André Gide III

3e partie 1945-1951

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Liens dans cette page : L’affaire du Choix de pages (1946), 1947, 1948, 1949, 1950, 1951 et notes.

Le Groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France

La guerre s’est terminée mais la reprise économique s’est fait attendre plusieurs années. Il y a eu des restrictions jusqu’en 1948.

Du coup le Mercure de France (la revue) n’a repris qu’à la fin de 1946 avec cette date étonnante :

Et ce numéro double :

La date est d’ailleurs fausse puisque, comme nous le lirons, ce numéro n’est sorti qu’à la fin de décembre, vers le 23.

En fait c’est la première fois que paraît un numéro double dans l’histoire du Mercure, même lors des cataclysmes entraînés par les disparitions de Louis Dumur et d’Alfred Vallette, à trente mois d’écart exactement227, en 1933 et 1935.

Une page web est réservée à la description de ce numéro exceptionnel. Les plus grandes plumes de ce temps et de ce cénacle ont été réunies, comme pour effacer les errements de la guerre et de son triste directeur des années 1940.

Pour bien comprendre le texte d’André Gide donné ci-dessous, il faut savoir qu’il a lui-même quitté le Mercure de France après mars 1908 pour rejoindre son plus redoutable concurrent, La NRF dont le premier « numéro 1 » est paru en novembre 1908 (il y a eu un deuxième « numéro 1 » en février 1909 puis un troisième en janvier 1953). La première partie de La porte étroite est parue dans La NRF de février 1909, pas dans le Mercure.

Lisons le texte qu’André Gide — auteur NRF — a écrit dans ce numéro du Mercure228.

Le groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France eut certes une importance considérable. Je puis en témoigner mais me sens fort peu qualifié pour en parler, n’en ayant jamais fait partie que du bout de la plume. Et de même je me suis peu mêlé aux réceptions de Mme Rachilde229. Toutefois j’ai gardé vif souvenir des rares apparitions que je fis dans son salon très accueillant. C’était aux meilleurs temps d’Alfred Jarry230 ; figure ininventable, que je rencontrais aussi chez Marcel Schwob et ailleurs, toujours avec un amusement des plus vifs, avant qu’il ne sombrât affreusement dans les crises de delirium tremens231. Ce Kobold232, à la face plâtrée, accoutré en clown de cirque et jouant un personnage fantasque, construit, résolument factice et en dehors de quoi plus rien d’humain en lui ne se montrait, exerçait au Mercure (en ce temps) une sorte de fascination singulière. Tous, presque tous autour de lui, s’efforçaient, avec plus ou moins de succès, d’imiter, d’adopter, son humour ; et surtout son élocution bizarre, implacable, sans inflexions ni nuances, avec une accentuation égale de toutes les syllabes, y compris les muettes. Un casse-noisette aurait parlé, il ne l’eût point fait autrement. Il s’affirmait sans gêne aucune, en parfait dédain des convenances. Les surréalistes, par la suite, n’inventèrent rien de mieux et c’est à juste titre qu’ils reconnaissent et saluent en lui un précurseur. On ne pouvait pousser plus loin qu’il ne le fit la négation, et cela dans des écrits de forme souvent dure et durable ; « définitifs », comme l’on se plaisait à dire hier ; mais on n’admet plus rien de définitif aujourd’hui. Plus encore que son Ubu Roi, je tiens, extraits de ses très inégales Minutes de Sable Mémorial233, le dialogue d’Ubu avec le professeur Achras, puis le débat suivant avec sa conscience, pour un extraordinaire, incomparable et parfait chef-d’œuvre.

Auprès de Jarry les autres habitués des salons de Rachilde faisaient, à mes yeux du moins, figure de comparses. Quant aux représentants les plus marquants du mouvement symboliste, je préférais les rencontrer chez eux, et j’allais dire : en liberté. Il faut pourtant bien reconnaître que le Mercure, en ce temps, était pour eux le seul lieu de rencontre possible, en dehors de quelques salons, peut-être, et des cafés. Mais non, décidément, au Mercure, je ne les sentais pas à leur place ; ni moi non plus ; non point que je souffrisse de mon peu d’importance en ces lieux ; mais on y manquait d’air ; j’y étouffais ; l’atmosphère m’y paraissait irrespirable. Je ne pouvais m’intéresser aux propos qui s’y tenaient et à peine aux personnes ; non plus qu’elles ne s’intéressaient à moi. Lorsque la N.R.F. demanda de reprendre sous sa firme Paludes234 et mes Nourritures terrestres235, il ne fut pas même question de racheter des droits : Vallette céda sans conditions les volumes restants qui stagnaient et encombraient les rayons des invendus, des invendables. Ceci soit dit pour éclairer le peu de rapports que je pouvais avoir avec les familiers du Mercure ; à la seule exception de Vallette et de Léautaud236.

Mon estime et mon affection pour Vallette, j’eus déjà l’occasion de la déclarer, apportant ma contribution à une gerbe d’hommages. J’avais plaisir à le retrouver, inamovible dans son bureau, accueillant chacun avec bonne humeur et bonne grâce ; de relations sûres, remplissant avec dévouement ses fonctions d’éditeur parfait ; répugnant à toutes combines, mais d’une prodigieuse ingéniosité pour défendre les intérêts des auteurs édités par lui. Je ne puis songer à lui qu’avec une très cordiale reconnaissance.

Je ne suis pas sûr que j’aurais souhaité du Léautaud à mon menu quotidien ; mais ainsi, de temps à autre, je dégustais ses écrits ou sa conversation avec un plaisir sans mélange. Tout me ravissait en lui ; et d’abord ceci : qu’il ne cherchait nullement à plaire. Le naturel restait sa seule coquetterie. J’aimais son regard à la fois malicieux et tendre ; sa voix riche aux éclats soudains, éclats énormes, de rire souvent qui partait en fanfare, de sarcasme ou d’indignation généreuse. J’aimais cette sorte de distinction d’allure, de gestes, de manières dans une mise un peu débraillée. Quel étonnant visage ! On eût dit un pastel de La Tour237 ou de Péronneau238, un portrait d’encyclopédiste qu’on s’étonnait de voir revivre, qui restait avec notre époque en anachronisme parfait ; d’où son naturel spontané prenait plus de saveur encore. J’aimais son irrespect devant les galons, les décorations et les grades, issu de son intégrité foncière ; et jusqu’à ses incompréhensions, ses dénis parfois excessifs, ses fins de non-recevoir ; et la sincérité de son amour pour certaines formes de l’art, l’exclusivité de son goût pour la chose française, et la sûreté de ce goût. J’aimais… mais pourquoi mettre au passé ce qui vit encore. Avec quelle joie je retrouvai récemment le Léautaud d’avant la guerre239, à peine un peu vieilli et comme enfoncé dans lui-même, aussi Léautaud qu’avant la tourmente, un des rares témoins d’un passé dont j’espère trouver un abondant reflet dans son Journal, et qui paraît presque aussi distant de nous que les guerres de l’Empire ou que la Révolution.

Tel qu’il était, le Mercure représentait une force, celle de l’esprit, que ne peuvent mater que provisoirement les contraintes. Elle ressurgira bientôt comme rajeunie et sous une forme nouvelle, ainsi que saura le prouver la reprise de la revue. C’est ce que je souhaite de tout cœur.

1er octobre 1946

Ce texte peut être téléchargé via le lien ci-dessous.

L’Affaire du « Choix de pages »

Comme cette affaire s’est déroulée sur plusieurs années nous devons remonter un peu le temps si l’on veut la prendre à son début.

La lettre à André Rouveyre du seize mai 1942

L’achevé d’imprimer du Choix de pages de Paul Léautaud par André Rouveyre.

Au tout début d’octobre 1946 (achevé d’imprimer du 30 septembre), parait chez Mathias Tahon (les éditions du Bélier) un Choix de pages de Paul Léautaud par André Rouveyre. L’aventure est d’importance et une page devrait bien être écrite sur ce sujet, nous sommes prêts à aider qui voudra s’y aventurer..

André Gide et André Rouveyre étaient amis. En 1967, Claude Martin a édité leur Correspondance (136 lettres) pour le Mercure de France (285 pages).

L’affaire de ce Choix de pages a commencé plus de deux ans plus tôt, le seize avril 1944 :

Ce matin, lettre de Rouveyre. Il me communique une lettre de l’éditeur Tahon, qui voudrait publier un choix de pages de moi, avec une introduction et des illustrations et qui lui demande de composer le volume. Rouveyre me donne en même temps les termes de sa réponse à Tahon. Il tourne autour, fait le modeste, doute de ses capacités, appréhende de rater le volume et que celui-ci me mécontente. Sous tout cela, il doit être aux anges de la proposition. Je lui réponds ce soir que je n’ai rien à voir dans cette affaire, que tout le regarde : le choix, l’introduction, l’étendue du volume, les autorisations à avoir, qu’il s’entende sur tout cela avec Tahon, que je verrai son travail quand il paraîtra. Quant à moi, m’occuper de cela, ah ! non !

Paul Léautaud laisse donc à son ami André Rouveyre une totale liberté, nous le retrouvons bien là. Mais ce qui n’est pas une bonne idée. Il est très difficile de nos jours de percer la personnalité — disons non-linéaire — d’André Rouveyre.

Farouchement attaché à sa liberté, Paul Léautaud respecte absolument celle des autres et refusera toujours de lire la moindre phrase, ne serait-ce que la préface, d’un choix de ses pages.

Mais voilà, il arrive toujours un moment où les choses se savent. Le livre est sorti début octobre 1946 et dans le Journal littéraire au dix octobre nous apprenons que le vendredi onze, André Rouveyre et Paul Léautaud doivent se rendre chez l’éditeur, Mathias Tahon, pour faire les services du Choix de Pages. L’affaire n’a pas été décrite mais ce que l’on sait, c’est que Paul Léautaud a pu en emporter plusieurs exemplaires et qu’il en a lu un, chez lui, ce vendredi soir.

Et dans la Correspondance de Paul Léautaud, à la date du quatorze octobre, nous lisons une lettre bizarre :

        À André Billy

Lundi 14 octobre 1946

        Mon cher Billy,

En raison du trio que nous sommes, vous, Rouveyre et moi, je vous communique, à lire vous seul, le texte de la lettre que je lui ai écrite à propos du Choix de Pages.

Vous serez bien aimable de me la retourner.

        Amitiés.

P. Léautaud

Cette copie de la lettre à André Rouveyre n’a pas été retrouvée. Il reste peut-être l’original envoyé à André Rouveyre mais celui-ci a gelé la publication de sa correspondance jusqu’en 2006. Des dérogations particulières ont été acceptées, comme nous l’avons vu pour la correspondance avec André Gide, ou pour sa correspondance avec Henri Matisse parue chez Flammarion en mai 2001 (980 pages). Pour la correspondance avec Paul Léautaud, rien. Maintenant qu’il n’y a plus besoin de dérogation quelqu’un pourrait-il s’en occuper ?

En même temps que cette lettre à André Billy et de celle à André Rouveyre, ce quatorze octobre, Paul Léautaud a écrit à Madame Tahon :

        À Mme Tahon

Lundi 14 octobre 1946

        Chère Madame,

Je prendrai la liberté de venir demain mardi, après déjeuner. Vous seriez bien aimable, et je vous en saurais gré, de vouloir bien faire le nécessaire pour l’argent, solde de mes droits sur Marly-le-Roy : 17 500 francs moins le prix des chemises et des caleçons.

Il s’agit de la plaquette Marly-le-Roy et environs parue au Bélier le seize décembre dernier.

Oui, Paul Léautaud s’est fait acheter des chemises et des caleçons par Madame Tahon.
Continuons la lecture de la lettre à Madame Tahon :

Le secrétaire de M. Tahon a dû vous dire que je lui ai téléphoné pour le prier de ne pas faire partir l’exemplaire du Choix destiné à André Gide (dans les exemplaires que Rouveyre et moi avons dédicacés vendredi dernier). Vous savez que Rouveyre a reproduit des passages des lettres que je lui ai écrites pendant l’Occupation, sans mon autorisation, sans rien m’en soumettre, véritable abus de confiance. Je ne connaissais rien de ces reproductions, Rouveyre ayant fait à M. Tahon défense de rien me montrer. Je ne les ai connues que vendredi soir, chez moi, en voyant page par page, un des exemplaires que j’ai emportés. À la page 301, j’ai trouvé, tiré d’une de mes lettres, un passage sur André Gide, sur lequel Rouveyre a satisfait, sur mon dos, les sentiments hostiles qu’il a à l’égard de Gide, sans se soucier le moins du monde du cas fâcheux dans lequel il me mettait. Vous pensez bien qu’après cela il y aurait une sorte d’insolence de ma part, à l’égard de Gide, comme je l’ai fait vendredi dans mon ignorance de ce passage, l’exemplaire à lui destiné. J’ai écrit à ce sujet à Rouveyre et l’ai mis au courant. Je reprendrai demain l’exemplaire en question. Il en sera quitte pour en faire un autre, en son nom seul.

Acceptez, je vous prie, chère Madame, mes cordiaux hommages.

P. Léautaud

L’exemplaire destiné à André Gide existe peut-être quelque part. Il doit valoir une fortune.

On ne sait pas pourquoi Paul Léautaud ne parle que de la lettre de la page 301 ; celle de la page 320 semble la pire. Il est temps de donner ici le texte de ces deux lettres — dont on ne dispose que de fragments — datées des seize mai 1942 et six février 1945. Pour cette dernière, fort longue, seuls les passages concernant André Gide seront reproduits ici :

        À André Rouveyre

16 mai 1942

Dans le colis de biscuits240, trouvé un interview imaginaire de Gide. C’est pitoyable de voir un écrivain comme lui, et de son âge, écrire, sur de pareilles niaiseries et s’y intéresser. Je suis joliment revenu sur son compte. C’est un précieux, c’est un esprit faible, il a subi l’influence désastreuse du plus lamentable des écrivains : l’aliéné Dostoiewsky (comme Duhamel également). Son illusionnisme soviétique a donné raison à Vallette me disant un jour, à mon grand effarement, « Gide n’est pas un homme intelligent ». L’épisode du train, dans les Caves du Vatican, le co-voyageur jeté par la portière du train en marche, uniquement pour voir la sensation éprouvée par cet acte, est une bêtise sans borne ; qui aurait fait éclater de rire un Molière, un Racine, un Boileau, un Diderot, et un Voltaire, etc. J’en ai fait convenir, en mars 1940, dans un déjeuner241 toute une tablée de « Gidites » à tous crins, ne leur cachant pas en outre mon opinion que les jeunes gens qui ont subi ses influences, puisqu’il paraît qu’il y en a, et même nombreux, et pour lesquels il a été paraît-il, un maître à penser — (un maître à penser, comme on a un maître à danser) — sont tout bonnement de bien pauvres cervelles.

        À André Rouveyre

6 Février 1945

[…]

Je reste surpris de la façon dont vous avez pris mon refus de lire votre Introduction242, et surpris que vous n’ayez rien compris aux raisons de ce refus. C’est même plus que de la surprise que j’en ai. Enfin, je ne vais pas y revenir. Je maintiens mes raisons, je les aurais avec tout autre. Je les éprouvais encore plus à votre égard.

Pour votre parallèle, rapprochement, comparaison, d’une part vous dénaturez singulièrement, d’une autre vous confondez. Je n’ai jamais méprisé, puisque vous employez ce mot, la littérature de France, ni de Gide, ni de Valéry. Ce mot : méprisé, ne fait pas partie de mon vocabulaire. J’ai tenu, je tiens encore la littérature de France pour un centon243 en plusieurs volumes, mais lequel est composé avec un goût, un art admirables, et je tiens les Dieux ont soif pour un chef-d’œuvre dans ce genre. Je peux mésestimer le caractère de Gide, son hypocrisie, sa duplicité, ses petites fourberies, sa faiblesse devant les compliments, mais si ce qu’il a écrit n’est pas à mon goût : La Porte étroite et Si le Grain ne meurt sont des livres que je ne me suis jamais donné le ridicule de mépriser, bien loin de là, je suis obligé de le répéter : vous inventez un peu trop. Je puis également mal juger le goût pour les honneurs, sa soif d’argent, les trafics d’éditions originales, la cour aux pouvoirs de Valéry, mais littérairement je n’ai encore là aucun mépris : ses vers me sont indifférents mais il y a dans ses volumes Variétés des choses remarquables. Non, je ne suis pas un sot pour mépriser ici comme vous me le prêtez. Je ne méprise rien. J’aime ou je n’aime pas, et s’il m’arrive d’exprimer une opinion littéraire je dis toujours : c’est mon opinion à moi, et rien de plus. J’aurais honte qu’on puisse dire, avec vérité, que je méprise l’œuvre des écrivains ci-dessus. « Pauvre homme, pourrait-on dire, pour qui se prend-il ? »

[…]

Dans mon refus de lire votre introduction, il n’y avait pas seulement discrétion, respect de votre liberté d’appréciation et aussi peu de goût pour ce qui pouvait ressembler à une entente entre deux amis dont l’un écrivait sur l’autre. Il y avait aussi confiance entière dans la façon dont elle serait faite, curieuse, originale, pittoresque. Voici toutes ces dispositions aimables et flatteuses traitées, interprétées par vous comme vous le faites. Il y en a un de nous deux qui n’est pas d’aplomb, et je ne crois pas que ce soit moi.

Bien entendu, l’ouvrage étant diffusé dans ce petit milieu, André Gide a évidemment eu connaissance de ce texte, peut-être même par l’exemplaire signé d’André Rouveyre seul. Dans son Journal aux 23 et 25 novembre 1946 nous pouvons lire :

Journal d’André Gide au 23 novembre 1946(244)

Ouvrant incidemment le livre de Rouveyre sur Léautaud, je tombe sur ceci :

« A. G. a confié à la Virginia Quarterly Review que, s’il se retirait dans une île déserte, il emporterait les livres suivants : La Chartreuse de Parme, Les Liaisons dangereuses, La Princesse de Clèves, Dominique, La Cousine Bette, Madame Bovary, Germinal, Marianne245. »

Je proteste : on m’avait demandé de désigner mes dix romans français préférés. Si, exilé, je ne pouvais emporter que dix livres, ce ne serait aucun de ceux-là.

Journal d’André Gide au 25 novembre 1946

J’ai toujours eu pour Léautaud une affection presque très vive, aussi me peine certaine phrase de lui, citée par Rouveyre, extraite d’une lettre à celui-ci, où Léautaud parle de mon « hypocrisie », de ma « duplicité », de mes « petites fourberies »… Bien curieux de savoir à l’aide de quelles anecdotes cette opinion a pu se former ? à la suite de quels racontars ?…

Peut-être Léautaud, lisant l’éloge tout affectueux que je fais de lui dans les pages envoyées récemment en contribution à la reprise du Mercure246, peut-être va-t-il croire que je les ai écrites, ces pages, en manière de riposte à ses accusations, de sorte que cet éloge même passera, aux yeux de Léautaud, pour une « petite fourberie » de plus. Quel étrange travail de déformation peut se faire, inconsciemment ou presque, dans l’esprit des plus perspicaces et des mieux avisés ! C’est ainsi que tout portrait d’autrui en vient à ressembler autant et plus au peintre qu’au modèle…

[…]

Mais non : connaissant Léautaud, je crois plutôt qu’il n’a pu prendre pour sincères les phrases, les pages de mon Journal qui ne vont pas dans son sens. Il tient toutes génuflexions pour simagrées, toutes révérences ; et mon Numquid et tu247…, par exemple, lui paraît gage ou de sottise, ou d’hypocrisie : celui qui pense ou écrit cela sans être bête joue la comédie. Voici qui peut-être suffit à me faire taxer de duplicité par Léautaud, sans qu’il y ait lieu de chercher plus loin. Je préfère cela : car il me peinait qu’il pût croire à quelque malintention à son égard.

Mais reprenons la chronologie des événements.

05 novembre 1946

Tantôt, visite de Jean Denoël248, accompagné d’un jeune Belge, dont le nom ni la qualité n’ont été prononcés. Comme nous parlons du Choix de pages, à propos duquel je renseigne Denoël sur certains petits procédés de Rouveyre, notamment au sujet du passage d’une de mes lettres sur Gide, cela nous amène à parler des rapports entre Gide et Rouveyre, Rouveyre s’en étant pris de si féroce façon à Gide (Le Reclus et le Retors249), l’un et l’autre continuant à s’écrire de temps en temps250.

Denoël me dit que dans les articles envoyés à la revue Fontaine251 par Rouveyre, alors qu’il était encore à Vence, et dont le refus a provoqué si fort son ire, qu’il manifeste encore à l’occasion, il y en avait un sur Gide, fort agressif encore. Il était d’avis, lui, Denoël, de le publier. C’est son associé dans la direction de la revue, Fouchet252, qui s’y est opposé. Denoël me dit que Gide, tout en répondant aux lettres de Rouveyre, est fort mal disposé à son égard : « Je ne lui pardonne pas d’avoir attaqué comme il l’a fait certains de mes amis. » Il doit s’agir surtout de Valéry. Denoël me dit que Rouveyre lui a manifesté le désir de voir Gide. Denoël a fait la commission. Gide s’y est refusé.

À propos de ce passage d’une de mes lettres reproduit par Rouveyre, Denoël paraît être de l’avis de Marie Dormoy, lui, disant que ce sera pour lui comme un coup de poignard. Il me disait tantôt, à ce sujet, qu’il est en effet extrêmement sensible à ces sortes de choses. Rouveyre m’a mis là dans un joli cas.

Ce n’est pas que je m’en affecte beaucoup. Des choses de ce genre me sont assez indifférentes.

[…]

Quand même ! Justement, cette bonne grâce à entendre mes critiques, ses façons toujours charmantes avec moi depuis, son empressement à venir à moi dès qu’il m’aperçoit dans un lieu ou une réunion où il se trouve lui-même, son offre insistante, incessante, de collaborer à sa revue L’Arche253. La citation malicieuse, par Rouveyre, d’un passage d’une de mes lettres le concernant, et dans lequel il est traité comme il est, cela ne cadre pas très bien avec toutes ces choses aimables de sa part. Enfin, je l’ai écrit, c’est publié, il n’y a rien à faire. Je ne vais pas me casser la tête pour cette histoire.

Il y a aussi tout ce que j’ai dit sur son compte, l’homme et l’écrivain (je le rappelle dans ce passage d’une de mes lettres), à un déjeuner chez Benjamin Crémieux, en mars 1940. Que personne ne lui en ait rien rapporté, ce serait bien drôle.

Et je pense même déjà à la possibilité d’une rencontre avec lui, et qu’il me parle de ce passage d’une de mes lettres à Rouveyre. Il n’entendra pas mes excuses, bien sûr, ni même mes regrets. Ce n’est pas dans mon caractère. Il me semble déjà y être et lui répondant : « Eh ! oui. C’est comme cela. Voilà ! voilà ! » Et ce sont les petits tours de Rouveyre, dont il ne se prive pas, même avec ses amis.

21 novembre 1946

Ce jeudi, comme presque tous les jeudis à cette époque, c’est déjeuner chez Florence Gould254 où la gauche était représentée mais minoritaire.

Jean Denoël, présent au déjeuner, m’a dit qu’il a encore vu Gide, et reparlé avec lui du passage le concernant dans le Choix de pages, et que Gide se rend très bien compte qu’il y a là un procédé à la Rouveyre. Il me dit qu’il lui a répété : « J’accepterai toujours tout de Léautaud. Quant à Rouveyre, je ne veux même plus le voir. »

[…]

Denoël m’a renouvelé, de la part de Gide, la demande de « quelque chose » pour L’Arche. Comme je lui disais que ce que j’ai est un peu long : qu’on pourra le passer en deux numéros. Comme je lui ai dit : « L’assommant, c’est qu’il faut que je copie, et avec ma vue et mon écriture. Tous les soirs, je me jure de m’y mettre le lendemain, et le lendemain, rien. »

27 novembre 1946

Mlle Blaizot255 m’a ensuite raconté : on a réimprimé La Porte étroite, de Gide. En une journée, 1 000 exemplaires vendus. On va réimprimer son Oscar Wilde, puis L’Immoraliste. M. Hartmann256 lui a dit combien on serait heureux s’il voulait donner un volume inédit. Réponse de Gide : « Ne me parlez pas de cela. Vous me faites une grande peine. Il n’y a pas moyen. Je suis bouclé chez Gallimard. Peut-être, s’il venait à quitter la maison… »

09 décembre 1946

Ce lundi soir, le jeune et un peu aventurier Jean-Jacques Pauvert257 rend visite à Paul Léautaud à Fontenay.

Jean-Jacques Pauvert m’a dit aussi, ce que je note sous toute réserve, tant cela me paraît exagéré, comme je lui parlais, à propos du Choix de pages, des petits tours de Rouveyre, notamment à l’égard de Gide, qu’il paraît que Gide est « terrifié », c’est le mot que Pauvert a employé, à la pensée de ce que mon Journal peut contenir sur lui. On se fait décidément une idée bien fausse de ces papiers en se les représentant comme une œuvre de dénigrement. Je crois que c’est chez Rouveyre que j’ai vu un article, que je n’ai ni lu ni emporté, dont le titre est quelque chose de ce genre : « Le monde littéraire tremble à la pensée de la publication du Journal de Paul Léautaud. » Ce que ce Choix de pages aura fait écrire d’exagérations sur mon compte !

Chaque fois que Jean-Jacques Pauvert vient me voir, cadeau d’un paquet de tabac. C’est quelque chose !

26 décembre 1946

Lettre sans date (arrivée le 26 décembre) :

Ce matin, lettre de Jean Denoël. « Hier, conversation avec Gide258. Il ne vous en veut pas du tout, m’a-t-il assuré. (Le passage d’une de mes lettres à Rouveyre, le concernant, et reproduit par Rouveyre dans le Choix de pages.) Ce qu’il ne comprend pas très bien, me disait-il, c’est ce reproche d’hypocrisie que vous lui faites dans une de ses lettres publiées par Rouveyre. « Que veut-il dire par “là ?”, c’est la question qu’il se pose. Il me dit combien il serait heureux de vous retrouver, qu’il avait toujours de la joie et du plaisir à parler avec vous. Voilà. »

Ce n’est pas la première fois que Denoël m’écrit, comme pour me rassurer, à propos de cette fichue histoire. On croirait vraiment, à le lire, que je l’ai chargé d’arranger les choses avec Gide. Il se mêle vraiment un peu trop de ce qui ne le regarde pas, si excellentes que soient ses intentions.

[…]

Passé ensuite au Mercure. Mlle Blaizot, sans que je le lui demande me donne un numéro 1 000, bien que, à son avis, je doive en recevoir un comme collaborateur. Je l’ai coupé ce soir, presque lu en entier, en tout cas, bien regardé dans tout son contenu. Il est remarquablement composé. Pas une page sans intérêt. Les pages de Gide, sur le groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France (il le considère à ses débuts, ou presque), sont excellentes, justes. Il marque bien qu’il s’y trouvait un peu comme un étranger. On a toujours dit, au Mercure, qu’il y avait une rivalité dissimulée entre Gourmont et lui, et qu’il avait préféré ne pas rester dans la maison pour n’y pas être le « premier ». Ce qui n’empêche pas qu’il n’en a jamais, dans la suite, retiré les ouvrages qu’il y avait publiés : La Porte étroite, L’Immoraliste, les Prétextes, Oscar Wilde.

        D’André Gide à Paul Léautaud259

24 décembre 1946

Oui, cette publication de Rouveyre risquait de mettre entre nous de l’imbroglio. C’est ce qui l’amuse ; et si j’ai cessé de le fréquenter, c’est que déjà précédemment, il avait fait en sorte de me « brouiller » avec des vieux amis. Or, mon amitié, j’y tiens plus que chose au monde. Chez lui, c’est un sport ; mais aujourd’hui encore il en sera pour ses frais. Mes sentiments pour vous restent « inchangés » (comme l’on disait de la situation en 1914), et ma sympathie aussi vive que je la peignais dans mon articulet d’hier au Mercure260. Je n’en ai qu’à Rouveyre ; mais reste assez péniblement affecté de la manière dont vous me traitez dans cette lettre de vous publiée par lui (sans votre assentiment, si j’ai bien compris), laquelle prête à la rigolade des malveillants ; et vous savez qu’ils sont nombreux.

L’on me resservira, de votre part, les mots « hypocrisie, duplicité, fourberie », et si, malgré cela, je vous témoigne mon amitié, voici qui paraîtra une hypocrisie de plus. C’est cela qui m’attriste. Quant à savoir pourquoi et comment j’ai pu faire, à vos yeux, figure d’hypocrite… ça c’est une tout autre question (sur laquelle je souhaite que nous nous expliquions un jour). Y a-t-il eu, pour vous inciter à me juger ainsi, personne interposée ? ou s’agit-il simplement, comme je croirais volontiers, d’une réaction devant certaines pages « pieuses » de mon Journal, devant l’expression de sentiments que ne peuvent avoir, d’après vous, que des hypocrites, précisément… ou des sots ? Quoi qu’il en soit, ceux (les sentiments) que je « nourris » pour vous ont toujours été des plus attentifs, des plus affectueux et, en dépit de Rouveyre, je suis et reste, autant que jamais, votre ami.

André Gide

1947

6 Janvier 1947

Je n’ai toujours pas lu la lettre de Gide. Cette affaire m’assomme.

22 janvier 1947

Dans une lettre à Marie Dormoy :

Ce matin, un mot de Denoël : Gide est furieux contre Rouveyre. Nouvelle réclamation instante, de la part de Gide, de quelque chose pour L’Arche.

13 février 1947

Ce jeudi, déjeuner chez Florence Gould :

Au café, Denoël me parle de Gide, comme il fait à chaque déjeuner. Il me répète les propos amers et vindicatifs de Gide à l’égard de Rouveyre « Il a toujours cherché à me brouiller avec mes meilleurs amis. Jamais je ne lui pardonnerai cela », et l’appréciation de Gide sur moi-même : « Léautaud est l’homme du bon sens. »

Denoël me raconte que Gide a reçu ces jours-ci une invitation de Miss Barney261 pour un des jours qu’elle reçoit. En faisant part à Denoël, il s’est écrié : « Non ! non ! je ne peux pas accepter. Je verrais là-bas une grande ombre… Non, vraiment, je ne peux pas. » Il a écrit très courtoisement à Miss Barney pour décliner son invitation et s’excuser.

La « grande ombre », c’est celle de Gourmont. Il y a comme un signe d’une faiblesse presque pathologique, chez Gide, à pouvoir être encore impressionné à ce point, après tant d’années. Et comme il faut que les différences morales, plus encore que les différences littéraires, entre lui et Gourmont, aient marqué sur lui, et en lui, pour lui en laisser des traces si vives. Denoël est de mon avis, — il est vrai qu’il est toujours de l’avis de celui avec lequel il parle, — quand je dis que c’est, chez Gide, l’esprit religieux en opposition à l’égard de Gourmont, le mécréant. Je relisais justement hier des pages de la thèse du jeune Anglais Garnet Rees sur Gourmont262. Il reproduit certains passages de Gide qu’on peut penser viser Gourmont « Le scepticisme n’a jamais rien donné de bon. Je tiens les sceptiques pour des gens sans idéal… pour des sots. » De même, son appréciation que « seuls valent les individus qui connaissent une certaine inquiétude, une certaine angoisse morale ». Ce n’est pas agréable de dire : il y aurait là, chez Gide, un certain fanatisme. C’est certainement de la haine qu’il a pour Gourmont, même mort.

14 août 1947

Encore un jeudi et donc un déjeuner chez Florence Gould. Comme Florence Gould habite l’avenue Malakoff, qui relie l’Avenue Foch à la porte Maillot, Paul Léautaud nomme souvent ces déjeuners « Déjeuner Malakoff ».

Déjeuner Malakoff. Pour la première fois Gide. Quand on est passé à table, je lui ai moi-même donné ma place, à la droite de Mme Gould263. Elle comprise, nous n’étions que cinq : Gide, Jean Amrouche264, le jeune Américain qui loge chez Mme Gould, et moi. Ce petit nombre rend le déjeuner plus agréable qu’avec les douze ou quinze convives habituels.

Gide n’a pas eu à table, ni ensuite au petit salon pour le café, un mot, un propos, une remarque, un avis, une considération intéressants. Je crois qu’il s’est aperçu de la conversation assez insignifiante (et maniérée) de Mme Gould et que cela a agi sur lui. Il ne s’est un peu animé que sur le sujet d’un nommé Izou265, jeune théoricien (il n’a, a dit Gide, que 22 ans), d’une nouvelle littérature appelée, si je ne trompe, le lettrisme, dont il prétend qu’elle est appelée à rendre caduque, absolument périmée, toute la littérature précédente. Il vaut Dubuffet disant que toute la peinture française avant Matisse et Picasso est à rejeter. Gide dit qu’il reste, devant les manifestes et programmes de tous ces inventeurs de nouvelles littératures (il n’y a pas que le lettrisme), à se demander s’il n’est pas devenu idiot, n’y comprenant, n’y entendant absolument rien. Je suis bien sûr qu’il s’est bien gardé d’exprimer cette opinion à cet Izout dans les visites qu’il nous a dit en avoir reçues. Ce ne serait plus Gide. Il a dû, au contraire, lui dire que ses théories sont intéressantes, qu’il y a là des perspectives nouvelles pour la littérature, quitte à en dire pis que pendre dans son Journal266.

[…]

Gide et Amrouche sont partis à 3 heures. Mme Gould et le jeune Américain m’ont fait parler sur Gide. J’ai mis en valeur les côtés très estimables qu’il a : désintéressement, aucun souci des honneurs, franchise sur ses mœurs, aucune recherche de la popularité, à côté de ses faiblesses de caractère, d’une sorte de duplicité, capable sur un même sujet de se livrer, en même temps que l’une et l’autre, à deux actions opposées (par exemple, comme il a fait à l’égard de Chardonne, pour ses tableaux d’occupation dans la zone de Cognac ; lettre de félicitations et d’approbation, et article d’éreintement dans Le Figaro)267, sensible aux compliments, aux éloges, avec lesquels on fait et obtient de lui tout ce qu’on veut, son espèce de religion du sacrifice : on viendrait lui dire qu’il y a besoin d’un nouveau Christ pour sauver le monde, il s’offrirait aussitôt. J’ai dit une fois de plus ma définition de lui comme écrivain (définition pour laquelle j’ai toujours rencontré l’approbation) : un homme qui ne fait jamais deux pas en avant sans en faire aussitôt trois en arrière.

Le quatorze novembre, André Gide reçoit le prix Nobel de littérature.

1948

12 Septembre 1948

Combat268 a entrepris auprès de ses lecteurs un référendum sur cette question : Quels sont les meilleurs écrivains français actuels ? Je découpe le passage des réponses :

LES DIX PREMIERS

« Ont obtenu :

« Gide, 423 voix ; Camus, 342 ; Sartre, 324(269) ; Malraux, 298 ; Montherlant, 290 ; Claudel, 256 ; Mauriac, 243 ; Romains, 191 ; Martin du Gard, 180 ; Colette, 172.

18 Novembre 1948

Déjeuner Malakoff. La voiture de Mme Gould est venue me chercher. Ensuite, pris Rouveyre rue de Seine. Tout de suite, grandes expressions de son chagrin de ne plus avoir mes visites, de ne plus recevoir de lettres de moi, m’appelant          270, cela sur un ton de voix, avec une expression du visage, de servilité.

À déjeuner, nouvelles de Gide par Denoël. Il y avait quelque temps qu’il ne l’avait vu, ayant des scrupules à le déranger chez lui. C’est Gide qui lui a dit qu’il vienne. Il l’a trouvé couché, une barbe de plusieurs jours : « Vous voyez, voilà pourquoi je ne tiens pas à me montrer. » Denoël dit qu’il a l’air d’avoir vraiment reçu un « coup de vieux ». Il se désole de ne plus pouvoir travailler, ayant perdu de sa facilité, de son activité d’esprit, commençant une chose, une autre, et laissant. Denoël dit qu’il lui est venu un grand sentiment de la famille, vraie nouveauté et un peu surprenante chez lui. Sa fille a déjà une fille. Elle attend un autre enfant. Gide s’intéresse beaucoup à cette perspective, en parle, fait des projets. Le fait est que Gide tournant au grand-père, c’est un tableau.

30 décembre 1948

Gide venu hier. Arrivé au palier du premier, a prié qu’on fasse descendre de la rédaction Mme Manceron271, ne pouvant monter un étage de plus. Cœur. Deux ans de plus que moi.

1949

        D’André Gide à André Rouveyre272

8 janvier 49

        Cher Rouveyre

Si je ne suis pas brouillé avec Léautaud, ça n’est vraiment pas votre faute : vous avez fait tout ce qu’il fallait pour cela273. Récidiviste ! Car c’est un motif de même ordre qui, jadis, avait mis entre nous de la distance. Un rapprochement in extremis… je me sens trop fatigué pour le souhaiter.

        Télépathiquement vôtre

André Gide

14 Janvier 1949

Ce matin, téléphone de Jean Denoël. Textuel : « J’ai vu Gide. Savez-vous ce qu’il m’a dit ? Qu’il tient absolument à vous voir avant de mourir. Alors, qu’il se propose de venir vous voir à Fontenay. » Je dis à Denoël que c’est bien plutôt à moi de me déranger. « Non, non. Il tient absolument à vous voir chez vous. — Eh ! bien, alors arrangez cela. — Bien. Alors, c’est entendu. On nous préviendra. »

Gide est-il si malade (le cœur) qu’il ait cet état d’esprit ? Et tenir à me voir, moi qui ai eu, somme toute, malgré si longtemps que nous nous connaissons, si peu de relations avec lui ? Je n’ai rien à lui dire, et lui pas davantage à moi. Souhaitons que cette idée de venir à Fontenay lui sorte de l’esprit.

20 Janvier 1949

Jean Denoël m’a annoncé comme prochaine la visite de Gide. Décidément, je n’y échapperai pas.

10 Mars 1949

Denoël me dit que Gide a eu une attaque, qu’il est très atteint par son état, qu’il reste huit jours sans se raser, qu’il l’a même prié de ne pas lui faire ses visites habituelles, qu’il préfère ne voir personne.

17 juin 1949

J’ai trouvé aujourd’hui, au Mercure, mon exemplaire (de luxe) du livre que Gide vient de publier : Feuillets d’automne274. Je l’ai lu ce soir. Il y réunit des articles, souvenirs, publiés çà et là, notamment les pages qu’il a données pour le numéro 1 000, dans lesquelles il m’a si bien traité275. Il est bien dommage que tous ses livres ne soient pas écrits de ce style simple, clair, aisé, naturel.

J’ai demandé à M. Hartmann comment il se fait que Gide a donné ce livre au Mercure. M. Hartmann m’a dit qu’il y a là l’accomplissement d’une promesse que Gide avait faite à Vallette, et qu’il a voulu la tenir avant de mourir.

L’édition des Feuillets d’automne au Mercure en édition luxe et édition courante »

26 Juin 1949

Je l’ai noté. Gide a quitté la clinique de Nice, où il était en perspective d’une opération. Il est allé se reposer à Saint-Paul-de-Vence. Se reposer ? Il y travaille, avec Marc et Yves Allégret et Jacques Prévert, à l’adaptation des Caves du Vatican pour le cinéma276. À ce propos, je ne me suis pas gêné pour le dire ces derniers temps, je suis choqué de voir Gide, un véritable écrivain, ayant écrit une œuvre qui compte, qui n’a aucun besoin de gagner de l’argent, — à moins qu’il trouve qu’il n’en a pas encore assez, — et, arrivé à l’âge qu’il a, s’intéresser à ce point à ce genre de spectacle bas et frauduleux qu’est le cinéma, jusqu’à y porter une de ses œuvres. C’est pour moi une vraie dégradation, égale à mes yeux à celle de ces écrivains qui vont dans des magasins de nouveautés ou des boutiques de libraires, vendre leurs livres, avec dédicace, à tous les premiers venus qui se présentent.

Le journal 1925-1956 de Georges Duhamel a pour titre Le Livre de l’amertume (Mercure, printemps 1984, 471 pages). Bien amer en effet, il note, au huit juillet 1949 (pages 306/307) :

Il faut du courage pour s’attaquer à Gide. J’observais d’ailleurs récemment que Gide, dans le livre qu’il vient de publier au Mercure : Feuillets d’automne, parle de Léautaud avec une prudence câline. Les serpents se regardent et sifflent avec douceur. Ces hommes très méchants et très perfides […], il faut être assuré de son passé, de son histoire pour les affronter.

        D’André Gide à André Rouveyre277

10 Juillet 49

        Cher Rouveyre,

Vous mettez au compte de mes « cabrioles » certain changement de ton que vous avez pu sentir dans mes plus récentes lettres et parlez même de « croc-en-jambes », escamotant par trop commodément votre perfidie à l’égard de Léautaud, on ne peut mieux faire pour amener une brouille entre lui et moi. J’avais fait effort pour oublier vos insinuations désobligeantes à l’égard d’amis plus anciens ; au point de vous écrire que, peu rancunier, je ne vous en gardais pas rigueur. Mais cette récidive m’a forcé de vous considérer comme quelqu’un de décidément peu « fiable ». Il m’est revenu que Léautaud s’en était indigné autant que moi ; mais je n’ai pu m’en expliquer directement avec lui, et je ne sais pas davantage ce que vous avez pu arguer pour votre défense. Quoi qu’il en soit, voici qui ne m’a pas favorablement disposé à vous prêter aide pour la publication que vous projetez.

De toute manière, n’étant pas à Paris, il ne m’est pas possible, présentement, de faire dactylographier les lettres de vous que j’ai soigneusement mises sous clef. Force est d’attendre mon retour rue Vaneau278.

Cordialement tout de même, puisque vous le souhaitez279.

André Gide

22 octobre 1949

Le déjeuner chez Florence Gould qui s’est tenu exceptionnellement un samedi. Le Chauffeur de Madame Gould est passé prendre Paul Léautaud chez lui, à Fontenay puis Jean Denoël, puis Marie Laurencin. Dans la Rolls, on papote ;

Gide s’oppose à la publication en volume de ses entretiens avec Amrouche sur son œuvre, qu’on donne en ce moment tous les lundis soir à je ne sais quelle Radio. « Il faudrait tout récrire », dit-il.

[…]

Un autre propos de Jean Denoël pendant que nous roulions vers l’avenue Malakoff. Gide ne cesse pas de déblatérer sur le compte de Gourmont : « Ce Gourmont qui… Ce Gourmont que… Qu’avait-il donc de si remarquable ? » J’ai renseigné en peu de mots Denoël sur le déplaisir de Gide devant la situation solide de Gourmont au Mercure, la valeur qu’on lui reconnaissait. Il aurait voulu être le premier au Mercure et il trouvait la place prise. Plutôt qu’être au numéro 2, il a préféré renoncer. J’ai assisté à tout cela. Il faut croire qu’il n’a pas encore digéré cette rivalité. Cela se montre quelque peu dans ses pages sur le Mercure dans son petit volume : Feuillets d’Automne.

Pendant le repas, on évoque André Gide :

On parle ensuite de Gide. J’en arrive à dire que ma grande estime pour lui a commencé quand il a vendu les livres avec envois les plus élogieux et les plus affectueux de camarades qui le renièrent à cause de ses mœurs, et ensuite avec la publication de son Corydon, dans lequel il convenait de ses mœurs, franchement, ne regardant pas à rompre aussi bien avec des intimes, à mettre une barrière entre lui et les « honneurs ». Je dis encore : « Aussi parce qu’il ne s’est pas donné, à la Libération, en « justicier », comme plusieurs autres, comme C., par exemple, à qui je ne me suis pas gêné de dire ce que je pense. » Denoël dit : « Il ne l’a pas oublié. Il me disait dernièrement : « Léautaud trouve que j’ai du sang sur les mains. »

Denoël raconte que Mauriac a exprimé un grand désir d’être photographié avec Gide. Gide, après avoir fait la grimace, a fini par consentir. Denoël m’a montré deux photos (deux poses). Dans chacune, Mauriac, de profil, paraît regarder Gide avec curiosité, et Gide, dans un coin, le visage bien vieilli, n’a pas l’air ravi280.

        À Marie Dormoy281

Mercredi matin 16 Novembre 1949.

[…]

Voilà que Gide se met à m’écrire. Ce matin une lettre de deux pages, visiblement après une relecture du Choix de Pages, les extraits de lettre reproduits par Rouveyre, d’autre part ce que lui, Gide, a écrit sur moi dans ses Feuillets d’automne.

Qu’est-ce qui lui prend ? Faut-il qu’il s’ennuie. Et moi, lui répondre. Quoi ? Une corvée. Et s’il me récrit ? Autre corvée.

Je vous l’ai dit, il a été, au déjeuner Gould, charmant comme je ne l’ai jamais vu. Rien que cette condition posée par lui que je sois présent.

        Je n’en reviens pas.

P. L.

22 Novembre 1949

Inauguration à la Bibliothèque Jacques Doucet de l’Exposition André Gide, à l’occasion de ses 80 ans accomplis aujourd’hui. Je me suis trouvé à l’entrée avec Rouveyre, dans son affublement habituel, augmenté d’un monocle. Un monde fou dans la salle de la Bibliothèque. On ne pouvait circuler. Mauriac, debout tout près de l’entrée, m’a accueilli avec grande cordialité, et ces mots, à voix haute : « Vous savez que l’Académie vous attend ! » Ce qui m’a fait une fois de plus éclater de rire. Si je n’avais eu un paquet (nourriture pour mes chats) à aller déposer dans la petite salle qui fait suite à la bibliothèque, je serais resté un moment à faire la conversation avec lui.

24 Novembre 1949

Dans Combat, la page littéraire tout entière sur André Gide282. Les réponses de quelques jeunes écrivains ne lui sont guère favorables, si ce n’est en se plaçant à l’époque de leurs débuts. Au dire de Maurice Nadeau, leurs « maîtres » (il paraît qu’ils en ont besoin) seraient, paraît-il, Malraux, Saint-Exupéry, Bernanos, Camus, Sartre. Il y a même un répondant, J.-L. Bory, qui « préfère plonger dans l’univers de Jouhandeau, à ses yeux incomparablement plus vivant que celui de Gide ». Jouhandeau mis au-dessus de Gide est tout de même excessif. Un autre, M. Duras, exprime ceci, qui est très juste : « Une influence trop marquée de Gide sur un jeune écrivain d’aujourd’hui risquerait plutôt de le couper du naturel. » Il est indiscutable qu’il y a dans la littérature de Gide beaucoup d’artificiel et de préciosité. J’aurais dû le noter dans le « papier » que j’ai donné. Ce qu’a donné Marie Dormoy sur l’organisation de l’Exposition Gide à la bibliothèque Doucet est parfait. Mon texte a été inséré sans suppressions.

1950

25 février 1950

Maurice Saillet m’envoie le passage me concernant du Journal de Gide283 qui vient de paraître. C’est écrit de façon si entortillée que je n’arrive pas à déceler ce qu’il veut dire. J’ai renoncé à lire.

1er mars 1950

[Jean Denoël] m’annonce que Gide a tiré une pièce en trois actes de ses Caves du Vatican, qui a été reçue et qui sera jouée à la Comédie-Française284. Il se met à rigoler, c’est vraiment le mot, en ajoutant : « Je me demande comment on représentera la scène du voyageur jeté par la portière. » Cette raillerie, de sa part, tant à l’égard de Gide que de cet épisode du roman, que lui aussi, je crois bien, trouve inepte, curieuse de sa part étant donné ses rapports, depuis des années, de véritable intimité, avec Gide.

Samedi 4 Mars

« Les vrais monnayeurs », origine inconnue, encadré supprimé pour gagner de la place

Ce matin, lettre de Jean Denoël. Il m’envoie cette caricature parue sur Gide et Claudel à propos de la publication de leur Correspondance285. Le plus drôle, c’est que tous deux sont ressemblants. Comme je le réponds à Denoël, elle mérite d’être conservée, et je la colle dans mon Journal. Moyen qui y aidera peut-être. Il me dit qu’il va de temps en temps voir le Reclus de la rue de Seine (Rouveyre), qui est furieux contre Gide qui ne veut rien entendre pour la publication de leur correspondance.

Curieux, une nouvelle fois, pour la raison que j’ai dite : sa grande intimité avec Gide, depuis des années (leur connaissance en Algérie, au début de l’occupation), de le voir trouver parfaite cette petite satire de lui, et s’en amuser jusqu’à m’en faire part.

        À Marie Dormoy

Le lundi 4 Décembre 1950.

Ce matin, lettre de Denoël.

Nous serons conviés, vous et moi, à la première des Caves du Vatican, le vendredi soir 15 décembre. Il ne dit pas quelle heure. Il faudra le savoir.

7 décembre 1950

Lumières sur Gide. Ce matin, téléphone de Robert Mallet, comme suite à la longue lettre que je lui ai écrite mardi soir, lui racontant ma visite à Rouveyre. Quelques mots échangés sur les « Présentations286 » si réussies. Je le lui dis comme je le pense, comme je m’y attends : « Tous les Entretiens ne vaudront pas ces trois « Présentations ». Ensuite, il me raconte : Gide lui a proposé une place pour Les Caves du Vatican. Mallet lui a expliqué qu’il est retenu le soir à la Radio pour le montage de nos Entretiens. Ensuite, il a regretté sa réponse. Il s’est mis à dire à Gide qu’il pourrait se faire remplacer, donc qu’il serait très heureux d’avoir cette place. Gide s’est ravisé : « Pas possible, mon cher. On ne veut pas me donner toutes les places que je veux. » (Au dire de Mallet : enchanté d’avoir une place de plus dont disposer.) Mallet, très décontenancé, même mortifié, que lui (ce sont ses propres mots), qui a tant travaillé pour Gide, ne soit pas présent à la première de sa pièce, que, de plus, les gens s’étonneront, connaissant ses relations avec Gide, de ne pas le voir, qu’ils s’en demanderont la raison, que certainement c’est à lui qu’on s’en prendra (usant là, pour son compte, des mêmes arguments dont il s’est servi auprès de Rouveyre à propos de ses refus pour sa « Présentation » « On ne comprendra pas que vous, qui connaissez Léautaud depuis si longtemps, vous ayez refusé, on se demandera pourquoi ?… ») et trouvant que tout cela n’est pas beau de sa part. Gide lui a dit qu’il n’a pas envoyé d’invitation à Mme Valéry de peur que le spectacle la choque. Mallet lui a répondu que Mme Valéry est d’esprit très libéral… « N’importe, a expliqué Gide, j’ai agi comme si j’étais sûr qu’elle serait choquée. » Comme je l’ai dit à Mallet : c’est Machiavel. Je lui raconte à mon tour qu’il y a bien six mois pendant lesquels Gide m’a fait écrire par Denoël qu’il tient absolument à ce que je vienne à la première, et Denoël lui disant que je lui ai dit que cela ne m’intéresse pas du tout, il a répondu : « Cela ne fait rien, je tiens à ce qu’il vienne. » Là-dessus, Mallet : « C’est extraordinaire après tout le mal qu’il dit de vous. »

Gide si démonstratif en accueil quand nous nous rencontrons, dans les propos que Denoël me rapporte dans ses lettres, dire du mal de moi, et à quel propos, et sur quel sujet. Décidément il est bien le « Retors » de Rouveyre. Deux minutes après, nouveau téléphone : « C’est Mme Mallet. » Lui a dû être embarrassé pour me dire ce qui suit. Elle commence : « J’ai quelque chose à vous demander… Vous entendez : j’ai quelque chose à vous demander… » Je lui dis : « Très bien, très bien. Dites. — Mon mari est très affecté, très attristé, très déçu de ne pas aller à la première de Gide. » Si je peux faire quelque chose. Je lui dis que je peux écrire à Gide, que cela ne me gêne pas du tout. Que je peux écrire à Denoël, qui a tout son franc-parler avec lui. Elle me dit : « Attendez. Je vais aller demander à mon mari. » C’est alors Mallet qui vient à l’appareil. Il trouve que cette démarche serait un peu humiliante pour lui, faire ainsi redemander… Je finis par lui dire : « Écoutez. Je dois recevoir deux invitations (je lui lis la lettre de Denoël), une pour moi, une pour Mlle Dormoy. Moi, je vous l’ai dit, la pièce ne m’intéresse pas. De plus, rentrer plus ou moins facilement à Fontenay, avoir mes deux feux à rallumer, corvée que j’ai déjà chaque matin. Je n’y tiens pas du tout. Si vous voulez, je vous donne ma place. » J’ai deviné, à ses paroles, qu’il devait prendre soudain un visage heureux. Le mot est même insuffisant, le vrai serait : satisfait. « Mais non ! c’est trop ! je ne veux pas vous priver. Vous êtes vraiment gentil ! Un pareil procédé ! » J’ai fini par lui dire carrément : « Mais non, pas du tout. Je vous dois bien cela, après tout le tintouin que vous vous êtes donné pour moi. Alors, c’est entendu. Vous aurez ma place. Je vais arranger cela dimanche avec Mlle Dormoy. »

Il ne manquerait plus maintenant que Gide, changeant d’idée, n’envoie pas les invitations. Je trouverais cela très drôle.

10 Décembre 1950

Tantôt, visite habituelle de Marie Dormoy. Je l’ai mise au courant de l’histoire Mallet-première des Caves du Vatican à la Comédie vendredi prochain, petite part de Mme Mallet comme soutien de son mari, etc., etc., en lui faisant lire tout ce que j’ai noté ci-dessus. Pas contente du tout. Ses raisons : 1o mauvais procédé à l’égard de Gide qui m’a tant fait dire par Denoël qu’il tient à ma présence à la première. 2o Très mécontente de l’abandon de ma place à Mallet, alors qu’elle se faisait un grand plaisir d’être avec moi à cette soirée, ne lui échappant pas que si Gide a donné deux invitations (une pour elle) c’est uniquement par considération pour moi. 3o Que j’aurais pu lui demander son avis avant d’abandonner ma place à Mallet, — ce qui est parfaitement juste. Je lui ai démontré que je ne peux pas me dégager à l’égard de Mallet. Cela, tout à fait impossible. Nombreux téléphones ce soir d’elle, s’ajoutant à la conversation de tantôt. J’ai fini par lui conseiller d’aller à la Comédie tâcher d’avoir une place pour moi, d’abord à un M. Gautier, archiviste du théâtre287, dont j’ai fait la connaissance cet été, élève de Monval288, qui a connu mon père, qui, à l’énoncé de mon nom, m’a reçu et entretenu si aimablement, et qui pourra peut-être faciliter la réussite de la demande de cette place. Elle ira demain après-midi. Je lui ai bien recommandé de ne rien gâcher de mes relations avec Mallet. Pour elle qui déclare qu’elle ne veut pas du tout aller à la soirée avec lui, si elle n’obtient pas cette place pour moi, elle est carrément décidée à informer Mallet que j’ai disposé, sans la consulter, d’une place qui était pour moi l’accompagner, et que cela ne lui plaît pas du tout. D’un autre côté, comme il se peut très bien que si elle obtient cette place, ce ne soit pas une place d’orchestre, et comme je lui dis que moi, je m’en fiche, elle s’est récrié : « Pas du tout. Pas du tout. Nous devons être ensemble. On donnera cette place à Mallet. »

Comme « avant-première », cela n’est pas mal.

1951

19 Février 1951

Une heure après-midi, téléphone de Jean Denoël qui sort de chez lui : Gide est mourant.

Ce matin dans Combat cette note :

Il y a 15 jours, Jean Denoël lui rendant visite avant son départ pour rejoindre Mme Gould à Juan-les-Pins, Gide se sentant atteint (je l’avais déjà trouvé très changé le soir des Caves du Vatican) lui avait dit : « J’ai bien peur que vous ne me revoyiez pas. »

Début juillet 1955, paraîtra chez Gallimard le livre de souvenirs de Robert Mallet Une mort ambiguë. Indispensable. Page 128, nous lisons :

Léautaud m’avait demandé de le prévenir dès que Gide serait décédé. Il voulait le voir sur son lit de mort. J’allais donc le chercher dans sa banlieue et le menai rue Vanneau. Pendant le trajet en auto il parla peu, évita les commentaires.

C’était le 20 février 1951. Dans le livre de Robert Mallet, ce récit se poursuit sur plusieurs pages.

20 Février 1951

Mallet 11 h. ½ vient me chercher ce matin. Pas pu voir, toilette funèbre pas terminée. Pas de cérémonie religieuse, obsèques civiles. Comme je m’étonne : au cours de nombreuses conversations que j’ai eues avec lui. Il était profondément religieux mais en dehors de tout dogme. Recommandé de bien noter tout cela.

Mallet vient me prendre à Fontenay à 2 h. ¼. Rue Vaneau. Le trottoir plein de photographes. Dans l’entrée, feuillets de papier pour s’inscrire. L’ascenseur bloqué. Nous montons les 6 ou 7 étages. Je trouve dès l’entrée Denoël, Amrouche. Dans une sorte de petit salon, des gens font queue pour pénétrer dans la chambre où Gide est étendu sur son lit. Amrouche et Denoël me font entrer directement par une petite porte au fond du couloir. Je passe dans la ruelle du lit voir Gide de tout près, étendu, le visage très pâle, très reposé, phénomène habituel dans la mort, les mains croisées sur sa poitrine. Je suis peu resté, les larmes me prenaient. Un peintre, de l’autre côté du lit, sur un grand carton ou toile, dessinait. Ce matin on a pris un moulage de son visage. Ensuite : Roger Martin du Gard à ma sortie. De nouveau, photographes. Il est bien probable que je vais aller à Cuverville avec Mallet. Il doit me téléphoner quand il saura quand l’enterrement.

25 février 1951

À la vérité, Robert Mallet, si choqué, avec raison, de ce qui s’est passé à Cuverville aux obsèques de Gide : anciens combattants avec leur drapeau, présence d’un pasteur, discours du neveu de Gide, a manqué tout le premier au respect des désirs exprimés par Gide. Il a amené avec lui sa femme, sa sœur et son mari, alors qu’il avait seul qualité pour être présent. Je regrette de m’être laissé amener avec eux, ayant derrière moi, assis dans la voiture du mari de la sœur de Mallet, Mallet et la secrétaire de Gide289, fille de Christian Beck, qui n’a pas arrêté de parler pendant les quatre ou cinq heures qu’a duré le voyage, n’ayant guère hérité d’une qualité de son père, dont toute la conversation se bornait à quelques : « Ah ! Ah !… » de temps en temps. J’aurais dû prendre un taxi, aller à Cuverville seul, et en revenir seul, cela m’aurait coûté ce qu’il aurait fallu, au lieu de ce transport en bande, aux façons presque d’un voyage d’agrément. J’ai bien l’intention de dire tout cela à Robert Mallet290.

26 février 1951

Robert Mallet m’a téléphoné tantôt. Parlé de la cérémonie Gide à Cuverville291. Je lui ai développé, avec amitié, mais sans ménagements, tout ce que j’ai noté plus haut à ce sujet, à savoir que lui, tout le premier, a manqué aux désirs exprimés par Gide, en amenant avec lui sa femme, sa sœur et le mari de celle-ci, qui n’avaient rien à faire dans cette cérémonie, lui seul ayant qualité pour y être présent, que pour ma part je regrette de n’être pas allé à Cuverville seul, par mes propres moyens, cela eût-il dû me coûter une certaine dépense. Il a voulu m’expliquer qu’usant de la voiture de son beau-frère il a été bien obligé de l’emmener, et les deux femmes. J’ai maintenu, et il a fini par s’y rendre : il a manqué de fidélité aux désirs exprimés par le mort. À la fin il s’est rendu et je l’ai senti déchiré de chagrin et de remords, et touché de ma façon de lui parler franchement sur tout cela. Je lui ai dit comme un bon conseil : « Ne dites pas un mot de notre entretien chez vous. Croyez-moi, pas un mot. Tout ce petit débat entre nous deux seuls, absolument. » Un quart d’heure après, nouveau téléphone. Proposition de nous rendre tous les deux, le beau temps venu, à frais communs à Cuverville, sur la tombe de Gide, pour y marquer le sentiment, le souvenir, que tout l’odieux de ce qui s’est passé jeudi a empêché.


Notes

La numérotation des notes poursuit celle de la page précédente et commence donc au numéro 227.

227   Ils sont morts tous les deux un 28, à 914 jours de différence, nous dit Excel. Louis Dumur en mars 1933 et Alfred Vallette en septembre 1935.

228   Le quinze octobre 2022 sera publiée ici une page concernant les rapports de Paul Léautaud avec La NRF.

229   Rachilde — tous les léautaldiens le savent — recevait tous les mardis.

230   Alfred Jarry (1873-1907) est le célèbre auteur d’Ubu roi, drame en cinq actes publié au Mercure de France en 1896.

231   Voilà tout Gide : on caresse puis l’on poignarde.

232   Dans la mythologie allemande (André Gide était germanophone) le Kobold est une sorte de lutin.

233   Alfred Jarry, Les Minutes de Sable Mémorial, Mercure de France 1894. Les capitales sont dans le titre.

Faux titre de l’édition originale du Mercure de France.

234   André Gide, Le Voyage d’Urien, suivi de Paludes, Mercure de France 1897, 290 pages. Le Voyage d’Urien et Paludes avaient déjà été publiés séparément en 1893 et 1895 par la librairie de l’Art indépendant. Le Voyage d’Urien comportait des illustrations de Maurice Denis. Pour Paludes, lire l’article de Camille Mauclair dans le Mercure de juillet 1895, pages 102-103.

235   André Gide, Les Nourritures terrestres, Mercure 1897, 220 pages.

236   On peut remarquer que Louis Dumur n’est pas cité, ce qui peut se comprendre lorsque l’on connaît les deux hommes.

237   Bien sûr, en octobre 1946, date d’écriture de ce texte, André Gide a pu lire des extraits du Journal littéraire dans lesquels Paul Léautaud fait part de son goût pour les portraits de Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788).

238   Jean-Baptiste Perronneau (rr, sans é, parfois un seul n) (1715-1783), un La Tour si l’on veut, dans sa délicieuse Fillette au chat de 1745.

239   Paul Léautaud et André Gide se sont rencontrés au moins le seize juin 1945.

240   Il s’agit de biscuits pour chiens que PL était allé chercher la veille dans la clinique vétérinaire de la rue des Moulins. Quelques pages du Figaro littéraire ont dû servir d’emballage, puisque c’est dans ce journal qu’ont paru ces interviews imaginaires entre la fin de 1941 et le début de 1942.

241   Le déjeuner chez Benjamin Crémieux du 9 mai 1940, souvent évoque dans le JL.

242   L’Introduction au Choix de pages.

243   Un centon était un « Étoffe ou vêtement fait de plusieurs morceaux de couleurs différentes. » Par analogie il s’agit aussi d’une « Pièce de vers ou de prose composée de passages empruntés à un ou à plusieurs auteurs. » (TLFi).

244   Pléiade 1997, volume II, page 1029.

245   Dominique est l’unique roman du peintre Eugène Fromentin, d’abord paru dans la Revue des deux mondes au printemps 1862 avant d’être publié chez Hachette l’année suivante (372 pages). Dédicacé à George Sand, ce roman a été l’un des ouvrages autobiographiques les plus importants de son demi-siècle. Une édition originale reliée d’époque, agrémentée d’un envoi de l’auteur était proposée à 15 000 €uros en 2020.
Marianne est un court roman de George Sand écrit à Nohant en mai 1875 et publié dans la Revue des deux mondes avant de paraître en volume chez Michel Lévy en 1876, précédé de La Tour de Percemont.

246   Voir supra « Le groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France ». Rien ne démontre que Paul Léautaud ait pu lire ces pages avant publication, dans le numéro de reprise du Mercure, qui n’est paru que fin décembre 1946, peut-être le 24.

247   Numquid et tu, éditions de la Pléiade 1926 (Schiffrin), 88 pages. L’édition originale, rarissime, est parue en 1922 à Bruges en édition hors-commerce tirée à soixante-dix exemplaires (71 pages). Ce texte est dédié à Charles Du Bos. On le trouve dans le Journal entre les années 1916 et 1917 (Pléiade op. cit. pages 986-1010). Ce titre provient de Jean, VII, 47-52 : Numquid et vos seducti estis ? Vous aussi, vous êtes-vous laissé séduire ?

248   Jean Denoël (1902-1976), éditeur et rédacteur à Fontaine, « revue mensuelle de la poésie et des lettres françaises ». Paul Léautaud connait bien Jean Denoël, qu’il rencontre souvent aux déjeuners de Florence Gould.

249   André Rouveyre, Le Reclus et le Retors, Gourmont et Gide, Crès 1927, orné d’un frontispice et de seize lithographies hors-texte.

250   Leur correspondance reprendra en 1949-1950, jusqu’à la mort d’André Gide,

251   La revue Fontaine a été fondée à Alger en novembre 1938 par Charles Autrand. Max-Pol Fouchet en a assuré la direction dès le troisième numéro (avril-mai). Jean Denoël apparait au comité de rédaction. Cette revue, dont la couverture ressemble à celle de La NRF a cessé de paraître avec le numéro de novembre 1947.

252   Max-Pol Fouchet (1913-1980), directeur de Fontaine, est né à Alger où il a passé sa jeunesse. Dès le début des années 1950, Max-Pol Fouchet va s’intéresser à la télévision où il sera le créateur de Lecture pour tous, première des émissions littéraires.

253   L’Arche est une revue bimestrielle (150 pages en moyenne), fondée à Alger en février 1944 par André Gide, Jean Amrouche et Jacques Lassaigne. À la Libération la revue sera publiée à Paris sur 27 numéros (y compris ceux d’Alger) jusqu’en août-septembre 1948.

254   Une page sur les déjeuners chez Florence Gould est prévue ici le premier février 2023.

255   Louise Blaizot est la fille de Jean Blaizot, le caissier. « Louisette » a été employée au Mercure du 2 janvier 1919 à juillet 1958 avec l’arrivée de Simone Gallimard. Louisette Blaizot est citée 108 fois dans le JL. Il ne semble pas qu’elle se soit mariée. Lire l’article d’Édith Silve dans les Cahiers Paul Léautaud numéro 33 (page 28) accompagné d’une très intéressante lettre de Louise Blaizot datée du 11 décembre 1961 et résumant sa carrière.

256   Paul Hartmann (1907-1988), a fondé, à l’âge de 19 ans La Nuée bleue. Cette maison d’édition a publié en mai 1926, Le Tourment de Jacques Rivière de François Mauriac (34 pages). En 1931, Paul Hartmann a épousé Madeleine Charléty, la fille du recteur à qui PL a écrit en 1934 dans le but de confier son Journal à la bibliothèque Doucet. À Paris, La Nuée bleue devient la maison « Paul Hartmann » et publie Paul Valéry, André Maurois, puis Colette. Au début de la guerre, Paul Hartmann rejoint la Résistance à Chambéry grâce à des faux papiers que lui a procurés son ami Georges Duhamel. Il se spécialise dans le renseignement, aidé par Madeleine, qui se spécialise dans la confection de faux papiers. À la Libération, Georges Duhamel revenu naturellement dans les murs — ne serait-ce qu’en tant qu’actionnaire — après un intérim exercé par Marcel Roland en confie la direction à Paul Hartmann, qui y restera jusqu’à ce que Gallimard reprenne la maison en 1958. Paul Hartmann sera ensuite directeur de fabrication chez Flammarion avant de créer puis diriger le service des éditions de l’École pratique des hautes études jusqu’en 1970, tout en continuant au moins jusqu’en 1967, de diriger sa propre maison d’édition. Source : Agnès Callu, Paul Hartmann : histoire intellectuelle d’un itinéraire éditorial, IMEC.

257   Jean-Jacques Pauvert (1926-2014), a fait son succès en publiant des œuvres interdites mais oubliées à l’époque, comme Sade, ce qui lui a parfois valu des procès qui mettaient surtout en évidence la désuétude de ces interdictions.

258   Jean Denoël a été un peu secrétaire d’André Gide, avant d’être remplacé par Yvonne Davet (1907-2007), du printemps 1946 à septembre 1950. Yvonne Davet a été remplacée à son tour par Béatrix Beck (note 289).

259   Lettre provenant de la Correspondance d’André Gide.

260   « Le groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France » qui paraîtra dans le numéro de reprise de décembre, dont nous connaissons maintenant la date de parution.

261   Natalie Clifford Barney (Barney est le nom de famille, Clifford le second prénom, 1876-1972), née à Dayton (Ohio) est venue à Paris à l’âge de dix ans. En 1909, NCB s’installe au 20, rue Jacob dans un pavillon entouré d’un jardin au fond duquel se trouve un petit temple à colonnes doriques qu’elle baptise Temple de l’Amitié et qui sera, pendant près de soixante ans, le cadre de ses célèbres vendredis. NCB a été l’« Amazone » de Remy de Gourmont. Voir, dans La NRF de mai 2016 Simon Liberati : « D’un temple à l’autre, À propos de Natalie Barney et du Journal littéraire de Léautaud. » Pages 24-35.

262   Pour cette soutenance de thèse à laquelle a assisté PL, voir le Journal littéraire au seize mars 1940.

263   À cette époque, Florence Gould ne sera jamais nommée autrement que Mme G…, graphie corrigée ici.

264   Jean Amrouche (Jean el Mouhouv Amrouche 1906-1962) a intégré l’école normale d’instituteurs de Tunis puis l’école normale supérieure de Saint-Cloud en 1925 avant d’être nommé professeur de lettres en Algérie puis en Tunisie. C’est à Tunis que Jean Amrouche réalise ses premières émissions littéraires à la radio. À Tunis il rencontre André Gide et prend en charge la revue L’Arche avant de rejoindre Paris à la Libération où il travaille pour la radio. Dans cette seconde partie des années 1940, Jean Amrouche est le fondateur de ce qui est en train de devenir une tendance forte : les entretiens à la radio, dont Paul Léautaud bénéficiera grandement en 1951, avec Robert Mallet. C’est ainsi que Jean Amrouche réalisera des témoignages toujours précieux aujourd’hui, plus d’une trentaine d’entretiens avec André Gide, une quarantaine avec Paul Claudel et quarante autres avec François Mauriac. Son Journal (1928-1961) a été édité par Tassadit Yacine Titouh chez Non Lieu en 2009 (415 pages).

265   Isidore Isou (Isidor Goldstein, 1925-2007), né en Roumanie, est arrivé à Paris à l’été 1945. En mai est paru à la NRF son Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique (416 pages). En décembre 1947 ce sera L’Agrégation d’un nom et d’un messie (452 pages).

266   Si l’on se réfère à l’index du Journal d’André Gide publié par Martine Sagaert dans La Pléiade en 1997, Isidore Isou n’y est pas cité, ni aucun repas chez Florence Gould pour cette année 1947 au demeurant fort maigre.

267   Voir le JL au 26 mai 1941. Encore faut-il relativiser : « L’Été à la Maurie », l’article de Jacques Chardonne est paru dans La NRF de décembre 1940. L’article d’André Gide « Chardonne 40 » est paru cinq mois plus tard dans Le Figaro du douze avril 1941.

268   Combat, « organe du Mouvement de libération française » est un quotidien paru d’abord clandestinement en décembre 1941, sur une centaine de numéros jusqu’en 1944. Pour de nombreux lecteurs après la Libération, ce sera surtout « le journal d’Albert Camus ». Le journal perdra peu à peu ses lecteurs mais restera jusqu’à ses derniers jours (1974) un quotidien de référence.

269   En fait 325 selon Combat.

270   Dans le texte de l’édition papier : « [illisible] ».

271   Yvonne Manceron, secrétaire de Paul Hartmann. « une dame, d’une quarantaine d’années, veuve, mère de famille » (Journal littéraire au 17 novembre 1944).

272   Source : André Gide — André Rouveyre, Correspondance 1909-1951, édition présentée et annotée par Claude Martin, Mercure de France 1967. Dans une lettre du surlendemain dix janvier, toujours à André Rouveyre, dans un post-scriptum, André Gide écrit : « Quel vilain plaisir avez-vous pu prendre à tâcher de me brouiller avec le cher Léautaud ? » Cela évidemment à propos du Choix de pages.

273   Voir aussi le post-scriptum de la lettre du dix janvier : « Quel vilain plaisir avez-vous pu prendre à tâcher de me brouiller avec le cher Léautaud ? » À cela, André Rouveyre répondra à André Gide dans une lettre du 24 janvier : « Votre vieil ami que vous jugez parfois bien indigne de vos bénédictions ! mais (je ne vous réponds pas à propos de Léautaud dans cette lettre déjà trop longue) de qui vous n’avez jamais eu besoin pour vous brouiller avec vos plus chers et plus anciens amis : Jammes, Ghéon, Claudel ! Il ne fait pas bon se mettre à croire en Dieu avec vous, mon cher ! … Soyez tranquille avec moi sur ce point ! » Voir aussi la lettre du deux février 1949.

274   André Gide, Feuillets d’automne, Mercure de France 1949, 283 pages. Ces Feuillets d’automne ne devront pas être confondus avec le texte placé à la suite de l’année 1947 du Journal, qui ne représente que six pages de Pléiade.

275   Ce texte comprend « Le Groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France » plus une allusion mineure à PL : « Une autre spécialité (si je puis dire) de la Nouvelle revue française […] était de ne juger les écrits qu’elle publiait que d’après leur qualité et nullement d’après leur tendance […]. Cela n’a l’air de rien, mais c’était énorme, et je crois que notre revue fut la seule à ne se montrer point, dans un sens ou dans l’autre, tendancieuse. C’est ce qui causait l’indignation périodique de Claudel, qui protestait furieusement lorsqu’il voyait à côté d’un texte de lui, celui-ci fût-il en tête de numéro, un texte qui lui paraissait attentatoire, de Proust, de Suarès, de Valéry ou de Léautaud. »

276   Le film ne se fera pas, peut-être à cause d’une mésentente entre André Gide et ses scénaristes. Aucun film n’a encore été tourné d’après ce roman, malgré plusieurs autres projets (note 284). L’entrée de l’œuvre d’André Gide dans le domaine public le permettra peut-être.

277   Source : André Gide — André Rouveyre, Correspondance 1909-1951, édition présentée et annotée par Claude Martin, Mercure de France 1967.

278   André Gide se trouve en ce moment à Juan-les-Pins.

279   Le treize juillet, André Rouveyre répondra à André Gide par une lettre mensongère, non reproduite ici mais disponible dans le livre de Claude Martin.

280   Une troisième photographie, où François Mauriac est de face, souriant à la droite d’un André Gide qui s’ennuie, a servi d’illustration pour la couverture du petit ouvrage de Caroline Casseville et Martine Sagaert Gide chez Mauriac paru chez Confluences en janvier 2012 (140 pages).

281   Lettre extraite de la Correspondance générale.

282   Toute la page quatre. Les deux colonnes de gauche sont de Marie Dormoy à propos de l’exposition. Puis l’article de Maurice Nadeau, assez court. Puis les opinions de C. Audry, Jean-Louis Bory, R.-J. Clot, Jean-Louis Curtis, M. Duras (Marguerite Duras ? qui vient peut-être de publier Un barrage contre le Pacifique, daté 1950), Luc Estang, René Fallet, M. Lebesque, Maria Le Hardouin, Robert Merle et, page six, Henri Queffelec, Claude Roy et Gilbert Sigaux. L’avis de Paul Léautaud constitue, encadrée, la moitié de la dernière colonne de la page quatre, où il redit tout ce que nous avons lu ici.

283   Il s’agit de l’édition en Blanche Gallimard des années 1942-1949 du Journal (334 pages). Il s’agit vraisemblablement de la page du 25 novembre 1946 : « J’ai toujours eu pour Léautaud une affection presque très vive,… » où il revient sur cette affaire des lettres du Choix de Pages.

284   Le roman Les Caves du Vatican a connu autant d’adaptations que d’échecs. On peut retenir l’adaptation d’Yvonne Lartigaux d’octobre 1933 par Firmin Gémier au studio des Champs-Élysées. Une autre adaptation représentée à la Comédie-Française, évoquée ici par Jean Denoël, aura lieu le treize décembre (le quinze selon PL, ci-après) dans une mise en scène de Jean Meyer en présence de Vincent Auriol, président de la République. Cette pièce sera l’objet de la dernière note du Journal d’André Gide, qui se termine le 21 novembre 1950 : « Répétition tout le jour. Je ne tiendrai pas le coup jusqu’à la première ; mais où me réfugier ? »

285   Paul Claudel, André Gide, Correspondance (1899-1926), préface et notes de Robert Mallet, Gallimard, trente décembre 1949, 400 pages, toujours au catalogue Gallimard.

286   Le premier entretien entre Paul Léautaud et Robert Mallet sera diffusé jeudi sept décembre à 21:40. Avant cela a été diffusée le lundi quatre décembre une présentation de ces entretiens et de Paul Léautaud que le grand public ne connaît pas encore. Cette présentation a été faite par Robert Mallet, André Billy, Marie Dormoy et André Rouveyre. Le texte de cette émission n’a jamais été édité. On peut consulter le texte relevé dans la page « Entretien zéro ».

287   Selon l’Index d’Étienne Buthaud, il s’agit d’un Jean-Jacques Gautier.

288   Monval (Georges Hippolyte Mondain, 1845-1910), avocat, comédien, archiviste et auteur de plusieurs ouvrages sur Molière a eu un fils, Jean Monval (Jean-Baptiste Mondain, 1882-1942), neveu par alliance de François Coppée. Jean Monval est archiviste-paléographe, docteur ès lettres, bibliothécaire-adjoint à la Comédie-Française. Les dates laissent penser qu’il s’agit du second.

289   Vers septembre 1950, Béatrix Beck a remplacé Yvonne Davet auprès d’André Gide. Béatrix Beck (1914-2008) est la fille de Christian Beck. Christian Beck est Belge, Béatrix est née en suisse d’une mère irlandaise. Béatrix sera naturalisée française en 1955, après qu’elle ait obtenu le prix Goncourt pour Léon Morin, prêtre (Gallimard, mars 1952, 240 pages).

290   Écouter à ce propos les Entretiens (émissions 22 et 23).

291   Les obsèques d’André Gide à Cuverville ont eu lieu le jeudi 22 à quinze heures (Le Figaro du 22, page cinq, dernière colonne). On lira avec le plus grand intérêt les pages de Robert Mallet (Une mort ambiguë, op. cit.) page 140 et suivantes. Avec le même intérêt on lira aussi le récit du retour à Cuverville de Robert Mallet et Paul Léautaud seuls à partir de la page 156 (édition de 1955) : « Quatre mois plus tard, à la fin de juin, nous allâmes donc ensemble à Cuverville. »