Villégiature

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La première chronique dramatique de Paul Léautaud aux Nouvelles littéraires est parue dans le numéro du quatorze avril 1923 comme une gifle à La Nouvelle revue française, qu’il venait de quitter1.

Entre ce quatorze avril et le vingt octobre 1923, Paul Léautaud a écrit huit chroniques dramatiques pour Les Nouvelles littéraires, qui, contrairement à La NRF, est un hebdomadaire. La première chronique a été celle refusée par La NRF à propos de la comédie de Jules Romains Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche.

À ces huit chroniques dramatiques des Nouvelles littéraires2 il convient d’ajouter les deux lettres « À messieurs les directeurs des Nouvelles littéraires », qui ont été ensuite réunies en 1925 pour constituer le très mince3 ouvrage Villégiature (suivi d’Un livre sur Paris).

La première fois que nous lisons le nom de Marcel Lebarbier (né en 1894, professeur, poète et éditeur) dans le Journal littéraire de Paul Léautaud est le douze juillet 1925 :

Il faut aussi que je m’occupe de compléter la matière du petit volume que doit me publier Marcel Lebarbier, de Lisieux, dans une collection de luxe qu’il va faire paraître. Je lui ai déjà remis les deux feuilletons des Nouvelles littéraires sur Pornic. Ce n’est pas assez long. Il faut que je lui trouve quelque chose pour grossir.

Ce « quelque chose pour grossir » prend forme dans une lettre à Marcel Lebarbier :

J’ai été occupé tous ces jours-ci. Je n’ai déjà que très peu de loisirs. Je vous enverrai d’ici une huitaine ce qu’il faut pour compléter la plaquette. J’hésite entre deux choses que j’ai publiées dans le Mercure : Un livre sur Paris (sorte de préface descriptive à un livre sur Paris), 5 pages de la Revue de la Quinzaine, ou un récit autobiographique : Souvenir4, 11 pages de la même revue de la Quinzaine du Mercure.

J’ai toutefois besoin de les mettre en état définitif.

Puis, le dix août :

Je suis en retard. Le second morceau n’est pas encore prêt. J’ai dû m’absenter pendant une semaine. J’ai deux feuilletons à préparer pour les Nouvelles. Je m’y mettrai aussitôt après. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas. Plutôt que de vous causer le moindre retard dans l’établissement de ce volume, nous mettrions ce second morceau tel qu’il est. Mais je pense bien que, pour paraître en novembre, comme vous me l’avez dit, vous n’avez pas besoin de plus d’un mois pour la fabrication.

La question copyright m’est indifférente. Faites comme vous voudrez.

Je viens d’envoyer les deux textes à M. Constant Le Breton5.

Voici le texte entier de ce petit livre, paru le sept février 1925. À la fin du texte (mais avant les notes) le lecteur trouvera un lien lui permettant d’en télécharger un scan exact.

Début du texte tel qu’il est paru dans Les Nouvelles littéraires du 18 août 1923

Villégiature
Lettre à messieurs les directeurs des Nouvelles littéraires

Je suis allé passer quelques jours au bord de la mer, à P…6, en Bretagne, aux confins de la Vendée. Je fais ce voyage chaque année, depuis dix ans, pour accompagner une petite société de chats qui vont passer l’été là-bas dans la propriété de leur maîtresse. C’est un voyage de douze heures, et me trouver en chemin de fer un tel temps est pour moi un supplice. Je vous assure pourtant qu’on est bien payé de ses peines quand on arrive au chalet, qu’on pose les paniers dans le jardin, qu’on les ouvre, qu’on voit les chats sortir la tête, se reconnaître aussitôt et se mettre à prendre leur course, à grimper aux arbres, à retrouver chacun son coin habituel, comme s’ils se disaient : « En voilà pour quatre mois de bonheur7 ! »

Le voyage a encore d’autres plaisirs. La façon de voyager, d’abord. Quand je songe qu’il y a de grands auteurs, et riches, qui voyagent en première classe, et sans payer, grâce à des passes de chemin de fer qui leur sont données. Moi qui ne suis qu’un petit auteur et pour qui l’argent compte, j’en suis réduit à voyager en troisième classe, et en payant. C’est la justice d’ici-bas.

Ensuite, la compagnie du voyage. Être seul, Seigneur ! être seul partout. Être seul dans son bureau, être seul chez soi, être seul dans la rue, être seul au théâtre, être seul surtout en troisième classe de chemin de fer ! Pour ce dernier point, c’est décidément un rêve. Nous avions avec nous, cette fois-ci, une excellente grand’mère, qui menait sa petite-fille passer un mois à la mer. La petite-fille s’appelait Ninette. Je ne sais pas combien de fois cette excellente grand’mère lui a dit ceci : « C’est Ninette qui fera joujou demain à la plage. » Combien de fois ? Voyons. On peut faire le compte approximativement. Ninette a bien été trois heures avant de s’endormir. Elle s’est bien réveillée trois heures avant l’arrivée. Cela fait six heures pendant lesquelles elle est restée éveillée. Donc, six heures pendant lesquelles la grand’mère lui a répété ce propos. À une fois chaque quart d’heure, c’est-à-dire quatre fois par heure, cela fait vingt-quatre fois, et je reste certainement au-dessous. Entendre vingt-quatre fois une grand’mère dire à sa petite-fille : « C’est Ninette qui fera joujou demain à la plage ! » Il faut avoir une patience de bronze pour ne pas se jeter par la portière, ou pour ne pas y jeter la grand’mère avec sa petite-fille, ce qui serait évidemment préférable. Je tremblais que ces deux créatures aillent comme moi à P… Je me voyais rencontrant chaque jour, sur la route, la grand’mère, avec sa petite-fille, lui disant le même propos un peu modifié : « C’est Ninette qui va faire joujou à la plage ». La vie n’aurait pas été possible. J’aurais été obligé de m’enfermer, de ne pas sortir. Heureusement, elles allaient à Préfailles. Je l’appris aux environs de Segré8. J’eus un poids de moins.

Peut-on me dire aussi pourquoi tout est si mauvais dans les buffets des gares ? Pourquoi n’y peut-on rien trouver de satisfaisant : depuis le pain jusqu’au café9 ? Une tasse de café possible, quand on passe une nuit en chemin de fer, cela serait délicieux. Pourquoi est-il partout si mauvais ? Personne ne répond ? Passons.

Je ne suis pas à P…, précisément. Je suis à G…10, une sorte de grand plateau bordé par la mer, et séparé de P… par un petit port. Un pont relie G… à P…. G… est un endroit assez insignifiant. Imaginez un vaste terrain plat, sur lequel on a posé çà et là des chalets, et planté une végétation de circonstance. Une affreuse chapelle complète le tout, sans qu’on sache pourquoi, personne ne la fréquentant11. Aucun pittoresque, aucun intérêt, un ensemble tout artificiel. Il n’y a guère que la vue des vieux moulins, du côté du Clion12, avec leurs ailes en ruines, qui donne un peu de charme. Naturellement, les bourgeois s’extasient. Ils trouvent cet endroit « joli ». Il faut se méfier de l’appréciation des bourgeois quand ils trouvent quelque chose « joli » ou « distingué ». C’est généralement hideux. Les bourgeois n’ont que le goût du chromo. G… est, en effet, un chromo assez réussi. Tout a l’air d’y avoir été passé au vernis la veille. Je vous assure que la vallée de Chevreuse a cent fois plus d’attrait, et, pour ma part, j’aime mieux la rue Vivienne ou les galeries du Palais-Royal.

Je loge dans un grenier, encombré de vieux meubles, d’outils de jardin, d’ustensiles de ménage au rebut, de vieux papiers, de sacs à pommes de terre, de malles, de chaises et de fauteuils empilés les uns sur les autres, de tapis roulés là à l’abri de l’humidité, de pots à confitures qui attendent leur emploi. Un vrai bric-à-brac. Il faut enjamber mille choses pour faire un pas. À peine un petit coin pour une petite table sur laquelle écrire ou poser un livre. Je passe mon temps là, quand je ne suis pas en commissions, ou quand un petit travail à faire ou l’heure des repas ne m’appellent pas en bas, chez la maîtresse du lieu. Je pense à Paul-Louis13 dans son grenier de La Chavonnière, encombré de sacs de blé et d’avoine, de débris de meubles, plein de poussière et de toiles d’araignées, sa « boutique à grec », comme il disait, logeant là ses quinze cents ou deux mille volumes, avec un matelas sur quelques fagots et une petite table sur laquelle il écrivait ses pamphlets. J’écris là cette lettre, morceau par morceau, au fur et à mesure de mes impressions.

Je suis arrivé tard14. Ce sont les derniers jours agréables. Je l’entends pour l’isolement et la tranquillité. Les chalets voisins ne vont pas tarder à être occupés. Cela commence déjà. Les gribouilles en vacances vont bientôt affluer, avec leurs cancans, leurs bavardages, leurs allées et venues, leurs rires, tout leur bruit stupide et leur odieuse animation. Déjà, dans mon grenier, je suis obligé, par moments, de fermer la porte pour ne pas entendre le caquetage des premiers arrivants. Il faut venir ici dans les premiers jours de juin, quand il n’y a encore personne, ou dans les premiers jours d’octobre, quand tout le monde est parti. En pleine saison, avec la manie de chaque propriétaire de chalet d’avoir des locataires, c’est une vraie foire. Mieux vaut rester chez soi. On ne va pas à quatre cent cinquante kilomètres pour retrouver les gens de la Bourse.

Par-dessus le marché, la guerre, qui a embelli tant de choses, a embelli aussi ce petit pays de G… On n’y voyait presque personne, auparavant. Seuls, les propriétaires de chalets venaient y passer la saison. On pouvait y ajouter quelques baigneurs, gens aisés, paisibles, qui tenaient peu de place. G… était plutôt un endroit peu fréquenté. Dès les derniers mois de 1914, ce fut une affluence de nouveaux venus de tous les genres15. Elle s’est continuée, ou à peu près. Des gens qui étaient venus là, au hasard, pour se mettre à l’abri des dangers de la guerre ou chassés de chez eux par l’invasion, y ont pris goût et reviennent chaque année. Une colonie de vacances populaires s’y est en outre installée, remplissant d’animation ce quartier du bord de la mer, presque désert auparavant. On était tranquille le soir, il y a encore quelques années. On pouvait goûter la paix et le silence et la solitude, si reposants, si favorables à la rêverie. C’est fini maintenant. La jeunesse masculine de P… s’est entichée de civisme. Les jeunes gens de la ville s’adonnent le soir à la musique patriotique. P… a beau être loin de G… de quelques kilomètres et séparé par le port. Il vous arrive à G… les échos du vacarme guerrier de ces jeunes citoyens, depuis cette affreuse Marseillaise à cette autre jolie chose qu’on appelle, si je ne me trompe, la Marche de Sambre-et-Meuse16. On se croirait positivement dans une banlieue de Paris. Comme je sais bien ce que je ferais si j’étais législateur ! Je mobiliserais à vie tous ces gaillards si férus des choses militaires qu’on rencontre partout : joueurs de clairon, membres de sociétés de gymnastique, boys scouts et autres pantins du même genre. Ils pourraient ainsi jouer du clairon tout à leur aise et pratiquer leur mascarade. Je leur adjoindrais ces guerriers en chambre, jeunes ou vieux, si forts pour faire battre les autres, bien tranquilles dans leur fauteuil. Chaque année, je les réunirais tous, je les diviserais en deux groupes, bien armés chacun de bons fusils, de bons canons, de bonnes mitrailleuses, et je les ferais se battre pour de bon les uns contre les autres. Du moment qu’ils ne rêvent que cela : la guerre, ils seraient à leur affaire. Vous me direz qu’il y aurait des tués ? J’y compte bien. Cela ferait des imbéciles en moins, et des coquins. En recommençant chaque année, on arriverait peut-être à les supprimer tous et à avoir la paix. Car c’est cela, la paix : la disparition de tous les braillards belliqueux. Quand il n’y aurait plus sur terre que des gens sensés, les différends s’arrangeraient tout seuls, comme ils s’arrangent entre gens raisonnables, et non pas comme entre apaches qui recourent tout de suite au couteau.

Je viens à peine d’écrire cela, qu’une fanfare énorme éclate. Il y a encore de beaux jours pour le patriotisme comme on l’entend aujourd’hui.

On m’a donné pour mon lit des draps et des couvertures trop étroits. Je passe mes nuits, sans le vouloir, le corps à l’air. Cela est charmant quand on est en compagnie d’une jolie femme. Quand on est seul, c’est complètement inutile.

Chaque fois que je viens ici, chaque année, je pense à mon premier voyage, en 1914. Trois jours de trajet, dans un fourgon ! Au moment d’y monter, c’est bien parce qu’on était venu tout exprès de là-bas pour me chercher, que je me décidai. Je n’ai jamais eu la moindre notion d’aucun danger, je me moquais de tout, comme toujours, et je l’aurais encore préféré à la promiscuité que j’allais subir. J’avais emmené avec moi quelques-uns de mes chats : Madame Minne, Madame Brune, Lolotte, Boulot, Bibi, Riquet, Coco, Petit Gris, Gamin, et quatre de mes chiens : Loup, Pataud, Nana, Monkey. Hélas combien d’eux sont morts depuis : Madame Brune, Lolotte, Boulot, Coco, le Petit Gris, Gamin, et Nana, et Pataud, et le cher petit Singe. Mes yeux se brouillent en écrivant leurs noms ici. Je les revois tous groupés autour de moi dans cette maison nouvelle pour eux. Je me rappelle nos promenades dans la campagne, à la tombée de la nuit, les chats suivant avec les chiens. On m’avait mis à loger, en ce temps-là, dans la cave. C’était la note comique. Quitter Paris, sous prétexte du danger des Allemands, faire un voyage de trois jours, debout, dans un fourgon, au milieu de gens qui vivaient là tout comme chez eux, cela pour loger dans une cave J’aurais pu trouver cela sans tant me déranger.

J’avais composé un petit quatrain pour remercier mes hôtes de leur bonne hospitalité. Il est resté inédit. Je vous en offre la primeur :

Pour sauver chats et chiens des guerrières houles
Avec
17…, j’ai sauté dans le train
Pour trouver un abri à G…-les-Moules :
Si la plage en a peu, les chalets en sont pleins
18.

Des choses charmantes, ce sont les noms des localités des environs : Préfailles, Sainte-Marie, Saint-Père-en-Retz, La Bernerie, Saint-Michel-Chef-Chef19… Préfailles ! Madame de Préfailles ! quel beau nom pour l’héroïne d’un roman d’amour !

Je vais chaque jour faire les commissions à P… Je passe sur le port. Là se trouvent les principaux hôtels à voyageurs. Là les baigneurs se promènent et se font voir. Un spectacle comique, c’est leur tenue de villégiature. Des hommes de quarante ans, et plus, ventrus, déformés, le visage ruiné, du poil sur la figure comme un animal, s’exhibent avec ces chemises au col démesurément ouvert sur la gorge et d’un genre si vulgaire, comme de gros bébés barbus et grotesques. La plupart sont vêtus tout de neuf et de manière appropriée. On sent qu’ils n’ont pas pu venir au bord de la mer sans une tenue spéciale, depuis les chaussures jusqu’à la casquette. La casquette, surtout. Au bord de la mer, cela s’impose. Cela vous a un air maritime. Il faut les voir, plantés à l’extrémité du môle, contemplant, sous leur visière, l’horizon de la mer. D’autres ne quittent pas leur maison, où ils passent leur temps à dormir sur une chaise. N’importe ! Ils ont la casquette. Ils ne se doutent pas combien ils ont l’air, ainsi coiffés, de marchands de marrons endimanchés. Je n’en rencontre pas sans m’arrêter à les regarder, tant ils évoquent pour moi de comique et de bêtise. Moi qui partirais demain pour Pékin avec mes affaires enveloppées dans un journal maintenu par une ficelle, et qui suis ici comme je suis à Paris, dans mon bureau du Mercure, chez moi, ou dans mon fauteuil de critique au théâtre. Certainement, pour tous ces gribouilles, les vacances ne seraient pas les vacances s’ils n’étaient habillés, pour cette circonstance, d’une manière spéciale.

Je fais à ce sujet cette remarque : c’est surtout en voyage qu’on s’aperçoit combien les gens sont laids.

Je vais avec mon hôtesse déjeuner à Préfailles, par le petit train sur route20 qui y mène et qui conduit jusqu’à Saint-Brévin-l’Océan, sur l’estuaire de la Loire, d’où on distingue fort bien, en face, Saint-Nazaire. À la table de l’hôtel dans lequel nous déjeunons, elle me raconte ce qui suit, dont on lui a fait part, venant de Mlle Read21, témoin du fait, paraît-il. Il y a quelques jours, en pleine place de la Bourse, au beau milieu de la chaussée, un chien était posté pour un certain besoin. Autour de lui, les voitures arrivaient, venant en tous sens de toutes les rues qui se croisent à cet endroit. L’agent de service leva son bâton, les arrêtant toutes, pour ne les laisser se remettre en mouvement que lorsque le chien, ayant terminé, eut quitté la chaussée. Ne trouvez-vous pas cela charmant ? Toute la circulation arrêtée à un pareil endroit pour un brave chien qui satisfait un besoin bien naturel ! Qui me donnera le nom de cet agent, que j’aille lui serrer la main, lui dire le plaisir que me fait son geste, lui faire un beau cadeau pour ses enfants, s’il en a ? Ne croyez-vous pas que vous, moi, les autres, tous, nous ne serions pas plus heureux, plus gais, nous n’aurions pas plus de bonheur dans l’esprit, si tout, autour de nous, était de ce ton, témoignait de cette bonté, de cette attention pour tout ce qui vit et peut souffrir ? L’habit ne fait pas le moine. Ce fait le prouve une fois de plus. Sous son uniforme de flic, cet agent-là n’est pas un cœur vulgaire.

Début du texte tel qu’il est paru dans Les Nouvelles littéraires du 25 août 1923

Je suis en commissions à P…22 Je suis allé m’asseoir pendant un moment sur la terrasse, fort belle pour mon goût, avec sa double rangée d’arbres plusieurs fois centenaires, ses bancs de pierre sur de petits carrés d’herbe, son groupe de maisons Louis XIV, dont celle qui fait l’angle, du côté du port, a une fenêtre avec un balcon délicieux. Un petit mur bas la borde, sur lequel on peut s’asseoir. On a là la vue, au moins dix mètres au-dessous, d’un admirable potager, avec une petite maison de jardinier rustique et simple. Sur le côté, la route de Sainte-Marie, tout le long de la côte. Plus loin, de l’autre côté du port, la côte de G…, avec ses chalets. Le charme se double ici de la solitude et du silence. Rien que le petit bureau de poste, en retrait dans un angle, près de l’escalier qui redescend à la rue. Personne ne vient ici. Les baigneurs s’y ennuieraient. Ils préfèrent le port, les cafés des hôtels, les environs de la gare, la plage. Il est seulement dommage qu’on ait la vue, à deux pas du banc sur lequel je suis assis, d’un affreux reste de château à tour crénelée et à pont-levis qui met là comme un pan de décor de la Tour de Nesle23. C’est, paraît-il, le château de Gilles de Retz24, le fameux Barbe-Bleue, Don Juan de son temps, un homme qui savait la conduite à observer avec les femmes. À cela près, cette terrasse est le seul endroit à P… qui dise quelque chose. Je ne viens pas une fois à P… sans y aller passer un moment.

Je vais, pour gagner du temps, éviter les soucis de la cuisine, dîner avec mon hôtesse à P…, à l’Hôtel Continental25, dans la salle des voyageurs. Autour de nous des gens dînent. J’adore écouter les conversations. Je surprends là, quelquefois, des traits qui m’enchantent. J’écoute bavarder entre eux deux ménages qui sont à une table tout près de la nôtre. C’est inouï comme ces gens paraissent s’intéresser à des choses auxquelles je n’ai jamais pensé, dont je n’aurais même jamais cru qu’elles pussent occuper l’esprit. Ils ont même l’air de tenir à ce qu’ils disent et s’écoutent mutuellement avec attention. Quel fossé entre ces gens et moi ! À quel point ils me sont étrangers ! Ils ne pourraient l’être plus s’ils parlaient une autre langue. Je pense toujours, en voyant des ménages ainsi réunis, aux comédies de M. Sacha Guitry. Qui sait, si on les surprenait à d’autres moments, si on ne les entendrait pas se parler de toute autre façon, chaque homme tutoyer la femme de l’autre ? Ne croyez pas que cela m’effarouche. J’approuve, au contraire. Je trouve cela délicieux. Surtout si aucun des maris ne se doute de rien, ce qui ajoute toujours, pour des amants, au plaisir de faire l’amour.

Je suis allé demander des nouvelles des animaux du voisinage, ou de ceux que je connaissais dans le pays. Le bon Caniche de la pension Florida, — c’était un caniche et il s’appelait de son nom de chien, — est mort cet hiver : vieillesse et maladie de cœur. Que d’après-midi il a passées au chalet, chaque été, avec son beau nœud rouge à son collier, pour faire la cour à la petite chienne Follette ! Le chien Rip, au maçon Gicquel, est mort également. Même cause : la vieillesse. Lui aussi était un amoureux tenace. Comme il trouvait la pâtée avec les choses de la galanterie, il ne nous quittait plus. Il fallait le reconduire le soir, et se répandre en paroles auprès de ses maîtres, pour lui éviter la correction. « Vous n’avez jamais aimé, sans doute ?» leur ai-je dit plus d’une fois. Les Gicquel avaient aussi un âne, qu’ils mettaient à brouter dans le pré voisin. Je lui ai jeté bien des fois, par-dessus la haie, les poires tombées dans le potager, dont il se régalait. Ils l’avaient eu tout jeune. Ils l’ont vendu. Trop vieux, paraît-il ? Comment peut-on vendre ainsi un animal qu’on a depuis si longtemps chez soi ? Vous allez me trouver ridicule : je me mets à la place de ce vieil âne, se trouvant chez de nouveaux maîtres, maison nouvelle, voix nouvelles, habitudes nouvelles : je suis navré. Par contre, le tout petit chien de la Minoterie26, sur le port, est devenu, en un an, un superbe berger allemand très doux et très bon, ce qui montre bien que la nationalité n’y fait rien et que les bêtes échappent aux préjugés des gens, en quelque pays que ce soit.

Je regarde, comme chaque année, chaque fois que je passe devant, en allant en commissions à P…, la petite maison discrète, sous des arbres, avec son jardin intime, entouré d’un petit mur bas, qui me plairait tant pour vivre là à l’écart. Toutes les maisons, ici, tous les Ker, comme on dit, ont un nom. Celle-ci s’appelle L’Espérance. Est-ce bête : appeler une maison L’Espérance ! L’Espérance de quoi ? Si je l’habitais, je lui enlèverais ce nom. Je n’ai jamais rien espéré dans la vie. Encore moins maintenant.

Je me promène dans le jardin. J’entends la bonne d’un chalet voisin pousser un cri. Je sors. Je traverse la petite rue. Je vais à la clôture de ce chalet. « Madame ! un crapaud » C’est la bonne qui crie cela à sa patronne, une bourgeoise de Nantes27, au visage revêche, vraie tête de jeu de massacre. Celle-ci lui répond de l’intérieur d’un petit hangar : « Eh bien, quoi, un crapaud ! Coupez-le en deux avec la bêche » Je proteste aussitôt : « Eh bien, vous en avez de bonnes, dis-je assez haut pour qu’elle m’entende. Si on vous coupait en deux avec une bêche, vous, qu’est-ce que vous diriez ? » Et m’adressant à la bonne : « Tenez, passez-le-moi, votre crapaud. J’aime beaucoup ces bêtes-là, moi. » Elle me le passe, sur sa bêche, comme sur un plateau. Je l’ai mis dans le jardin. Espérons qu’il ne retournera pas chez ces sauvages.

Un autre petit chalet voisin est occupé par un ménage en vacances. Une sorte d’employé ou commis voyageur et son épouse à sa mesure. Ils ont avec eux une sorte d’enfant bâti assez de travers, sans cheveux, jaune et ridé, le visage d’un petit vieux, les jambes en cerceau, assez l’aspect d’une baudruche gonflée. Deux ans et demi, paraît-il. C’est un trésor pour eux, naturellement, une merveille. Cet homme vit dans la rue pour promener cet objet, et il a la manie de me parler chaque fois qu’il me voit. Il paraît qu’on organise, pour un prochain dimanche, un concours de bébés à Sainte-Marie. Je trouve tout à l’heure ce père dans le chemin, tenant par la main le fruit de ses amours. Il me parle du concours de bébés. « J’ai bien envie de l’y mener », me dit-il. Je les regarde tous les deux, si bien le père et le fils. Puis je lui dis : « Pourquoi pas ? Il ne peut pas y en avoir que de jolis ! » Il n’a pas dû comprendre. Il me répond, avec approbation : « Certainement ! certainement ! »

Qui me dira pourquoi les scribes des perceptions sont toujours des infirmes d’un genre ou d’un autre : pied bot, boiteux, bossu, goitreux, borgne ou manchot ? Il y a là une singularité qui finit par m’intéresser. Je ne suis pas entré, dans toute ma vie, dans une perception, sans y voir, comme aide du percepteur, un individu mal bâti. Il en est ainsi dans la banlieue que j’habite. Il en est de même à P… Je viens d’aller payer les contributions et je me suis encore trouvé en face d’un de ces bonshommes. Celui-ci paraît d’ailleurs réunir tous les genres. Il peut à peine s’exprimer, par suite d’un défaut de conformation de la bouche, il a un bras plus court que l’autre, il est un peu bossu, et quand il est debout et qu’il marche, il ne cesse pas de tressauter, comme sous l’effet d’une maladie nerveuse. Il porte un joli nom, pour un homme si peu joli : M. Passetemps. À qui fait-il passer le temps, ainsi bâti ? Est-ce le métier qui veut cela ? Est-ce parce qu’on paie ces scribes moins cher que des employés normalement bâtis ? Est-ce qu’il n’y a que ce genre d’individus pour accepter de faire ce triste métier de nous réclamer sans cesse de l’argent ? Le fait n’en est pas moins bizarre. Dans toutes les perceptions, vous trouverez un de ces Apollons28.

J’ai emporté, pour me distraire pendant mes soirées, un des volumes de la Correspondance de Stendhal, le troisième, celui que je préfère, celui des lettres de l’homme de cinquante ans29. C’est à cet âge-là, et dans les années qui suivent, que Stendhal est le plus intéressant, le plus touchant, le plus pénétrant. C’est aussi l’âge auquel j’aime les écrivains. Les écrits des jeunes gens, qui ne songent guère à se raconter ou n’ont pas ce penchant, ne m’intéressent guère. C’est aussi l’âge que j’ai. Tout cela se réunit. Je lis au hasard des pages, le soir, dans mon grenier, entre une heure et deux heures du matin, quand je suis couché, après avoir fait la conversation et m’être occupé des chats avec mon hôtesse. Je connais toutes ces lettres presque par cœur, et pourtant elles me donnent toujours autant de plaisir. Quel plaisir de lire un écrivain qui ne parle pas de Dieu, de l’âme, de la foi, de l’au-delà, de la grâce et de la prière, du mal et du bien ! Ces niaiseries paraissent terriblement redevenues à la mode. « Dieu sensible au cœur, non à la raison », disait ce grand malade de Pascal30. Malheureux ! quelle meilleure preuve de ta folie ?

On refait les matelas dans le jardin. La femme de ménage y travaille. C’est une grande fille blonde, forte, originaire de Nice, mariée à un monteur de moulins de passage dans la région pour son métier. Tous deux gagnent bien leur vie, et, comme on parle de choses et d’autres, elle en vient à confesser qu’ils sont fort sensibles aux plaisirs de la table. Elle raconte à ce sujet qu’elle plume très bien, sans scrupules, les poulets tout vivants : les plumes s’enlèvent mieux, paraît-il. Comme on se montre choqué de ce procédé et qu’on lui dit qu’il est un peu barbare, elle rit et ne paraît pas comprendre. Ce n’est pas qu’elle soit méchante. Elle ne comprend pas, voilà tout. Elle avoue, au surplus, que son mari se sauve quand elle fait cela.

Nous allons, avec mon hôtesse, faire une petite visite à une femme du pays, Mme D…, une paysanne dégourdie, adroite, spirituelle31. Nous trouvons chez elle sa mère, une vieille de soixante-dix ans, aussi délurée, à la langue aussi bien pendue. Elles se mettent toutes deux, avec mon hôtesse, à parler des hommes et des femmes. Nous sommes tous des coquins, naturellement, et elles, toutes des anges. Je veux placer mon mot, en disant à la vieille mère qu’elle a été bien contente, autrefois, de trouver un homme, et même, peut-être, plusieurs ? Voilà qu’elle s’avance vers moi et me dit tout de go : « Une femme ?… Mais qu’est-ce que vous en feriez à votre âge, mon bon monsieur ?… » Cela a été dit si drôlement que nous sommes partis tous quatre à rire pendant cinq bonnes minutes. La suite et les détails qui auraient pu donner une si belle réponse à la question ci-dessus sont trop légers pour être rapportés ici. Regrettez-le. Ils sont délicieux.

Je retrouve ainsi chaque année toutes sortes de gens un peu plus vieillis. Je regarde ces vieilles figures, qui vont, bavardent, s’animent devant moi, et qu’on mettra en terre un de ces jours. Quelle drôle de chose que la vie.

Je suis assis dans le jardin. Il est cinq heures du soir. Je regarde un chat qui a pris un mulot, joue avec, le lâche, le reprend. Spectacle pénible. J’imagine l’angoisse du petit animal, sa souffrance, à demi blessé, quelque chose qui doit ressembler à une agonie. Pourtant, je ne bouge pas. C’est un peu paresse. C’est aussi découragement, résignation, sentiment d’inutilité. Est-ce que toute la vie n’est pas faite ainsi, du plus haut de l’échelle au plus bas : la mort d’un plus petit par un plus grand, d’un plus faible par un plus fort, chacun ayant sa victime et chacun son bourreau ? Et des gens admirent la nature, la célèbrent, la trouvent belle : la nature mère de tout ! Qui sait si ces grands arbres auprès desquels je me repose ne sont pas, pour se développer, les meurtriers de quelque chose ?

Je voulais vous mettre ici un petit couplet sur la mer. Elle est à cent mètres du chalet. De la terrasse de la salle à manger, on n’a qu’à regarder devant soi pour la voir dans toute son étendue. Je voulais faire plaisir à mon hôtesse, qui en raffole et qui est venue s’établir ici, à quatre cent cinquante kilomètres, à cause d’elle. Mais la mer m’ennuie. Elle est pour moi sans intérêt. Je m’en occupe autant que si j’étais dans un village de Seine-et-Marne. Je n’ai devant elle que l’impression du vide et je trouve le bruit qu’elle fait sinistre. Mon petit couplet s’en ressent. Il m’ennuie et il est sans intérêt. Je le supprime. Ne dites pas surtout que je pourrais en faire autant de toute ma lettre.

J’aime mieux les petites rues de la ville, et me promener là, en regardant indiscrètement dans les intérieurs de maisons, pour surprendre des traits de la vie des gens qui les habitent32.

Le soir, quand tous les gens du voisinage sont couchés, je vais pourtant quelquefois avec mon hôtesse faire un tour sur la côte, nous asseoir sur un banc, sur une petite terrasse entre des rochers qui se trouve là, à cinq minutes du chalet. Ce qui est charmant, c’est de voir les chats nous suivre, aller même devant, tant ils connaissent le chemin, et gambader là autour de nous pendant que nous bavardons.

Je préfère rester au chalet. Je me tiens avec plaisir dans la partie du jardin qui se trouve derrière, du côté opposé à la mer. La vue qu’on a de là est charmante : la campagne vers P…, la tour d’un vieux moulin abandonné, de grands espaces de vignes… J’aurais mes livres, mes papiers, ma ménagerie, je vivrais fort bien ici. La merveille, c’est le climat. À peine d’hiver. Je pourrais être ici correspondant des Nouvelles Littéraires. Je crois bien que j’y représenterais à moi seul toute la littérature. Je trouverais encore le moyen de faire des feuilletons, allez !

J’ai trouvé quelqu’un qui est de mon avis sur la « saison ». C’est un voisin, Monsieur B…, un ancien commerçant de Saint-Ouen, qui sait tout faire. Il vit à demeure à G…, et il est comme moi, il a horreur des vacances qui remplissent de gens les chalets voisins du sien. « Je ne peux plus p….., dit-il, sans trouver quelqu’un qui me regarde quand je relève la tête. »

Je veux aussi noter ceci. C’est une image charmante. Je suis allé tout à l’heure à P… J’avais pris la route qui longe la mer. Un peu avant le port, sur une petite plage, dans un petit emplacement privé arrangé là, une femme sortait du bain. Une très belle créature, brune, bien faite, entre trente et trente-cinq ans. Un maillot noir, partant des hanches, couvrant à peine le buste, mettait encore en valeur sa carnation et ses formes parfaites. Je me suis arrêté pour la regarder. Elle s’en est aperçu, et, tirant au dehors les deux volets de sa cabine, s’enfermant entre eux, s’est dérobée à ma vue. Était-elle sotte ! Je la regardais avec plaisir. N’était-ce pas plutôt flatteur pour elle ? L’eussé-je regardée si elle avait été disgracieuse ? A-t-elle un mari, ou un amant, qui l’aime, qu’elle aime, et pour lequel elle se garde toute, jusqu’à la vue ? Là, je ne dis plus rien.

J’arrête ici cette lettre. Mon séjour est fini. Je pars tout à l’heure. C’est la première fois, depuis que je viens ici, que j’ai trouvé le moyen d’écrire un peu. C’est que mon séjour a été charmant, sauf le dernier jour. Ah ! le dernier jour…. Il n’est en rien de plaisir complet. Toujours une ombre.

Je reviendrai en octobre, pour le retour des chats33. Les vacances seront finies pour tout le monde. Le pays sera comme je l’aime : désert ou presque. J’aurai peut-être encore quelques bons jours.

J’y pense seulement au moment de la fermer. Mettez donc cette lettre en feuilleton. Cela vous fera ainsi une chronique dramatique, ou deux, quand vous aurez de la place.

P…, 25 juin-2 juillet 1923.

Un livre sur Paris34

J’ai projeté, pendant longtemps, d’écrire un livre sur Paris. Pas un livre historique. Pas un livre documentaire. Pas un livre savant. Non ! Un livre de promenades, un livre d’impressions, un livre de souvenirs, un livre de flâneur, dans lequel je me serais encore beaucoup raconté. Qui connaît Paris, même dans les Parisiens ? On connaît le quartier où on est né, celui où on a ses affaires ou son travail. Le reste ?… Autant parler de provinces lointaines, qu’on visite tout à fait par hasard, à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement. Il est même des gens, dans certains quartiers, qui n’en sont pas sortis dix fois dans leur vie et qui ne connaissent de Paris que ce qu’ils en voient de leurs fenêtres. Quand j’habitais rue Rousselet, ma concierge, âgée de soixante-dix ans, qui était née rue Saint-Romain35, n’avait jamais dépassé la région comprise entre la rue de Babylone et la gare Montparnasse, le boulevard. Montparnasse et la rue de Rennes. Vous lui parliez de l’Opéra, du Louvre, de l’Arc de Triomphe ? Elle hochait la tête, comme si on lui eût parlé des Pyramides ou du Niagara. Cette espèce de paresse, ce manque de curiosité ont d’ailleurs leur charme. Nous leur devons d’avoir autant de Parisiens qu’il y a de quartiers dans Paris, et que l’habitant des environs du Luxembourg soit si différent, par l’allure et la physionomie, d’un fidèle habitué du quartier de l’Europe, et le petit rentier de la Barrière de Vincennes d’un artisan de la Butte-aux-Cailles.

Il y a surtout très peu de gens qui savent jouir de Paris. Regardez autour de vous. Je ne parle pas des provinciaux, que l’étalage de Potin36 suffit à éblouir, ni des étrangers, qui sont bien excusables. Je parle des Parisiens, les vrais et les autres. Le flâneur, qu’on dit être si fréquent chez eux, y est au contraire très rare. J’entends le vrai flâneur, qui n’a rien de commun avec le badaud qu’émerveille un camion en panne, un passant écrasé ou la sortie des sociétaires de la Comédie-Française. Il peut y avoir autour d’eux de la lumière, des pierres historiques à n’en plus finir, des nuances d’atmosphère jamais les mêmes, un ciel souvent délicieux, ils ne paraissent guère s’en douter. Et pourtant, tout ce qu’on découvre quand on sait s’arrêter et regarder : l’aspect quelquefois surprenant des maisons, le paysage inconnu jusqu’alors de telle rue, la couleur encore non remarquée de tout un quartier. Rien qu’une affiche, au flanc d’une vieille maison, éclatant de toute sa couleur et de ses lettres énormes, sous le soleil, après la pluie ! Ou une simple rue, vue d’une certaine façon. Par exemple, la rue des Saints-Pères, vue de tout à fait en bas, d’une impériale d’omnibus. La vue charmante de la place Saint-Sulpice, regardée de la rue du Four, par la rue des Canettes. La rue Tournefort, vue du bureau de police au coin de la rue Vauquelin, un jour de pluie, avec la montée luisante de ses pavés et la Tour Clovis dans le fond, au-dessus des arbres du Lycée Henri       IV, dans la brume légère de l’eau. La rue La Rochefoucauld, le soir, silencieuse, montueuse, blanche dans un faible éclairage. Les boutiques également sont un, ravissement par leur diversité. Celles des quartiers tranquilles, éclairées modestement, propres, peu animées par la vente. On a envie d’entrer s’y reposer un peu, à côté des bonnes têtes qu’on y voit. Celles des marchands de poissons, quai du Louvre. La vie mystérieuse que de vivre dans ces boutiques ! On se fait une idée de l’épicerie, de la boulangerie, de la boucherie, de la mercerie, de la chapellerie, de presque tous les commerces. Mais celui-là ! Toute cette eau autour de soi, enfermée dans du verre, et pleine de poissons qui s’agitent sans cesse ! C’est gris, vert, moussu, plein d’une humidité qui vous pénètre déjà du dehors. Il semble qu’on doive y avoir la sensation de vivre sous l’eau, dans une sorte de cloche marine. Et les boutiques de marchands d’oiseaux, pleines de pépiements perpétuels, de bruits d’ailes, de coups de becs qui picorent, sans compter un perroquet qui se met soudain à bavarder, ou tel oiseau, tout à coup, à pousser son air ! Par le bruit, une forêt vierge en petit, je ne vois pas d’autre comparaison. Passez de là aux boutiques des quartiers riches, garnies de glaces qui multiplient leur mobilier à perte de vue, et dans lesquelles des commis élégants comme des mannequins manient des choses chères sous les yeux de clients qui les regardent à peine ! Il en est ainsi à l’infini, pour les quartiers, les rues, les boutiques. Ce n’est jamais le même aspect, le même paysage, la même couleur. Au contraire, un perpétuel changement. Tel quartier doit être vu le matin, au printemps. Tel autre à midi, en plein été. Celui-ci, à l’automne, vers cinq heures du soir. Celui-là, la nuit, en hiver, dans la claire sécheresse du froid. Ici, il faut la pluie. Là, le plein soleil. Là encore, la neige qui assourdit tous les bruits. Et tout cela est encore variable au possible. Le même quartier, à cause de deux rues très différentes, peut demander, pour être vu, à la fois le matin et le soir, le soleil et la pluie. Il n’y a rien de fixe. Le tout est de savoir regarder.

Il me semble que je l’ai su, moi qui me suis tant promené dans Paris, qui ai mené ma vie dans presque tous ses quartiers, qui y retrouve, à chaque pas, tant de souvenirs. Voici la rue Molière. Une maison accotée à la fontaine, presque d’angle avec la rue Richelieu : c’est là que je suis né. Voici l’avenue du Maine, autrefois chaussée du Maine, et qui devait être bien différente : c’est là que j’ai été en nourrice. Voici le quartier des Martyrs, le quartier Rochechouart, toute la région comprise entre les rues Saint-Lazare et Lamartine, la rue Rochechouart, le boulevard Rochechouart et la rue Blanche : c’est là que j’ai passé mon enfance, gamin libre, la clef de la maison dans ma poche, flânant à toutes les boutiques, regardant à toutes les fenêtres, lent et curieux, silencieux et attentif. Voici un parcours que j’ai fait bien souvent et que je ne peux m’amuser à refaire, certains soirs, sans un peu d’émotion : la rue des Martyrs, la rue Fléchier, la rue Le Peletier, la traversée des boulevards, le Passage des Princes, toute la rue Richelieu jusqu’à la Comédie-Française. C’est le chemin que je faisais avec mon père, au moins deux fois par semaine, pour aller passer la soirée avec lui dans son trou de souffleur à la Comédie-Française. Voici tout un quartier de la rive gauche : là j’ai été un jeune homme fort pauvre, travaillant ferme, en m’amusant, pour apprendre tout ce qui me plaisait, là j’ai commencé à écrire pour de bon. Où est-il ce temps, que je refaisais jusqu’à vingt fois la même page jusqu’à ce qu’elle me satisfasse ? Et tous les métiers que j’ai faits, çà et là : à seize ans, « bisto » dans une maison de produits chimiques, puis employé dans une compagnie d’assurances, puis employé au journal La République française, puis employé dans une maison d’eaux minérales, puis « tribun » chez un fabricant de gants, puis clerc d’avoué, puis secrétaire d’administrateur judiciaire, tout cela en travaillant toujours chez moi, le soir, à écrire d’une façon ou d’une autre. Enfin je suis devenu secrétaire au Mercure, et en même temps critique dramatique, puis gazetier, puis chroniqueur à ma façon, et j’écris maintenant en courant, toujours chez moi, le soir, toujours pour m’amuser, et guère plus riche qu’autrefois, ayant plus de désirs ! Ne trouvez-vous pas que c’est là une belle carrière ? Que de promenades, aussi, que de flâneries ! Je viens de dire que j’ai été clerc d’avoué. On m’envoyait dans tous les quartiers, pour une expertise, un conseil de famille, une affaire de justice de paix. On s’étonnait, quelquefois, quand je rentrais, que j’eusse mis deux heures pour aller à deux pas, ou une journée quand deux heures suffisaient. Mon Dieu ! je n’étais jamais bien loin de l’endroit où je devais être. Seulement, au lieu de repartir, je m’asseyais sur un banc, à rêvasser, ou j’explorais des quartiers, regardant tout ce qui remuait devant mes yeux, repassant les mille choses qui me revenaient à l’esprit. On me plaisante, quelquefois, parce que, si on parle devant moi d’une rue, je dis souvent : « Ah ! oui, la rue…. Il y a, au coin, à gauche, un épicier, ensuite un marchand de parapluies, après, un cordonnier, puis, je crois bien, un marchand de lingerie… L’autre coin, c’est un bar, avec un marchand de tableaux à côté, puis une sorte de petite crémerie restaurant, un tailleur, aussi, ensuite un hôtel… » C’est que les gens, en général, ne voient rien, ne retiennent rien. Ce sont les femmes, surtout, qui ont le don de ne rien voir. J’en parlais un jour avec Remy de Gourmont37. Il me disait : « Ce n’est pas manque d’attention. C’est question de tenue. Il leur faut marcher les yeux baissés, sous peine d’être prises pour ce qu’elles ne sont pas. » C’est très galant comme explication, mais c’est bien faux. Il y a aussi, dans ces souvenirs, le chapitre de l’amour, on s’en doute bien. Tenez, rue des Martyrs, un hôtel, au rez-de-chaussée duquel se trouvait la Brasserie des Martyrs, — tout cela a disparu aujourd’hui. C’est là que j’ai eu mon premier rendez-vous sérieux, après des relations à peu près platoniques de plusieurs mois. Je dis : à peu près platoniques, car ma belle-amie et moi nous nous rattrapions sur des bagatelles. J’avais dix-huit ans. J’étais si adroit et si hardi, et ma partenaire, dont c’était également le début, se montrait si douillette, que je ressortis tel que j’étais entré. Ensuite, un autre hôtel, rue de Vaugirard, tout près de la rue Monsieur-le-Prince. Je me rappelle ma gaucherie en entrant là, ma gêne devant le garçon, le patron. C’est un monde, d’ailleurs, dont j’ai toujours eu horreur. C’est là que je fis mon début pour de bon. Ensuite encore, faubourg Saint-Jacques, une certaine maison, qu’on a démolie depuis : c’est là que j’ai vécu ma première liaison, suite à ces deux rendez-vous. Je m’arrête à ces détails parce qu’il s’agit de mon premier amour. C’est si important, le premier amour ! Si vous voulez mon avis, c’est bien celui qui compte le moins. Je me suis montré comme séducteur également sur la rive droite. Rue Godot-de-Mauroy, par exemple. J’avais un peu plus de vingt ans. Une comédienne, élève de mon père, et qui fit souvent des tournées avec Mounet-Sully, m’avait invité là à déjeuner avec elle. Une fort jolie fille, grande, brune, trente ans au plus, et qui devait être fort agréable. Après le déjeuner, retirés tous les deux dans un petit salon, elle fort peu habillée dans une toilette d’intérieur, elle s’étendit sur une causeuse et se mit à me parler de l’amour, offrant à ma vue, là une jambe, là un bras, là un sein. Je comprenais bien, mais, en même temps, j’avais peur de me tromper, et là encore je sortis tel que j’étais entré. J’en ai eu, de ces succès, une demi-douzaine… On ne saura jamais combien la timidité peut rendre vertueux, — et niais. Je me suis rattrapé d’autres fois. Je crois bien que je m’en étonne à distance, pour dire le vrai. Par exemple, une des petites rues qui vont du quai à l’avenue du Trocadéro, la rue Debrousse, je crois, dont le rez-de-chaussée des maisons est bordé d’un petit jardinet entouré d’une grille38. Un soir, passé minuit, je reconduisais par là, chez elle, une charmante femme. La conversation, pendant le chemin, nous avait mis en train. Je ne pouvais monter chez elle à cause de son mari. Nous ne pouvions songer à revenir chez moi à cause de la distance. Tout était désert. Dans l’encadrement de la porte d’une des maisons de cette petite rue, nous fîmes l’amour, là, tout debout, assez agréablement.

C’est tout cela, mille choses, mille circonstances, mille souvenirs, que j’aurais racontés dans ce livre. Je voulais peindre Paris d’après tout ce qui s’est passé de ma vie dans beaucoup de ses quartiers. J’ai connu pas mal de gens, de tous les genres sous le rapport de la situation et du caractère, comme des mœurs et de la moralité. Les coquins, plus ou moins, l’emportent en intérêt sur les vertueux, je n’ai pas besoin de le dire. Je voulais faire leur portrait à tous. J’avais trouvé un titre qui m’enchantait : Le Paris d’un Parisien. Tout cela restera à l’état de projet. J’ai trop attendu. Une grande partie de ce que je viens d’écrire n’a même plus aucun sens. Il n’y a plus d’omnibus, partant plus d’impériales, sur lesquelles je faisais, dans le jour ou le soir, de si délicieuses promenades, plongeant du regard, par les fenêtres, dans les intérieurs des maisons, surprenant des détails d’intimité, des tableaux de vie domestique, jouissant de la vue d’une rue ou d’un quartier. Il n’y a plus que ces affreux autobus, empestés, trépidants, assourdissants avec leur bruit de ferraille39, qui filent un train d’enfer et ne permettent plus de rien voir. Les communications multipliées ont effacé beaucoup des particularités qui faisaient les Parisiens si divers entre eux. Paris a perdu une grande partie de son charme. La guerre l’a rempli d’une foule d’individus au faciès bizarre, qui baragouinent les idiomes les plus surprenants. On ne voit plus partout que banques et cinémas, luxe clinquant et vulgaire. Le bruit, l’agitation, la foule s’y opposent à toute promenade. Que de choses, aussi, on a démolies, vieilles, pittoresques, charmantes, que d’autres on a construites, bêtes, laides, uniformes ! Bien des quartiers ne sont plus reconnaissables. Quelle différence, en si peu de temps, avec le Paris dont je voulais parler ! Un livre comme celui que je projetais aurait tout l’air d’un vieux livre, démodé dès sa publication. Moi-même, peut-être, à cause de tout son changement, je n’aime plus Paris comme je l’ai aimé. Je n’aurai écrit de ce livre que les pages qu’on vient de lire.

Le scan exact de ce petit livre, disponible uniquement sur le marché de l’occasion et à un prix le plus souvent excessif (un €uro la page, parfois le double) peut être téléchargé via le lien ci-après.

La couleur de la couverture est approximative mais acceptable. Les marges ont paru inutiles dans un PDF et ont été supprimées. Celles de l’original sont de 1,8 cm à l’intérieur, trois centimètres à l’extérieur, deux centimètres en haut et environ trois et demi en bas. « Environ » parce que le livre n’était évidemment pas massicoté40 et que les pages ont eu, à l’issue de pliage, des tailles différentes. Le papier est très épais, le plus épais que nous connaissons pour un livre qui, pour trente feuilles, a une épaisseur de sept millimètres.

Une autre édition de ce même texte — mais pas du texte sur Paris — est paru aux éditions Séquences en 1986, agrémenté d’une préface d’Édith Silve et des mêmes bois de Constant Le Breton.

La ouverture et quatrième de l’édition Séquences de 1986

Notes

1       Jacques Rivière, alors directeur de La NRF, (Jean Paulhan était encore son secrétaire) avait refusé la chronique traitant de la comédie de Jules Romains Monsieur le Trouhadec saisi par la débauche. Paul Léautaud a démissionné dans la minute. Maurice Martin du Gard, directeur des Nouvelles littéraires apprenant cela a proposé à Paul Léautaud de rédiger ses chroniques dans son hebdomadaire. La première chronique dramatique de Paul Léautaud dans Les Nouvelles littéraires a été celle refusée par La NRF. Pour les détails de cette démission, voir le Journal littéraire de Paul Léautaud au 26 mars 1923.

2       Ces huit chroniques dramatiques de 1923 sont parues dans les numéros des 14 et 28 avril, 12 mai, 2, 9, 16 et 30 juin et 20 octobre. Les deux chroniques « À messieurs les directeurs des Nouvelles littéraires » sont parues dans les deux numéros des 18 et 25 août.

3       Si l’on excepte une collection de Pléiade, rien n’est plus moche — ou triste, si l’on veut — qu’une bibliothèque, évidemment constituée d’un assemblage parfaitement hétéroclite de dos de livres, mélange absolument disparate de couleurs et de formes. Les seuls matériaux constants étant le papier et la poussière. La règle — généralement observée mais pas toujours — est que celle-là ne doit pas dépasser celui-ci, au moins en volume, sinon en poids. Et dans une bibliothèque, le pire rayonnage est celui renfermant les livres de Paul Léautaud, contenant quelques ouvrages très larges (le Journal) et de nombreux autres fort minces, dont une multitude de petits assemblages comme celui dont il est question ici.

Un assemblage hétéroclite de livres de Paul Léautaud

4       Autre version de Souvenirs de basoche.

5       Pour la gravure des cinq bois.

6       Pornic, station balnéaire sur l’Atlantique à cinquante kilomètres à l’ouest de Nantes, en face de l’île de Noirmoutier. Dans les années 1920, la population de la ville était de 2 000 habitants. Elle est de nous jours de l’ordre de 16 000, cette forte augmentation étant essentiellement due au rattachement des communes environnantes à la fin du XXe siècle, comme Gourmalon ou Le Clion qui seront cités par Paul Léautaud et feront l’objet d’une note. Depuis sa rencontre avec les époux Cayssac en 1908, Paul Léautaud est allé pratiquement tous les ans à Pornic, certaines années plusieurs fois, de septembre 1914 à 1932, parfois juste pour un aller-retour. Le trajet en train était alors fort pénible, une douzaine d’heures avec un changement de gare à Nantes, les lignes de chemin de fer appartenant à deux compagnies différentes.

7       Paul Léautaud laissait alors les chats à Anne Cayssac, qui passait l’été dans la maison du couple Cayssac. Henri Louis Cayssac est mort le cinq septembre 1924 après que ce texte ait été publié dans Les Nouvelles littéraires mais avant qu’il paraisse aux éditions de la Belle page de Marcel Lebarbier.

8       Segré se trouve à 130 kilomètres avant Pornic. La ville de Préfailles, également sur la côte de l’Atlantique est à dix kilomètres après Pornic, en venant de Nantes.

9       Le texte des Nouvelles littéraires indique « du pain au café ». Lettre à Marcel Lebarbier du 17 juillet 1925 : « J’ai voulu dire : depuis le pain jusqu’au café. Si ce n’est pas clair, mettons donc : depuis le pain jusqu’au café. » On peut imaginer que Marcel Lebarbier a pensé que certains lecteurs pouvaient imaginer que l’on servait une variété de pain particulière, du pain au café. Cette variante n’est relevée ici qu’à cause de la lettre de Marcel Lebarbier. Elles ne le seront pas toutes.

10     La différence n’est pas si grande et de nos jours la « corniche de Gourmalon », est l’entrée sud du port de Pornic et fait entièrement partie de la commune de Pornic.

11     La chapelle Notre-Dame de Gourmalon, sur la rue de l’Océan est encore en place. Laide, pas laide… c’est une chapelle de village.

12     Le Clion-sur-mer est une petite commune locale, rattachée à Pornic, qui ne donne pas sur la mer.

13     Sous la plume de Paul Léautaud il s’agit évidemment de Paul-Louis Courier de Méré (1772-1825). Paul-Louis Courier a donc 17 ans lorsque survient la Révolution. À vingt ans on le retrouve jeune officier d’artillerie face aux Prussiens. Comme parfois les officiers, il n’aime pas la guerre mais la pratique beaucoup, ce qui ne l’empêche pas de lire les grecs entre deux coups de canon. Avec l’arrivée de Napoléon, où la France est en guerre contre le reste du monde, Paul-Louis Courier voyage beaucoup. Après dix-huit ans de batailles quasiment ininterrompues il quitte enfin l’armée pour entreprendre des batailles de bibliothèques, à peine moins dangereuses à cette époque, comme on le verra. La Révolution ayant bien été digérée dans le bonapartisme, Paul Louis Courier se met à pencher à gauche et le fait savoir en de nombreux pamphlets dont il s’est fait une spécialité. Cela lui vaut quelques amis délicats et de solides ennemis. L’ancien artilleur tire sur tout ce qui bouge, prêtres et puissants. Viennent les procès, les amendes, la prison. Mais il y a plus efficace et en avril 1925 Paul-Louis Courier est assassiné dans sa demeure de La Chavonnière, à quinze kilomètres au sud-est de Tours.

14     Que veut dire tard ? La phrase à venir va nous renseigner un peu : « Les chalets voisins ne vont pas tarder à être occupés. » Il s’agit donc des alentours du mois de juin. La dernière phrase du texte précise : « Je reviendrai en octobre ». Ce texte, nous le savons, est paru en août 1923. Il n’existe aucune mention d’un séjour à Pornic dans le Journal littéraire en juin 1923 mais une phrase d’une lettre à Maurice Martin du Gard, justement, datée du 23 juin indique « Je pars ce soir pour une dizaine de jours. » La date suivante du Journal littéraire est le samedi sept juillet mais il était dans les habitudes de Paul Léautaud — et de beaucoup de salariés — de rentrer le plus tard possible, donc le dimanche. On peut donc penser que ce séjour à Pornic a eu lieu du dimanche 24 (matin de l’arrivée) au dimanche premier juillet (soir du départ), soit neuf jours, correspondant bien à la « dizaine de jours » annoncée à Maurice Martin du Gard.

15     Dont Paul Léautaud, venu pour la première fois à Pornic au début de septembre 1914 jusqu’à fin octobre.

16     La marche Le Régiment de Sambre-et-Meuse a été composée en 1870 par l’auteur d’opérettes Robert Planquette. Robert Planquette (1848-1903) est surtout connu pour son opérette Les Cloches de Corneville, créée au Folies dramatiques du boulevard du Temple au printemps 1877. On lui doit aussi nombre d’opérettes à thème militaire comme Les Voltigeurs de la 32e ou La Cantinière. Cette marche a souvent été utilisée en musique d’attente des standards téléphoniques des institutions militaires dans les années 1970. Selon certaines sources, les paroles sont du très-oublié Guy de Binos, né en 1841, dont deux poèmes ont été recueillis dans le troisième volume du Parnasse contemporain paru chez Alphonse Lemerre en 1876.

17     Anne Cayssac.

18     Dans le Mercure du premier avril 1925 (page 172), le poète Fagus, ami de Paul Léautaud fustigera ce quatrain « Oh ! le navrant spectacle ! » avec la plus grande gentillesse.

19     Cette commune existe réellement, à dix kilomètres au nord de Pornic. On y fabrique les fameuses galettes Saint-Michel.

20     Comme son nom l’indique, il s’agit d’un train, de deux ou trois voitures montées sur pneus, entraînées par un locotracteur et destiné à rouler sur route. Toutes les roues sont motrices, entraînées par cardans. Il ne s’agit pas d’un tramway, qui nécessite des rails. Contrairement aux « petits trains » que l’on voit souvent dans les villes touristiques, les voitures étaient plus spacieuses, davantage destinés au transport et à relier des villes entre elles.

21     Louise Read (1845-1928) fait son apparition en 1879 dans la vie d’un Barbey d’Aurevilly de 71 ans. Elle a trente-cinq ans et devient son admiratrice. Dans les faits, elle sera à la fois la gouvernante et la « chargée d’affaires » de Jules Barbey d’Aurevilly. Son dévouement se double vraisemblablement d’un amour muet. Par testament, Barbey en a fait sa légataire universelle. Elle fondera le musée Barbey d’Aurevilly à Saint-Sauveur-le-Vicomte, au milieu du Cotentin.

22     Début de la seconde partie, parue la première fois dans Les Nouvelles littéraires du 25 août 1923.

23     La Tour de Nesle, construite au bord de la Seine, à la limite ouest de Paris au tout début du XIIe siècle et a été démolie au début des années 1860 pour être remplacée par la bibliothèque Mazarine. Cette tour a longtemps eu la réputation d’un lieu de débauche. Alexandre Dumas a écrit un drame en cinq actes sous ce titre, créé au théâtre de la Porte-Saint-Martin au printemps 1832.

24     Gilles de Retz (1405-1440) a combattu les Anglais à côté de Jeanne d’Arc et a été nommé maréchal, mais pas elle. Il quitte l’armée, mêne grand train et tue quand l’occasion se présente. Il est accusé de l’assassinat de plus d’une centaine d’enfants. Pour les femmes c’est moins sûr. Ce n’est au cours du XIXe siècle que son personnage sera fondu avec celui de Barbe-bleue, personnage de légende.

25     Cet hôtel n’existe plus mais l’immeuble est encore visible à l’angle du quai L’Herminier et de la rue du général de Gaulle.

26     Quai L’Herminier, pas très loin de l’ancien hôtel Continental, la minoterie de Pornic est toujours en activité depuis 1883.

27     Il a, un temps, été envisagé de faire de cette bourgeoise un bourgeois. La chose ne s’est pas faite, quelle qu’ait pu être la volonté du crapaud.

28     Il s’agit évidemment de ce que l’on appelait des « emplois réservés », notamment à cette époque aux blessés de guerre. De nos jours le code du travail a conservé une disposition analogue pour les personnes handicapées. Le lecteur connaissant peu Léautaud peut être surpris par les opinions données dans ces deux paragraphes, surtout après avoir lu celui d’avant sur les animaux. Ainsi était Paul Léautaud, tout blanc et tout noir à la fois.

29     Il s’agit vraisemblablement de l’édition d’Adolphe Paupe et Pierre-Arthur Chéramy parue en trois volumes chez Charles Bosse au printemps 1908 avec une préface de Maurice Barrès. Ce troisième volume traite des années 1830 à 1842 (Stendhal étant mort le 23 mars 1842). Voir le Journal littéraire au 18 mars 1908.

30     « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point. On le sent en mille choses. C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi parfaite, Dieu sensible au cœur. » Pascal, Pensées opuscules et lettres, numéro 680 dans l’édition de Philippe Sellier, classiques Garnier 2011, 826 pages.

31     Pour les gens nommés Doussier dans le Journal de Paul Léautaud, les choses sont un peu confuses. Il y a cette « femme du pays » et il y a aussi, à Paris, des « dames Doussier » (dont une Simone), amies d’Anne Cayssac (ce qui n’est pas un bon CV) qui semblent avoir épousé les deux frères, Georges et Henri. Nous nous promettons d’éclaircir ça un jour.

32     Paragraphe ajouté au texte des Nouvelles littéraires.

33     Paul Léautaud reviendra du 28 septembre au treize octobre.

34     Ce texte est paru pour la première fois dans L’Ermitage du quinze février 1906 page 75, dédié à Adolphe van Bever. Il s’agissait à l’origine d’une préface. Voir le Journal littéraire au 22 janvier 1906 : « Verrier m’a demandé il y a quelques jours, de nouveau, un article pour l’Ermitage. Je lui ai parlé de la préface aux quartiers de Paris que j’avais commencé à écrire […] » Voir aussi au 19 janvier « Mon article n’est autre que la préface que j’avais écrite, en avril 1903, pour les Coins de Paris que je devais écrire à la Revue bleue. »

Publicité page 149 de L’Ermitage de février 1906

35     Ces deux rues donnent dans la rue de Sèvres où elles sont distantes d’une centaine de mètres.

36     Les magasins d’épicerie Félix Potin sont apparus au milieu du XVIIIe siècle avec un concept novateur : Félix Potin fabriquait ou transformait dans ses usines les produits qu’il vendait sous sa marque. La première boutique de Félix Potin se trouvait rue des Martyrs et la famille de Paul Léautaud a vraisemblablement été cliente. L’extérieur du magasin du 103, boulevard de Sébastopol, où le nom de l’enseigne est encore visible, donne une idée du luxe de cette époque. À la fin du XXe siècle, l’entreprise vieillissante n’a pas su faire face aux autres marques de la grande distribution. On peut penser à ce qui est arrivé récemment aux librairies Gibert.

37     Bachelier, Remy de Gourmont (1858-1915, à 57 ans), trouve un emploi d’attaché de bibliothèque à la BNF. En 1886, à 28 ans, il publie son premier roman, Merlette, chez Plon, Nourrit et cie (287 pages), qu’il reniera par la suite. Cette même année il rencontre la demi-mondaine Berthe de Courrière (1852-1916), qui, après avoir été la maîtresse du ministre Georges Boulanger (1837-1891) est devenue modèle pour le sculpteur Auguste Clésinger (1814-1883), notamment pour un buste de Marianne encore exposé au Sénat. Remy écrit à Berthe des lettres passionnées qui seront rassemblées après sa mort, par son frère Jean en un volume, les Lettres à Sixtine, qu’évoquera parfois Paul Léautaud (Mercure, automne 1921, 202 pages). Mais bien avant cela il a écrit Sixtine « Roman de la vie cérébrale » dédié à Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, paru chez Albert Savine en 1890 (314 pages). Cette même année, RdG fait partie des onze fondateurs du Mercure de France, dont il sera jusqu’à sa mort la colonne vertébrale intellectuelle, sinon morale. L’année suivante, RdG est défiguré par un Lupus. Il s’abîme dans le travail. En 1891 parait dans le Mercure « Le Joujou patriotisme », texte majeur qui provoque son licenciement de la BNF. En 1894, avec Alfred Jarry, il fonde et dirige la revue L’Ymagier, qui ne vivra que deux ans. En 1905, avec André Gide, auteur Mercure occasionnel, il est appelé pour donner un troisième souffle à la revue L’Ermitage d’Henri Mazel, qui finira toutefois par être absorbée par la revue belge Antée. En 1910, il rencontre Natalie Barney, c’est de nouveau le coup de foudre, hélas non-réciproque mais qui entraine les Lettres à l’Amazone qui paraîtront dans la revue du Mercure avant d’être rassemblées en volume chez Georges Crès en 1914.

38     La description correspond bien. Cette partie de l’avenue du Trocadéro a été renommée en avenue du Président Wilson en 1918.

39     Peut-être les tramways, qui ont existé à Paris depuis le milieu du XIXe siècle avant d’être supprimés vers la fin des années 1950 (pour revenir plus tard, mais ceci est une autre histoire).

40     Le brevet du premier massicot a été déposé en 1844 par l’imprimeur français Guillaume Massiquot (1797-1870). Cet appareil à une seule lame nécessitait trois opérations de coupe pour un livre et il a fallu attendre le début du XXe siècle et l’arrivée du massicot dit « trilatéral » pour voir apparaître dans la librairie courante des livres massicotés sur trois côtés. Jusqu’au milieu du XXe siècle, néanmoins il était courant de trouver des ouvrages non massicotés. De nos jours sur le marché de l’occasion, les livres « non coupés » et pour lesquels l’acheteur a donc la certitude qui n’ont jamais été lus sont d’un prix bien plus élevé.