Les habitués de ce site connaissent à la perfection le dernier siècle du Mercure de France, ne serait-ce que grâce à la chronologie. C’est donc des trois siècles précédents dont il va être question ici.
Chapitres de cette page :
Le Septénaire de Pierre Victor Cayet
Les premiers Mercure
Janvier 1672 — Le Mercure galant
1717 — Le Nouveau Mercure
Juin 1721 — Le Mercure
1791 — Mercure français
1791 — La parenthèse du Mercure universel
Le Mercure du XIXe siècle
Le Mercure de France par Louis Sébastien Mercier
Le Tableau de Paris, chapitre CCC
Chapitre CCCLXXVII — Loueur de livres Loueur-de-livres
Notes
Le Septénaire de Pierre Victor Cayet
En 1596, Pierre Victor Palma Cayet (1525-1610) est professeur d’hébreu au collège de Navarre, sur la montagne Sainte-Geneviève. En 1600, donc âgé de 75 ans, il est nommé docteur en théologie et ordonné prêtre. Il est aussi professeur au Collège de France, à l’époque « Collège royal », mais déjà à l’emplacement actuel, l’angle de la rue des Écoles et de la rue Saint-Jacques.
De 1605 à 1612, les frères Jean et Étienne Richer, imprimeurs-libraires, impriment sa Chronologie septénaire de l’histoire de la paix entre les rois de France et d’Espagne, couvrant les 1598 à 1604, soit sept années, d’où Septénaire.

Première page de la préface du Septénaire de Pierre Victor Cayet, que l’on peut lire intégralement sur le site web de l’EHESS. On peut noter la cédille et la capitale à François.
C’est dans les premières lignes de la préface du premier volume que nous lisons :
Je te donne dans ce livre les choses les plus remarquables advenues depuis l’an 1604. Lesquelles mon messager (que j’appelle Mercure françois) m’a apporté des quatre parties du monde, en diverses langues & que j’y ai faites Françaises à ma mode, le plus succinctement que j’ai pu.
Le nom du Mercure de France apparait ici pour la première fois en même temps que le concept de ce que nous appelons de nos jours les « revues et journaux ».
Les premiers Mercure

Faux-titre de l’exemplaire de l’École des ponts et chaussées ».
1611
Parution du Mercure françois chez les imprimeurs et libraires Jean et Estienne Richer, près du Collège de France, la boutique de vente étant au Palais-royal. Il s’agit de la plus ancienne revue française parvenue jusqu’à nous. Son titre exact est : Le Mercure françois ou la Suitte de l’histoire de la paix commençant l’an 1605 pour suite du Septénaire du D. Cayer, et finissant au sacre du très grand Roy de France et de Navarre Louis XIII. Ce Mercure françois est donc la continuation de la publication des recherches de Pierre Victor Cayet sous une autre forme et destinée à un autre public. Le titre de la revue est clair à ce propos.
1624
La direction est reprise par François Joseph Le Clerc du Tremblay, moine de l’ordre des capucins, dit « Père Joseph » (1577-1638). Ce religieux au caractère affirmé est par ailleurs confident et collaborateur du cardinal de Richelieu. Il est rattaché au couvent de la rue Saint-Honoré (démoli au début du XIXe siècle).
1638
À la mort du « Père Joseph », reprise du titre et de la publication par Théophraste Renaudot (1586-1653), qui publie La Gazette depuis 1631.
L’année 1648 voit la dernière parution du Mercure françois, qui traite de l’année 1643.
Janvier 1672 — Le Mercure galant

Couverture du premier numéro du Mercure galant de janvier 1672
Jean Donneau de Visé publie le Mercure galant — qui passe pour être la première revue française (nous savons maintenant qu’il n’en est rien) — chez le libraire et imprimeur Claude Barbin. Jean Donneau de Visé (1638-juillet 1710) est un journaliste, auteur dramatique et homme de lettres un peu plagiaire mais c’était l’usage de l’époque, avant Beaumarchais (et même après). La parution est trimestrielle. La galanterie ici est prise à son sens premier défini par les dictionnaires comme un « art de plaire en société, par une allure élégante, une politesse raffinée, des procédés obligeants » (TLFi).
Pour les détails, passons en mode tableau :
Déc. 1673 | Dernier numéro de la première série du Mercure galant |
Janv. 1677 | Toujours sous la direction de Jean Donneau de Visé parait le Nouveau Mercure galant pendant une année |

Où trouver le Mercure ? Page dix du Mercure galant de janvier 1678
Janv. 1678 | Le Nouveau Mercure galant redevient Mercure galant |
Juil. 1710 | Mort de Jean Donneau de Visé |
Avril 1714 | Dernière parution du Mercure galant |
Oct. 1714 | Renaissance d’un nouveau Nouveau Mercure galant (on dirait l’histoire de La NRF) |
Oct. 1716 | Fin du Nouveau Mercure galant |
1717 — Le Nouveau Mercure

Janvier 1717
Un certain Buchet, ancien rédacteur du Mercure galant reprend le titre Le Nouveau Mercure qui n’est plus galant et pas encore de France. Le dernier numéro est daté de mai 1721, puis Buchet meurt. Le dernier Nouveau Mercure de Buchet porte, en page deux, la mention « L’adresse de l’auteur est À Monsieur Buchet, Cloître Saint-Germain l’Auxerrois. »

Juin 1721 — Le Mercure
En juin 1721, suite à la mort de ce brave Buchet, Le Nouveau Mercure est renommé Le Mercure. Le privilège indique que :
les sieurs Du Freny, de La Roque & Fuselier, Nous on fait remontrer qu’ils souhaitaient faire imprimer et donner au Public tous les mois un ouvrage qui a pour titre Le Mercure…
Le Le semble parfois oublié dans le titre de la revue, ce qui fait qu’on ne sait pas trop. Antoine de Laroque (1672-1744) est surtout connu comme auteur de livrets d’opéras. Il a pour adjoint l’auteur dramatique Louis Fuzelier (1674-1762), avec un z, contrairement au texte du privilège. Le numéro de juin annonce, dans un avis, page deux :
L’adresse générale pour toutes choses se fera à Monsieur Moreau, Commis au Mercure, chez Monsieur le Commissaire le Compte, vis-à-vis la Comédie française, à Paris.
On donne avis que le fonds des Mercure de feu M. Buchet se trouve actuellement chez Mrs Buchet ses frères, cloître Saint-Germain l’Auxerrois, où ils continueront de les vendre, en gros ou en détail…
L’avertissement des pages suivantes indique :
Nous annonçons que plus d’un auteur est à présent chargé de la composition du Mercure. Il n’est pas de ces livres qui ne doivent absolument être rédigés que par la même plume : il peut rassembler autant d’écrivains qu’il rassemble de matières.
Octobre 1744
Page 2357 le Mercure indique, avec des majuscules partout comme était l’usage de l’époque :
Antoine de la Roque, ancien gendarme de la Garde ordinaire du Roi, Chevalier de l’Ordre Militaire de S. Louis, de l’Académie Royale des Belles-Lettres de Marseille, mourut à Paris le trois Octobre, dans la 72 année de son âge. Il était Auteur du Mercure de France, dédié au Roi, depuis l’année 1721. Il en a donné en tout, jusques et y compris celui du mois d’Octobre 1744, sans aucune interruption, 321 Volumes avec la satisfaction de la Cour & du Public.
Novembre 1744
Suite à la mort d’Antoine de la Roque, Louis Fuzelier reprend le titre, assisté d’un de La Bruère.
On peut lire cet Avis :
L’adresse générale est à Monsieur de La Bruère, à l’Hôtel de Pontchartrain.
Cet Hôtel de Pontchartrain aujourd’hui disparu se trouvait à l’emplacement du 36 rue des Petits-Champs.
Octobre 1752
L’adresse du Mercure est à M. Merien, Commis au Mercure, rue des Fossés-Saint-Germain l’Auxerrois, au coin de celle de l’Arbre-sec, pour remettre à M. l’Abbé Raynal.
Louis Fuzelier se retire des affaires de presse pour se réserver au théâtre et Jean-François Marmontel, dont nous reparlerons, intrigue pour que la revue soit reprise par le poète et auteur dramatique Louis de Boissy (1694-1758). Il semble que l’activité de Louis de Boissy ait été plus symbolique qu’autre chose, surtout avec son élection à l’Académie française en août 1754 (les visites avant, les honneurs après).
Août 1758
Dans ce numéro d’août nous pouvons lire en troisième page l’avertissement suivant :
Le Bureau du Mercure est chez M. Lution, Avocat & Greffier-Commis au Greffe Civil du parlement, Commis au recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne, butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi
C’est à lui que l’on prie d’adresser, franc de port, les paquets & lettres, pour remettre, quant à la partie littéraire, à M. Marmontel, Auteur du Mercure.
Il s’agit de Jean-François Marmontel (1723-1799), autre futur académicien qui succède à celui qu’il avait fait nommer, c’est un bon principe. Il sera élu à l’Académie en novembre 1663 au fauteuil de Bougainville. Le plus connu des directeurs du Mercure de France a été un homme admirable. À l’automne 1958, le Mercure ayant publié une satyre, J.-F. Marmontel fut convoqué. Il refusa de nommer l’auteur et fut pour cela emprisonné à la Bastille pendant onze jours, ce qui lui retira le privilège du Mercure1. Cette mésaventure ne l’empêcha pas d’être élu à l’Académie française ni même d’en être le secrétaire perpétuel en 1783 en remplacement de Jean Le Rond d’Alembert.
Janvier 1761
Pierre-Antoine de La Place (1707-1793), homme de théâtre, semble bien avoir été le plus mauvais directeur du Mercure de France, sa gestion entrainant une forte chute des abonnements. Le bureau du Mercure est toujours à la même adresse de la rue Sainte-Anne, entre les mains de ce brave Lution.
1768
En août, le Mercure de France est repris par un de ses rédacteurs, l’avocat et libraire Jacques Lacombe (1724-1811), proche de Voltaire et libraire, quai de Conti, puis plus tard rue de Tournon « près le Luxembourg ».
L’Avertissement indique :
Le privilège du Mercure ayant été transporté par brevet au sieur Lacombe, libraire ; c’est à lui seul que l’on prie d’adresser, franc de port, les paquets et lettres, ainsi que les livres, les estampes, les pièces de vers ou de prose, les annonces, avis, observations, anecdotes, événement singuliers, remarques sur les sciences & arts libéraux et mécaniques, & généralement tout ce qui peut instruire ou amuser le lecteur.
« à lui seul ». Sans en savoir davantage, on n’aurait peut-être pas trop aimé travailler avec ce Jacques Lacombe.
Jacques Lacombe s’est rendu peu à peu propriétaire d’une douzaine de journaux et l’on peut le considérer comme le fondateur du premier groupe de presse français. Il fait malheureusement faillite et doit céder ces journaux dont le Mercure de France. À cette époque sont au Mercure de France deux importants rédacteurs, Jean-François de La Harpe (1739-1803) et Jacques Mallet du Pan (1749-1800), citoyen suisse. Jean-François de La Harpe a été élu à l’Académie française en 1776 où il a été reçu par J.-F. Marmontel. C’est important, les amis.
Jean-François de La Harpe sera repeint de couleurs vives par l’excellent Louis Sébastien Mercier dans un chapitre de son admirable Tableau de Paris reproduit infra.
1778
En juin, le Mercure paraît sous le sceau de Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798) qui l’a acheté à Jacques Lacombe. La nouvelle adresse est Hôtel de Thou, 17 rue des Poitevins (voir ci-dessous note 13 dans le texte de Louis Sébastien Mercier). Comme Jacques Lacombe, C.-J. Panckoucke accumule les journaux mais semble avoir davantage le sens des affaires et rend le Mercure de France prospère, même si Louis Sébastien Mercier met cruellement en évidence l’affaiblissement intellectuel de la revue. Le Mercure devient rapidement décadaire (à partir du cinq juillet 1778) avec une parution les 5, 15 et 25 de chaque mois puis hebdomadaire à partir du numéro du dix juillet 1779 dans une parution le samedi, avec un dernier numéro le dix décembre 1791.
1791 — Mercure français

Dans son numéro du 17 décembre, le Mercure de France est renommé Mercure français, hebdomadaire, en étant toujours la propriété de C.-J. Panckoucke dans l’hôtel de Thou. La couverture annonce :
Paragraphe ci-dessous encadré :
Mercure français, politique, historique et littéraire — Composé par M. de La Harpe, quant à la partie Littéraire ; par M. Marmontel, pour les Contes ; & par M. Framery, pour les Spectacles.
M. Mallet du Pan, Citoyen de Genève est seul chargé du Mercure « Politique & Historique. » Jacques Mallet du Pan (1749-1800), est favorable à la monarchie et devra quitter la France le dix août 1792.
1791 — La parenthèse du Mercure universel
En même temps que ce Mercure français paraît le Mercure universel, quotidien sur deux colonnes. Un peu avant, même, puisque le premier numéro date de mars 1791, chez Cussac, imprimeur-libraire au Palais Royal, numéros 7 et 8.
Sur le numéro du quatre décembre 1794 nous pouvons lire cet avis :
Le citoyen Cussac prévient ses abonnés que l’augmentation considérable des frais d’impression, et la difficulté de se procurer du papier à un prix modéré, le met dans l’impossibilité de continuer l’abonnement du Mercure au prix de 72 liv. par an.
Le nouveau prix sera donc, à compter de ce jour, de 73 liv. par an, 42 liv. pour six mois, et 21 liv. pour trois mois. On ne pourra s’abonner pour moins de trois mois.
Le numéro du seize décembre 1794 porte ce « second avis » :
J’avais cru qu’au moyen d’une légère augmentation dans le prix de l’abonnement, je pourrais fournir le Mercure universel à 21 liv. pour trois mois, 42 liv. pour six et 78 liv. par an ; mais je ne croyais pas que le prix des matières premières augmenteraient de moitié dans l’espace de deux décades ; je me vois donc forcé de porter provisoirement le prix de l’abonnement à 25 l. 10 s. 51 l. pour six mois et 96 l. pour l’année.

Une du dernier numéro du Mercure universel
Le dernier numéro est daté du vingt décembre 1794. C’est la fin du Mercure universel. Revenons au Mercure français.
1798
La révolution est passée, Panckoucke est resté, puis est mort fin décembre. Le Mercure français est redevenu décadaire (9, 19, 29) et l’adresse est toujours l’hôtel de Thou. Le rédacteur en chef de cette époque est l’avocat et journaliste Jean-Jacques Lenoir-Laroche (1749-1825). Le gendre et associé de C.-J. Panckoucke, le libraire Henri Agasse (1752-1813) hérite du titre et le revend immédiatement à son jeune collègue libraire François Cailleau (1773-1845), qui ne le conserve que peu de temps, le dernier numéro date du 18 février 1799.
1800
Nous entrerons dans le XIXe siècle à la fin de l’année 1800. Le Mercure de France du 29 janvier est la propriété de « Cailleau, éditeur-propriétaire pour une parution décadaire, les 10, 20 et 30. La parution sera ensuite hebdomadaire jusqu’au numéro du 31 janvier 1818.
Septembre 1807
Napoléon se radicalise, crée la noblesse d’empire, on devient duc pour un rien et le Mercure reçoit l’ordre d’incorporer la trop progressiste Décade philosophique de l’excellent Pierre-Louis Ginguené (1748-1816), Breton italianisant et ancien rédacteur du Mercure de France. Les choses vont cahin-caha tentant une trop ambitieuse parution hebdomadaire.
1815
Arrêt du Mercure de France (et de Napoléon). Le dernier numéro paraît le 22 avril. Son adresse est au cinq rue « de Grétry », qui est peut-être la rue Grétry, ouverte en 1784.
1816
Premier janvier, reparution du Mercure de France, cinq rue Vantadour, qui est aussi l’adresse de Dugray, l’imprimeur. Le dernier numéro paraît le 31 janvier 1818.
1819
En juillet, le Mercure de France reprend, on se demande comment. Il est couplé avec la Chronique de Paris et sa parution est mensuelle. Son adresse est sept rue Poupée. La rue Poupée, qui n’existe plus, se trouvait entre la rue de La Harpe et la rue Hautefeuille. Le premier février suivant paraît le dernier numéro.
Le Mercure du XIXe siècle
Le choix, ici plus sentimental que raisonné, par goût pour ce siècle, a été fait de s’arrêter un instant sur cette époque particulière parce que nous savons que les souris ont une roulette.

1823
En avril 1823, ce Mercure du XIXe siècle s’inspire de son devancier avec une nouvelle équipe. Cet hebdomadaire est édité par les jumeaux Charles et Alexandre Baudouin, nés en 1791, imprimeurs-libraires et éditeurs, 36 rue de Vaugirard, face au Sénat. Comme dans les fois précédentes, la revue est rédigée par une « société de gens de lettres » rassemblée autour d’Henri de Latouche (1785-1851) et de Pierre-François Tissot (1768-1854). C’est en tous cas lui qui signe la première Introduction. Le plus jeune de ce groupe, Paul Lacroix (1806-1884), n’a pas vingt ans mais sera connu plus tard comme un érudit sous le nom de Bibliophile Jacob. En 1924 les frères Beaudouin, qui ont commis l’imprudence d’imprimer des « Chansons » de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) doivent avec l’été laisser la place à Pierre Mongie l’aîné (1766-1858), au numéro dix du tout récemment nommé boulevard des Italiens. On le nomme « l’aîné » parce qu’il y a un jeune, Léonard, libraire également, au Palais-Royal, dont il ne sera pas question ici. On peut aussi acheter les numéros « Au bureau du Mercure », 2, rue Joquelet (l’actuelle rue Léon Cladel) « au coin de la rue Montmartre ».
1826
Au milieu de 1826 l’aîné des Mongie disparaît et le Mercure semble dans la capacité de s’éditer seul. Il a déménagé un peu plus au sud, « rue Saint-Marc-Feydeau, No 10 ». Le Parisien comprend qu’il s’agit du dix rue Saint-Marc, pas très loin de cet angle très aigu formé avec la rue Feydeau. C’est en fait la sortie sud du passage des Panoramas.
1830
Au début de 1930 le Mercure du XIXe siècle déménage plus au sud encore. On le trouve au Palais Royal, au numéro 20 de la galerie neuve d’Orléans, ses bureaux sont au 23 quai Malaquais, dernier numéro avant le quai Voltaire. Une nouvelle équipe est en place et en ouverture du premier numéro de l’année nous pouvons lire « Le Mercure a changé de rédacteurs ». En juin il est écrit :
Paragraphe ci-dessous encadré :
Depuis sept ans et demi que le Mercure de France a reparu avec tous les souvenirs qui s’attachent à un nom long-temps illustre, il s’est montré fidèle à son second titre, il a marché avec le XIXe siècle.
1831
En 1831 le Mercure du XIXe siècle est repris par André Barbier (1793-1850), imprimeur-éditeur au 17 rue des Marais, ancien ouvrier des jumeaux Baudouin. Trois ans plus tôt, Balzac a quitté les jumeaux pour André Barbier. La rue des Marais se nomme de nous jours rue Albert Thomas, elle commence place de la République. Le Mercure du XIXe siècle remonte vers le nord, ce qui n’est jamais bon signe dans le monde de l’édition.
1832
1832 voit la fin du Mercure du XIXe siècle, d’autant que la mention « XIXe siècle » disparaît du titre. Au début de l’année la revue n’a plus d’adresse. On le trouve « Chez le Directeur, 4 place de la Sorbonne ». Qu’est-ce que ce « directeur » ? Un libraire ?, une revue ? L’adresse du Palais-Royal a aussi disparue et il faut monter chez le libraire Charles Vimont, galerie Véro-Dodat qui prolonge le passage des Panoramas sur le nord. Les derniers numéros sont disponibles au 50 rue Mazarine. L’adresse est belle de nos jours mais à l’époque ? De toute façon c’est la fin. Mais la place est rarement libre longtemps, revenons à notre calendrier.
Sept. 1833 | Émile de Girardin (1802-1881), journaliste et député, fonde le Musée des familles, revue mensuelle proposant un savoir encyclopédique. Six mois plus tard, la société propriétaire du Musée des familles engage Samuel Berthoud (1804-1891) |
Févr.1835 | Sans que l’on sache trop pourquoi, Samuel Berthoud relance le Mercure de France dans une parution mensuelle |
Début 1837 | Pour des raisons d’économies, le Mercure de France est intégré physiquement dans les numéros du Musée des familles. Cette situation dure en s’étiolant encore jusqu’en 1882 |
1882 | Charles Delagrave (1842-1934) achète le Musée des familles. C’est la fin |
Janv. 1890 | Parution du premier numéro du Mercure de France d’Alfred Vallette |
Le Mercure de France
par Louis Sébastien Mercier
Louis Sébastien Mercier (sans trait d’union), est né en 1740, comme Chamfort, et mort en 1814. Il a connu Voltaire et a failli connaître Waterloo ; il est contemporain de l’admirable Choderlos de Laclos né l’année suivante. Ses aînés, ses connaissances sont Beaumarchais (1732) ou Restif (1734), milieu qui serait qualifié de nos jours d’intelligentsia de gauche.
Il est un petit bourgeois, fils de petit bourgeois. De nos jours on dirait « classe moyenne ». Il a fait de cette appartenance sociologique neutre un poste d’observation qui le conduisait en permanence à dire du mal des uns et des autres, des pauvres et des riches, surtout des riches. Dire du mal des uns et des autres, cela nous rappelle quelqu’un.
Après de petites études il s’est dirigé vers la littérature mais comme il avait mauvais caractère, cela prit du temps.
Et c’est vers 1775, à 35 ans, qu’il rédigea son premier « Tableau de Paris »
La parution des deux premiers tomes en 1781 vaudra à Louis Sébastien Mercier quelques menus ennuis, souvent preuve, à cette époque, d’une littérature de qualité. Quelques petits hommes ont craint de petits écrits et par sécurité il est allé quelques années respirer le si bon air de la Suisse.
Cet auteur admirable fait nos délices quotidiens.
Le Tableau de Paris, chapitre CCC2
Qui fait les énigmes, les logogryphes3 qui abondent au Mercure de France ? Les oisifs qui s’ennuient dans les châteaux solitaires de province. Qui fait cette foule de vers innocents ? Des contemplatifs amoureux, qui se croient obligés en conscience de célébrer les charmes de leur maîtresse et de faire enregistrer leurs soupirs au Mercure de France. Mais les mauvais vers, a dit Voltaire, font les beaux jours des amants4. Heureux les mauvais poètes ! Ainsi la rimaillerie et l’amour marcheront souvent de front, et le Mercure sera le constant dépositaire de toutes les tendresses provinciales, qui s’exprimeront en stances langoureuses, ou en galants madrigaux.
Ces vers sont envoyés par la poste ; les paquets sont affranchis5 : bonne précaution ! Voilà déjà la poste qui y gagne quelque chose ; et certes tous les vers qu’elle colporte ne valent pas l’argent qu’elle en reçoit ; le régisseur et tous les commis seront de mon avis. Tout rimeur estime qu’en versifiant il se fera un nom dans ce livret bleu6. L’un cherche à louer sa petite ville, et l’autre sa personne ; chacun s’empresse à donner ses titres, à les annoncer à l’univers. L’un nous apprend qu’il est avocat ou procureur fiscal7 ; l’autre, qu’il est gendarme ou officier.
Le commis, d’une main indifférente, ouvre les paquets qui à chaque courrier tombent sur son bureau et s’y amoncèlent. À la naissance d’un prince, la grêle redouble, les cartons débordent. Chansons, madrigaux, épîtres, stances, etc. pleuvent, et le commis lassé ne se donne plus la peine de briser les cachets. C’est l’homme le plus fatigué de vers qui existe, et qui doit le plus les détester. Il entasse et ensevelit toutes ces pièces dans d’énormes cartons, où elles dorment, en attendant qu’on en pêche une au besoin. Malheur à celle qui est trop longue ou trop courte pour la page qu’on veut remplir ! Fût-elle excellente, on la rejette pour choisir celle qui s’ajuste précisément à l’espace vide.
Le poète de province s’imagine qu’on admire sa production, qu’on s’empresse à l’imprimer ; et elle est encore au fond de la boîte du commis. Il attend avec impatience le Mercure, il l’ouvre d’une main précipitée et tremblante, il cherche ; et ne la voyant pas, il croit plutôt à l’infidélité de la poste qu’au dédain de ses juges.
Il faut lire cent pièces pour en trouver une passable ; c’est-à-dire, qui ne contienne pas des fautes grossières. On n’imagine pas à quel degré de ridicule et de platitude certains rimeurs de je ne sais quel pays ont fait descendre la versification. Paix et repos aux bonnes âmes qui composent ce déluge de vers et de prose fastidieuse ! Mais rien ne prouve mieux combien l’ennui ou l’amour règnent en France, puisqu’on y versifie si prodigieusement pour des beautés plus belles sans doute que les écrits qu’on fait en leur honneur.
Quand le provincial voit par hasard ses vers imprimés et signés de son nom, alors il tressaille de joie ; et dans un transport extatique, il se dit : en ce moment, Paris, le roi, la Cour lisent mon madrigal ; et mon nom, devenu célèbre à jamais passe sous leurs regards. Qui sait si le roi ou le ministre ne rêve pas sur un de mes vers, et si, frappé de surprise et d’étonnement, il ne me destine pas quelqu’emploi ! Il assemble sa famille, lui montre la page immortalisante qui le distinguera du vulgaire ; le volume circule dans toutes les mains, depuis le président d’élection jusqu’au notaire ; tous admirent en silence l’ouvrage et le nom burinés, et sont intérieurement jaloux.
Anciennement le Mercure distribuait des fadeurs ; il devint tout-à-coup incivil et dur entre les mains d’un pédant. Ensuite la sécheresse et la sottise le défigurèrent, et l’art du souligneur fut pris pour l’art du critique. On est étonné de voir des écrivains imberbes ou sans nom, jugeant les arts avec une emphase ridicule ou monotone et, don Quichottes du bon goût, s’escrimer pour sa cause sans le connaître. Quelques futiles remarques, quelques chicanes minutieuses, voilà tout ce qu’on y trouve. Oh, combien de petits auteurs à Paris sont habiles à disserter sur des riens !
Comme c’est une entreprise mercantile, et que plusieurs sont intéressés à ce qu’elle soit lucrative à cause des pensions8 (car, qui le croirait ? d’honnêtes gens vivent de ces mauvais vers et de cette sotte prose), on en a remis le brevet au sieur Panckoucke9, non imprimeur, mais libraire. Il soudoie des gagistes à tant la feuille, et cette misérable rapsodie va toujours son train. Par une incroyable et vieille habitude, la province souscrit et souscrira pour le Mercure.
On sait d’avance, d’après le nom des auteurs, les productions qui doivent être portées aux nues, et celles qui seront pulvérisées sans miséricorde. Quelques académiciens, par un manège adroit et clandestin, se font déifier dans le Mercure ; on a vu des auteurs ne point rougir de faire leurs propres extraits, et se donner des louanges sans pudeur ; d’autres se font louer par la main de leurs amis.
Guillaume-Thomas Raynal10, depuis si justement célèbre par l’Histoire philosophique et politique des deux Indes11, était auteur du Mercure en 1751. Il y a loin de la platitude de cet insipide journal aux idées de cette admirable histoire.
M. Panckoucke (car ici il est auteur et n’est plus libraire) a fait dans le Mercure un discours sur le beau12. Savez-vous ce que c’est que le beau ? Écoutez M Panckoucke. Il établit d’abord que le beau est immuable et le même pour toutes les nations. Cela vous étonne un peu, lecteur : vous verrez où il en veut venir. Il proscrit de sa pleine autorité le beau relatif, le beau arbitraire, comme n’existant pas. M. Panckoucke a ses raisons particulières : attendez. Après avoir décidé que le beau est fixe et immuable, il se demande qui en seront les juges. Il répond : ceux qui vivent dans une nation éclairée, ceux qui dans cette nation sont nés avec un goût sûr, qui se rapprochent le plus du centre du goût. Or quel est ce centre où l’auteur voulait nous conduire ? La société qui a le droit de prononcer sur le beau dans tous les genres. Et quelle est cette société ? Celle qui renferme les gens qui travaillent pour le premier journal de l’univers, avoué des gens de goût et des pensionnaires ; les gagistes, les collaborateurs faits pour parler du beau fixe, et qui en ont le thermomètre. D’où il résulte évidemment que ce qui est beau immuablement, c’est ce qui s’imprime quatre fois par mois dans le Mercure-Pankouke : Quod erat demonstrandum.
Voilà ce qu’on imprime à Paris, et ce qu’on distribue à l’hôtel de Thou13. Ô Sulzer14 ! Et ton nom est ignoré de cette tourbe mercantile et profane qui écrit intrépidement sur les arts, et dont la plume sèche et faible les rabaisse au plus étroit horizon. Qu’il est mesquin ce livret bleu dédié au roi, et qu’on nous annonçait comme devant être l’ouvrage des hommes de lettres les plus distingués ! Rien de plus aride que l’esprit en corps de ces mercuriens.
Au reste, on n’a voulu parler dans ce chapitre que de la partie littéraire ; la partie politique étant sous la main absolue du ministère, les faits, les idées et les expressions sont déterminés d’avance. C’est néanmoins cette partie politique qui soutient encore la malheureuse partie littéraire.
Puisque nous sommes avec Louis Sébastien Mercier, lisons le chapitre 377, « Loueurs de livres », qui fait toujours nos délices :
Chapitre CCCLXXVII — Loueur de livres
Usés, sales, déchirés, ces livres en cet état attestent qu’ils sont les meilleurs de tous ; et le critique hautain qui s’épuise en réflexions superflues, devrait aller chez le loueur de livres, et là voir les brochures que l’on demande, que l’on emporte, et auxquelles on revient de préférence. Il s’instruirait beaucoup mieux dans cette étroite boutique que dans les poétiques inutiles dont il étaie ses frêles conceptions.
Les ouvrages qui peignent les mœurs, qui sont simples, naïfs ou touchants, qui n’ont ni apprêt, ni morgue, ni jargon académique, voilà ceux que l’on vient chercher de tous les quartiers de la ville, et de tous les étages des maisons15. Mais dites à ce loueur de livres : donnez-moi en lecture les œuvres de M. de La Harpe ; il se fera répéter deux fois la demande, puis vous enverra chez un marchand de musique, confondant (sous le vestibule même de l’académie) l’auteur et l’instrument.
Grands auteurs ! Allez examiner furtivement si vos ouvrages ont été bien salis par les mains avides de la multitude ; si vous ne vous trouvez pas sur les ais16 de la boutique du loueur de livres ; ou si vous y trouvant, vous êtes encore bien propres, bien reliés, bien intacts, faits pour figurer dans une bibliothèque vierge ; dites-vous à vous-même : J’ai trop de génie, ou je n’en ai pas assez.
Il y a des ouvrages qui excitent une telle fermentation, que le bouquiniste est obligé de couper le volume en trois parts, afin de pouvoir fournir à l’empressement des nombreux lecteurs ; alors vous payez non par jour, mais par heure. À qui appartiennent de tels succès ? Ce n’est guère aux gens tenant le fauteuil académique.
Ces loueurs de livres n’en connaissent que les dos, et ils ressemblent en cela à plusieurs bibliothécaires et à quelques princes qui ont une bibliothèque ordinairement assez utile aux autres.
Une mère dit à sa fille, je ne veux point que vous lisiez. Le désir de la lecture augmente en elle : son imagination dévore toutes les brochures qu’on lui dérobe ; elle sort furtivement, entre chez un libraire, lui demande la Nouvelle Héloïse, dont elle a entendu prononcer le nom ; le garçon sourit ; elle paie et va s’enfermer dans sa chambre.
Quel est le résultat de cette jouissance clandestine ? Je dois mon cœur à mon amant ; quand je serai mariée, je serai toute à mon époux.
Notes
1 D’autres sources donnent une date plus tardive, l’année suivante, le Mercure n’étant plus en cause mais J.-F. Marontel seul, pour avoir prononcé la satyre dans le salon de Marie-Thérèse Rodet Geoffrin, chez qui il logeait.
2 Cette page été établie depuis l’édition dite d’Amsterdam de 1782-1788, légèrement corrigée et rétablie en français moderne. Une édition plus récente est parue au Mercure en avril 1994 sous la direction de Jean-Claude Bonnet, directeur de recherche émérite au CNRS. Cette très belle édition, encore disponible en librairie, comprend de précieuses notes, établies par de nombreux annotateurs (huit notes pour ce seul chapitre CCC sur le Mercure de France).

Bas de la page 777 du volume I de l’édition d’avril 1994 en trois volumes
3 Logogriphe : « Jeu d’esprit où un lecteur doit reconnaître un mot pour lequel on donne une définition énigmatique à partir d’un autre mot dont on utilise les lettres en partie ou en totalité. » (TLFi).
4 Citation apocryphe. Voir la note de l’édition de Jean-Claude Bonnet op.cit. Les lecteurs de leautaud.com comprennent que ces notes ne peuvent être reproduites ici.
5 À cette époque, le port était payé par le destinataire. L’affranchissement par l’expéditeur permettait de s’assurer que le pli serait accepté. Ce n’a pas toujours été le cas, comme on peut le voir en page deux, dans l’Avis du Mercure de juin 1721 : « On prie ceux qui adresseront des lettres ou paquets d’en affranchir le port, comme cela s’est toujours pratiqué, sans quoi on ne les recevra point. »
6 Qui était, on le comprend, la couleur de la couverture du Mercure de France de l’époque.
7 Contrôleur des contributions, si l’on veut.
8 Le Mercure de France avait un grand succès et faisait un grand bénéfice, suffisamment pour que l’État s’y intéresse et verse sur ce bénéfice, une pension à plusieurs gens de lettres ainsi muselés.
9 Charles Panckoucke (1736-1798), écrivain et libraire-éditeur installé à Paris en 1762, surtout connu pour avoir été l’éditeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Charles Panckoucke a été une figure marquante de l’édition de son temps et Louis Sébastien Mercier le cite souvent. Il a dirigé le Mercure de France à partir de l’été 1778.
10 Guillaume-Thomas Raynal (1713-1796) a fait ses études chez les Jésuites avant de devenir prêtre en 1733 puis professeur dans divers collèges de province. En 1746 il est nommé à l’église Saint-Sulpice, très importante église parisienne. Défroqué suite à un commerce avec des protestants, se tourna vers les lettres et devint directeur du Mercure de France vers l’été 1750, bien avant Charles Panckoucke.
11 L’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes de Guillaume-Thomas Raynal a été imprimée à Amsterdam en 1770. Il y a eu au moins trois éditions de cette attaque contre le colonialisme. La dernière lui vaudra trois années de proscription en 1781.
12 Discours philosophique sur le Beau, par Panckoucke, libraire de l’Académie royale des sciences, et breveté du Mercure, Mercure de France du 18 décembre 1779.

Charles Panckoucke, Discours sur le Beau
13 L’ancien hôtel de Christophe de Thou (1508-1582), magistrat, premier président du Parlement de Paris. Cet hôtel se trouvait au 17 rue des Poitevins, à l’angle du trois rue Danton. L’immeuble le remplaçant et toujours en place de nos jours semble avoir été construit au début du XIXe siècle.
14 Johann Georg Sulzer (1720-1779), philosophe Suisse germanophone auteur d’une Théorie générale des Beaux-Arts, publiée en allemand à Leipzig en 1771 (deux volumes).
15 Avant l’apparition des ascenseurs les familles aisées habitaient au premier ou deuxième étage. Ensuite plus on était pauvre plus on montait, pour finir sous les toits.
16 Un ais est une planche de bois, ici un assemblage de plusieurs planches. À cette époque, les clients n’entraient pas dans les boutiques mais restaient à l’extérieur. Le matin à l’ouverture, les commerçants rabattaient à l’horizontale le volet de leur fenêtre ouverte et y déposaient la marchandise que le client pouvait « trier sur le volet ».
Ajout tardif : Dans son excellent article des Cahiers Louis Dumur numéro 9 (2022) « Le Mercure de France, un périodique dans le temps long »,Vincent Gogibu signale un court texte de Remy de Gourmont « Curiosités », paru dans le Mercure de janvier 1891 (page 62), donnant d’autres pistes, sans doute moins fréquentées que les nôtres.

Concernant une période plus récente :