La vente des lettres Valéry/Louÿs
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La vente des lettres de Paul Valéry envoyées à Paul Léautaud a été largement traitée dans les pages Paul Valéry III — 1926-1928 et Paul Valéry IV — 1928-1936. C’est de la vente par la veuve de Pierre Louÿs des lettres que se sont échangées Pierre Louÿs et Paul Valéry, dont il va être question dans cette courte page qui n’est que le complément des précédentes.
Pierre Louÿs (décembre 1870-juin 1925), est mort avant d’avoir 55 ans. C’est en 1882, à l’École alsacienne de la rue Notre-Dame-des-Champs qu’il a rencontré André Gide, son ainé d’un an.
Sept ans plus tard, en 1889, il a rencontré Paul Valéry. On lira avec intérêt ci-dessous en annexe I le récit de cette rencontre par Paul Valéry.
En mars 1891, âgé d’à peine plus de vingt ans, Pierre Louÿs fonde la revue La Conque, qui n’a paru que sur onze numéros, tirés à une centaine d’exemplaires, sur beau papier. L’échec n’est pas très cuisant, si certains ont fait mieux, beaucoup ont fait moins bien.

Dans cette Conque, on trouve, en onze numéros, les signatures de Léon Blum, Léon Dierx, Judith Gautier, André Gide, José-Maria de Heredia, Lecomte de Lisle, Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, Camille Mauclair, Jean Moréas, Henri de Régnier, Paul Valéry, Paul Verlaine. Il y a pires signatures.
À cette époque, entre 1893 et 1899, Pierre Louÿs a publié une vingtaine d’articles dans le Mercure, dont son roman Aphrodite, étalé sur six numéros, d’abord paru sous le titre L’Esclavage, avant qu’il soit réuni en volume sous le titre Aphrodite — Mœurs antiques.

C’est donc le Mercure de France qui publie le 28 mars 1896 Aphrodite, premier roman de Pierre Louÿs, à une époque où La NRF n’existe pas encore.

Dans l’excellent ouvrage Le Mercure de France, 101 ans d’éditions publié par la BNF en 1995, Christian Soulignac indique (dans son article « Le Mercure de France conquérant (1894-1918) ») :
Il convient toutefois de mentionner le roman Aphrodite de Pierre Louÿs, initialement publié sans grand espoir de ventes, qui s’avéra un énorme succès de librairie en 1896 : avant la fin de l’année le Mercure avait épuisé plus de 68 éditions. La réussite inespérée de ce livre permit en grande partie aux éditions1 de se développer comme elles le firent.
L’une des raisons de ce succès fut un article enthousiaste de François Coppée, une colonne et demie parue en premier Paris du quotidien Le Journal du seize avril 1896 ayant simplement pour titre « Pierre Louÿs ».

La suite n’a été que succès encore. La Femme et le pantin paru au Mercure en 1898 (248 pages) sera adapté plusieurs fois au cinéma sous ce titre ou sous d’autres, la dernière fois par Luis Buñuel dans Cet obscur objet de désir.
Trois filles de leur mère, écrit avec un talent davantage raffiné encore est d’un érotisme tel qu’il ne pouvait à cette époque paraître en librairie courante sans être immédiatement interdit et saisi. Les lois du temps auraient peut-être même valu la prison. La publication de ce roman écrit en 1910 a donc été clandestine et tardive (et même posthume), chez l’éditeur spécialisé René Bonnel en 1926. Sous une couverture où seul le titre apparaît, la justification du tirage indique « Tiré à très petit nombre et non mis dans le commerce ». Le nom de l’auteur est P. L. et la publication est « au dépens d’un amateur et pour ses amis ». L’ouvrage n’a pas été composé, il s’agit de la reproduction du manuscrit l’écriture très lisible de Pierre Louÿs2.

Il a fallu attendre 1970 pour que puisse paraître une édition courante, chez Jean-Jacques Pauvert, dans sa collection L’Air du temps. À l’entrée de l’œuvre de Pierre Louÿs dans le domaine public en janvier 1996(3), de très nombreuses rééditions de l’ouvrage ont vu le jour, et les écrits de Pierre Louÿs en général.
La vente des lettres
La première trace de la vente, par sa veuve, des lettres envoyées et reçues par Pierre Louÿs se trouve dans le « Courrier littéraire » du très sérieux Temps4 daté du quinze juin 1937, sous la plume d’Émile Henriot5. Pierre Louÿs est mort en juin 1925, douze années se sont donc écoulées. Cette vente concerne uniquement la correspondance de ces deux hommes, vingt-quatre lettres de Paul Valéry et vingt-cinq de Pierre Louÿs. L’article d’Émile Henriot est reproduit ici en annexe II.
Cet article d’Émile Henriot du 15 juin a eu une suite immédiate sous forme de réponse de Paul Valéry le 18. Cette lettre, qui renferme d’intéressantes précisions, est reproduite infra en annexe III.
Paul Léautaud a rendu compte de la vente des lettres de Paul Valéry adressées à Pierre Louÿs, à deux dates de son Journal littéraire :
Vendredi 25 Juin [1937]
On annonce la mise en vente de la correspondance Valéry-Louÿs, trente-cinq ans de lettres6, dans le nombre, probablement, les lettres de Valéry dans un vocabulaire d’apache, dont le libraire Robert Télin7 m’a lu quelques-unes, les ayant achetées, je crois bien, de la veuve de Pierre Louÿs, qui a tout bazardé à sa mort. S’il y en a beaucoup de ce ton, je conçois que Valéry ne rie pas de les voir passer en vente, donc laissées en lecture, préalablement, à tout amateur. Robert Télin avait acheté en même temps à la veuve de Pierre Louÿs des aquarelles libertines originales de Constantin Guys8. Il m’a fait cadeau d’une, ce même jour qu’il m’a lu les dites lettres.
Samedi 3 Juillet [1937]
J’ai lu aujourd’hui, chez Marie Dormoy, dans un numéro du Temps de quelques jours9, une lettre de Valéry à propos de la correspondance entre lui et Pierre Louÿs qui va être mise en vente prochainement, vente à laquelle rien ne lui permet de s’opposer dans l’état actuel de la législation. Il raconte qu’un jour, Louÿs, prétendant vouloir prendre copie des lettres qu’il avait écrites à Valéry, en vue d’en prendre des extraits pour un livre qu’il voulait écrire sur leur jeunesse et montrer ce qu’avaient été deux jeunes écrivains à leurs débuts, lui avait demandé de vouloir bien les lui prêter. Après bien des hésitations, (Valéry devait savoir à quoi s’en tenir sur le compte de Louÿs), Valéry avait consenti, remis les lettres à Louÿs, en lui tenant, dit-il, ce propos divinateur : « Sais-tu où je les retrouverai, ces lettres, un jour ? Sur une table de l’Hôtel des Ventes. » Valéry s’élève avec raison contre ce cas singulier : les lettres qu’on va vendre lui appartiennent et il ne peut rien pour l’empêcher. Comme je l’ai noté, dans l’ensemble de cette correspondance doivent se trouver les lettres en vocabulaire d’apache, écrites par Valéry à Louÿs, dont le libraire Télin m’a lu quelques-unes, au lendemain qu’il venait de les acheter à la veuve de Louÿs. Il est bien probable qu’il y a la contrepartie dans les lettres de Louÿs à Valéry.
… On comprend l’indignation de Valéry à voir cela exposé à tous les yeux. Le mieux, c’est que la fin de sa lettre est employée à célébrer le caractère de Louÿs, ses grandes qualités à l’égard de ses amis, son empressement à toujours les servir quand l’occasion s’offrait. Peut-être n’y a-t-il eu dans ce cas de Louÿs redemandant ses lettres à Valéry, avec promesse de les lui rendre, et ne les lui rendant pas, que négligence, paresse, ce qui n’étonnerait pas chez Louÿs, et peut-être était-ce à cette négligence et à cette paresse que s’appliquait le propos de Valéry : un jour, sur une table de l’Hôtel des Ventes. Il est délicat d’apprécier des choses de ce genre sans être vraiment renseigné.
Valéry s’élève une fois de plus dans sa lettre dans le commerce fait de papiers de tous genres venant de lui. Une fois de plus, je me suis senti touché et pas fier de moi.
ANNEXE I
Ma rencontre avec Pierre Louÿs,
Par Paul Valéry
Ce texte est extrait d’un très long entretien paru dans la série de Frédéric Lefèvre « Une heure avec… ». Cet entretien a été suffisamment long pour paraître dans trois numéros consécutifs des Nouvelles littéraires, les 4, 11 et 18 octobre 1924. C’est dans le numéro du 18 octobre que se trouve la courte partie où Paul Valéry évoque sa rencontre avec Pierre Louÿs. Ce numéro est un peu particulier dans la mesure où les trois premières pages sont en hommage à Anatole France, mort le douze octobre.

— Ce fut dans ma vie une rencontre décisive et je ne sais pas compter le nombre de circonstances indépendantes qui furent nécessaires pour cette rencontre. Que de fois, dans les conversations infinies avec l’admirable auteur d’Aphrodite et de Bilitis nous sommes-nous émerveillés de ce triomphe de l’improbable !
Je me trouvais à Montpellier, étudiant en droit. En novembre 1889 (j’avais 18 ans) je contractai un engagement conditionnel. C’est au cours de cette année de service militaire, au mois de mai de l’an 90 qu’intervint l’événement du XIXe10 siècle, qui fut d’une si grande conséquence pour ma destinée.
L’Université allait avoir six cents ans. Les personnes physiques ne se consolent point de vieillir, mais il n’en va pas de même quant aux personnes morales. Celle-ci fit publier dans l’Univers qu’on la félicitât d’être si âgée. Toutes ses sœurs lui envoyèrent leurs délégations chargées d’adresses. On eût dit d’un carnaval des connaissances humaines : les ignorances regardaient.
Il me souvient de l’illustre Helmholtz11, sous les vêtements magnifiques de professeur de Berlin. Son vaste chapeau de velours à créneaux couvrait une tête puissante. Le visage était dur, le poil roux. Le subtil analyste des tourbillons ne paraissait pas dans ce reître.
L’autorité militaire fit aux jeunes étudiants qui étaient sous les drapeaux la galanterie de leur donner congé afin de prendre part aux fêtes…
Je me souviens du dernier jour. Tout s’achevait par un banquet à Palavas.
Sur le bord de la mer, avant l’heure de ce festin suprême, je me vois au milieu d’un groupe d’étudiants de Lausanne. C’étaient de charmants compagnons. Une autre compagnie de jeunes Suisses survint, qui nous entraîna vers la terrasse d’un café. Quelqu’un qui n’était ni blond ni Suisse s’assit auprès de moi. Le destin avait pris les traits de ce voisin délicieux. Nous échangeâmes quelques mots. Il venait de Paris. Les noms de Hugo, de Baudelaire, de Verlaine, de Wagner, ayant passé dans la conversation, nous nous sommes levés et nous prenant par le bras, marchant comme dans un monde lyrique, nous composâmes à grands pas une intimité instantanée. Pendant cinq minutes nous nous sommes communiqué nos idées essentielles du moment, avec un feu et une sympathie qui ne laissaient pas d’étonner nos camarades suisses. Ce jeune homme me donna sa carte : « Pierre Louis » (l’Y et son tréma n’y figuraient pas encore), puis nous nous perdîmes dans la foule.
Après le banquet, je regagnai mon régiment. J’avais complètement oublié mon ami de la veille. Quelques jours après, j’étais de garde à la porte du quartier, quand le vaguemestre me remit un pli dont l’adresse était à ce point magnifique et insolite qu’elle émerveillait le sous-officier… Cette lettre de quinze à vingt pages, fort denses, contenait tout ce qui en 1890 était l’évangile littéraire d’un jeune homme bien né.
Je répondis. Une correspondance s’engagea entre nous. Pierre m’excitait à faire des vers. Il me communiquait les siens.
ANNEXE II
Texte d’Émile Henriot dans le « Courrier littéraire »
du Temps daté du 15 juin 1937
Louÿs et Valéry à vingt ans12

On lit dans le Journal intime de Pierre Louÿs, à la date du 22 juillet 1890 : « Je suis content. J’ai reçu ce matin la cinquième ou sixième lettre de Valéry, avec un magnifique sonnet : le Jeune prêtre13. Quel talent il a, celui-là : c’est un vrai. S’il continue, il arrivera plus loin qu’aucun de ceux d’aujourd’hui. » À cette date de 1890, le futur auteur d’Aphrodite n’avait que dix-neuf ans quand il portait ce juste pronostic sur le futur auteur du Cimetière marin14, qui n’en avait lui-même que dix-huit. Ils venaient de se rencontrer, à Toulouse, en un congrès d’étudiants et leur amitié était née aussitôt, d’un de ses regards de jeunesse où chacun donne tout de soi, bientôt soutenue, développée, entretenue par une correspondante affectueuse, qui sera classique quelque jour. En attendant, les originaux de ces lettres d’adolescence de deux admirables poètes vont prochainement passer en vente, à l’hôtel Drouot, par les soins de MM. Auguste et Georges Blaizot15. Mais, avant de le disperser, ils ont bien voulu me communiquer ce précieux document demeuré jusqu’à ce jour inédit. J’aurais éprouvé quelque scrupule, je l’avoue, à prendre de la sorte connaissance de lettres privées dont l’un des scripteurs vit encore : en fait, il n’y a point là d’indiscrétion, cette correspondance étant d’ordre strictement littéraire. Il semble, même que Louÿs, très fervent amateur de la chose écrite, en ait préparé lui-même le dossier avec un soin particulier, en prévision de la publication future. En 1919, il s’était fait donner par M. Paul Valéry les originaux de ses propres lettres, pour les intercaler avec celles qu’il avait reçues de son ami : vingt-cinq lettres de Louÿs, vingt-quatre de Valéry, classées à leur date et se répondant, au cours de ces cinq ou six premiers mois d’une amitié que rien ne devait interrompre.
* * *
De ce pur et charmant dialogue d’adolescents si richement doués, le caractère de l’un et l’autre interlocuteur se dégage, malgré leur extrême jeunesse, avec une extraordinaire précision. Aîné d’un an, Parisien, mêlé déjà à quelques groupes littéraires, tout fringant d’ardeurs, de convictions et de talents précoces, Pierre Louÿs bénéficiait d’une notable avance sur son nouvel ami, le Montpelliérain Paul Valéry, pour lors empêtré dans les obligations et les fatigues de son service militaire. La première lettre est de Louÿs, qui a déjà sa belle main et le goût des papiers somptueux. Il est avant tout un artiste, et il veut n’être que cela, préoccupé d’abord de beaucoup de théorie si péremptoirement affirmées, avec l’outrecuidance du jeune âge, et peut-être aussi le besoin de se rassurer sur son avenir quand on se sent, de nature, un peu court d’idées. Ces affirmations de Louÿs, assez naïves, agacent un peu, dans ses lettres comme dans son Journal intime, mais elles sont aussi rachetées par la plus gracieuse gentillesse, et une générosité naturelle qui était celle d’un poète. De plus, il avait un amour passionné des lettres et de l’art littéraire, et il était à dix-neuf ans d’une érudition déjà merveilleuse, doué du flair et du tact les plus exquis en fait de technique et de goût C’est par là sans doute qu’il avait séduit Valéry, autrement musclé et membré, et d’un fonds intellectuel beaucoup plus riche. Mais, tous les deux auteurs déjà de très beaux vers, et s’étant reconnus frères en poésie, dans leur veillée d’armes, le charmant est de les voir, ces chevaliers, s’effacer si modestement l’un devant l’autre. La vie littéraire est généralement assez laide pour que l’on ait plaisir à s’attarder au spectacle d’une amitié comme celle-là, si haute et si désintéressée. On espère que cette correspondance sera quelque jour publiée. Elle pourra servir d’exemple.
* * *
Louÿs à dix-neuf ans, s’y affirme avec une autorité désinvolte ce qu’il devait être toujours : un artiste, plus épris du beau que du vrai, et de la forme que des idées. « Le but de la vie, assure-t-il, doit être là recherche du beau ; le beau se manifeste à nous par la forme ; toutes mes théories sont issues de ces deux-là. » Un ami, dans un âge si tendre, c’est d’abord quelqu’un à qui parler de soi. Louÿs ne fait pas exception à cette règle. Il expose chaleureusement ses théories, convenant que c’est son caractère principal d’en avoir et de s’en faire sur tout. Et il dit ses préférences en art, en littérature, en musique. Il a, pour dieu Victor Hugo, auquel il restera fidèle toute sa vie, malgré « la popularité ignominieuse et dégradante que ses amis lui ont faite auprès de gens qui ne peuvent le comprendre et qui n’étaient pas dignes de l’aimer. » Il le tient, bien plus que Baudelaire pour le précurseur essentiel de littérature symboliste. Autre dieu, Ronsard, qu’il se dit le premier à aimer. « Sainte-Beuve lui ayant fait la honte de disculper comme un criminel ». Puis La Fontaine, Corneille, Baudelaire, Verlaine, Vigny16, pour sa philosophie, et le Sully Prudhomme des Épreuves (choix juste et courageux en 1890) ; Rossetti, Shelley, Goethe, Heine, Dante. En prose : Flaubert, Renan et Bossuet… et Mendès : éclectisme un peu inquiétant. Les peintres de Louÿs sont Tintoret, Botticelli, Prudhon, Besnard, et Rops ; et il nommera pareillement Massenet à côté de Wagner, de Beethoven et de Schumann. Par la suite, il mettra au nombre de ses maîtres Mallarmé, Heredia et Régnier ; et il soutiendra contre Valéry, avec un judicieux esprit critique, Chénier et Leconte de Lisle. Tout cela se tient, et les justifications de ses choix attestent chez le jeune Louÿs une connaissance approfondie des œuvres par lui alléguées, en même temps qu’un sens avisé de la beauté plastique, comme un goût des plus personnels à cette date de 1890, ou les obscurités du symbolisme triomphaient. C’est ainsi qu’il repousse avec violence l’épithète de décadent, que Valéry a avancée et reprendra ensuite avec une certaine malice. Louÿs tient à ce que « c’est une renaissance qui se prépare et non une chute. », et il n’avait pas tort pour sa part, ayant été le premier, peut-être, avec sa Bilitis17 et son Aphrodite, à rétablir les ponts coupés entre le public et la jeune littérature par les abscons de la génération précédente…
* * *
Toutefois, Louÿs était encore bien de son temps, avec ses préoccupations de littérature en tour d’ivoire et ses projets d’éditions de ses poésies à douze exemplaires. Ce mépris du succès public n’est pas antipathique, loin de là, chez un jeune auteur promis aux forts tirages. Cette époque de la deuxième vague symboliste — qui fut celle de Jammes et de Maeterlinck et des poètes de la Conque et du Centaure18, Louÿs, Gide et Valéry — était plus désintéressée que la nôtre et mérite considération. On voudrait pouvoir reproduire la longue lettre de Louÿs à Valéry, où il lui fait le compte rendu d’une retraite passée à la Grande-Chartreuse19, à la fois charmante et comique. Il y était allé, dit-il plaisamment, « dans un but, que j’ignore jusqu’à ce qu’il m’y soit révélé ». La révélation fut d’ordre purement littéraire. Il y avait apporté avec lut une bibliothèque assez mêlée, où Pascal voisine avec la partition de Parsifal, À rebours20 avec Ignace de Loyola, Hugo avec Faust et un lexique d’art. Dans sa cellule monacale, le futur poète d’Astarté21 pratique les Exercices spirituels de Loyola à fin d’exaltation spirituelle, pour conclure que Barrès22 n’y a rien compris et mériterait pour cela d’être jeté par la fenêtre. Tout ce récit est fort piquant, par un mélange d’esthétisme fin de siècle et de conviction littératurante, et je pense que le fantassin de deuxième classe Valéry en fut amusé, dans sa guérite où il montait la garde, sans grande joie, mais heureux de la diversion.
* * *
On imagine volontiers l’excitation que devait éprouver, en sa province, le jeune Paul-Ambroise Valéry, à recevoir ces lettres amicales, si vivantes de foi et d’enthousiasme poétiques, et déjà si belles à voir dans leur graphie onciale23 et décorative. La première réponse de Valéry est, presque d’un disciple : « Ainsi, vous êtes aussi, vous, un réfugié dans son rêve, un reclus dans son cerveau, un amoureux du pays divin — n’importe où, hors du monde !… N’est-ce pas qu’il n’y a rien en dehors de la pensée, en dehors des constructions magiques de l’esprit, et qu’il ne faut pas désirer autre chose que le spasme intellectuel, l’éblouissement devant le sommet de lumière où apparaissent les harmonies parfaites et suprêmes des lignes, des couleurs ; des sons et des parfums ?… Adorons la forme, l’équilibre divin et inexplicable, et fuyons toute autre certitude comme indigne de nous, comme un boulet attaché aux pieds blancs de Psyché !… » Mais aussi, dès cette première lettre, c’est notre Valéry qui parie, s’étant déjà trouvé, avant de le savoir. encore : « Je rêve d’une poésie courte — un sonnet — écrit par un songeur raffiné qui serait en même temps un judicieux architecte, un sagace algébriste, un calculateur infaillible de l’effet à produire… L’art, je le conçois mystérieux comme une divinité d’Égypte, et peu populaire, mais atteignant les rares justes… »
Les lettres suivantes de ce Valéry de dix-huit ans, importeront au futur exégète de la pensée valéryenne. Elles témoignent d’une lucidité merveilleuse et d’une rare indépendance d’esprit. Dans ce dialogue de deux jeunes âmes, elles font entendre la voix mâle, l’accent le plus ferme, le plus résistant et le plus critique, le moins aisément satisfait. Tout à sa doctrine du beau formel et de l’art pour l’art, Louÿs avait dit quelques bêtises : « Dédaignez de chercher le vrai, refusez de croire au bien, quand le vrai et le bien n’auront pas pour excuse et pour raison d’être le beau sous une forme quelconque… » Autrement raisonnable et sage, Valéry conteste ces principes, qui sonneront un peu le creux dans l’œuvre, future et charmante du dernier des alexandrins. « Dans le mot de forme, ne vous renfermez pas, écrit Valéry. N’oubliez pas qu’un morne ennui plane dans ces œuvres de disciples et d’imitateurs où le souci unique d’ajuster des verbes règne… [Les disciples] sont finalement destinés à l’épuisement ou à la paralysie intellectuelle, car ils ont méprisé la loi invisible que tout artiste doit respecter, c’est-à-dire l’observation de la vie et des choses… » Et encore : « Je crois plus que jamais que je suis plusieurs » Et ceci, qui est d’importance : « N’est-ce pas que la littérature est un art insuffisant, à de certaines heures ?… » Voilà, je crois, qui doit expliquer, par avance, après sa brève et première apparition littéraire, environ 1895, la longue retraite silencieuse de Valéry, et ses recherches spirituelles d’une vérité d’un autre ordre, jusqu’à sa retentissante rentrée de 1917 avec la Jeune Parque24. Il y a dans les lettres de Valéry à Louÿs une pathétique recherche de soi, un tourment, une plainte remarquables, dont les inquiétudes, de l’artiste et du poète se cherchant ne sont pas la raison unique. Il ne sied pas, quand l’auteur de ces confidences est, fort heureusement pour lui et pour ses admirateurs, vivant, d’étaler ce qui lui appartient, dans un journal : qu’on sache seulement que ces pages sur ces analyses intimes de conscience et d’intelligence sont aussi pénétrantes qu’émouvantes. Pierre Louÿs dut en être ému et c’est son honneur d’avoir proclamé dès lors la maîtrise de son ami, et reconnu sa maturité en avance sur la sienne propre. « Soyez valéryste et rien autre… Dès aujourd’hui, entendez-le bien, vous êtes sûr de votre avenir… ». C’est le sacre de l’amitié.
Il y a encore quelque chose de très beau dans ces lettres : la confiance de ces deux amis, la noblesse et la pureté de leurs échanges spirituels. Chacune de ces missives contient des copies de vers inédits, mutuellement confiés, admirés, critiqués, analysés par des techniciens de premier ordre. La plupart de ceux de Louÿs, ont été recueillis par lui dans Astarté. Le plus grand nombre de ceux de Valéry sont demeures inédits, mais d’en avoir pu prendre connaissance, je ne me reconnais pas le droit d’en rien citer, l’auteur lui-même étant à mes yeux seul juge de leur divulgation. Les vers, cependant, sont fort beaux, d’une technique accomplie, et justifieraient l’impression. Je noterai seulement que certains thèmes de son œuvre à venir hantaient déjà l’esprit de Valéry à dix-huit ans : c’est ainsi qu’il écrivit d’abord sous formé de sonnet sa belle allégorie du Narcisse, dont ce passage a partiellement reparu, légèrement modifié, dans le poème définitif :
Que Je déplore ton éclat fatal et pur,
Source magique, à mes larmes prédestinée,
Où mes yeux ont puisé dans un mortel azur
Mon image de fleurs funèbres couronnée…
Car je m’aime, ô reflet ironique de moi…
* * *
La place mesurée ne nous permet pas de relever, dans tout son détail savoureux, la partie anecdotique de cette correspondance, à tant d’égards si intéressante pour l’histoire littéraire du mouvement post-symbolique. Notons en passant qu’il y est naturellement question plus d’une fois de Mallarmé, que Valéry avait reconnu pour son maître, dès la première heure, et dont il parle avec l’intelligence la plus vive. Encore ne le possédait-il pas tout entier, n’ayant pu se procurer, dans sa province, Hérodiade25, que Louÿs avec sa ferveur et sa gentillesse habituelles, lui envoya, copié de sa main. Louÿs devait d’ailleurs s’employer généreusement à faire connaître à Mallarmé, à Heredia, à Régnier, les vers encore manuscrits de son ami ; c’est par lui que Valéry devait entrer en relation avec l’auteur de l’Après-midi d’un faune, dont une première lettre fut une révélation pour le jeune poète exilé, qui brûlait de connaître Paris — « ce cruel Paris est nécessaire, pour savoir… ».
Au moment de fermer ce précieux dossier, je ne puis m’empêcher de formuler un vœu d’intérêt général : Faute d’un acquéreur unique, si ces lettres doivent être vendues séparément, avant la dispersion si regrettable d’un ensemble qui deviendrait par la suite impossible à reconstituer, ne serait-il pas convenable d’assurer la conservation de son texte par une simple copie intégrale et faite avec soin par le vendeur ?, La propriété matérielle des lettres-missives est un droit. La pensée a aussi les siens26.
Émile Henriot
ANNEXE III
Lettre de Paul Valéry aux directeurs du Temps27
Messieurs les directeurs,
J’ai trouvé hier dans le Temps28 un article d’Émile Henriot qui traite le plus délicatement et le plus amicalement du monde de mes relations avec Pierre Louÿs et de la correspondance qui s’est échangée entre nous pendant près de trente-cinq ans. L’occasion de cet article est la vente qui va se faire d’une quantité de mes lettres et de quelques-unes de Louÿs. Je suis presque accoutumé à la pénible sensation de voir de mon vivant exposer chez les marchands, mettre aux enchères, être achetés par n’importe qui des écrits qui ne furent que pour un seul. Il est remarquable que peu de gens soient choqués par ce qu’il y a d’assez répugnant dans ce commerce qui consiste à battre monnaie avec les pensées et les sentiments des individus. La bassesse de l’esprit de nos lois civiles est telle que le Code ne fait aucune distinction entre une missive privée et une feuille de papier, en ce qui concerne le droit de propriété29. On réserve, sans doute, le droit de publication ; mais c’est là une réserve dérisoire, puisque la citation, la reproduction, l’exposition sont toutes licites. Le Code ne voit ici, comme en d’autres matières, qu’une question d’argent. Je regrette de devoir ajouter que la jurisprudence ne semble pas avoir cherché à limiter cet abus de la notion toute brute de propriété. Il y a quelques mois, un éminent jurisconsulte, interrogé sur cette question, a froidement déclaré que si l’on redoutait la divulgation de ses lettres « on n’avait qu’à bien choisir ses correspondants ». Je songerai désormais à bien choisir les héritiers des miens.

Mais ce n’est pas seulement pour protester une fois de plus contre le trafic de choses que leur nature intime devrait faire mettre extra commercium que je me suis permis de m’adresser aux directeurs, et donc aux lecteurs du Temps. Je tiens à rectifier sur un point qui m’importe l’article d’Émile Henriot. Il y est dit que Pierre Louis « s’était fait donner par M. Paul Valéry (en 1919) les originaux de ses propres lettres, pour les intercaler avec celles qu’il avait reçues de son ami »… Henriot ne pouvait pas savoir que ces lettres (qui figurent parmi les miennes au dossier de la prochaine vente) n’ont été par moi que prêtées à mon ami dans les circonstances suivantes : Pierre, avec une juste amertume, pensait que le véritable visage de son esprit et la substance profonde de sa vie d’artiste étaient méconnus du public : il prenait devant moi sa jeunesse à témoin ; il invoquait toutes ces magnifiques lettres qu’il m’avait écrites en 1890 et qui avaient édifié notre amitié. Le souci de laisser après soi une idée de lui-même qui fût incontestable et conforme à la noblesse de son idéal le possédant et le préoccupant de plus en plus, il conçut le dessein de faire connaître par un livre ses premières années de poète. Ce livre aurait eu pour titre : À dix-neuf ans.
C’est alors qu’il me demanda instamment de lui prêter toutes ses lettres de 1890, pour en faire prendre copie. Je les lui ai portées avec le plus grand ennui et le pressentiment de ce qui devait arriver. Après deux ans d’attente, comme je lui redemandais cette correspondance une fois de plus, et qu’il tournait en plaisanterie ma prière fort sérieuse, je lui dis enfin que je ne reverrais plus ces feuillets qui m’étaient si chers, que sur la tablé de l’Hôtel des Ventes. C’est sur elle, dans quelques jours, que seront dispersées, sous le regard propice et protecteur des lois, des lettres qui m’appartiennent.
Toutefois, si je m’abstrais de mes sentiments qui sont des plus choqués par cette exploitation légale de l’intimité naissante de deux esprits, je dois reconnaître que la figure de mon ami s’en trouve bellement et noblement éclairée. Ce que je pensais ne devoir se connaître qu’après ma mort, se produit moi vivant ; et cet abus dont je me plains, du moins révèle-t-il un peu plus tôt ce que Louÿs put être pour quelques-uns, qu’il estimait et qu’il aimait. Henriot l’a fort bien dit. Dieu sait ce que le zèle, l’enthousiasme, la générosité dans l’admiration ont inspiré à Pierre Louÿs de faire pour Debussy30, pour moi-même et pour divers autres ! Ce n’est pas le lieu de développer, ceci, mais qui ne voit que c’est là une œuvre, qu’un certain regard sur les choses de l’esprit doit placer entre les œuvres qui s’impriment ?

Je ne puis, en achevant cette lettre, que rendre hommage à la courtoisie et à la délicatesse de monsieur le commissaire-priseur et de monsieur le libraire chargés de la vente : ils ont bien voulu m’en donner avis et me mettre en main le dossier. Je les en remercie et les assure que je n’en ai qu’au législateur. Veuillez agréer messieurs les directeurs, l’assurance de mes sentiments les plus distingues.
Paul Valéry
1 L’auteur utilise dans sa phrase le mot éditions dans deux sens différents. La première fois dans un sens correspondant à une quantité d’exemplaires sorti des presses. Au-delà d’un certain nombre (3 000… 5 000), qui peuvent être imprimés dans la même journée, on décide qu’il s’agit de la deuxième, puis troisième édition… Le second emploi de ce même mot correspond à la société du Mercure de France.
2 Le poète parnassien José-Maria de Heredia a eu trois filles, Hélène, Marie et Louise, chacune mariée deux fois. Après avoir été l’amant de Marie, Pierre Louÿs a épousé Louise en juin 1899. Marie a épousé Henri de Régnier en 1895.

À ces trois filles de J.-M. de Heredia beaucoup y ont ajouté « de leur mère » et en ont fait la source du roman. Pierre Louÿs le premier, homme d’imagination, avait senti venir la confusion possible (et peut-être voulue). Aussi a-t-il, dès les premières pages, dans un « avis à la lectrice », indiqué : « Ce petit livre n’est pas un roman. C’est une histoire vraie jusqu’aux moindres détails. Je n’ai rien changé, ni le portrait de la mère et des trois jeunes filles, ni leurs âges, ni les circonstances. » Ce « ni leurs âges » ne vient pas ici par distraction. Les trois filles de J.-M. de Heredia avaient toutes trois ans d’écart (nées en 1871, 1875 et 1878), ce qui n’est pas le cas du roman où cet écart est de cinq années environ. Certains ouvrages ont paru sous le titre Trois filles et leur mère » (et) sans que nous ayons pris le soin de vérifier la correspondance entre ces deux textes.
3 Cette date a varié, les délais ayant été modifiés par différentes lois, françaises puis européennes, au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
4 Le Temps est un quotidien dont le premier numéro est paru en avril 1861 sous la direction de l’Alsacien protestant Auguste Nefftzer (1820-1876), puis de la famille du sénateur Adrien Hébrard, avant d’être repris par un consortium d’industriels. Jamais un groupement hétéroclite n’a pu donner de ligne idéologique à quoi que ce soit et les journalistes de métier ont pris la main. Le sérieux — pour ne pas dire l’austérité — du journal en a fait l’outil de communication officieux de la politique française à l’étranger. Lors de l’invasion allemande de juin 1940 nombreux ont été les journaux à se réfugier en zone sud et beaucoup ont cessé leur publication en novembre 1942. À la Libération ont été définis ceux qui étaient autorisés à reparaître ou non. L’ordonnance du 30 septembre 1944 précise ; « Est et demeure interdite la publication […] de tous journaux et périodiques […] qui ont continué de paraître plus de quinze jours après le onze novembre 1942 dans les territoires constituant [pendant l’occupation ennemie] la zone sud. » Le Figaro s’est sabordé le onze novembre, Le Temps le 28. Les locaux et l’imprimerie du Temps, au sous-sol, ont été réquisitionnés pour faire naître Le Monde qui, nécessité technique oblige, a conservé de nos jours encore le format du Temps et même, au début, sa typographie.
5 Émile Henriot (1889-1961), poète, romancier et journaliste, a été élu à l’Académie française en avril 1945. Émile Henriot sera critique littéraire au Monde à la Libération. Il sera parfois appelé « Le Petit Henriot » pour le distinguer de son père, Henri Maigrot (1857-1933) qui écrivait aussi sous le pseudonyme d’Henriot. On ne le confondra évidemment pas avec l’homme politique d’extrême droite Philippe Henriot.
6 Nous verrons plus loin qu’il ne s’agit que de lettres de leur prime jeunesse. Gallimard a édité en juin 2004 Correspondances à trois voix (1888-1920) entre André Gide, Pierre Louÿs et Paul Valéry (1 696 pages).
7 Les notes données dans les pages précédentes sur Paul Valéry n’ont pas été reprises ici.
8 Dessinateur et peintre (1802-1892), Constantin Guys s’est attaché à la représentation de la société de son temps. Groupes de personnages, scènes de bal, nombreux cabriolets et chevaux. Journal littéraire de Paul Léautaud au quinze avril 1901 : « Il y a en ce moment un beau Constantin Guys chez un bouquiniste du quai Malaquais. / C’est une sorte de cabriolet attelé. / Le cheval est admirable. »
9 La lettre de Paul Valéry parue dans Le Temps du 18 juin reproduite ici en annexe III
10 Corrigé de « XVIIIe ».
11 Hermann von Helmholtz (1821-1894), médecin militaire à Postdam en 1843, membre de la toute récente société allemande de Physique puis titulaire de la chaire d’anatomie de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin puis, très rapidement, professeur dans différentes académies prestigieuses. Hermann von Helmholtz n’est plus connu du grand public de nos jours mais l’est resté dans le petit monde des acousticiens pour sa mise au point du résonateur de Helmholtz que l’on trouve encore de nos jours dans les enceintes acoustiques.
12 Texte paru dans le « Courrier littéraire » du Temps daté du 15 juin 1937.
13 « Sous les calmes cyprès du jardin clérical / Va le jeune homme noir aux yeux lents et magiques. / Lassé de l’exégèse et des mots liturgiques, / Il savoure le bleu repos Dominical. » Trois mois plus tard, Paul Valéry enverra à Stéphane Mallarmé ce même Jeune prêtre qu’il fera paraître dans La Conque dans le numéro d’août 1891.
14 « Ce toit tranquille, où marchent des colombes, / Entre les pins palpite, entre les tombes ; / Midi le juste y compose de feux / La mer, la mer, toujours recommencée ! / Ô récompense après une pensée / Qu’un long regard sur le calme des dieux ! » Émile Paul 1920, douze pages.

15 Auguste Blaizot (1874-1941), libraire et éditeur, 26, rue Pelletier en 1902, puis 21, boulevard Haussmann en 1913 et enfin 164, rue du faubourg Saint-Honoré en 1928 où elle existait toujours en 2020. Le fils, Georges, a travaillé avec son père avant de lui succéder. Auguste Blaizot semble être l’expert ayant procédé à la vente à Drouot de la bibliothèque de Louis Barthou au printemps 1935.
16 Nombre d’auteurs cités ici ont déjà fait l’objet d’une note dans la page Poètes d’aujourd’hui, par Henri de Régnier, qui donne la retranscription d’une conférence d’Henri de Régnier prononcée en février 1900. On peut s’amuser à lire ces quelques lignes d’Émile Henriot de 1936 comme un écho au texte d’Henri de Régnier.
17 La première des Chansons de Bilitis a été écrite en mars 1894. L’ouvrage a été publié par la Librairie de l’art indépendant, onze, rue de la Chaussée d’Antin (sur la rive droite !) en 1895 et présenté comme « traduites du grec pour la première fois par P. L. ». Dans son introduction, Pierre Louÿs avance que « Bilitis naquit au commencement du sixième siècle avant notre ère, dans un village de montagnes situé sur les bords du Mélas, vers l’orient de la Pamphylie. Ce pays est grave et triste, assombri par des forêts profondes, dominé par la masse énorme du Taurus. […] / Elle était fille d’un Grec et d’une Phénicienne. » Certains ont parlé, parfois avec une sévérité hors de propos, de mystification C’est juste le début de ce « roman lyrique », qui commence dès la couverture. La seule édition critique est celle de Jean-Paul Goujon pour Gallimard, parue à la rentrée 1990.
18 Le Centaure, « recueil trimestriel de littérature et d’art » avait cette particularité d’être une revue à rédaction « fermée ». Les fondateurs étaient Jean de Tinan (directeur gérant) Henri Albert (directeur de publication) André Lebey, et Pierre Louÿs. Les autres rédacteurs étaient Henri de Régnier, André-Ferdinand Hérold, Paul Valéry et André Gide. Elle n’a paru que sur deux volumes (et non numéros) datés de 1896 (134 et 160 pages). Le texte La Soirée avec Monsieur Teste, signé des deux seules initiales P.V. est paru dans le deuxième volume, pages 33-44.
19 Cette retraite d’août 1890 avait été précédée d’un voyage à Bayreuth. L’un des « exercices spirituels » qu’il avait choisi était une méditation sur le Prologue de Parsifal de Wolfram von Eschenbach (1170-1220) ayant servi de livret à Wagner (l’opéra Parisfal ne propose pas de prologue mais un prélude). Voir Paul-Jean Goujon (déjà cité note 17), « Pierre Louÿs et Wagner, avec six lettres inédites » dans la revue Littératures, numéro 18, datée du printemps 1988.
20 Joris-Karl Huysmans, À rebours, Charpentier 1884, 294 pages.

Le recueil de poésies Astarté est d’abord paru en 1891 à compte d’auteur puis l’année suivante à la Librairie de l’art indépendant, en cent exemplaires. L’illustration ci-dessus est un autographe indépendant de l’édition. Le poème donnant le titre au recueil est dédié à André Gide mais on peut penser qu’il aurait davantage convenu à Paul Valéry : « Elle siège, croisant d’une immobile étreinte / Un bras nu sur les seins verts spirales d’or fin / Et cambre au bord du thrône où rêve le dauphin / Sa peau de lune froide et d’air nocturne peinte. »
22 Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique, figure de proue du nationalisme français. Maître à penser de sa génération et de ce courant d’idées, sa première œuvre est un triptyque qui paraîtra sous le titre général du Culte du Moi chez Alphonse Lemerre (Sous l’œil des Barbares, 1888, Un homme libre, 1889, et Le Jardin de Bérénice, 1891), tous trois lus et admirés, un temps, par Paul Léautaud.
23 Écriture manuscrite composée en capitales arrondies, plus rapidement tracées que les capitales classiques. L’once en question représente originellement la hauteur d’un pouce et peut-être sa forme. Le titre « La Conque », reproduit ci-dessus représente bien cette forme de caractères.

24 Paul Valéry, La Jeune Parque, Gallimard 1927, 42 pages. Voir la Chronique des poèmes de Paul Léautaud (signée Intérim), Mercure du premier août 1917.
25 Stéphane Mallarmé, Hérodiade, Bibliothèque artistique et littéraire, 1896.
26 La vente a eu lieu à l’hôtel Drouot le 26 juin, en deux lots. Les lettres de Paul Valéry à Pierre Louÿs se sont vendues 33 000 francs et celles de Pierre Louÿs à Paul Valéry 9 800 francs. On voit bien que la cote de Paul Valéry, élu à l’Académie française en novembre 1925 (Pierre Louÿs étant mort en mai de la même année) est encore vive. On peut aussi noter qu’au cours de cette même séance a été vendue une lettre de Guy de Maupassant pour 18 000 Francs.
27 Texte paru dans Le Temps du 18 juin 1937.
28 Du 15 juin. La lettre est donc datée du 16.
29 Pour cette intéressante question lire l’article de Fernand Vandérem « Les lettres et la loi » dans Le Figaro du 19 juin 1937 (page six) et surtout l’article de Maurice Garçon « La défense des Lettres » en une du Journal des débats du 23 juin, qui précise que le libraire chargé de la vente (Auguste et Georges Blaizot, non cités) va déposer une copie des lettres à la BNF. Voir aussi le Journal des débats du 21 juin au bas de la dernière page (quatre) qui avait déjà indiqué ce point.
30 Pierre Louÿs et Claude Debussy ont aussi échangé des correspondances. Quelques lettres sont parues dans L’Esprit français du douze juillet 1931 (page 33), l’un et l’autre étant morts depuis longtemps déjà. Voir la Correspondance de Claude Debussy et Pierre Louÿs (1893-1904), recueillie et annotée par Henri Borgeaud chez José Corti en 1946, commentée par René Dumesnil dans Le Monde du quatre février 1946. Claude Debussy a adapté trois Chansons de Bilitis pour voix et piano, créées le 17 mars 1900 à la salle Pleyel.
Au moment de publier cette page, le quinze avril 2021, l’idée a été de la signaler et de se mettre en quête de très possibles sites web sur Paul Valéry et sur Pierre Louÿs. Rien ! Il n’y a rien !
Le site http://www.pierrelouys.fr/ ouvre un écran noir, vraisemblablement un flash désactivé. On peut le considérer comme en déshérence. Tout cela est bien triste.
Quant au site https://www.paulvalery.fr/, si vous cherchez une paire de gants ou un chariot élévateur, c’est ici !
Heureusement, il reste un site Léautaud !