Les entretiens avec Robert Mallet

Voir aussi, publié conjointement, l’excellent Abrégé chronologique de Jean-Luc Souloumiac.

Les entretiens-feuilletonsLes entretiens avec Robert Mallet1951L’intervention Corniglion-MolinierLa seconde série d’entretiensL’édition en volumeNotes

Page publiée le premier décembre 2023. Temps de lecture : 48 minutes.

La loi interdit que soit librement publié le texte des Entretiens avec Robert Mallet avant janvier 2073, il nous reste alors un peu de temps pour parler d’autre chose. Ce sont donc les circonstances ayant entouré ces Entretiens qui vont être détaillées ici.

Nous disons bien Les entretiens « avec Robert Mallet » parce que plusieurs entretiens de Paul Léautaud avec différents intervenants ont été diffusés à la radio.

Le premier en date, non retrouvé, n’est pas vraiment un entretien. Il date du huit novembre 1946 :

Un opérateur de la Radio suisse m’est arrivé ce soir […] pour me prendre un disque sur Apollinaire, à propos de l’anniversaire de sa mort.

Le texte de cette journée est bien plus riche et chacun pourra la lire sur son exemplaire du Journal.

Le deuxième enregistrement reste lui aussi inconnu :

Mardi 21 Janvier [1947]

Tantôt, visite du jeune Jean Oriol, qu’ont rejoint, une demi-heure ou trois quarts d’heure après, des opérateurs de la Radio, avec tout leur matériel.

Il s’agit d’un enregistrement « pour une affaire de radio étrangère, spécialement Amérique du Sud. » (20 janvier).

Puis il y a eu l’émission d’André Gillois de la série « Qui êtes-vous ? » diffusée le 24 décembre 1949.

Et après la série d’émissions avec Robert Mallet il y a eu, en décembre 1951 l’entretien de Clara Candiani à propos de la semaine de bonté qui s’est ouverte du quinze au 22. Cet entretien est absolument sans intérêt, la pauvre dame s’obstinant absolument à faire dire à Paul Léautaud qu’il est bon1.

Les entretiens-feuilletons

Historiquement2, il est défini que le premier entretien à la radio est celui d’André Gide, en compagnie de Jean Amrouche3. Bien sûr de nombreux auteurs — et depuis longtemps — s’étaient déjà exprimés à la radio mais le premier entretien un peu long — l’entretien-feuilleton selon Philippe Lejeune (note 2) —, raisonné et construit, a été celui-là, constitué de 34 émissions d’une vingtaine de minutes, diffusées trois fois par semaine sur le « programme national ».

Philippe Lejeune rejette dans une sous-catégorie les entretiens avec des musiciens pourtant majeurs comme Marcel Dupré et Arthur Honegger (un seul n mais deux g), huit et dix entretiens enregistrés en compagnie de Bernard Gavoty4. Ces entretiens ont été diffusés à la fin de 1949 et en octobre 1950, donc avant celui de Paul Léautaud. Cette classification séparée présente l’avantage (?) de faire « remonter » l’entretien de Paul Léautaud en quatrième position derrière André Gide, Colette et Blaise Cendrars.

Dans Les écrivains à la radio5 de Pierre-Marie Héron, Jean Amrouche donne l’origine de ces entretiens à la radio :

C’était dans l’hiver de 1948. Gide était fatigué, même malade. Il était inoccupé, il était vacant. Et le fait de n’avoir pas de travail qui le préoccupât évidemment réagissait sur son état de santé […]. Et, comme je jouais avec lui aux échecs à peu près tous les soirs, l’idée m’est venue de remplacer l’échiquier par un micro.

Les premiers entretiens, avec André Gide, sont annoncés dans Le Figaro du dix octobre 1949 sur le poste national à 22 heures 30.

Programme radio du Figaro du 14 octobre 1949

Les entretiens de Colette avec André Parinaud ont été diffusés en 35 émissions, les lundis-jeudis sur le programme national. Dans l’ouvrage collectif Les écrivains au micro, Jacques Dupont indique :

Il semble qu’il y ait eu 35 entretiens, entre la fin de 1949 et le début de 1950, qui ont donné lieu, sans doute après montage et quelques coupes, à 27 émissions radiodiffusées, deux fois par semaine, entre le 20 février et le 26 mai 1950.

Après ceux de Colette, les entretiens suivants ont été ceux de Blaise Cendrars avec le poète Michel Manoll (1911-1984). Ces entretiens ont été enregistrés dans la seconde quinzaine de mars 1950 et diffusés en octobre et novembre en treize émissions à raison de deux par semaine sur la chaîne nationale, qui était le France Culture de l’époque.

Le dernier entretien de Blaise Cendrars a été diffusé le jeudi trente novembre 1950. La première émission (dite ici « Entretien zéro ») de la série d’entretiens avec Paul Léautaud a été diffusée le lundi suivant, quatre décembre. Paul Léautaud n’y intervient pas mais nous entendons André Billy, Marie Dormoy et André Rouveyre.

Par quelle suite de circonstances Paul Léautaud en est-il arrivé là ?

Les deux premières rencontres entre Paul Léautaud et Robert Mallet

Les « deux premières rencontres » parce que les récits de l’un et de l’autre diffèrent.

Selon Robert Mallet

Selon Robert Mallet, sa rencontre avec Paul Léautaud a eu lieu en janvier 1941. Cette première date et cette rencontre sont du Journal de Robert Mallet6. Ce Journal est conservé à la bibliothèque municipale d’Abbeville. Il ne sera pas communicable avant 2032 mais fort heureusement un fragment en a été publié dans le Mercure de mai 1957 en hommage à Paul Léautaud sous le titre « Les attendrissements du cynique — Pages de Journal ».

Robert Mallet date cette rencontre de janvier 1941, à la bibliothèque Doucet, où il travaillait à une thèse sur Francis Jammes :

Jusqu’à présent je n’avais fait qu’apercevoir sa silhouette rue de Condé, un jour que j’allais au Mercure de France. Il rasait les murs d’un pas à la fois pressé et mal assuré en frappant le trottoir à petits coups rapides d’une canne légère.

[…]

J’avais pourtant décidé de me risquer dans son bureau en invoquant un motif professionnel. Je désirais savoir s’il avait rencontré Francis Jammes au Mercure et si c’était lui qui avait rédigé la notice sur le poète d’Orthez dans L’Anthologie des Poètes d’Aujourd’hui du Mercure7. J’avais décidé l’entreprise, mais je ne m’y étais pas encore aventuré.

[…]

Il pénètre dans la salle de lecture de la Bibliothèque Doucet, la canne en bataille, balançant violemment son cabas, et fonce tout droit sur le bureau où Mlle Dormoy travaille.

Depuis sa place, Robert Mallet entend les bribes d’une dispute.

Ayant besoin d’un livre, je vais voir Mlle Dormoy qui, très courtoisement, me présente à Léautaud en ajoutant : « Il prépare une thèse sur Francis Jammes. »

Un grognement :

— Quelle drôle d’idée ! Une thèse sur Francis Jammes. » Puis un éclat de rire : « Dire qu’il y a des jeunes gens qui perdent ainsi leur temps à parler de ceux qui ont perdu le leur en écrivant des vers !… Ah ! c’est comique ! »

« Jeunes gens » : Robert Mallet, né en 1915, à 43 ans de moins que Paul Léautaud.

La conversation, chaleureuse selon Robert Mallet, déroule la poésie, la guerre, où Robert Mallet, blessé au crâne en septembre 1939 et risquant de perdre la vue, se faisait lire des poèmes. Ce sont ceux de Francis Jammes qui l’ont le plus ému.

La conversation est assez longue et Paul Léautaud qui n’a jamais connu la guerre en tant que combattant pose beaucoup de questions extrêmement naïves. Rober Mallet détaille :

Léautaud m’écoute avec une attention aiguë que trahissent ses yeux perçants, figés dans un affût immobile derrière ses besicles de fer.

Selon Paul Léautaud

De tout le mois de janvier 1941, Paul Léautaud ne décrit qu’une seule visite à la bibliothèque Doucet, le trois janvier. La description de la visite ne semble pas correspondre vraiment à la description de Robert Mallet, qui n’est pas cité.

La première fois que le nom de Robert Mallet apparaît dans le Journal littéraire est un an et demi plus tard, le trente mai 1942 :

[Marie Dormoy] a fait connaissance, à la Bibl. D., d’un nommé Robert ou Marcel Mallet, qui fait je ne sais quels travaux sur Jammes, qui va publier un volume de vers au Mercure et qui lui a parlé de Bernard qu’il trouve un garçon très gentil et très aimable8. Il a seulement trouvé que le Mercure est bien vide. Il a fait part de cette impression à Bernard : « Léautaud n’est plus là… » Bernard, pour toute réponse : « Il est parti. » Il n’a même pas le courage de son acte à mon égard9. M. D. a répondu à ce Mallet « Il n’est pas parti. On l’a mis dehors. »

C’est donc Marie Dormoy qui a fait connaissance de Robert Mallet et non Paul Léautaud. Or si la rencontre décrite par Robert Mallet, un peu comme un rêve, en janvier 1941 est bien réelle, il est impossible que Paul Léautaud l’ai oubliée et le mystère demeure.

Nous ne lirons plus rien sur Robert Mallet pendant une autre année et demie. Puis, le 25 janvier 1944 :

D’autre part, elle a vu tantôt à sa bibliothèque le jeune Mallet, retour de Vichy.

Francine Mallet

Puis se passent quatre années et demie. Le seize juillet 1949 :

Cette après-midi, visite de Robert Mallet et de sa femme.

Pour que Robert Mallet et Madame passent à Fontenay un samedi c’est que le couple est familier de Paul Léautaud et qu’il a été invité. Sur la photo du livret de la collection de CD Frémeaux, Robert Mallet tient un enfant sur ses genoux. Robert Mallet a épousé en 1944 Francine Leullier (1909-2004). Cette photographie a été prise par Madame Mallet dans leur jardin de la rue Dombasle.

Francine Mallet conduira, sous son nom de jeune fille, Francine Leullier, une série d’entretiens avec André Chamson10, qui seront diffusés en douze émissions entre la fin de 1959 et le début de 1960. Elle est aussi auteure d’ouvrages sur Molière et Georges Sand et a écrit au moins deux romans. Elle a fait partie du Jury Médicis à partir de 1958.

Ce seize juillet 1949, Paul Léautaud s’arrête à décrire brièvement Francine Mallet :

Mme Mallet, jolie, petite, très brune, avec cette particularité : des yeux extrêmement vivants, qui regardent, grands ouverts. Ils ont déjà deux enfants et habitent un petit pavillon avec jardin, du côté de la porte de Versailles, rue Dombasle11. Il s’occupe d’érudition (actuelle), il vient de publier ou va publier une Correspondance Claudel-Gide12, je crois ne pas me tromper. Il publie pour son compte personnel de petites plaquettes sans intérêt. Il m’en a offert une l’année dernière, dans laquelle s’il y avait vingt lignes à lire, c’était bien tout13. Pour la matérielle, il travaille à la Radio, sans que je sache ni ne m’intéresse le moins du monde à ce que peuvent y être ses occupations. Il est très sympathique, par ses vues, ses opinions, ses jugements sur les choses politiques et sociales de ce temps : la guerre, l’occupation, la libération, les Cours de Justice, la démagogie socialiste, et cet autre chapitre, qui me conquiert toujours : grande sympathie et pitié pour les bêtes. Il est du Nord, région de Lille ou région d’Amiens, où réside sa famille14.

À la fin de la même année 1949, le 22 novembre, la bibliothèque Doucet organise une exposition à l’occasion des quatre-vingts ans d’André Gide. Paul Léautaud énumère les participants. Robert Mallet s’y trouve :

Robert Mallet, qui a un enfant de plus, sans beaucoup s’approuver d’en faire, qui se trouve dans l’admiration de la littérature de Suarès15 et qui m’a dit, le tenant de Mauriac, que La Table ronde m’attend toujours.

Les entretiens avec Robert Mallet

Robert Mallet (1915-2002) a commencé ses études assez mollement et échoue à intégrer l’école Normale, se contentant d’une licence de lettres à 22 ans, puis une licence en Droit. En 1938 le voilà avocat. En 1939 il obtient un premier doctorat (en droit) puis en 1947, après une brillante carrière militaire, un doctorat en lettres sur Francis Jammes16. Il entre comme superviseur artistique à la radio nationale en même temps que conseiller littéraire chez Gallimard en 1949. On peut lire sa signature dans une vingtaine de numéros de La NRF, d’abord dans le numéro spécial André Gide de novembre 1951 (« L’Équilibre dans le doute », pages 135-145), puis plus régulièrement en 1955 jusqu’en octobre 1975 où l’on peut lire une douzaine de pages de son Journal, encore inédit.

Est-ce à l’occasion de cette exposition pour les quatre-vingts ans d’André Gide que Robert Mallet a entrepris Marie Dormoy ? Ce 22 novembre les entretiens d’André Gide avec Jean Amrouche sont diffusés trois fois par semaine (lundi-jeudi-vendredi) depuis le dix octobre, cela fait donc six semaines. L’idée n’a pas pu ne pas fleurir dans l’esprit agile et fécond de Robert Mallet.

Si ce n’est pas à l’occasion des entretiens d’André Gide, alors c’est à celle des entretiens de Colette avec le très jeune (25 ans) André Parinaud17. Ces entretiens ont été diffusés en 35 émissions à partir du 25 février 1950.

Le onze mars 1950, Marie Dormoy organise un diner avec Charlotte Pacon chez elle, rue Paul-Appell. Henri, le mari de charlotte, est architecte et ami de l’autre amant de Marie Dormoy, Auguste Perret. Marie Dormoy passe presque tous les ans quelques jours chez le couple, dans leur demeure de Rouvray. La dernière fois était en septembre 1949, la prochaine sera en avril. En fait ce dîner est un traquenard. Robert Mallet passe « comme par hasard », écrit Marie Dormoy dans une note de ses Lettres à Marie Dormoy. Mais qui peut bien passer rue Paul-Appell, aux confins de Paris, « comme par hasard » ? Dans son Journal au onze mars, Paul Léautaud note :

Je me suis fait, toute la semaine, à l’avance, un grand plaisir de dîner, ce soir, chez Marie Dormoy, avec cette dame Charlotte Pacon. Aujourd’hui, c’est sans entrain que j’y vais. Je suis sûr que c’est pour me montrer comme une curiosité à cette amie qu’elle m’a invité. Il est vrai, je dois le dire, que cette Mme Pacon lui a exprimé le vif désir de me connaître.

À l’évidence cette note est prise avant de se rendre à ce dîner.

Une lettre de Paul Léautaud datée du lendemain indique qu’il ne s’est pas rendu à l’invitation :

        À Marie Dormoy

Mercredi soir 12 Avril 1950

J’ai eu votre lettre ce matin. Remerciez Madame Pacon de ses charmantes dispositions si j’étais arrivé avec vous comme supplément. Je pense que vous avez dit les raisons qui m’en ont empêché : une journée seulement, ma maison où des gens entrent et sortent quelquefois en laissant la grille ouverte, la sécurité des bêtes comme de mon intérieur.

La suite de la lettre rend caduque la note de Marie Dormoy et le traquenard puisque nous apprenons que Paul Léautaud a reçu une convention de la radio quelques jours auparavant, vraisemblablement le samedi huit avril. Et il est difficile d’imaginer Robert Mallet faisant envoyer une convention à Paul Léautaud sans lui en avoir obtenu son accord au moins de principe.

Mais avant cette convention, dans sa lettre du douze avril, Paul Léautaud évoque une « première lettre », préalable à la convention.

Discussions, vraisemblables premiers refus, re-discussions et finalement acceptation du bout des lèvres, disons un mois. Rédaction et envoi de la première lettre (et vraisemblablement réponse de PL à cette première lettre), une semaine. Rédaction et envoi de la convention, par une administration d’état, trois semaines. Cela conduit début février au plus tard. Les entretiens de Colette avec André Parinaud ont été diffusés à partir du 25 février. C’est donc les entretiens avec André Gide qui semblent avoir été l’élément déclenchant dans l’esprit de Robert Mallet.

Lisons la suite de la lettre de Paul Léautaud à Marie Dormoy, datée du douze avril :

Il y a de curieux points dans cette affaire d’une série d’entretiens à la Radio :

1o Quand Robert m’en a parlé, soit délicatesse soit modestie, côté charmant de sa part, il me l’a présentée comme une initiative de je ne sais quel directeur de la Radio. Or, dans la première lettre que j’ai reçue signée du Directeur du Programme national, il écrit : C’est avec le plus extrême plaisir que je donne suite à la suggestion de M. Robert Mallet en vous offrant, etc., etc.

L’initiative revient donc à Robert Mallet.

La différence a son importance, comme vous allez le voir.

La Convention qui m’a été envoyée, en trois exemplaires, que vous m’avez lue dimanche dernier porte comme en-tête : Ministère d’État. Déjà la première lettre, à laquelle je fais allusion ci-dessus, porte comme en-tête : Présidence du Conseil. Radiodiffusion française. République française.

Alors, c’est quelque chose de gouvernemental, tout au moins d’officiel ?

Gare, gare, gare. On a accédé à la « suggestion » de Robert Mallet. Bon, mais on peut compter que, pour leur part, les auteurs de ces lettres ne me connaissent pas, n’ont rien lu de moi, ne se doutent pas du réfractaire à tout ce qui fait le bon citoyen, le bien-pensant, respectueux des devoirs civiques, etc., etc., (sans compter un certain amoralisme), que je suis. Il est entendu que c’est Robert Mallet qui dirigera cette série d’entretiens (je lui ai du reste dit que l’intérêt de ces entretiens sera en raison des questions qu’il me posera). Il ne pourra en tout cas que les baser sur ce que j’ai écrit. Il n’y aurait rien de surprenant, à mon avis, que ses supérieurs jettent les hauts cris. Jusque-là, attendons. En tout cas, je ne crois pas que je raisonne mal sur tout cela.

Je suis allé à la poste dès lundi pour le compte de chèque postal. Cela demandera 5 ou 6 jours. J’ai immédiatement informé de cela l’envoyeur des 3 exemplaires à signer pour lui dire que dès que je connaîtrais le numéro de ce compte (que je dois donner sur la convention), je le lui retournerai dûment approuvés et signés.

Les Lettres à Marie Dormoy donnent une autre correspondance de Paul Léautaud datée du lundi suivant 17 avril :

Je viendrai dîner samedi soir.

J’ai passé une bonne partie de l’après-midi, avant-hier samedi, chez Robert Mallet, sur sa demande, à propos de documents qui lui manquent.

La série d’entretiens a été décidée par le Directeur de la Radio Nationale (comme je le pensais, c’est la Radio d’État), et il n’en pouvait être autrement. En raccourci, voici comment : Robert Mallet dit à un M. Gilson18 : « Un homme qu’il serait intéressant d’avoir à la Radio, c’est P. L. » Ce Gilson répond tout de suite : « Ah ! certainement, Mallet. Pensez-vous qu’on puisse en parler à M. Barraud19 ? Mais certainement. Allons-y. » Ils y vont. Acceptation immédiate également de Wladimir Porché. C’est alors que ce M. Barraud m’a écrit. Je passe sous silence tous les propos d’estime,          20, d’éloges de ma personnalité, liberté, tenue littéraire,          21 au dire de Robert Mallet, entre tous ces messieurs. Moi, je n’en reviens encore pas et je ne m’en pousse pas autrement du col. Je crois même que j’en ai, au fond de moi, comme une certaine mélancolie, comme chaque fois que j’ai lu un article sur moi dans le même sens. C’est le fond de ma nature.

Sur les matières des entretiens, bâtis sur des questions de Robert Mallet, je lui ai soumis mon point de vue, que je vous ai expliqué dans ma lettre. Il en a reconnu la justesse, et a conclu : « On marchera quand même. Vous devez vous montrer tel que vous êtes, et il faudra bien qu’on l’accepte. »

J’oubliais ce que lui a dit à ce propos ce M. Barraud, directeur : « Dix entretiens, c’est un minimum. On pourra faire plus s’il y a lieu. »

L’affaire ne traîne pas, le lundi quinze mai Paul Léautaud écrit dans son Journal :

Mes séances à la Radio nationale commencent demain. Robert Mallet m’a donné par écrit le programme des dates et des heures, dans un studio de la rue Paul-Lelong22. Il avait été parlé de 10 entretiens pour commencer. Ce programme n’en comporte que 8. 10, ou seulement 8, ou plus, cela m’assomme. Je suis, en ce moment, en esprit, encore plus que d’habitude, à cent lieues de ces étalages.

Mardi 13 Juin

7 heures du matin

Aujourd’hui, de 6 heures et demie à 7 heures et demie23, suite des Entretiens à la Radio avec Robert Mallet. Un ami à lui me ramenant en voiture à Fontenay, en compagnie de Robert Mallet et d’une jeune employée à la Radio, dont j’ignore le nom et qui vient assister à chacun des Entretiens. En montant en voiture, je dis à Mallet de monter à côté de moi, que j’ai à lui parler.

[…]

Nous avons un autre entretien demain à 5 heures. […]

Puis le lendemain quatorze :

Il paraît qu’il y a de nombreux Échos de journaux, je l’ai encore appris hier par Robert Mallet, sur mes Entretiens à la Radio. On m’y appelle l’Ermite de Fontenay-aux-Roses. Comme toujours, je ne sais et ne vois rien de ces choses que par des tiers.

Pourquoi diable me suis-je laissé fourrer dans cette affaire ? C’est absolument sans intérêt. On y dit plus de bêtises que de choses à retenir.

La Radio me paraît débiter surtout des choses d’une médiocrité et d’une vulgarité complètes. Hier soir, en avance d’une heure pour mon rendez-vous avec Robert Mallet, une femme, dans un studio du rez-de-chaussée, chantait devant le « micro » une telle ineptie que j’ai préféré aller attendre Robert Mallet sur le trottoir, dans la rue.

Il s’agit cette fois-ci de la rue de l’Université mais l’organisation architecturale des studios était comparable à celle de la rue Paul Lelong. Le quadrilatère formé par les 176-180 rue de l’Université communiquait avec le 13-15 rue Cognacq-Jay (parallèle) en formant un grand ensemble de studios de radio (puis de télévision). Cette cour étant isolée des bruits de ces deux rues, par ailleurs peu passantes, par les bâtiments en façade. Si les studios d’enregistrement étaient évidemment complètement clos, la salle où se tenaient les techniciens qui surveillaient et écoutaient l’enregistrement pouvaient donc conserver les fenêtres ouvertes, ce mois de juin. Ce que PL entend n’est pas la chanteuse mais l’installation d’écoute des techniciens. Le cinq septembre, dans les mêmes conditions, Paul Léautaud entendra Julien Benda.

Un peu de technique

Ce choix des studios correspond peut-être davantage à une disponibilité des matériels d’enregistrement qui s’y trouvaient. Dans un métier donné, les techniques utilisées n’évoluent pas toutes à la même vitesse. Ça a d’abord été l’amplification dans les années vingt puis les microphones dans les années trente. La guerre a ralenti grandement le rythme mais les années 1940/1950 ont été celles des enregistreurs, puis de nouveau les microphones dans les années 1960/1970. En cet après-guerre où l’on fonctionnait encore avec ce que les Allemands avaient laissé en s’enfuyant, existaient trois types d’enregistreurs : les graveurs de disques Pyral, invention française (le « disque sur Apollinaire » que Paul Léautaud a enregistré pour la radio suisse en novembre 1946), les Philips-Miller et les magnétophones. Les disques n’étant pas « montables » (impossible de remplacer une phrase par une autre), restaient donc les deux derniers supports. Dans le studio de la rue Paul Lelong se trouvait un et sans doute plusieurs magnétophones, qui étaient très demandés, surtout pour la musique. C’est pourtant sur magnétophone qu’a été enregistrée la matière des douze premiers enregistrements.

Rue de l’université se trouvaient peut-être plusieurs magnétophones et plusieurs Philips-Miller. Cet appareil enregistrait du son optique, un peu comme au cinéma mais en place d’un procédé photographique il s’agissait d’une bande gravée, ce qui évitait l’étape du développement et permettait d’écouter directement ce que l’on venait d’enregistrer. C’était une bande transparente recouverte d’un vernis opaque. Un burin gravait le vernis.

Cette technique, comme la bande, permettait le montage aux ciseaux mais la qualité sonore était sensiblement inférieure. C’est pourtant ce procédé qui sera utilisé pour tous les enregistrements suivants.

Dans une lettre en main privée datée du cinq janvier 1951 adressée à Maurice Martin du Gard, Paul Léautaud évoque un enregistrement sur l’autre rive de la Seine, rue François Ier. Il s’agit du centre Fernand-Pistor, qui semble s’être étalé sur plusieurs numéros, du 11 au 18, donc des deux côtés de cette rue François Ier, entre le rachat de radio-Paris et quelques locations. Pour mémoire, à cent mètres de là se trouve le 22 rue Bayard ou étaient installés les studios de RTL depuis 1936 et aujourd’hui disparus.

* * *

Pendant ce même temps, Paul Léautaud a une autre préoccupation, bien plus importante à ses yeux que les entretiens à la radio.

On a pu noter cette phrase, laissée ici exprès dans cette journée du treize juin :

En montant en voiture, je dis à Mallet de monter à côté de moi, que j’ai à lui parler.

La maison Plon lui a demandé de participer à La Table ronde, qui est à l’époque une revue prestigieuse. Et comme à chaque fois, après lui avoir demandé des textes, on lui demande de les amender. On constate que cette contrariété tient une place importante dans le Journal, au détriment, peut-être, de textes sur les enregistrements des entretiens, ce qui est fort dommage.

Le treize juillet, PL a encore un enregistrement rue de l’Université à treize heures. Puis le 25 juillet 1950 :

Aujourd’hui, dernier Entretien à la Radio, pour le moment. La Radio ferme pendant tout le mois d’août. Robert Mallet et moi nous continuerons en septembre, encore cinq ou six Entretiens. Mme Mallet est venue aujourd’hui pour m’entendre. Au départ, Mallet, ayant à aller au Mercure, l’a mise en autobus, boulevard Saint-Germain, angle de la rue du Bac, pour qu’elle se rende à son service à la Radio, avenue des Champs-Élysées, je crois. Quel sourire elle a eu pour lui en le quittant, et lui aussi pour elle.

Le premier septembre, Paul Léautaud écrit à Marie Dormoy :

Il va falloir recommencer la Radio. Quelle corvée ! Quelles bêtises j’y aurai dites. Si j’étais seul dans cette affaire, c’est-à-dire s’il ne s’y trouvait pas Robert Mallet, je préférerais renoncer à cet argent et qu’elle soit non avenue.

Le cinq septembre est le fameux jour de la rencontre fortuite avec Julien Benda, qui enregistre une série d’entretiens avec Pierre Sipriot. Ces entretiens ne seront diffusés qu’entre juillet et septembre 1953, le jeudi, en quinze émissions. Ce cinq septembre 1950, Paul Léautaud écrit à Marie Dormoy :

J’ai encore 3 ou 4 Entretiens Radio. J’ai appris de Robert Mallet ce qui suit, qui m’a un peu réconforté. Les entretiens terminés, il y aura toute commodité pour recommencer les passages mal venus, ou excessifs, etc., etc. C’est comme une sorte de long ruban, dans lequel on peut couper et remplacer.

L’intérêt de Robert Mallet

La journée du quinze septembre permet de se poser une question qui traîne tout de même depuis le début de cette page : Quel est l’intérêt de Robert Mallet dans cette affaire ?

Car voici un homme de trente-cinq ans qui n’est pas précisément un niais. Il va fonder deux universités, à Tananarive (Madagascar était alors une colonie française) et à Amiens. Dans vingt ans il sera recteur de l’Université de Paris qu’il va largement transformer (chambouler, ont dit certains). Il pense bien qu’un écrivain inconnu de 78 ans n’est pas précisément son avenir. En 1950, Paul Léautaud n’est ni André Gide, ni Colette.

La réponse se trouve peut-être dans cette journée du quinze septembre :

Vendredi 15 Septembre

Aujourd’hui, dernier Entretien à la Radio. J’aurai à y retourner pour la révision de l’ensemble, les parties mal venues à recommencer, à mettre au net, comme les parties excessives à retrancher, la Radio ensuite exerçant sa censure. Robert Mallet se propose de demander à Rouveyre et à Billy de venir à la Radio, faire, chacun, devant le micro, un portrait parlé de moi, tel que l’un et l’autre me voient.

[…]

Comme je lui parlais de l’édition du Journal et que, sur ce sujet aussi, je ne suis plus dans les dispositions de le donner au Mercure, toute ma confiance étant partie, Robert Mallet m’a développé tant de raisons favorables pour le donner à Gallimard : la seule maison d’édition française qui compte à l’étranger, qui réunit aujourd’hui les écrivains qui comptent : Valéry, Gide, que mes chroniques dramatiques ont été connues comme elles le sont parce que éditées chez Gallimard, que la maison ne recule pas devant des centaines de mille francs de frais pour la publication des ouvrages qu’elle juge en valoir la peine (exemple actuel : les Carnets privés de Valéry24, remarquables au dire de Mallet, que Mme Valéry a donnés à Gallimard, qui va les faire photographier, ensuite dactylographier, ensuite en organiser l’impression, etc., etc., un travail d’au moins sept ans), qu’il se pourrait bien qu’on fasse de tout mon Journal un volume de la collection de la Pléiade25 (détail qui ne m’intéresse pas le moins du monde, j’ai horreur de ce genre de volumes), enfin tant de choses à la fois justes, sensées, et engageantes, qu’il se pourrait bien que je me décide pour Gallimard. Et encore ?… Le vrai, est que tout cela m’assomme.

Le 25 septembre 1952, Robert Mallet ajoutera (Journal littéraire) :

Mallet estime que rien que la composition des placards du Journal coûterait au moins un million, au prix que la typographie est aujourd’hui, et « qu’une pauvre maison » comme le Mercure n’a pas de pareils moyens.

Enfin le 28 septembre 1952 :

Mallet a alors continué sa propagande pour que je me décide à donner le Journal (tout le Journal) à Gallimard, qui lui a remis, pour cette visite de ce matin, un exemplaire du Journal de Gide, contenu tout entier, à peu de choses près, dans ce volume26. Le fait est que c’est d’un bel aspect, avantageux même pour soi, d’avoir tout son Journal dans un seul volume, et la typographie pas du tout comme je la croyais faisant la lecture un peu difficile. Il m’a répété que bien des auteurs, et non les premiers venus, voudraient bien être admis dans la collection.

Puis, un peu plus loin dans la même journée :

Je me suis mis à lui dire : « En réalité, Mallet, vous êtes au sujet du Journal pour Gallimard, ce que Mlle Dormoy est dans sa Bibliothèque Doucet. Vous avez en vue un certain avantage moral, un succès à obtenir qui vous servirait dans votre situation chez Gallimard. » La conversation a pris alors de part et d’autre, et de la sienne surtout, un ton de franchise, telle au reste que j’estime qu’il doit être entre deux camarades. « Puisque vous l’envisagez de cette façon, eh bien, oui. Ma situation chez Gallimard est intéressée à l’édition du Journal chez lui. Si vous ne le donnez pas, il me traitera, j’en suis sûr, en lui-même d’imbécile. Il se dira : « Comment ! il n’a pas su l’emporter, il n’a pas su s’y prendre, faire valoir tout le prix de mes propositions et ce que représenterait de son Journal dans la collection de la Pléiade ? Décidément… » Tandis que, au contraire, j’arrive un jour et lui dise : « Eh bien, c’est entendu, Léautaud va revoir tout son texte, et nous le donnera ensuite… Vous comprenez, n’est-ce pas ?… »

* * *

Mais revenons au déroulé des entretiens, dont d’ailleurs l’enregistrement de la première partie se termine ce seize septembre :

Il a terminé hier nos Entretiens à la Radio par un couplet sur mon compte d’un élogieux aussi excessif que ridicule.

Après un mois que Robert Mallet a sans doute occupé à l’écoute des enregistrements et peut-être à une transcription en vue de la publication, vient le temps du montage.

Jeudi 2 Novembre

J’avais rendez-vous à 1 heure à la Radio pour une séance de recommencements de passages mal venus, compléments à d’autres, adoucissement à certains trop vifs, enfin la conclusion, qui a dû être renvoyée à une autre séance. J’ai déjeuné chez Marie Dormoy qui m’a conduit dans sa voiture rue de l’Université, et qui est revenue me reprendre pour me reconduire à Fontenay.

Je viens de parler d’adoucissements de passages trop vifs. Les premiers mots de Robert Mallet sont pour me dire qu’il va falloir recommencer le passage sur mes origines père et mère. La liaison de Firmin Léautaud avec la sœur aînée de ma mère, leur habitation rue Lamartine, ma mère venant chaque dimanche voir sa sœur, le dimanche la visite s’étant étendue jusqu’à minuit, Fanny jugeant qu’il est bien tard pour la laisser s’en retourner seule chez les parents rue d’Odessa, la décision de la garder à coucher, et un lit manquant, Firmin Léautaud disant : « Elle n’a qu’à coucher avec nous », et la chose faite, lui couché entre les deux femmes, faisant d’abord sans se gêner l’amour, avec détails, avec Fanny, puis, changeant de côté, en faisant autant avec la jeune sœur, 18 ans, encore vierge, et Fanny, scandalisée, quittant mon père dès le lendemain matin pour rentrer dans sa famille, et la jeune sœur s’installant à sa place, tout cela tel que je l’ai raconté dans In Memoriam, le Directeur de la Radio, dont je ne me rappelle jamais le nom, a jugé qu’on ne pouvait offrir, à la Radio, un pareil sujet aux familles, (les familles, dans la plupart desquelles il s’en passe bien d’autres). Comme je l’ai dit à Robert Mallet : « Pauvre Firmin Léautaud. Vous l’émasculez. Vous lui retirez tout son pouvoir de séduction sur les femmes, les merveilleux moyens dont il disposait pour leur donner du plaisir. C’est une mauvaise action… »

Lundi 27 Novembre [1950]

[…]

Tantôt, téléphone de Robert Mallet. André Billy lui a écrit de façon très aimable, lui demandant d’adoucir, dans sa « présentation », les passages un peu vifs, ce que Mallet appelle : acrimonie, et lui donnant toute liberté de couper, si l’ensemble est trop long. J’ai répondu à Mallet : « Laissez donc tel quel. Ce qu’il a dit, il l’a dit. Cela ne me fâche nullement. Je vous le répète : pleine liberté. Après cela, faites comme vous voudrez. Cela vous regarde.

Quant à Rouveyre, il a tellement insisté, presque exigé, de recommencer sa « présentation », certains passages ne le satisfaisant pas, que Mallet a dû céder, malgré tout le travail qu’il a actuellement chaque soir, de 9 heures à minuit, pour le « montage » de tous les Entretiens. Je crois que c’est demain, ou après-demain soir, que Rouveyre ira recommencer sa « présentation ».

Ce lundi quatre décembre, l’entretien zéro est diffusé sur la chaîne nationale pendant l’entracte d’un concert de l’orchestre national.

Le lendemain se tient une réunion des actionnaires du Mercure. Paul Léautaud, un peu en avance, passe voir son ami André Rouveyre chez lui, rue de Seine :

Je lui ai fait, comme je le pense, et comme il le mérite, grand compliment de sa « Présentation » à la Radio, hier au soir. Il a ri, il s’est moqué, mais il sait bien lui-même ce qu’il en est. La preuve, c’est qu’il a cité certains passages, certains mots, certaines petites allusions : « Ce n’était pas mal, n’est-ce pas ? » Au fond, après s’être fait tant et tant prier, avoir dit non presque trois jours avant le jour, il est enchanté d’avoir fait son petit discours.

Il a fait toutes sortes de compliments de Robert Mallet, extrêmement sympathique, intelligent, conversation agréable, enchanté de le connaître. Je lui dis : « Oui, oui, il m’a beaucoup parlé de vous… » Il devine : « À propos de mes difficultés ?… » Moi : « Oui. Il vous a mis dans sa poche. » Ce qui le fait se trémousser de rire. Je conclus en lui disant qu’il aurait eu absolument tort de refuser, que cette idée de « présentation » par Mallet est une véritable innovation, dont son directeur à la Radio lui-même lui a fait grand compliment.

Deux émissions de trop

Voyons la liste des émissions telle qu’elle est donnée dans l’excellente intégrale en CD chez Frémeaux :

01L’enfance rue des Martyrs
02L’adolescence à Courbevoie
03Les petits métiers
04L’armée et l’étude Lemarquis
05Suite étude Lemarquis et la saison des jeunes amours
06Souvenirs littéraires : Mallarmé, Rimbaud
07Les auteurs préférés : Taine, Renan, Barrès, Stendhal
08Le Mercure de France : Léautaud, poète élégiaque
09Les Poètes d’aujourd’hui : Charles Guérin
10Les Poètes d’aujourd’hui : Henri de Régnier, Mallarmé
11Les poètes symbolistes : Paul Valéry, Verlaine
12Samain, Jarry, les surréalistes
13Le Petit Ami : ses sources
14Le Petit Ami : ses épigraphes
15Le Petit Ami : une œuvre amorale
16Le prix Goncourt. L’inspiration
17In Memoriam : l’agonie du père
18In Memoriam (suite) : Portrait de morts et d’animaux agonisants
19Le Mercure de France : Maurice Boissard, chroniqueur dramatique
20Fontenay-aux-Roses : Ode à la solitude, l’amour des animaux abandonnés
21Leçon de citoyenneté à propos des animaux abandonnés
22Le théâtre, le plaisir. Critique de Racine et de Corneille
23Le théâtre romantique : de Molière à Victor Hugo
24Le théâtre moderne : Claudel, Sacha Guitry, Ed. Rostand, Porché
25Les grands animateurs du théâtre contemporain : Antoine, Lugné-Poe
26La critique dramatique : de l’éreintement de quelques auteurs…
27La critique dramatique : le personnage de M. Boissard. Le critique devenu vieux
28Le bon plaisir de Léautaud et le goût de choquer

Donc 28 émissions. En examinant les programmes de la radio donnés par les quotidiens de l’époque on constate qu’à partir de ce quatre décembre pour l’émission zéro, les émissions sont diffusées tous les lundis et jeudis jusqu’au 19 mars 1951 vers 21 heures trente, pendant l’entracte du concert du soir. Si l’on inscrit ces mardis et jeudis dans une feuille d’Excel cela fait trente émissions plus l’émission zéro pour cette première série. Trente émissions, c’est deux de trop. Lesquelles ? On pourrait penser qu’il n’y a pas eu de diffusion le lundi premier janvier mais le programme de radio du quotidien L’Aube du premier janvier indique bien une diffusion ce jour-là.

Fragment du programme radio de L’Aube, du premier janvier 1951, page deux

Le lundi de Pâques 1951 arrive trop tard (le 26 mars) pour nous intéresser. En examinant plus attentivement les programmes de la radio on constate qu’aucun quotidien n’indique d’entretien Léautaud le huit mars, allez savoir pourquoi. Disons — sans certitude aucune — que cette émission a sauté. Cela fait 29, il en reste encore une de trop. Toutes les autres sont annoncées dans un quotidien ou dans un autre.

C’est la dernière, qui est en trop, celle du 19 mars, qui est une émission supplémentaire annoncée dans les journaux comme « conclusion aux entretiens » et qui ne figure pas dans l’intégrale Frémeaux.

Le Figaro du 19 mars 1951, page cinq

De même que la série avait été introduite par André Billy, Marie Dormoy et André Rouveyre, une conclusion est donnée par Marie Laurencin, Marcel Jouhandeau, le peintre Paul Bret… L’Aurore du 19 mars semble le seul journal à donner la liste des invités, page sept. Les noms sont peu lisibles et l’on devine ceux d’Henri Agel, Odette Lutgen, « etc. ». On devine aussi un « Jean Hosotte, sans certitude.

L’Aurore du 19 mars 1951

Henri Agel (1911-2008), catholique engagé, agrégé de Lettres, est un professeur et critique de cinéma, art qui n’a jamais intéressé Paul Léautaud. C’est peut-être un proche de Robert Mallet.

Tout ce que l’on peut savoir de la journaliste Odette Lutgen semble la donner comme romancière populaire. Deux de ses livres demeurent, un roman, La Femme de proie chez Dominique Wapler (?) en 1952 et En dépit de leur gloire, une série d’entretiens avec quelques-uns des plus grands auteurs de ce temps paru en 1961 chez del Duca avec une petite préface et une lettre autographe de Jean Cocteau. Nous sommes là aussi très loin de Paul Léautaud.

Bien sûr, pour Marie Laurencin et Marcel Jouhandeau le choix est bien davantage pertinent. Reste Paul Bret (1902-1956), peintre et ami de Robert Mallet qui a réalisé un portrait de Paul Léautaud au début de l’été 1950, pas ressemblant du tout (voir le Journal littéraire au 14 août 1950 et au 22 novembre 1951).

18 décembre 1950

Le 18 décembre 1950, Paul Léautaud répond à un Monsieur Bry ancien camarade de régiment27 :

Ne vous emballez pas pour les Entretiens à la radio. On n’y est pas libre. On y est censuré. On m’a fait recommencer des passages trouvés trop vifs, comme les amours de mon père, homme à tant de succès de femmes, à une si belle capacité dans le plaisir. De plus, parfois, une ou deux semaines d’interruption, l’entrain se trouvant coupé. Si vous avez entendu les trois « présentations » du début, elles seront certainement le meilleur de toute l’affaire.

Cela a été charmant de votre part de m’écrire à ce sujet, acceptez de loin toutes mes cordialités.

30 décembre [1950]

Chaque matin, depuis quelques jours, pas mal de lettres à propos de mes Entretiens à la Radio. Je commence à en avoir par-dessus la tête, comme des articles ou échos dans les journaux. Il faut répondre à certaines de ces lettres et les articles de journaux sont pleins d’inexactitudes ou déformations sur des faits ou des circonstances.

[…]

J’ai à faire mention d’une lettre d’une nature toute particulière, très bien écrite, d’une demoiselle de Clermont-Ferrand, que je garderai de côté.

Cette lettre est reproduite dans la Correspondance générale.

1951

Très courtoisement ainsi qu’on s’y attend, le premier janvier au matin, Robert Mallet téléphone à Paul Léautaud pour lui présenter ses vœux.

Lundi 1er Janvier

Ce matin, long téléphone de Robert Mallet. M’assure que mes Entretiens à la Radio sont très suivis. M. Barraud, le directeur de la Radio nationale, les suit attentivement. Il lui a dit qu’on n’en a jamais eu d’aussi intéressants. Ce que j’ai dit, en parlant de Barrès, sur ce qui fait le charme, la sorte de séduction du style du Jardin de Bérénice, l’emploi de l’adjectif démonstratif ce au lieu de l’article le, disant de mémoire tout ce passage : Nous étions arrivés sur ce flanc de la Butte Montmartre…, a été très remarqué. Des gens qui suivent ces Entretiens prennent des notes, paraît-il. Vrai de vrai, je n’en reviens pas, je ne m’y serais jamais attendu. Je l’ai dit à Mallet : « Tant mieux pour nous deux, tant mieux surtout pour moi. »

En fin de journée, PL ajoute :

J’oublie, dans le téléphone ci-dessus de Robert Mallet : Gide lui a demandé si j’écrirai quelque chose sur Les Caves du Vatican.

Suit, dans l’édition du Journal littéraire, une ligne de points dont nous ne connaîtrons peut-être jamais la teneur28.

Jeudi 4 Janvier

J’ai oublié de noter ceci. Dans un Entretien à la Radio, j’ai parlé de Barrès. J’ai raconté à cette occasion le geste de répugnance de Gide, à notre déjeuner ensemble chez Mme Gould29, quand, parlant de Barrès, je vantai Le Jardin de Bérénice, ajoutant que s’il avait été question d’un jeune garçon… Mallet m’a téléphoné pour me demander la permission de supprimer cette allusion. Il m’a bien fallu la lui accorder.

Le 17 janvier 1951, Paul Léautaud écrit30 à Charles Chassé31.

L’enregistrement de mes Entretiens à la Radio a duré pendant près de trois mois, avec des interruptions souvent de deux semaines qui coupaient tout ; aussi je ne me souviens de rien de tout ce que j’ai pu dire, plus de bêtises certainement que de choses valables. J’aime le silence et la tranquillité. Je n’ai pas d’appareil chez moi. Je ne m’entends donc pas, ce qui, au reste me gênerait. J’ai écouté seulement, encore parce que la Radio m’a téléphoné un soir et avec insistance, mes trois « présentations » préalables par André Rouveyre, André Billy et Mademoiselle Dormoy. Quant à la présentation en volumes, droit accordé, paraît-il, à tout individu s’étant prêté à ces Entretiens je n’y trouve aucun intérêt et n’en ferai rien.

« Je n’ai pas d’appareil chez moi ». On se souvient de deux ou trois écoutes de ses entretiens par Paul Léautaud, dont une en voiture, en compagnie de Robert Mallet en revenant des funérailles d’André Gide à Cuverville. Concernant l’écoute de l’émission zéro, voir la lettre à Robert, le jardinier de Mademoiselle de Hoorn, propriétaire de la maison de Fontenay :

N’oubliez pas je viendrai chez vous ce soir pour la radio. À quelle heure ? Combat n’en dit rien aujourd’hui32.

Combat n’en dit rien, mais L’Aurore indique « à l’entracte, vers 21 h. 14 ».

Le 24 janvier, Paul Léautaud répond à Yves Florenne33, que tous les lecteurs du Journal littéraire connaissent :

Votre lettre m’a fait plaisir, en me donnant de vos nouvelles, dont j’ai quelquefois comme un écho quand j’achète Le Monde et que je vous y lis34. Ne me parlez pas de la Radio. J’enrage de m’être laissé fourrer dans cette affaire dont je ne me doutais pas de ce qu’elle était et de ce qu’elle serait. Nombreux dérangements pour les enregistrements. Autres dérangements pour les reprises, les corrections, les adoucissements. On n’y est pas vraiment libre, les passages un peu vifs, un peu hardis, il faut les recommencer. Une véritable censure, dont je suis le premier à reconnaître le bien-fondé, la Radio allant dans tous les milieux, atteignant toutes les oreilles, celles des adultes comme celles des enfants, ou succédanés d’enfants. Et les lettres qu’on reçoit, certaines auxquelles il faut bien répondre. Et ces gens qu’on n’a jamais vus et qui vous tombent dessus sans crier gare. Ma tranquillité habituelle fichue et mon travail mis en plan.

Oui, presque toutes les lettres que j’ai reçues font allusion à la façon dont j’ai dit de mémoire les vers de Charles Guérin et les vers de Verlaine. Je vais vous faire rire : Vallette m’appelait « la Sirène » à ce sujet35. Je pourrais vous donner bien des exemples. Trop long, trop long.

Vendredi 5 Janvier

Robert Mallet me dit aussi qu’un rédacteur de Paris-Presse va faire un article sur mes Entretiens. Il voudrait y placer quelques photographies. Y consens-je ? Je dis oui, mais quelles photographies ? Il me dit celles qu’il a faites de moi, un jour, dans son jardin. J’ai dit oui.

Cet article va paraître dans Paris-Presse L’Intransigeant du seize janvier page quatre sous la signature de Jean-Jacques Hauwuy.

Dimanche 4 Février

J’ai beau essayer de me monter la tête, je n’arrive pas à me prendre pour tout ce qu’on dit de moi et écrit à mon sujet depuis ces Entretiens à la Radio. (Ce détail appris tantôt : que, pour me faire plaisir, la Direction de la Radio fera entendre à mon Entretien de demain soir des passages, sinon l’œuvre entière, du Mariage secret36(37).) Je n’y arriverai jamais, c’est dans ma nature, je l’ai éprouvé toute ma vie d’écrivain. Que peut bien être cette anomalie et d’où peut-elle me venir ?

Le neuf février sur la chaîne nationale à 22 heures 55 est diffusé Satire en trois temps et cinq mouvements, de Robert Mallet. On trouve cette annonce dans L’Aurore et dans L’Aube. Il s’agit d’une pièce en un acte. À cet acte est souvent associé un autre, plus connu, L’Équipage. Cet acte sera donné à la Comédie de Paris de la rue Fontaine dans une mise en scène d’Henri Soubeyrand en 1957. Le texte de ces deux pièces sera publié la même année dans le numéro 149 de L’Avant-scène. Le six février 1957 la regrettée Claude Sarraute publiera une critique de L’Équipage dans Le Monde du six février 1957. L’article commence par ces mots :

Pour beaucoup le nom de Robert Mallet reste attaché à celui de Paul Léautaud. Les entretiens radiophoniques auxquels il convia le vieil ermite de Fontenay-aux-Roses l’auront fait connaître du grand public. Consignées dans son Journal, les circonstances de la Mort ambiguë de Gide devaient lui permettre d’inscrire ensuite quelques remarques pertinentes en marge de l’histoire littéraire contemporaine.

Avec L’Équipage au complet Robert Mallet aborde aujourd’hui le théâtre. Selon toutes les règles de l’art.

Le 19 février à 22 heures trente, André Gide meurt dans son appartement de la rue Vanneau.

Samedi 24 Février

Propos à moi tenus ou qu’on m’a rapportés sur mes Entretiens à la Radio :

Gide : « Je n’en reviens pas. On ne me parle que de cela. »

M. Gilson, Directeur de la Radio, immédiatement après Wladimir Porché « Nous n’avons jamais eu d’Entretiens aussi vivants, intéressants et qui aient un pareil succès. »

Dans un Écho de journal : « Le vieux monsieur, c’est Robert Mallet, le jeune homme Paul Léautaud. »

Mauriac : « C’est un faux cynique (moi). L’émotion qu’il avait en récitant le poème de Charles Guérin sur Jammes. »

Galtier-Boissière (à un déjeuner chez lui aujourd’hui) : « Vous avez bouleversé la Radio. Vous l’avez fichue par terre. Je ne vous dis pas cela pour vous flatter. Vous les aurez obligés à changer leur manière, à s’apercevoir des chers maîtres qui pontifient, préparent par écrit leurs réponses, font de la littérature, et un homme vivant, qui ne pose pas, qui parle spontanément, comme il pense et comme il juge. »

Un des commis de mon charbonnier, me livrant ce soir, à 6 heures, une tonne de bois : « Je vous demande pardon pour ma curiosité, il y a un M. Léautaud qui parle à la Radio. Est-ce que c’est vous ? — Oui. — Vous ? Mais c’est la voix, la vivacité d’un homme de 40 ans. — Il paraît. On me l’a déjà dit. C’est pourtant moi, qui suis dans ma 80e année. — Eh bien ! je vous fais vraiment mes compliments, en m’excusant encore pour ma curiosité. »

Mardi 27 Février

Quelle correspondance me valent depuis deux mois ces Entretiens à la Radio, six ou huit lettres chaque jour. J’ai dû le noter : dans le nombre, pas mal de lettres de jeunes gens. Et surtout des lettres de femmes, la plupart expliquant très bien leur plaisir à m’entendre. Je n’ai pourtant pas caché mon âge dans mes Entretiens. Rouveyre m’avait prédit cela et je n’avais pas voulu le croire. C’est lui qui voyait juste.

Ce soir, téléphone d’un M. Bauër38, de la Comédie-Française. Comment a-t-il eu mon numéro ? Il me demande si cela me ferait plaisir d’assister à la première du Dindon de Georges Feydeau ? Je lui dis que j’en ai peu envie et je questionne : « C’est un vaudeville ? — Oui. » Je dis alors que je n’y tiens pas. Et aussitôt cette idée me vient : « Ce qui me ferait plaisir, c’est de voir Ledoux39 dans Tartufe. — Mais certainement. On donne Tartufe dimanche soir. » J’explique que la question de transport m’embarrasse. J’habite Fontenay (ce que ce M. Bauër sait), que les autobus dans Paris s’arrêtent à 9 heures du soir. Il me dit aussitôt qu’on pourrait s’arranger pour me faire reconduire. Je lui dis que je n’accepterais jamais qu’on se dérange ainsi pour moi. Enfin, que je vais voir. « Très bien. Si vous vous décidez, un coup de fil, et les places seront au contrôle. »

Qu’est-ce qui leur prend ? Ils me découvrent, ils se mettent à me connaître, à m’offrir des entrées pour tel spectacle qui m’intéresserait. Moi, le fils d’un souffleur d’autrefois, qui avait une certaine réputation comme tel, moi qui dès mes trois ou quatre ans étais un habitué de ce théâtre, qui y circulais (côté scène, foyer des artistes) comme chez moi. Cela m’aurait fait grand plaisir il y a quelques années. Aujourd’hui, avec l’état de ma vue, sortir le soir est toute une affaire.

Mercredi 28 Février

Mallet m’a encore fourré dans une affaire de Radio : lecture par moi d’un texte de ma composition. Quoi lui donner ? Il me dit : « Par exemple, des passages de votre Journal.» Je lui ai proposé : « Eh ! bien, venez demain matin. Je vous donnerai le dossier d’une année au hasard. Vous choisirez vous-même. » C’est donc entendu ainsi.

Le samedi 17 mars 1951, nouvelle réponse à Monsieur Bry, son ancien camarade de régiment :

Je n’ai pas la radio chez moi et je ne m’écoute pas. J’ai su que, en effet, jeudi dernier, l’horaire a été fort dérangé par une audition musicale d’une œuvre lyrique d’un musicien russe40. Ce n’est qu’aux environs de 10 heures que je suis passé. Tâchez de ne pas manquer l’audition de lundi prochain c’est la dernière sur la Radio nationale, avec audition de quatre commentateurs qui viendront donner leur avis sur ces Entretiens. La Radio nationale étant bloquée pour une autre série41, la suite paraîtra à peu près un mois après, sur une autre chaîne qui s’appelle l’Inter. Je ne sais ce que ce terme signifie42.

Vous ne pouvez vous imaginer les dérangements de toutes sortes que m’a valus cette affaire de radio. Ma tranquillité43, mon travail en plan, depuis trois mois. Si j’avais su ou pu prévoir cela, je ne me serais pas laissé faire par Robert Mallet, à qui il a bien fallu deux mois d’insistance pour me faire accepter.

Nous devons être, vous et moi, à deux pôles bien éloignés, comme opinions, jugements, sentiments appréciations sur les mœurs, la société, les duperies politiques, ces facteurs de guerre, l’héroïsme et les héros (ainsi pensais-je déjà quand j’avais vingt ans.) Qu’importe, les conversations sont plus intéressantes quand on est différents, que lorsqu’on pense de même.

Je ne vois jamais rien de ce qui paraît sur moi des photographies, des intervieweurs44 chez moi sans crier gare, et aucun ne m’envoie ce qu’il a fait ou écrit. Il est probable que je ne perds pas grand’chose.

Le lundi suivant 19 mars est donc diffusée cette dernière émission conclusive.

Le lendemain 20 mars, Paul Léautaud écrit à Marie Dormoy :

Je pense que vous avez écouté la Radio hier soir. Quel « bouquet » comme on dit en matière de feu d’artifice : le professeur, ces étudiant et étudiante, ce Paul Bert, auteur de mon si mauvais portrait, qui assistait à l’enregistrement des Entretiens, et Marie Laurencin, et Jouhandeau, lui surtout ! Sa femme m’a tenu ce matin au téléphone près d’une demi-heure pour me dire la satisfaction qu’elle en a, elle-même.

Pour le public de l’époque, c’est la fin de cette série d’entretiens. Paul Léautaud a été remplacé par Jean Cocteau le 26 mars. Ce 26 mars, un certain P. D. écrit dans Le Monde : « Au revoir, Monsieur Léautaud » :

Le rideau est tombé sur la série d’entretiens avec M. Paul Léautaud. On n’entendra plus le rire « hénaurme », les éclats de voix, les phrases grinçantes, les coups sur la table, toute cette artillerie de la sincérité qui portait si bien, et je gage que plus d’un auditeur sentira maintenant qu’il lui manque quelque chose.

Cette série d’émissions figurera sans conteste en tête du livre d’or de la saison. Blaise Cendrars avait déjà efficacement rué dans les brancards radiophoniques. Après Colette et Gide, il avait battu l’air courageusement et ouvert les portes du non-conformisme. M. Léautaud, lui, nous a jeté tout simplement son cœur à la figure, avec son vitriol et ses pointes d’émotion, ses jugements brutaux, son défi, son mépris, mais aussi les fleurs secrètes de ses admirations, des vers oubliés de ses amis, des pages attendries. Le mouvement d’intérêt qu’il a suscité ne tombera pas de sitôt, et bien des libraires s’en avisent qui mettent en bonne place dans leurs vitrines les livres de M. Léautaud.

Rendons également à M. Robert Mallet ce qui n’appartient qu’à lui : ce don de pêcher l’anecdote, de cueillir le trait sur les lèvres bougonnes de son interlocuteur, cette connaissance parfaite des tours et détours de son œuvre, cette maîtrise de soi enfin devant les sautes d’humeur de sa « victime ». Et si la civilité puérile et honnête a parfois été échaudée au cours de ces entretiens, c’est en fin de compte au bénéfice de cette authenticité dont on se réclame trop souvent aujourd’hui sans en accepter les moyens.

Je ne pense pas que la radio en vaudra encore à M. Léautaud – « l’homme le plus libre de ce temps », selon M. Jouhandeau – d’avoir déclaré que « l’invention la plus sensationnelle après la T.S.F. c’est le bouton qui permet de l’arrêter45 ».

L’intervention Corniglion-Molinier

Vers la fin de la dernière émission, le onze juillet 1951, nous assisterons à cet échange :

RM : […] vous avez même eu les honneurs d’une interpellation à l’Assemblée Nationale.

PL : La réponse du ministre de l’Information, non ! jamais je m’y serais attendu !

RM : Vous en avez éprouvé un certain sentiment de satisfaction ?

PL : Tout de même, oui, parce que je pense que, M. Gazier, n’est-ce pas, rien ne l’obligeait à dire ce qu’il a dit. Mais je n’en reviens pas !

Les léautaldiens se réjouissent parfois de cette intervention à l’Assemblée nationale à propos des entretiens. En même temps il faut savoir par qui.

Voyons plus précisément les circonstances de cette intervention.

La diffusion de la première série d’entretiens est terminée depuis plus d’un mois lorsque, le 27 avril, s’ouvre à la Chambre des députés le débat sur l’« adoption d’un avis sur un projet de loi concernant les dépenses de fonctionnement des services de la radiodiffusion française pour 1951 ».

Intervient alors Édouard Corniglion-Molinier, président de la commission de la presse, de la radio et du cinéma. À vrai dire on se demande un peu ce qu’il fait là dans la mesure où il n’est plus sénateur depuis le premier janvier et ne sera élu député que dans six semaines, le 17 juin. Il doit bien y avoir une raison. Ce viril guerrier (1898-1963), ancien général de l’armée de l’air, trouvera moyen (le 17 juin, donc) de se faire élire député RPF des Alpes-Maritimes devant Marcel Dassault et son chéquier. Il conservera son fief jusqu’à la mort, comme les légionnaires de Camerone, ce qui ne l’empêchera pas d’être ministre de la Justice en 1957 (six mois) et ministre chargé du Sahara en 1958 (quinze jours). C’était ça, la quatrième République.

Que nous dit ce brave militaire ? Que la radio française est une des meilleures du monde et pourtant qu’il n’en est pas content, il faudrait savoir. Les programmes changent tout le temps d’horaires et de longueurs d’ondes. Le grand public a des goûts parfois discutables, les intervenants parlent mal, les speakers sont étonnants de fatuité et font preuve d’une fausse érudition en prononçant les mots étrangers. Les rédacteurs de la radio, trop souvent, font preuve d’une pauvreté de style à faire frémir un candidat au poste de facteur auxiliaire.

Auprès de qui se plaint-il ? Un quotidien ? un magazine de radio ? une association d’auditeurs mécontents ? Non, au ministre de l’Information Albert Gazier dans une séance du Conseil de la République. Le moins que l’on puisse dire est que l’aviateur vole à basse altitude.

C’est dans le cours de ce texte que le pilote ajuste son laryngophone avant de préparer sa figure avec le racisme bon-enfant de son époque et de son milieu :

Je voudrais savoir pourquoi certaines émissions sont payées pour n’être entendues par personne. Je vous signale, par exemple, qu’il y a une émission à l’adresse des populations autochtones d’Afrique noire qui est consacrée à l’opérette à la fin du XIXe siècle. Je suis assez persuadé qu’aucun de ses possibles auditeurs ne l’écoute, et pour cause !

Cet homme politique ne dit pas — il le sait très bien — qu’il s’agit de vieux Pyrals qui ont tourné dans toutes les provinces et les Outre-mers. Ceux qui n’ont pas été perdus dans les transports encombrent les caves. Comme on ne sait plus quoi en faire, on refourgue ça, comme un trop vieux porte-avions, aux pays en voie de développement, ça coûte moins cher que stocker.

C’est alors que, contre toute attente, il parle des entretiens Léautaud-Mallet :

Ajoutons que ce genre, du plus haut intérêt, coûte au budget radio des crédits substantiels que l’on aurait meilleur profit à consacrer à M. Léautaud ou à tel autre. Je suis heureux, ici, d’ouvrir une parenthèse pour vous féliciter du succès écrasant de cette émission qui a enchanté la France. M. Léautaud y a gagné en popularité. Il s’y est sans doute fait connaître de gens qui l’ignoraient totalement. Ce fut un très gros succès. Vous allez, me dit-on, reprendre cette émission. N’y manquez pas. Ce fut et ce peut être encore excellent.

Fragment du Journal officiel numéro 37 C. R. (pour Conseil de la République) du 28 avril 1951, page 1363

Dans la bouche d’Édouard Corniglion-Molinier, on se demande s’il s’agit bien d’un compliment.

Bien sûr, même face à un député qui s’exprime comme un auditeur, le ministre répond comme répondent les ministres depuis la nuit des temps (premier tiers de la page 1366) et remercie Édouard Corniglion-Molinier de ses observations dont je tiendrai le plus grand compte. Albert gazier ajoute :

Je sais, par le débat de l’an dernier, qu’il [ECM] s’intéresse tout particulièrement, et à juste titre, au développement de l’excellent programme qui est diffusé sur Paris-Inter.

Est-ce cette phrase que Paul Léautaud appelle la réponse de Monsieur Gazier ? On peut en douter. Le débat de l’an dernier est vraisemblablement le précédent débat à l’assemblée nationale. Au cours de la phrase suivante, Robert Gazier précise :

Je tiens à lui dire [à ECM] quels ont été les progrès réalisés depuis sa dernière intervention de l’an dernier [sic] pour assurer une meilleure diffusion de ce programme.

Suit une liste de villes où Paris Inter est maintenant diffusé. Il ne s’agit absolument pas des entretiens Léautaud-Mallet. C’est donc bien le très-ignoré Édouard Corniglion-Molinier que Paul Léautaud doit remercier et pas du tout Albert Gazier.

La seconde série d’entretiens

Cette seconde série d’entretiens compte dix émissions diffusées tous les mercredis du neuf mai au onze juillet sur Paris-Inter à vingt heures quarante. Nous sommes au complet.

Mai-juin 1951

Il semble que les enregistrements de la seconde série d’entretiens aient commencé au moins le seize avril (voir le JL à cette date). Le 31 mai, Paul Léautaud note :

Dans le Mercure. Rubrique de la Radio. Sur mes Entretiens. J’y suis traité de « noble écrivain ». Que cette expression est bête !

La phrase est : « En tout cas ces émissions Léautaud ont été un petit événement radiophonique. Quelle presse nombreuse et quelle bonne presse ! Elles ont fait connaître un noble écrivain. » Il s’agit de ce même article d’André Dubois La Chartre et son bouton permettant d’arrêter la radio. Hélas Paul Léautaud ne semble pas percevoir l’ironie du texte publié sous forme de dialogue dans le Mercure de juin, pages 319-321. André Dubois La Chartre est auteur Gallimard. En septembre 1952 il publiera un récit : Rolland (208 pages).

Plus élogieux a été François de Roux dans Le Figaro du onze mai.

Le Figaro du onze mai 1951, page cinq

Samedi 12 mai

Robert Mallet m’a envoyé — reçue tantôt — la coupure du compte rendu de François de Roux46, du premier de mes Entretiens sur Paris-Inter. Des éloges, une sympathie, mon « rire devenu célèbre ». Là aussi, je le noterai une fois de plus : je ne retire de cela qu’une mélancolie… à en pleurer si je ne me dominais.

Vendredi 6 Juillet

Le compte de l’argent que je possède et qui va encore s’augmenter, fait, avec Robert Mallet : les Entretiens : 200 000, la publication des Entretiens à la Radio, près de 400 000. Je dépasserai le million47. Qu’est-ce que je ferai de tout cet argent ? À mon âge, c’est grotesque. Je ne vais pas changer ma vie, et je n’ai envie de rien, absolument de rien. La preuve : l’argent de la Radio laissé par moi à mon compte de chèque postal. Les 500 000 frs de mon compte au Mercure laissés dans sa caisse.

Mercredi 22 Août

Mallet m’entreprend pour revenir à la Radio à propos de mes 80 ans (18 janvier 1952). Je lui réponds : « Non, non », bien répété, affirmatif, sans rémission. Entretiens pendant 4 ou 5 mois, cela suffit. Y retourner tournerait à l’abus, à une sorte de puffisme. Le fait est que j’ai par-dessus la tête de cette exhibition verbale.

L’édition en volume

Comme bien plus tardivement les entretiens Gide-Amrouche ou Colette-Parinaud, comme en 1952 Blaise Cendras vous parle (Denoël, 266 pages), les entretiens avec Robert Mallet ont été publiés par Gallimard en 1951, achevé d’imprimer le 29 octobre.

Le texte diffusé à la radio et celui imprimé sont assez différents, comme chacun peut s’en rendre compte et Robert Mallet s’en explique dans la courte Introduction aux entretiens, en des phrases entortillées, évoquant des propos « parfois les moins protocolaires. »

Du bout des lèvres, Robert Mallet avoue « quelques coupures dans ses propos lors de leur transmission. »

Il indique :

Les Entretiens ont été numérotés de I à XXII selon leur enregistrement et non selon leur diffusion48. Chacune des conversations a duré une heure environ, et c’est en fragmentant ces vingt-deux conversations qu’on a obtenu les trente-huit entretiens diffusés.

Une question se pose alors au lecteur, surtout lors de la confrontation avec l’écoute : Cette dactylographie a-t-elle été prise avant ou après le montage son définitif ? La réponse sera donnée par Paul Léautaud le vingt novembre 1951 :

Mlle N., dactylographe au service de la Radio, qui tapait à la machine les Entretiens au fur et à mesure de leur enregistrement.

Robert Mallet a donc « monté » des morceaux de dactylographie, laissant vraisemblablement à un technicien le soin de monter le son en conformité.

En fin d’introduction, Robert Mallet conclut :

Si donc des suppressions ont paru indispensables pour que les Entretiens puissent être livrés au très vaste public de la Radio, il a paru non moins nécessaire de conserver dans son intégrité une pensée dont le mérite essentiel est de faire fi de tout conformisme.

Jeudi 13 Septembre [1951]

Aujourd’hui, troisième après-midi passée avec Robert Mallet à la révision des placards du volume des Entretiens. Cela continue à être très drôle.

Quatrième et dernière séance lundi prochain.

Mardi 18 Septembre

Encore révision du texte des Entretiens cette après-midi, dans le bureau de Mallet, chez Gallimard, lui lisant, moi écoutant et indiquant les corrections de mots pour d’autres. Le diable si je me souvenais de tout ce que j’ai dit devant le micro. Cela continue à être très vivant, et ce qui compte le plus, d’une élocution d’un naturel complet. Encore une séance et ce sera fini. J’en ai hâte.

Mardi 25 Septembre

Encore été porter à Mallet deux petits ajoutés. C’est bien fini, maintenant. J’en ai assez de l’obliger à tout ce travail sur les placards. Moi-même, j’en suis excédé.

[…]

Gallimard, — c’est Mallet qui parle, — entend me traiter, comme auteur, à l’égal de Gide et de Claudel. Il compte tirer ce volume des Entretiens à 30 000. Mallet me dit que cela représentera 2 millions de droits d’auteur pour moi. Que vais-je faire encore de tout cet argent ? Je n’ai besoin ni envie de rien.

Ensuite, une publicité monstre. Par exemple, une affiche pour les libraires, me représentant une épée à la main, poussant des bottes à un adversaire dont on ne voit que le bras armé aussi d’une épée, et qui est Mallet. Je ne peux rien dire, rien empêcher, m’opposer à rien, mais c’est vraiment là une sorte de puffisme, quelque chose des mœurs américaines.

Après cela, la maison Gallimard ne m’est pas sympathique. On y fait des éditions, mais aussi des affaires. À la dernière séance de révision des placards des Entretiens, à Fontenay, Mallet s’est fait reprendre [en voiture]49 par un sieur Guenaël Bolloré50, propriétaire d’une manufacture de papier à cigarettes en Bretagne51, homme tout jeune encore et qui est « président directeur général du journal Opéra ». Ce qui était de sa part peu se gêner que d’introduire chez moi, de lui-même, un étranger. Lundi dernier, après-midi, dans son bureau, où nous étions à notre travail, ce monsieur est arrivé. Mallet a quitté son bureau, pour aller avertir Gallimard, me disant, pour s’excuser : « C’est une affaire très importante », et est revenu pour conduire ce monsieur chez Gallimard. Quand ce monsieur est revenu, ce petit dialogue : Mallet : « Ça a marché ? — Oui, très bien. — Tant mieux ! J’en suis très content. »

Mercredi 17 Octobre

Tantôt encore, contrôle, dans le bureau de Robert Mallet, des corrections aux épreuves en mise en page du volume des Entretiens. Il y aura encore une séance et ce sera fini. Mallet m’a soumis divers projets d’affiches publicitaires, cartes de visite à joindre aux exemplaires de service de presse, service des volumes à nos relations personnelles, prochaine visite à Fontenay, sur leur désir renouvelé52, de MM. Barraud et Gilson, une affaire pour moi : les recevoir dans le taudis qu’est ma maison et mon embarras à les voir se déranger ainsi pour moi. J’ai dit à Mallet que je m’en rapporte à lui, entièrement, pour tout cela. J’aspire au moment que toutes ces affaires seront finies, bien finies, qu’on n’en parle plus, que je retrouve ma tranquillité, ma vie habituelle, sans visites ni conversations.

Lundi 22 Octobre

Ce matin, téléphone de Robert Mallet.

Pas à me déranger pour la continuation de la fin des épreuves. Il a vérifié les corrections. Tout va bien. Il m’annonce que le volume aura 400 pages, et se vendra 650 francs. Nous avions parlé la dernière fois du grave oubli (de sa part) d’un index des noms cités et il pensait le faire, pour qu’on l’encarte dans ces exemplaires. Il en a parlé à Gallimard, qui lui a dit qu’on verra cela plus tard53.

La visite de MM. Barraud et Gilson est pour le jeudi 18 novembre.

Plutôt dimanche 18. Cette visite n’a pas été notée et n’a peut-être pas eu lieu.

Mardi 23 Octobre

Passé voir Mallet à son bureau de la N.R.F. Grand remue-ménage à propos de la mise en vente du volume des Entretiens. Charensol a informé qu’il fera une page entière des Nouvelles littéraires sur l’ouvrage et sur moi-même, et désire des documents iconographiques pour l’illustrer. De même, Opéra, qui fera lui aussi une page entière. Sur l’ordre de Gallimard, on attend que se manifeste Le Figaro littéraire, auquel cas ce serait lui qui aurait la priorité pour l’envoi des textes. La question préoccupante, c’est la date de la mise en vente. Gallimard tient pour essentiel que l’ouvrage ne paraisse pas pour se trouver mêlé au milieu des histoires du Prix Goncourt. Il juge absolument nécessaire que le volume des Entretiens paraisse seul, comme la vraie nouveauté importante en librairie : il s’est occupé tantôt personnellement de téléphoner à l’imprimeur Floch, à Mayenne, pour lui demander instamment d’activer le tirage, de manière que les Messageries Hachette, à Paris, soient en mesure de faire la distribution aux libraires vers le 9 novembre. Si cela n’est pas possible, alors la N.R.F. se résoudra à écrire aux journaux ci-dessus de reculer leur page entière d’un numéro.

Mallet m’a fait part de cette appréciation de Charensol : « Jusqu’ici ce sont les Entretiens d’écrivains qui ont fourni de la littérature à la Radio. Avec les Entretiens de Léautaud, c’est la Radio qui donne un ouvrage littéraire. »

Ce texte paraîtra dans Les Nouvelles littéraires du premier novembre en dernière colonne de une et sur une bonne moitié de la page deux. Sous le chapeau de Georges Charensol (non signé) des fragments de l’ouvrage à paraître.

Cinquième colonne de une des Nouvelles littéraires du premier novembre 1951. L’image a été déplacée ici à côté du texte

Le cinq novembre, Paul Léautaud écrit à Marie Dormoy :

Mallet m’a téléphoné cette après-midi. Rendez-vous avec lui, mercredi, 2 heures, pour la corvée des services de presse. Je lui ai fait part de mon désenchantement du volume, pour les bourdes qui s’y trouvent, toutes de sa part, inattention de correcteurs, ou manque de connaissances littéraires un peu étendues.

Le vingt novembre Robert Mallet effectue encore quelques corrections pour les impressions ultérieures. La première de ces réimpressions sera achevée le 27 novembre.

Notes

1       Pour mémoire il s’agit d’un enregistrement sur disque Pyral de douze minutes et 44 secondes diffusé le 21 décembre 1951. Un relevé du texte a été entrepris par leautaud.com et abandonné avant la septième minute face au néant total de cet échange.

2       Deux auteurs particulièrement sont spécialistes du sujet : Pierre-Marie Héron (dir.) Écrivains au micro : Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante, Presses universitaires de Rennes, 2010. Lisons aussi Philippe Lejeune, « La voix de son maître » dans Littérature, no 33, 1979. pp. 6-36 et surtout le très précieux tableau des pages 17-19.

3       Professeur de lettres en Tunisie en 1928, Jean Amrouche (1906-1962) enregistre parallèlement des émissions littéraires pour Radio-Tunis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Amrouche rencontre André Gide à Tunis, puis rejoint les milieux gaullistes à Alger où en 1943-1944, il travaille pour Radio France. Au début de 1944, sous l’impulsion d’André Gide, il crée, à Alger, la revue littéraire L’Arche, qui accueille toutes les plumes de la clandestinité. À la Libération la revue et son directeur s’installent à Paris. Jean Amrouche est considéré comme l’inventeur des entretiens radiophoniques ; il a enregistré ceux avec André Gide, Paul Claudel, François Mauriac, Jean Giono (avec sa sœur Marie-Louise Taos), Giuseppe Ungaretti, Pierre Emmanuel, Marcel Jouhandeau…

4       Organiste de l’église Saint-Louis des Invalides et critique musical très connu en son temps, Bernard Gavoty (1908-1981), est souvent intervenu dans les média.

5       Pierre-Marie Héron, Les écrivains à la radio : les entretiens de Jean Amrouche, Centre d’Étude du XXe siècle, université Paul-Valéry, 2000.

6       Le Journal de Robert Mallet est conservé à la bibliothèque municipale d’Abbeville. Le fonds Robert Mallet est réservé jusqu’en 2032.

7       La réponse est oui à ces deux questions.

8       Jacques-Antoine Bernard (1880-1952), est arrivé au Mercure en 1906 sans qu’on sache vraiment à quel titre, mais sensiblement à la même époque que Paul Léautaud, qui y a effectivement été embauché le 1er janvier 1908. Jacques Bernard est administrateur du Mercure depuis 1935, à la mort d’Alfred Vallette, sous la direction de Georges Duhamel, puis directeur au départ de celui-ci à la fin de février 1938. Avant cela Paul Léautaud et Bernard se sont plutôt bien entendus. Pendant l’occupation, Bernard s’est livré à la collaboration et a été jugé à la Libération pour « Intelligence avec l’ennemi » et condamné à cinq ans de prison (mais laissé en liberté), à la privation de ses biens et à l’Indignité nationale.

9       Cet acte est le licenciement de Paul Léautaud par Jacques Bernard

10     André Chamson (1900-1983), chartiste, a participé, lors de l’invasion allemande, à l’évacuation des collections du Louvre puis est entré dans la Résistance. À la Libération, André Chamson a été nommé conservateur du Petit Palais, puis directeur des Archives de France de 1959 à 1971. Il a été élu à l’Académie française en 1956.

11     La tranquille rue Dombasle est parallèle à la rue de la Convention. Il n’est pas sûr que le « pavillon avec jardin » y existe encore.

12     Paul Claudel / André Gide, Correspondance (1899-1926), préface et notes de Robert Mallet, Gallimard, 30 décembre 1949, 400 pages.

13     Peut-être De Toutes les Douleurs, plaquette de vers parue chez Robert Laffont en 1948, 147 pages.

14     Robert Mallet est de Bray-lès-Mareuil, à neuf kilomètres au sud d’Abbeville, où passe la Somme.

15     André Suarès (1868-1948), poète et écrivain, est surtout connu pour Le Voyage du Condottière, roman en trois tomes : I Vers Venise (1910), II Fiorenza, III Sienne la bien-aimée. André Suarès a été le premier des nombreux conseillers de Jacques Doucet pour la confection de sa bibliothèque, léguée à l’Université à sa mort en 1929, dont Marie Dormoy est la directrice.

16     Dans sa chronique « Poésie » du Mercure de France du premier janvier 1951 (page 120), Philippe Chabaneix annoncera la parution d’un choix de poèmes de Francis Jammes « précédé d’un vivant essai de Robert Mallet » dans la collection Poètes d’aujourd’hui dirigée par Pierre Séghers.

17     André Parinaud (1924-2006), agrégé de philosophie, a fondé en 1950, le bimensuel L’Auto-journal. Après quelques tentatives politiques on le retrouvera en 1952 rédacteur en chef de la prestigieuse revue Arts.

18     Paul Gilson (1904-1963), homme de lettres (poèmes, récits, essais, théâtre…) et homme de radio. Paul Gilson a débuté à la radio en 1937 par une émission littéraire. À la Libération il a été correspondant de la Radiodiffusion française à New York. En 1946, Wladimir Porché, le fils de François Porché (l’auteur des Butors et la Finette), directeur général de la radio a nommé Paul Gilson directeur des services artistiques.

19     Corrigé de Barrault. Henry Barraud (1900-1997), compositeur de musique a étudié avec Louis Aubert et Paul Dukas, qui ont l’un et l’autre leur nom inscrit au pourtour de l’Opéra Garnier. Chargé de mission à la direction des Beaux-Arts avant-guerre, Henry Barraud est nommé à la Libération directeur musical de la radio où il crée très rapidement une maîtrise encore active de nos jours. En 1948 il a été nommé directeur de la RTF puis de l’ORTF, jusqu’à sa retraite en 1965.

20     Dans le corps du texte de l’édition papier : « [illisible] ».

21     Idem.

22     À cette époque les entretiens étaient enregistrés dans les studios du onze rue Paul Lelong. En longeant une cour, l’endroit communiquait avec la salle Erard (du nom du facteur de pianos) qui avait son entrée au treize rue du Mail. Nous verrons plus loin que des enregistrements se feront aussi, dans un deuxième temps, rue de l’Université et rue François Ier.

23     Il s’agit évidemment de « 6 heures et demie à 7 heures et demie » du soir et donc d’un événement s’étant produit la veille.

24     Il s’agit vraisemblablement des Cahiers, qui paraîtront plus tardivement et de façon très fragmentaire, notamment en Pléiade en 1973.

25     « Un volume »… nous sommes loin du compte. Un fort volume Pléiade représente 2 000 pages. Les Œuvres complètes de Nathalie Sarraute offrent 2129 pages, les Œuvres romanesques de Jean-Paul Sartre 2175 pages, agrémentées d’un fort appareil critique et de nombreuses annexes. Les trois volumes (sans annexes ni appareil critique) du Journal littéraire représentent 6467 pages. Assorti des 447 pages du 4e volume, cela fait près de 7000 pages auxquelles il aurait bien fallu rajouter un petit millier de pages d’appareil critique selon le standard Pléiade. On peut aussi observer que les pages de l’édition Mercure en trois gros volumes sont sensiblement plus fines que les pages Pléiade, déjà bien minces (36 grammes au mètre carré). C’est bien quatre volumes de Pléiade qui auraient été nécessaires.

26     Ce Journal d’André Gide est l’édition de 1948 de 1372 pages, s’arrêtant en 1939, sans appareil critique et d’ailleurs sans nom d’éditeur. En 1996, Éric Marty (volume I, 1887-1925) et en 1997 Martine Sagaert (volume II, 1926-1950) donneront l’édition actuelle, très enrichie (3536 pages en tout).

27     Dans la réponse à la première lettre de ce Monsieur Bry datée du six mai 1947 nous pouvons lire : « Je suis en effet votre ancien camarade au 18e bataillon de chasseurs à pied, en garnison à Courbevoie »

28     Bertrand Vignon s’est rendu à la bibliothèque de Grenoble à la recherche du texte perdu. Il a pu constater que le tapuscrit de l’année 1951 ne comporte que cinquante feuillets et ne commence qu’au 22 février, date absente de l’actuelle édition du Journal.

29     Vraisemblablement le six novembre 1949. Il est permis de penser que le « geste de répugnance » d’André Gide est davantage en défaveur de l’auteur que de son roman.

30     Source : Jean-Louis Debauve, « Paul Léautaud à cœur ouvert (Lettres inédites) », Littératures 12, printemps 1985, pages 125-140. Cette lettre a été vendue en juin 2011 chez Piaza.

31     Charles Chassé (1883-1965), agrégé d’anglais, enseignant à l’École navale puis au lycée Pasteur de Neuilly, spécialiste de Mallarmé, écrivait surtout pour des journaux bretons. Charles Chassé n’a été cité qu’une seule fois, le 20 juillet 1935 dans le Journal littéraire mais lui et PL se sont fréquentés assez étroitement dans les années 1950.

32     Cette lettre non datée mais trouvée par Marie Dormoy dans le dossier 1930 et classée à la fin de 1930 dans la Correspondance générale. Le Robert en question est Robert Beynet, habitant au 9 rue Guérard.

33     Yves Florenne (1908-1992), romancier précoce, auteur dramatique et adaptateur, critique littéraire. Yves Florenne sera, dans les années 1960, un chroniqueur littéraire au journal Le Monde pas très tendre envers Paul Léautaud et chroniquera les parutions des volumes du Journal littéraire à partir du volume dix davantage en juge de tribunal qu’en témoin. Voir par exemple, « Quelques petits faits pas vrais » dans Le Monde du cinq août 1961.

34     Le plus ancien article d’Yves Florenne dans Le Monde « Le vêtement et l’homme » est daté du 19 décembre 1947.

35     Voir le Journal Littéraire au trois décembre 1925.

36     Selon le programme de la radio du Figaro (page cinq) de ce quatre février, la première heure du Mariage secret a été diffusée sur le programme national de 20 :30 à 21 :30 avant les vingt minutes d’entretien jusqu’à 21 :50 puis seconde partie du Mariage secret jusqu’à 22 :30.

37     PL s’est rendu au Trianon lyrique le 22 février 1923 pour écouter cet opéra que Stendhal avait beaucoup aimé (lire le JL à cette date). Cette représentation a fait ensuite l’objet d’une partie de la première chronique parue dans Les Nouvelles littéraires du 14 avril 1923 en même temps que Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche.

38     Franck Bauer (sans tréma) (1918-2018), s’est en engagé dès juillet 1940 dans les Forces française libres et a prononcé plus de cinq cents allocution à radio-Londres. À la Libération, Franck Bauer a travaillé avec plusieurs ministres et en 1951 il est secrétaire général de la Comédie-Française sous l’administration générale de P.-A. Touchard (1903-1987).

39     Fernand Ledoux (1897-1993) est entré au conservatoire en 1919 et a remporté le deuxième prix de Comédie en 1921. Il a été élu sociétaire en 1931. Fernand Ledoux a pris sa retraite en 1942 pour faire du cinéma. On le verra dans de nombreux films dont Goupi mains-rouges, Les Hommes en blanc, Les Misérables, Le Jour le plus long, en 1952. Mais depuis 1950 il est revenu à la Comédie-Française en tant que pensionnaire à statut spécial. De 1950 à 1954, il fait quelques importantes créations comme celles du Père des Six Personnages en quête d’auteur. On le trouve dans le Sganarelle de Dom Juan et, en 1951, dans ce Tartuffe qu’il met en scène et interprète. Jeanne Moreau est de la distribution dans un de ses premiers rôles.

40     Selon le programme de radio du Figaro, le programme national diffusait ce soir-là à partir de vingt heures Le Convive de pierre, (Convive de Marbre dans Le Figaro) opéra d’Alexandre Dargomyjski (1813-1869), d’après Pouchkine qui s’était lui-même inspiré, on s’en doute, de la légende de Dom Juan. Cet opéra était interprété par les chœurs et l’orchestre de la radio sous la direction de Roger Desormière et devait sans doute être un des événements importants de ce mois de mars. Ce programme était diffusé en direct et la fin était prévue à 21 :40, heure habituelle de la diffusion des entretiens de PL le jeudi. Ces entretiens devaient être suivis, à 22 heures d’une émission de Francis Carco sur Arthur Rimbaud. La discographie actuelle n’a conservé que quelques airs d’Alexandre Dargomyjski dans des disques de récitals de musique russe.

41     L’« autre série » est la suite d’entretiens d’André Parinaud avec Jean Cocteau qui va être diffusée du 26 mars au 14 mai 1951. C’est la première fois que Paul Léautaud fait allusion à une suite à ses entretiens, qui seront diffusés du neuf mai au onze juillet.

42     Il semble qu’il y avait à cette époque trois principales chaînes de radio nationale : la chaîne nationale (ou programme national, qui émet en grandes ondes, ondes moyennes et ondes courtes), le programme parisien (qui émet en ondes moyennes) et Paris Inter (dernière-née, qui émet en ondes moyennes et ondes courtes). À cela s’ajoutaient trois principales radios « étrangères », Luxembourg, RMC, et Andorre (Europe No 1 n’arrivant qu’en 1955).

43     Dans le corps du texte de l’édition papier : « [illisible] ».

44     Dans le corps du texte de l’édition papier : « [illisible] ».

45     Il n’est pas sûr que Paul Léautaud se soit soucié de cette histoire de bouton et l’on retrouve cette citation sous la plume de plusieurs auteurs, dont le regretté Pierre Bouteiller, à qui elle convient mieux. Cette formule sera reprise sans vérification dans la rubrique « Radio » du Mercure du 31 mai 1951 page 320 par André Dubois La Chartre.

46     François de Roux (1897-1954) a reçu le prix Renaudot en décembre 1935 pour son roman Jours sans gloire paru chez Gallimard.

47     Le Smic en 1950 était autour de 14 000 francs mensuels. Un million de francs représentait donc 71 mois de Smic.

48     Ce séquençage différent rend la comparaison bien plus ardue et parfois impossible.

49     Texte entre crochets dans l’édition papier.

50     Gwenn-Aël Bolloré (1925-2001), homme d’affaires.

51     La fameuse marque OCB (Odet-Cascadec-Bolloré) fondée en 1918. Gallimard a eu longtemps (mais pas exclusivement) Bolloré comme fournisseur de papier, jusque vers la fin des années 1990 et il arrive de rencontrer le nom de ce fournisseur dans quelques achevé d’imprimer, comme ici, pour le premier volume des romans de Stendhal.

52     Paul Léautaud avait déjà refusé cette visite le seize septembre.

53     Cet index ne sera pas établi, ni dans les éditions suivantes.