L’hôtel de la rue Lhomond

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Page publiée le premier août 2021. Temps de lecture : six minutes

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« J’ai habité tout jeune homme, rue Amyot, un petit hôtel d’un seul étage, au coin de la rue Lhomond. La rue Amyot et cette petite maison d’un seul étage (ma chambre avait deux fenêtres sur la rue) étaient charmantes. »


De quelques commentaires sur cette phrase extraite d’une lettre de Paul Léautaud à André Billy en date du 8 avril 1944

➤ C’est en effet « tout jeune homme », âgé de 21 ans, que Paul Léautaud vécut, pour quelques mois à partir du mois de mai 1893(1), dans ce quartier situé derrière le Panthéon avant de s’installer rue de Savoie, près du quai des Grands Augustins dans le VIe.

Dans cette fin du XIXe, c’était un quartier du vieux Paris particulièrement calme, « pieux et studieux2 » où les congrégations religieuses (Spiritains, Bénédictines, Filles de Saint-Michel, Eudistes …) le disputaient aux établissements d’enseignement (École Sainte-Geneviève, Collège Rollin, Collège des Irlandais …) et partageaient l’endroit avec quelques petits commerçants et riverains.

Ce n’est qu’à la suite des considérables travaux de la commission Merruau, chargée par le Baron Haussmann de travailler à la réforme du système de dénomination et de de numérotation des rues de Paris, que, par un décret du 27 février 1867, la rue des Postes, devint rue Lhomond, la rue du Puits-qui-parle, rue Amyot et la rue des Poules, rue Laromiguière — nous verrons plus tard l’intérêt de ces indications.

Le quartier se présente comme ci-dessous, le tracé des rues n’ayant pas changé depuis l’époque dans la fraction qui nous importe :

† ➤ (« …rue Amyot au coin de la rue Lhomond » oui, mais de quel coin s’agit-il ? Est-ce le coin sud-est ? Le plan parcellaire3 de la fin du XIXe nous indique la configuration de l’endroit, précisément à l’époque où Paul Léautaud résidait dans le quartier :

L’agrandissement du plan au niveau du croisement permet de préciser la disposition des lieux :

Plan parcellaire municipal de Paris (Fin XIXe siècle) – 19e quartier – 12e & 13e feuilles PP/11944/B

Le coin sud-est, au niveau du 25 rue Lhomond, est, à l’époque, occupé par un bâtiment appartement aux Bénédictines du Saint-Sacrement qui, entre 1808 et 1825, se sont rendues propriétaires de tout l’îlot Lhomond/Amyot/Tournefort/Pot de fer, voir (I) le document détaillant l’acquisition4 et, ci-après (II) l’extrait des propos d’Albert Laprade dans sa conférence du 30 avril 1960(5).

La photo d’Eugène Atget et le dessin de Gustave Boberg datant de 1926, appartenant aux collections du musée Carnavalet, montrent ce bâtiment. Sur ces documents, on repère aisément la position de l’Hôtel de Sainte-Aure (27 rue Lhomond) grâce à sa lucarne à foin (au dernier étage).

En 1926 et dans les années qui précèdent, il y a bien un bâtiment au 25 rue Lhomond, au coin de la rue Amyot, et ce n’est pas « un petit hôtel d’un seul étage ».

➤ De nos jours, cette maison n’existe plus, au 25 rue Lhomond se trouve un jardinet clos et interdit d’accès au public, mais entretenu par la mairie de Paris. Sur proposition du Conseil du Ve arrondissement du 30 mai 2013, le Conseil de Paris, siégeant en formation de Conseil municipal, a attribué la dénomination « Jardinet Oronce Fine6 » audit jardinet.

➤ Une double question peut quand même être posée, à laquelle l’auteur de ces lignes n’a pas de réponse formelle, seulement des éléments de réflexion : quand et pourquoi le bâtiment du 25 rue Lhomond a-t-il été démoli ?

➤ La question du « pourquoi » est vraisemblablement liée à l’alignement et à la largeur de la rue. À cet égard, il y a une date importante, celle de l’ordonnance du 23 janvier 1844 prise sous le règne de Louis-Philippe qui fixe la moindre largeur à 12 mètres et un retrait de 4,10 mètres à 5 mètres entre les nos 7 et 33 de la rue7.

Comment fut appliquée cette décision, dans le détail et dans le temps, reste sans réponse pour l’instant.

Actuellement, la largeur de la rue Lhomond (mur à mur) est comme suit :

Au niveau du 23 15,10 m.
Au niveau du 27 5,60 m.
Au niveau du 31 10,20 m.
Le n°27 correspond à l’hôtel de Sainte Aure (à gauche) et de l’autre côté de la rue (5,60 m.), c’est l’entrée de la chapelle du séminaire du Saint-Esprit (Spiritains) que l’on doit au célèbre et prestigieux architecte Chalgrin.

Il n’est pas interdit de penser que, à des époques différentes, le Supérieur général des Spiritains (dont le 30 rue Lhomond était la maison mère de cet ordre alors très important) et, plus tard, un autre architecte non moins célèbre, Albert Laprade, propriétaire de l’hôtel de Sainte Aure, aient usé de leur influence pour déroger à l’application de l’ordonnance royale, faveur dont n’a, d’évidence, pas bénéficié le bâtiment banal et sans originalité des Bénédictines du no 25.

Rendant vaine toute perspective d’alignement à ce niveau de la rue, on notera, dès le 29 mars 1928, le classement à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH)8 de la façade du séminaire du Saint-Esprit9, huit mois seulement après l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 1927 détaillant le dispositif ; la façade de l’hôtel de Sainte Aure10 sera, quant à elle, simplement inscrite le 2 février 1962.

➤ La question du « quand » s’insère, sans doute, dans une perspective de calendrier des travaux et de budget. La restructuration et le nivellement de la rue Lhomond, au niveau du no 45, avec la création des rues traversantes Courcelles-Séneuil (aujourd’hui Pierre Brossolette) et Jean Calvin, bien qu’effectuée en 1932, ont dû faire l’objet d’études et de débats divers pendant un certain temps, et, éventuellement, y a- t-il eu prise en compte en vue d’une planification globale des travaux à entreprendre dans l’ensemble de la rue alors que, dans le même temps, prenait place, du côté des numéros pairs de 18 à 24, la démolition de presque tous les locaux de l’École Sainte-Geneviève et la construction des laboratoires de physique de l’École normale supérieure11. Le tout en n’oubliant pas les questions liées à l’expropriation des résidents, tant au plan social (relogement) que du coût (indemnités). On peut raisonnablement estimer que c’est dans le courant des années 1930 que le bâtiment du 25 rue Lhomond a été démoli.

➤ « …rue Amyot … au coin de la rue Lhomond » comme il ne s’agit manifestement pas du coin sud-est, est-ce bien le coin nord-ouest qu’évoque Paul Léautaud ?

Les bâtiments dans cette partie de la rue, de l’extrémité du jardin du Collège des Irlandais au coin de la rue Amyot, n’ont pas d’originalité distinctive, ce ne sont ni des hôtels particuliers, ni des édifices à caractère religieux, en conséquence ils ne sont pas considérablement documentés dans la littérature des guides et autres livres sur l’histoire de Paris.

La lecture de « Carnets d’adresses12 » où l’auteur relate ses investigations à la BNF Tolbiac donne une intéressante piste de recherche : « La collection complète des Didot-Bottin est ici… C’est dans ces pages que sont répertoriées les adresses parisiennes, année après année, rue par rue, depuis 1838 », d’autant plus que beaucoup de numéros des Didot-Bottin sont numérisés et en accès libre sur Gallica, le site de la BNF (alors que la consultation des annuaires « Paris-Hachette », intéressante également, est payante sur abonnement).

Après quelques recherches dans les bottins, on trouve à partir de 1890, un certain Redon13 qui préside aux destinées de l’hôtel Lhomond à l’adresse 23 rue Lhomond – 12 rue Amyot, hôtel qui passera ensuite aux mains d’un certain Desnottes14 à partir de 1892. Un permis de construire pour agrandir l’hôtel fut déposé en juin 1895, mais à compter de 1900, l’établissement ne figure plus au bottin.

➤ « Immense labyrinthe15 » ou « tour de Babel16 », les expressions ne manquent pas pour qualifier le regroupement d’une grande partie de l’œuvre de Balzac dans « La comédie humaine ». Les commentaires, analyses, exégèses, études sont innombrables, nous nous référerons quant à nous au livre d’Anatole Cerfberr et Jules Christophe17 de 1887 où nous trouvons des références qui complètent notre recherche.

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Même si le doute ne semble pas permis, il convient de relever que, formellement, la rue des Postes (Lhomond) ne croise pas la rue des Poules (Laromiguière) ; soit il y a confusion, soit la façade de l’établissement occupait les 38 mètres qui séparent le coin de la rue Laromiguière du coin de la rue Lhomond.

Une seconde entrée figure au « Répertoire de la Comédie Humaine », toujours en référence au même livre « Les Petits Bourgeois ».

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➤ La configuration actuelle ne permet pas de totalement valider la description de Léautaud, mais on peut être raisonnablement affirmatif en écrivant que le coin nord-ouest de la rue Lhomond est assez certainement le bon endroit ou se situait alors ce « petit hôtel d’un seul étage ».

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Notes

1       https://leautaud.com/chronologie/.

2       Fernand Bournond – “Paris-Atlas” – Librairie Larousse – 1900 – Page 53.

3       http://archives.paris.fr/r/131/documents-iconographique.

4      http://www.lhomond.fr/benedictines/ewExternalFiles/Achat.pdf

5       « L’ancien couvent des dames de Sainte Aure et le couvent des Bénédictines du Saint Sacrement » Société historique et archéologique du Ve arrondissement « La montagne Sainte-Geneviève et ses abords » – Bulletin no 49 – Avril 1960.

6       http://www.lhomond.fr/du-1-au-31/ewExternalFiles/Square_3.JPG

7       « Dictionnaire des rues de Paris et de ses monuments » – Félix et Louis Lazare – Chez les auteurs – 1844 – Page 570.

8       Selon l’appellation du moment, en vigueur jusqu’en 2005.

9       https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee//PA00088455 Classés : « les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public »

10       https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee//PA00088436 Inscrits : « les immeubles qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation ».

11     http://www.lhomond.fr/du-1-au-31/ewExternalFiles/ENS.pdf

12     « Carnets d’adresses » – Didier Blonde – L’arbalète Gallimard – 2020 – Page 31 (« Depuis toujours Didier Blonde collectionne dans un carnet les adresses et numéros de téléphone des personnages de romans qu’il croise au fil de ses lectures » 4e de couverture).

13     « Annuaire-Almanach » (Liste alphabétique des rues de Paris) – Firmin et Didot Bottin réunis – 1890 – Page 2 447.

14     « Annuaire-Almanach » (Liste alphabétique des rues de Paris) – Firmin et Didot Bottin réunis – 1892 – Page 2 632.

15     Balzac lui-même.

16     Zola.

17     « Répertoire de la Comédie humaine de H. de Balzac » – Anatole Cerfberr et Jules Christophe – Calmann Lévy – 1887
Il existe plusieurs versions en ligne de cet ouvrage, la plus commode, permettant la recherche textuelle facilement est celle-ci : https://archive.org/details/rpertoiredelac00cerfuoft/