À la Comédie-Française

Bien que rédigé et publié dans le cadre d’une chronique littéraire, ce texte peut être considéré comme la première chronique dramatique de Paul Léautaud, qui signe ici pour la première fois de son pseudonyme de Maurice Boissard, et dont on retrouve (ou découvre) ici le mordant. Cette chronique est parue dans le numéro 183 du 1er février 1905 du Mercure de France, soit deux ans et demi avant la « vraie » première chronique dramatique d’octobre 1907. Elle est rééditée ici pour la première fois depuis 1905.

Cette chronique concerne ce livre, qui peut être téléchargé via un lien avant les notes.

À la Comédie-Française1

Il a paru, il y a quelques mois2, un petit ouvrage sur la Comédie-Française, dû à M. Maximin Roll3, ancien claqueur et figurant à ce théâtre4. J’ai tout de suite eu envie de le lire. J’ai été pendant longtemps un familier de la Grande Maison et j’y ai passé bien des soirées, dans les couloirs, au foyer des artistes, quelquefois même sur la scène, derrière un portant5. J’ai connu la belle époque du théâtre, j’ai causé quelquefois sur le ton le plus amical avec quelques-uns des grands artistes qu’il comptait alors6. J’ai vu aussi à leurs débuts ceux qui ont aujourd’hui une certaine réputation, j’ai été lié avec eux comme avec les premiers, mieux peut-être, moins de prestige nous séparant, et curieux de ma nature, j’ai beaucoup vu et retenu, sans jamais en avoir l’air. Puis, l’âge est venu, et les rhumatismes7, qui m’ont donné un autre fauteuil moins agréable, certes, que celui que j’occupais si souvent à l’orchestre, durant toutes ces soirées que je viens d’évoquer pour moi en quelques lignes. Je n’ai plus, pour me les rappeler, que mes souvenirs, mais si vifs, qu’une toilette que je revois, une intonation de voix restée dans mon oreille, ou les premières notes de la musique de certaines pièces, suffisent à me reporter à tel ou tel spectacle d’il y a dix ou vingt ans, comme s’il était d’hier. Pour toutes ces raisons, rien de ce qui concerne la Comédie ne saurait m’être indifférent et le petit livre de M. Roll ne pouvait avoir un meilleur lecteur. La preuve, c’est qu’après l’avoir lu, j’ai voulu dicter8 ceci pour conserver mon impression.

Il faut bien le dire, j’ai été un peu déçu. En raison des anciennes fonctions de M. Roll, je m’attendais à trouver dans son ouvrage autrement de piquant. Les anecdotes ne manquent pas sur les illustres sociétaires9, ni les « mots » avec lesquels on pourrait composer sur eux un sottisier fort amusant. Or, les Souvenirs d’un Claqueur et d’un Figurant sont bien loin de cela. Sans quelques reproductions de vieilles photographies d’artistes10, comme celles qu’on voit à côté de chez moi, à l’entrée de la papeterie qui fait l’angle des rues Laffitte et Châteaudun11, et qui m’ont rappelé de bons vieux amis, j’aurais été presque fâché. Les jeux de scène de tel ou tel artiste dans telle ou telle pièce, la façon de faire les annonces au public de tel ou tel sociétaire, ce qui fait le bon comédien et ce qui manque au mauvais, en même temps que des détails sur l’organisation de la claque et de la figuration, voilà tout ce dont s’occupe M. Roll, qui ne craint pas en outre de reprendre pour son compte des critiques cent fois lues sur la littérature de M. Claretie12 et sur les pièces du répertoire qu’on joue ou qu’on ne joue pas. Quant aux indiscrétions vraiment indiscrètes, aux observations malicieuses dont un ouvrage comme le sien devrait être plein, à peine deux ou trois mots, et seulement sur des morts ou des oubliés, ce qui en ôte tout l’intérêt. Je sais bien que le petit livre de M. Roll n’est pour lui qu’une entrée en matières et, qu’il nous promet d’autres petites « plaquettes », comme il dit, pour lesquelles les documents, à l’en croire, ne lui manquent point. Tout le monde, aussi, n’a pas mes raisons pour être difficile, et mes critiques, je le reconnais, n’ont qu’une portée très relative. Mais mon avis reste le même. Si les documents dont nous parle M. Roll sont vraiment intéressants, j’entends par là s’ils ont de quoi nous amuser aux dépens de gens que nous voyons tous les jours, il aurait bien dû commencer à les utiliser dans sa première plaquette. Elle eût mis davantage en goût les curieux, sans cesser d’intéresser les profanes, et les précautions de style qu’il prend dans sa préface pour assurer qu’il n’a de haine contre personne, à moins qu’elles soient de l’ironie en eussent paru moins inutiles.

Je me demande, du reste, si M. Roll ira jamais bien loin dans ses indiscrétions, si tant est qu’il ait de quoi être indiscret dans le sens piquant du mot. La grande admiration qu’il a pour la Maison de Molière l’arrêtera toujours au bon moment, cela se sent à son début. Il faut avoir l’esprit libre pour être homme d’esprit, et l’on raille mal ce qu’on aime trop. Il y a une vingtaine d’années, une telle admiration pouvait encore se soutenir, quoiqu’on ait toujours joué, rue Richelieu, d’une façon bien conventionnelle. Je n’ai jamais cru, comme le bénévole M. Roll, au grand talent d’un Maubant13 ou d’un Got14. Le premier n’était guère qu’une « utilité », et, quant au second, toujours pareil quoi qu’il jouât, son talent consistait surtout dans une sorte de tremblement des mains et un « ah ! ah ! » sénile qu’il se mettait à avoir à certains endroits de tous ses rôles. On avait fini par trouver cela admirable, et la salle, sur l’invitation d’une claque bien stylée, M. Roll doit en savoir quelque chose, éclatait chaque fois en bravos. Le gniouf-gniouf de l’acteur Dupuis, aux Variétés15, avait tout autant de prix, et l’opinion de M. Coquelin aîné16, que, les qualités d’un comédien se résument souvent dans un bon petit défaut ou un tic quelconque, n’a jamais trouvé un meilleur exemple. Mais il y avait alors à la Comédie un Fèbvre17, un Coquelin aîné, un Delaunay18, — pourtant bien agaçant, quelquefois, avec ses petits airs de flûte, — un Worms19, un Barré20, un Garraud21, un Thiron22, et du côté des femmes, une Croizette23, une Madeleine Brohan24, une Jouassain25. Ceux-là comptaient, et s’ils avaient les défauts de la Maison, ils en avaient aussi les qualités. Tandis qu’aujourd’hui ! Tous les gens de talent sont ailleurs, M. Guitry26, M. Tarride27, M. Guy28, etc., et quand on a nommé M. Mounet-Sully29, M. Le Bargy30, M. Leloir31, et M. Mayer32, on est bien près d’en avoir fini. Encore y a-t-il bien des réserves à faire en ce qui concerne M. Mounet-Sully, qui n’est tout à fait remarquable que dans deux ou trois rôles. Quant au rôle d’Hamlet, dans lequel tant de gens le trouvent admirable, il a beau y mettre toute son âme, comme l’on dit dans les journaux, il n’y a jamais rien compris. Il n’y a pas à prétexter l’Hamlet versifié et arrangé qu’on joue à la Comédie ; si les passages les plus légendaires s’y trouvent faussés pour les besoins de la versification, le caractère du héros y demeure le même. Pas plus à prêter à M. Mounet-Sully l’argument — détestable — qui consiste à dire que si l’on jouait Hamlet comme il doit être joué cela assommerait le public français ; il est bien trop au-dessous, ou au-dessus, comme on voudra, de ces subtilités.

Mounet-Sully en décembre 1880 par J.-M. Lopez « photographe américain », 53, rue des Martyrs, puis au 40, rue Condorcet. Ce Lopez avait de nombreux acteurs et actrice de la Comédie-Française à son catalogue. Il s’agit vraisemblablement d’un portrait de 6,5×11 cm obtenu par contact.

Il joue comme il sent, comme il voit, et avoir fait d’Hamlet, comme lui, tour à tour un Roméo roucoulant et prenant des poses d’Adonis, et un furieux rugissant à pleine gorge, c’est plutôt une trouvaille. Pauvre cher prince, se voir ainsi travesti !33 Il avait décidément raison d’être pessimiste. Je me rappelle ses paroles, justement au sujet des comédiens. « Rien ne me blesse l’âme comme d’entendre un Stentor34 en perruque, aux robustes poumons, déchirer une passion en éclats, qu’il vomit aux oreilles d’un parterre ignare et grondant, dont la plupart ne veulent que du bruit, et ne sont capables de sentir autre chose que des pantomimes ridicules et inexplicables. » Pourrait-il mieux dire s’il voyait aujourd’hui son interprète ? Cependant, M. Mounet-Sully passe pour l’Hamlet rêvé. Un critique dramatique a même eu l’idée, il y a quelques années, à propos d’une reprise de la pièce, de lui offrir un banquet pour célébrer « Mounet-Hamlet », comme il disait. Ni l’un ni l’autre n’ont jamais songé au certain côté d’humour qu’il y a dans le rôle d’Hamlet, ni combien le tragique, au théâtre, serait plus humain si l’on y mêlait un certain comique à peine sensible, une légère ironie, rien que dans le débit, par exemple. D’ailleurs, si l’intelligence n’est pas son fort, rien d’excessif non plus comme culture, M. Mounet-Sully. Il n’est pas besoin de le connaitre pour en juger. On le verra tout à l’heure par un mot de lui au sujet d’Hamlet. Le grand tragédien est comme les gens qui vont au Louvre et qui s’imaginent que tous les tableaux sont de peintres français ; l’idée qu’Hamlet peut être de Shakespeare dépasse ses moyens. On peut le voir aussi aux pièces de vers qu’il récite à droite et à gauche, dans diverses circonstances : Océano Nox35, La Ballade du Désespéré36, Les Pauvres gens37 ; il ne connaît pas autre chose. Il faut lui reconnaître une supériorité, pourtant. C’est cette capacité de cabotinage qui fait de lui le cabot-type, avec des allures de penseur38 désintéressé et éperdu d’idéal. Là, M. Mounet-Sully est vraiment un grand artiste. Mieux qu’aucun de ses collègues, il montre à quel point l’idée du public peut rendre à la ville un comédien ridicule. M. Laugier lui-même39, si parfait sous ce rapport, n’est rien à côté de lui. Il faut avoir vu M. Mounet-Sully prendre un fiacre. Les marches du palais d’Œdipe, au cinquième acte40, ne sont rien à côté du trottoir à descendre et du marchepied de la voiture à franchir. On dirait qu’il a 1 500 personnes qui le regardent, et il doit sûrement s’étonner de ne pas entendre de bravos. Quoi qu’il fasse, toujours le comédien, que dis-je ! le tragédien paraît. Un de mes amis le voyait encore dernièrement, un soir, dans la boutique de Flammarion, à côté de l’Odéon41, feuilletant un album de gravures. Il était dix heures passées. La rue était déserte, et il n’y avait personne dans la boutique, qu’on était en train de fermer, que la vieille caissière. Il posait quand même, le jarret tendu, l’index sur le front, les cheveux arrangés, les yeux hagards, hamlétique et Œdipien tout à la fois, comme s’il eût eu devant lui toute une salle de première. On se rappelle Delobelle42, soupant de trois-quarts, seul dans sa mansarde.

Paul Mounet en 1882 par Isidore Alphonse Chalot, 18, rue Vivienne

Viennent ensuite MM. Paul Mounet43, Albert Lambert44, Silvain45 et de Féraudy46 ; on peut s’arrêter là, je pense. Sont-ils vraiment si remarquables comme talent ? Ce n’est pas mon avis, même sans parler des qualités indispensables qui leur manquent, comme à tous les gens de la Maison : le naturel, l’aisance, la fantaisie. On connaît M. Paul Mounet. Dans la tragédie et les pièces d’Hugo, il a son utilité, pour les gens qui aiment le bruit. Mais quel feu sacré excessif, d’aucuns disent même quel manque de tenue ! Il apporte quelquefois sur la scène une telle ardeur, une telle ivresse… d’art47, qu’il en joue tout de travers. M. Albert Lambert, qui ferait sourire sur une scène du boulevard par son romanesque démodé, se signale surtout par un sens très adroit des postiches, à la ville comme au théâtre. M. de Féraudy tient de son parent, M. Got, le bon petit défaut, le tic bien employé, qui tiennent si facilement lieu de talent ; sa réputation actuelle le prouve encore une fois. Reste M. Silvain. On ne peut, en bonne justice, lui dénier une vulgarité et un manque de diversité rares à ce degré. Il passe, je sais bien, pour un véritable artiste, désintéressé, aimant l’art pour l’art, toujours dans les nuages, — il a une façon comique, quand on l’aborde, d’avoir l’air de vous apercevoir soudain, et de s’exclamer, alors qu’il y a une heure qu’on est devant lui. Il n’a pourtant pas son pareil pour s’inquiéter de la recette, les soirs qu’il est au théâtre, n’ayant de cesse qu’on lui en ait enfin apporté le chiffre. Quel frottement de mains, si elle est bonne, quel air important ! On devrait bien lui confier les « financiers ». Avec cela, quelle camaraderie ! Je me rappelle un soir qu’on jouait Œdipe-Roi48. J’étais dans la coulisse. Mounet-Sully était en scène. Silvain me voit, vient à moi, me montre son camarade en train de jouer : « Non, voyons, me dit-il, est-il possible d’être plus ridicule ? » J’ai pensé ce soir-là que ce devait être lui qui avait donné à M. Mounet-Sully son surnom de rugisseur de la Comédie-Française. Quant aux femmes, aucune non plus qui soit supérieure à telle ou telle actrice du boulevard, au contraire. D’ailleurs, quand il y a par hasard une femme intéressante, une artiste intelligente, personnelle et un peu goûtée du public, tout est mis en œuvre pour la faire partir. On ne sait pas ce qu’est la Comédie pour les indépendants, pour les timides novateurs : un enfer de perfidies. Mmes Brandès49, Moréno50 et Lerou51 en ont fait l’expérience. Il y a Mme Bartet52, me dira-t-on. Je serais désolé de déplaire le moins du monde à Mme Bartet, qui est bien la femme la plus charmante qui soit. Je ne puis cependant travestir mon opinion à son sujet. Il lui manque, pour être vraiment une grande artiste, d’avoir su se défaire de tout ce qu’elle a de bourgeois et d’étriqué. Ce n’est rien, je sais bien, et cependant… Jamais elle ne donne d’autre impression, sur la scène, que celle d’une femme distinguée, qui sait bien parler. Des moyens faibles, du reste. Il y a sur elle un mot de Mme Sarah Bernhardt tout à fait juste : Elle a le talent court.

Il faut surtout dire qu’il y avait alors à la Comédie une autre direction, un véritable administrateur, j’ai nommé M. Émile Perrin53. Quelle différence avec ce mou et fuyant M. Claretie ! Celui-là ne cherchait pas à se concilier la bienveillance des sociétaires en écrivant sur eux des articles platement élogieux54, et s’il avait désiré en parler, il aurait tout au moins attendu de n’être plus en fonction. Sans aucun éclat, uniquement préoccupé de son théâtre, et non de plaire à tout le monde par des complaisances nuisibles à la Maison, il savait maintenir chacun à son rang et obtenir de tous ce qui était nécessaire. Je me rappelle une certaine répétition de La Parisienne, de Becque, je crois55. C’était quelques jours avant la répétition générale. M. Le Bargy déclara soudain qu’il rendait son rôle56. Naturellement, grand émoi de l’auteur, qui voit sa pièce arrêtée, tout à recommencer. Il en informe M. Perrin, assis dans le Guignol placé derrière le souffleur. M. Perrin l’écoute, avec cet air un peu en bois qu’il avait, se lève de sa chaise : « Ce n’est rien, dit-il, je vais arranger cela », et s’en allant vers le fond du théâtre : « M. Le Bargy, voulez-vous venir une minute, j’ai un mot à vous dire. » Cinq minutes après, tous deux revenaient sur le théâtre. « M. Le Bargy garde son rôle », disait de sa voix mince M. Perrin à l’auteur. Aujourd’hui, c’est M. Le Bargy qui l’emporterait sur M. Claretie, Guimauve le Conquérant, comme l’appellent entre elles ces dames sociétaires.

D’ailleurs, pourquoi ces messieurs se soucieraient-ils des auteurs ? Ne sont-ils pas auteurs eux-mêmes ? M. de Féraudy écrit des romances et des polissonneries pour petits théâtres. M. Silvain fait des vers sur n’importe quoi, sans arriver pour cela à en réussir un seul. M. Jules Truffier57 rime de petites choses : Dimanches et Fêtes, qui ne font pas regretter qu’il ait négligé les semaines. M. Georges Berr58 écrit des comédies, des vaudevilles, des opérettes à grand spectacle, et probablement aussi des poèmes élégiaques. M. Leloir59 travaille, mal, pour l’Ambigu60, et M. Esquier61, guère mieux, pour les théâtres suburbains. Jusqu’à M. Mounet-Sully qui, non content de sculpter, mais oui ! écrit on ne sait quels drames noirs et vociférants, et s’abouche, pour ce faire, avec des librettistes d’opéras. Tous enfin, non contents de tripatouiller les pièces qu’ils jouent, font de leur mieux de la littérature. Alors, c’est simple. Un auteur, c’est un confrère. On lui donne des conseils, on lui indique des changements, on coupe, on ajoute, on collabore enfin. Il arrive bien, de très rares fois, que l’auteur se rebiffe et qu’il faut l’écouter. On se rattrape alors avec les morts. Les morts, voilà des gens commodes et qui souffrent les observations. Allez voir jouer du Molière ou du Beaumarchais, quelquefois ; ce n’est plus du Molière ou du Beaumarchais, c’est du Coquelin cadet62. Il y a quelques années, on reprit Montjoie63. Les répétitions furent bien amusantes. À chaque scène, M. de Féraudy refaisait le texte, le déclamait devant ses camarades qui lui en faisaient la critique. Le plus drôle, c’est qu’il conservait justement les passages les plus rococos, ce qui amusait fort M. Le Bargy, qui est, comme on sait, la seule intelligence de la Maison. À la représentation, ce qui restait d’Octave Feuillet n’était pas lourd. Jusqu’où de telles pratiques iront-elles et la littérature de ces messieurs, on l’ignore, quoique pour leur littérature on soit déjà fixé : elle ne va pas loin. Il paraît cependant que M. Claretie se préoccupe de remédier à cet état de choses. Il se proposerait dans cette vue de monter lui-même sur la scène. Il jouerait d’abord Tartufe, Le Menteur et Les Fourberies de Scapin, rôles qui lui sont familiers64. On verrait ensuite. Mais on assure déjà qu’après avoir vu de mauvais comédiens être de si mauvais auteurs, on verrait un mauvais auteur être un parfait comédien.

Tout a bien changé, du reste, à la Comédie-Française, ces dernières années. Les lieux eux-mêmes ne sont plus tout à fait ceux que j’ai connus dans les beaux jours du théâtre. Depuis l’incendie de 1900(65), les réparations effectuées à l’intérieur du monument, au lieu de conserver le cadre ancien, si plein de caractère, ont tout bouleversé66. Je me rappelle le couloir qui menait du foyer du public à la scène et au foyer des artistes, avec son magasin d’accessoires plein d’objets les plus divers, et le petit bureau du garçon des accessoires, bien amusant aussi. Quelques années auparavant, on l’avait bien un peu modifié déjà ; le cabinet d’accessoires si curieux avait été relégué à l’étage au-dessus, mais le couloir avait subsisté, avec ses banquettes de velours rouge d’un rococo pas laid, ses vieux tableaux médiocres dans des cadres charmants, ses bustes jaunis, toute sa patine délicieuse. Que de gens célèbres avaient défilé dans ce couloir, que de grands auteurs, des soirs de premières, avaient reçu là, tout près du petit escalier qui conduisait à la scène et qu’on a changé de place aussi, les premiers compliments sur leur ouvrage ; que de propos s’y étaient tenus, et de toutes sortes, depuis les plus galants jusqu’aux plus graves. Couloir où j’avais tant flâné, gens que j’avais coudoyés, propos auxquels j’avais pris ma part ou dont j’avais entendu quelques uns. Ah ! mes souvenirs, mes souvenirs, comme on s’est peu soucié de vous ! Maintenant, tout cela a disparu. À la place du vieux couloir plein de caractère, il n’y a plus qu’un petit corridor irrégulier, étroit et court, encore enlaidi par la cage d’un ascenseur et les énormes conduites d’une bouche d’eau pour l’incendie. Les vieilles peintures ont été reléguées je ne sais où, rejoignant probablement dans un comble les éléments pittoresques de l’ancien cabinet d’accessoires. Bien d’autres parties du théâtre ont été modifiées sans rien d’heureux, le bureau du secrétaire général, le bureau du régisseur, celui des souffleurs et celui de l’archiviste. Le mobilier aussi a été changé, et le foyer des artistes, si beau autrefois, ressemble maintenant aux salles d’exposition de mobiliers des magasins de nouveautés. Plus rien de familier, plus rien qui rappelle le passé. Tout est peint d’hier, tout est froid, tout a l’aspect du neuf, sauf les comédiens, hélas. ! qui sont toujours vieux, même les jeunes. L’air de la Maison, sans doute. Il faut bien rendre en effet cette justice à la Comédie qu’on y trouve au moins une chose tout à fait admirable : la tradition. Elle y est si bien observée, tout le monde lui est si fidèle, qu’on peut toujours dire de ces messieurs et de ces dames ce qu’en disait au XVIIIe siècle Caylus67 dans ses Mémoires de L’Académie des Colporteurs, quand il les comparait à « un certain nombre de bûches en coiffures ou en perruques68 », ou ce qu’en disait plus près de nous Stendhal, dans les Mémoires d’un touriste : « Les acteurs des Français, quand ils marchent sur les planches, me font l’effet de gens de fort bonne compagnie et de manières très distinguées, mais que le hasard a entièrement privés d’esprit69. » Encore pourrait-on, pour beaucoup, retrancher la « bonne compagnie » et les « manières très distinguées ».

Il n’est pas jusqu’au renom de bonne tenue et de sérieux de la Comédie qui ne s’en aille un peu plus chaque jour. C’est maintenant un théâtre à petites femmes, tout comme au boulevard. On y voyait bien autrefois, les unes après les autres, les femmes d’Alexandre Dumas fils, mais au moins avaient-elles le mérite d’être toutes d’admirables créatures. Aujourd’hui, chaque sociétaire fait engager sa bonne amie70, qui souvent n’est pas même jolie. Je pourrais citer des initiales de couples, si je voulais, mais à quoi bon troubler les ménages légitimes ? Ces messieurs ont voulu avoir un « tendre ménage » au théâtre, voilà tout. II est seulement dommage que ce soit le public qui en supporte les désagréments, en voyant à la place d’actrices de talent de jeunes personnes qui en sont tout à fait privées. Il n’y a, sous ce rapport des femmes, que ce bon M. CIaretie qui soit sérieux. Il est vrai qu’il règne à l’intérieur, comme en témoigna le petit nom que lui ont donné ces dames et que j’ai rappelé plus haut. Il est aussi plus pratique. On racontait beaucoup, il y a quelque temps aux Beaux-Arts, cette anecdote. Un grand éditeur parisien désirait faire engager sa maîtresse dans un de nos théâtres subventionnés. Il pressentit dans cette vue l’administrateur de ce théâtre, lequel se trouvait être en même temps son édité. « Je veux bien, lui répondit l’administrateur. Mais gentillesse pour gentillesse. Vous me ferez mes « œuvres complètes ». — La demoiselle a été engagée et les « œuvres complètes » sont commencées.

Mais je reviens à M. Roll, que j’ai un peu bien négligé depuis quelques pages. Je disais qu’il est à craindre que la grande admiration dont il témoigne pour la Comédie-Française lui permette jamais d’être bien indiscret. C’est dommage, surtout s’il a vraiment entendu et noté des choses intéressantes. Mais a-t-il beaucoup vu et entendu par lui-même ? Si j’en crois ce qui m’a été dit, qu’à son départ du théâtre il aurait sollicité les confidences de quelqu’un qu’il supposait renseigné, il doit plutôt savoir par ouï-dire, du moins pour une grande part. Quoi qu’il en soit, qu’il raconte ce qu’il sait. Il ne se vengera pas, puisque, hélas ! il est sans haine71, mais il nous amusera peut-être, et ces messieurs de la Comédie nous le doivent bien, car, ainsi que me le disait un jour une femme d’esprit qui les connait : « Ce que ces gens-là jouent encore le mieux, ce sont Les Fâcheux, — à la ville. » Qu’il m’en croie aussi. Il n’est pas au monde de plaisir plus vif que d’écouter, même en cachette, de retenir et de raconter. La bonne foi, l’impartialité, dont il semble se soucier si fort, n’ont au contraire rien à y voir. Le parti-pris, la méchanceté, sont bien plus ce qui convient. Il est vrai qu’il y faut un grand talent, et un certain esprit, tant rien n’est difficile à raconter comme un « mot » sans l’affadir. Les « mots » sont nombreux et les Chamfort rares. Ce n’est pas pour M. Roll que je dis cela, c’est pour moi. Je voudrais en effet l’encourager, s’il me permet ce terme, en mettant à la suite de ces pages quelques notes prises au hasard dans mes souvenirs sur la Comédie. Je n’ai rien d’un homme de lettres et je n’aurais jamais pensé, sans son petit livre, à publier même ces fragments, écrits, comme le reste, pour ma distraction personnelle. Je prie qu’on en excuse au moins le décousu.

L’autre soir, au bas de l’escalier qui mène aux loges, Féraudy causait avec Rachel Boyer72, ou Kalb73, je n’ai pas bien vu en passant. Il parlait de son intention de s’en aller, mécontent de sa situation, manque de beaux rôles, etc. Sa camarade le réconfortait de son mieux : « Que veux-tu, finit-il par lui dire, moi, il faut que je fasse de l’art. Au fond, je suis un poète. Il faudrait que je puisse travailler, écrire, donner plus d’essor à ma pensée… » Et quel air penché ! — sur la rampe.

Un pharmacien de mes amis me disait : « Paul Mounet, ah ! oui, il est étonnant. — Vous l’avez vu jouer ? lui dis-je. — Moi, pas du tout ! Mais je l’ai vu souvent au café Voltaire, qui sautait le billard. Il est rudement fort74. ».

On mettait en scène une pièce où l’on voyait les neuf muses75, personnages muets, représentées par des figurantes. Le metteur en scène expliquait l’ordre des personnages. Il venait d’indiquer, au fond du théâtre, la place des neuf figurantes. « Neuf muses, dit M. Mounet-Sully d’un air songeur. Ça garnit bien peu, vous ne trouvez pas ?… Si nous en mettions une douzaine ? ».

Ce mot m’en a rappelé un autre, de ce pauvre Marais, quand il jouait au Gymnase, sous la direction Koning76. Marais était toujours très préoccupé de ses costumes. Pendant les répétitions de L’Abbé Constantin77, je crois, où il devait paraître en officier, puis en costume de ville, il s’obstinait à réclamer, sans que personne y comprît rien ; un troisième costume. Arrivent les dernières répétitions. Marais insiste plus que jamais. Koning, tout en lui assurant qu’il se trompe, se décide à examiner la question. Marais prend la brochure. « Tenez, dit-il. Au premier acte, je suis en officier. Bon ! Au deuxième, je suis en civil. Mais là, au troisième, vous voyez-bien : il entre en tapinois. Où est mon costume tapinois ? »

À la répétition générale de l’Hamlet de MM. Marcel Schwob et Morand78, au Théâtre Sarah-Bernhardt, M. Mounel-Sully rencontra dans un couloir M. Marcel Schwob. « Ah ! lui dit-il, que c’est mal ! Nous avions un Hamlet français, vous avez fait un Hamlet anglais. »

Mademoiselle… quitte la Comédie. Elle faisait hier à M. Claretie sa visite d’adieux. « Alors lui dit-il, c’est définitif ? — Oh ! absolument, répondit-elle. — Comment ? Vous avez signé ? — Pas encore, mais j’ai donné ma parole. — Oh ! alors, répliqua vivement l’administrateur, tout peut s’arranger. »

Dans Une famille au temps de Luther79, il fallait une Bible à M. Mounet-Sully. Il voulut à toutes forces en avoir une de l’époque. En vain M. Claretie lui objecta la difficulté à se procurer un tel livre et la dépense qui en résulterait. Après avoir couru tous les libraires, M. Claretie apporta enfin à une répétition le vieux bouquin désiré. Tout joyeux, il le tendit au tragédien. Celui-ci le prit, le regarda, le retourna, le flaira même, puis, le laissant retomber sur une table, devant l’administrateur anxieux : « Mais non, dit-il d’une voix chevrotante, mais non. À cette époque-là, c’était un livre neuf. »

J’aurai cinquante ans dans quelques mois80. Comme je suis encore sensible, pourtant ! J’étais hier soir à Phèdre. Mlle Moréno jouait Aricie. Avec quelle voix elle disait ce passage : « Reste du sang d’un roi, noble fils de la terre… » et cet autre : « Mes yeux alors, mes yeux n’avaient pas vu son fils…81 » Je pleurais presque en l’écoutant.

Il paraît que M. Mounet-Sully ne veut plus jouer Ruy Blas. « Un rôle de domestique !82 » dit-il d’un air offusqué.

Il me faut aussi rendre une justice à M. Roll. Son petit livre est parfaitement écrit, avec cette sorte d’esprit, si rare et si séduisante, où le regret se mélange doucement à l’oubli. Il y rapporte aussi sur son propre compte quelques anecdotes tout à fait jolies. Je n’en veux pour preuve que celle-ci, quand il était enfant. Un jour, il devait aller chez le dentiste. Naturellement, il y montrait peu d’empressement. « Veux-tu voir ce soir Croizette dans L’Aventurière ?… » lui dit sa maman. Le dentiste lui arracha deux dents83. Rien qu’à ce seul trait, je crois deviner le petit garçon charmant que c’était là. Je m’en serais voulu de ne pas lui faire, de loin, un petit signe d’amitié.

Maurice Boissard


Sarah Bernhardt dans Hamlet (carte postale)

1       Dans le Mercure du 1er février 1905. Journal littéraire daté du 9 septembre 1904 : « J’ai une Variété sur la Comédie-Française à faire pour le Mercure, à propos d’un petit livre de souvenirs d’un ancien claqueur et figurant, que j’ai moi-même connu autrefois. Ce travail m’assomme. » 
Journal littéraire au 8 novembre 1904 : « Je viens de finir d’améliorer un peu l’article sur la Comédie, remis au Mercure il y a quelques jours. Il y a du plaisir dans la méchanceté, décidément. Malgré mes difficultés à être content de ce que je fais, je me suis tout de même amusé en disant du mal de tous ces cabots que j’ai en grippe, rien que pour les avoir vus. »

2       L’Avertissement est daté de janvier 1904.

3       Pseudonyme de Jean Raphanel, critique dramatique, qui a été auparavant l’auteur d’une Histoire anecdotique des théâtres de Paris (1896) et d’une Histoire au jour le jour de l’Opéra-comique (en 1898), et sera rédacteur en chef de la Revue des comédiens.

4       Notes sur la Comédie-Française. Souvenirs d’un Claqueur et d’un Figurant, aux bureaux du Magasin pittoresque, 53, rue Monsieur-le-Prince. 146 pages très aérées. Prix : 2 francs.

5       Dispositif ayant une certaine proximité avec les portants utilisés dans les magasins de confection, ces portants, le plus souvent en bois et mobiles, reçoivent des projecteurs devant être disposés dans les coulisses. Un portant peut aussi recevoir une pièce de costume ou un accessoire, voire un verre d’eau ou une boîte de kleenex. Dans tous les cas il est préférable de se trouver derrière.

6       Firmin Léautaud (1834-1903), le père de Paul, comédien plus ou moins abouti, a été souffleur à la Comédie–Française de 1875 (PL avait trois ans) jusqu’à sa retraite en 1897.

7       Paul Léautaud, qui a juste 33 ans en rédigeant cette chronique de février 1905, souhaite établir, dans Maurice Boissard, le personnage d’un vieux monsieur. Il a même cherché dans les boîtes des bouquinistes, sans le trouver, un portrait d’homme âgé pouvant convenir.

8       Paul Léautaud n’a jamais dicté à qui que ce soit, surtout à cette époque. Nous sommes toujours dans le personnage du vieux monsieur.

9       Un comédien arrivant à la Comédie-Française a le titre de pensionnaire. Après au moins une année dans la troupe, le pensionnaire peut accéder au statut de sociétaire, sur la proposition du Comité d’administration aux sociétaires réunis en assemblée générale. À son départ, un sociétaire ayant au moins vingt ans d’ancienneté dans la troupe peut être nommé sociétaire honoraire. Le doyen n’est pas le comédien le plus âgé mais le sociétaire le plus ancien depuis son entrée dans la troupe.

10     Ces photographies sont les suivantes : Sophie Croizette (dans La Princesse de Bagdad), Delaunay (en 1872), Madeleine Brohan (dans Le Monde où l’on s’ennuie), Edmond Got (dans Mercadet), Émilie Broisat (en 1886), Charles Thiron (dans le rôle du Marquis de la Seiglière), Mounet-Sully (en 1878), Jeanne Samary (à 18 ans), Laroche (en 1869), Blanche Barretta (à 20 ans), Coquelin aîné (dans le rôle du marquis du Joueur de Jean-François Regnard), Suzanne Reichenberg (en 1880).

11     C’est dans sa jeunesse que PL habitait ce quartier mais depuis 1890 il a habité à plusieurs adresses de la rive gauche sans jamais la quitter, jusqu’à son départ pour Fontenay-aux-Roses en 1912.

12     Jules Claretie (1840-1913), a collaboré à de nombreux journaux sous plusieurs pseudonymes, notamment au Figaro et au Temps. Il a tenu la critique théâtrale à L’Opinion nationale, au Soir, à La Presse et abordé un peu tous les genres de littérature. Comme historien, il a écrit une Histoire de la Révolution de 1870-1871 ; comme romancier, Monsieur le Ministre, Le Million, Le Prince Zilah et bien sûr Brichanteau comédien dont il sera question ici note 46. Jules Claretie était aussi conférencier et auteur dramatique, président de la Société des Gens de Lettres, et de la Société des Auteurs dramatiques. Il a surtout été administrateur général de la Comédie-Française de 1885 à sa mort en décembre 1913. Jules Claretie a été élu à l’Académie française le 26 janvier 1888, où il a été reçu par Ernest Renan.

13     Maubant (Henri-Polydore Maubant, 1821-1902) est entré au conservatoire en 1839 et à la Comédie-Française en 1842. Comédien de haute taille, à la voix de basse, au profil « romain », Maubant a joué sa vie durant les « pères nobles », les empereurs et les rois avant de prendre sa retraite en 1889.

14     Edmond Got (1822-1901), a suivi les premières années de carrière de Maubant. Il est entré au Conservatoire en 1841 pour recevoir un premier prix de comédie en 1843 et débuter à la Comédie-Française en 1844 où il a été reçu sociétaire en 1850. Edmond Got a été doyen de la troupe de 1873 à 1894, année de sa retraite, juste avant l’arrivée du cinématographe.

15     Peut-être (il y a de nombreux Dupuis) Joseph-Lambert dit « José » Dupuis (1833 à Liège-1900), comédien et chanteur belge.

16     Constant Coquelin (1841-1909), dit Coquelin Aîné (par rapport à son frère Ernest), est l’un des comédiens les plus notoires de son temps, pour avoir créé le rôle de Cyrano de Bergerac. Après son premier prix de comédie au conservatoire en 1860, Constant Coquelin a débuté à la Comédie-Française la même année et en est devenu sociétaire en 1864 pour la quitter en 1886 et y revenir en 1891 comme pensionnaire. En 1895, Constant Coquelin est entré au théâtre de la Renaissance, puis a pris la direction du théâtre de la Porte-Saint-Martin avec son fils Jean, jusqu’en 1901 où il a laissé cette direction à son fils seul. Le 28 décembre 1897 il y a créé le rôle de Cyrano de Bergerac, ce qui lui assure une gloire éternelle. En 1911, son nom a été donné à une avenue à Paris (en fait une impasse prenant sur le boulevard des Invalides). Constant Coquelin est le fondateur de la maison de retraite des vieux comédiens de Pont-aux-Dames, au sud de Meaux.

17     Frédéric Fèbvre (1833-1916) a appris le métier sur les boulevards avant d’entrer à la Comédie-Française en 1866, d’être sociétaire l’année suivante et de prendre sa retraite en 1893. Frédéric Febvre a laissé quelques écrits, dont son Journal d’un comédien paru chez Ollendorff en 1896, enrichi d’une préface de Jules Claretie et d’Alexandre Dumas juste avant sa mort (deux tomes de 282 et 274 pages). On peut noter une originalité, Frédéric Fèbvre a publié, sans date, chez Alcide Picard et Kaan, onze rue Soufflot, une liste de toutes ses interprétations (56 pages).

18     Louis Delaunay (1854-1937), bien que né à Paris, a débuté en province et est entré tardivement à la Comédie–Française, en 1896. Il a été sociétaire en 1904 et retraité en 1916. On ne le confondra pas avec son père, Louis-Arsène Delaunay (1826-1903), lui aussi de la Comédie-Française. Maximin Roll voue un culte particulier à Louis Delaunay.

19     Gustave Worms (1836-1910), est entré à la Comédie-Française en 1858 en étant d’abord la doublure de Louis Delaunay. Ne pouvant accéder au sociétariat Gustave Worms a démissionné en 1864 après avoir trouvé un engagement au théâtre français de Saint-Pétersbourg — le théâtre Michel — où il rencontre un grand succès. Après onze ans d’absence il est revenu en France pour jouer au Gymnase puis à la Comédie-Française au côté de Sarah Bernhardt et a enfin été nommé sociétaire en 1878. Il n’est plus alors la doublure de Louis Delaunay mais son successeur, particulièrement à l’aise dans les pièces contemporaines. Professeur au conservatoire (comme tous les comédiens vus dans les notes supra), il a formé Marguerite Moreno et Lugné-Poe, pour ne citer que des comédiens proches de Paul Léautaud.

20     Léopold Barré (1819-1899) avait déjà une importante carrière dans le théâtre privé avant d’arriver à la Comédie-Française en 1858 où il a excelle dans les rôles de petit-bourgeois naïf et borné.

21     Louis-Eugène Garraud (1829-1893) est né à Besançon, ce qui l’a conduit faire son apprentissage en province avant de débuter au Gymnase en 1854 puis d’être admis à la Comédie-Française en 1858 où on lui a distribué surtout des seconds rôles. Après avoir été admis au sociétariat en 1889 Louis-Eugène Garraud a fait partie de la première tournée provinciale de la Comédie-Française en 1893. L’âge venant Louis-Eugène Garraud a reçu des emplois dits de « manteau », réservés à des comédiens d’une certaine prestance (portant un manteau, éventuellement royal).

22     Après son premier prix de conservatoire en 1848, Charles Thiron (1830-1891) a été engagé par la tragédienne Rachel (1821-1858), qu’il a accompagné en tournée à l’étranger. Il a débuté à la Comédie-Française en 1852 mais surtout à l’Odéon en 1854. Sociétaire en 1872, retraité en 1889.

23     Sophie Croizette (1847-1901) a reçu un premier prix du conservatoire en 1869 et a intégré la Comédie-Française immédiatement. Elle est devenue sociétaire en 1873 et a pris sa retraite en 1882, à 36 ans, pour épouser le banquier Jacques Stern. Marie Dormoy dans son Introduction aux Lettres à ma mère, raconte la découverte de Sophie Croizette par un jeune Paul, « n’ayant guère plus de trois ans », lors d’une des rares visites de sa mère : « On jouait Le Supplice d’une femme, d’Émile de Girardin. Mlle Croizette y tenait le principal rôle et Léautaud n’oublia jamais l’instant où il la vit, assise sur un canapé, tenant auprès d’elle une petite fille vêtue d’une belle robe blanche. Cette première vision du théâtre compta plus que la première rencontre avec sa mère. »

24     Madeleine Brohan (1833-1900), a remporté le premier prix du conservatoire à l’âge de seize ans et a été immédiatement recrutée par la Comédie-Française pour participer à la création des Contes de la Reine de Navarre, d’Eugène Scribe et Ernest Légouvé en 1850 au côté d’Edmond Got (objet de la note 14). Sociétaire en 1852, à 19 ans, Madeleine Brohan a créé le rôle de Marianne, des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset. Madeleine Brohan a pris sa retraite en 1885. Si Paul Léautaud, qui utilise peu les prénoms ainsi qu’était l’usage de ce temps, précise « Madeleine » c’est afin que l’on ne la confonde pas avec sa mère ou sa sœur (qui se prénommaient toutes deux Augustine), toutes deux comédiennes.

25     Clémentine Jouassain (1829-1902) avait le nez fort et le visage austère, ensemble parfait pour les duègnes et les mères de famille rigoristes de ce temps. Après des débuts timides à l’Odéon, Clémentine suit Rachel en tournée, peut-être accompagnée de Charles Thiron (objet de la note 22). C’est Rachel qui la fera débuter à la Comédie-Française en 1851 dans un rôle à sa mesure, celui de Céphise, l’amie d’Andromaque. « Andromaque : …Allons. / Céphise : Où donc, Madame ? et que résolvez-vous ? / Andromaque : Allons sur son tombeau consulter mon époux. » (fin de l’acte III). Clémentine Jouassain est devenue sociétaire en 1863 et a pris sa retraite en 1887. Avant cela, en juin 1876, âgée de 47 ans, Clémentine Jouassain avait épousé le marin Albert Detournière (1831-1895). Certaines sources indiquent que ce mariage aurait fait de Clémentine une baronne « de Tournière » mais il semble qu’il s’agissait davantage d’un sobriquet donné à la prestance de Clémentine que d’une réalité.

26     Nous sommes en 1904, il ne peut donc s’agir que de Lucien. C’est précisément le cinq novembre 1904, après la parution des Souvenirs de Maximin Roll, que Sacha Guitry a fait ses débuts sous le pseudonyme de Jacques Lorcey (dans L’Escalade de Maurice Donnay au théâtre de La Renaissance dont Lucien était le directeur). Donc Lucien Guitry (1860-1925), après deux années de conservatoire a débuté au Gymnase en 1878. Comme Gustave Worms (note 19) mais vingt ans plus tard, il a été engagé au théâtre Michel de Saint-Pétersbourg ou il est resté neuf ans, jusqu’en 1891. Revenu en France, Lucien Guitry a joué dans plusieurs théâtres dont la Comédie-Française et est devenu directeur du théâtre de La Renaissance en 1902 en remplacement de Firmin Gémier.

27     Abel Tarride (1865-1951) a été directeur du théâtre de La renaissance en 1909 en remplacement de Lucien Guitry. Il a écrit une quinzaine de comédies pour le théâtre, essentiellement en collaboration. Comédien de théâtre, on l’a surtout vu sur la rive droite, au Vaudeville, au Gymnase et bien entendu à La Renaissance. Au cinéma, Abel Tarride n’a joué que dans des films mineurs, dont les léautaldiens (mais eux-seuls) retiendront Un homme de trop à bord (1935) film dans lequel il n’avait qu’un tout petit emploi à côté de Roger Karl, l’amant de Fernande Olivier.

28     Vraisemblablement Guillaume Guy (1857-1917), comédien de second plan, qui était aussi chanteur, ce qui lui a permis de tenir quelques rôles dans des opérettes.

29     Mounet-Sully (Jean-Sully Mounet, 1841-1916) est entré en 1868 à l’Odéon en quittant le conservatoire mais la guerre de 1870 est arrivée bien vite, qu’il a vécue en tant qu’officier. Il a débuté Salle Richelieu en 1872 dans Andromaque où il a obtenu tout de suite un grand succès, ce qui l’a entraîné à jouer tous les grands rôles tragiques du répertoire classique. Mounet-Sully est le seul comédien à posséder son « médaillon » parmi les auteurs dans la galerie Montpensier et est l’un des rares à avoir donné son nom à une salle, qui a été, depuis 1914 la salle de répétition et est de nos jours, après une importante restauration achevée en janvier 2018, un espace d’éducation. En février 2016, l’Erne a réédité le Portrait de Mounet-Sully, ouvrage de Jean Cocteau paru chez François Bernouard en 1945 (quatorze feuilles de dessins mêlés de textes).

Le médaillon de Mounet-Sully, galerie Montpensier

30     Charles Le Bargy (1858-1936) a étudié au conservatoire dans la classe d’Edmond Got, (objet de la note 14) et a débuté l’année suivante (1880) à la Comédie-Française. Il a néanmoins dû attendre le départ de son chef d’emploi Louis-Arsène Delaunay en 1886 (évoqué note 18) pour s’épanouir. L’année suivante Charles Le Bargy a été nommé sociétaire. Charles Le Bargy était un homme indépendant, remettant en cause les vieilles traditions. Il a démissionné à plusieurs reprises. Le décret napoléonien d’octobre 1812, dit « décret de Moscou » interdisait aux démissionnaires de jouer à Paris, ce qui ne l’a pas empêché de reprendre Cyrano de Bergerac en 1913 au théâtre de la Porte-Saint-Martin où la pièce avait été créée par Constant Coquelin (note 16) en 1897. La Comédie-Française (en la personne de Jules Claretie) lui a fait un procès, qu’il a perdu. Après la guerre (et la mort de Jules Claretie en décembre 1913), Charles Le Bargy a été repris par la Comédie-Française. Le hasard a fait que Charles Le Bargy est mort en 1936, l’année où son fils, Jean Debucourt, était admis à son tour à la Comédie-Française.

31     Louis Leloir (Louis Pierre Sallot, 1860-1909) a été admis à la Comédie-Française en 1880 dans la « troisième salle » (après l’Odéon), celle du Théâtre Dejazet, du nom de la comédienne Virginie Déjazet (1798-1875) sous la direction d’Hilarion Ballande et ses célèbres matinées, avant de rejoindre enfin la salle Richelieu. Louis Leloir sociétaire de la Comédie-Française de 1889 à sa mort à l’âge de de 49 ans. Louis Leloir a aussi été professeur du conservatoire dès 1894, notamment de Roger Karl, déjà cité note 27 (voir le Journal littéraire au 1er août 1938).

32     Henry Mayer (1857-1941), cadet d’un an de Charles Le Bargy (note 30), était comme lui dans la classe d’Edmond Got (note 14) et est entré à la Comédie-Française en 1901. Sociétaire en 1905 Henry Mayer a démissionné en 1905, à l’âge de 48 ans pour continuer sa carrière dans le théâtre privé jusqu’au milieu des années 1920.

33     Allusion vraisemblable à la comédie de Marivaux.

34     Crieur de l’armée des Grecs lors de la guerre de Troie.

35     Victor Hugo, juillet 1836, dans Les rayons et les ombres, Pléiade, 1964, « Œuvres poétiques I », pages 1116-1117. Pour les distraits : « Oh ! combien de marins, combien de capitaines »…

36     Henry Murger (1822-1861). « Qui frappe à ma porte à cette heure ? / — Ouvre, c’est moi. — Quel est ton nom ? /On n’entre pas dans ma demeure / À minuit ainsi, sans façon. » Vers 1860.

37     Hugo, encore, poème de La Légende des siècles (vers 1850), page 647 de l’édition Pléiade de 1950 : « Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close. / Le logis est plein d’ombre et l’on sent quelque chose / Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur. / Des filets de pêcheur sont accrochés au mur. / Au fond, dans l’encoignure où quelque humble vaisselle / Aux planches d’un bahut vaguement étincelle, / On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants. »…

38     Note de Paul Léautaud : « Ce joli mot est à la mode, je crois ? » Dans l’enquête de Georges Le cardonnel et Charles Vellay, La Littérature contemporaine : opinions des écrivains de ce temps, Mercure de France 1905, Paul Léautaud a écrit, page 80 : « Il n’y a qu’à voir la façon dont [les romanciers] se font photographier, dans des attitudes on ne peut plus “penseur”, comme on dit aujourd’hui. À ce propos, avez-vous remarqué avec quelle facilité on est “penseur” aujourd’hui ? »

39     Note de Paul Léautaud : « “Qui n’a d’un aigle que la forme de son nez”, comme disent ses camarades. » Pierre Laugier (1864-1907), élève au conservatoire dans la classe de Louis-Arsène Delaunay, a intégré la Comédie-Française en 1885 dès sa sortie du conservatoire puis a été sociétaire en 1894. Il est mort de la scarlatine, à l’âge de 42 ans.

40     L’Œdipe de Sophocle ne connait de marches que celles d’un autel et aucun palais mais nous savons que Mounet-Sully y a remporté de grands succès. Il peut s’agir aussi de la tragédie de Corneille, qui ne comprend aucune description de décor, aucune marche dans le texte et seulement trois fois le mot palais.

41     1, place de l’Odéon, où sont installés de nos jours les bureaux du département de littérature générale. Il ne semble pas y subsister de boutique.

42     Personnage de comédien raté chez Alphonse Daudet dans Fromont jeune et Risler aîné : « On a beau être éloigné du théâtre depuis quinze ans par la mauvaise volonté des directeurs, on trouve encore, quand il faut, des attitudes scéniques appropriées aux évènements. »

43     Paul Mounet (1847-1922) est le frère cadet (de six ans) de Mounet-Sully, objet de la note 29. Il a eu une vocation tardive pour la comédie et a préféré terminer d’abord ses études de médecine. Du coup ce n’est qu’en 1880, à l’âge de 33 ans qu’il est entré à l’Odéon où il a suivi les traces de son frère dans les rôles tragiques. Arrivé à la Comédie-Française en 1889 alors que son aîné était au sommet de sa gloire il a eu le soin, pour ne pas le gêner, de choisir des rôles très différents (comme des personnages de vieillards alors que ses excellentes capacités physiques auraient pu lui permettre d’autres emplois. Ce n’est qu’à la mort de son frère en 1916 qu’il s’autorisera un Œdipe-roi (Sophocle) en hommage.

44     Il y a deux Albert Lambert comédiens, le père et le fils, l’un et l’autre pouvant convenir. Le père (1847-1918), a d’abord été sculpteur avant de devenir acteur en 1867, en province, puis à Paris en 1873 dans divers théâtres privés avant d’être recruté à l’Odéon en 1880. Albert Lambert fils (1864-1941) est davantage connu et c’est peut-être à lui que pense Maurice Boissard. Élève de Louis Delaunay (note 18) Albert Lambert fils est entré à la Comédie-Française en 1885, a été sociétaire en 1891, doyen de 1930 à 1931 et retraité en 1935 après cinquante ans, une très belle carrière.

45     Eugène Silvain (1851-1930), ancien officier a commencé sa carrière comme artiste lyrique et comédien avant d’intégrer le conservatoire après la guerre de 1870. Il est entré à la Comédie-Française en 1878, d’abord comme doublure de Maubant (note 13). Eugène Silvain est devinu sociétaire en 1883. Sa voix grave, sa parfaite diction, sa posture d’ancien militaire l’ont destiné aux rôles de « manteau » (pour ce terme voir note 21). À l’aise chez Molière comme chez Courteline, chez Victorien Sardou comme dans les tragédies antiques, travailleur, cultivé et indépendant, Eugène Silvain a toujours su concilier ses intérêts propres avec ceux de la Maison. Professeur au conservatoire en 1885, il a succédé à Mounet-Sully (note 29) comme doyen en 1916 avant de prendre sa retraite en 1928.

46     Maurice de Féraudy (1859-1932) a fait partie de la classe d’Edmond Got (note 14), comme ses condisciples Henry Mayer son aîné de deux ans (note 32) ou Charles Le Bargy, son aîné d’un an (note 30). Il a été engagé à la Comédie-Française en 1880 à la sortie du conservatoire et y est resté durant une carrière de 49 années. Maurice de Féraudy avait la particularité de ne pas avoir d’emploi défini et a donc eu accès à une grande variété de rôles mais il est pour toujours associé au personnage odieux d’Isidore Lechat du cruel drame d’octave Mirbeau Les Affaires sont les affaires. Ce fut d’ailleurs son rôle d’adieux. On peut noter que ce rôle avait d’abord été distribué à son aîné Silvain (note précédente), qui n’a pu le tenir pour cause de maladie. Le polyvalent Maurice de Féraudy a aussi été romancier, poète et auteur dramatique, notamment dans la très opportune adaptation à la scène de Brichanteau comédien, roman de Jules Claretie (Charpentier 1896, 381 pages), administrateur général de la Comédie-Française de 1885 à 1913. À sa retraite en 1929, Maurice de Féraudy a continué de jouer sur les boulevards jusqu’à sa mort, trois ans plus tard.

47     Les points de suspension marquent une allusion à l’intempérance de Paul Mounet.

48     Il ne peut s’agir de la pièce de Jean Cocteau, créée plus tard (à l’été 1937 au théâtre Antoine). Il s’agit donc de la tragédie de Sophocle.

49     Marthe Brandès (Marthe Brunschwig, 1862-1930) a été l’élève de Gustave Worms (note 19) au Conservatoire où elle a obtenu un premier prix de comédie en 1883 avant de débuter au Vaudeville puis d’arriver à la Comédie-Française quatre ans plus tard et d’être sociétaire en 1896. Durant sa carrière Marthe Brandès a fait plusieurs allers-retours entre le Théâtre Français et les boulevards, ce qui lui a valu au moins un procès en 1903 sous l’administration de Jules Claretie. Elle a perdu son procès mais c’était pour jouer à la Renaissance au côté de Lucien Guitry qui en était alors le directeur (note 26). Journal littéraire de Paul Léautaud au 18 mars 1898 : « Il y a, dans la voix de Mlle Brandès, des nuances, des sortes de déchirures délicieuses, qui éveillent en moi une grande tendresse. »

50     Marguerite Moreno (Marguerite Monceau 1871-1948), a pris le nom de jeune fille de sa mère. Elle est entrée au conservatoire dans la classe de Gustave Worms (note 19) puis à la Comédie-Française en 1890. Après avoir été la maîtresse de Catulle Mendès, elle a épousé Marcel Schwob (en 1900). Malade, celui-ci est mort en 1905 à l’âge de 37 ans. En 1903, Marguerite Moreno a rejoint le théâtre de Sarah Bernhardt, puis plus tard le théâtre Antoine. En janvier 1908 elle s’est remariée avec le comédien Jean Daragon (1870-1923) mais elle a perdu ce second époux en janvier 1923. Pendant sept ans, elle a dirigé à Buenos Aires la section française du conservatoire. Paul Léautaud a été proche du couple Mareno/Schowb. Dans son Journal littéraire au quinze avril 1900 nous pouvons lire : « Ce soir, en écoutant Moreno dans Aricie, je pleurais tout bas. »

51     Émilie Lerou (1855-1935) s’est produite sur les scènes privées avant d’entrer à la Comédie-Française vers 1890. Avant cela elle avait créé le rôle de La Porteuse de pain (drame en cinq actes) à l’Ambigu en janvier 1889, tiré du roman de Xavier de Montépin (que tout le monde appelait Monpépin) et Jules Dornay paru en feuilleton dans Le Petit journal de juin 1884 à janvier 1885. Émilie Lerou était aussi romancière sous le pseudonyme de Pierre Nahor notamment pour Hiésous (préface de Marcel Schwob), Hollendorff 1903, 360 pages. Journal littéraire de Paul Léautaud au 24 septembre 1936 : « [Jules Truffier] m’a apporté ce matin, comme une gentillesse, une photographie, tout encadrée et sous verre, d’Émilie Lerou en costume d’Agrippine, je crois, dont je ne sais que faire. »

52     Julia Bartet (Julie Regnault, 1854-1941) a quitté le conservatoire en 1872 et a été engagée immédiatement au Vaudeville alors qu’elle n’avait que 18 ans. Elle est entrée à la Comédie-Française en en 1879 et a été promue sociétaire l’année suivante. Sa polyvalence en a fait une comédienne de premier plan. Julia Bartet a pris sa retraite en 1919.

53     Sarah Bernhardt (1844-1923) a quitté le conservatoire en 1962 pour entrer à la Comédie-Française mais en a été renvoyée pour une gifle. Elle est ensuite engagée à l’Odéon. Pendant la guerre de 1870, le théâtre de l’Odéon a été transformé en hôpital et Sarah Bernhardt en infirmière. C’est là qu’elle a eu l’occasion de soigner un jeune Ferdinand Foch de 19 ans. Après la guerre, l’Odéon programme Ruy Blas (le 24 février 1872). Sarah Bernhardt y triomphe dans le rôle de la reine (note 83). Ce succès la reconduit à la Comédie-Française pour quelques années : elle a démissionné en 1880. Sarah Bernhardt est aussi connue pour avoir joué des rôles de travesti et notamment L’Aiglon, d’Edmond Rostand qu’elle a créé le quinze mars 1900 dans son théâtre (qu’elle avait loué à la ville de Paris deux ans auparavant) au côté de Lucien Guitry (note 26).

54     Émile Perrin (1814-1885), critique d’art et décorateur de théâtre. Émile Perrin a été directeur de l’Opéra-Comique puis de l’Opéra de Paris, qu’il a plusieurs années géré à son compte (avec ses deniers propres). Après la chute de l’Empire en 1871, il a été nommé administrateur de la Comédie-Française jusqu’à sa mort en 1885, laissant ainsi place à la très longue carrière de Jules Claretie (note 12). Émile Perrin a aussi été Conseiller municipal de Paris dans le même temps qu’il était à la Comédie-Française.

55     Note de Paul Léautaud : « Cf. Jules Claretie : Profils de théâtre. L’auteur a voulu être si aimable qu’il est tombé dans le discours mortuaire. » Jules Claretie : Profils de théâtre, Gaultier, Magnier et cie 1902, 364 pages.

56     Le « je crois » de Paul Léautaud n’est pas un doute sur le nom de l’auteur de La Parisienne. La Parisienne est une comédie (le mari, la femme, l’amant), créée le 7 février 1885 au théâtre de la Renaissance avant d’être reprise par la Comédie-Française le 11 novembre 1890 avec Suzanne Reichenberg (Clotilde), Charles Prud’hon (l’amant) et Maurice de Féraudy (note 46) (le mari). Cette pièce, dans les yeux d’un Parisien du XXIe siècle, sans être mauvaise, est assez quelconque, quel que soit par ailleurs le respect dû à Henry Becque, auteur plus à son aise dans le drame des Corbeaux.

57     Cette pièce comprend un second amant, distribué à Charles Le Bargy (note 30).

58     Jules Truffier (1856-1943) a quitté le conservatoire en 1873 pour l’Odéon avant d’entrer à la Comédie-Française en 1875 où il a joué de nombreux valets de comédie. Il a été nommé sociétaire en 1888 et a pris sa retraite en 1914. Dans son Journal littéraire, Paul Léautaud écrira, le dix septembre 1915 quelques lignes confirmant cette information : « Ce soir, vers cinq heures, chez Vallette, visite de Truffier, au sujet d’un article qu’il a envoyé. On ne le lui prend pas parce que un peu trop long, mais Dumur l’a ravi en lui disant que cet article est plein de choses intéressantes. Truffier a passé sa visite à se confondre en respects, en remerciements, en assurances de reconnaissance. Quand il est entré, Dumur l’a présenté à Vallette, qu’il ne connaissait pas, et comme j’étais tout près, il a été à la seconde de me présenter à lui, si je ne l’avais retenu d’un signe. Le fils de son ancien camarade ! La conversation n’en aurait pas fini ! »

59     Les léautaldiens ne connaissent pas Georges Berr mais en ont entendu parler. L’oncle de Georges Berr tenait une ganterie et il a bien voulu, pour rendre service, embaucher le jeune Paul Léautaud en 1894. En remerciement, Paul Léautaud, sous la plume de Maurice Boissard ne ratera jamais l’occasion de décrocher une pique à Georges Berr, comme ici. Georges Berr (1867-1942) était au conservatoire dans la classe d’Edmond Got (note 14) et en est sorti avec un premier prix de comédie pour rejoindre immédiatement la Comédie-Française où il a passé toute sa carrière dans les rôles de valet, un peu comme Jules Truffier (note précédente) ou les fils de famille peu dégourdis. Comme l’indique mal Maurice Boissard, Georges Berr avait d’autres talents dont celui d’auteur dramatique avec plus d’une trentaine de pièces écrites seul ou en collaboration, parfois celle de Louis Verneuil. Cette collaboration avec Louis Verneuil a donné plusieurs pièces dont quelques-unes sont restées sur les boulevards comme L’Amant de madame Vidal en 1928 où l’assez amusante École des contribuables en 1934.

60     Louis Leloir (note 31) a écrit plusieurs pièces de théâtre et livrets d’opéra dont Le Roman de Françoise créé au théâtre de L’Ambigu-Comique en 1903 avec Émilienne Dux (1874-1950), mère du comédien Pierre Dux (1908-1990) et Jules Laroche. Le texte n’a pas été publié.

61     Le théâtre de l’Ambigu-Comique a été élevé en 1769 par le comédien Audinot, ancien montreur de marionnettes. Le bâtiment ayant été détruit par un incendie en 1827 il a été reconstruit (au même endroit ?) sur le boulevard Saint-Martin, pas très loin des théâtres de la Porte-Saint-Martin et de la Renaissance, entre la rue René Boulanger, au carrefour de la rue de Lancry. En 1966 ce théâtre a été détruit une seconde fois, non par un incendie mais par l’homme et remplacé par un assez laid cube de verre et de béton abritant un organisme d’état.

62     Charles Esquier (1871-1931) a été élève de Gustave Worms (note 19). Il a fait sa première saison au Gymnase en 1892 avant d’entrer à l’Odéon l’année suivante, puis à la Comédie-Française. On lui doit quelques pièces de théâtre, au moins un livret d’opérette et quelques romans. On ne confondra pas Charles Esquier avec son père Paul (né en 1841), comédien également, qui a épousé en 1870 la comédienne Marie Samary (1848-1941).

63     Cadet de sept ans de son frère Constant (note 16), Ernest Coquelin (1848-1909) a quitté le conservatoire en 1867 avec un premier prix de comédie pour entrer à l’Odéon, puis à la Comédie-Française l’année suivante et être nommé sociétaire en 1879. Ernest Coquelin a fait carrière dans les rôles comiques et en a même écrit pour lui sous le pseudonyme de Pirouette (Le Livre des convalescents, Tresse 1880, Le Cheval, Ollendorff, 1883). Coquelin Cadet s’est spécialisé dans les monologues comiques pour lesquels il recevait un grand succès. On pense notamment au Hareng Saur de Charles Cros écrit en 1872 : « Il était un grand mur blanc — nu, nu, nu, / Contre le mur une échelle — haute, haute, haute, / Et, par terre, un hareng saur — sec, sec, sec. »…

64     Plus exactement Montjoye, comédie et cinq actes d’Octave Feuillet (1821-1890) créée au Gymnase le 24 octobre 1863 et reprise à la Comédie-Française le deux octobre 1896. (Pour Maurice de Féraudy, note 46).

65     Rien de tout cela, Maurice Boissard ironise évidemment.

66     Cet incendie s’est produit le huit mars 1900, causant la mort de la comédienne Jane Henriot, née en 1878, qui était entrée à la Comédie-Française l’année précédente. Elle devait tenir, en matinée, le rôle de Zaïre dans le Bajazet de Racine. Suite à l’incendie, après travaux, la salle a été réduite à un orchestre et quatre balcons. Une allée centrale a été ajoutée au niveau de l’orchestre, ce qui a diminué le nombre de spectateurs à environ mille cent. La fosse d’orchestre a été supprimée. Les dégagements ont été agrandis et d’importantes mesures de lutte contre l’incendie ont été prises, des ascenseurs et des monte-charges, installés. Le théâtre a rouvert en décembre. Cet incendie s’est produit dix-neuf jours après l’incendie du Trianon concert, boulevard Rochechouart.

Incendie de la Comédie-Française en mars 1900. Vue de la salle (à gauche) et de la scène

67     Note de Paul Léautaud : « Le jour de l’incendie, je passais au même moment place du Théâtre-Français. Je restai un moment à regarder les grandes flammes qui sortaient par les fenêtres du foyer du public et des loges. “Ces comédiens subventionnés ! me disais-je. Il n’y a vraiment qu’eux pour avoir de tels feux !” » Voir le Journal littéraire au 8 mars 1900. Les sociétaires ou pensionnaires (note 9) de la Comédie-Française sont salariés (3 000 à 30 000 €uros/mois) et touchent en outre un « feu » par représentation. En 1682 fut décidé de dédommager les comédiens qui devaient éclairer et chauffer leur loge, à hauteur de cinq sols et demi pour le feu, deux sols six deniers pour la chandelle. Le feu est de nos jours variable selon le statut du comédien, de l’ordre d’une centaine d’€uros par représentation à Paris. Le feu peut tripler lors des tournées. Cette pratique a été progressivement élargie à d’autres professions du spectacle, notamment à l’opéra pour les danseurs et les musiciens. Depuis le début du XXIe siècle ces primes de feux sont peu à peu introduites dans les salaires, notamment à l’Opéra de Lyon.

68     Anne-Claude-Philippe de Tubières de Grimoard de Pestels de Lévis de Caylus, marquis d’Esternay, baron de Branzac, dit Anne-Claude de Pestels, ou le comte de Caylus (1692-1765), est l’un des plus grands voyageurs de son temps. De ses voyages dans toute l’Europe il a rapporté une grande collection d’antiquités dont la plupart appartient de nos jours à la bibliothèque nationale. Anne-Claude de Caylus s’est aussi livré à la peinture et à la gravure, non sans une certaine habileté et a même publié plusieurs ouvrages sur cet art vers 1755. Il est aussi auteur de contes dont certains sont parvenus jusqu’à nous. Mémoires de l’Académie des colporteurs, de l’imprimerie ordinaire de l’Académie, 1748, 319 pages.

69     Page 112, le narrateur souhaite lire un de ses écrits devant les comédiens : « Nous arrivâmes devant ce magnifique Aréopage, & il m’abandonna à la porte de leur Hôtel ; les figures dont il étoit compofé me surprirent, je n’apperçus que des Bûches de différentes formes & de différens âges ; il y en avoit de belles, de droites & de bien faites ; d’autres étoient abfolument rabougries, quelques-unes étoient liffes, d’autres avaient l’écorce rude & gerfée ; mais l’écorce ne vouloit rien dire & le cœur en général en étoit pouri ; plufieurs dans le nombre avoient été fi long-tems flottés qu’elles s’allumoient à la moindre étincelle, fans jamais laiffer le plus petit charbon. » …

70     Stendhal, Mémoires d’un touriste, Michel Lévy frères 1864, premier volume, page 298. Écrit à Nantes, le 25 juin 1837. Pléiade : volume « Voyages en France », édition de 1992, page 232.

71     Dans le Journal littéraire au 27 janvier 1906 nous apprenons que Firmin Léautaud a fait embaucher Louise Viale, son épouse « dans la figuration » (lettre de Paul Léautaud à Coquelin Cadet du quinze novembre 1904). Paul Léautaud a-t-il ce fait en tête au moment où il écrit ces lignes ? Voir dans la page Maurice Léautaud, le paragraphe commençant par « Maurice, en permission, est venu dîner ce soir ».

72     Première phrase du livre de Maximin Roll : « Je ne suis pas un adversaire de la Comédie-Française. Je suis un de ses amis. »

73     Rachel Boyer (1864-1935) a été élève d’Edmond Got au conservatoire, qu’elle a quitté en 1882 pour l’Odéon avant de rejoindre la Comédie-Française en 1887. Elle a pris sa retraite assez tôt, en 1918. Jouissant d’une grande aisance financière, Rachel Boyer avait commencé à refuser des rôles à la fin du siècle, préférant mener une vie mondaine et recevoir ses amis. Elle a fondé une association d’aide aux artistes dans le besoin et un orphelinat.

74     Mary Kalb (1854-1930) a quitté le conservatoire en 1876 pour rejoindre le Vaudeville puis la Comédie-Française en 1882, où elle a souvent tenu les rôles de soubrettes comiques. Mary Kalb a été nommée sociétaire en 1894. Sa vue baissant et devenue presque aveugle elle a dû démissionner en 1905, âgée de 51 ans.

75     Le café Voltaire ce trouvait, à cette époque, en haut de la rue Racine, près de l’Odéon. Les gens du Mercure y avaient leurs habitudes. Voir le Journal littéraire au six novembre 1906 : « J’avais reçu de Paul Fort une carte pour les soirées de Vers et Prose, transférées au café Voltaire, la première ce soir. J’ai voulu voir ce que c’était. J’y suis allé. Arrivé au café, j’ai vu, du dehors, cinq ou sept individus, de moi inconnus, assis à consommer, Moréas et Mme Paul Fort parmi eux. Rien de plus qu’à la Closerie des Lilas, comme je les ai vus souvent en passant. Je ne suis même pas entré, et je suis revenu tout de suite. Ces séances de café ne m’ont jamais rien dit. »

76     Selon Platon (moins 428 moins 348), les neuf muses sont les filles de Zeus, citées ici dans l’ordre alphabétique : Calliope (poésie épique), Clio (histoire), Érato (poésie lyrique), Euterpe (musique (sauf chant)), Melpomène (tragédie et chant), Polymnie (rhétorique, éloquence), Terpsichore (danse), Thalie (comédie), Uranie (astronomie).

77     L’auteur dramatique Victor Koning (1842-1894) est surtout connu pour avoir participé, en troisième rang aux côtés de Clairville et Paul Siraudin, au livret de l’opéra-comique La Fille de Madame Angot (Bruxelles 1872) mis en musique par le très prolifique Charles Lecocq (« C’était pas la peine / C’était pas la peine / Non pas la peine, assurément / De changer de gouvernement ! »). À part ça, Victor Koning a écrit sept ou huit pièces légères (La Cocotte aux œufs d’or) et deux ou trois volumes de souvenirs, dont Les Coulisses parisiennes, chez Dentu en 1864. Victor Koning a été directeur du théâtre de la Gaité en 1868/1869 et du théâtre de la Renaissance de 1875 à 1882.

78     L’abbé Constantin, comédie en trois actes d’Hector Crémieux et Pierre Decourcelle créée au théâtre du Gymnase le quatre novembre 1887. Cette pièce est l’adaptation du roman de Ludovic Halévy paru chez Calmann-Lévy en 1882 (266 pages).

79     Marcel Schwob et Eugène Morand, La Tragique Histoire d’Hamlet, prince de Danemark, traduite depuis William Shakespeare. Création en mai 1899 au théâtre Sarah Bernhardt. Le texte de la pièce a été publié en 1900 chez Charpentier et Fasquelle (254 pages). On reprochera à Marcel Schwob et Eugène Morand une traduction trop littérale. Marcel Schwob a répondu dans la Préface de la publication.

80     Une famille au temps de Luther, tragédie en un acte en vers de Casimir Delavigne représentée pour la première fois au Théâtre français le 12 avril 1836. Le texte de la pièce est paru en 1836 chez Laurent, imprimeur-éditeur à Bruxelles.

81     Paul Léautaud aura 33 ans dans 22 jours.

82     Ces deux vers sont dans la première scène de l’acte II. Pléiade 1950 page 753 et deniers vers de la page 763.

83     Ruy Blas, drame en cinq actes en vers de Victor Hugo créé à l’occasion de l’inauguration du théâtre de La Renaissance le huit mars 1873 avec Frédéric Lemaître. L’action se déroule à Madrid en 1695. Don Salluste de Bazan, grand d’Espagne, souhaite se venger de la reine. Il se trouve que son valet, Ruy Blas, homme d’une certaine prestance malgré son rang, est follement épris de la reine (« un verre de terre amoureux d’une étoile »). Il introduit donc Ruy Blas à la cour sous l’identité de don César de Bazan et lui ordonne de plaire à la reine et de devenir son amant. La reine, esseulée, se laisse séduire par Ruy Blas. Sous cette protection Ruy Blas prend une grande importance à la cour et en vient à présider aux destinées du royaume…

84     L’Aventurière, comédie en cinq actes, en vers d’Émile Auger, représentée pour la première fois en cinq actes à la Comédie-Française, le 23 mars 1848 et reprise en quatre actes, au même théâtre, le 10 avril 1860. Le texte de la pièce est paru en 1857 chez Michel Lévy (120 pages).

85     Pages deux et trois, après l’Introduction.