Adrienne Monnier

Un article du Monde du douze novembre 2020 joliment intitulé « Paris honore Adrienne Monnier, “sainte patronne des libraires1” » a provoqué l’envie de rédiger cette petite page. Le minuscule bouleversement du calendrier de ce site repousse au premier janvier 2021 le Portrait de mon père de septembre 1937. Premier janvier, la date convient. Priorité au direct, comme on dit sur BFM. Pour le reste, il n’y aura aucun changement.

Donc Paris va se fendre de 1 500 €uros pour faire plaisir aux libraires, c’est le coup de com le moins cher du siècle2. En même temps, en tant que Parisien on est content mais si vous souhaitez une informations officielle de la ville de Paris sur son site web, laissez tomber, il n’y a rien.

Paul Léautaud a souvent évoqué Adrienne Monnier dans son Journal littéraire. Bien sûr la boutique du sept rue de l’Odéon était à quelques pas du 26, rue de Condé où se trouvaient — et se trouvent encore — les bureaux du Mercure de France. Ce sera la première partie de cette page web.

Sur la fin de sa vie, Paul Léautaud sympathisera avec Maurice Saillet (note 18) le jeune assistant d’Adrienne Monnier, de plus de quarante ans le cadet de PL. Ce sera notre deuxième partie.

Une troisième partie, enfin, traitera d’Adrienne Monnier auteur de La NRF.

La première fois que le nom d’Adrienne Monnier est cité par Paul Léautaud est le 22 juin 1916, dans la journée peut-être la plus courte de tout son Journal littéraire2b.

Apollinaire et Mme Monnier.

Voilà, c’est tout. De quoi peut-il être question, nous ne le saurons peut-être jamais. Dans le Mercure de France de février 1948, en ouverture de la revue, Adrienne Monnier écrit, à propos de sa première rencontre avec Léon-Paul Fargue3 : « C’était en février 1916. Je n’étais libraire que depuis trois mois4. » L’affaire est donc récente.

Malheureusement, dans ses très intéressants Souvenirs sur Apollinaire, Louise Faure-Favier5 ne cite pas une seule fois Adrienne Monnier.

Un an plus tard, le sept août 1917, dans une journée heureusement plus longue :

Je passais ce soir devant la boutique de Mlle Monnier, rue de l’Odéon. Elle est sortie, pour me prier d’entrer, au sujet des croûtes6 qu’elle a eu la gentillesse de me mettre de côté. J’ai eu le plaisir de revoir les jolis meubles Louis XVI qu’elle a su dénicher, et dans sa chambre, un assez gracieux pastel que je lui envie depuis la première fois qu’elle me l’a montré : une jeune femme, les seins et le ventre nus. Je lui ai dit : « Vous devriez me le vendre. Ce n’est pas pour la chambre d’une femme. C’est du vice de votre part d’avoir cela à côté de votre lit. C’est bien plus pour la chambre d’un homme7. »

Elle m’a dit aussi que ma Chronique des Poèmes8 a eu un vif succès auprès de tous les gens qui fréquentent chez elle. Tous m’ont reconnu9, et ont été enchantés d’une telle critique littéraire reprise dans le Mercure. Que le succès s’acquiert à peu de prix ! Surtout parce que personne ne disant rien en écrivant, dès qu’on dit quelque chose tout le monde le remarque.

Plus tard, le huit juin 1926, à propos de Paul Valéry :

Télin10 disait aussi : « Il paraît qu’il [Valéry] dit maintenant pis que pendre des libraires11. Tous des coquins. À qui doit-il sa réputation ? Elle a commencé dans l’arrière-boutique de Mlle Monnier, quand elle organisait des séances dans lesquelles on lisait de ses vers. Le lecteur était même Gide. Tout est parti de là ! » C’est vrai. C’est là qu’a commencé la réputation de Valéry. C’est sur une de ces séances que Daniel Halévy12 a écrit dans la Revue Universelle le premier article sur Valéry poète à la mode. Valéry doit tout à une libraire.

L’année suivante, Paul Léautaud retourne dans la librairie. L’extrait de cette journée du 17 mai 1927 est merveilleux et nous montre un Léautaud à l’état pur :

Je me suis laissé aller, samedi dernier, ne sachant quoi faire de mon après-midi, à aller chez Mlle Monnier, la libraire de la rue de l’Odéon, à une exposition de broderies pour laquelle elle m’avait envoyé une invitation. Qu’est-ce que j’ai été faire là ? Je le regrettai dès mon entrée. Première gaffe : j’avais mal lu le catalogue, distrait comme je suis toujours depuis quelque temps et je parle à Mlle Monnier de ses broderies, alors qu’elles sont de sa sœur, Marie Monnier13. Ensuite, visite aux dites broderies. Peut-être jolies comme couleurs, mais les choses les plus inventées, les plus ultra-cérébrales qu’on puisse imaginer. Du Valéry en broderie, et du Valéry poète, ce qui n’est pas peu dire. Catalogue préfacé par Léon-Paul Fargue. Une de ces broderies s’appelle : La fleur de Nézondet et représente en effet une sorte de fleur. Une pécore présente se met à demander : « La fleur de Nézondet ? Qu’est-ce que c’est que cette fleur ? — C’est une fleur que j’ai inventée », répond Fargue. Pauvre Fargue ! À près de cinquante ans, il en est encore à ces précieuses niaiseries. Il y a de ces gens à qui la vie n’apprend rien et qu’elle ne transforme en rien. J’avais l’intention de lui parler de quelque chose de moi pour sa revue Commerce, comme suite à la demande qu’il m’en a faite il y a quelque temps14. Je me suis senti si philistin devant toutes ces complications que je me suis tu.

Dans l’ordre chronologique le texte suivant ne provient pas du Journal littéraire mais de la nouvelle notice concernant Paul Valéry dans la troisième et dernière édition des Poètes d’aujourd’hui, parue au début de février 1930 :

Peu après [la parution de La Jeune parque15], Mademoiselle Adrienne Monnier, qui venait d’ouvrir rue de l’Odéon une librairie : Aux Amis des Livres, organisait, devant un public choisi, des lectures de ses vers [des vers de Paul Valéry], lectures faites, pour partie, par M. André Gide lui-même. Il faut lire, dans la Revue Universelle, numéro du 1er mai 1920, l’article écrit par M. Daniel Halévy sur ces lectures, sur cette révélation littéraire. C’est vraiment le point initial de la réputation du poète, au même titre que cette petite librairie de la rue de l’Odéon, vrai berceau du valérysme, comme on dit aujourd’hui. La célébrité, les éditions hors de prix, l’Académie, les raffinements de critique sur l’œuvre de l’écrivain, la Poésie pure et toutes les discussions qu’elle a provoquées, les admirations jusqu’au snobisme et les critiques jusqu’au dénigrement, tout est parti de cette charmante et simple boutique : Aux Amis des Livres. M. Paul Valéry, qui n’aime guère les libraires pour le commerce, un peu vif, il est vrai, qu’ils ont fait quelquefois des moindres écrits de lui, imprimés ou manuscrits, littéraires ou privés, a un peu tort dans son ressentiment : il doit tout à une libraire.

Le temps passe. Quelques bribes de phrases ici ou là, sur Adrienne Monnier, qui ne valent pas d’être notées hors-contexte, et nous voilà au trois janvier 1946. Une guerre est passée sur tout le monde et ce n’est pas parce qu’elle est terminée qu’on en sent plus les effets. Début 1946, les Français ont toujours faim et les mères mal nourries n’auront plus de lait pour leur bébé pendant deux ou trois années encore. Paul Léautaud a échangé avec le libraire Richard Anacréon16 des livres contre du tabac et du café, plus importants pour lui que la nourriture.

Voici cette journée du trois janvier 1946 :

Je suis allé tantôt à Paris, pensant trouver du café chez le libraire Dasté17, rue de Tournon, qui m’en a déjà fourni à plusieurs reprises. Je suis allé ensuite chez le libraire Babouot18, pour lui demander de m’acheter de ces petits cigares qu’il m’a offerts un jour, et que je hache pour me faire du tabac19. Absent. Je suis allé ensuite chez Anacréon, qui n’a pas de café, mais m’a fait cadeau d’un paquet de bougies20. J’ai trouvé chez lui un courtier en éditions de luxe ou originales, ami de Dasté et de Babouot, qui m’a parlé, il y a déjà pas mal de temps, des colis qu’Adrienne Monnier reçoit d’Argentine21 et dont elle distribue le contenu : café, chocolat, aux écrivains de ses amis. Il m’a offert d’aller avec lui à sa librairie voir si elle avait quelque chose. J’ai refait ainsi connaissance avec Adrienne Monnier, que je n’avais pas vue depuis notre rencontre, avenue de l’Opéra, le jour ou le lendemain de l’entrée des Allemands à Paris22. J’ai d’abord trouvé dans la librairie un employé, son secrétaire, nommé Sillais23, je crois que c’est bien son nom, qui m’a fait l’accueil le plus chaleureux, se déclarant très heureux de me connaître, bien que me connaissant déjà pour me voir passer devant la librairie, et enchanté que j’y entre enfin. Ensuite, Adrienne Monnier, même accueil et même plaisir à me voir chez elle. Je suis resté là à peu près une heure à faire la conversation24, fort amusant et piquant dans mes propos, comme toujours. La librairie Monnier fait paraître un hebdomadaire : Terre des hommes, fichu titre25. Ce M. Sillais m’a demandé, avec une très jolie timidité, de donner quelque chose, et comme je demandais quoi, il a murmuré, presque sur un ton de confidence : « Journal. » Il m’a dit que Gide, qui collabore, lui a dit : « Tâchez d’avoir Léautaud. » J’ai accepté. J’ai dit oui. J’ai promis. Encore une promesse que je tiendrai Dieu sait quand.

Terre des hommes est un hebdomadaire, comme aspect, du genre des Nouvelles littéraires26. Déjà 14 numéros, je crois, ont paru. Vente modeste. Il faudrait faire de la publicité et la publicité se paie par plusieurs billets de mille francs.

Cette conversation ayant pris toute ma visite, j’ai dit à mon introducteur de remettre à un autre jour de parler de moi à Adrienne Monnier au sujet de ses colis de l’Argentine.

Quand je suis parti, elle partait de son côté, allant voir Fargue, qui continue à vivre toujours au lit, ne pouvant circuler, mais la tête en bon état et pouvant travailler27.

La vente de Gide, m’a dit ce M. Sillais, est excellente. Un réassortiment, par douze ou quinze exemplaires, de ses livres ; trois jours après, tout est vendu.

Le millième numéro du Mercure de France est un numéro double (999-1 000) et a une date de publication curieuse : Premier juillet 1940-premier décembre 1946. En effet, le dernier numéro de la guerre est paru en juin 1940 et le hasard a fait que c’était le numéro 998. Ce numéro 999-1 000 (toujours indiqué « numéro 1 000 »), de 280 pages (plus deux pages de publicité !) comporte évidemment les signatures prestigieuses de plusieurs académiciens.

Journal de Paul Léautaud au 30 décembre 1946 (il pleut) :

Il paraît que le numéro 1 000 est un vrai succès. Mlle Monnier, qui en avait demandé 20 exemplaires pour sa librairie, en a redemandé 20 autres. C’est merveilleux, pour une librairie, qui, — à en juger par les livres qu’elle vend et les clients qu’elle a, j’en ai pu juger par les petites visites que j’y ai faites ces derniers mois, — est un peu, comme je l’ai dit une fois au jeune Saillet, une sorte de librairie de l’Hôtel de Rambouillet28.

MM. Paul Hartmann29 et de Sacy30 (31) m’ont confirmé ce que m’a dit jeudi dernier Adrienne Monnier « Saillet s’est décidé à prendre la rubrique de la Poésie dans Le Mercure32. » C’est moi, paraît-il, qui ai réussi à l’y décider, à telle enseigne, même, que sa première rubrique m’est, en quelque sorte, dédiée33. La part qu’il m’a faite, dans son article de Combat34 sur le numéro 1 000, la dédicace de cette première rubrique, le portrait de moi que donne Gide dans son article sur Le Groupement littéraire du Mercure35, ce que Mauriac écrit à mon sujet dans le sien36 (je ne l’avais pas lu, c’est Rouveyre qui me l’a signalé un moment après), je vais passer pour un personnage aux yeux des lecteurs de ce numéro.

Et le dix mai 1947 :

… entré un instant à la librairie Monnier. Présent le poète fantaisiste Jacques Prévert, qui s’est fait un nom en si peu de temps. À en juger par ses propos, il doit être originaire de Draguignan ou environs37.

Maurice Saillet

À partir de 1947, Paul Léautaud, qui passera régulièrement dans sa librairie, n’évoquera quasiment plus Adrienne Monnier et ne fera que relater ses conversations avec Maurice Saillet, comme ce 28 juin :

Entré un moment à la librairie Adrienne Monnier. Conversation avec Maurice Saillet. Il est déconcertant pour un homme comme moi, à mon âge, de ma forme et nature d’esprit, de mes goûts littéraires. Une sorte de dandinement, de chuchotements, de réticences, de préciosité dans ses propos. Le genre de Paulhan38 : on ne sait si c’est voulu, prémédité, appliqué, ou naturel. Je ne le lui cache pas, pas plus que pour ses goûts littéraires. Tout cela à cent lieues de moi. Une fois de plus, je le dirai : « Je n’aime pas les curiosités en littérature et j’ai la prétention d’avoir raison et de voir plus juste en préférant et en tenant pour seule valable la littérature d’une portée générale. Jarry39, Rimbaud40, Mallarmé41, les surréalistes d’hier et d’aujourd’hui, je suis comme Alceste42 avec sa chanson du roi Henri en réponse au sonnet d’Oronte43 : je donne tout cela pour la chanson de Fortunio dans Le Chandelier44. »

Adrienne Monnier me l’avait déjà dit hier et Saillet me l’a redit aujourd’hui : Albert Camus lui a refusé, pour Combat[45], un article sur Jarry (je crois) et sur Cassou[46], dans lequel il avait mis quelques épines.

La librairie Adrienne Monnier est vraiment la librairie de l’Hôtel de Rambouillet d’aujourd’hui. Maurice Saillet y tient son rôle de façon excellente.

Deux juillet :

Chaque numéro que je reçois du Mercure nouvelle manière m’attriste. Non seulement son aspect extérieur et la composition des matières. Il y a dans la collaboration qui semble bien devoir s’y installer une collection de noms qui me paraissent bien indiquer des personnages d’un certain genre, comme ceux qu’on voit d’ailleurs dans les autres revues. […]. Je perds de plus en plus l’envie, le désir, ce mot est plus juste, le goût, ce mot est encore plus juste, d’y collaborer, malgré les instances si aimables et si flatteuses de M. Paul Hartmann, qui ne les a encore renouvelées hier, dans une rencontre rue de Vaugirard.

Cinq juillet :

En descendant la rue de l’Odéon, entré à la librairie Adrienne Monnier pour demander à Maurice Saget47 si le numéro de L’Arche48 était paru. Toujours rien. Il avait en main le dernier Mercure. « Ce n’est toujours pas drôle. C’est même triste. C’est même décourageant. Je ne sais à qui il faut s’en prendre. M. Hartmann ? M. de Sacy ? Vraiment, c’est d’un manque d’intérêt complet. Je sais tout ce que M. Hartmann a fait pour relever la maison, le travail qu’il a fourni. Je sais les soins qu’il apporte, personnellement, à ce que soient parfaits le plus possible les ouvrages qu’il publie, et je lui ai dit que j’en sais quelque chose par la peine qu’il a prise de relire, à deux reprises, les épreuves d’un petit volume de moi à paraître, — il néglige même, je crois, sa maison d’édition à lui, pour le Mercure, mais vraiment, pour la revue… » Il se révèle alors à moi avec un état d’esprit pareil au mien en me disant qu’il n’a vraiment aucun goût à y collaborer, malgré les instances de M. Hartmann à son égard comme il en a au mien, ne passant jamais rue de l’Odéon sans entrer pour lui réclamer sa collaboration régulière.

[…]

Il a pendant quelques secondes l’air d’être plongé dans ses réflexions, puis : « Ce doit être Duhamel49 qui inspire tout cela. Tout de même, quoi qu’on puisse penser de lui, Gide est une autre valeur… » Je lui raconte la petite scène d’une visite de Gide au Mercure, dans les premiers jours de la direction de la revue par Duhamel, et à laquelle j’ai été présent. Gide arrivait sur le palier du deuxième étage. Il y trouve Duhamel qui remontait du premier. Il lui tend la main : « Mon cher Maître… » Je dis à Saillet : « Il fallait voir la malice sur le visage de Gide, son ironie intérieure, et sur celui de Duhamel, malgré son sourire de cordialité, l’expression de vanité satisfaite. Tout comme à sa sortie de la chambre mortuaire de Vallette, la physionomie d’un homme qui se dit en lui-même, pensant au Mercure : « Je le tiens. »

Je parle à Saillet du nombre considérable de lecteurs que Duhamel continue à avoir. Une réimpression de n’importe quel de ses ouvrages, à 15 000 exemplaires, au bout de la semaine il n’y en a plus. Il me raconte alors ceci : « À une certaine époque, dans un voyage en chemin de fer, Gide se trouva à côté d’une dame qui lisait la Nouvelle Revue Française, numéro auquel Duhamel avait collaboré. Il lui prit fantaisie de dire à cette dame : « Vous lisez la Nouvelle Revue Française, Madame, je crois bien que vous me lisez. » Cette dame le regarda, puis tombant à genoux : « Oh ! Monsieur Duhamel… »

Nous parlons de la librairie en général, des maisons qui vont disparaître : Julliard50, les Éditions Charlot. Il me dit qu’Adrienne Monnier et lui vont eux-mêmes quitter la librairie. Ce n’est plus tenable avec toutes les charges fiscales qu’on a à supporter aujourd’hui. Et eux encore n’ont pas de personnel. Il me cite les Éditions Charlot, où il y a bien, hommes et femmes, une quinzaine d’employés.

Pendant tous ces propos, rien de sa préciosité, de son apprêt, de son dandinement intellectuel, de ses réticences et subtilités habituelles. Le langage clair, vif, d’un homme qui pense de même, sur les choses dont il parle, et ne ménage pas ses mots. J’aime mieux ce genre.

Je m’étais levé et j’allais partir, quand Saillet, levé de sa chaise et venant vers moi avec un client entré quelques minutes auparavant : « Permettez-moi. Un Égyptien, un de vos admirateurs. » Et ce monsieur : « Oui, oui, un Égyptien. Vous êtes notre Chamfort51, notre Lichtenberg52. Je puis vous dire que là-bas, dans mon entourage, nous sommes dix qui avons lu tout ce que vous avez écrit, qui parlons souvent de vous. Je suis vraiment heureux de vous connaître et de pouvoir vous le dire. Je suis même possesseur du Petit Ami, qui est devenu introuvable, paraît-il. » J’ai déclaré tout cela très gentil, et exprimé ma surprise, réelle. Continuant : « Je viens même de lire votre fragment de Journal dans L’Arche. — Où l’avez-vous trouvé ? — Au kiosque de journaux, place Saint-Germain-des-Prés, en face du café. — Ah ! je vais aller l’acheter. »

À son tour, Maurice Saillet, avant que je parte, raconte ceci : il y a quelque temps, il revenait de Suisse. Dans le compartiment du train dans lequel il se trouvait, un des voyageurs tire de sa poche trois petites plaquettes et se mit à en faire, pour tous les voyageurs, la lecture à haute voix. « Je me suis contenté d’écouter, sans dire que je vous connaissais. »

[…]

… j’ai poussé jusqu’à Saint-Germain-des-Prés, au kiosque de journaux indiqué. Le numéro de L’Arche en vente, en effet. J’en ai acheté un exemplaire. 75 francs. C’est bien la première fois de ma vie que j’achète un numéro de revue auquel j’ai collaboré.

[…]

Ce numéro de L’Arche est marqué : Avril. Un numéro de revue marqué Avril, qui paraît en juillet ? C’est une originalité.

22 septembre 1948

En remontant la rue de l’Odéon, pour aller au Mercure, entré un moment à la librairie Monnier, dire bonjour à Maurice Saillet, que je n’ai pas vu depuis plusieurs mois. Il me parle de la crise de la librairie, sérieuse, les gens n’achetant plus de livres, les bons romans se vendant au plus à 3 ou 4 exemplaires. […] Les gens n’achètent plus de livres. Pas seulement parce qu’ils sont chers, et la vie aussi. Ils en ont beaucoup acheté ces dernières années, leurs casiers sont pleins.

Ce 22 septembre 1948 sera l’une des dernières fois où PL évoquera la librairie d’Adrienne Monnier.

Adrienne Monnier auteur de La NRF

On peut retenir dix-huit textes d’Adrienne Monnier parus dans La NRF, tous fort courts, essentiellement entre 1934-1935, résumés dans le tableau ci-dessous :

Les textes d’Adrienne Monnier dans La NRF

De cette liste, un texte, surtout, a sa place dans ces pages, le voici :

Un souvenir d’Alfred Valette53

C’est en 1913 — j’étais alors une jeune fille de vingt ans — que je pénétrai pour la première fois dans l’hôtel du Mercure de France ; cet hôtel petit, sombre, assez mystérieux, dans lequel on s’introduisait comme dans une sorte d’oreille. N’était-ce pas l’antre des symbolistes, des magiciens du verbe ?

J’avais écrit à Rachilde. J’étais alors, aux Annales54, secrétaire de Cousine Yvonne55. Mon sort ne me contentait pas. J’aimais pourtant bien la patronne, mais je sentais que ce n’était pas là ma place, que ma vocation était ailleurs.

Comme tous les jeunes gens, j’étais absolue et il me semblait que je trahissais la cause même de la littérature en restant avec les gens arrivés, alors qu’il y avait tant de belle grosse besogne à faire, rive gauche56.

J’aurais accepté, je crois, de balayer les bureaux du Mercure. Je racontais tout cela à Rachilde ; elle m’écoutait avec surprise. « Mais, ma petite, me disait-elle, de quoi vous plaignez-vous, vous avez le pied à l’étrier. »

Elle m’avait donné rendez-vous dans son salon, un mardi, un peu avant l’heure de sa réception57. Vers la fin de notre conversation, les gens arrivèrent. Il y avait Carco58, Machard59 et le gentil Pergaud60 qui étaient, à ce moment, les enfants de la maison. Il y avait Henriette Charasson61 que mes Annales tentaient aussi vivement que me tentait son Mercure. Il y avait de curieux êtres qui s’étaient fait une image d’eux-mêmes et qui vivaient dedans, contraints et magnifiques : Marie Huot62, Valentine de Saint-Point63, et d’autres dont je n’ai jamais su les noms.

Rachilde me prit par la main (il me semble bien qu’elle me prit par la main) et me conduisit dans la pièce voisine — c’était le bureau d’Alfred Vallette. Son mari se tenait là, assis devant sa table de travail, entouré d’une arrière-garde morose où scintillaient maints binocles et les deux barbes royales d’Herold64 et de Fontainas65. Elle leur conta ma petite histoire, pas un n’eut un sourire, Vallette émit deux phrases couleur du temps. Je me sentis vraiment écrasée de honte. J’étais, pour ces hommes, ce dont ils étaient le plus fatigués et le mieux revenus : l’enthousiasme, l’illusion66.

Je retournai souvent au Mercure. Jamais je ne cherchai l’occasion de causer avec Vallette. Je ne m’en sentais pas le droit. Je ne me donnai ce droit que deux ans plus tard, quand je fondai ma librairie. Il nous arriva, alors, d’échanger quelques propos sur les diverses augmentations du prix des livres, sur la mise en valeur des éditions originales, telle que la tentaient les Éditions de la Nouvelle Revue Française ; il disait de cette tentative : « Ils vont tuer la poule aux œufs d’or. »

C’était un homme parfait, un monstre de sagesse, pas si loin de Monsieur Teste67, au fond. Il faut relire le beau portrait que Remy de Gourmont a tracé de lui dans le Deuxième Livre des Masques68. Gourmont le compare à un fondateur d’ordre religieux. Et, en effet, Vallette avait bien les caractères de certains religieux : ceux qui se vouent aux tâches ménagères, ceux qui sont attentifs et patients dans les petits travaux, sans lesquels les grands ne sont pas possibles ; ceux dont la flamme dure longtemps parce qu’ils la recouvrent prudemment de cendre.

Je me souviens de sa voix à petits souffles ; elle ressemblait à celle des mères supérieures à qui les choses de la religion en ont beaucoup fait voir.

Adrienne Monnier

* * *

Dans cette petite page web de circonstance aurait pu (dû ?) figurer un chapitre sur La Gazette des Amis des livres. Beaucoup de sites web traitent le sujet, et fort bien. On peut penser, notamment à Textes & prétextes, le site de Tania, qui a trouvé sa place dans la liste de nos sites proches.

Nous n’oublions pas, évidemment, la très-précieuse source que constitue le Mercure de France du premier janvier 1960 réservé au « Souvenir d’Adrienne Monnier69 ».

On peut aussi visiter la page de la Société historique du VIe arrondissement ou celle du Bulletin des Bibliothèques de France.

Deux livres à lire :

Adrienne Monnier : Rue de l’Odéon, Albin Michel 1960, réédité en 2009, 272 pages, disponible en version numérique,

Laure Murat : Passage de l’Odéon : Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris dans l’entre-deux-guerres, Fayard, 2003, 376 pages.

Jean-Luc Souloumiac nous signale un troisième ouvrage, volontiers ajouté : Charles Glass, Les Américains à Paris sous l’Occupation, CNRS éditions, 400 pages, moins de dix €uros. On y trouves des pages fort instructives sur Sylvia Beach, l’amie intime d’Adrienne Monnier, qui n’a pas été évoquée ici.

Notes


1     Voir aussi, dans le site d’ActuaLitté : https://is.gd/80LsEJ.

2     Voir https://is.gd/Y4aH5Y.

2b La journée la plus courte du Journal littéraire est celle du deux décembre 1930, qui ne comporte qu’un seul mot : Suarès.

3     Léon-Paul Fargue (1876-1947) en 1891, en khâgne au lycée Henri IV, suit les cours d’Henri Bergson et rencontre Alfred Jarry mais au lieu de se diriger vers la voie royale de l’ENS préfère l’incertitude de la poésie. On le voit aux mardis de Stéphane Mallarmé où il rencontre Paul Valéry. Avec lui et Valery Larbaud, il participe, en 1924, à la création de la revue Commerce. Le texte d’Adrienne Monnier « Fargue, premières rencontres » en ouverture du Mercure de février 1948 peut être demandé ici. Pour Stéphane Mallarmé et ses mardis, voir la note 41 ci-dessous.

4     Adrienne Monnier, née en 1892, avait donc 23 ans. L’idée n’est pas ici de dresser un portrait d’Adrienne Monnier, ce qui a déjà été fait par d’autres, et fort bien.

5     Louise Faure-Favier (1870-1961), écrivaine, journaliste et aviatrice amie de Guillaume Apollinaire (rencontré en septembre 1912) et de Marie Laurencin. Louise Faure-Favier nous intéresse particulièrement ici pour ses Souvenirs sur Apollinaire (Grasset 1945, 242 pages) réédités très bon marché (8 euros en e-pub) en octobre 2018 pour le centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire. Voir aussi la lettre de Paul Léautaud à Marie Dormoy du 29 août 1934.

6     Les lecteurs de Paul Léautaud le savent, ces « croutes » (de pain) sont pour nourrir ses nombreux animaux.

7     Mais Adrienne Monnier ne détestait pas et PL se montre, comme souvent, bien naïf (et c’est aussi pour ça qu’on l’aime).

8     Après l’abandon de la chronique des poèmes par Georges Duhamel en août 1914, celle-ci est resté en déshérence jusqu’en janvier 1916, date à partir de laquelle tout le monde s’y est un peu mis. Paul Léautaud a signé deux chroniques, le premier août et le seize septembre de cette année 1917. La chronique du premier août, qui aborde La Jeune Parque, va être évoquée dans la page Paul Valéry II, à paraître le premier décembre 2020. Ces deux chroniques des poèmes seront un jour publiées ici mais le programme est complet jusqu’en septembre 2023…

9     La chronique est signée Intérim.

10    Libraire puis éditeur suisse établi à Paris, rue de l’Université. Robert Télin est également l’auteur d’Apparences et paradoxes, Paris, 1929. Journal littéraire au 27 octobre 1930 : « Visite de Robert Télin le libraire. Très intelligent, et malin ! Je crois me souvenir qu’il a été comédien dans sa jeunesse. Je le lui demande. C’est exact. Je lui dis : « Vous en avez gardé quelque chose. » Il a un talent du diable pour donner l’accent de la vérité à des roublardises qu’il raconte sous le jour de choses désintéressées. » C’est à Robert Télin que l’an dernier (1926), PL a vendu des lettres de Paul Valéry.

11    Si Paul Valéry dit « pis que pendre des libraires » c’est parce que ceux-ci font commerce de ses inédits ou épuisés et de ses lettres autographes qui se vendent fort cher depuis qu’il a été élu à l’Académie française en novembre dernier au fauteuil d’Anatole France.

12    Daniel Halévy (1872-1962), historien et homme de lettres, est le fils du librettiste Ludovic Halévy. Daniel Halévy a été le condisciple de Marcel Proust au lycée Condorcet. Il est le beau-père de Louis Joxe et le grand-père de Pierre Joxe. Voir Sébastien Laurent, Daniel Halévy, Grasset, 2001, 595 pages, préfacé par Serge Berstein.

13    Marie Monnier (1894-1976), brodeuse, amie de Valéry et maîtresse de Léon-Paul Fargue, ce que PL semble ignorer.

14    Le 22 octobre 1926.

15    Paul Valéry, La Jeune Parque, Gallimard 1927, 42 pages.

16    Richard Anacréon (1907-1992), libraire et collectionneur d’art. Richard Anacréon a commencé à travailler très tôt, en usine. À dix-sept ans il était à la peinture chez Citroën, travail particulièrement pénible. Cela dura heureusement peu et l’année suivante il a obtenu un emploi de bureau au journal Le Petit Parisien de Paul Dupuy, rue d’Enghien, où il a pu côtoyer plusieurs auteurs. Au début de la guerre la politique du journal s’est durcie et Richard Anacréon a ouvert une librairie au 22, rue de Seine, tout près de la rue Visconti ou habitait le regretté Fagus. Pendant la guerre il a réalisé, avec de très nombreux auteurs, des échanges comme celui-ci. Son charisme lui vaut le succès. Dans les années 1980 il fera don à sa ville natale de Granville, en Normandie, de sa collection comportant aussi de nombreuses œuvres d’art que l’on peut voir au musée Richard Anacréon de Granville, qui porte le nom un peu audacieux de « musée d’art moderne » mais est surtout un musée du XXe siècle. Les réserves de ce musée abritent peut-être quelques livres échangés par Paul Léautaud.

17    Ce n’est qu’en 1943 que le jeune Francis Dasté s’est installé au 16, rue de Tournon (où habita le jeune Romain Rolland dans les années 1880) pour y vendre des livres datant au plus d’un siècle (Barbey…). Il y passera toute sa vie professionnelle, jusqu’en 1987.

18    Babouot le père du relieur ? Nous sommes preneur d’informations.

19    PL ne fumait que des cigarettes qu’il se roulait lui-même.

20    Paul Léautaud n’a jamais bien supporté la lumière électrique et a toujours préféré l’éclairage des bougies ou de la lampe à pétrole. Mais le pétrole lampé, en 1946…

21    Il s’agit d’un envoi à l’initiative d’un groupement d’écrivains argentins, peut-être par l’intermédiaire de Victoria Ocampo.

22    Voir le Journal littéraire au 19 juin 1940.

23    Évidemment Maurice Saillet (1914-1990), qui sera en 1953 le fondateur du mensuel Les Lettres nouvelles avec Maurice Nadeau. Cette revue sera active jusqu’en 1977.

24    Beaucoup de librairies, à cette époque encore, étaient des librairies « à chaises », comme celle de Francis Dasté (objet de la note 17), où l’on restait converser entre érudits ou simples amateurs. « Les chaises cannées, qui garnissaient la librairie à se toucher et se prolongeaient jusqu’au petit bureau d’Honoré, formaient le seul luxe de la pièce. […] La librairie Champion, comme celle du père d’Anatole France, était une librairie à chaises. Les habitués y avaient leur place, comme à l’Académie on a son fauteuil. » Pierre Champion, Mon vieux quartier, Grasset 1932, pages 45 et 46.

25    Paul Léautaud connaissait évidemment l’existence de l’ouvrage d’Antoine de Saint-Exupéry, paru chez Gallimard au début de 1939.

26    Les nouvelles littéraires est un hebdomadaire culturel fondé en 1922 par Maurice Martin du Gard (le neveu de Roger), sous la direction de la librairie Larousse, qui a paru jusqu’en 1983.

27    Léon-Paul Fargue avait été victime d’un AVC en 1943, qui le rendit hémiplégique.

28    Catherine de Vivonne (1588-1665), a épousé en janvier 1600 (elle était donc âgée d’à peine douze ans) Charles d’Angennes (1577-1652), qui avait donc onze ans de plus qu’elle. Catherine lui a donné sept enfants, la première, Julie, étant née en 1607. Charles d’Angennes est ensuite devenu marquis de Rambouillet. Son hôtel était situé rue Saint-Thomas-du-Louvre, aujourd’hui disparue et qui devait se trouver entre le Palais royal et le Carrousel du Louvre. Catherine, femme brillante, tint, avec l’aide particulière de Julie, de 1608 à sa mort en 1665 un salon de nos jours considéré comme le plus important de cette première moitié du XVIIe siècle, où les femmes avaient un rôle dominant sur la littérature et sur la langue. On raconte que son hôtel a été dessiné par Catherine et construit de façon à ce que la disposition des pièces en enfilade soit la mieux adaptée aux réceptions. Ce salon arrivant sur son déclin, il a servi de modèle à Molière pour ses Précieuses ridicules en novembre 1659.

29    Paul Hartmann (1907-1988), a fondé, à l’âge de 19 ans La Nuée bleue. Cette maison d’édition a publié en mai 1926, Le Tourment de Jacques Rivière de François Mauriac (34 pages). En 1931, Paul Hartmann a épousé Madeleine Charléty, la fille du recteur à qui PL a écrit en 1934 dans le but de confier son Journal à la bibliothèque Doucet (voir au 23 mai 1934). À Paris, La Nuée bleue devient la maison « Paul Hartmann » et publie Paul Valéry, André Maurois, puis Colette. Au début de la guerre, Paul Hartmann rejoint la Résistance à Chambéry grâce à des faux papiers que lui a procurés son ami Georges Duhamel. Il se spécialise dans le renseignement, aidé par Madeleine, qui se spécialise elle-même dans la confection de faux papiers. À la Libération, Georges Duhamel revenu naturellement dans les murs — ne serait-ce qu’en tant qu’actionnaire — après un intérim exercé par Marcel Roland (voir au neuf juillet 1937) en confie la direction à Paul Hartmann, qui y restera jusqu’à ce que Gallimard reprenne la maison en 1958. Paul Hartmann sera ensuite directeur de fabrication chez Flammarion avant de créer puis diriger le service des éditions de l’École pratique des hautes études jusqu’en 1970, tout en continuant au moins jusqu’en 1967, de diriger sa propre maison d’édition. Source : Agnès Callu, Paul Hartmann : histoire intellectuelle d’un itinéraire éditorial, IMEC.

30    Samuel Silvestre de Sacy (1905-1975) est le petit-fils de l’orientaliste Ustazade Silvestre de Sacy (1801-1869), conservateur de la bibliothèque Mazarine en 1836 et académicien en 1854. Samuel (Silvestre de Sacy est le nom de famille mais tout le monde croit que Silvestre (ici avec un i) est un prénom, comme dans le cas également connu de la famille Gilbert de Voisins que les léautaldiens connaissent bien) a publié quelques compte-rendus dans La NRF avant d’être nommé administrateur des services civils en Indochine et adjoint du gouverneur général jusqu’au début de l’été 1946. Spécialiste de la littérature du XIXe siècle et plus particulièrement de Balzac, il a aussi publié des ouvrages de Flaubert et de Stendhal. On lui doit le volume II en Pléiade des Propos d’Alain (1970) dont il a été l’élève en classe de khâgne au lycée Henri IV. Samuel Silvestre de Sacy est directeur de la revue, Paul Hartmann étant directeur de la maison d’édition.

31    Lettre à Marie Dormoy datée du 28 septembre 1946 : « Le Mercure reparaîtra le 1er Décembre. J’ai reçu à ce propos une lettre charmante du directeur M. Hartmann. Je suis allé le voir le lendemain. Il m’a présenté le nouveau directeur de la revue, ce M. de Sacy, qui a longtemps vécu en Indochine. Un accueil merveilleux de tous les deux. »

32    La première rubrique de Maurice Saillet paraîtra dans le Mercure d’octobre 1947 (page 319) et traitera du livre de Georges Mounin Avez-vous lu Char ? (Gallimard, septembre 1946, 147 pages) et évoquera son Poème pulvérisé (édition de la revue Fontaine, 1947)

33    Rien ne semble démontrer, à la lecture de la rubrique, une allusion à Paul Léautaud. Mais la dédicace a peut-être été verbale.

34    Numéro du 27 décembre, page deux, deuxième colonne, Maurice Saillet (qui signe Justin Saget) retrace rapidement l’histoire du Mercure de France : « Tandis que Mlle Blaizot établissait en silence les factures des livres à emporter, il arrivait parfois à Léautaud de venir manifester son humeur du jour auprès des dames de la comptabilité. La fantaisie des propos échangés portait la marque de la maison et leur ravissante liberté mettait en émoi les commis de librairie qui attendaient au comptoir. » Puis, colonne cinq, à propos de ce numéro 1 000 « Mais la perle de la livraison c’est le fragment où il est surtout question de Mlle Moreno et de Marcel Schwob, du “Journal littéraire” de Léautaud — de Léautaud dont Gide nous donne quelques pages plus haut cet excellent portrait : / “Tout me ravissait en lui : et d’abord ceci : qu’il ne cherchait nullement à plaire. Le naturel restait sa seule coquetterie. J’aimais son regard à la fois malicieux et tendre ; sa voix riche aux éclats soudains, éclats énormes, de rire souvent qui partait en fanfare de sarcasme ou d’indignation généreuse. J’aimais cette sorte de distinction d’allure, de gestes, de manières dans une mise un peu débraillée. Quel étonnant visage !… » L’article fait six colonnes, sur un quart de page et toute la dernière colonne, reproduite partiellement ici, est réservé à Paul Léautaud.

35    André Gide, « Le Groupement littéraire qu’abritait le Mercure de France », Mercure numéro 999-1 000, pages 168-170.

36    François Mauriac, « Ma rencontre avec le Mercure », pages 186-187 : « Il est curieux que ce soit Paul Léautaud, ce fils d’Henri Beyle, qui m’ait ouvert le paradis du symbolisme et le bagne des « poètes maudits » (et sans doute à beaucoup d’autres garçons de ma génération). Je lui en exprime ici une gratitude que quarante années n’ont pas amoindrie. »

37    Jacques Prévert est né à Neuilly en février 1900. Suite à des ennuis d’argent, la famille a dû déménager pour Toulon en 1906 mais reviendra assez rapidement à Paris, 7, rue de Vaugirard (la rue de Vaugirard commence boulevard Saint-Michel), juste à côté de l’école primaire.

38    Dans une conversation avec Julien Benda, enregistrée à leur insu en septembre 1950, Paul Léautaud dira de Jean Paulhan « C’est un danseur », ce à quoi Julien Benda répondra « Sur un pied ». Jean Paulhan (1884-1968), professeur, écrivain, critique et éditeur. Entré à La NRF comme secrétaire en 1920 il en est devenu le directeur à la mort de Jacques Rivière en 1925. Pendant la seconde guerre mondiale, Jean Paulhan, entré dans la clandestinité, a collaboré à la revue Résistance, participé à la création des Lettres françaises en 1941, et participé à la fondation des Éditions de Minuit, avec Vercors, en 1942. Jean Paulhan sera élu à l’Académie française le 24 janvier 1963 au fauteuil de Pierre Benoit, où il sera reçu par Maurice Garçon.

39    Alfred Jarry (1873-1907) est le célèbre auteur d’Ubu roi, drame en cinq actes publié au Mercure de France en 1896.

40    Arthur Rimbaud (1854-1891, à 37 ans), poète, surtout connu de nos jours par son Bateau ivre ou Une saison en enfer.

41    Stéphane Mallarmé (1842-1898), poète, professeur d’anglais, traducteur et critique d’art est considéré comme le pilier du mouvement symboliste. À cinq ans il perd sa mère, à quinze ans il perd sa sœur. Afin de mieux lire Edgard Poe, Stéphane Mallarmé apprend l’anglais, puis l’enseigne à partir de 1863, sans enthousiasme. C’est de cette époque que date la publication de ses premiers poèmes, puis son mariage avec Maria Gerhard, rencontrée alors qu’il était en poste à Sens. Après diverses mutations comme professeur en province, en 1871 Stéphane Mallarmé est enfin de retour à Paris, où il est né, et en poste au Lycée Fontanes, devenu depuis le Lycée Condorcet. 1871 est aussi l’année de la mort de son fils aîné, à l’âge de huit ans. Stéphane Mallarmé s’installe au 89, rue de Rome, face aux voies ferrées de la gare Saint-Lazare. En 1874 la santé de SM se dégrade et il séjourne souvent à Valvins, sur la Seine, à 70 kilomètres au sud de Paris dans une auberge qu’il finira par acheter. C’est vers 1884 que la réputation de SM commence à s’installer. Il est nommé au lycée Janson-de-Sally qui vient d’être achevé. C’est aussi à cette époque que sont organisés ses mardis, dans son appartement de la rue de Rome où il est demeuré. En 1893, SM obtient une mise à la retraite anticipée (à l’âge de 51 ans) et passe alors six mois d’été à Valvins ou il est mort, à l’âge de 56 ans. Lire aussi (surtout) la notice rédigée par Paul Léautaud pour les Poètes d’aujourd’hui.

42    Personnage central du Misanthrope. Dans sa chronique dramatique de La NRF d’avril 1922 Paul Léautaud écrivait : « Alceste est un personnage que j’ai toujours beaucoup aimé. Je puis même dire qu’en vieillissant je l’aime et le sens encore davantage. J’ai pour cela des raisons particulières. Quand je le vois sur la scène, j’oublie tout à fait que je suis au théâtre. Je m’intéresse vraiment à lui comme à quelqu’un que je connais, qui vient de me quitter pour monter là dire leur fait à quelques gens, et que je retrouverai tout à l’heure à la sortie. »

43    Alceste et Oronte sont concurrents face à Célimène. À l’acte II, scène II, Oronte a composé pour elle un sonnet qu’il veut montrer à Alceste : « Et, comme votre esprit a de grandes lumières, / Je viens, pour commencer entre nous ce beau nœud, / Vous montrer un sonnet que j’ai fait depuis peu, / Et savoir s’il est bon qu’au public je l’expose. » Bien entendu Alceste fustige ce sonnet : « Le méchant goût du siècle en cela me fait peur ; / Nos pères, tout grossiers, l’avaient beaucoup meilleur ; / Et je prise bien moins tout ce que l’on admire, / Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire. » Suit la chanson du roi Henri, toute simple.

44    Alfred de Musset, Le Chandelier, comédie en trois actes d’abord parue dans la Revue des deux Mondes en 1835 avant d’être créé au Théâtre-Historique le dix août 1848, sans succès, et avant d’être reprise enfin à la Comédie-Française le 29 juin 1850 avec une musique de Jacques Offenbach. Le chandelier en question est Fortunio, un jeune homme inoffensif qui a pour objet de détourner sur lui la jalousie du mari afin de mieux dissimuler l’amant véritable. Cette pièce est parfois reprise de nos jours.

45    Combat, « organe du Mouvement de libération française » est un quotidien paru d’abord clandestinement en décembre 1941, sur une centaine de numéros pendant les autre premières années de son existence. Pour de nombreux lecteurs après la Libération, ce sera surtout « le journal d’Albert Camus », bien que l’activité d’Albert Camus y ait été assez éphémère. Le journal perdra peu à peu ses lecteurs mais restera jusqu’aux derniers jours (1974) un quotidien de référence.

46    Jean Cassou (1897-1986) tient la rubrique des « Lettres espagnoles » au Mercure. Il sera ministre du Front populaire et conservateur du musée d’Art moderne. Avant cela nous le verrons journaliste aux Nouvelles littéraires. Jean Cassou est le cousin de Maurice Martin du Gard.

47    PL fait l’amalgame entre le nom de Maurice Saillet et son pseudonyme de Justin Saget.

48    L’Arche est à cette époque une revue bimestrielle (150 pages en moyenne), fondée à Alger en février 1944 par André Gide, Jean Amrouche et Jacques Lassaigne. À la Libération la revue sera publiée à Paris sur 27 numéros (y compris ceux d’Alger) jusqu’en août-septembre 1948.

49    Georges Duhamel (1884-1966), médecin (en 1909) et homme de lettres surtout connu pour son ensemble romanesque en dix volumes, La Chronique des Pasquier, écrit 1933 à 1945. Georges Duhamel a été en charge de la rubrique des poèmes au Mercure depuis le numéro du 16 avril 1912. Il a reçu le prix Goncourt pour son deuxième roman : Civilisation, publié au Mercure en avril 1918. Georges Duhamel  a remplacé Alfred Vallette à la tête du Mercure de France à sa mort le 28 septembre 1935 mais a démissionné en février 1938. Il a été élu à l’Académie française en 1935, puis secrétaire perpétuel en 1944.

50    La très jeune maison Julliard, fondée en 1942, se porte à merveille. En novembre 1946, Julliard a obtenu le prix Femina puis le prix Goncourt en décembre. Cette même maison obtiendra encore le Goncourt en décembre prochain puis une troisième fois en décembre 1948 avec Les Grandes familles de Maurice Druon. L’argent doit couler à flots. Après la mort de René Julliard à l’été 1962, la maison, un temps dirigée par Christian Bourgois, sera rachetée par les Presses de la cité.

51    Chamfort (Sébastien-Roch Nicolas, 1740-1794), poète, journaliste et moraliste. Secrétaire ordinaire, en 1784, du Cabinet de Madame, sœur de Louis XVI. Membre de l’Académie française en 1781. En 1789, Chamfort prit habilement le tournant de la Révolution, mais rien n’étant simple, il se suicida pour éviter la prison.

52    Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), philosophe, écrivain et physicien allemand connu pour ses Cahiers d’aphorismes, republiés chez José Corti en 1997.

53    Souvenir d’Adrienne Monnier paru dans La NRF du 1er novembre 1935 (pages 787-788) qui sera repris dans son livre de souvenirs Rue de l’Odéon paru en 1950 chez Albin Michel. Lire aussi, dans ce fameux Mercure numéro 1 000, ces autres souvenirs d’Adrienne Monnier « Le Mercure vu par un enfant » : « Oui, je peux dire un enfant ; j’avais dix ans environ, quand le Mercure de France m’apparut… au bord de la Seine, dans les boîtes des quais qui furent la librairie de mon enfance et de mon adolescence… »

54    Les Annales politiques et littéraires, « revue universelle paraissant le dimanche. » Directeur et rédacteur en chef, Adolphe Brisson. Cet hebdomadaire est paru de 1883 à 1971.

55    Yvonne Sarcey (Madeleine Sarcey, 1869-1950), fille de Francisque Sarcey, a épousé en 1889 Adolphe Brisson. Yvonne Sarcey donnait, dans les Annales politiques et littéraires de son mari, des conseils à la jeunesse sous le pseudonyme de « Cousine Yvonne ». Yvonne Sarcey a écrit ses mémoires sous le titre La Route du bonheur, paru à la librairie des Annales en 1909.

56    De longue date, à Paris, la rive droite est celle de la presse et la gauche celle de l’édition.  Les Annales politiques et littéraires, avaient leurs bureaux à cette époque au 51, rue Saint-Georges (un quartier que Paul Léautaud connaît bien pour y être né), avant de déménager à 130 mètres de là au 5, rue La Bruyère. Le 51, rue Saint-Georges est, depuis 1929, l’adresse du Théâtre Saint-Georges et le 5, rue La Bruyère est de nos jours l’adresse du Théâtre La Bruyère depuis 1943.

57    Rachilde recevait tous les mardis, dans son appartement du Mercure, contigu du bureau d’Alfred Vallette au Mercure.

58    Francis Carco (François Carcopino-Tusoli, 1886-1958), romancier du réalisme social dans la veine d’un Mac Orlan, est surtout connu pour son premier roman, Jésus-la-Caille (1914, remanié en 1920) et L’Homme traqué.

59    Alfred Machard (1887-1962), auteur dramatique, poète et romancier, moins connu de nos jours que sa femme, Raymonde Machard (1889-1971), romancière.

60    Louis Pergaud est né en 1882 et « mort pour la France » en 1915, ce qui lui a juste laissé le temps d’écrire quatre livres publiés de son vivant, tous au Mercure : trois recueils de nouvelles animalières, De Goupil à Margot (1910), prix Goncourt, La Revanche du corbeau (1911), Le Roman de Miraut, chien de chasse (1913) et enfin La Guerre des boutons (1913).

61    Henriette Charasson (1884-1972), poétesse et dramaturge d’inspiration catholique a secondé Rachilde dans la chronique des « Romans » dans le Mercure à partir de 1914.

62    Marie Huot (1846-1930), poétesse, femme de lettres, journaliste, féministe et militante pour les droits des animaux. Née Ménétrier, Marie a épousé en 1869 Anatole Huot, éditeur de la revue gauchiste parisienne, L’Encyclopédie contemporaine illustrée. On lira dans le Journal littéraire de Paul Léautaud un émouvant portrait de Marie Huot le 17 novembre 1922 et un autre au 14 avril 1930, lendemain de sa mort. Par ailleurs Paul Léautaud écrira, le 23 avril 1930 à Aurel, qui en avait besoin, une lettre retraçant une rapide biographie de Marie Huot.

63    Valentine de Saint-Point, (Anna de Glans de Cessiat-Vercel, 1875-1953), femme de lettres et artiste protéiforme, fut la première femme à traverser l’Atlantique en avion. Veuve en 1899, à 24 ans, Valentine épouse l’année suivante son amant, Charles Dumont (député, sénateur, quatre fois ministre) et sera une amie de Rodin. En 1904 elle divorce. De ce temps datent ces premiers vers, puis, en 1909 sa carrière d’auteur dramatique et de romancière.

64    André-Ferdinand Herold (sans é) (1865-1940), petit-fils du compositeur, chartiste, poète, conteur, auteur dramatique et traducteur. A.-F. Herold a fréquenté Mallarmé, Henri de Régnier, Pierre Louÿs, Paul Valéry. Il entretient des rapports privilégiés avec Gabriel Fauré ou Maurice Ravel. Auteur Mercure depuis 1891 et titulaire de la critique dramatique depuis 1896, Paul Léautaud lui succédera en octobre 1907.

65    André Fontainas (1865-1948), poète et critique belge. Après des débuts poétiques à Bruxelles, André Fontainas s’est installé à Paris en 1889 et est entré comme critique au Mercure. Il a été le lien entre les poètes symbolistes belges et français et y conservera la rubrique poésie du Mercure jusqu’à sa mort. André Fontainas fait partie des Poètes d’aujourd’hui, dont la notice a été rédigée par Adolphe van Bever.

66    Et les femmes.

67    Allusion à l’essai de Paul Valéry : La Soirée avec monsieur Teste paru en 1896. « Edmond Teste, demi-dieu en pantoufles de petit-bourgeois, génie si clairvoyant qu’il renonce à sortir de l’anonymat. Il est le grand homme authentique, celui qui maîtrise sa pensée dans l’ombre tandis que les baudruches se pavanent en public. »

68    Remy de Gourmont (1858-1915), romancier, journaliste et critique d’art, proche des symbolistes. Paul Léautaud deviendra son intime. Jean de Gourmont (1877-1928, cadet de 19 ans de son frère) sera salarié du Mercure de France. Voir le très riche site http://www.remydegourmont.org/. Le IIe Livre des Masques est sorti au Mercure de France en 1898, deux ans après le premier Livre des Masques « Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui »

69 Textes de Saint-John Perse, Pierre Reverdy, Jacques Prévert, Pascal Pia, René Char, Jean Schlumberger, Jean Amrouche, André Chamson, Jules Supervielle, Denis de Rougemont, Henri Michaux, Michel Leyris, Jules Romains, Francis Poulenc, Arthur Koestler, Michel Cournot, Yves Bonnefoy, Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry, Éric Satie, Léon-Paul fargue, Valery Larbaud, Rainer Maria Rilke, James Joyce, René Crevel, Walter Benjamin, Antonin Arthaud…