Henri Matisse

Gens de peinture V

Page publiée le quinze février 2024. Temps de lecture : 35 minutes
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Annexe I : Souvenirs et portraits d’amisNotes

Lorsqu’à l’automne 2021 ont été publiées les pages sur Fernande Olivier, Ambroise Vollard, Émile Bernard et Marie Laurencin, ajouter un cinquième peintre a semblé exagéré. Depuis, ce manque apparaît chaque année plus béant, il faut y remédier. Il est vrai que Paul Léautaud n’a que peu fréquenté Henri Matisse et surtout n’a pas du tout apprécié sa peinture ni les portraits de lui. On peut le comprendre.

C’est à l’occasion de la publication par André Rouveyre du Choix de pages, que Paul Léautaud a eu l’occasion de poser pour Henri Matisse. Le choix avait été fait par André Rouveyre — à l’instigation de Marie Dormoy semble-t-il — de demander à Henri Matisse de réaliser un portrait de Paul Léautaud qui serait ensuite tiré en 50 lithographies pour l’édition de luxe sur pur chiffon d’Arches. Paul Léautaud a rencontré à cette occasion un homme charmant dont il a détesté d’emblée les dessins et la peinture.

Justification du tirage du Choix de pages de Paul Léautaud par André Rouveyre

Levons tout de suite une ambiguïté : il y a deux Matisse dans le Journal et la Correspondance de Paul Léautaud, tous deux nommés Matisse sans autre précision ou avec de rares précisions comme ce 27 septembre 1940 :

Après déjeuner, je suis allé chercher le papier carbone de Marie Dormoy et le lui ai porté à la Bibl. Mme Matisse (la femme du biologiste) était là.

Ici les choses sont claires, il s’agit de Georges Matisse (1871-1961). Histoire de compliquer les choses, Georges Matisse a écrit sept articles — très scientifiques — pour le Mercure de France entre 1908 et 1924 puis une monographie : L’Intelligence et le cerveau, Mercure 1909, 77 pages. En 1919, Georges Matisse a soutenu une thèse d’état : Action de la chaleur et du froid sur l’activité motrice des êtres vivants. Georges Matisse a épousé en 1900 Madeleine Aron Duperret (1865-1963). Le 30 juin 1944 un portrait cruel et sans doute extrêmement partial de Georges Matisse sera dressé par un Paul Léautaud énervé par la mort un peu soudaine de Philippe Henriot qui ne l’avait pourtant pas volée.

D’autres fois il faut deviner entre deux Matisse, comme ce 24 octobre 1940 :

Elle me dit que les Matisse (qui venaient de sa part me demander de l’essence pour ramener Georges Bohn à Paris) lui ont dit qu’ils ont trouvé la porte ouverte, qu’ils sont entrés, qu’ils se sont adressés à un voisin.

Le naturaliste Georges Bohn (1868-1948), titulaire de la rubrique « Le mouvement scientifique » au Mercure étant un scientifique on peut penser que les Matisse en question sont Georges et Madeleine Matisse.

Quelques fois c’est Paul Léautaud qui nous induit en erreur comme ce 29 juin 1944 :

Passé tantôt à la Bibliothèque Doucet, où j’avais quelques mots à dire à Marie Dormoy. Je trouve là ses amis Matisse : Henri Matisse, le « savant », et sa femme. »

Le savant est Georges. Heureusement l’édition papier nous détrompe en indiquant, après Henri : « [sic pour Georges] ». Paul Léautaud récidivera le lendemain.

Histoire de compliquer les choses, relevons que Marie Dormoy fréquente aussi le peintre, que les deux Matisse ont une maison à Nice et que Georges Matisse est ami avec le sculpteur Aristide Maillol.

Le premier Matisse à être évoqué dans le Journal littéraire est Henri, le peintre, à l’occasion d’une conversation avec Fernande Olivier, le trente mars 1932. Puis à l’occasion d’une longue conversation avec Georges Duhamel le seize novembre de la même année.

La troisième fois, chronologiquement ce sera Georges, dans une lettre à Marie Dormoy datée du cinq septembre 1933 et adressée à Vittel :

Et ce Matisse, qu’est-ce qu’il a aussi celui-là ? Qu’est-ce qu’ont tous ces gens ?

Georges Matisse est lui aussi en cure à Vittel, sans doute en compagnie de son épouse. Marie Dormoy se rend parfois dans la maison du couple à Nice. En échange de cela, les Matisse sont parfois invités à déjeuner avenue Paul-Appel.

Mais revenons à Henri Matisse et restons-y.

Paul Léautaud, qui ne l’a pas encore rencontré n’aime pas sa peinture, ce qui ne surprend pas ceux qui le connaissent. Le 27 septembre 1937, à l’occasion d’une conversation avec André Castagnou, nous lisons :

Nous avons la même admiration, c’est peu dire, le même goût […] pour le merveilleux conteur et poète qu’est Apollinaire, en peinture pour un Watteau, un La Tour, plus près un Courbet, riant de la réputation faite de nos jours à des peintres comme Henri Matisse, à des sculpteurs comme Bourdelle, faiseurs de pathos par-dessus le marché, nous trouvant d’accord dans une égale horreur du temps présent.

En décembre ce sera :

Déjeuné avec Marie Dormoy à la pâtisserie de la rue Saint-Sulpice. Elle a eu ensuite l’idée d’aller faire un tour au Musée du Luxembourg1. Il y avait bien trente ans que je n’y avais mis les pieds. Les horreurs d’autrefois ont fait place aux horreurs d’aujourd’hui. Je suis sorti de là avec le sentiment encore accru de l’inutilité complète de tous les arts. Quel intérêt l’Odalisque de Matisse2, grand peintre, paraît-il, des sculptures de Maillol, grand sculpteur, paraît-il, de celles de Bourdelle, autre grand sculpteur également ? Les peintres ne sont pas loin de leurs confrères en bâtiment, et les sculpteurs de leurs confrères en maçonnerie. Pour une toile qui éveille un peu la rêverie, cinquante, cent, ne sont qu’une barbarie de couleurs.

Ce matin, visite de Claude Roger-Marx3, venu demander des nouvelles d’un article sur Daumier qu’on lui a accepté et qui doit paraître prochainement4. Je lui ai parlé de ma visite au Musée du Luxembourg et de mes impressions. Je ne dois pas être complètement idiot. Je l’ai trouvé, lui, critique d’art, et enfant de la balle5, — de mon avis (de façon plus savante) sur beaucoup de points, notamment la préméditation chez les peintres actuels de la laideur et de la bizarrerie. Il m’a décrit Matisse, notamment, comme un homme qui pose à l’intellectualité (ce doit être drôle) et se fait un mérite de ses déformations et de ses manques de dessin.

L’une des conversations les plus intéressantes à propos d’Henri Matisse a eu lieu dans le bureau de Paul Léautaud au Mercure de France avec Fernande Olivier le six janvier 1938 :

Comme je lui dis ce que je pense de la peinture de Matisse, elle m’apprend qu’il a débuté comme disciple de Courbet, que ce n’est que plus tard qu’il s’est mis à ces déformations, à ces inexactitudes de dessin volontaires, préméditées, comme ont fait tant d’autres, tous influencés, me dit-elle, par la découverte de l’« art nègre », les « statues nègres », mises à la mode par Paul Guillaume6. Picasso lui-même, qui, me dit-elle, a eu en sa possession une statue de femme « art nègre », d’une réelle beauté7.

Puis c’est la guerre et tout le monde se réfugie chez des amis de province. Le caricaturiste André Rouveyre, qui est à Vence, rend souvent visite à Henri Matisse dans sa maison de Nice, à vingt-cinq kilomètres. Le 24 mars 1942, dans le Journal littéraire :

Rouveyre m’a demandé à plusieurs reprises d’envoyer une carte à Henri Matisse, « à qui cela ferait tant de plaisir ». Je ne lui ai jamais répondu sur ce sujet et n’en ai jamais rien fait.

Puis, dans une longue lettre à Fritz Vanderpyl8 datée du 29 octobre 1942, ce post-scriptum :

Il paraît que Matisse pense et dit beaucoup de bien de moi comme écrivain. L’ami qui le voit souvent et qui m’a rapporté cela, m’a demandé à plusieurs reprises de lui envoyer quelques mots, que cela lui ferait plaisir. Je n’en ai jamais rien fait, pour l’opposition que c’eût été pour moi avec ce que je pense, à tort ou à raison, de sa peinture.

À plusieurs reprises, André Rouveyre a tenté de rapprocher Paul Léautaud d’Henri Matisse, sans y parvenir, ce qui permettra à Paul Léautaud de ressasser les mêmes griefs… Jusqu’à l’écriture, par André Rouveyre, du Choix de pages de Paul Léautaud.

La première fois que ce projet est évoqué dans le Journal littéraire est le 26 avril 1944. C’est la guerre, encore, le débarquement allié aura lieu le six juin, Paris sera libéré le 25 août.

Ce matin, lettre de Rouveyre. Il me communique une lettre de l’éditeur Tahon9, qui voudrait publier un choix de pages de moi, avec une introduction et des illustrations et qui lui demande de composer le volume. Rouveyre me donne en même temps les termes de sa réponse à Tahon. Il tourne autour, fait le modeste, doute de ses capacités, appréhende de rater le volume et que celui-ci me mécontente. Sous tout cela, il doit être aux anges de la proposition. Je lui réponds ce soir que je n’ai rien à voir dans cette affaire, que tout le regarde : le choix, l’introduction, l’étendue du volume, les autorisations à avoir, qu’il s’entende sur tout cela avec Tahon, que je verrai son travail quand il paraîtra. Quant à moi, m’occuper de cela, ah ! non !

Avant cette publication paraîtra, le seize décembre 1945, dans ces mêmes éditions du Bélier de Mathias Tahon la plaquette Marly-le-Roy et environs, objet de la note 20.

Logo des éditions du Bélier

Mais voilà, André Rouveyre souhaite pour les tirages de luxe un portrait de Paul Léautaud en frontispice, par Henri Matisse. Les lecteurs du seul Journal littéraire ne connaissent pas le début de cette affaire qui est donné dans une longue lettre à Marie Dormoy datée du 28 aout 1945. Marie se repose du côté de Rouen, à Lyons-la-Forêt. Cinq pages bien pleines de l’édition papier : il s’agit sans doute de la plus longue lettre de Paul Léautaud. Ne sont reproduites ici que les lignes qui nous intéressent, c’est-à-dire la quasi-totalité de la lettre :

Maintenant les affaires du portrait par Matisse. Jeudi dernier, au rendez-vous convenu, séance de pose dans du début [sic], grand dessin, puis nouvelle série d’une dizaine de dessins sur de petites feuilles volantes au format du volume Rouveyre10. Nouvelles explications fort intéressantes sur son art, ses procédés, son esthétique, etc, etc.

Rendez-vous avait été pris ce jeudi pour hier mardi. Cela a été une journée bien drôle.

Je pensais que c’était la séance définitive, dans laquelle j’allais poser pour l’original du portrait. L’idée m’est venue, avec beaucoup d’hésitation, de réflexions, car je ne suis guère calé dans ces sortes d’affaires, d’offrir quelques fleurs à cette dame Lydia11, qui, somme toute, elle aussi m’a fait un charmant accueil. Arrivé devant la maison de Matisse, j’hésitais encore. Enfin, je me suis décidé, tout en n’étant pas rassuré sur la façon dont je me tirerais de la présentation de ces fleurs. Je suis entré chez le fleuriste Baumann12 et on m’a fait pour 200 francs une très belle gerbe. J’oublie de dire qu’à mes réflexions s’ajoutait celle-ci : qu’un portrait par Matisse valait bien tout de même cette dépense.

Je monte et je sonne. C’est la bonne (pas encore vue) qui vient m’ouvrir. Je m’informe aussitôt auprès d’elle de cette dame Lydia. Absente, partie en voyage pour quelques jours. Je me dis tout de suite : me voilà bien avec mes fleurs. Enfin, je dis à cette bonne : « J’apportais ces fleurs pour elle. Je vous les remets. »

J’entre dans la pièce que vous savez. Je trouve Rouveyre assis à la place de Matisse. Il me dit qu’il est un peu malade, fatigué et couché dans sa chambre. Je m’offre aussitôt à m’en aller et à revenir quand il le désirera. Il me dit non, non, que Matisse m’attend et que nous allons passer dans sa chambre. En même temps, par la porte restée ouverte, il a vu la bonne avec mes fleurs, dans l’antichambre, et revient émerveillé, et amusé en même temps de ma déconvenue devant l’absence de la destinataire.

Nous passons dans la chambre de Matisse, couché pour tout de bon dans son lit. Crise de foie, dose trop forte de calomel13. Conversation. Puis Rouveyre se lève : « Et tu ne sais pas ce qu’il a apporté ? Une merveille ! Tu vas voir cela ! » Et il va chercher la gerbe. Alors, Matisse : « Ça, c’est gentil. C’est très gentil. » J’ai su, au départ, que Matisse a cru au début que les fleurs étaient pour lui. Il paraît que beaucoup de gens lui en apportent. J’ignorais cela, et je me mets à lui dire : « Je n’ai pas de chance. Il paraît que cette dame est en voyage. Dans deux jours ces fleurs seront gâchées ! C’est toujours comme cela quand je me mêle de faire le gracieux. »

On rit, on parle, on plaisante, on raconte des histoires. Matisse plein de rire, d’entrain, etc., etc. Je me demandais quand allait commencer la séance. Je voyais, par un regard de côté, près du mur, bien face à Matisse dans son lit, tous les dessins faits par lui dans les poses précédentes. Enfin, au bout d’une heure de propos, Rouveyre me dit : « Eh ! bien, Léautaud, tournez-vous un peu, regardez là, au mur, pas le grand dessin, le petit, là, à part. » Je me lève et je vois, en effet, sur une feuille au format du volume, un dessin, un dessin, un dessin ! Les bras m’en sont tombés    14. Quelque idée que vous puissiez vous en faire, vous ne pouvez vous douter de ce que c’est. Même ces grands dessins, également fixés au mur, pas le plus infime trait de ressemblance, de vie. Et quant au dessin définitif !… Non, non, non. Tant de travail pour aboutir à cela. Comment un homme peut-il tomber dans une pareille aberration, un pareil aveuglement. Vous rappelez-vous le Marie Laurencin en tête du petit volume de Lettres ? Il est dépassé, cent fois. C’est à la lettre sans aucune expression, sans aucune vie, sans aucune ressemblance. Deux ou trois traits, comme situés dans les limbes. Et la satisfaction exprimée par Matisse de cette œuvre, les qualités qu’il s’est mis lui-même à lui trouver, à énumérer. Vous le verrez : il y a là une sorte de démence. J’ai honte à l’idée de voir ce portrait dans le volume du Choix. Heureusement, il n’y aura que 50 exemplaires d’archi luxe le contenant.

Portrait par Marie Laurencin dans le volume de Lettres paru chez Mornay en en décembre 1929 et le portrait par Henri Matisse en frontispice du Choix de pages réuni par André Rouveyre

Je me suis tiré comme j’ai pu de ma déconvenue, de mon étonnement, de ma pitié pour un art de cette sorte. J’ai réussi à trouver quelques expressions de ravissement, d’admiration, de félicitations, d’appréciations sur le portrait, enrichissement du volume par ce dessin, me forçant, me dominant. Non ! vous ne pouvez avoir idée de ce que c’est. Et je vous le répète : Matisse, de son lit, s’épanouissant de satisfaction dans la contemplation de sa nouvelle œuvre.

Il reste qu’il a été charmant, simple, cordial, gai, presque camarade avec moi, — en plus courtois, n’arrêtant pas, jusqu’à l’excès, jusqu’à me gêner, — de me remercier. Mais c’est tout. Je mets fort en doute son intelligence, au grand sens du mot.

Rouveyre m’a répété, comme s’il était renseigné, que Matisse entend se faire payer, qu’il n’a pas fait ce portrait pour autre chose, que les 50 exem. se vendront probablement dans les 2 ou 3 000 francs et qu’il entend avoir sa part. C’est un peu une dégringolade : plus du tout un artiste connu qui se distrait à faire le portrait d’un écrivain par une sorte de camaraderie d’art, si on peut dire.

Matisse m’a invité, en mentionnant que nous nous connaissions, à aller le voir de temps en temps, qu’il en aura plaisir, etc, etc. Heureusement qu’il n’est plus pour longtemps à Paris.

[…]

Nous avons pris l’autobus jusqu’à Saint-Germain-des-Prés. De là à pied jusque chez lui15. Dès la descente de l’autobus, il a voulu savoir, en tournant autour, ce que je pensais du portrait, comment je le trouvais, etc. J’ai hésité un peu avant de lui répondre, lui disant carrément que je n’avais pas assez confiance en lui. Il s’est récrié, a juré ses grands Dieux. Enfin, j’ai parlé. Je lui ai dit, comme je le pense, qu’il a cent fois plus de talent, dans ses portraits, que Matisse. Que quelque outrance, charge, qu’il y mette quelquefois, il s’y trouve toujours un élément de ressemblance et de vie. Que je ne puis croire à sa sincérité, dans tous ses compliments, propos d’admiration, presque religieuse, presque adoratif, que je lui ai vu tenir devant moi à Matisse sur ses dessins pour ce portrait et sur le portrait définitif. Que je trouve inconcevable qu’un homme puisse être dans une pareille illusion, etc, etc, enfin : « Vous me connaissez et vous pouvez vous imaginer16 mes propos. » Eh ! bien, poussé, foncé, mis au pied du mur par mes propos, Rouveyre s’est mis à me dire : « Qu’est-ce que vous voulez mon cher. C’est avec des choses comme cela que Matisse passe pour un très grand peintre, un très grand maître, qu’on a pour lui cette grande admiration. »

Je pense que cette autre face de Rouveyre vous sera un petit sujet de bien des réflexions sur lui et sur Matisse lui-même, entouré probablement de mille flatteurs du même genre, les uns par intérêt quelconque, les autres par snobisme ou par bêtise.

Rappelez-vous ce que vous m’avez dit « Matisse fera sûrement plus un Matisse que votre portrait. » À ce point-là, je ne l’aurais jamais pu supposer.

À 7 heures, Billy nous a rejoints chez Rouveyre. Dîné et passé la soirée ensemble, mais ce serait encore bien long à écrire.

        Au revoir

La lettre que nous venons de lire date du 28 août 1945. Une année plus tard les choses traînent encore et cette fois on ne peut incriminer Paul Léautaud, dont la seule activité a été de poser pour Henri Matisse.

Les 18 et 19 août 1946, nouvelles séances de pose. Dans son Journal, malheureusement, Paul n’a pris que des notes rapides. Une particularité, néanmoins, au fil des lignes les notes rapides deviennent davantage rédigées, jusqu’à :

Rouveyre est d’avis que mon portrait n’est pas du tout une gentillesse désintéressée. Matisse a vu là une occasion de gagner de l’argent. Il n’en demande pas, mais il se fera donner une vingtaine d’exemplaires, qu’il mettra de côté et vendra un jour.

La séance terminée, lui et Rouveyre regardent ensemble les dix ou douze dessins faits par lui sur ces feuilles, sur son lit. Rouveyre en montre trois particulièrement remarquables, intéressants.

Matisse va les mettre, les douze, au mur de sa chambre à coucher. Demain, après le sommeil, le travail nocturne de l’esprit, il les regardera, ils agiront sur lui, comme à son insu, le dessin définitif se formera dans sa tête. Il fera alors le portrait.

Il explique que ce n’est pas la ressemblance qui importe17, mais ce qui résulte de l’ensemble, dans l’esprit du peintre, de tous ces essais, dessins, de l’acquisition de l’examen et de la connaissance et d’une certaine familiarité avec le modèle, en un mot, le résultat de tout cela qui se fond pour le portrait définitif.

Matisse dit dessiner absolument comme Ingres. Il pourrait très bien faire de moi un portrait comme un La Tour. « Il est bien probable que ce sera plus un Matisse que votre vrai portrait. »

Troisième séance de pose de l’année 1946 le 22 août :

Retour à la première pose.
Grand dessin.
Puis nouvelle série de feuilles volantes.

Comme je lui parle de toute la peine qu’il prend : « J’ai toujours été ainsi. Je ne fais et n’ai jamais rien fait de négligé. J’ai toujours travaillé comme je fais, cherchant, recommençant, jusqu’à ma satisfaction et je ne me sens jamais satisfait sans m’appliquer. »

Bien des gens qui, arrivés à la réputation, disent : « Je ne peux me tromper. » Je lui dis : « Somme toute votre sens critique toujours en éveil. — Oui. » Je lui dis le grand mérite de cela.

Déchiré 400 dessins dont il n’était pas content.

Il me répète : « Je pourrais faire tout comme un autre un portrait ressemblant en une demi-heure. Ce n’est pas cela que je fais. Cela ne m’intéresse pas. Je cherche, je veux autre chose. » Tirage avec portrait sur Chine : 50 ex.

Au départ, arrivée de Mourlot, le marchand de papier18 qui doit fournir le papier de Chine pour le tirage.

Il m’a dit me reconnaître tout de suite d’après le dessin qu’il a vu.

Tirage du volume : 3 400 ex19.
500 frs l’ex.

Nous retrouvant sur le boulevard, Rouveyre, qui a déjà fait le compte de nos droits, m’amène à le refaire de mon côté, sur un papier, appuyé contre une devanture fermée. Chacun 105 000 frs, et non compris : les droits sur luxe. Il est pris d’un rire qui ne s’arrête plus à l’idée de tout cet argent qui va nous tomber.

Examen de cette question : tout prendre ou seulement partie. Lui penche : tout prendre. Si Tahon venait à péricliter. Quitte à subir ce qu’il faudra du fisc.

Nouveau rendez-vous mardi prochain 4 heures et demie, sauf changement par téléphone.

Le mardi (27 août) :

Tant de travail, d’essais, pour aboutir à cela. Comment un homme peut-il tomber dans une pareille aberration ? Il en est très content. Encore expliqué son travail.

J’ai honte à l’idée de voir ce portrait dans le volume. Et je ne peux rien dire et il faut que je laisse faire. Rouveyre m’a répété que Matisse se fera payer. Il y a là une sorte de douceur. Les 50 ex. seront vendus selon lui chacun 1 000 francs. Il ne laissera pas tout ce bénéfice à l’éditeur.

Le lendemain 28 août, Paul reçoit une lettre de Marie, qui se repose à Lyons-la-Forêt : « J’attends avec impatience des nouvelles de vos séances chez Matisse. Il faut que vous l’intéressiez vraiment pour qu’il vous consacre tant de temps. »

Dans son journal, ce 28 août 1946, Paul Léautaud note :

Je me suis mis sur-le-champ à lui répondre, sept pages du format de celle-ci, et autrement remplies comme écriture, travail qui m’a tenu jusqu’à midi.

Cette lettre, malheureusement, ne figure ni dans les Lettres à Marie Dormoy ni dans la Correspondance générale.

Il continue :

Matisse : la déconvenue pour le bouquet, aucune séance de pose, le portrait fait et offert à ma vue, le don d’illusion, d’aveuglement, d’aberration qu’il faut qu’il y ait chez Matisse pour avoir abouti à ce portrait composé de trois ou quatre traits plats, sans vie, sans expression, sans le moindre détail de ressemblance, et pour le regarder lui-même avec la complaisance et la satisfaction qu’il en a montrées et exprimées.

Ensuite mon départ avec Rouveyre, ses questions sur ce que je pensais de ce portrait, si j’en étais content. D’abord ma retenue à lui répondre. Ensuite, sur son assurance que je pouvais parler avec confiance en lui, tout ce que je lui ai dit, à commencer que lui, Rouveyre, a cent fois plus de talent comme portraitiste et dessinateur que Matisse, que chez lui le dessin vit, que ses portraits, si outranciers qu’ils soient quelquefois, ont toujours de la ressemblance avec le sujet, que je ne pouvais croire à la sincérité de ses admirations, de ses adulations, presque religieuses, exprimées par lui devant moi à Matisse, avec une vraie dévotion, et enfin, Rouveyre, pressé, poussé, forcé par mes appréciations, finissant par se livrer, et me disant : « Oui, oui… C’est pourtant avec des choses comme celle-là que Matisse est considéré comme un très grand artiste, un très grand peintre et qu’il jouit d’une si grande admiration. »

On croirait lire le Journal de l’an dernier, et il est d’ailleurs permis de douter.

Le trois septembre, Paul Léautaud écrit à Marie Dormoy, toujours à Lyons-la-Forêt :

J’ai encore passé un moment avec Rouveyre vendredi dernier. Je me suis remis à lui faire honte de ses propos élogieux, admiratifs, d’adulation presque religieuse, à l’égard de Matisse. Je lui ai rappelé ce qu’il lui a dit notamment, lors d’une séance de la douzaine de petits croquis rapides sur de petites feuilles de papier volantes. Les regardant, en dehors de moi, avec Matisse, il en avait mis trois à part, et célébrant particulièrement une de ces trois : « Ah ! non, tu sais, celle-ci, surtout, admire-la. La bouche !… Il y a là une spiritualité !… » Je le lui ai dit vendredi : « Comme spiritualité, en effet, c’est réussi, il n’y a rien. »

Je lui ai raconté ma petite histoire avec Maillol, que vous vous rappelez peut-être : mon observation : « c’est un peu mièvre », sur une sculpture qu’il me montrait, la merveilleuse façon dont il le prit, au point, quelques jours après, de la montrer à tout un groupe de visiteurs, reconnaissant que j’avais eu raison et qu’il en avait tenu compte. Grand exemple de modestie et d’honnêteté d’esprit20.

Rouveyre m’a dit là-dessus : « Pourquoi n’avez-vous pas parlé ainsi à Matisse. »

Je lui [ai] fait comprendre que, chez Maillol, je n’étais qu’un passant, et que chez Matisse j’étais dans un certain genre son obligé.

Je veux vous le répéter : j’aurais voulu que vous vissiez, que vous entendiez Matisse, dans son lit, contemplant épinglé aux murs, face à lui, ce qui paraît-il, est mon portrait, son air heureux, satisfait, l’exprimant en paroles, se félicitant du résultat, m’expliquant une nouvelle fois les nuances de son art.

Comment un homme peut-il s’aveugler, s’abuser, se tromper, s’illusionner à ce point ? Savez-vous ce que c’est que Matisse ? C’est, en peinture21, un précieux, comme il en est en littérature. Et je l’ai dit à Rouveyre : ce sont des compliments, des courtisans comme vous, qui font, avec les snobs d’un autre côté, les prétendus grands artistes de ce genre, — comme il en a été pour Rodin et pour Bourdelle.

Vous vous rappelez qu’il y avait, dans la pièce dans laquelle Matisse travaille, des peintures de pure ornementation. Comme j’en parlais à Rouveyre, il en a reconnu le manque complet d’intérêt et a eu ces mots : « Il y a des gens qui aiment cela. »

Vous voyez que j’avais raison, le soir que vous m’avez téléphoné pour cette affaire de portrait, de vous dire de répondre non, de dire qu’à l’âge que j’ai, je ne voulais pas qu’on fasse mon portrait, et surtout après ce que j’ai écrit sur Matisse et qui a paru dans La Nef22. Une fois de plus, vous m’avez engagé là dans une histoire…23

Qui sait, si un admirateur de Matisse, achetant le Choix de Pages pour mon portrait par lui, et ayant lu, d’autre part, mon jugement sur lui dans La Nef, ne se paiera pas le malin plaisir de le lui faire connaître ?

Qui sait si Matisse, qui aura des exemplaires dudit Choix de Pages, pour lequel j’ai donné à Tahon l’autorisation de reproduire le passage en question, que Matisse pourra alors lire24 ?

Notez qu’à l’extrême rigueur, après tout, cela m’est égal, bien que j’en aurais une certaine gêne à l’égard de cet homme qui m’a fait un accueil si simple, si sympathique, gai, familier, tout à fait camarade. Pendant une séance de pose, pendant qu’il m’expliquait, me définissait le mécanisme (je ne trouve pas en ce moment d’autre mot) de son art, je pensais à mon jugement sur lui dans La Nef     25… Je ne réfléchis plus maintenant et je l’ai dit à Rouveyre : « C’est une appréciation personnelle et ce n’est que cela », mais je la maintiens, et les propos de Rouveyre, que je vous ai racontés, ne sont pas pour m’y faire renoncer.

Suivent quelques paragraphes au cours desquels Paul Léautaud reproche, comme souvent, à Marie Dormoy de se « jeter au cou des gens », puis ce post-scriptum :

Matisse : avoir fait une dizaine de grands dessins, près d’une vingtaine de petits, m’avoir demandé cinq ou six séances de pose, pour aboutir à cette bêtise, à cette niaiserie, à cette rigolade, à ce dessin d’enfant ! Ah ! ce grand artiste !

Et m’avoir fourré dans cette affaire ! et moi m’y être laissé fourrer !

Une semaine après, le onze septembre 1946, André Rouveyre doit se rendre chez Henri Matisse :

Il voulait que je l’accompagne. J’ai préféré m’abstenir. Il a recherché le numéro de La Nef, pour le fragment de Journal dans lequel j’ai parlé de Matisse. Il reconnaît la situation un peu délicate que cela me crée. Je lui ai dit que je ne change pas d’opinion, que Matisse, pour moi, est en peinture un peu niais comme il en est en littérature. Il m’a répliqué : « Vous êtes dur. » Je suis sûr qu’il a oublié déjà combien, dans ses réponses à mes appréciations, il s’est montré de mon avis.

Passons la lettre à Marie Dormoy du seize septembre, qui ne nous apprend rien de plus. La journée du samedi 21 septembre ne contient que deux mots : « Télégramme Matisse ». Par ce télégramme, Henri Matisse demande à Paul Léautaud de venir le voir le lendemain dimanche. Nous ne saurons pas pourquoi, d’autant que PL, devant se rendre ailleurs, a annulé par téléphone.

Le Choix de pages est paru début octobre, il faut s’occuper des critiques.

Le 19 octobre, Paul Léautaud va voir André Rouveyre chez lui, rue de Seine :

Rouveyre a pris froid. Obligé de garder la chambre. Je suis allé le voir tantôt. Il m’a donné à lire une lettre de Frédéric Lefèvre26. C’est Robert Kemp27 qui fera dans Les Nouvelles littéraires l’article sur le Choix de pages28. Lefèvre demande à Rouveyre de lui donner pour cet article un portrait de moi inédit. Rouveyre, étendu sur son lit, moi assis dans un fauteuil à deux pas, comme je suis à chacune de mes visites, a commencé à faire un croquis, puis, mal disposé, a remis à mardi. Il s’est mis à rigoler (c’est bien le mot) beaucoup de Matisse à propos de tout son travail pour mon portrait : « Vous avez vu Matisse, avec tous ses dessins, une bonne quinzaine, hein ? pour aboutir… » (Entendant certainement que lui, ce qui est vrai, en une demi-heure, fera bien autre chose. Je ne suis pas le seul, depuis que j’ai vu le résultat de tant de travail pour Matisse, à dire qu’il a, comme dessinateur, cent fois plus de talent.

À propos du dessin d’André Rouveyre pour Les Nouvelles littéraires, nous lisons, le 26 octobre :

Rouveyre m’a dit qu’il a été question avec Frédéric Lefèvre, de donner aux Nouvelles littéraires, dans le feuilleton de Robert Kemp sur le Choix de pages, le portrait par Matisse. Matisse s’y est opposé, disant que ce portrait est tiré à 45 exemplaires29 et qu’il doit rester à 45 exemplaires. On mettra le portrait qu’a fait Rouveyre à la suite du croquis qu’il a pris rapidement l’autre jour. Il en est bien content. Il me dit qu’il est très réussi : « Vous verrez ! Il vous plaira beaucoup. » Rouveyre voit dans l’opposition de Matisse une preuve qu’il a bien fait, dès le premier jour, de ce portrait, une affaire d’argent. Il ne veut pas qu’il soit galvaudé par la reproduction dans un journal.

Le onze novembre, les époux Tahon viennent à Fontenay :

Tantôt visite de Tahon, avec Mme Tahon30. Il m’a apporté, de la part de Matisse, un exemplaire du tirage contenant mon portrait par lui, cet exemplaire avec un envoi de sa main. Rouveyre s’est trompé complètement en prêtant à Matisse un but intéressé avec ce portrait. Les exemplaires le contenant ont été tirés à 45, plus 5 hors commerce. Matisse en a eu deux, sur lesquels il en a donné un à Marie Dormoy pour la Bibliothèque Doucet. Un à moi, un à Rouveyre, un à Tahon. Voilà les 5 exemplaires hors commerce. Aucun prélèvement sur les 45 exemplaires de vente. Dans l’intention que Rouveyre prêtait à Tahon dans sa visite, Tahon s’est borné à me demander si j’allais continuer le travail du nouveau texte du Petit Ami (certainement pour me demander de le lui donner à publier). Je lui ai répondu que je ne suis guère à ce travail, occupé à bien d’autres choses. Il n’a pas insisté.

Puis le lendemain douze novembre :

Parlé des exemplaires du Choix avec le portrait par Matisse. Il a encore eu un de ces airs de rigolade à ce sujet ! Comme je lui parlais des 2 exemplaires seulement remis à Matisse sur les 5 hors commerce, les 45 autres du tirage restant à la vente, et sur ces 2 exemplaires Matisse en donnant 1 à la Bibliothèque Doucet et que cela ne cadre pas, à mon avis, avec ce qu’il m’a dit du but intéressé de Matisse en faisant ce portrait, il s’est mis à me dire que Matisse s’est fait remettre de l’argent, 30 000 francs, peut-être même 40 000. Cela me paraît impossible. 45 exemplaires à 2 000 francs, cela fait 90 000 francs. Supposons 30 000 francs à Matisse. Restent 60 000 francs. Et le prix du papier de Rives. Et la fabrication du volume. Et les commissions aux libraires. Tahon doit tout de même avoir son bénéfice d’éditeur ? Peut-être compté-je mal et l’a-t-il quand même.

Rouveyre a acheté personnellement quatre exemplaires.

Un mois plus tard, le onze décembre :

Ce soir aussi, téléphone de Matisse, me demandant d’aller le voir avant son départ, qu’il y aura grand plaisir. Il est charmant, cordial, presque comme un camarade, plein de propos aimables pour moi. N’empêche que cette visite est pour moi une corvée.

Paul Léautaud se rendra boulevard du Montparnasse le seize :

Henri Matisse retourne dans quelques jours à Vence, passer l’hiver. Sur sa demande, je lui ai fait ce soir, à 4 heures, une visite d’au revoir. Comme toujours : accueil cordial de lui-même, et charmant de sa secrétaire, Mme Lydia. Thé excellent, une tarte d’une très bonne pâtisserie. Présents : André Rouveyre et Marie Dormoy, très jolie sous une toque d’hiver. Comme surprise, et cadeau pour moi, un des grands dessins qu’il a faits, préparatoires, à mon portrait — si on peut dire qui se trouve dans le tirage spécial du Choix de pages, avec une dédicace de sa main, et que je n’ai même pas eu la curiosité de lire, et sous verre, dans un de ces cadres à la mode d’aujourd’hui, et pas laids, il est vrai. Ce grand dessin, et le portrait du Choix de pages, les deux se valent, en ce sens qu’il ne s’y trouve rien de mon visage. J’aurais préféré de beaucoup un petit tableau accroché au mur, presque à côté, représentant un coin d’une chambre à coucher, un lit, avec tout ce qu’il comporte, un fauteuil à côté, il me semble un petit guéridon, avec le mur de la chambre comme fond, — la chambre à coucher de Matisse en Corse, paraît-il — tout cela : ce mobilier, les couleurs, l’arrangement du tout, une petite merveille. La première manière de Matisse, probablement.

Marie Dormoy n’avait pas sa voiture. Nous n’avons pu emporter le cadeau en question. Elle ira le chercher, avant le départ de Matisse.

Le lendemain 17 décembre, Marie Dormoy et sa petite auto sont allées chercher le portait de Paul Léautaud et l’ont porté chez lui, à Fontenay. Le 18, il note :

Un portrait qui peut aussi bien être celui d’un personnage imaginaire, né des méditations de Matisse. Il lui a demandé : « Léautaud est-il content ? Il n’a rien dit. » Je suis resté assez muet, en effet, à la contemplation d’une telle transformation de mon visage. Marie Dormoy, qui n’en revient pas non plus, a joué auprès de son « cher grand ami », le grand jeu, qui ne lui coûte pas, elle en a l’habitude. « Content ? Il est bien plus que content. Il est émerveillé, et confus, et extrêmement touché d’un pareil cadeau. Jamais il ne s’y serait attendu. » Le fait est que le cadre, à son appréciation, est très beau : recouvert d’applications de feuilles d’argent véritable. Je lui ai dit de remporter cette merveille chez elle, que je n’en ai pas besoin chez moi : « Il ne vous compromettra pas. Vous direz : c’est le portrait d’un inconnu. Matisse en a fait cadeau à Léautaud. Léautaud n’avait pas de place pour l’accrocher chez lui. Il m’a demandé de le garder. » Je lui ai demandé ce que, commercialement, cela peut valoir. À un moment que l’État achète pour le Louvre trois millions de tableaux à Matisse, une assez belle somme, j’ai conclu : « Si Matisse vient à disparaître, nous le vendrons. »

L’histoire de ce portrait n’est pas close et occasionnera même une fâcherie entre Marie Dormoy et Paul Léautaud. Nous y reviendrons.

Le trente décembre 1946, Paul Léautaud se rend au Mercure. La revue est reparue il y a une semaine pour le numéro de décembre, pour la première fois depuis juillet 1940. Il rencontre André Chamson (1900-1983), actuel conservateur du Petit Palais, qui a été choisi pour tenir la rubrique des « Arts » à partir du numéro de janvier. Dans ce numéro de décembre sont parus aussi des fragments du Journal littéraire de 1903 et 1904.

J’ai fait connaissance avec André Chamson, qui tiendra la critique d’art. Je lui ai demandé : « La critique d’art ? les salons, les expositions. Et les ouvrages d’art ? — Les ouvrages d’art aussi. » […].

J’ai dit aussi à Chamson : « J’espère que vous n’êtes pas pour la peinture d’aujourd’hui ? — La peinture à la Picasso ? Ah ! non. » Je lui ai demandé : « Et Matisse ? Qu’en pensez-vous ? J’ai vu chez lui un petit tableau représentant un coin de sa chambre à coucher, en Corse, quand il était jeune. Le ton des couleurs, les dispositions, tout l’ensemble, une petite chose très belle. On m’a dit qu’il faisait à cette époque des dessins qu’on pouvait rapprocher des dessins d’Ingres. Ce qu’il fait aujourd’hui… On m’a dit qu’il a été pris d’une certaine jalousie de Picasso… » Chamson m’a répondu que Matisse a peint de très belles choses à ses débuts, qu’il est vrai qu’il dessinait de façon à être mis à côté d’Ingres, qu’il n’y a rien à comprendre à ce qui l’a pris, pour faire ce qu’il produit aujourd’hui.

Le deux janvier 1947, comme le trente décembre, Paul Léautaud passe au Mercure puis va rendre visite à André Rouveyre, rue de Seine :

Matisse le gâte, décidément. Il m’a montré un feuillet qu’il a reçu de lui, détaché d’une édition illustrée des Poésies de Charles d’Orléans31 à laquelle Matisse travaille32, et qu’il lui envoie à l’occasion de la nouvelle année, un très beau poème, d’une expression de pensée à la fois forte et gracieuse (Valéry à côté de cela !) avec un envoi à son nom. Le poème est écrit à la deuxième personne : toi, tu… C’est comme s’il s’adressait à Rouveyre lui-même.

Sept mois passent au cours desquels Henri Matisse sera évoqué par rapport à son ami André Rouveyre. Puis le trente juillet 1947 :

J’ai dû le noter : quand j’ai été mis en possession, par le peintre Matisse, de l’absurde portrait qu’il a fait de moi, ne tenant nullement à l’avoir chez moi, je l’ai confié à M. D. À elle, à me le garder. Quelque temps après, je ne sais pour quelle raison, je désirai le reprendre. Elle s’y refusa. La raison ? Facile à deviner. Ce portrait, tel qu’il est, avec une dédicace de la main de Matisse, étant, paraît-il, d’un assez beau prix. Je suis assez âgé. Il peut m’arriver de mourir. Ce portrait, resté en sa possession, représentera pour elle un certain capital33. Elle n’est pas, d’origine, par hérédité paternelle, Normande pour rien. Sans me fâcher, sans exiger, j’ai mis à néant ses calculs. Ce matin, par téléphone, inventant une histoire d’album iconographique qu’un éditeur veut publier me concernant, je lui ai demandé de m’apporter ce portrait, que l’éditeur en question devait venir prendre dans la journée. Cela a passé comme une lettre à la poste. À 3 heures, elle est arrivée, apportant le chef-d’œuvre. Elle ne le reverra pas. Il passera d’abord pour être en les mains dudit éditeur, alors qu’il n’aura pas bougé de chez moi, mis soigneusement hors de sa vue. Et quand les gens seront rentrés de vacances, je m’occuperai d’en savoir la valeur, et je le vendrai, tranquillement, sans me soucier de ce qu’en pourra penser ou dire Matisse lui-même, et cette vente faite, je ne la lui cacherai pas à elle, en lui révélant même mon invention de ce matin.

Il me faut le noter, ce matin, au téléphone, lui débitant ma petite histoire, ma voix et mes mains tremblaient. Je ne sais pas mentir, et jusqu’à ce qu’elle fût arrivée avec l’objet, je ne me tenais pas assuré de la réussite.

Elle viendra dimanche, puis partira le 8 août pour une cure à B. L34. et ensuite je ne sais où, la valeur en tout d’un mois.

Cette vente sera conclue le 29 octobre :

Vendu (comme je l’avais décidé), avec un agréable sentiment de débarras, mon portrait par Matisse, à un M. Marie, associé dans la direction d’une librairie de luxe en face la statue de Diderot35. Malheureusement pas la somme que l’avait estimé Rouveyre, pas loin de 100 000 frs. Seulement 40 000 frs. N’importe. Je n’en suis pas moins enchanté. Dans le salon, au premier, de cette librairie, trois bibliophiles me connaissant fort bien comme écrivain, tous trois absolument de mon avis sur ce chef-d’œuvre : de l’aberration d’une part, et d’autre part, dessein prémédité d’étonner, de surprendre, d’inventer, tout comme il en est des jeunes écrivains actuels.

Huit mois plus tard, nous sommes en juillet 1947, le onze, un dimanche. Paul Léautaud est chez Marie Dormoy. Il est seize heures et le soleil doit illuminer son appartement donnant plein sud, au septième étage. Elle écosse des petits pois pour le dîner.

Puis elle se met à dire que Rouveyre voudrait bien amener Matisse à venir chez Mme Gould36, — c’est Matisse qui a dû le lui dire, — mais qu’elle doute beaucoup que Matisse se laisse faire. Et alors, à ce moment : « Et votre portrait ? Vous l’avez vendu ? » Je n’ai pas feint une seconde : « Oui. Je l’ai vendu. Et avec grand plaisir. Je vous l’avais dit, que je le vendrais, que je ne voulais pas avoir une pareille ânerie chez moi. Je suis plein de pitié pour cet homme, qui a eu tant de talent autrefois, pour sa vanité, son aveuglement sur lui-même, sa façon de s’abuser sur son propre compte. Il me fait pitié, je le répète. Je le tiens pour un malheureux. — À qui l’avez-vous vendu ? — Cela ne vous regarde pas. — C’est honteux. C’est indigne. On ne fait pas de pareilles choses. — Je ne trouve pas. Moi je le fais. Et Matisse peut l’apprendre et m’écrire : « Il paraît que vous avez vendu… » je lui répondrai : « Oui, Monsieur, je l’ai vendu. » Et je vous le répète à vous : je l’ai vendu avec une grande jouissance de cette action, pas du tout pour l’argent. »

Ce portrait sera en définitive acheté (70 000 francs) par André Rouveyre, qui le donnera « à une sorte de musée de Nîmes » (Journal littéraire au deux septembre 1951).

Annexe I — Souvenirs et portraits d’amis

En 1963, Marie Dormoy a publié au Mercure de France un volume, Souvenirs et portraits d’amis. Ces amis sont Lucien Michelot, André Suarès, Romain Rolland, Marcel Dupré, Antoine Bourdelle, Auguste Perret, Le chat Miton, Ambroise Vollard, Aristide Maillol, Jacques Doucet, Darius Milhaud, Paul Valéry, André Gide, Madeleine Gide, Cécile Sauvage, Olivier Messiaen et Paul Léautaud.

Dans ce dernier chapitre, Marie Dormoy donne sa version de cette affaire des portraits de Paul Léautaud par Henri Matisse :

Le conflit le plus grave qui éclata entre Paul Léautaud et moi fut causé par le portrait que fit de lui Henri Matisse.

Ayant trouvé dans un journal une caricature de Matisse par lui-même, petit dessin au trait criant de vérité, je demandai au grand peintre de faire un croquis dans le même genre, de Léautaud. Très amusé de l’aventure, Matisse accepta tout de suite. Quinze jours plus tard, prenant Léautaud par la peau du cou parce qu’il était ce jour-là d’humeur revêche, je l’amenai boulevard Montparnasse où Matisse nous fit le plus cordial accueil. Rouveyre, lui aussi, se trouvait là.

La première séance fut gaie, cordiale, voire même amicale. Comme les trois complices — sans que je le sache, ils l’étaient —, ne disaient que des choses insignifiantes, j’écoutais leurs voix qui, à leur insu, me révélaient tant d’eux-mêmes. Matisse avait une voix de ténor, ensoleillée, presque méridionale. Léautaud faisait entendre sa belle voix sonore, sa voix de sirène, disait Vallette, sa voix de théâtre, affirmait Gide. Quant à Rouveyre, il parlait peu, murmurait quelques mots de cette voix sourde, hésitante, réticente, si semblable à sa prose. Confrontation bien curieuse qui m’en apprit beaucoup sur les trois interlocuteurs.

Quelques jours plus tard, je partais en vacances. Dans ses lettres, Léautaud me racontait ses séances chez Matisse. Tous deux s’entendaient à merveille. À tel point qu’un jour Matisse chanta Le P’tit Quinquin, dont Léautaud avait souvent entendu parler, mais qu’il ne connaissait pas. En revanche, les croquis de Matisse que Léautaud voyait au fur et à mesure qu’ils étaient finis, lui semblaient le comble de l’horreur. Heureusement il ne l’avait jamais laissé entendre.

Peu après mon retour, Matisse me téléphona pour me prévenir que le portrait était achevé, qu’il désirait offrir une des esquisses à Léautaud — il en avait fait plus de vingt —, que je le lui amène un prochain jour. Je transmis l’invitation à Léautaud. Hargneux au possible, il me répondit qu’il ne viendrait pas, qu’il ne voulait pas voir son portrait, que Matisse était un homme charmant mais que tout ce qu’il faisait était une abomination.

Dans les jours qui suivirent, je fis tant et si bien qu’il revint sur sa décision. Au jour fixé, ma voiture se trouva en panne. J’en prévins Léautaud, le priant de se rendre par ses propres moyens chez Matisse où je le rejoindrais aussitôt que je serais libérée de Doucet.

Quand j’arrivai boulevard du Montparnasse, Léautaud s’y trouvait déjà. Il me fit des reproches de ce que j’étais un peu en retard. Agacée, moi aussi, je lui répondis vertement que j’étais astreinte à un travail sérieux et que je ne pouvais quitter, comme il quittait le sien quand il était au Mercure, les jours où cela lui chantait. En boule sur une chaise, il ne répondit pas, et garda le même mutisme envers Matisse qui, très gentiment, s’efforçait à le dégeler. Il n’était plus question de chanter Le P’tit Quinquin.

Le portrait était posé à terre, contre un chevalet et recouvert d’une écharpe que Lydia, la fidèle secrétaire, enleva aussitôt après mon arrivée. Bien plus qu’un portrait de Léautaud, c’était un Matisse, un très beau Matisse, mais seulement un Matisse, avec cette science du trait, cette souplesse de la ligne que connaissent bien les amateurs du peintre.

Léautaud considéra son image pendant quelques secondes, puis, se détournant, inclina la tête et ferma les yeux. Cette attitude était d’autant plus désobligeante pour Matisse que celui-ci avait fait sertir son œuvre d’un très beau cadre d’argent à la feuille.

M’estimant heureuse de ce que Léautaud gardât le silence — il aurait pu dire les pires choses —, je me fis lyrique, j’admirai l’œuvre de mon grand ami, me lançai dans des considérations sans fin. Heureusement, Matisse m’aimait beaucoup. Je pris prétexte que je me trouvais sans voiture pour partir au plus vite afin de ne pas être en retard et sans emporter le portrait.

Deux jours plus tard, j’allai le chercher. Matisse me reçut avec sa gentillesse habituelle, mais voulut savoir pourquoi Léautaud avait gardé un silence aussi hostile. Je répondis comme je pus, que Léautaud était très maladroit en ces sortes de choses — ce qui était vrai en partie —, mais qu’une fois seul avec moi il avait manifesté un très grand contentement. Matisse fut-il dupe de ma petite comédie ?

Le plus sûr est que, rentrée chez moi, j’accrochai le Matisse dans ma galerie où, parmi les belles œuvres de mes grands amis, il prit toute sa valeur.

Quand Léautaud eut pris conscience que ce portrait m’appartenait — il avait fait assez de basoche pour savoir que possession vaut titre —, il vit rouge : j’allais le vendre, j’allais en tirer des sommes fabuleuses avec lesquelles je pourrais faire Dieu sait quelles folies, etc., etc. Excédée, je finis par lui dire que je garderais ce portrait jusqu’à ma mort et qu’ensuite, étant prises les dispositions nécessaires, il irait au Musée d’Art moderne. Il répondit que je lui disais tout cela pour l’endormir, mais qu’il savait très bien que j’agirais tout autrement.

S’il s’en était tenu là, j’aurais supporté ces ennuis sans trop en tenir compte, mais bientôt il porta ma colère à son comble.

Un matin il me réveilla pour me demander de lui apporter au plus vite la litho de Matisse. Un photographe allait venir incessamment photographier tous les portraits qu’il avait de lui, celui d’Émile Bernard, ceux de Rouveyre, quelques photographies peu connues. Il tenait à ce que son portrait par Matisse fût aussi reproduit. Sans méfiance, je le lui portai le soir même.

Le temps passa. Je n’entendais plus parler de rien. Je finis par m’inquiéter et me demander quand je pourrais reprendre le portrait afin qu’il ne s’abîmât pas à Fontenay où l’eau ruisselait le long des murs. Avec un air goguenard, Léautaud me répondit qu’il l’avait vendu, non seulement parce qu’il ne voulait pas le garder, mais aussi parce qu’il ne voulait pas le voir quand il venait chez moi.

J’entrai dans une colère folle. Je le traitai de tous les noms, je lui dis qu’il était un misérable, que s’il ne voulait pas garder ce tableau, il aurait pu le laisser chez moi puisqu’il avait été fait à ma demande, que, de plus, cette vente me mettait dans une position affreuse auprès de Matisse. Presque souriant, il restait assis devant moi, ne répondant rien, devant jubiler intérieurement de me voir dans cet état.

Dans la suite, j’appris que cette litho, vendue par lui de 40 à 50 000 francs, avait été revendue à Rouveyre — trop heureux de le faire savoir à Matisse —, avec un bénéfice scandaleux.

Je me fis une joie d’en avertir Léautaud. Toujours sarcastique, il me répondit que cela lui était bien égal, qu’il n’avait pas fait cette vente pour avoir de l’argent, mais pour le seul plaisir d’être débarrassé d’une chose qu’il détestait. La même réponse que lui avait faite Bernard quand celui-ci l’avait mis à la porte du Mercure. Il ajouta encore que s’il n’avait pas trouvé d’acquéreur, il aurait jeté son portrait à la poubelle. Je devins enragée.

Si nous examinons la liste dressée par Marie Dormoy dans ses Souvenirs et portraits d’amis, nous y voyons trois organistes, six auteurs, deux sculpteurs, un architecte, un collectionneur et marchand d’art, un couturier et un chat. Mais aucun peintre. Henri Matisse est évoqué à propos du texte sur Ambroise Vollard :

En 1904 ou 1905, Vollard organisa une exposition des œuvres de Matisse. Celui-ci en tira une grande fierté. Succéder à Van Gogh, et cela dans une galerie placée sous le patronage de Cézanne était une véritable chance, mais, contrairement à ce qui se passa entre Vollard et les autres artistes, l’accord entre lui et Matisse ne fut que de courte durée. Spirituel, moqueur, caustique même, Matisse criblait Vollard de pointes acérées. Vollard, qui n’avait aucun esprit de répartie, se mettait en boule, se murait dans un silence hostile et se contentait de grogner, avec son zézayement créole, boudeur et enfantin, dès qu’il se retrouvait seul : « Il est taquin, Matisse ! Il est taquin ! » C’est à cause de cette mésentente que jamais Vollard ne demanda à Matisse de lui illustrer un livre. Ce fut dommage, et je crois bien que, plus tard, il s’en est fait reproche. C’est pourtant Matisse qui lui avait présenté, vers 1900, Maillol, à qui il acheta ses premières sculptures.

[…]

Une année où il était allé, lui, Matisse, passer, avec sa famille, l’hiver à Collioures, ils se rendirent un jour à Banyuls afin d’y voir les Maillol. Ils tombèrent dans une période où régnait, dans le ménage, quelque désaccord. Les premières paroles échangées, Mme Maillol dit à son mari : « Tu vois, Matisse, comme il est bien habillé, et toi, tu es habillé avec des vieilles loques que tu ne veux jamais changer. » Maillol ne daigna pas répondre. Se tournant vers les visiteurs, pour les prendre à témoin, Mme Maillol enchaîna : « Tout ce que je dis ne sert à rien. Il me fait honte. Les gamins du pays, quand il passe, crient à la chienlit. Il ne m’écoute jamais. » Afin de clarifier l’atmosphère, Matisse, qui jubilait, dit à Maillol : « Allons dans le pays, nous verrons si nous trouvons quelque chose qui t’aille. »

Toujours heureux d’échapper aux criailleries des femmes, Maillol sauta sur la proposition. Les deux hommes déambulèrent dans les rues escarpées du bourg. Matisse, qui était toujours vêtu avec la plus grande élégance, savait bien qu’ils ne trouveraient rien de mettable, mais il allait toujours, s’appliquant seulement à faire oublier à son compagnon les orages conjugaux. Brusquement, Maillol s’arrêta devant une mercerie où étaient exposés des bleus de travail. « Entrons », dit-il à Matisse. Tous deux pénétrèrent dans le magasin. Maillol se fait montrer les vêtements exposés à la devanture, en trouve un à son goût, le passe, et, le trouvant à sa taille, paye les vingt francs qu’il coûtait, abandonnant ses vieilles frusques sur le sol comme un dieu qui se dépouille de sa défroque humaine. Dès qu’il se retrouva avec Matisse dans la rue, il lui dit : « Il y en a qui dépensent des cent francs pour s’habiller. Moi, avec vingt francs, j’ai tout ce qu’il me faut. » Son élégance naturelle était telle qu’avec son bleu de vingt francs il égalait, et même dépassait, l’élégance raffinée de Matisse.

Notes

1       Vraisemblablement pour voir la dernière exposition du musée du Luxembourg, qui était à l’époque un musée d’art contemporain et qui a fermé ses portes à la fin de l’année 1937 pour être remplacé par le musée d’Art moderne du Palais de Tokyo à l’issue de l’Exposition internationale. Ce remplacement sera d’abord incertain, le musée n’ouvrant effectivement qu’en 1942, puis timide jusqu’en 1947. Le musée du Luxembourg n’a rouvert qu’après plus de quarante ans de jachère, en 1979.

2       Les Odalisques d’Henri Matisse sont un ensemble d’au moins une douzaine de toiles, peintes essentiellement au début des années 1920 après un voyage en Afrique du Nord. Dans une lettre à Fritz Vanderpyl datée du 22 octobre 1942 nous apprendrons qu’il s’agit de l’Odalisque « qui a le cou au milieu d’une épaule ».

Deux Odalisques d’Henri Matisse

3       Claude Roger-Marx (Claude Marx, 1888-1977), poète, romancier, auteur dramatique, critique et historien d’art rencontré à un dîner chez Benjamin Crémieux le 28 décembre 1929.

4       Mercure du quinze janvier 1938, page 322 : « Actualité de Daumier ». Ce sera le dernier des vingt articles de Claude Roger-Marx parus au Mercure (le premier en 1908).

5       La balle en question était à l’origine celle du jeu de paume. De nos jours cette expression désigne les fils d’artistes.

6       Paul Guillaume (1891-1934), marchand et collectionneur d’art moderne.

7       Ce texte sera reproduit dans la revue La Nef de juillet 1938, page 29 et fera ici l’objet de la note 22.

8       Fritz Vanderpyl (Fritz R. van der Pyjl, 1876-1965), écrivain, journaliste, poète, critique d’art et critique culinaire belge s’étant installé à Paris en 1899 et naturalisé en 1918. Voir, dans La Terrasse du Luxembourg, page 174, le portrait qu’André Billy dresse du jeune Fritz Vanderpyl en 1902. À la fin des années 1930, Fritz Vanderpyl sera un antisémite féroce. En 1942, Jacques Bernard laissera paraître au Mercure L’Art sans patrie, un mensonge : le pinceau d’Israël.

9       Vraisemblablement Mathias Tahon (1905-1977), qui parallèlement à son métier d’éditeur, est employé au ministère des Finances. Mathias Tahon est le fils du général Tahon (1861-1930), auteur de ses carnets : Avec les bâtisseurs de l’Empire (Grasset 1947).

10     Ce volume est assez grand, 16,5 x 25 cm. La reproduction sur une pierre lithographique implique un dessin à la taille exacte.

11     Lydia Délectorskaya (1910-1998), orpheline a fui la Russie en espérant entreprendre des études de médecine à Paris. À 22 ans, sans aucune formation artistique, elle devient dame de compagnie d’Amélie Matisse (1872-1968) puis modèle d’Henri Matisse, puis secrétaire et aide d’atelier. Au départ d’Amélie, Lydia est resté aux côtés d’Henri Matisse jusqu’à sa mort en 1954.

Lydia Délectorskaya, par Henri Matisse, peinture intitulée Jeune femme au corsage bleu, 1939, visible au musée de l’Ermitage de Saint Pétersbourg

12     André Beaumann, 96, boulevard du Montparnasse, la boutique tout de suite à gauche de la porte. Henri Matisse habitait au numéro 132, dans un grand ensemble de l’époque, qui rassemble encore de nos jours les numéros 132, 134 et 136. Nous sommes assez exactement entre le carrefour Vavin (La Coupole, Le Dôme et La Rotonde) et la Closerie des Lilas.

13     Le Calomel est un minerai dont on tire le chlorure de mercure, utilisé comme laxatif. Cet usage a été abandonné à la fin du XIXe siècle du fait de sa toxicité. Henri Matisse avait été opéré d’un cancer du colon en 1941.

14     Dans le corps de l’édition papier : « [illisible] ».

15     À cette époque, André Rouveyre habitait 34 rue de Seine.

16     « imaginer » ajouté. Dans le corps de l’édition papier : « [illisible] ».

17     « importe » entre crochets et en italiques dans le texte de l’édition papier.

18     Peut-être Fernand Mourlot (1895-1988), plus connu comme imprimeur et « maître lithographe », qui a imprimé les plus grands artistes de son temps.

19     Le volume en question est évidemment le Choix de pages. Ce portrait de PL par Henri Matisse a été joint aux quarante-cinq premiers exemplaires sur chiffon d’Arches.

20     Paul Léautaud est plusieurs fois revenu sur cette anecdote qu’il n’a pourtant pas notée le jour même, ce qui fait que nous n’en connaissons pas la date précise. On peut penser au 21 juillet ou au quatre août 1935, à l’occasion de deux visites de Paul Léautaud et Marie Dormoy chez les Maillol, notées dans le Journal particulier (les visites mais pas l’événement).

21     Corrigé de « sculpture ».

22     La Nef de juillet 1945 page 29 reproduisant la journée du Journal littéraire du six janvier 1938, relatant une conversation avec Fernande Olivier dans le bureau de PL au Mercure.

23     Note de Marie Dormoy : « J’avais demandé un jour à Matisse de faire le portrait de Léautaud, comme je l’avais demandé à Vuillard, comme je l’ai demandé plus tard à Dunoyer de Segonzac. Je pensais à un simple croquis. L’édition du Choix de Pages ayant été, entre-temps, décidée, Matisse a donné à ce projet une grande importance. »

24     Le Choix de pages reprendra quelques fragments de l’année 1938 mais fort heureusement pas la journée du six janvier.

25     Dans le corps du texte de l’édition papier : « [illisible] ».

26     Narcisse, puis Frédéric Lefèvre (1889-1949) est l’auteur, en 1917, son premier ouvrage, au titre ambitieux pour un aussi jeune homme : La jeune poésie française. En 1922, Frédéric Lefèvre, Jacques Guenne et Maurice Martin du Gard lanceront l’hebdomadaire Les Nouvelles littéraires « au prix et au format d’un journal » qui paraîtra jusqu’en 1983. Frédéric Lefèvre sera l’immortel auteur de la série de près de quatre-cents entretiens « une heure avec… » tous parus dans Les Nouvelles littéraires. Certains de ces entretiens seront réunis en cinq volumes chez Gallimard puis (sixième volume) chez Flammarion entre 1924 et 1929.

27     Robert Kemp (1879-1959), journaliste, critique littéraire et dramatique et écrivain. En 1929 Robert Kemp entre au Temps où il succèdera à Pierre Brisson en 1934 et entrera au Monde à la Libération. Robert Kemp sera élu à l’Académie française en 1956.

28     Cet article paraîtra dans le numéro du 31 octobre, au bas de la page trois, accompagne de ce dessin bien connu :

29     On peut être surpris de ce nombre soudain. L’achevé d’imprimé indique bien : « numérotés de 1 à 45 et de I à V », ce qui fait bien cinquante.

30     Anne Marie Marguerite Coulon (1912-1947), deuxième épouse (en 1937) de Mathias Tahon, qui lui donnera un fils prénommé Confidentiel. Mathias Tahon se mariera une troisième fois en 1955.

31     Charles Ier d’Orléans (1394-1465), duc d’Orléans et de Valois, est surtout connu pour ses œuvres poétiques. « Dedans mon Livre de Pensée, / J’ai trouvé écrivant mon cœur / La vraie histoire de douleur, / De larmes toute enluminée. »

32     Ces Poèmes de Charles d’Orléans sont entièrement manuscrits de la main d’Henri Matisse avec 54 illustrations. In folio sous couverture rempliée lithographiée en couleurs sous étui. Cent pages ornées de 54 lithographies originales dont la couverture. L’achevé d’imprimer est du 24 février 1950, pour les éditions de la revue Verve, quatre rue Férou. 1 200 exemplaires numérotés et trente exemplaires hors commerce. Pour les détails de l’élaboration de cet ouvrage, voir Matisse-Rouveyre, Correspondance, édition établie et annotée par Hanne Finsten, Flammarion mai 2001, 667 pages, cent €uros.

33     Le mot capital paraît exagéré. PL en tirera 40 000 francs le 24 octobre. Un portrait de Paul Léautaud par Henri Matisse, au fusain, mis à prix à 6 000 euros, a été vendu 14 000 €uros en avril 2016 dans la salle des ventes de La Flèche (Sarthe).

34     Bourbon-Lancy, station thermale entre Moulins et Montceau-les-Mines.

35     Cette statue de Diderot se trouve encore de nos jours sur le boulevard Saint-Germain, face à la nef sud de l’église et, de l’autre côté, au numéro 143.

36     Florence La Caze (San Francisco 1895-Cannes 1983), femme de lettres et salonnière américaine, a épousé en 1923 le milliardaire Frank Jay Gould (New York 1877-Juan-les-Pins 1956). Le père de Florence, Maximilien Lacaze, éditeur d’origine française a fait fortune en Californie. Paul Léautaud s’est rendu de très nombreuses fois (une centaine ?) aux déjeuners du jeudi de Florence Gould.