Ma pièce préférée

Les amis d’Édouard

Les Champion sont une dynastie d’éditeurs dont le nom perdure encore de nos jours, le long du théâtre de l’Odéon, au trois rue Corneille. Honoré Champion (1846-1913), a fondé cette maison d’édition en 1874. Honoré a eu deux fils, Pierre et Édouard. Pierre (1880-1942), chartiste, biographe de Jeanne d’Arc, a pris la suite d’Honoré dans la maison située à l’époque au cinq quai Malaquais après avoir été installée au numéro quinze, puis, vers 1885 au neuf quai voltaire, qui est le quai suivant, en aval de la Seine. Pierre champion a été maire de Nogent-sur-Marne de 1919 à sa mort et aussi Conseiller général de la Seine. Édouard (1882-1938), libraire-éditeur également, était médiéviste1.

Les Amis d’Édouard est le titre d’une collection hors-commerce tirée à l’origine à cinquante exemplaires sur Hollande ou vergé, donnés aux amis. Trois ou quatre exemplaires étaient tirés sur Japon ou Madagascar, évidemment réservés aux plus qu’amis.

Très rapidement la chose s’est sue et l’on a vu les tirages augmenter jusqu’à deux cents exemplaires, d’autant qu’Édouard Champion se réservait plus de la moitié du tirage2. Ne pas offrir son volume à un ami était un signe… d’inamitié.

Le format n’est pas très grand pour une édition originale, 13×17 centimètres et la pagination est minuscule, 48 pages en moyenne. Même sur un vergé très épais (240 grammes ?), cela fait de tout petits volumes, de trois ou quatre millimètres d’épaisseur. Lorsqu’on les ouvre, le texte est souvent très étroit dans de très grandes marges.

L’histoire de cette collection fait l’objet de la page « Les Amis d’Édouard ».

Édouard champion

Journal littéraire de Paul Léautaud au 27 novembre 1922 :

Lundi 27 Novembre

Édouard Champion s’est fait une petite collection de volumes sous le titre Les Amis d’Édouard. J’en ai vu quelques-uns autrefois, sans me rappeler aujourd’hui ce que c’est. Il lui est venu à l’idée de charger Rouveyre4 de me demander quelque chose pour un volume de cette collection. Rouveyre est venu me dire cela l’autre jour. J’ai répondu que je pouvais donner une Chronique dramatique du Mercure dans laquelle je dépeins ma maison5. Rouveyre l’a dit à Champion, celui-ci s’est déclaré enchanté, Rouveyre est venu me le dire. Je n’ai eu qu’à mettre en ordre tous les ajoutés que je voulais mettre à cette chronique. Le petit volume n’est pas payé. Rouveyre m’a dit que Champion lui a demandé s’il devait me payer. Rouveyre a répondu non. Je n’avais plus rien à dire. Il est vrai que Champion me donne tous les Stendhal de son édition des Œuvres complètes et que je peux bien le remercier avec les quelques pages — toutes faites — que je lui donne. Ayant reçu ce soir une lettre de lui me demandant de lui donner sans retard mon manuscrit, je suis allé le lui porter à sa librairie. Accueil charmant, trop charmant. Les mêmes manières qui ont toujours fait que je n’ai jamais été pressé de le voir. Je suis resté avec lui environ vingt minutes. C’est au moins douze fois qu’il m’a appelé « mon cher ami ». Il n’y a rien qui vous glace comme ces démonstrations sans rime ni raison. Il est là, tout au fond de sa librairie, dans un petit coin, aux murs tout ornés de photographies d’écrivains avec dédicaces. Une bibliothèque, des rayons chargés de volumes qui doivent être autant de merveilles rares. Il a la passion des manuscrits, à ce qu’il m’a dit, et de la façon la plus éclectique, depuis le manuscrit des Mémoires d’outre-tombe jusqu’à des manuscrits de Verlaine ou des enveloppes de lettres écrites en vers par Mallarmé. Il est drôle, avec son visage de valet de comédie, son nez en l’air. Il serait charmant peut-être, s’il ne vous rendait muet par tous les « cher ami » qu’il vous prodigue. Il a d’ailleurs l’air d’un très bon garçon avec son personnel, familier et plaisantant avec l’un ou l’autre. Il a une belle photographie de Schwob6 dans ses dernières années, et une photographie intéressante par sa simplicité de Henri de Régnier7. Il m’a paru, tout de suite après la guerre, faire un peu étalage de son rôle de soldat et de son patriotisme. Il va peut-être être choqué par quelques passages opposés dans le petit manuscrit que je lui ai remis ce soir.

Comme souvent, Paul Léautaud ne s’est pas trop cassé la tête et a puisé dans le stock. Le premier octobre 1919 il devait publier dans le Mercure une chronique dramatique sur trois pièces de théâtre peu enthousiasmantes, c’est le moins que l’on puisse dire. Le mieux était donc de parler d’autre chose, ce qu’il a fait. Et c’est le texte de cette chronique qu’il a donné à Édouard Champion.

Des années plus tard, le premier juin 1946, dans une lettre à l’éditeur Robert Tahon chez qui André Rouveyre va publier son Choix de pages de Paul Léautaud, il écrira « Le fait que vous aviez donné à la chronique sur la Princesse et sur Loyauté, le titre de : Ma Pièce préférée, me fait craindre, (je n’y ai pas pensé chez vous, tantôt), que vous ayez reproduit le texte de la petite plaquette Champion. C’est le texte du tome II du Théâtre Boissard qu’il faut reproduire, qui est bien autre chose. Je vous en prie : pas d’erreur. » En clair, pour Paul Léautaud, le texte des Amis d’Édouard n’est pas le bon.

C’est donc le « bon » texte que nous allons lire ci-dessous, celui du Mercure de France de novembre 1919 reproduit ensuite dans le second volume du Théâtre de Maurice Boissard paru à La NRF en novembre 1943.

Texte du Mercure de France du premier octobre 1919

Après cela un lien de téléchargement, avant les notes, permettra au curieux de voir à quoi ressemblait cette « petite plaquette Champion », et plus généralement les minces volumes hors de prix de la collection Les amis d’Édouard.

Chronique dramatique
Ma pièce préférée

Odéon : La Princesse8, pièce en 4 actes, de MM. Paul Géraldy9 et Robert Laveline. Loyauté10, pièce en 3 actes, de MM. Maurice Léon Kerst11 et Eugène Berteaux12. Les Trois masques, pièce en un acte, de M. Charles Méré13

Ce n’est pas toujours drôle d’aller au théâtre. Je crois l’avoir déjà dit, du moins l’avoir déjà donné à entendre. J’ai le bonheur d’habiter une maison tranquille, isolée, loin du bruit, des visites et des conversations. Par les fenêtres, pas d’autre vue que celle de jardins se succédant, séparés par de légères clôtures, n’en formant tous, pour la vue, qu’un seul. Tout alentour, le silence, et pour le troubler à de rares moments, seulement le bruit d’une auto sur la route de Paris à Robinson, ou celui des trains allant et venant entre ces deux points14. Pour dire le vrai, je ne suis pas fou de la nature. J’ai un grand jardin, tout à fait à l’abandon. Tout y pousse à son gré, les arbres et les herbes. Je n’y suis jamais. Même l’été, quand j’essaie d’y rester assis pendant quelques minutes sur une chaise-longue, je n’y tiens pas. Je vis uniquement dans la maison, et, dans cette maison, de préférence dans une pièce au premier, d’où la vue s’étend assez loin. Ce n’est pas un endroit bien somptueux, cette pièce. La littérature, non plus qu’aucun autre travail, ne m’a encore bien enrichi. Ce n’est pas non plus un endroit absolument pauvre. Je vous la décrirai pour vous amuser. Cette description me permettra aussi, plus tard, si je viens à la quitter, de la revoir avec plus d’exactitude que par le souvenir. L’ameublement en est peut-être un peu disparate. Il est celui que le hasard et les fortunes successives m’ont donné. Le Prince de Ligne15, ce grand seigneur, cet homme exquis, cet esprit supérieur, la grâce et la moquerie faites homme, finissait bien ses jours dans un grenier, avec quelques chaises de paille, une table en bois de sapin et quelques autres objets aussi luxueux. En ce sens, avec mes meubles anciens, meubles de campagne, il est vrai, je suis plus riche que lui. Qu’on ne croie pas que j’y tienne beaucoup. Je n’ai pas du tout l’instinct de la propriété. Vivre dans des meubles à moi ou à d’autres m’importe peu. Je n’ai pas la folie du cadre. Je couche dans un lit Louis XVI et je n’y pense pas le moins du monde. J’ai beau avoir horreur du mobilier moderne. Si ce n’étaient la promiscuité, le manque de silence et d’isolement, je vivrais aussi bien à l’hôtel. Au reste, de cet ameublement, je n’ai pas acheté grand’chose. Une maîtresse que j’avais avait la passion du mobilier16. Elle achetait, achetait sans cesse, de vieilles choses, souvent très bien. Un jour, elle s’envola, emportant ce qui lui plaisait, me laissant le reste. Je m’en suis accommodé. Je me rappelle, quelques jours après son envolement, elle revint, pour une demi-douzaine d’armoires qu’elle avait oubliées. Un nouveau chien était entré chez moi depuis son départ. Elle le vit. — « Tiens, me dit-elle, vous avez un nouveau chien ? — Chère amie, lui répondis-je, une bête s’en va, une autre arrive ! » Mais que je vous fasse mon inventaire. Comme bureau, une table Louis XVI, en merisier ciré, simple, un peu abîmée, un peu négligée, mais encore d’un assez bel œil17. Je n’aime que les meubles de cette époque, comme je trouve qu’on ne s’est jamais mieux habillé. Pour m’asseoir à cette table, quand je travaille, une chaise de je ne sais quel style, mais fort commode pour son emploi, achetée, dans ma jeunesse, à la vente de Camille Doucet18. Seigneur Dieu ! écrire assis sur la chaise de Camille Doucet ! J’espère bien que ce que j’écris ne s’en ressent pas ? Auprès de cette table, un fauteuil sans intérêt, au siège défoncé, tout rembourré avec de vieux numéros du Mercure, de préférence des numéros contenant des chroniques de théâtre. Sur la cheminée en marbre blanc, devant une grande glace qui réfléchit toute la pièce, entre deux chandeliers Louis XVI, à côté d’une reproduction d’un dessin de Berthe Morizot, un petit secrétaire, meuble de poupée, qui appartint à une sœur que j’eus, que je n’ai jamais connue, et qui était en même temps ma cousine, car mon père eut pour maîtresses les deux sœurs : je suis né de l’une et cette sœur de l’autre19. Cela commence à remonter un peu loin : 1872 pour moi, quelque chose comme 1865 ou 6 pour cette sœur. J’ai eu, dans le même genre, beaucoup plus tard, du côté de mon père, un frère20, du côté de ma mère un autre frère et une autre sœur21, quand ces deux personnages, tous les deux presque à la même époque, séparés depuis plus de vingt ans, se marièrent chacun de leur côté. Curieuse famille ! Elle a ce grand mérite de ne pas m’avoir embarrassé. Mon père n’était jamais chez lui. J’ai bien vu ma mère la valeur en tout de huit jours dans ma vie. Elle était fort jolie, j’ai été très amoureux d’elle, et je regrette bien ma timidité quand je la revis, quand j’avais trente ans, une vraie surprise22 ! après vingt ans d’oubli de sa part. Quant à tous ces frères et sœur, un seul m’est connu, que je vois environ tous les trois ou quatre ans, une ou deux heures chaque fois, n’ayant ni l’un ni l’autre grand’chose à nous dire. Contre l’autre pan de mur, une commode Louis XVI, aux tiroirs ornés de bronzes dorés, bondés de livres que je n’ai jamais lus : ce sont les ouvrages que vous m’envoyez, mes chers confrères ! Sur cette commode, un étroit casier à livres. Là sont les livres que depuis longtemps je relis toujours. Ils ne m’ont rien appris : les livres n’apprennent rien. Ils m’ont seulement donné de grands plaisirs. Donner des plaisirs, d’esprit ou d’émotion, c’est tout l’objet des livres. Je me suis retrouvé, je me suis reconnu dans ceux-là, ils sont à ma ressemblance. Quand je dis que je les relis ?… Ce n’est pas tout à fait exact. Je les connais par cœur. Quelquefois, le soir, je me dis : lisons un peu. Je prends un de ces livres, je m’assieds, je l’ouvre au hasard, je lis dix lignes, vingt lignes, une demi-page… et je ne lis plus, mon esprit part, je rêve, et les heures du matin arrivent que je rêve encore. Ce ne sont pas des livres de déclamation, de lyrisme, de grand style, à périodes pompeuses et savantes. De tels livres me sont toujours tombés des mains aussitôt qu’ouverts. Ce ne sont pas des livres romanesques, entraînants, dans lesquels l’illusion et l’invention grandissent à chaque page. De ces livres-là j’en lis quand je veux éclater de rire. Ce sont des livres d’observation, de moquerie, de sarcasme, d’émotion profonde mais cachée, maîtrisée et qui se change en raillerie. Ils sont à l’image de la vie, comiques et amers comme elle. Ils la peignent telle qu’elle est, fidèlement, sans tirades, sans rien des tromperies de l’art et du sentiment. J’aime beaucoup les biographies. Il y a aussi dans ces livres les biographies d’individus curieux à des titres divers et dont l’existence aventureuse, bizarre, piquante ou scandaleuse est pour moi un ravissement. Je vais avouer ici une de mes bizarreries. Certains de ces livres sont devenus rares et coûtent assez chers. Quand je rencontre un exemplaire, je l’achète, m’imposant des sacrifices par ailleurs. « C’est trop beau, me dis-je. Personne ne goûterait cela comme moi. Ne le laissons pas tomber dans de mauvaises mains ». Par contraste, j’ai aussi les biographies de quelques-uns de ces gens qui ne sont pas sortis de leur province, qui ont vécu là occupés à de petits travaux : collections, archéologie, jeux floraux, collaboration à quelque journal régional, médiocres de talent, contents d’une réputation locale, bonshommes puérils et démodés. Leur sort me fait rêver. Qui sait si ce n’est pas là le bonheur, bien mieux que la gloire d’être critique dramatique à Paris ? Sur le plateau de cette commode, devant le petit casier à livres, une reproduction du Diderot en terre cuite de Houdon, qui trône là au milieu de livres et de papiers en piles, considérant tout ce qui l’entoure d’un regard vif et attentif. Au milieu de la pièce, un petit bureau, genre anglais, qui détonne un peu dans l’ensemble. Il a une histoire : il me vient d’un voleur. En 1903, j’entrai comme secrétaire chez M. Lemarquis, administrateur judiciaire23. Le collègue que j’eus comme vis-à-vis se prit tout de suite de sympathie pour moi. Un jour, malgré mes protestations, je l’entendis me dire qu’il tenait absolument à me faire un cadeau. Le lendemain, en effet, étant chez moi à déjeuner, je reçus de la maison Maple le petit bureau en question. Il se découvrit quelque temps après que ce collègue24 avait volé à M. Lemarquis, par petites sommes successives, une quarantaine de mille francs, à l’aide de comptes truqués et de signatures inventées. Avait-il voulu par avance se ménager mon silence si je découvrais ses petites opérations ? Le pauvre garçon s’illusionnait. Je n’ai pas tant de zèle honnête. J’eusse découvert ses friponneries et j’en aurais parlé, c’eût été à lui seul, pour l’y faire renoncer. Il alla se faire pendre ailleurs. Sa famille remboursa. Je gardai le petit bureau : le bien mal acquis profite toujours à quelqu’un. Accrochés au mur, deux ou trois portraits de famille : un portrait de mon père, peinture, quand il avait trente ans ; un portrait-charge du même, à sa sortie du Conservatoire, avec la médaille de son prix à la main, et, de chaque côté, les affiches des pièces dans lesquelles il avait déjà joué ; un portrait au fusain de ma grand’mère maternelle25, jeune fille, avec sa robe et sa coiffure du temps de Louis-Philippe ; une miniature, assez fine, portrait de la marraine de mon père, très jolie femme, aux belles épaules, dont certainement il ne fut pas uniquement le filleul ; un cadre de photographies me représentant quand j’étais enfant, (ôtez-moi mes lunettes, la friperie26 de la vie, les cheveux gris qui se mêlent à mes cheveux noirs : j’ai encore le même visage) ; les portraits de deux de mes chats morts, l’un dessiné par Rouveyre ; un exemplaire du médaillon de Beyle par David, (David d’Angers27, pas le David28 l’odieux peintre de la Révolution et de l’Empire) ; une reproduction du La Tour par lui-même du Louvre29, cadeau de Rouveyre ; deux vieilles peintures dans de charmants vieux cadres ovales en bois doré, autre cadeau de Rouveyre ; une autre reproduction d’un masque de La Tour ; un médaillon en vermeil de Molière ; une assez jolie gravure ancienne de Boilly30, montrant deux êtres charmants au sortir de faire l’amour, (quand on est privé sous ce rapport, l’image du plaisir est une compensation) ; enfin, sur un rayon du petit casier à livres, devant les volumes, une photographie du portrait de Stendhal par Södermark31 et une photographie, au temps de sa jeunesse, de la créature fantasque qui m’a donné le jour. Mais tout cela n’est pas le plus beau. Le plus beau, le voici. Représentez-vous-le, si vous le pouvez. Sur ma table de travail, sur le petit bureau anglais, au milieu de la pièce, sur la cheminée, sur les piles de livres et de papiers de la vieille commode, de chaque côté du Diderot, sur le fauteuil, sur le tapis, par terre, auprès des deux chiens qui vivent avec moi au premier, (ils ne sont plus que deux aujourd’hui, depuis que le petit Singe et le cher Pataud sont morts), jusque sur ma chaise de travail, au point qu’il ne m’est pas toujours commode de m’asseoir : cinq, dix, quinze, vingt, trente chats, ou plus, selon le nombre auquel il prend fantaisie de venir me tenir compagnie. Représentez-vous cela, vous avez alors le tableau complet. Même quand elles s’écoulent dans ce que j’appelle mes mauvaises rêveries, que les soirées sont agréables que je passe là ! Que j’ai passé là, dans le travail, la lecture ou la songerie, des soirées qui m’ont enchanté ! C’est là que je vis, que je rêve, que je vieillis, que je me regarde vivre, rêver, vieillir32, là que je songe aux plaisirs que j’ai eus, à ceux que j’ai manqués, à ceux que je n’ai pas, à ceux que j’aurai peut-être ? là que je jouis, avec délices, du comique et de la bêtise de la vie. J’ai écrit là, aux premiers temps de mon installation, quelques-unes de mes chroniques de théâtre qui m’ont le plus amusé. Pendant ce temps-là, cette maîtresse dont j’ai parlé plus haut33 filait la romance, dans le voisinage, avec un bellâtre barbu sur le retour qui fut finalement le motif de son envolement. Quand je le découvris, ce ne fut pas drôle. C’est une vieille histoire, par laquelle nous passons tous. Nous croyons que nous n’aimons plus : nous oublions l’amour-propre. Qu’on nous trompe, il se réveille et la jalousie avec lui. Un moment je reconquis cette sotte. Mais elle était bien prise et elle récidiva. Je ne montrai plus alors que de l’indifférence, jusqu’au jour que ce fut à son tour d’avoir la surprise de recevoir son congé. Je ris de bon cœur quand je me rappelle cette aventure : je rendais compte de comédies, sans me douter que ces deux soupirants m’en jouaient une autre de leur côté. C’était bien le moins que j’aie quelques meubles. C’est du reste une chose dont on peut me féliciter : j’ai toujours tiré quelques profits des femmes que j’ai aimées. Ce qui est bien une preuve qu’elles m’ont aimé aussi. Il y a quelques années, je venais de faire, en me moquant, sans la moindre pensée de réussite, la conquête d’une femme34 adorable, — elles le sont toutes, au début ! — et c’est là aussi, dans cette pièce, pendant toute une soirée, que j’ai noté, en quelques pages, les petites étapes de ma conquête et ma surprise et mon plaisir de mon succès35. On ne devrait vivre que la nuit. Partout le silence. Tout dort. L’imbécillité humaine fait trêve. Comme les idées sont claires, la rêverie profonde, l’esprit actif, la sensibilité vive et éveillée, la solitude encore plus savoureuse ! Je ne rentre pas une fois chaque soir sans me le dire en mettant la clef dans la serrure de ma porte : « Quel bonheur de n’être attendu par personne, de ne trouver là ni femme questionneuse, ni enfants bruyants, ni parents empressés ! Non. Personne. Seul. Le silence. » Et pourtant, quelquefois, une belle catin libertine ?… Brune ! j’aime beaucoup les brunes. Blonde ! j’aime aussi les blondes. Rousse ! les rousses ne me déplaisent pas. L’une ou l’autre m’enchanterait !… Et je dis cela… Quand une occasion se présente, je la laisse passer. Je suis difficile, je suis timide, j’hésite, je réfléchis trop. Je me dis que ma vie sera dérangée, que je serai distrait de ma solitude, de mon travail, de ma rêverie. Il me faudra aller à des rendez-vous, écouter des paroles et en dire, faire pour plaire des choses qui me déplairont, peut-être ?… Le vrai, surtout, c’est qu’il n’en est qu’une au monde, la même que je viens de qualifier d’adorable. Je suis même, ce soir, très occupé à rêver à elle. Ces merveilleuses épaules, ces seins parfaits, ce visage si charmant quand il veut, ce corps resté si voluptueux, cette bouche si ardente aux baisers, cette admirable et spirituelle impudeur… et j’ajouterais bien… ce qu’il ne serait pas convenable d’ajouter !… C’est ma déesse ! Une déesse capricieuse, hélas ! et voyageuse. Juste à la plus belle saison pour faire l’amour, elle est absente36. J’en suis alors réduit à l’aimer en imagination… Baste ! la sagesse aussi a bien son charme. Je couche avec mes chats : le nombre remplace le genre. Ce que je perds en plaisir, je le gagne en tranquillité. Le caractère des femmes ne vaut pas toujours leur physique. L’amour ne va guère sans discorde. Orages du cœur, vous n’êtes pas du tout mon affaire ! Il m’arrive pourtant d’avoir de durs moments. C’est quand ma sagesse commence à me peser. Je regarde alors les femmes avec attrait et déplaisir. Un sein que je devine sous l’étoffe m’enchante et me fâche. J’ai envie de dire, comme Tartuffe : « Ah ! prenez ce mouchoir…37 » et en même temps j’ai grande envie de demander à voir un peu. Quand je retrouve ma déesse, comme je me rattrape ! Pendant quelques jours nous mettons doubles les baisers et le reste. Mais si je revenais à ma description. Les chats et les chiens comptés, moi compté, et la bonne38 comptée, qui vit de son côté au rez-de-chaussée, la maison est vide. Je vais, je viens à mon gré. Je me tais si je n’ai rien à me dire. Je me parle tout haut si j’ai à m’entretenir. Je m’assieds, je me lève à ma fantaisie. Je ne gêne ni n’ennuie personne. Personne ne me gêne ni ne m’ennuie. Et on peut sonner à la porte de la grille, là-bas, à une trentaine de mètres de la maison : on sonnera pendant des heures. Je n’attends jamais personne et jamais je ne réponds. Tout cela dit, qu’on se représente alors l’obligation d’aller au théâtre. Quitter cette maison tranquille, cet horizon silencieux, ce jardin touffu et libre, cette chambre où vivent encore tant de rêveries, ces livres, ces papiers, la chaise de Camille Doucet, ces excellents portraits de famille, le La Tour sous son verre et le Diderot sur sa commode, et la compagnie délicieuse de tous ces animaux aussi gracieux qu’affectueux ! Gagner Paris ! Parcourir des rues ! Aller s’asseoir dans un théâtre ! Se trouver là au milieu de gens venus on ne sait d’où, aux figures impossibles, aux physionomies respirant le néant le plus complet, qui tiennent de ces propos qui font regretter amèrement que les neuf dixièmes de l’humanité ne soient pas muets ! Et tout cela pour entendre des pièces, le plus souvent !… Heureusement que je sais en rire ! Quand je rentre d’un de ces spectacles remarquables à tant de titres, et que je retrouve, dans ma chambre à coucher, dans ma pièce de travail, même dans le jardin si la nuit est belle, ma compagnie à quatre pattes qui m’attend, je le lui dis : « Mes pauvres enfants, encore une riche soirée ! Ce n’était vraiment pas la peine que je vous quitte. Toutes bêtes que vous êtes, vous avez encore plus d’esprit que tous ces auteurs. » Je m’adresse au Diderot aussi, toujours attentif sur sa commode : « Mon cher maître, quelle époque ! Comme vous avez eu de la chance de vivre à la vôtre ! Époque délicieuse, charmante, la plus belle que le monde ait connue, la plus belle qu’il connaîtra jamais ! Le règne de l’esprit, de l’originalité, de la fantaisie ! On savait rire, se moquer, fuir les choses sérieuses, autant dire les choses bêtes, être libre autant qu’un homme peut l’être. Aucun sot respect. Rien de ces grands sentiments dont nous sommes si fiers. Comme patrie, le lieu où l’on avait des amis, où l’on était aimé, où l’on était heureux. Aucun souci de l’avenir. La journée qu’on vivait était toute la vie. « Après nous le déluge ! » quel grand mot profond dans sa frivolité ! Quelle légèreté, quelle clarté, quelle volupté dans les arts ! Quelle variété, quel pittoresque dans les individus ! Quelle facilité, quel agrément dans les mœurs ! Quel dédain des préjugés dans la société ! Et sous ces dehors de plaisir, de moquerie, de libertinage, de cynisme, quelle générosité, quelles qualités de cœur jointes à celles de l’esprit ! Quel temps fut plus libre, si la liberté c’est le courage dans les idées et la franchise dans la vie ? Comme on savait écrire, aussi ! de quelle manière prompte, nette, courte ! amusée, négligée, frondeuse ! si fine, si profonde, si sensible en même temps ! chaque phrase si près de l’idée, du sentiment, de la sensation ! Pas de couplets, pas de tirades, pas de grandes phrases. On ne pensait pas à la vertu. On ne songeait pas à enseigner. On ne découvrait pas le monde à chaque instant. On écrivait pour son plaisir, pour plaire, pour amuser, pour donner des nouvelles, conter une anecdote, raconter une aventure. On avait du talent sans y penser, de l’esprit sans le chercher. Un livre était une causerie, spirituel comme elle, aussi simple, aussi facile, aussi osé. On eût rougi de vouloir être utile, de vouloir convaincre, et de chercher, en écrivant, autre chose que son agrément. Et pour le public… les gens qui lisaient savaient lire, en ce temps-là ! Monde divers, piquant, vif, hardi, prodigue, impertinent, galant, indiscret, insouciant, malicieux ! Nous avons joliment changé tout cela. Quelle époque, Seigneur ! Quel monde de gribouilles ! L’apothéose de la bêtise et de la vulgarité. La société n’est plus qu’une vaste duperie, qu’on masque aux niais avec des discours. Tous les hommes façonnés sur le même modèle, dressés de bonne heure à la docilité. On parle des esclavages passés ? Quel temps en connut un comparable au nôtre ? Dieu commençait à s’user. Nous allions manquer de superstition. On nous a inventé une nouvelle idolâtrie, au nom de laquelle tout le monde aujourd’hui est guerrier. Il faut tuer, se faire tuer, quelque goût qu’on en ait, et si on refuse, c’est encore la mort. Ce qui n’empêche pas qu’on n’a jamais autant parlé de liberté. Il est vrai que tant de gens sont enchantés d’être des héros qu’il n’y a qu’à dire : Amen ! Que de merveilles aussi dans le domaine de l’esprit ! Nous avons chassé l’ignorance. Chacun sait lire et écrire. Les sots instruits sont devenus légion. Nous sommes, comme on dit, à une époque de lumières. Nous semblons nés d’hier et voir tout pour la première fois. À la place des arts, une perpétuelle pédagogie. Tout le monde aujourd’hui veut apprendre quelque chose à son voisin. On n’entend parler que de science, que de devoir, que de morale, que de progrès. Les solennelles niaiseries qu’on nous a inventées débordent partout. La littérature est devenue sociale, humanitaire, éducatrice, même pis : civique ! On enseigne, on prêche, on moralise, on catéchise. Et quant au style ?… c’est à croire que tous les cordonniers se sont mis à écrire. Avoir de l’esprit est subversif. Dire ce qu’on pense est inconvenant. N’écrire que pour son plaisir est immoral. Refuser d’être dupe de tant de sottises fait de vous un monstre. C’est un beau spectacle et vous perdez bien à être là, en terre cuite, sans pouvoir en jouir. Ne pas être amusant, ne pas être spirituel, ne pas être hardi, ne pas attirer l’attention, se taire ou ne parler que comme les autres, ressembler à son voisin par l’esprit comme on lui ressemble par le costume, être grave, fade, sérieux, moral, ennuyeux, pédant, prudent, soumis, bête comme tout le monde, ménager les gens, se taire sur ceux-ci, dire du bien de ceux-là, écrire pour ne rien dire, voilà le talent aujourd’hui. Que de gens que je connais n’en ont jamais montré d’autre ! Je pourrais faire bien des portraits. Celui-ci s’est mis en tête de vivre de sa plume et il écrit comme un menuisier débite des planches, plusieurs romans par an, des articles dans tous les journaux, véritable manœuvre littéraire, faisant encore sa cour à droite et à gauche pour pousser sa marchandise. Celui-là est aux gages39 d’un directeur de journal, mal payé, courant partout, écrivant sur commande, se soumettant sans broncher à une censure intéressée. Cet autre s’est juré40 à vingt ans d’être un jour de l’Académie et jugeant, dès lors, ce qu’il devait faire et ne pas faire, dire et ne pas dire, n’a pas manqué d’une ligne à son programme. Cet autre encore s’est dit41 que le plus sûr moyen qu’on lui trouve du talent était d’en trouver lui-même à tout le monde et il ne tarit pas d’éloges et de compliments sur le premier venu comme sur le dernier. Comme ils m’amusent quand je les rencontre ! Je m’arrête un moment à les regarder, sans en avoir l’air. Voilà encore un muet qui passe, me dis-je. Quel air content de lui ! Il a écrit dans tous les genres, traité tous les sujets, parlé de beaucoup de gens ! On lit son nom partout. Il a à son actif, pour le moins déjà dix volumes ! Qu’a-t-il dit ? Rien. Pas un mot. Tout ce qu’il a écrit pourrait se passer dans la Lune !… Et vous les abordez et ils vous parlent, c’est le même silence, la même prudence. Ce ne sont pas des écrivains. Ce sont des diplomates. Chut !… Où est le plaisir ?… Quelle chance j’ai ! Malgré les années, je n’ai pas vieilli par l’esprit. Cinquante ans bientôt, et je me moque encore plus des mêmes choses dont je me moquais quand j’étais jeune. Je ne suis pas devenu grave, prude, adroit, intéressé. J’ai gardé tout ce qui fait la jeunesse : la sensibilité, la passion… Plaire ou déplaire, qu’importe ! Je ne calcule pas. Je ne songe qu’à mon plaisir… Regarder, écouter, retenir, raconter, jouir de la comédie, être vrai !… J’aimerais mieux ne pas écrire, sans cela !… Vous-même, d’ailleurs, — et je m’adresse encore directement au Diderot, — vous n’avez pas été si brillant !… Vous avez gardé pour vous, pendant votre vivant, votre chef-d’œuvre. On ne l’a connu qu’après votre mort42. Vous auriez fait un excellent membre de l’Académie Goncourt, pour mettre, par peur, sous le boisseau, le Journal que vous auriez reçu mission de publier43. Et cette sensibilité que vous affichiez, cet amour de la vertu ?… Vous étiez encore une bonne âme !… » Ainsi je monologue, plus ou moins, amusé ou amer, selon mon humeur. J’ai des côtés de comédien. J’exprime très vivement sur ma physionomie, paraît-il, et de façon assez amusante, quand je parle, les sentiments, les circonstances, l’aspect de ce que je raconte. J’aurais fait, paraît-il, je n’en sais rien, on me le dit, un excellent acteur dans le genre comique, et je ne manque pas d’un certain brillant pour me moquer des gens et leur dire, en riant, des choses désagréables. Quand je rentre ainsi d’un mauvais spectacle et que je converse avec moi-même pour célébrer mon époque, c’est là, entre les quatre murs de ma chambre, mes chats autour de moi comme comparses, toute une petite scène que je me joue. J’en ai eu récemment deux belles occasions avec deux pièces jouées à l’Odéon, La Princesse, de MM. Paul Géraldy44 et Robert Laveline45, et Loyauté, de MM. Maurice Léon Kerst et Eugène Berteaux46. On n’imagine pas pareilles niaiseries, pareilles invraisemblances, et d’un ton à la fois aussi plat et aussi prétentieux. Ces messieurs savent ennuyer les gens, c’est une justice à leur rendre. Au théâtre même, j’en étais émerveillé au point de ne plus pouvoir bouger de mon fauteuil. Le soir de La Princesse, le rideau venait de tomber sur le deuxième acte, et je restais assis, plongé dans mon étonnement, quand je me sentis frapper sur l’épaule. Je me retournai, et je reconnus une jeune femme47 que je savais fort malade et en train de se soigner à Nice. « — Comment ? lui dis-je, vous êtes là ! Je vous croyais dans le midi ? — Ne m’en parlez pas, me répondit-elle, faisant allusion aux mauvaises heures passées. Je l’ai échappé belle. Je devrais être au cimetière. — Au cimetière ! répliquai-je. Mon Dieu ! ce ne serait pas plus triste qu’ici. »

Qu’on ne dise pas maintenant que tout ce qui précède ne touche en rien au théâtre et n’a pas sa place dans une chronique dramatique. J’ai, au contraire, comme toujours, et même mieux que toujours, rempli mes fonctions. J’ai rendu compte d’une pièce : ma pièce préférée.

Septembre 1919.

Excelsior et L’Œuvre du deux septembre 1919

Le lecteur intéressé peut télécharger ci-dessous un scan exact de ce numéro quarante-six des Amis d’Édouard, paru en mars 1923.


1       Pour la librairie, lire dans la page Paul Valéry III, à la journée du 21 avril 1926, la description de la librairie Champion.

2       Journal littéraire de Paul Léautaud au seize mai 1924 : « Il exagère un peu. Champion tire à 200 exemplaires. Il vous en donne 80. »

3       Note supprimée.

4       André Rouveyre (1879-1962), dessinateur de presse, journaliste et écrivain. C’est la première fois que PL évoque André Rouveyre. Au cours d’un de ses entretiens avec Robert Mallet, PL dira qu’il a connu AR « Au Mercure, dans le salon de Mme Rachilde. » C’est peut-être ce 17 novembre. Dans La Terrasse du Luxembourg, André Billy écrira : « André Rouveyre, dont tous les journaux reproduisaient de petites bonnes femmes en chemise courte, au sourire largement fendu. Je ne me doutais pas que ce garçon barbu, à monocle, dont j’enviais la désinvolture, serait vingt-cinq ans plus tard mon plus intime ami. » André Rouveyre est le fils du libraire et éditeur Édouard Rouveyre (1849-1930). Pour une biographie plus détaillée, voir notamment la Correspondance entre André Gide et André Rouveyre éditée et annotée par Claude Martin, Mercure de France 1967, 286 pages. Voir aussi Louis Thomas : André Rouveyre, Les Bibliophiles fantaisistes, Dorbon-Aîné, 1912, 127 pages.

5       Il s’agit d’un extrait, à peine enrichi, de la chronique du 1er octobre 1919.

6       Marcel Schwob (1867-1905), naît dans une famille de lettrés fréquentée par Théodore de Banville et Théophile Gautier. À la naissance de Marcel, son père, Georges, revient d’Égypte où il était chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Élève brillant, Marcel intègre le lycée Louis-le-Grand, où il se lie avec Léon Daudet et Paul Claudel. En 1900, il épouse l’actrice Marguerite Moreno.

7       Henri de Régnier (1864-1936) a épousé en 1895 Marie, la deuxième des trois filles de José-Maria de Heredia, elle-même poète sous le nom de Gérard d’Houville. À partir de 1897, Marie fut la maîtresse en titre de Pierre Louÿs, ami d’Henri de Régnier. De cette liaison naquit Pierre, qui prit le nom de Régnier et eut Pierre Louÿs comme parrain. Henri de Régnier fut élu à l’Académie française en 1911.

8       Voir Le Cri de Paris du six juillet 1919, page onze.

9       L’aimable Paul Géraldy (Paul Lefèvre, 1885-1983), a été un poète et auteur dramatique à la mode, qui n’a duré qu’un temps.

10     Représentée au théâtre de l’Odéon le deux août 1919.

11     Le Figaro du trente juillet 1919 (page quatre, colonne deux) indique malicieusement que « Maurice Léon Kerst et Eugène Berteaux appartiennent tous deux à l’administration des Beaux-Arts. » Il donne aussi cette biographie de Maurice Léon Kerst : « M. Maurice Kerst, fils du regretté critique dramatique du Petit Journal, fut pendant cinq ans le secrétaire particulier de notre cher Henry Rougeon, alors directeur des Beaux-arts. Il a écrit divers ouvrages dramatiques, romans et nouvelles et plusieurs volumes de vers, dont le dernier, en voie de préparation, sera, croyons-nous, très remarqué. »

12     Ce même Figaro, à la même place, toujours très lustreur de bottines, écrit « M. Eugène Berteaux, conservateur des Monuments de Paris depuis 1911, donna, en 1908 à l’Odéon, la Voix frêle, un acte émouvant qui obtint un vif succès, puis fit représenter sur d’autres scènes, et notamment au Grand-Guignol, les Reliques, le Diplôme, le Puits no 4. Il est également l’auteur des Poèmes d’Armor et d’un drame en cinq actes, Altaïr, en collaboration avec M. Louis Brisset, enfin un autre drame lyrique en deux actes, Cryséis, musique de Charles Tounemire, que M. Rouché a entendu et retenu pour l’Opéra. »

13     Charles Méré (1883-1970, plusieurs fois président de diverses sociétés d’auteurs, a écrit une quarantaine de pièces de théâtre, dont aucune n’est resté dans les mémoires. Maurice Boissard a chroniqué cinq d’entre elles.

14     Ce texte présente la particularité de n’être que sur deux paragraphes, le second de six lignes.

15     Charles-Joseph Lamoral, 7e prince de Ligne (1735-1814), diplomate et homme de lettres belge de langue française.

16     Journal littéraire au 25 février 1945 : « … le correcteur de la N.R.F., pour les épreuves finales du volume, avait cru devoir m’en signaler, celle-ci entre autres : “Une maîtresse que j’avais avait la passion du mobilier.” Le fait est que ces deux avais avait ! Je l’en ai remercié en lui disant que je m’en moquais. »

17     Dans l’émission de télévision « Bonnes adresses du passé » sur Paul Léautaud diffusée le deux février 1970, Robert Mallet dira : « j’ai eu la chance de pouvoir recueillir les meubles abandonnés de Léautaud […] notamment les deux tables où il a écrit son Journal et que l’on voit maculé de taches d’encre, de ces taches d’encre faite avec sa plume d’oie qu’il brandissait nerveusement et qu’il secouait carrément sur la table sans souci de la table si bien que cette table est une véritable relique car on la voit maculée de cette encre noire qui correspondent à quinze mille pages de journal. »

18     Journal littéraire au cinq janvier 1897 ; « J’ai acheté, chez un antiquaire de la rue Mazarine, pour pas cher, une chaise de travail assez jolie. Provient de la vente Camille Doucet. » Camille Doucet (1812-1985) n’a aucun rapport connu avec le couturier Jacques Doucet. Poète et auteur dramatique bien oublié, Camille Doucet, fils d’avoué, a commencé — comme Paul Léautaud — une carrière de clerc d’avoué avant d’être nommé administrateur des théâtres en 1863, sous Napoléon III. Malgré la férule du monarque, Camille Doucet a été un grand protecteur des théâtres. Il a été élu à l’Académie française en 1865 au fauteuil d’Alfred de Vigny, ce qui lui alla bien, puis secrétaire perpétuel en 1876 à la mort du professeur Henri Patin.

19     Hélène Léautaud (1865-1882), fille de Fanny et de Firmin, morte de la fièvre typhoïde à l’âge de seize ans.

20     Maurice Léautaud (1884-1961), fils de Firmin et de Louise Viale.

21     Jacques (1885-1967) et Aline (1890-1978), enfants du médecin suisse Hugues Oltramare et de Jeanne Forestier, mère de Paul Léautaud. Voir l’arbre généalogique.

22     Voir la page Paul Léautaud et sa mère.

23     Georges-Émile Lemarquis, administrateur judiciaire, trois, rue Louis-le-Grand, entre l’opéra et la Comédie-Française. L’immeuble et sa belle porte cochère existent encore.

24     Journal littéraire au 18 octobre 1944 : « mon petit bureau Maple, cadeau de mon collègue Gilon de l’étude Lemarquis. »

25     Antoinette Pessonneaux, née en 1819, mère de Jeanne et Fanny Forestier. Cette partie du texte est assez différente de la chronique dramatique dont elle est issue, où la famille n’est pas évoquée.

26     Lettre à Marie Dormoy datée du 15 mai 1942, à propos des corrections du second volume des chroniques dramatiques : « Rendez-moi le service de regarder (Dictionnaire) si le mot friperie ne peut pas s’appliquer à la fatigue du visage par les années — ou si le mot fripage existe. Je trouve si bien : la friperie des années. Vous me direz cela dimanche. » Paul Léautaud, qui a toujours affirmé qu’il n’avait nul besoin de dictionnaire — ce qui est en partie vrai — ne travaillant plus au Mercure de France depuis 1941, n’avait plus accès au Nouveau Larousse illustré (sept volumes, paru à la fin du XIXe siècle) qu’Alfred Vallette avait fait acheter.

27     Pierre-Jean David, dit David d’Angers (1788-1856), fils d’un artisan sculpteur local (Angers). À Paris en 1808, il commence comme apprenti par des travaux d’ornements de l’arc de triomphe du Carrousel en cours d’achèvement. Le peintre Jacques-Louis David, fustigé ici par Paul Léautaud, le prend comme élève. Pierre-Jean David obtient le prix de Rome en 1911. En 1926 il est nommé professeur à l’école des Beaux-Arts. « Beyle » est évidemment Stendhal.

28     Jacques-Louis David (1748-1825) a étudié à l’académie royale de Peinture et obtenu le prix de Rome en 1774 après deux autres essais, ce qui lui ouvre un séjour de quatre années à l’académie de France de Rome. En fait Jacques-Louis David ne rentrera à Paris qu’à la fin de 1880 pour ouvrir son propre atelier d’enseignement quelques temps après. Il est reçu membre de l’académie à l’été 1883. Ses expositions le font considérer comme le chef de file de la peinture néoclassique, a l’opposé du style précieux ou libertin qui prévalait encore. Le Révolution survenant, Jacques-Louis David y prendra part activement par ses actions et par plusieurs toiles, comme son Marat assassiné de 1793. Le premier empire ne l’a pas vu moins enthousiaste avec Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard de 1800 ou, évidemment son immense Sacre de Napoléon de 1808.

29     Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), portraitiste et pastelliste. On se souvient notamment de son portrait de Louis XV, présent dans tous les livres d’histoire. Maurice-Quentin de La Tour figurait sur nos billets de 50 francs dans les années 1980 et 1990 avant de faire place à Antoine de Saint-Exupéry. PL précise « du Louvre », ce qui laisse tout de même place à deux autoportraits, le premier étant un pastel sans date (1755-1760) où MQLT apparait en chemise bleue, bras croisés. Le second est l’autoportrait dit « À l’index » où MQLT apparaît plus souriant encore.

Maurice Quentin de La Tour – Les deux autoportraits du Louvre

On ne confondra pas Maurice-Quentin de La Tour avec son illustre devancier Georges de La Tour (1593-1652) et son Tricheur à l’As de carreau ou son Saint Joseph, patron des charpentiers, tous deux visibles au Louvre.

30     Louis-Léopold Boilly (1761-1845), a commencé comme peintre décorateur, spécialiste du trompe l’œil pour les intérieurs bourgeois d’Arras mais à l’âge de 24 ans, a préféré s’installer à Paris. Pour vivre, il s’adonne à la peinture galante… et un peu plus. C’est vraisemblablement une de ces gravures (lithographie ?) que possède Paul Léautaud. Mais la pratique de cet art est condamnée et pour éviter la prison, L.-L. Boilly se tourne vers la peinture de genre, de scènes parisiennes et bien entendu de portraits. Ce changement d’orientation et le talent de l’artiste sont suffisants pour que LLB devienne membre de l’institut en 1933. Voir Étienne Bréton et Pascal Zuber, Louis-Léopold Boilly, 1761-1845. Le peintre de la société parisienne de Louis XVI à Louis-Philippe, Arthena, décembre 2019, 1007 pages. On ne confondra pas Louis-Léopold Boilly avec son fils, Julien Léopold Boilly (1796-1874), lui aussi peintre et surtout graveur.

31     Olof Johan Södermark (1790-1848), peintre et sculpteur suédois. Journal littéraire au huit avril 1906 : « Passé la fin de l’après-midi chez Gourmont avec Paupe. J’ai donné à l’un et à l’autre un exemplaire du portrait de Stendhal par Södermark reproduit dans l’Art et les Artistes, l’année dernière, et dont je m’étais fait faire un petit tirage. Il ne m’en reste plus que deux. Je les garde pour moi. »

32     En 1919, date de parution de cette chronique, Paul Léautaud a 47 ans.

33     Blanche Blanc.

34     Anne Cayssac, qui a remplacé Blanche Blanc au début de 1914

35     Voir de début de la chronique dramatique du seize mars 1914 : « Là, entre les quatre murs de ma chambre, dans le silence de la nuit, devant mon papier, à la lumière de mes bougies, je pense à moi, à ma vie, à mes souvenirs, à la merveilleuse aventure qui m’arrive »…

36     Anne Cayssac allait tous les ans passer la belle saison dans sa maison de Pornic. Cette phrase est absente de la chronique dramatique.

37     Tartuffe, acte III, scène II : « Tartuffe. (Il tire un mouchoir de sa poche.) / Ah ! mon Dieu, je vous prie, / Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir. / Dorine. / Comment ? / Tartuffe. / Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. / Par de pareils objets les âmes sont blessées, / Et cela fait venir de coupables pensées. »

38     Cette bonne n’avait pour raison d’être que de s’occuper des animaux. Sans cela Paul Léautaud s’en serait fort bien passé.

39     Lettre à Marie Dormoy du deux décembre 1943 : « Je continue mes indications pour les Chroniques : Page 97 : Celui-là est aux gages : Billy. »

40     Lettre à Marie Dormoy du deux décembre 1943 : « Je continue mes indications pour les Chroniques : Page 98 : Cet autre s’est juré : Gregh. »

41     Lettre à Marie Dormoy du deux décembre 1943 : « Je continue mes indications pour les Chroniques : Cet autre encore s’est dit : Je ne sais plus. »

42     Plusieurs ouvrages de Denis Diderot — comme de très nombreux auteurs — sont parus à titre posthume. On peut citer notamment La Religieuse, paru chez François Buisson en octobre 1896, douze ans après la mort de Denis Diderot et son Paradoxe sur le comédien qui paraîtra en 1830 chez le jeune Auguste Sautelet.

43     Allusion au fait que l’académie Goncourt a mis des années avant de publier une édition — tronquée — du Journal des Goncourt alors qu’elle en avait l’obligation par le testament d’Edmond.

44     La chronique dramatique proprement dite commence donc ici. Elle va être vite expédiée. Paul Géraldy (1885-1983), publie son premier recueil de poésie, Les Petites Âmes, en 1908, et connait un très grand succès populaire avec son second recueil, Toi et moi, en 1912. Son théâtre est un théâtre psychologique traditionnel dans lequel il met en évidence les relations familiales au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle de l’entre-deux-guerres. Maurice Boissard a chroniqué trois de ses pièces sans en dire trop de mal et a même cité quelques-uns de ses vers. Mais Paul Léautaud ne l’a jamais cité dans son Journal. La Princesse, en quatre actes, a été créée à l’Odéon à la rentrée 1919.

45     Ce Robert Laveline, désigné sous la graphie Lovelin dans de nombreux journaux comme cet Excelsior du deux septembre, n’a laissé de traces sous aucun de ces deux noms. Il est arrivé à certains auteurs dramatiques de créditer le nom d’un ami dans le besoin afin de le faire profiter d’un versement de droits d’auteur par le théâtre puis par l’éditeur. Le cas le plus célèbre est celui de cet excellent Octave Mirbeau qui a crédité son ami Thadée Natanson de co-auteur de sa comédie Le Foyer en décembre 1908.

46     Eugène Berteaux (1876-1948), auteur dramatique et librettiste. Eugène Berteaux a publié ses souvenirs sous le titre En ce temps-là aux éditions du Bateau ivre, agrémenté d’une préface de Jean Cassou (1946, 310 pages). Cet ouvrage contient de nombreux souvenirs sur des compositeurs ou instrumentistes.

47     Lettre à Marie Dormoy du deux décembre 1943 : « Je continue mes indications pour les Chroniques : Page 99 : Je reconnus une jeune femme : La petite Madame Dupont, morte depuis. » Voir aussi le JL au 4 juin 1946, le paragraphe « Complément sur Albertine » : « Elle était avec moi à l’Odéon le soir de ces deux pièces : Loyauté et La Princesse, et c’est en sa présence que je fis à la petite Mme Dupont, qui venait d’être si malade dans le Midi, la réplique qui termine la chronique dans laquelle je parle de ce spectacle. Voir aussi le Journal littéraire au 11 juin 1946.