Les Lettres de Fagus

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C’est un message de Maxime Hoffman qui a été le déclencheur de cette page, qui lui est donc dédiée. Si l’on aime Léautaud, on aime Fagus. La page « Fagus en 1925 », incomplète, a naturellement entraîné cette publication complémentaire à propos de ce petit volume de 84 pages.

Bien des gens ne lisent pas les préfaces ou alors quand, après avoir fermé le livre, il est encore un peu tôt pour éteindre… C’est dommage. Elles sont souvent pénibles mais instructives. Celles de Paul Léautaud sont factuelles. Lisons-en la première page :

Une partie de ces lettres a paru dans les Nouvelles littéraires, en I924(1), par mes soins. Si Fagus a donné son consentement pour le présent volume, il ne s’attendait pas à cette première publication. C’était une vengeance que j’exerçais à son égard. N’avait-il pas eu l’idée, grâce à ses relations dans les journaux, de faire de moi un candidat à l’Académie Goncourt, à propos d’une vacance qui venait de s’y produire2 ? On sait qu’on n’entre guère aujourd’hui à l’Académie Goncourt qu’aux environs de soixante-quinze ans. Tout juste à peu près pour mourir. C’est, littérairement, une sorte de caveau provisoire. Mes admirateurs, mes admiratrices surtout, — car j’espère bien que j’en ai quelques-unes, — qui ne me connaissent pas, allaient me prendre à distance tout à fait pour un vieillard ? J’ai trouvé ce jour-là que Fagus avait un peu exagéré. Je le lui dis à notre première rencontre : « Je me vengerai, mon cher. Je publierai les lettres que j’ai de vous. » Il se campa devant moi, en caressant sa barbe : « Je vous en défie ! » Je tins le défi. Hélas ! ma vengeance me resta pour compte. Quand parurent les Nouvelles contenant ses lettres, je rencontrai Fagus. Il m’aborda. « Hé ! hé ! me dit-il. Vous avez vu les Nouvelles ? Ce numéro est fort intéressant. »

Ces vingt-six lettres s’étalent sur cinq ans, de janvier 2022 au « Dimanche de Pentecôte » cinq juin 1927

Voici le petit mot de Maxime :

En bon chineur de Paul Léautaud — on connaît aujourd’hui ma passion pour cet auteur —, une alerte internet m’a signalé l’arrivée de cet exemplaire de Fagus sur un site de vente en novembre 2022.

Chaque objet contenant le nom de Léautaud m’est averti par notification que mettent en place certains sites spécialisés (on reconnaitra/admirera/fustigera le fanatisme dont je fais preuve une fois de plus ici. Néanmoins je l’assume ouvertement).

Cet exemplaire, que je n’avais pas encore, m’intéressait doublement par son truffage manuscrit de Fagus, livre qu’il a corrigé avant de l’envoyer à André Thérive, très populaire à cette époque. Il serait intéressant de rechercher si une édition ultérieure eue été née, afin de comparer les annotations manuscrites des corrections de cet exemplaire de l’année 1928.

Quoi qu’il en soit, de par la conjoncture complexe depuis X années, le vendeur (pro) a consenti à une offre. La couverture était en effet assez fragilisée. Je l’en remercie.

Cet ouvrage a donc rejoint, aujourd’hui, mon totem Léautaud.

Maxime Hoffman

* * *

Les livres anciens ont vécu, c’est là leur intérêt et leur défaut. De la librairie du boulevard à la brocante (du boulevard), de l’étagère à l’héritier, du libraire d’occasion (le mot occasion s’appliquant parfois davantage au libraire qu’au livre) au collectionneur, du collectionneur aux héritiers encore… Ce vieux bouquin qui sent le moisi parvient dans les mains d’un grand benêt tout ému au cœur palpitant, aux mains qui tremblent. L’émotion est presque aussi grande au vieillard que la première fille à l’adolescent. Il lui a coûté autant qu’un repas au Grand Colbert. Le livre est plus ancien encore que le pauvre homme balbutiant. Ce livre a aussi une histoire et cette histoire se lit comme sur un visage ancien.

De ce côté le jeune Maxime a été servi, son exemplaire a quelque chose d’une tombe égyptienne et ses divinités funéraires. Ça commence avant le faux-titre avec la reproduction d’un texte :

Il s’agit de la copie d’un fragment d’article médical dont on peine d’abord à comprendre la pertinence, à cet endroit. Signé G. H. pour Ghislain Houzel, il est fort bien écrit. À chacun ses enthousiasmes, regrettés le lendemain matin.

Afin d’être inutilement complet, voici le texte tel qu’il est paru dans L’Ami du peuple du treize novembre 1928. La moitié de la page cinq est réservée au toubib.

Dans cet extrait Ghislain Houzel évoque le lexicographe Valentin Conrart (1603-1675) et l’on imagine que c’est ce qui a séduit Fagus.

La page faisant face est celle du faux-titre, sur laquelle Fagus a déposé sa dédicace à André Thérive3, que les léautaldiens connaissent bien. Cette dédicace est ainsi libellée :

À André Thérive, confident de ruelle de M. Guez de Balzac*, Fagus, simple voisin de rue de l’autre (Honoré).

C’est là qu’on aperçoit l’étoile. En fait la page gauche est une note de la page de droite. Fagus opérait parfois des rapprochements élaborés et l’on croit comprendre alors qu’il s’agit d’un rapprochement entre Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654) et son voisin de fauteuil Valentin Conrart, de six ans son cadet.

Rapprochements élaborés et parfois hasardeux, comme celui entre Jean-Louis Guez de Balzac et Honoré.

Le bas de cette page de faux-titre est plus intéressant et indique que l’exemplaire de Maxime a été corrigé de la main de Fagus. On n’ose penser au prix de l’objet, ristourne ou non.

On se souvient que la même mésaventure est arrivée à Paul Léautaud qui a corrigé à la main tous ses envois.

Dans l’édition de ses Lettres par René-Louis Doyon brave homme mais éditeur amateur, Fagus a relevé six fautes, dont celle de la page 63 :

Il est temps maintenant de donner à lire cette brochure des Lettres de Fagus à Paul Léautaud, non dans l’exemplaire numéro 55 de Maxime mais dans le numéro 96, bien moins prestigieux.

Notes

On lira avec intérêt le dossier de Jean-Louis Meunier : « Autour d’un hommage à Paul Léautaud — Paul Léautaud et Jean Loize » dans le numéro trois des Cahiers Paul Léautaud (pages 5-24).

1       Dans les numéros des 18 et 25 juin 1925.

2       Il y avait deux vacances, à l’Académie Goncourt. Celle, assez ancienne, d’Émile Bergerat, mort en octobre 1923 et celle d’Henry Céard mort en août 1924. Émile Bergerat a été remplacé au septième couvert le 29 octobre 1924 par Raoul Ponchon et Henry Céard a été remplacé au deuxième couvert 21 jours plus tard, le 19 novembre, par Pol Neveux.

3       André Thérive (Roger Puthoste, 1891-1967) utilise plusieurs autres pseudonymes. Agrégé de Lettres en 1913, André Thérive est, après avoir fait quatre années de guerre, professeur au collège (privé) Stanislas de la rue Notre-Dame-des-Champs. Il a obtenu le Prix Balzac (Bernard Grasset) en 1924. En 1926 il est critique littéraire à la Revue critique des idées et des livres et à L’Opinion. En 1929, André Thérive tient la rubrique des « Consultations grammaticales » des Nouvelles littéraires et il succède à Paul Souday comme critique littéraire au quotidien Le Temps.

La couverture

Le lundi matin suivant cette parution du quinze septembre 2023, la messagerie carillonnait à l’heure où les ouvriers embauchent dans les usines. Ces retraités, quelle pêche !

Jean-Luc Souloumiac trouvait singulier qu’aucune mention de la luxueuse couverture de cette édition n’ait été portée à la connaissance des lecteurs de cette page.

Quelle couverture luxueuse ? Le bouquin, tel que recueilli dans le point-relais-épicerie du quartier, avait été précieusement conservé sous sa couverture de cellophane d’autant qu’il ne tenait pas tout seul. Alors, bien sûr les délicatesses du rempliement étaient restées sous le plastique. Honte sur notre front et tout ça.

En faisant glisser avec délicatesse cette armure protectrice apparaît en effet la délicatesse de la réalisation et surtout son originalité. Ce n’est pas, comme on avait pu le croire — et qui était courant dans les années vingt et suivantes — une couverture dite rempliée mais un allongement qui entourait le livre pour en atteindre le dos et se glisser dans une fente.

Bien sûr, on s’était bien demandé, pour la fente, sans comprendre.

La couverture, une fois repliée de cette manière, donne ceci, qui, nous dit Jean-Luc, « se présente ainsi comme une enveloppe qui contiendrait les lettres » :

On comprend mieux, maintenant, l’inscription « Recommandé » en haut à gauche de la quatrième page de couverture.

L’ensemble se glissait dans un étui en papier cristal.

Comme cet étui n’a pas été livré avec notre exemplaire, il va falloir réinsérer délicatement ces pages en décomposition dans la protection de cellophane du vendeur…