parole de reproche. À ce moment, l’entreteneur, qui avait juré ses grands dieux, la veille, de ne plus revenir, revient, naturellement, en bon benêt qu’il est. Il a d’abord quelque étonnement de trouver là, de si bonne heure, l’illusionniste. La dame lui explique que celui-ci est venu lui dire qu’il ne peut donner la séance convenue la veille, obligé qu’il est de quitter Paris dans quelques heures. L’illusionniste prend congé, départ qui fait redoubler les sanglots de la pauvre créature si bien revenue à la réalité. La pièce se termine alors par un de ces mots profonds, cruels, d’un comique triste et vrai, qui font qu’on peut être sûr que M. Sacha Guitry nous donnera un jour une véritable grande comédie, un mot digne d’une pièce de Becque34. L’entreteneur, resté seul avec son amie, et la voyant ainsi toute en larmes, vient à elle, la prend tendrement dans ses bras, et du ton le plus doux, le plus caressant : « Comment ! tu pleures ? Pourquoi ?… Oh ! à cause de la scène d’hier soir ?… Pauvre chérie ! »
C’est M. Sacha Guitry lui-même qui joue l’illusionniste. Je ne lui ferai pas d’éloges. Il joue ses pièces avec autant de talent et d’esprit qu’il les écrit. À voir ce que je pense de l’auteur, on peut juger comment je trouve le comédien.
Neuf jours après la parution de cette chronique, Paul Léautaud note dans son Journal :
Charles-Henry Hirsch, qui est chez Vallette, m’envoie chercher par Morisse, pour me dire que Sacha Guitry, qu’il a vu l’autre jour à la Comédie et avec qui il a parlé de moi, lui a dit qu’il voudrait bien me connaître et qu’il l’a chargé de me le dire. Il me demande ce que je décide. Je lui dis : « Nous verrons cela un de ces jours. Que lui dirai-je et que me dira-t-il ? Je ne suis guère à mon aise avec les gens que je ne connais pas. J’aurai l’air d’un niais. C’est très embarrassant. Enfin, nous en reparlerons. »
Connaître Sacha Guitry pour avoir en lui une relation, continuer à le voir, très bien. Le voir une fois, et ne plus le revoir, comme il se pourrait bien que cela arrive avec mon caractère, et mon souci de ne pas raser les gens ? Autant ne pas commencer.
1918 — Deburau
En février 1918 c’est encore la guerre et le 9, Sacha Guitry et Maurice Boissard sont de retour au Vaudeville du boulevard des Capucines sous les cariatides de Jules Salmon (la folie, la comédie, la satire et la musique) installées en 1868 et toujours visibles en 2022, lorsque les travaux en cours seront terminés.
Ce neuf février 1918 se joue donc la première de Deburau, la nouvelle comédie de Sacha Guitry35. Quatre actes et un prologue. Il s’agit (ils sont plusieurs) de Jean-Gaspard Deburau, que tout le monde connaît depuis le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis tourné pendant la guerre suivante (nous n’en manquions pas, alors) et sorti à Paris en mars 1945.
Dans le Mercure du premier avril 1918, Maurice Boissard écrit, page 502 :
La nouvelle pièce de M. Sacha Guitry, je demande mille pardons pour les expressions dont je vais me servir, c’est encore une chose délicieuse, charmante, une vraie trouvaille dramatique, pleine de fantaisie et d’émotion, et qui est un document de plus sur son auteur. Avoir su, aujourd’hui ! se souvenir du Pierrot des funambules, et des Funambules elles-mêmes, et des acteurs bien oubliés de ce curieux petit théâtre36, et avoir mis à la scène leur chef de file, le créateur d’un genre, Deburau en personne, tout cela ne montre-t-il pas un esprit libre, pittoresque, sensible et inventif au possible ? De quelle façon M. Sacha Guitry dame le pion, de plus en plus, à nos fameux auteurs dramatiques, les Donnay, les Lavedan37, les Bataille, les Bernstein38, qui se sont si platement mis « à la hauteur des circonstances » ! C’est merveilleux, et cela fait joliment plaisir.
La petite affaire du Gil Blas
On se souvient de la fermeture du Gil Blas annoncée en une de son numéro du quatre août 1914.
Le quatorze juillet 1918 la guerre a encore quatre mois devant elle mais Paul Léautaud écrit dans son Journal :
Karl Boès39 m’a écrit d’aller le voir au sujet d’une collaboration dont il veut me parler. J’y suis allé aujourd’hui, chez lui, à Sceaux. Il s’agit du Gil Blas, qu’il est en train de remonter avec Mortier40, affaire qu’il pense mener à bien. Il m’offre d’y faire la Critique dramatique, 300 francs par mois, avec l’assurance, sur mon objection, que j’y aurais absolument la même liberté qu’au Mercure, assurance peut-être un peu présomptueuse à mon avis.
Le neuf novembre 1918 Guillaume Apollinaire est mort de la grippe espagnole, comme tout le monde. Le onze l’armistice a été signé et le vingt Paul Léautaud écrit dans son journal :
Cette après-midi41, au Mercure, visite de Karl Boès. Le Gil Blas est décidément en voie de résurrection. Il paraît qu’il reparaîtra dans les tout premiers jours de 1919(42). Boès venait me demander ma réponse définitive en ce qui concerne la Chronique dramatique. Je m’en suis expliqué très franchement avec lui. Enchanté d’écrire cette chronique dans un journal, mais grande crainte qu’au bout de peu de temps mon indépendance déplaise. Or, j’aurai perdu la même place au Mercure, et si, matériellement, j’aurai perdu peu, moralement j’aurai perdu beaucoup.
Ce n’est que le 28 février 1919 que nous comprendrons
Visite au Mercure de Berthèllemy. Il me raconte que c’est à Sacha Guitry que je dois la proposition qui m’a été faite de rédiger la Critique dramatique au prochain Gil Blas. Pierre Mortier se trouvait un soir dans la loge de Sacha Guitry. Il vint à lui dire : « Je voudrais être à même de vous faire plaisir, mon cher Sacha. J’en serais très heureux. Qu’est-ce que je pourrais bien faire ? » Sacha lui répliqua : « Eh ! bien… C’est sérieux ?… C’est accepté d’avance ?… » Mortier répliqua : « Accepté d’avance. » Sacha dit alors : « Eh ! bien, vous prendrez Léautaud comme critique dramatique au Gil Blas, quand vous allez le faire reparaître, avec 1 000 francs par mois. » Mortier assura que c’était convenu et Berthèllemy me dit que tout est parti de là.
[…]
Le curieux c’est ceci : Karl Boès me disant que c’est lui qui m’a désigné à Mortier pour la Critique dramatique, et Berthèllemy me racontant aujourd’hui la gentillesse de Sacha Guitry. Décidément on se dispute le mérite d’avoir pensé à moi.
Berthèllemy venait acheter le Mercure du 1er mars, contenant ma Chronique sur Pasteur. Il m’a dit qu’il avait compté dès le premier jour sur un éreintement et qu’il en a prévenu Sacha Guitry lui-même, lequel, m’a-t-il dit, ne se fâchera nullement pour cela à mon égard.
1919 — Le Mari, la femme et l’amant
Journal particulier au 22 avril 1919 :
Ce soir, au Vaudeville, pour la nouvelle pièce de Sacha Guitry : Le mari, la femme et l’amant.
Ce sera tout. Rien dans le Journal littéraire. La chronique est parue dans le Mercure du premier juin, page 525, boissardissime. Il faut la lire, absolument, en voici des fragments.
Maurice Boissard, donc commence par nous parler de sa santé, il a pris froid. Puis :
Je dîne dans le quartier, puis je me mets en route, léger, flâneur, plein de rêverie, une cigarette d’une main, ma canne de théâtre de l’autre. En passant, je me regarde dans une glace.
[…]
Au boulevard Saint-Germain, je prends la rue de Seine, qui est bien une des rues les plus pittoresques de la rive gauche. Je la connais par cœur. Dans ma jeunesse, pendant des années, je l’ai parcourue, aller et retour, quatre fois chaque jour. J’en pourrais dire, les yeux fermés, toutes les boutiques. Quand elle disparaîtra, ou plutôt, quand on la modifiera, ce dont on recommence à parler, je vieillirai soudain de beaucoup par le nombre de mes souvenirs qui se trouveront effacés. À l’un des angles qu’elle fait avec la rue Jacob, il y a un épicier. Quand je passai là, l’autre soir, une jolie fille en négligé entrait en courant dans la boutique pour ses provisions du soir, pressée à la vue du garçon qui posait déjà les volets. Je m’arrêtai un instant à la regarder, accueillant toutes les pensées libertines qu’elle faisait venir à mon esprit.
Maurice Boissard décrit ensuite la lamentable histoire qu’un pauvre gars, arrêté par les passants pour avoir volé un fer à friser chez un coiffeur, puis :
En passant devant le 13 de la rue de Seine, je pensai à mon ami Billy43. Là, il y a plusieurs années, je montai le voir, un jour, dans une pièce étroite, pleine, partout, de livres et de papiers. Il n’était alors qu’un tout jeune gazetier, lui qui est en train de devenir un de nos journalistes notoires et un conteur aussi bref que véridique. Un souvenir qui nous concerne tous les deux me revint à l’esprit. J’avais emmené Billy à la première de La Pèlerine écossaise, de M. Sacha Guitry, aux Bouffes-Parisiens.
Là, bien sûr, Maurice Boissard nous redit l’anecdote que les lecteurs de cette page web viennent de lire. Puis :
j’étais plein de rêverie. J’atteignis les quais, j’arrivai au pont des Saints-Pères. Le Carrousel, la place du Théâtre-Français, l’avenue de l’Opéra, j’allais mon chemin, encore un chemin que j’ai fait, autrefois, pendant des années, plusieurs fois par jour, dans la journée pour aller à mes occupations et en revenir, la nuit, pour accompagner mon père, à sa sortie de la Comédie-Française, jusqu’à la gare Saint-Lazare, et ensuite pour rentrer chez moi. Dans l’avenue de l’Opéra, je coupai à la rue des Moulins. Je traversai la rue des Petits-Champs, je pris le passage Choiseul, puis la rue de Choiseul. La rue du 4-Septembre traversée, je me trouvai au coin de la rue de Hanovre. Je m’arrêtai là un instant, plus que jamais plein de rêverie. Il faisait encore légèrement jour. Je regardai les maisons de cette rue, le quatrième étage de chacune d’elles. Je me rappelais — je la sais par cœur et je devrais plutôt dire que je me la disais tout bas — une phrase d’une lettre de Stendhal à son amie Mme Jules « Quand aurez-vous un petit salon bien chaud, au quatrième étage rue de Hanovre, et moi dans ce salon de sept à huit le soir, bavardant avec quelques amis intimes, qui sachent ne rien prendre au sérieux, hors l’amitié et l’amour ? Tout le reste n’est qu’une mauvaise plaisanterie. » Qu’on se moque de moi si on veut ; elle me touche, elle me plaît, elle me charme, elle m’enchante, cette phrase44…
Cette chronique est une merveille boissardienne qui nous fait un peu perdre de vue qu’elle concerne une pièce de Sacha Guitry. Au bout de trois pages, Maurice Boissard y arrive, parce qu’il faut bien faire le travail que son employeur attend de lui :
Allons ! il faut faire le critique dramatique. Je suis arrivé devant le Vaudeville. J’entre. Je gagne ma place. Le rideau se lève peu après. Nous sommes maintenant à la nouvelle pièce de M. Sacha Guitry.
Elle est piquante, légère, parfaitement immorale, même assez libertine, pour ne rien omettre. C’est un rien, mais fort amusant à entendre. Le Mari, la Femme et l’Amant, c’est M. Sacha Guitry revenu, après Pasteur, aux œuvres dans lesquelles il excelle, pleines de trouvailles, d’ingéniosité, de fantaisie, avec un grand sens du comique et souvent un don surprenant d’observation. Vous me direz que le sujet, à en juger par le titre, n’a rien de bien nouveau ? C’est entendu. Nous-mêmes, sommes-nous bien nouveaux dans l’un ou l’autre de ces trois personnages que nous sommes tous ? Comme toujours, c’est le ton, le tour, l’aspect que M. Sacha Guitry donne au dialogue comme aux situations, qui fait l’originalité de sa pièce et son agrément. On ne verrait plus personne si on voulait ne voir que des gens d’esprit, on n’écouterait plus aucune conversation si on voulait n’entendre que des choses profondes, on ne lirait plus de livres si on voulait ne lire que des chefs-d’œuvre et on n’irait plus au théâtre si on voulait ne voir que de grandes pièces. Un des grands mérites des pièces de M. Sacha Guitry, c’est que ses personnages sont vivants et parlent clair et sans bavardage. Quand on va souvent au théâtre et qu’on voit et entend les pires inventions dans les caractères comme dans le style, on apprécie cela.
1920 — Je t’aime
Rien dans le Journal littéraire mais à partir de la page 565 du Mercure du premier novembre 1920 :
Voici maintenant une pièce charmante, délicieuse, d’une séduction à laquelle on ne peut résister, dans laquelle la fantaisie, l’esprit, la malice, l’observation la plus exacte et la sensibilité la plus juste font merveille. C’est la nouvelle comédie de M. Sacha Guitry : Je t’aime45 que vient représenter le Théâtre Édouard VII. Est-ce une pièce, une pièce au sens dans lequel on l’entend couramment, une pièce avec une intrigue, une pièce qui prouve quelque chose ou du moins y prétend, une pièce qui a pour de bon un commencement et pour de bon un dénouement ? Non, et j’ajouterai tout de suite : heureusement. Je dirai même qu’il faut un bien autre talent pour écrire du théâtre de cette sorte, que pour combiner ces soi-disant grandes pièces dans lesquelles la prétention égale l’ennui et dont tout est faux et artificiel d’un bout à l’autre, les sentiments aussi bien que l’expression. Il faut même plus que du talent et ce qui vaut mieux : le sens du vrai, du juste et du naturel. Je t’aime n’est qu’une suite de scènes et de tableaux, mais ces scènes et ces tableaux sont la vie même. Si vous voulez, ils n’ont, en eux-mêmes, rien pour nous surprendre. Vous, moi, nous les avons tous vus. Deux jeunes gens qui s’aiment, un salon bourgeois où les maris ont des maîtresses et les femmes des amants, où l’envie, la bêtise et le dénigrement ne cessent pas et où on se distrait avec les plaisirs les plus plats et les plus grossiers, un paresseux ingénieux à vivre confortablement et à se faire garnir d’argent aux dépens des autres, enfin un ménage assorti et s’adorant, allant cacher et préserver son bonheur dans l’éloignement et la solitude, tout cela n’a rien d’extraordinaire. Ne vous ai-je pas dit que ces scènes, ces tableaux sont la vie même ? Mais le grand, l’incomparable talent de M. Sacha Guitry, c’est de mettre la marque de son esprit, de sa grâce, de son amusement, de son observation, sur tout ce qu’il touche. Il faut voir comme ces scènes et ces tableaux sont traités et conduits. Il faut regarder ces personnages si vrais dans leur comique. Il faut entendre ce dialogue rapide, aisé, net, fin, moqueur, naturel, juste, dans lequel s’exprime par instants l’émotion la plus vraie aussi. Sous l’apparence la plus simple, il y a là un ensemble de dons remarquables. Je ne crois pas me tromper, je pense que M. Sacha Guitry doit avoir un grand plaisir à écrire de telles pièces. N’est-ce pas, au reste, la première condition pour bien écrire, dans un livre ou au théâtre, et pour intéresser son lecteur ou son spectateur, que d’écrire avant tout par plaisir ?
1922 — Jacqueline
Jacqueline est une comédie en trois actes de Sacha Guitry d’après Morte la bête, une nouvelle d’Henry Duvernois46 représentée au théâtre Édouard VII le cinq novembre 1921 avec Lucien Guitry et Yvonne Printemps. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Yvonne Printemps ne tient pas le rôle de Jacqueline, dont on parle beaucoup mais qui n’apparait pas puisqu’elle est morte avant le premier acte.
Il faut aussi noter, ce qui est important, que les chroniques de Maurice Boissard ne paraissent plus dans le Mercure mais dans La NRF, ici le numéro du premier janvier 1922, à partir de la page 82.
Le moins que l’on puisse dire est qu’en ce début novembre 1921, Maurice Boissard n’avait pas le moral. Voilà le début de sa chronique, telle qu’imprimée dans La NRF :

Le fragment publié ci-dessus appartient à la page 82. Il y a encore le bas de la page à lire puis toute la page 83 avant qu’enfin Sacha Guitry soit évoqué. Le fragment reproduit ci-dessous vient de la page 85 :
Pour la première fois, je crois, M. Sacha Guitry, avec Jacqueline, nous a donné une pièce dont le sujet n’est pas proprement de lui. Il a porté au théâtre une nouvelle de M. Henri Duvernois : Morte la bête… parue dans le premier volume des Œuvres libres. On connaît M. Henri Duvernois. C’est un conteur de grand talent. Il n’est pas un conte, une nouvelle de lui qui n’ait son intérêt, qui ne donne du plaisir à lire, qui n’ait, bien mieux, ce mérite qui compte en littérature : être de lui, être du Duvernois, et non pas quelque chose de ressemblant à la production courante.
Puis très rapidement on dévie sur Aurel, bête noire de Maurice Boissard on se demande pourquoi, il n’y a pas qu’elle. Il faut attendre trois pages encore pour revenir à la pièce, avant de conclure :
L’interprétation est hors de pair, avec M. Lucien Guitry, M. Berthier47 et Mme Yvonne Printemps, à qui je finirai par trouver encore plus de talent dans les rôles difficiles que dans les petits rôles simplement amusants.
Maurice Boissard disant du bien d’une femme, le fait vaut d’être noté.
Aucune note du Journal littéraire n’indique que Paul Léautaud est allé passer sa soirée au théâtre Édouard VII.
Avril — Le Misanthrope, par Lucien Guitry

Illustration de Fred Bedoc pour son ouvrage Dans le fauteuil d’Alceste saison 2022-2023 en vente aux Presses françaises, 10 bis rue de Châteaudun ».
Journal littéraire au treize février 1922 :
Il a pris à Lucien Guitry la fantaisie de jouer Alceste48. J’avais écrit à Sacha Guitry pour lui demander de me faire voir cela. Il m’a envoyé deux places pour une répétition intime qui se donnait ce soir. J’y suis allé avec Madame Cayssac49. À un entr’acte, j’ai vu arriver Sacha Guitry jusqu’à mon fauteuil. Il m’a dit : « Puisque Berthellemy ne veut pas me présenter, je me présente moi-même. » Là-dessus poignée de mains, paroles aimables, très brièvement, puis un silence. Il m’a dit que mes articles lui ont fait grand plaisir et je lui ai dit que lui-même m’a donné de grands plaisirs comme acteur et comme auteur. En nous quittant, comme il fallait bien rompre le silence, il m’a dit : « Laissez-moi vous assurer de toute mon admiration pour votre caractère. » Je lui ai répondu qu’il était bien gentil et cela a été fini. Ces sortes d’histoires sont assommantes, gênantes et ridicules. Surtout ainsi, entre des rangs de fauteuils d’orchestre, entouré de gens. Nous aurions été dans un couloir, au foyer, j’aurais peut-être eu un peu plus d’aisance.
Berthellemy m’a dit ensuite que Sacha lui avait en effet demandé de me le présenter et qu’il avait refusé, sachant que cela me gênerait. Madame Cayssac a vu Sacha, qui était placé au fauteuil de balcon, appeler une ouvreuse, qui est ensuite revenue lui parler. Elle pense qu’il l’avait chargée de s’informer de la place que j’occupais ou de savoir si j’étais bien celui qu’il désirait voir50.
La Chronique est parue dans La NRF d’avril, dans laquelle Maurice Boissard traite de deux mises en scènes différentes du même Misanthrope. Il y a celle de Louis Jouvet avec Jacques Copeau en Alceste et Valentine Tessier51 en Célimène, donnée depuis le 25 janvier au théâtre du Vieux-Colombier. La seconde mise en scène est celle de Sacha Guitry avec Lucien Guitry en Alceste, Nadia Charlane en Célimène et Henri Desfontaines52 en Philinthe au théâtre Édouard VII pour dix représentations à partir du 14 février.
Comme souvent Maurice Boissard s’égare. La chronique commence page 472. En haut de la page 473 nous en sommes à Saint-Simon, au milieu à Stéphane Mallarmé et en bas à Paul Bourget ; et page 474 à Stendhal, on ne peut pas dire qu’on s’approche du sujet, en fait on tourne encore autour de Paul Bourget. Il faut attendre la page 476 pour lire :
J’arrive enfin au vrai sujet de cette chronique
Mais en fait Maurice Boissard — à travers le personnage inventé de son ami le vieil amateur de théâtre — parle de Molière et d’Alceste tels qu’il les voit, mais pas de Lucien Guitry.
La presse du 15 décembre est enthousiaste et admirative de l’interprétation de Lucien Guitry (Fernand Gregh53 et Georges Bourdon54 dans Comœdia, Régis Gignoux55 dans Le Figaro). Maurice Boissard ne l’évoque quasiment pas et conclut sa chronique ainsi :
Voulez-vous, pour finir, deux appréciations importantes sur l’Alceste donné par M. Lucien Guitry ? Les voici. M. Le Bargy56, qui assistait à la première répétition, a dit, on me l’a rapporté : C’est bien, mais ce n’est que bien. » M. Edmond Sée57, lui, a dit, devant moi, c’est bien le mot, car j’étais placé derrière lui : Il joue le premier acte admirablement. Après, c’est impossible. »58
Journal littéraire au onze août 1922 :
Rencontré Berthellemy. Je lui demande des nouvelles de Sacha Guitry et de Périer. Il me dit que Sacha Guitry a gagné pas loin de son million à la dernière saison théâtrale. Deburau a été joué en Amérique, avec 600 représentations. Rien que cela représente des droits d’auteur appréciables.
Septembre — Une petite main qui se place
Le quatre mai 1922, Sacha Guitry joue, dans son théâtre, Une petite main qui se place, comédie en trois actes et un épilogue. Pas toujours très réactif, Maurice Boissard rendra compte de cette pièce dans La NRF de septembre, alors qu’elle n’est plus à l’affiche :
Une nouvelle pièce de M. Sacha Guitry est toujours un grand plaisir. Ce diable d’homme va de succès en succès. C’est à chaque fois une nouvelle merveille d’ingéniosité, de trouvailles, de riens qui prennent sous sa plume la fantaisie la plus plaisante, une cocasserie qui paraît inventée et qui apparaît tout de suite prise dans la vie même, une drôlerie, une clownerie étincelantes, et tout cela dit et présenté avec un naturel, une simplicité, une brièveté sans pareils, et de temps en temps une émotion qui se cache, s’exprime à peine, charmante, rapide et vive. On ne peut raconter le sujet d’Une petite main qui se place60. Chaque scène est une petite pièce et toutes réunies font un ensemble qu’on écoute avec un plaisir dans lequel l’intelligence a sa part, tant c’est un spectacle curieux que celui d’un écrivain doué d’une telle verve jointe à de pareilles qualités d’observation et d’invention. […] Jamais on ne célébrera assez M. Sacha Guitry comme auteur dramatique. Il a tous les dons : la facilité, la langue, le naturel, l’invention, la vérité, le renouvellement, la fertilité, la clarté, la sensibilité, l’observation, l’émotion, et l’esprit, l’esprit par-dessus tout, l’esprit sans lequel l’intelligence n’est qu’une chose pédante, lente et monotone.
Novembre — Correspondance
Le trois novembre 1922, Paul Léautaud répond à une lettre de Sacha Guitry non retrouvée :
À Sacha Guitry
Paris le 3 novembre 1922
Cher Monsieur,
Vous êtes bien gentil de m’avoir écrit au sujet de mon dernier article61. Je suis tout de même content qu’il vous soit tombé sous les yeux. Mais vous, avoir pris cette peine pour moi. Savez-vous que j’en suis un peu gêné. Je suis habitué à me payer de ce que j’écris par le plaisir que j’ai à l’écrire. Il me semble que c’est moi qui redois quand on y ajoute des remerciements.
Moi aussi je regrette quelquefois de ne pas mieux vous connaître. Quand un homme intéressé à ce point par ses travaux et ce que révèlent de lui toutes les qualités d’esprit qu’il montre, on se dit que la connaissance réelle serait un beau complément. Je suis aussi, vous le savez, né dans un milieu de gens de théâtre. J’y ai passé mon enfance. J’y ai vécu ma jeunesse. L’envers du théâtre a toujours eu pour moi beaucoup de goût. Souvent je regrette d’avoir quitté les mille spectacles qu’il offre. La vie en a décidé ainsi. Il faut travailler pour vivre, et employer à un autre travail les soirées, qu’on a seules à soi. Il a fallu renoncer au plaisir d’aller et venir, de se montrer, de retrouver de temps en temps avec plaisir des gens qui plaisent, avec qui on perd sa timidité, avec qui on se réveille l’esprit et les idées. Je recommencerais aujourd’hui, j’aurais l’air un peu « paquet » je crois bien. Soyons sage. Contentons-nous de la conversation silencieuse avec 45 chats.
Je vous fais mes meilleurs compliments.
P. Léautaud
Blanc et noir
S’il arrive — nous l’avons vu — que Paul Léautaud se rende au théâtre sans l’évoquer dans son Journal, l’inverse est vrai aussi, comme quoi il faut lire les deux. Le huit novembre 1922, dans son Journal il écrit :
Ce soir, aux Variétés, pour la répétition générale de Blanc et Noir, de Sacha Guitry.
Et c’est tout. Aucun commentaire, aucune chronique, nous savons pourquoi grâce à ce même Journal à la date du onze décembre 1922 :
J’ai travaillé hier dimanche, toute la journée et jusqu’à minuit, à ma chronique dramatique pour la N.R.F. du 1er janvier. Ce matin, en arrivant au Mercure je trouve une lettre de Jacques Rivière m’informant que ce numéro, consacré entièrement à Marcel Proust, ne comprendra pas de Chronique dramatique. La mort de Marcel Proust me coûte ainsi 250 francs. C’est une jolie couronne.

Le manuscrit de cette chronique se trouve donc peut-être quelque part dans le fond d’archives de la bibliothèque Doucet ou de celle de Grenoble.
On peut se contenter de l’agréable chronique de Régis Gignoux en une du Comœdia du dix novembre, dont est extrait ce dessin de Tor62.

1923 — Un sujet de roman
Une autre pièce que Paul Léautaud est allé voir sans que Maurice Boissard n’en écrive la chronique est Un sujet de roman. Nous ne saurons pas grand-chose non plus.
Journal particulier au quinze décembre 1922 :
Je lui [Anne Cayssac] ai offert de venir lundi après-midi à une répétition générale pièce Sacha Guitry.
C’est tout, débrouillez-vous avec ça.
Il s’agit de la répétition générale, le 18 décembre à 21 heures au Théâtre Edouard VII d’Un sujet de roman, avec Sarah Bernhardt et Lucien Guitry. Cette pièce est couplée avec la comédie en un acte à trois personnages : Un type dans le genre de Napoléon, créée en novembre 1911 dans laquelle, cette saison, Sacha Guitry ne joue pas.
Nous changeons d’année et le deux janvier 1923, qui est un mardi, Paul Léautaud, de retour de sa journée de travail, écrit dans le train, sur ses genoux, avec son mauvais stylo [« Mon stylographe m’agace. Une camelote. »], dans un cahier (les noms entre crochets, rajoutées ci-après, ne figurent évidemment pas dans l’édition papier) :
Il y a des situations piquantes dans la vie. Romanesques aussi, avec toutes les complications d’un cas de conscience. Certains écrivains en font des romans, dans lesquels, après avoir été les acteurs de l’histoire, ils en sont les héros. Le théâtre surtout offre de ces situations. En voici une d’actualité. D’un côté, un acteur célèbre [Lucien Guitry]. De l’autre une comédienne jolie et de beaucoup de talent [Henriette Roggers]. Ils se sont aimés, ils ont vécu ensemble. Lui, avec autant de brutalité que de vanité, elle, avec autant de patience que de passion. Il la battait comme plâtre et elle en a vu de toutes les couleurs. Ils se sont enfin séparés. Lui a eu d’autres maîtresses, qui l’ont adoré autant et qu’il a traitées de même, et pour lesquelles cette liaison a été un égal martyre, Elle, s’est mariée, avec un romancier connu [Claude Farrère]. Elle a presque renoncé au théâtre. On ne l’y voit plus que dans la salle, comme spectatrice, mais voilà que le fils de l’acteur célèbre écrit pour lui une pièce qu’il doit jouer avec une actrice plus célèbre encore [Sarah Bernhardt]. Au dernier moment, celle-ci malade, il faut la remplacer. Ce sera elle, ce sera elle qui jouera avec son ancien amant, cet homme qu’elle a tant aimé, qui l’a tant fait souffrir et tant battue. Et justement, leurs rôles présentent ceux d’un couple qui se déteste jusqu’à la haine [Un sujet de Roman]. L’esprit s’arrête à imaginer ce qui se passera chez l’un et chez l’autre à se retrouver ainsi face à face. Qui sait si cette intimité artificielle ne réveillera pas quelque chose, chez lui, ou chez elle, ou chez les deux peut-être, de l’ancienne intimité passionnelle ? Quelles ont été, d’autre part, les pensées du mari, en voyant sa femme retourner jouer avec son ancien amant, en les voyant tous les deux sur la scène ? Il joint à sa qualité de romancier, celle de critique dramatique et il aura à rendre compte de la pièce. Quel bel article il pourrait écrire ! N’est-ce pas là une situation piquante ? Il n’y a peut-être pas là un sujet de roman. Il y a en tout cas celui d’une belle nouvelle.
Mercredi 3 Janvier
Très belle salle ce soir au théâtre Édouard VII, pour la répétition générale de Un sujet de roman, de Sacha Guitry. J’ai toujours un peu de mélancolie quand je me trouve au milieu de ces gens (je parle des écrivains) qui ont tout leur temps libre pour le travail, que rien ne dérange de ce travail, qui n’ont pas leur vie partagée en plusieurs parties si différentes comme est la mienne, qui jouissent ainsi d’un entraînement parfait, continu, leur travail y gagnant comme leur état d’esprit. Je sais bien que la plupart ont peiné durement au commencement, ont couru le risque. Moi, je n’ai jamais osé me lancer. J’ai eu peur du hasard, j’ai préféré assurer d’abord ma vie avec un emploi, sacrifié ma liberté pour la sécurité matérielle. Je n’ai peut-être pas été très brillant, sous ce rapport. J’ai eu peur de l’aventure et du risque.
Le vingt janvier vient au Mercure la veuve de Victor Segalen63, devenue la secrétaire de Claude Farrère64. Elle vient recopier Danaë ou le malheur de Pierre Louÿs paru dans le numéro de juillet 1895, épuisé.

J’ai fait parler Madame Segalen sur Henriette Roggers65, à propos du rôle qu’elle joue dans la pièce de Sacha Guitry : Un sujet de roman. J’ai commencé par lui dire qu’il y avait une situation assez piquante entre les interprètes de cette pièce. Elle croyait que je faisais allusion à la peinture qu’est cette pièce du ménage Mirbeau66. Je lui dis que ce n’était pas cela du tout. Elle me demanda ce que c’est. Je lui dis : « Si vous ne savez pas ce que je veux dire, je ne vous dirai rien. Ce serait peut-être alors un peu indiscret de ma part. Je vous ai dit une situation piquante entre les interprètes de la pièce. — Ah ! me répondit-elle, entre Madame Roggers et Lucien Guitry ? — Oui. — Elle en a eu tant d’autres depuis. C’est du passé. Il est bien probable que Farrère le sait. — Il paraît pourtant que son histoire avec Guitry n’a pas été une histoire ordinaire, qu’elle a beaucoup souffert. — Madame Roggers est une femme d’un tempérament extraordinaire, passionné. Il est bien certain qu’un homme comme Guitry ne pouvait pas ne pas tenir une grande place dans sa vie. Mais tout cela est loin aujourd’hui. » Elle me répète alors : « Elle en a eu tant d’autres depuis… Quand ce ne serait que d’Annunzio67. Elle a été poursuivie par lui pendant des années. Elle a de lui toute une collection de lettres admirables. »
Je parle à Madame Segalen de la voix singulièrement pénétrante qu’avait Henriette Roggers quand elle jouait autrefois à la Renaissance et que je ne lui ai pas retrouvée dans son rôle d’Un sujet de roman, une voix brisée, ardente, sensuelle, la voix d’une femme en train de faire l’amour. Elle me dit : « Elle l’a toujours, mais dans son rôle, dans Un sujet de roman, il lui a fallu l’éteindre un peu, à cause du personnage qu’elle joue. »
Je demande si Henriette Roggers est contente de son rôle. Réponse : enchantée. Je dis : « Elle a l’air d’avoir renoncé un peu au théâtre. Elle ne joue plus guère. » Réponse : « C’est parce qu’elle ne veut pas jouer n’importe quel rôle. Sans cela, elle meurt toujours d’envie de jouer. »
Je reviens à mon idée qu’il y a quelque chose de piquant à revoir jouer ensemble Lucien Guitry et Henriette Roggers, après tout ce qu’on sait de leur ancienne liaison. Madame Segalen s’en tient à la sienne, que c’est là une histoire bien finie pour tous les deux. Quand il a fallu renoncer à Sarah Bernhardt pour jouer le rôle et que Lucien Guitry l’a demandée, il lui a dit : « Il n’y a qu’une femme pour jouer ce rôle, c’est vous. »
Madame Segalen me dit qu’Henriette Roggers a appris et répété son rôle jusqu’au dernier moment sans la moindre certitude de le jouer vraiment. Sacha Guitry l’en avait prévenue : « Si Sarah se décide encore au dernier moment, c’est elle qui jouera. Elle a été trop gentille pour moi quand j’étais enfant, je lui dois trop, pour ne pas faire tout ce qu’elle voudra. »
Madame Segalen parle de Claude Farrère comme d’un homme extrêmement bon.
Je pense, en notant tout cela, à une autre maîtresse de Lucien Guitry, Marthe Brandès68. Qu’est-elle devenue ? On n’entend plus parler d’elle. Je crois avoir entendu dire, il y a quelques années, qu’elle était devenue fort malade de la poitrine, crachant le sang, et obligée d’aller vivre dans le midi. Je me rappelle aussi ce que Moreno racontait un jour sur sa liaison avec Guitry, combien elle avait souffert, combien il l’avait rendue malheureuse, qu’il y avait de quoi pour elle en mourir, au point que tous ses amis lui avaient dit de le quitter, de le fuir, qu’elle y laisserait sa peau. Je me rappelle comme elle était quand je la voyais à la Comédie, si étrangement jolie, souple, des yeux si beaux, un nez délicieux, une vraie bouche d’amoureuse, et une voix inoubliable, à la fois chaude et brisée, langoureuse, ardente et un peu enfant. J’ai été amoureux d’elle, je crois bien, dans ce temps-là69. Je voudrais bien la revoir. […].
Madame Segalen n’est pas jolie du tout. Elle dit qu’elle s’est trouvée sans rien à la mort de son mari, obligée de travailler pour vivre avec deux enfants. Segalen était médecin de la marine. Cela explique, semble-t-il, l’intervention de Farrère, ancien officier de marine.
Les animaux
Mardi 22 janvier
Il m’est venu, il y a longtemps, l’idée de demander à Sacha Guitry de l’argent pour les bêtes. J’entends de l’argent pour améliorer, agrandir tel refuge, celui de Madame Simons70, par exemple, dévouée si efficacement aux animaux. J’ai retourné pendant longtemps cette idée dans ma tête avant de me décider, avant d’être sûr d’avoir la hardiesse nécessaire. Puis l’idée m’est venue d’utiliser, plutôt que d’écrire, l’intermédiaire de Berthellemy, ami de Sacha et avec lequel je suis très bien. La lettre aimable que Sacha m’a écrite il y a quelque temps au sujet de mon compte-rendu de Une petite main qui se place m’a tout à fait décidé. À la répétition générale de Un sujet de roman j’ai demandé à Berthellemy de venir un soir, un jour, quand il aurait le temps, au Mercure, pour une ambassade auprès de Sacha. Très intrigué, naturellement. Voilà-t-il pas qu’il s’est mis à croire que je voulais demander à Sacha de m’ouvrir les Œuvres nouvelles ? J’ai bien ri et j’ai dit à Berthellemy qu’il était loin d’avoir deviné et que je n’avais rien de littéraire à demander à personne.
Berthellemy est venu tantôt au Mercure. Je lui ai raconté mon affaire. À peu près en ces termes : Sacha est pour moi un des heureux de la terre. Je trouve que des gens comme lui peuvent faire quelque chose pour la misère et la souffrance des bêtes. Il est sans doute comme ses pareils, très ignorant, sinon indifférent, sur cette question. Je pense que la demande venant de moi doit suffire à lui en faire sentir le sérieux. Ce n’est pas pour moi que je demande. C’est pour une œuvre. J’aurai un reçu que je lui remettrai.
Berthellemy m’a expliqué que somme toute, Sacha, qui gagne un argent fou et se paie les fantaisies les plus coûteuses, n’est pas absolument généreux. Berthellemy m’a raconté qu’il lui est arrivé récemment de faire une jolie gaffe à ce sujet, chez Sacha, dans un dîner auquel assistait son père. On parlait de Tessandier, qui se trouve dans la misère, vieille, et pour qui on a organisé une sorte de collecte dans le monde du théâtre71. Berthellemy disait qu’il trouvait singulier que des vedettes de théâtre, comme Max Dearly, qui gagne 1 500 frs par soirée, Jeanne Marnac, qui en gagne 1 000, d’autres du même genre, eussent donné tout bonnement 100 francs pour une femme comme Tessandier, qui a eu de la réputation, qui a joué aux côtés de grands artistes, qui a appartenu à des théâtres officiels, etc., etc. Il s’aperçut, en disant cela, que tout le monde se taisait et même tenait un peu le nez dans son assiette. Il apprit dans la suite que Sacha n’avait pas donné plus, 100 francs tout bonnement, lui aussi. « Vous comprenez si j’avais fait une de ces gaffes ! » me disait Berthellemy. Il me dit après cela : « Enfin, sur quelle somme comptez-vous. Quelle somme voulez-vous. Moi, je pense que si Sacha vous donne 500 francs… » Je l’ai arrêté : « Cinq cents francs ? Il pourra les garder. »
J’ai raconté alors à Berthellemy que, à la répétition générale de Un sujet de roman, Yvonne Printemps était dans la loge de Jeanne Granier72, qu’elle avait au cou une parure de perles, qui, si elles étaient vraies, représentaient plusieurs centaines de mille francs. Berthellemy m’a répondu : « Voulez-vous savoir ce que Sacha a offert de bijoux à sa femme depuis moins d’un an ? Quinze cent mille francs ! — Eh ! bien, ai-je répliqué, on peut bien faire quelque chose pour les bêtes malheureuses quand on peut dépenser ainsi autant d’argent. Cinq cents francs ? Mais vous lui direz que c’est ce que je donne par an, moi, qui travaille pour gagner ma vie et qui suis pauvre. »
Berthellemy a soulevé alors une question à laquelle je n’avais pas pensé. Il m’a dit : « Voulez-vous une somme une fois pour toutes, ou voulez-vous une somme chaque année, comme une subvention. » J’ai répondu à Berthellemy d’attendre ma réponse avant de parler à Sacha. Une somme une fois pour toutes ? Sacha croira se fendre beaucoup en me donnant 1 000 francs. Une somme chaque année ? Il donnera peut-être 500 frs. Il n’y a pas à hésiter : une somme chaque année est préférable.
[…]
J’ai dit, en terminant, à Berthellemy « Ma commission ne vous ennuie pas à faire ? Ne vous gênez pas. Dites-le-moi. — Moi ? Pas du tout. Je ne dépends en rien de Sacha Guitry. Il ne dépend en rien de moi. Je le fréquente parce qu’il me plaît, parce qu’il m’amuse. Il me reçoit, je crois, parce que je lui plais aussi, que je l’amuse. Je ne lui ai jamais rien demandé et il ne m’a jamais rien demandé. Je lui ai seulement servi de modèle pour une de ses pièces, Un beau mariage. Votre commission ne me gêne en rien. »
L’amour masqué
Une autre pièce de Sacha Guitry vue par Maurice Boissard mais non chroniquée, L’Amour masqué, qui est une opérette mise en musique par André Messager le quinze février 1923 et interprétée par un Sacha Guitry un peu embarrassé de cette musique, et une Yvonne Printemps bien plus à l’aise. C’est de cette opérette que nous vient la chanson — difficilement écoutable de nos jours, en tout cas dans la version originale :
J’ai deux amants, c’est beaucoup mieux,
Car je fais croire à chacun d’eux
Que l’autre est le monsieur sérieux…
Paul Léautaud est allé voir L’Amour masqué, il l’a écrit dans son Journal le quatorze février mais le texte de cette journée n’est pas paru. On ne le connaît que grâce au travail de Bertrand Vignon à la bibliothèque de Grenoble. C’est pourquoi le texte (un peu court) de cette journée est donné ici en entier, même si la plus grande partie est hors-sujet. Les Léautaldiens acharnés pourront le glisser dans leur exemplaire.
14 février 1923
Ce soir au Théâtre Édouard VII pour la répétition générale de l’Amour masqué, de Sacha Guitry. À un entracte, Souday73, en me disant bonjour, me parle de ma chronique dramatique sur François Porché74(75). « Vous avez bien fait d’écrire cet article, me dit-il. Figurez-vous qu’il veut empêcher Valéry d’avoir le Prix de 10 000 francs, lui qui est très riche ! ». J’ai détrompé Souday sur ce point quant à Porché. « Il est peut-être riche par suite de son ménage avec Simone76. Mais personnellement, il est plutôt pauvre. Je l’ai connu à ses débuts. Tout à fait pauvre. ». Souday n’en revenait pas. Voilà pourtant comme on se fait ses opinions sur les gens. Supposons que Porché vive comme autrefois. Cette opinion pourrait l’empêcher d’avoir le prix et lui porter préjudice. Un homme comme Souday la répandant, tout le monde y croirait.
Maurice Martin du Gard77, directeur des Nouvelles littéraires dont le premier numéro est sorti en octobre dernier, a bien aimé la chronique sur la pièce de François Porché. Il écrit à Paul Léautaud au Mercure pour le lui dire. Ils sympathiseront et, suite à un désaccord avec la NRF, Maurice Boissard rejoindra Les Nouvelles littéraires en avril prochain. Voici la réponse de Paul Léautaud à MMG :
À Maurice Martin du Gard
Paris le 27 mars 1923
Cher Monsieur,
Je suis en retard pour vous répondre. Excusez-moi. Je n’ai pas tout le loisir que je voudrais. C’est très gentil de m’avoir écrit et je suis enchanté que cette chronique sur le théâtre vous ait plu. On n’est pas toujours sûr de donner cette impression avec ce qu’on écrit. Vous avez raison sur le sujet de Sacha Guitry78 et souvent j’ai pensé comme vous. Chaque fois que je parle d’une pièce de lui, je fais allusion à la grande comédie qu’il finira bien par nous donner un jour, en ayant chaque fois moins d’espoir qu’il nous la donne jamais. Quelle belle et grande pièce il pourrait pourtant écrire avec les dons merveilleux qu’il a. Mais peut-être faut-il le prendre comme il est et s’en contenter, étonnant faiseur de scènes qui l’amusent et qui amusent, et qui a lui-même la sagesse de s’en contenter. Il n’est d’ailleurs guère encouragé à faire mieux. Sa dernière pièce : Un sujet de roman n’a pas réussi du tout et je crois que le côté recettes l’intéresse beaucoup. Cette pièce était d’un tout autre ton et d’une tout autre matière que ses pièces habituelles. Complet insuccès. Il est catalogué comme amuseur. Il faut qu’il joue dans ses pièces. Sinon, on le boude. J’ai l’idée de parler de lui dans ce sens un jour ou l’autre. Quand on a écrit cette petite merveille que joue quelquefois la Comédie-Française : les Deux couverts, on est autre chose qu’un amuseur superficiel et qu’un clown de la fantaisie et de la plaisanterie, ce qui d’ailleurs a bien aussi son prix.
En tout cas, je suis enchanté de vous voir l’apprécier. Je suis sûr qu’il serait fort heureux lui-même du suffrage d’un écrivain comme vous. S’il écrit pour un certain public, il n’a guère d’estime pour lui, toujours quelque chose dans ses pièces le laisse sentir légèrement. Je me suis fait quelquefois ramasser dans certaines revues pour ma complaisance à parler de lui. C’est que je le sens bien supérieur à sa production en général, mais je crois que dans le monde des lettres on le considère peu. Il faut être grave et ennuyeux pour être considéré. On dit de lui : c’est un auteur du boulevard. Quand on a dit cela on a tout dit. Je suis pourtant bien sûr moi que son nom restera dans l’histoire du théâtre comme une charmante figure de la Fantaisie. Personne au théâtre, à notre époque, mieux que lui, n’a évité la bêtise sous toutes ses formes.
Et vous, comment allez-vous et comment vont vos travaux. Que je vous envie de vivre ainsi libre et à l’écart. Courir toujours comme je le fais, vivre au milieu du bruit, de l’agitation, des besognes. Par moments, comme je me sauverais, si je le pouvais ! Vous devez être content. Vous avez eu pas mal d’articles excellents. Il y en a encore un dans les dernières Marges79. Cela fait tout de même plaisir de voir qu’on ne travaille pas en vain. On rend hommage à votre grande entreprise et à toutes ses qualités. Bonne chance, sincèrement, bonnes dispositions d’esprit pour la continuer.
Vous lirez dans le numéro d’avril ma dernière chronique dramatique dans la Nouvelle Revue française. C’est fini. La liberté qu’on m’avait promise, que j’ai toute ma vie fait passer avant tout, n’est pas possible complètement, paraît-il. Je n’ai pu que répondre par ma démission, à mon grand regret, je ne le cache pas.
Vous m’avez écrit si gentiment que cela m’encourage à vous envoyer une petite brochure que Champion a publiée dans une collection privée80. Je vous défends bien de perdre cinq minutes à m’en remercier.
Avec mes sentiments les meilleurs.
P. Léautaud
Je mets chez votre concierge de Paris la brochure que vous m’avez envoyée avec votre lettre.
Le premier avril suivant, toujours de l’année 1923 a paru la dernière chronique de Maurice Boissard dans La NRF (avant le retour du premier janvier 1939) qui est aussi la dernière chronique dans laquelle l’un des deux Guitry a sa part. Il y est brièvement question de Lucien Guitry dans Tartuffe. Lucien Guitry va mourir en juin 1925. Maurice Boissard n’a pas vu la pièce (il le dit), le texte est court et serait un peu hors-sujet ici.
Dans la suite des chroniques dramatiques, ou des chroniques tout court, qui vont paraître à partir du quatorze avril 1923 dans Les Nouvelles littéraires, Sacha Guitry ne sera plus évoqué qu’en passant.
Pourquoi, alors que c’est de tous les auteurs traités par Maurice Boissard, celui qui a été le plus chroniqué avec onze pièces, sans parler des interprétations de Lucien, suivi par Tristan Bernard81 avec huit pièces, ce qui donne la tendance du théâtre préféré de Maurice Boissard, mais on s’en doutait.
Donc la chronique suivante est parue dans Les Nouvelles littéraires du 14 avril (c’est un hebdomadaire paraissant le samedi) en page cinq et Maurice Boissard y donne le texte refusé par La NRF sur Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche, comédie en cinq actes de Jules Romains, auteur NRF dont il ne fallait pas dire de mal.
Dans son Journal littéraire le 24 avril il écrit avoir eu « beaucoup de peine » avec cette chronique du 14 avril, puis :
Ma deuxième chronique ne m’a pas moins donné de souci. J’avais commencé vendredi soir, continué samedi soir et dimanche dans la journée. Comme sujet : Sacha Guitry et ses dernières pièces. Cela marchait si mal et j’étais si peu à mon sujet que dimanche, à 6 heures, j’ai envoyé au diable tout ce que j’écrivais, pour me mettre à une autre chronique, sur le salon d’Aurel82, d’après un petit schéma que m’a remis Auriant83, qui est allé à un récent jeudi.
Aurel chez Paul Léautaud, c’est des puces sur un chien. Une page lui est réservée ici le quinze janvier 2023. En principe.
Mais voilà, Maurice Boissard ne restera pas longtemps aux Nouvelles littéraires ; il n’y écrira que dix chroniques dramatiques, la dernière le vingt octobre 1923, avant d’être remplacé par le peut-être plus docile Fernand Gregh venant de Comœdia. Il n’y a pas eu de rupture avec Maurice Martin du Gard, comme nous l’allons voir ci-après mais la revue était la propriété de la maison Larousse et MMG ne pouvait se permettre de déplaire à la maison Larousse. La concentration de la presse était déjà à l’œuvre depuis longtemps.
Les chroniques suivantes seront d’ordre plus général et nous offriront quelques bijoux, certains reproduits dans Passe-Temps.
À partir de cette époque, les évocations de Sacha Guitry vont se faire bien plus rares. On peut relever dix fragments du Journal entre 1925 et la Libération, qui feront l’objet de la page suivante.
Notes
1 José (Joseph) Théry (1868-1944), avocat, romancier et auteur dramatique, auteur notamment de La Bâtonnière (1938), histoire de la première femme ayant occupé cette fonction. Il sera l’avocat de Guillaume Apollinaire en 1911 à l’occasion de l’affaire des statues phéniciennes du Louvre. Il sera aussi l’avocat de Louis Dumur et d’Alfred Vallette en 1921 à l’occasion de la parution du Boucher de Verdun. José Théry a collaboré au Mercure (rubrique des « Questions juridiques ») et à L’Œuvre.
2 Marguerite Moreno (Marguerite Monceau 1871-1948), a pris le nom de jeune fille de sa mère. Elle est entrée au Conservatoire dans la classe de Gustave Worms puis à la Comédie-Française en 1890. Après avoir été la maîtresse de Catulle Mendès, elle a épousé Marcel Schwob à Londres en septembre 1900. En 1903, Marguerite Moreno a rejoint le théâtre de Sarah Bernhardt, puis plus tard le théâtre Antoine. En janvier 1908 elle se remariera avec le comédien Jean Daragon (1870-1923) qui mourra en janvier 1923. Pendant sept ans, elle a dirigé à Buenos Aires la section française du Conservatoire.
3 Gaston Monceau (1876-1905), pharmacien, mourra à Sceaux le sept avril à l’âge de 28 ans. L’un de ses frères, Lucien (1873-1907), est agent-comptable au Mercure de France. Les quatre frères de Marguerite Moréno mourront très jeunes.
4 Sacha Guitry entamera sa vingtième année la semaine prochaine, c’est un gamin. Il s’agit donc de Lucien. Lucien Guitry (1860-1925), fut l’un des plus grands de son temps. Il est entré au conservatoire en 1876 et a débuté au Gymnase en 1878, à l’âge de 18 ans. En 1885, à l’âge de 25 ans, Lucien Guitry est recruté comme pensionnaire par le Théâtre Michel de Saint-Pétersbourg. Il signe un bail de neuf ans pendant lesquels il fréquente la communauté française et très vraisemblablement Louis Dumur, qui s’y est trouvé de 1887 à 1892. Sacha Guitry nait sur place en 1885. Sacha Guitry sera aux obsèques de Marcel Schwob, le premier mars 1905.
5 Jean Coquelin (1865-1944), fils de Coquelin aîné, était aussi acteur et a suivi la carrière de son père à la direction du théâtre de la Porte-Saint-Martin.
6 Petite Hollande, comédie en trois actes de Sacha Guitry, mise en scène par lui-même et créée au théâtre de l’Odéon d’André Antoine le 25 mars 1908 avec Charlotte Lysès, et Maxime Desjardins (1863-1936).
7 Les pièces de Maurice Donnay (1859-1945), par-delà leur légèreté, révèlent des idées progressistes en ce qui concerne les relations entre les deux sexes, et l’apparente insouciance avec laquelle les dialogues sont composés permet à l’auteur de rendre de manière convaincante le langage parlé.
8 À 36 ans, Paul Léautaud n’est pas du tout un vieux monsieur mais a choisi de faire passer Maurice Boissard pour tel.
9 Charlotte Lysès (Charlotte Lejeune, 1877-1956), comédienne, après avoir été la maîtresse de Lucien Guitry fut la première épouse de Sacha, de 1907 à 1918, ce qui valut une brouille sévère entre les deux hommes.
10 Henry Bataille (1872-1922), dramaturge et poète. Son œuvre, jouée dans tous les théâtres parisiens a aussi trouvé sa place à Broadway, et au cinéma. La Femme nue fut plusieurs fois adaptée à l’écran. Au théâtre, il eut les interprètes les plus populaires du moment : Réjane, Yvonne de Bray, Berthe Bady, Cécile Sorel. L’œuvre d’Henry Bataille nostalgique, se veut une critique virulente des mœurs et de la morale figée des classes aisées de la France de l’avant-guerre. Louis Aragon fait d’Henry Bataille un des personnages de son roman Les Cloches de Bâle.
11 Georges de Porto-Riche (1849-1930), auteur dramatique précoce. Le seize juillet 1908, Maurice Boissard a chroniqué Amoureuse, comédie en trois actes. Georges de Porto-Riche était bibliothécaire à l’Institut (Bibliothèque Mazarine) et son élection à l’Académie française en mai 1923 n’aurait sans doute posé aucun problème (à la cinquième tentative et au vingtième tour de scrutin tout de même) s’il avait voulu bien accomplir l’effort de rédiger convenablement l’éloge d’Ernest Lavisse, son prédécesseur au sixième fauteuil. Son élection à l’Académie française en 1923 fut donc très controversée et Georges de Porto-Riche ne sera finalement pas reçu. Il sera, avec Henry Bataille (note ci-dessus) une des bêtes noires de Paul Léautaud. Il est piquant de constater que la première chronique dramatique de Maurice Boissard dans Les Nouvelles littéraires (14 avril 1923) est surmontée d’un éloge de Georges de Porto-Riche par l’auteur dramatique André Birabeau.

12 Pour information, le numéro du quatre octobre de Comœdia réserve toute sa une à la pièce et une moitié de la page deux et reproduit toute une scène du deuxième acte, quatre photos et un dessin du costume de Charlotte Lysès.
13 Gustave Quinson (1868-1943) auteur dramatique et directeur de théâtre. Nous avons encore dans les mémoires au moins le titre de sa comédie en trois actes Le Chasseur de chez Maxim’s créée au Palais royal en décembre 1920. Ces « Billets Quinson » fonctionnaient sur le principe de l’abonnement pour plusieurs théâtres. Le souscripteur recevait chez lui tous les mois deux ou trois billets à utiliser obligatoirement sauf à être exclu de la liste des abonnés. Lorsqu’un spectacle commençait de ne plus remplir la salle, les directeurs de théâtre faisaient appel à ce monsieur Quinson qui expédiait, en se fiant à son expérience, des billets à la quantité nécessaire d’abonnés. L’autre intérêt était que les traités établis à l’occasion des tournées en province s’effectuaient en regard du nombre de spectateurs, « quinsonnés » ou non.
14 Et quoi qu’il soit indiqué dans le rarement fautif Index d’Étienne Buthaud.
15 Paul Adam (1862-1920), écrivain et critique d’art. Son premier roman, Chair molle (1885), accusé d’immoralité, provoque le scandale. On lira avec intérêt le portrait de Paul Adam dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, op. cit. page 139 et suivantes. Journal littéraire au trois mai 1901 : « Je lisais cette après-midi dans la Revue de Paris le commencement d’un nouveau roman de Paul Adam : L’Enfant d’Austerlitz. Il m’a fallu lire deux fois la première phrase pour la comprendre, tant tout ce style est contourné, confus, pour rien. Cela m’a suffi. D’ailleurs, aucun intérêt dans tout ce pathos. »
16 Paul Hervieu (1857-1915), avocat, romancier et auteur dramatique. Ami d’Octave Mirbeau il a été néanmoins un dreyfusard engagé. Préoccupé par les problèmes sociaux de son temps, il les a exposés dans des romans psychologiques et mondains, à la manière d’un Paul Bourget, et dans des pièces de théâtre, volontiers moralisatrices aux dénouements aujourd’hui invraisemblables. Paul Hervieu a été élu à l’Académie française en 1900 au fauteuil d’Édouard Pailleron et reçu la même année par Ferdinand Brunetière. La Société des gens de lettres distribuera, plusieurs années de suite, une « Médaille Hervieu ».
17 Paul Bourget (1852-1935), écrivain et essayiste catholique. Ses premiers romans ont un grand retentissement auprès d’une jeune génération en quête de rêve et de modernité. À partir du Disciple, en 1899, Paul Bourget s’oriente davantage vers l’étude des mœurs et les sources des désordres sociaux, qu’il relie parfois à la race. Paul Bourget sera une des bêtes noires récurrentes des chroniques de Maurice Boissard.
18 Paul Claudel (1868-1955), élève du lycée Louis-le-Grand puis de Sciences-po, licencié en droit en 1888, rejoint le corps diplomatique en 1893. D’abord vice-consul à New York puis à Boston, il est nommé consul à Shanghai en 1895. Après une interruption de cinq années (1900-1905) pour raisons religieuses, Paul Claudel a repris sa carrière diplomatique et finira ambassadeur à Tokyo, à Washington puis enfin à Bruxelles, son dernier poste, qu’il quittera en 1936 pour se consacrer pleinement à la littérature.
19 Jean Moréas (Ioánnis À. Papadiamantópoulos, 1856-1910), poète symboliste grec d’expression française. En 1886, Jean Moréas, Paul Adam et Gustave Kahn ont fondé la revue Le Symboliste. Le jeune Jean Moréas a parfois publié dans de petites revues sous le pseudonyme de Vincent Muselli. Jean Moéas a fait partie des Poètes d’aujourd’hui dès la première édition de 1900 où sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever. Voir Alexandre Embiricos « Les débuts de Jean Moréas » dans le Mercure du 1er janvier 1948, page 85.
20 Cette pièce de Sacha Guitry que nous trouvons mineure de nos jours parce que nous connaissons les dernières, est encore assez facilement visible de nos jours sur le site de l’Ina dans une mise en scène de Robert Manuel au théâtre Marigny en 1972 avec Jean Piat et Geneviève Casile.

21 Octave Mirbeau (1848-1917), auteur célèbre et populaire mais également reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques. Voir aussi la note 66 à propos d’Alice Regnault, son épouse.
22 Le théâtrophone était une installation qui permettait, moyennent un abonnement, d’entendre des spectacles depuis chez soi via une ligne téléphonique. À une époque où l’amplification électrique n’existait pas et qu’il fallait donc utiliser un écouteur, cette installation avait peut-être pour but de pouvoir offrir un (deux ?) écouteur à chaque membre de la famille et peut-être aussi un moyen de paiement. On peut lire à ce propos le court récit d’Alphonse Allais « La vie drôle » en une (colonne cinq) du quotidien Le Journal du 27 juillet 1893. L’action se situe dans une brasserie du boulevard des Capucines : « Les tourtereaux, très près l’un de l’autre, goûtaient à ce moment les joies du théatrophone. / Chacun son récepteur à l’oreille, ils semblaient tout à l’extase de la musique de Lohengrin. / De temps en temps, le baron glissait une pièce de cinquante centime dans la petite fente pour entretenir la communication. »
23 Gaston Devore (1859-1949), jamais cité dans le Journal littéraire, est auteur dramatique. On lui connaît une dizaine de pièces.
24 En fait ce ne sont pas les vrais débuts de Sacha Guitry à la Comédie Française. Quelques semaines auparavant, le 28 février 1914 avait été représenté sur ce théâtre le premier acte de Nono, comédie en trois actes créée le six décembre 1905 au théâtre des Mathurins. Cette représentation un peu particulière avait été donnée en hommage à Jules Truffier (1856-1943) à l’occasion de son départ à la retraite.
25 Cette pièce a d’ailleurs été adaptée au cinéma par le très prolifique Léonce Perret (1880-1935) dans son dernier film (38 minutes) sorti à Paris en février 1935, six mois avant la mort du réalisateur.
26 André Berthellemy (orthographié par PL avec un é, parfois avec un è, tous rectifiés ici) dont c’est la première mention, va prendre une place importante dans la vie de PL. Dans son Histoire du Journal, Marie Dormoy le qualifie de « bookmaker, bibliophile, ami de Sacha Guitry ». On ne le confondra pas avec Edmond Barthèlemy (1868-1934) ni avec Antoine Barthélemy.
27 Pierre Dauze (Paul-Louis Dreyfus, 1852-1913), bibliophile, fondateur et directeur de la Revue biblio-iconographique, président de la société « Les XX » et éditeur du Répertoire des ventes publiques cataloguées de livres, autographes, estampes, vignettes et tableaux. Pierre Dauze a également dirigé des revues réservées au commerce extérieur sous le nom de Dreyfus-Bing. En 1911, Pierre Dauze a publié chez Durel un Manuel de l’amateur d’éditions originales 1800-1911.
28 In Memoriam est paru dans les deux numéros de novembre 1905. Amours est paru dans les deux numéros d’octobre 1906.
29 Jean Périer (1869-1954), acteur et chanteur, fut le premier interprète de Pelléas dans Pelléas et Mélisande de Claude Debussy en 1902. Jean Périer abandonnera le chant pour le cinéma en 1923 après l’opérette Ciboulette de Renaldo Hahn. On a pu le voir dans plusieurs films de Sacha Guitry, jusqu’au Comédien, en 1948.
30 Jules Laforgue (1860-1887, à 27 ans), poète symboliste, connu pour être un des « inventeurs » du vers libre. De 1882 à 1886 Jules Laforgue a été le lecteur de l’impératrice Augusta de Saxe-Weimar-Eisenach, grand-mère du futur kaiser Guillaume II. Jules Laforgue est entré dans les Poètes d’aujourd’hui depuis la première édition, sa notice étant rédigée par Paul Léautaud. Lire le très précieux article de Jean-Louis Debauve « À propos des manuscrits de Jules Laforgue — Variation sur le destin posthume de ses papiers, suivi de fragments inédits » paru dans la Revue d’Histoire littéraire de la France d’octobre 1964.
31 Comédie en trois actes de Sacha Guitry.
32 Yvonne Printemps (Yvonne Wigniolle, 1894-1977), a commencé sa carrière à peine adolescente dans des rôles un peu dénudés à La Cigale et aux Folies Bergère mais c’est paradoxalement sa voix de soprano qui la fait remarquer des compositeurs d’opérettes Albert Willemetz et André Messager. En 1916 elle joue au côté de Sacha Guitry dans Jean de La Fontaine. Après avoir été brièvement la maîtresse de l’aviateur Georges Guynemer mort en septembre 1917, elle devient celle de Sacha Guitry, qui l’épouse en avril 1919. En 1931 Yvonne Printemps préférera le comédien Pierre Fresnay…
33 Allusion vraisemblable à Militona, roman de Théophile Gautier, Desessart 1847.
34 Henry Becque (1837–1899), est surtout connu pour son très cruel drame en quatre acte Les Corbeaux (1882), et une comédie, La Parisienne (1885). Il a publié ensuite de la poésie, puis ses mémoires en 1895, sous le titre Souvenirs d’un auteur dramatique, à la Bibliothèque artistique et littéraire en 1895.
35 Jean-Gaspard Deburau (Jan Kašpar Dvořák, 1796-1846), mime franco-bohémien. J.-G. Deburau a joué au théâtre des Funambules du début des années 1820 jusqu’à sa mort. Il a été immortalisé dans Les Enfants du paradis, de Marcel Carné, sorti en 1945.
36 Ce théâtre des Funambules ouvrit en 1813 au 18 faubourg du Temple. Les parisiens ont l’habitude, depuis des siècles, de nommer « faubourg du » les sept rues de la rive droite de Paris qui sont en fait les « rue du faubourg du », qui s’étendent au-delà de l’enceinte de Louis XIII, matérialisée de nous jours par les « grands boulevards », où chacun aime flâner. D’autres sources (dont Maurice Boissard dans cette même chronique) indiquent le boulevard du temple. Peut-être un ancien boulevard du Temple qui n’existe plus. Plusieurs rues de Paris portent encore dans leur nom le mot temple. Le début de la rue du Faubourg du Temple, qui prend au nord-est de la place de la République a été largement entamé par l’extension de cette grande place de la République au début des années 1860.
37 Journaliste et auteur dramatique à succès, Henri Lavedan (1859-1940) est membre de l’Académie française depuis sa réception en 1899. Dans le Mercure du 1er juillet 1911, Maurice Boissard a chroniqué sa comédie en quatre actes, Le goût du vice.
38 Henry Bernstein (1876-1953), auteur dramatique à succès, sera directeur du théâtre du Gymnase de 1926 à l’entrée de la guerre.
39 Karl Boès (Charles Pottier, 1864-1940), journaliste et directeur de revues littéraires, dont La Plume. Charles Pottier est le juge de paix à Sceaux que PL évoquera dans sa lettre à Anne Cayssac du 15 octobre 1918.
40 Pierre Mortier (Pierre Mortjé, 1882-1946), homme politique, journaliste, romancier et dramaturge a été directeur du Gil Blas de 1911 à juillet 1918 puis directeur du Monde illustré dans les années 1930 avant d’être maire de Coulommiers de 1925 à 1941 puis conseiller général et député radical-socialiste de Seine-et-Marne de 1932 à 1936. Il est le cousin d’Alfred Mortier.
41 PL écrit toujours après-midi au féminin, ce qui n’est pas incorrect, même si le masculin est prédominent de nos jours.
42 En fait le Gil Blas reprendra l’année suivante, le vingt janvier 1921, sous la direction du même Pierre Mortier mais avec de grosses difficultés semble-t-il puisque ne paraitront que trois numéros de ce quotidien en 1921 et un seul en 1922. En fait le Gil Blas est fini.
43 Journal littéraire au huit août 1912 « Passé la soirée chez Billy, 13, rue de Seine, dans son cabinet de travail, une petite pièce plus longue que large ». Ce 13 de la rue de Seine se trouve juste derrière l’Institut. L’immeuble du onze sera démoli en 1937 pour faire place au square Gabriel Pierné, qui existe encore de nos jours.
44 Journal littéraire au 26 mai 1949 : « Je viens de trouver un « ; » dans une de mes Chroniques dramatiques (t. II, p. 67). » Je tiens à le dire ici : dans mes écrits publiés, tout « ; » est une fantaisie de typo, et une faute laissée distraitement par moi. Il y a longtemps que je tiens ce signe de ponctuation comme sous aucune signification. » Ce point-virgule est celui après « Qu’on se moque de moi si on veut… ». On retrouve ce texte dans la page 527 du Mercure du premier juin 1919. Au risque de décevoir grandement l’excellent Maurice Boissard, une recherche rapide dans l’édition de 1958 du deuxième volume du Théâtre de Maurice Boissard fait apparaître 109 points-virgules. La page 67 de l’édition de 1943 correspond à la page 70 de l’édition de 1958.
45 Représentée le douze octobre 1920, avec Sacha Guitry et Yvonne Printemps. Sacha Guitry vient d’acheter le théâtre Édouard VII et Je t’aime est la première pièce qu’il y a joué.
46 Henri Duvernois (Henri-Simon Schwabacher, 1875-1937), écrivain, scénariste et auteur dramatique. Henri Duvernois et Sacha Guitry dirigeaient les Œuvres libres.

47 Octave Bertier (1875-1984, à 109 ans).
48 Alceste est le principal personnage du Misanthrope.
49 Maîtresse et « Fléau » de Paul Léautaud de 1914 à 1933.
50 La ligne de points à la fin de l’édition papier recouvre un texte difficilement publiable à l’époque sur François Porché (note 74) et son épouse Simone, née Benda.
51 Valentine Tessier (1892-1981) est une comédienne particulièrement connue. Proche de Louis Jouvet, Valentine Tessier a participé à la création de nombreuses pièces du théâtre contemporain entre les deux guerres. Valentine Tessier et Gaston Gallimard ont été très proches. Dans cette mise-en-scène, Blanche Albane (Madame Duhamel à la ville) tenait le rôle d’Arsinoé.
52 Henri Desfontaines (Paul Henri Lapierre, 1876-1931) a plusieurs fois été le partenaire de Sacha Guitry sur la scène mais a eu une carrière cinématographique plus importante que sa carrière théâtrale. Il a aussi réalisé de nombreux films, dont plusieurs d’après Shakespeare. On lui doit aussi la première Reine Margot (en 1914) le premier Belphégor en 1927. Il ne semble pas avoir eu le temps de tourner un film parlant.
53 Fernand Gregh (1873-1960), poète, critique littéraire et historien, président de la Société des gens de lettres en 1949-1950, membre de l’Académie française en 1953, à 80 ans, après treize échecs. Fernand Gregh a été des Poètes d’aujourd’hui dès la première édition en 1900, où l’on peut évidemment lire sa notice.
54 Georges Bourdon (1868-1938) a été l’un des fondateurs, en mars 1918, du Syndicat des journalistes, qu’il a dirigé, après Lucien Descaves, de 1922 à 1938. Cette assemblée est encore très active de nos jours.
55 Régis Gignoux (1878-1931) journaliste, romancier, critique et auteur dramatique. Lire la nécrologie de Régis Gignoux par Étienne Rey en une du Comœdia du huit novembre 1931 (deux colonnes).
56 Le comédien Charles Le Bargy (1858-1936), sociétaire de la Comédie-Française en 1887, est surtout connu pour avoir épousé sa jeune élève (de 19 ans sa cadette) Pauline Benda (cousine de Julien Benda), que la postérité retiendra sous son nom de comédienne : « Madame Simone ». En 1923 elle épousera François Porché.
57 Edmond Sée (1875-1959), docteur en droit, auteur dramatique et critique, romancier. Edmond Sée est auteur d’une quinzaine de pièces entre 1896 et 1935.
58 Cette chronique engendrera un bel article de Paul Souday dans le Comœdia du premier avril.
60 Un riche médecin de province s’est installé à Paris pour ne rien faire et le regrette, il s’ennuie. Pour se désennuyer il reprend son métier. Mais il a besoin d’« une petite main » pour le seconder…
61 Remplacé de « premier article » dans l’édition papier.
62 Sacha Guitry ne joue pas dans Blanc et noir, c’est Raimu qui a le premier rôle. L’intrigue est la suivante : Marguerite Desnoyers (Jeanne Marnac), épouse de Marcel Desnoyers (Raimu), met au monde un enfant noir. Il s’agit de lui trouver rapidement un remplaçant blanc avant que la mère s’en rende compte… Un film sera tourné par Marc Allégret et sortira à Paris en mai 1931 avec Raimu et Suzanne Dantès.
63 Victor Segalen (1878-1919), médecin, romancier, poète, ethnographe, sinologue et archéologue. En 1901 il rencontre Rémy de Gourmont, Catulle Mendès et Huysmans. En 1902, devenu médecin il est affecté en Polynésie, puis ce sera la Chine, puis la Première Guerre mondiale. En 1905 à Brest, Victor Segalen avait épousé Yvonne Hébert (1884-1963), dont il a eu trois enfants.
64 Claude Farrère (Frédéric-Charles Bargone, 1876-1957), écrivain voyageur et officier de marine, prix Goncourt 1905 avec Les Civilisés. Élu à l’Académie française en 1935, devant Paul Claudel. Le six mai 1932, le Président Doumer qui inaugure le salon annuel des écrivains anciens combattants et s’entretient avec Claude Farrère, président de l’association, tombe sous les balles de Paul Gorgulov. Claude Farrère s’interposant, est blessé au bras, ce qui lui vaudra son élection à l’Académie française en mars 1935.
65 Henriette Roggers (Joséphine Roger, 1873-1950), comédienne, pensionnaire de la Comédie-Française (1923-1924), a épousé Claude Farrère en 1919. Le 21 juin 1944, PL évoquera « Mme Claude Farrère (au théâtre autrefois Henriette Roggers, et qui me plaisait tant) ».
66 Alice Regnault (Alexandrine Toulet, 1849-1931) a d’abord commencé comme comédienne en 1871 avant de s’enrichir grâce à sa beauté. Elle a rencontré Octave Mirbeau en 1884 avant de l’épouser en 1887 à Londres, par discrétion. La pièce présente le couple d’un romancier austère et son épouse. Elle ne comprend rien aux livres difficiles de son mari et ne les a d’ailleurs jamais lus. Pour elle la lecture ne peut être qu’une distraction légère. Seule l’Académie française, à laquelle elle ne comprend rien non plus, pourrait donner à son mari un vernis de respectabilité. Mais pour le mari, l’Académie française n’est qu’une faribole pour romanciers de second rang…
67 Gabriele d’Annunzio, prince de Montenevoso (1863-1938), écrivain italien, a publié dès l’âge de vingt ans des nouvelles (rapidement traduites en français) qui lui donnèrent la réputation d’« enfant prodige ». Vers 1910, assailli par ses créanciers, Gabriele d’Annunzio s’est réfugié en France où il a passé plusieurs années avant de retourner en Italie à l’occasion de la Première Guerre mondiale.
68 Marthe Brandès (Marthe Brunschwig 1862-1930), entrée à la Comédie-Française en 1887. Nommée sociétaire en 1896, elle rompt son contrat en 1903 (elle sera condamnée à payer des dommages et intérêts), pour jouer à la Renaissance aux côtés de Lucien Guitry, et continuera sa carrière sur les boulevards.
69 Journal au 18 mars 1898 : « Il y a, dans la voix de Mlle Brandès, des nuances, des sortes de déchirures délicieuses, qui éveillent en moi une grande tendresse. »
70 Mme Simons, 23 rue des Martyrs, grande amie des bêtes et des chats en particulier, et lectrice du Petit Ami.
71 Aimée Tessandier (1851-1923), robuste comédienne ayant surtout joué au Gymnase et à l’Odéon. Petite carrière cinématographique. On peut encore lire ses Souvenirs, rédigés par Henri Fescourt (Flammarion en 1912) réédités par Nabu Press en 2010. Aimée Tessandier va mourir dans huit mois exactement, le 22 octobre. Elle a joué plusieurs fois avec Lucien Guitry au Gymnase dans les années 1870-1880.
72 Jeanne Granier (1852-1939), chanteuse et comédienne célèbre à cette époque, spécialisée dans l’opérette. Jeanne Granier avait déjà joué dans Le Grand-Duc, de Sacha Guitry, créé au Théâtre Edouard VII le 13 avril 1921 avec toute la famille : Lucien, Sacha et Yvonne Printemps, épousée en avril 1919.
73 Paul Souday (1869-1929), homme de lettres, critique littéraire au Temps, de 1911 à sa mort.
74 François Porché (1877-1944), avocat, a quitté la France en 1907 pour Moscou, où il a été pendant quatre ans précepteur dans une riche famille. De cette expérience lointaine sortira Au loin, peut-être… (Mercure 1909) et Humus et Poussière, (Mercure 1911) deux recueils de poésies. François Porché, rentré en France en 1911 conservera sa vie durant le souvenir de ce voyage. François Porché écrira dans le Mercure d’août 1914, en ouverture du numéro, « Péguy et les cahiers de la quinzaine ». Dans le numéro du premier mars 1914, le « visage » de François Porché sera dessiné par André Rouveyre (page 51). Ce dessin, particulièrement laid (comme souvent les « visages » d’André Rouveyre), ne sera pas reproduit ici. Voir aussi la Lettre de la Pléiade numéro 55 du 1er octobre 2014.
75 Chronique parue dans La NRF de février, entièrement réservée au Chevalier de Colomb, trois actes en vers de François Porché : « M. François Porché a eu bien des applaudissements pour sa nouvelle pièce : Le Chevalier de Colomb, et de bien beaux articles dans les journaux. C’est fort amusant. Cela montre la bêtise du public. » On se souvient pourtant de l’enthousiasme de Maurice Boissard, en janvier 1918, à propos du drame de François Porché Les Butors et la Finette, au point qu’une petite page à paraître sur ce sujet ici un jour d’été n’est pas à exclure.
76 Simone (ou Pauline) Benda (1877-1985), morte à 107 ans, est la cousine de Julien Benda. Elle a épousé en 1898 le comédien Charles Le Bargy (1858-1936). Après avoir divorcé en décembre 1906, elle a épousé en 1909 l’écrivain Claude Casimir Perrier (1880-1915), tué à l’ennemi fils d’un éphémère président de la République. Il semble qu’elle ait fréquenté Alain Fournier (1886-1914), lui aussi mort au front. Elle a ensuite épousé, en 1923, François Porché (1877-1944).
77 Maurice Martin du Gard (1896-1970), écrivain et journaliste, petit-cousin de Roger Martin du Gard (le grand-père de Roger était le frère du grand-père de Maurice) et fondateur des Nouvelles littéraires, dont le premier numéro est paru le 21 octobre dernier, 6, rue de Milan. Direction : Jacques Guenne et MMG, rédacteur en chef : Gilbert Charles.
78 Le nom de Sacha Guitry n’est pas cité dans cette chronique. L’initiative en revient donc à Maurice Martin du Gard.
79 Les Marges est une revue fondée et dirigée par Eugène Montfort de 1903 à sa mort, en décembre 1936
80 Il s’agit de Ma pièce préférée, parue dans la collection Les Amis d’Édouard.
81 Tristan Bernard (Paul Bernard 1866-1947), romancier et auteur dramatique célèbre pour ses mots d’esprit. Tristan est le nom d’un cheval lui ayant rapporté un gros gain.
82 Aurélie de Faucamberge (1869-1948) se faisait appeler Aurel. Elle a épousé successivement le peintre Cyrille Besset (1861-1902) puis l’auteur dramatique Alfred Mortier (1865-1937). Aurel tenait salon au 20, rue du Printemps, dans le quartier de Wagram. Elle et son mari — surtout elle — seront longtemps les bêtes noires de PL. Voir un bref portrait dans André Billy, La Terrasse du Luxembourg, page 260.
83 Auriant (Alexandre Hadjivassiliou, 1895-1990), a partagé le bureau de PL au Mercure de 1920 à 1940 et s’est trouvé de ce fait son principal confident, et réciproquement. Voir le Dictionnaire des orientalistes de langue française sur le site web de l’EHESS. Lire également les mémoires de Francis Lacassin : Sur les chemins qui marchent, éditions du Rocher 2006 : « Séduit par sa passion érudite et par ses qualités polyglottes, Vallette l’engagea dans la maison d’édition qui accompagnait la revue. C’est ainsi que chaque jour pendant vingt ans, dans le même bureau, il travaillait avec Paul Léautaud en vis-à-vis. Plus misanthrope et plus grincheux que moi, tu meurs… Rapports courtois et distants. Après la Seconde Guerre mondiale, Léautaud réserva à son ancien vis-à-vis quelques piques désobligeantes dans son Journal. Procès à l’appui, Auriant l’obligea à remplacer son nom par des initiales. Ensuite, il se vengea tout seul, sans l’aide de la justice, en lançant le pamphlet cinglant apprécié des connaisseurs, Une vipère lubrique : M. Paul Léautaud. »