Aurel II ►
1909 1910 L’« Aurélisme » (1905) 1914 Notes.
Voici une page bien longue — 69 292 caractères ou quarante-cinq feuillets A4 — qui sera coupée en trois parties. Trois pages web pour Aurel, cela n’est-il pas excessif ? Sans doute. Mais cela figure bien, hélas, toute la place d’Aurel chez Paul Léautaud.
Aurel était stupide, l’affaire est entendue. Il y en a eu d’autres, dont on a moins parlé. Paul Léautaud s’est acharné sur elle comme aucun autre. Cet ami des bêtes était un animal à sang chaud mais Aurel ne se laissait pas faire et répondait avec mordant, à la limite de l’injure. Seule la vieillesse a su calmer les ardeurs, et évidemment sa mort, à l’été 1948.
Aurélie de Faucamberge, née à Cherbourg à l’été 1869, se faisait appeler Aurel. La particule « de » semble avoir été créée d’un détachement par le grand-père sous le premier empire. Aurélie a épousé en 1902 l’agréable peintre Cyrille Besset (1861-1902), mort d’un coup de froid en décembre, à Nice à l’âge 41 ans. Deux ans plus tard sur les instances de la veuve, la ville de Nice a renommé l’avenue Saint-Barthélemy au nom du défunt. Aurélie s’est remariée en 1906 avec l’auteur dramatique Alfred Mortier, qui a lui aussi bénéficié d’une rue à Nice. Alfred Mortier (Alfred Mortje, 1865-1937, né en Allemagne de père hollandais) a pour frère cadet le peintre Robert Mortier (1878-1940) (note 100, dans la troisième partie), bien moins gai dans ses peintures que Cyrille Besset. Les deux peintres se connaissaient.

Cyrille Besset, Le village de Saint-Martin-Vésubie en 1895
Aurel tenait salon à Paris, au vingt rue du Printemps, entre Wagram et Pont-Cardinet, puis rue de Berry, qui donne sur les Champs-Élysées. Elle a écrit une petite trentaine d’ouvrages aux titres féministes — Comment les Femmes deviennent écrivains (1907), Une politique de la maternité, ou Les Françaises devant l’opinion masculine (1922) — ou moins féministes : La Vierge involontaire, 1930 ou L’Homme de ma vie, puis un Alfred Mortier, après la mort de celui-ci.
Voyons ce que dit André Billy d’Aurel dans La Terrasse du Luxembourg1, page 260.
Aurélie de Fancamberge, ou de Falkenberg2, et son mari, Alfred Mortier, habitaient, rue de Berry, un bel hôtel particulier meublé à l’ancienne. Après qu’on m’eut fait attendre un peu, je fus introduit auprès de la dame de céans. C’était le matin. Elle me reçut en négligé. Elle était belle néanmoins, avec son teint de lait, ses cheveux fauves et son hiératisme de princesse orientale. Son charme ne me fut gâté que par l’affectation qu’elle mit à ne pas savoir corriger ses épreuves, ni même tenir une plume. L’aspect de ses lettres, véritables grimoires où les lignes vont dans tous les sens et où les mots se chevauchent à travers les ratures et les pâtés, donne à croire qu’elle n’a pas en calligraphie fait beaucoup de progrès depuis 1907. Bien qu’elle apparaisse généralement comme la femme de lettres idéale, le bas bleu élevé au sublime, on s’explique, en contemplant ses extraordinaires pattes de mouches, qu’elle ait pu dire qu’elle avait la haine d’écrire et qu’elle eût préféré la danse à l’écriture. Elle a d’ailleurs de l’esprit et du talent avec des lueurs brusques et imprévues. Dommage qu’elle ait organisé dans son salon ces réunions dont le ridicule devait fatalement rejaillir sur elle.
Aurel et son mari — surtout elle — seront donc longtemps, on l’a dit, les bêtes noires de Paul Léautaud. Elle apparait dans 110 pages du Journal littéraire, la première fois le quinze mars 1909 où il évoque « Cette dinde prétentieuse de Mme Aurel. » Le ton est donné, il ne variera pas.
Donc Aurel tient salon, le jeudi, de 16 à 19 heures. Le huit octobre 1908, Paul Morisse3, alors voisin de bureau de Paul Léautaud, est invité. Le lendemain il raconte :
Aussitôt Morisse entré, Mortier s’est précipité sur lui, et lui a dit : « C’est extraordinaire. On parlait justement de vous. Tout à l’heure, on prononçait votre nom devant M. Chéramy4, qui nous a dit : « Ah ! bien. Puisque vous parlez du Mercure, vous allez pouvoir me donner un renseignement. Quand on monte chez M. Vallette5, on trouve toujours deux messieurs. L’un a toute sa barbe, l’autre est complètement rasé. Le premier est extrêmement désagréable, le second est charmant. Qui sont-ils ? » — Nous lui avons répondu : « Le premier est M. Léautaud, le second est M. Morisse. »
Tout le monde sait maintenant que Paul Léautaud a écrit une grande partie de ses chroniques dramatiques sous le nom de Maurice Boissard. Le seize mars de cette même année 1908 où nous sommes, est parue dans le Mercure une chronique de Maurice Boissard (page 346) dans laquelle il aborde de nombreux spectacles dont celui des Bouffes-Parisiens : Aux Bouffes… on pouffe !, revue en trois actes et sept tableaux, de Rip6, Wilned7 et Paul Fargue8, musique nouvelle et arrangée de MM. Philippe Moreau et Willy9. Il y a des chansons, plus ou moins égratignantes. Voici un extrait de cette chronique :
Et l’éternell’
Madam’ Aurel
Qu’a écrit pour elle
Les jeux de la chandelle.
Paul Léautaud poursuit, après le récit de Paul Morisse :
Voilà. Je n’aurai pas attendu longtemps au Mercure pour avoir une bonne réputation.
En effet, il n’est entré au Mercure que le premier janvier dernier (1908).
Il paraît que Mme Aurel a très bien vu mon « Et l’éternell’ Madam’ Aurel », d’une de mes Chroniques dramatiques. Plainte même à Rachilde10, qui lui a dit : « Vous pouvez en être sûre. S’il a mis cela, c’est que c’est dans la pièce. Il n’y a pas de quoi vous désoler. C’est la gloire. On n’est rien tant qu’on n’est pas traînée dans la boue. » Aurel en a parlé aussi à Morisse hier, disant : « J’aime les haines, c’est vrai, j’aime cela. » Elle exagère un peu. Je n’ai voulu que me moquer d’elle.
Le salon de Mme Aurel doit être bien curieux. Encore plus curieux que le salon de Rachilde11. Il faudra que je tâche un jour de voir ces « sphères littéraires », celle-là ou une autre. Ce sont toujours les Précieuses ridicules, et Trissotin et Vadius12. Ainsi, Aurel a rapporté à Morisse un mot de Canudo13 « Je voudrais écrire en langue morte, pour n’avoir pas de lecteurs. » Bon Canudo. Le changement ne serait pas si grand qu’il croit.
Un détail amusant. Tous les invités conviennent, entre eux, qu’il n’y a pas moyen de comprendre quoi que ce soit ni à ce que dit, ni à ce qu’écrit Mme Aurel.
Morisse a vu arriver Mme B…14 dans une toilette extraordinaire, une queue d’au moins un mètre, et plus peinte que jamais, à pied. Elle a raconté qu’elle est maintenant « obligée de gagner sa vie ». Ce qui fait penser qu’elle ne vit décidément plus avec B…
Vendredi 16 Juillet [1909]
Mariéton15 au Mercure. Définition du talent d’Aurel. « Subtilité de muse départementale. C’est Jean. Dolent16. Un Jean Dolent plus hennissant. C’est Aurel… de Paladines17. »
Il nous raconte un détail du mariage Aurel-Mortier. Pour présenter son nouveau mari à ses amis, Aurel avait loué des salons à l’Hôtel Moderne18, (à Paris). Elle les avait ornés tous de tableaux de son défunt, Cyrille Besset. C’était une véritable exposition. Mariéton vint accompagné d’une dame qui ne connaissait pas Aurel. Il la présente à Mortier. Étonnée de tant de peinture, cette dame demande à Mortier quels étaient tous ces tableaux : « Ce sont les œuvres du mari de ma femme, l’autre ! » répondit Mortier.
Mardi 21 décembre [1909]
S’il y a encore un endroit où l’on s’amuse quelquefois, c’est bien le salon de Rachilde. Le jour que j’ai nommé cela Le Guignol Rachilde19, j’ai joliment nommé juste. Il n’était question ce soir, avant l’arrivée de Hirsch20 d’une part, et de Mme Aurel de l’autre, que d’un procès que veut intenter Mme Aurel à un M. Jorand, ou Jauraud, critique dans une revue catholique. Il paraît que ce monsieur a écrit un article un peu vif sur Aurel et ses œuvres. Il a dit d’elle qu’elle portait des robes collantes qui la rendaient obscène, et qu’une maison d’édition se déshonorait en publiant de tels livres21. Devant la perspective du procès, ce M. Jorand aurait sollicité du Cercle de la Critique22 une sorte de décision de solidarité, invoquant les droits du critique, la liberté, etc., etc., lequel cercle paraît s’être plutôt défilé à ce sujet. Rachilde donne raison à Aurel. Je ne me suis pas gêné pour lui dire que je trouve cela puéril au possible. En quoi une femme peut-elle se sentir déshonorée parce qu’on dit qu’elle porte des robes collantes qui la rendent obscène ? Aurel veut faire parler d’elle. Elle demande 30 000 francs de dommages-intérêts. C’est pour se rattraper du prix que lui coûtent ses livres23. Je suis émerveillé qu’un critique ait pu trouver dans ses livres le moindre sujet à faire de la critique. J’en serais bien embarrassé pour mon compte, n’y comprenant rien, et doutant qu’on puisse, de bonne foi, y comprendre quelque chose. Aurel devrait être enchantée. Il s’est trouvé quelqu’un pour lire ses livres.
J’ai dit tout cela à Rachilde et aux autres, sans me gêner, mais Rachilde était remontée, elle parlait des légendes qu’il ne faut pas laisser se créer, qu’elle a passé par là, qu’elle donne raison à Aurel, etc., etc. — et les autres, ils ont bien trop l’esprit et le franc-parler dans leur poche pour rien dire de ce qu’ils pensent, s’ils pensent quelque chose. Je n’ai trouvé que Bertaut24 pour être, entre nous, dans un coin, à voix basse, de mon avis.
Aurel est arrivée, dans une de ces toilettes, sous un de ces chapeaux, et avec cet air penché, fatal et vanné dont elle a le secret. Cercle autour d’elle, tout de suite. Rachilde lui dit combien elle l’approuve de ne pas se laisser faire. Aurel d’expliquer, avec cette bouche dégoûtée et cette voix enfantine et traînarde : « Ce qui m’a le plus chagrinée, c’est que maman a lu cela. Moi je ne savais rien. C’est elle qui me l’a envoyé. Je ne peux pas pardonner à cet homme de lui avoir fait cette peine. » Voyez-vous cela. Quand on écrit, on est toujours exposé à ce que maman lise un jour un article où l’on est plus ou moins éreinté. Aurel voulait pourtant, tout d’abord, ne rien faire : « Je trouvais cela plus “élégant” ! » Mot qui les juge toutes. Elles écrivent comme elles portent tel ou tel chapeau à la mode, sans s’occuper, sans même être capables de voir s’il leur va ou non. Je le disais à Bertaut : « Ce sont toujours les Précieuses ridicules de Molière. Si je n’étais pas au Mercure, et du Mercure, quel tableau je ferais des mardis de Rachilde. » Mme Danville25 parlant ce soir des fautes de français dans les livres des Leblond26. J’avais envie de lui demander : « Vous vous y connaissez donc ? » Herold27 ne cessant pas de se regarder parler dans les glaces. Poueigh28 souriant à tout, approuvant tout. Saltas29, perpétuellement admiratif sans jamais savoir au juste de quoi on parle. Voirol30 et sa femme, des époux assortis, aussi bêtes, l’air enfant l’un que l’autre. Danville, qui joue là les inutilités. Il n’y a pas trop de tout l’esprit, malheureusement un peu vulgaire, de Rachilde, pour faire passer tout cela.
Laissons passer près d’une année pour arriver en décembre 1910. Paul Léautaud tente de faire passer quelques « Mots, propos et anecdotes » dans Les Marges d’Eugène Montfort31 :
Lundi 28 Novembre [1910]
Le pauvre Montfort. Quel garçon délicat, galant et soignant ses relations. À propos d’une anecdote sur Aurel, propos de Mariéton, dans une deuxième série que je lui ai donnée pour les Marges, il m’avait déjà demandé, quand je suis allé le voir chez lui il y a huit jours, de la supprimer. J’avais tenu bon et il s’était résigné. Voilà que je reçois ce matin une lettre de lui où il redemande la suppression. Si ce n’était le petit morceau Legrand-Chabrier qui m’amuse à publier, ce que je lui aurais redemandé mes papiers !
Mais le brave Eugène, qui ne semble pas très courageux, n’ose pas publier le texte :
À Eugène Montfort
Paris le 1er décembre 1910
Mon cher Montfort,
Puisque vous y tenez tant, supprimez le passage Aurel. Seulement…
Quand vous m’enverrez les épreuves, ayez l’obligeance de me dire comment cela tombe comme page finale. Cela pour que je sache si je puis ajouter environ six lignes au morceau Toussaint32.
Dans le Mercure du premier avril 1911, André Rouveyre33 dessine un portrait d’Aurel

Toutes les photos d’Aurel proviennent de la BNF
Rouveyre a fait Aurel, très ressemblante, c’est-à-dire aussi laide qu’elle est. Mortier n’a pas encore vu le dessin, mais il est au courant. Il a dit à Rouveyre, en confidence : « Ne la faites pas trop laide ! » De la part du mari, c’est touchant.
L’affaire de « l’Aurélisme »
Cette affaire oblige à revenir à l’été 1905. Tout commence par la publication, dans le Mercure du quinze août, de Compère le renard, farce en un acte et quinze scènes, de Georges Polti. Georges Polti (1867-1946), théoricien du théâtre, a été en charge, au Mercure, de la littérature dramatique, c’est-à-dire des pièces de théâtre parues en volume ou en feuilleton dans les revues. On trouve sa signature dans cinquante-neuf numéros entre 1894 et 1910. Georges Polti est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages sur le théâtre dont, au Mercure en 1895, Trente-six situations dramatiques (implorer, sauver, venger, etc.) qui reste encore de nos jours une référence et que tous les gens de théâtre connaissent.
Le texte de la pièce, qui va paraître sur deux numéros, est précédé d’une lettre de Georges Polti à Alfred Vallette, qui la justifie. Cette lettre occupe plus d’une demi-page du Mercure, en voici un extrait : « Mon cher Vallette, / Les journaux annoncent que M. Edmond Rostand va mettre à la scène Chantecler le coq et les autres animaux du Roman de Renart. Ils louent à l’envi son idée originale qui sera, annoncent-ils, le « point de mire » de la curiosité parisienne cet hiver. Ceci me décide à publier Compère le Renard, écrit par moi dès 1901, époque où je le lus à quelques amis [qui peuvent en témoigner]. »
Paul Léautaud lit ce texte et, le jour de la parution de la suite (les scènes dix à quinze) dans le Mercure suivant (premier septembre 1905) écrit cette lettre à Georges Polti :
Paris 1er septembre 1905
Cher Monsieur,
Je veux absolument vous dire le grand plaisir de lecture, le ravissement d’ironie, que m’a donné votre Compère le Renard. Il y avait longtemps que je n’avais attendu une suite avec autant d’impatience.
Avec mes sentiments les meilleurs.
P. Léautaud
C’est net, c’est clair, c’est court : c’est Léautaud.
1914
Neuf ans passent et la pièce est créée au début de 1914 ou à la fin de 1913 au théâtre d’Action d’Art (qu’il ne faut peut-être pas confondre avec « Art et Action »). Paul Léautaud, où plutôt Maurice Boissard y va et rend compte de la pièce dans le Mercure du seize février 1914 :
M. Georges Polti n’est pas un écrivain banal. C’est d’abord un érudit du théâtre tout à fait remarquable. Je vous ai déjà présenté, bien insuffisamment, ses deux ouvrages, Les Trente-six situations dramatiques et L’Art d’inventer les personnages34, dans lesquels il montre une science de l’art dramatique qui touche au prodige. C’est ensuite un romancier qui demande, pour le lire, si j’en juge du moins par L’Éphèbe35, des lecteurs d’un courage tout spécial. Enfin, c’est encore, ou ce sera demain, un mystificateur littéraire du genre le plus neuf. Ne nous annonce-t-on pas, en effet, que M. Georges Polti va « lancer » dans une revue un « idéal nouveau » l’aurélisme ? M. Georges Polti s’est dit sans doute : à précieux, précieux et demi, et il a voulu une nouvelle fois exercer son talent satirique. Faisons-lui en nos compliments. Nous avons là en perspective une petite farce digne de Molière.
Bien entendu, Georges Polti a répondu dès le lendemain de la parution de la chronique. Lisons les « Échos » du Mercure du premier mars 1914 :
Paris, 16 février 1914
Mon cher Vallette
Ainsi que les langues d’Ésope, les critiques de Maurice Boissard sont tantôt ce qu’il y a de plus exquis et tantôt ce qu’il y a de plus détestable. Autant il m’a rempli de confusion par ses éloges touchant ma piécette — Compère le Renard — ou mes travaux d’érudition dramatique, voire mythologique, autant il m’a peiné en qualifiant de « mystification » — d’avance et sans en rien connaître que le titre — mon essai sur l’idée directrice des œuvres de Mme Aurel.
Après le Platonisme qui purifia et idéalisa les rapports unisexuels, après le Pétrarquisme qui transporta le même effort aux relations entre les deux sexes, mais n’y exprima encore que le rêve masculin (car Laure et ses innombrables filles36 demeurent muettes dans les chefs-d’œuvre qu’elles ont inspirés), voici que s’élève — grâce à la culture intellectuelle plus généreusement accordée aux femmes — un « idéal nouveau » : celui d’une réciproque provocation, dans chaque couple, des deux esprits masculin et féminin, créateurs à l’envi désormais.
Or les admirables livres de Mme Aurel, si riches d’inédit, ont obstinément dégagé les lois de ce Duel sublime et fécond.
Voilà pourquoi l’équité la plus stricte m’imposait de donner le nom d’Aurélisme à ce troisième et merveilleux élan de l’âme humaine. J’ose espérer que l’avenir le lui gardera.
Du reste la voici parue (Grande Revue du 10 février 1914) cette étude jugée avant d’avoir été entendue.
Que Maurice Boissard s’y reporte, et je le crois trop fier pour ne pas convenir de son erreur.
Cordialement à vous, mon cher Vallette.
Georges Polti.
Cette lettre étant parue dans le Mercure du premier mars, Maurice Boissard a répondu à la fin de sa chronique du numéro suivant, daté du seize mars :
Je voudrais bien maintenant dire un petit mot sur l’Aurélisme. C’est une bonne suite à certaines choses qui précèdent37. Vous avez probablement lu la lettre de M. Georges Polti, dans les Échos du dernier Mercure ? Moi, elle m’a ravi. Il parait que M. Georges Polti n’a jamais entendu nous mystifier avec son « essai » sur l’Aurélisme. Il a été sincère, très sincère. Croit-il que j’en aie jamais douté ? J’en doute encore moins aujourd’hui à le voir qui écrit en charabia comme son inspiratrice. Il fait même mieux, entraîné probablement par l’admiration littéraire, laquelle me paraît avoir les mêmes effets que l’amour : faire dire des bêtises. C’est M. Lavisse38, je crois, qui a émis cette idée que l’esprit humain a pu faire un grand progrès le jour que fut inventée la lampe à huile, comme si rien de valable n’avait été écrit avant qu’on possédât cet éclairage. M. Georges Polti me semble être de la même force quand il parle, dans sa lettre, de « la culture intellectuelle plus généreusement accordée aux femmes ». Qui aurait pu croire que la culture intellectuelle fût une chose qui s’accorde ? On la croyait plutôt à la portée de tout le monde, et que tous peuvent se la donner. M. Georges Polti nous apprend le contraire. Nous devons en conclure qu’il nous a fallu attendre aujourd’hui pour avoir une femme cultivée, qu’une Mme de Sévigné, une Mme du Deffand, pour ne citer qu’elles, n’étaient que des dindes, et que Mme Aurel, la première, réalise cette merveille. Vous ne vous en seriez pas douté ? Ah ! Seigneur, et moi, donc !
Je veux, en tout cas, rassurer M. Georges Polti, qui est, dans le privé, à ce qu’on me dit, un homme simple, clair, sensé. Je n’ai pas attendu son aimable invitation pour regarder son fameux Essai sur l’Aurélisme. Je n’ose dire qu’il m’a déçu. C’est bien ce que j’attendais : quelque chose comme le Sonnet d’Oronte39, en plus long. Il a aussi réveillé en moi un regret que j’ai quelquefois : celui de ne pas faire de la critique littéraire. La littérature actuelle compte, en effet, quelques phénomènes dont j’aurais plaisir à m’occuper. Cela me permettrait surtout de peindre quelques scènes, de raconter quelques anecdotes qui font ma joie et qui feraient aussi la vôtre40. On ne connaît pas complètement, en effet, quand on se contente de les lire, tous ces faiseurs et faiseuses de galimatias. Ce qu’il faut, c’est les voir, les entendre, admirer leurs petits airs satisfaits et penchés, assister à leurs congratulations réciproques, leurs petites combinaisons de réclame, suivies du débinage le plus féroce. Ils sont d’un comique !… M. Georges Polti me paraît aimer beaucoup les mots en isme : le Platonisme, le Pétrarquisme, l’Aurélisme… Ils sont, je l’avoue, médiocrement de mon goût. Je veux pourtant lui en offrir un autre, comme un témoignage de ma sympathie. C’est celui-ci : le Ridiculisme. Il définit à merveille, qu’il m’en croie, l’Aurélisme, les livres de Mme Aurel, le Poltisme, les petits vers de ces dames et les grandes proses de ces messieurs, toutes les productions de ces beaux esprits d’aujourd’hui, qui prennent leurs papotages pour de l’importance, les compliments de quelques niais pour de la réputation, et dont la bêtise est le plus clair mérite. Surtout que M. Georges Polti ne s’enthousiasme pas. Il n’a qu’à faire appel à son érudition dramatique pour voir qu’il n’y a dans tout cela aucune nouveauté. Sous d’autres noms et d’autres costumes, ce sont toujours les mêmes bonshommes et les mêmes bonnes femmes qu’a immortalisés Molière.
Et, bien sûr, quelques jours après cette parution :
Jeudi 19 Mars [1914]
Ce matin, au Mercure, une réponse d’Aurel à mon passage sur l’Aurélisme. Elle sert de nouveau son argument que je lui en veux de ne m’avoir pas donné son livre, et ajoute que j’en veux aux femmes, ne pouvant rien obtenir d’elles. En somme, réponse qui égale zéro.
Lettre d’Aurel, reproduite dans les « Échos » du Mercure du premier avril :

À partir de là — et quoi qu’en dise Aurel — elle le poursuivra d’une haine farouche.
Cette réponse d’Aurel, et aussi une autre d’Henriette Sauret41, égratignée dans la même chronique, a entraîné une conversation avec Alfred Vallette. C’est PL qui parle, et qui rend compte de cette conversation dans son Journal au 23 mars :
Nous ne devons nous occuper que du lecteur. S’il faut nous occuper maintenant de ce que peuvent penser les gens dont nous parlons, il n’y a plus de limite. Elles nous font suer, toutes ces femmes. Elles ont de la chance que je me sois promis de ne rien répondre, avant même de savoir si elles réclameraient. Elles sont encore plus bêtes que je ne le pensais. Cet argument d’Aurel que je me venge de ce qu’elle ne m’a pas donné son livre ! Celle-ci42 qui exhibe les compliments que lui a faits Verhaeren43, comme une cuisinière exhibe ses certificats. Si je voulais encore leur répondre… » Vallette m’a interrompu : « C’est entendu. Nous sommes tous de votre avis. Ce sont des dindes, toutes, des dindes. Seulement, voilà, est-il nécessaire de le leur dire ? Je crois bien qu’il y a à leur répondre. Leurs raisons sont idiotes, mais il vaut mieux ne pas répondre. On n’en sortirait pas. Maintenant, il y a encore Madame Mendès44. Est-ce qu’elle va répondre, elle aussi. » Je réponds : « Elle ? Elle ne dira sans doute rien, comme d’habitude. La Muette du sérail45, comme j’ai dit46. — Quant à Cécile Périn47, dit Vallette, celle-là ne bougera pas. Elle a été consolée par le petit compte-rendu de Duhamel. Car c’est rigolo : vous l’avez éreintée, et quelques pages avant, Duhamel la couvre de fleurs48. Elle a dû trouver là sa compensation. » Vallette dit aussi : « En attendant, nous avons trois lettres : celle de Polti, celle d’Aurel, celle-là d’Henriette Sauret… J’ai envie de donner à cela un titre drôle : Monsieur Boissard et les Amazones… Il faudra que je voie cela49. »
Puis c’est la guerre. Après un moment de stupeur, la vie se réinstalle et les anecdotes sur Aurel en font partie. On ne saurait les retenir toutes, sauf à faire cent pages.
Vendredi 22 Septembre [1916]
Morisse me raconte l’histoire Rictus, Mortier, Aurel.
Mortier offre à Rictus50 un mauvais déjeuner. Rictus se dit : « Tu me le paieras. Je te ferai cocu. » À quelque temps de là, invité chez Mortier, il voit Aurel : « Pas moyen ! Imbaisable ! » Lacère les fauteuils à coups de canif.
Vendredi 22 Décembre [1916]
J’entre quelquefois attendre l’heure de mon train chez Mme Schmidt, la concierge du Mercure. Rachilde lui raconte beaucoup de choses, potine avec elle. C’est un moyen pour moi de savoir des choses de temps en temps. Ce soir, elle m’a parlé de la conférence d’Aurel sur Apollinaire51. Rachilde lui a dit qu’Aurel a parlé en de tels termes qu’on pourrait croire qu’elle a couché avec le bon Guillaume. Il paraît que c’était d’un ridicule achevé et que les auditeurs plaignaient le mari d’entendre sa femme parler ainsi d’un autre homme.
Il paraît qu’Aurel ne s’est pas cachée, à l’époque de son mariage, d’épouser Mortier pour le « million » que, paraît-il, il possédait.
Mardi 2 Janvier [1917]
On a offert, dimanche dernier, un banquet52-53 à Apollinaire, à propos de la publication de son dernier livre, Le Poète assassiné. Aurel a eu un grand succès. Elle avait prévenu : « Si je suis seule à parler, je parlerai six minutes. Si d’autres doivent parler, je parlerai un quart d’heure. » Il paraît qu’au bout de trois mots, elle a dû se taire, puis s’en aller, sous les quolibets, les huées, le chahut de la salle, notamment de peintres cubistes présents, son projet étant de parler du Cubisme. Auparavant, cet exemple de la vanité de cette sotte : elle n’avait accepté, nommée avant elle sur la carte d’invitation, qu’une seule personne : Rachilde.
Cocteau, dans une lettre à Rachilde, a eu ce mot pour la peindre : « Cette dame qui a un profil de médaille retrouvée par un laboureur dans un champ de vaseline. »
Il paraît qu’il y a eu dans L’Œuvre un compte-rendu assez piquant du banquet, avec cette phrase, à peu près : « Mme Aurel a connu pendant quelques jours Jean Dolent, et voilà bien des années qu’elle nous en parle54. » Bien des années ! Pauvre vieille55 !
La page « Aurel II » paraîtra le premier avril 2023.
Notes
1 André Billy, La Terrasse du Luxembourg, Fayard, mai 1945, 304 pages.
2 André Billy ne sait pas trop. Il s’en fiche complètement.
3 Paul Morisse a partagé le bureau de PL à partir de janvier 1908 jusqu’en 1911. Le 9 décembre 1913, PL le dira âgé de 47 ou 48 ans, ce qui le ferait naître vers 1865. Paul Morisse est aujourd’hui connu pour être le traducteur des Hymnes à la nuit de Novalis en 1908 (voir le Journal littéraire au 26 octobre 1908) et aussi de Stefan Zweig pour son Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre en 1910.
4 Auguste Chéramy (1840-1912), homme de lettres et bibliophile, avoué près le tribunal civil de la Seine. A été président de la Chambre des avoués de la Seine. Paul Léautaud lui a écrit le premier décembre 1904.
5 Alfred Vallette (1858-1935), d’abord typographe, a été ensuite secrétaire de rédaction puis directeur du Scapin (1er septembre 1886). Mais Alfred Vallette est surtout connu pour être l’un des fondateurs (1890) et le directeur de la revue puis des éditions du Mercure de France jusqu’à sa mort en 1935.
6 Rip (Georges Gabriel Thenon 1884-1941), revuiste à succès.
7 Wilned (Édouard Gustave Williams, 1884-1939 ?). Tout en écrivant des revues de music-hall du début du siècle jusque dans les années 1920, Wilned a écrit quelques livrets d’opérettes et des comédies de boulevard, souvent en un acte.
8 Paul Fargue est le moins connu de ces trois auteurs et ne semble pas avoir duré.

9 Maxime Hoffman indique qu’il s’agit de Willy Redstone (1883-1949), compositeur et chef d’orchestre. Bien que né à Paris et neveu de Charles Gounod (l’auteur de l’opéra Faust chanté par Bianca Castafiore dans les albums de Tintin), Willy Redstone a ensuite fait carrière en Angleterre et en Australie.
10 Marguerite Eymery (1860-1953), personnage complexe, a épousé Alfred Vallette le 12 juin 1899. Rachilde tient la rubrique des « Romans » dans le Mercure. Elle publiera une soixantaine d’ouvrages.
11 Rachilde tenait salon au Mercure tous les mardis.
12 Trissotin et Vadius, souvent cités par Paul Léautaud sont deux personnages des Femmes savantes. Ils se suivent dans la distribution, le premier étant présenté comme un « bel esprit », le second comme un « savant ». Trissotin est l’auteur du fameux Sonnet, à la princesse Uranie sur sa fièvre qui fait frémir ces dames à l’acte III avec son fameux « quoi qu’on die » et Vadius « sait le grec » : « Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur ! »
13 Ricciotto Canudo (1877-1923) est italien. Installé à Paris en 1902 il a tenu la rubrique des « Lettres italiennes » au Mercure entre décembre 1904 et juin 1913. Romancier, poète, philosophe, critique d’art, Ricciotto Canudo a inventé en 1919 le terme de « 7e art ».
14 Le tapuscrit de Grenoble, relevé par notre ami Bertrand Vignon confirme que « B… » est ici Catulle Mendès et donc « Madame B… » la poète Jeanne Mette, épousée à l’été 1897. Catulle Mendès va mourir dans quelques mois, en février 1909, dans les conditions que l’on sait.
15 Paul Mariéton (1862-1911), écrivain provençal, directeur fondateur de la Revue félibréenne (promotion et défense de la langue d’Oc) qui a paru de 1885 à 1909.
16 Jean Dolent (Charles-Antoine Fournier, 1835-31 août 1909), écrivain et critique d’art, était proche d’Aurel. Leur Correspondance a été publiée en 1946. Voir aussi note 54.
17 Allusion au nom de Louis d’Aurelle de Paladines (1804-1877), militaire très-décoré. Paul Léautaud reprendra ce mot à son compte à plusieurs reprises. Voir les notes 40 et 75
18 Il s’agit vraisemblablement d’un très grand hôtel qui se trouvait place de la République, entouré par l’avenue de la République, la rue de Malte (à l’arrière) et la rue du faubourg du Temple (en retour sur la place). Ce très grand ensemble de bâtiments existe encore, abritant en partie un hôtel Crown Plaza.
19 Première attestation dans le Journal littéraire au quatorze avril 1908 : « C’est aujourd’hui le dernier Mardi de la saison. Le Guignol du Mercure va être fermé jusqu’en novembre prochain. »
20 Charles-Henry Hirsch (1870-1948), poète, romancier et dramaturge, responsable, au Mercure, des rubriques littéraires et artistiques depuis 1899. C.-H. Hirsch a été employé de banque jusqu’en 1907. Il collabore également au quotidien Le Journal depuis 1902, au Matin, à Excelsior et au Petit Parisien. CHH est aussi un auteur de romans populaires ou naturalistes, comme son célèbre (à l’époque) Le Tigre et Coquelicot de 1905 chez Albin Michel, ou licencieux comme Poupée fragile, chez Flammarion en 1907. En 1910, il sera un des défenseurs des Fleurs du mal. Il est aujourd’hui essentiellement connu comme l’auteur du scénario du film Cœur de lilas (Anatole Litvak 1931) avec Jean Gabin.
21 La maison d’édition « qui publie de tels livres » est le Mercure de France, qui sera l’éditeur d’Aurel jusqu’à la guerre.
22 Ce « Cercle de la Critique » est né en 1872, sous l’impulsion d’Oscar Cometant, critique musical au Siècle, soucieux d’établir des relations amicales entre « lundistes » des grands journaux. Les réunions se tinrent, chacun payant son écot, au restaurant le Brébant, boulevard Poissonnière, pas très loin du musée Grévin. On y rencontrait Théodore de Banville, François Coppée, Francisque Sarcey… C’est en 1877 que se forma d’une façon plus définitive le « Cercle de la critique musicale et dramatique » avant de devenir, après la Seconde Guerre mondiale, le « Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale ». Source : APCTMD.
23 Paul Léautaud, qui travaille dans la maison, semble savoir que les livres d’Aurel sont publiés à compte d’auteur.
24 Jules Bertaut (1877-1959), écrivain, historien et conférencier, a parfois collaboré au Mercure de France dans ces années d’avant-guerre.
25 Gaston Danville (Armand Abraham Blocq, 1870-1933), romancier Mercure, a dédié Comment Jacques se suicida (1891) à Alfred Vallette, L’Ange noir (1892) à Louis Dumur, Le Rêve de la mort (1892) à Rachilde et semble avoir oublié Remy de Gourmont. Ces nouvelles ont été rééditées, avec celles d’autres auteurs (150 nouvelles en tout, plus de mille pages), en 2008 dans la collection Bouquins sous le titre collectif Petit musée des horreurs. Nouvelles fantastiques, cruelles et macabres. Gaston Danville est le promoteur d’une réforme de l’orthographe (voir le Journal littéraire au 8 novembre 1904). Madame Danville se suicidera, voir au 22 décembre 1931.
26 Les deux cousins réunionnais Georges Athénas (1880-1953) et Alexandre Merlot (1877-1958), d’abord critiques d’art, écrivent ensemble sous le pseudonyme commun de Marius-Ary Leblond. Cette conversation est évidemment à propos du prix Goncourt décerné le huit décembre dernier au profit de Marius-Ary Leblond pour leur douzième livre et septième roman, En France, paru chez Charpentier (470 pages). Lire, dans le JL au sept décembre 1907 la visite de Marius Leblond au Mercure.
27 André-Ferdinand Herold (1865-1940), petit-fils du compositeur, chartiste, poète, conteur, auteur dramatique et traducteur. Herold a fréquenté Mallarmé, Henri de Régnier, Pierre Louÿs, Paul Valéry. Il entretient des rapports privilégiés avec Gabriel Fauré ou Maurice Ravel. Auteur Mercure depuis 1891 et titulaire de la critique dramatique depuis 1896. Paul Léautaud lui a succédé en octobre 1907.
28 Jean Poueigh (1876-1958), musicien, a composé un opéra sur un livret de Rachilde, Le Meneur de Louves. La première en a été donnée au Mercure le mardi sept janvier 1908. Éric Satie a nommé Jean Pouegh « Cul sans musique ». Aucun enregistrement ne subsiste aujourd’hui. Jean Poueigh est également l’auteur, sous le pseudonyme d’Octave Séré, des Musiciens d’aujourd’hui, édité par le Mercure en 1921. Voir son portait par Paul Léautaud au 14 avril 1908.
29 Jean Saltas (1865-1954), citoyen grec, est né en Asie mineure dans la province d’Éphèse avant que ce territoire soit rattaché à l’actuelle Turquie. Il semble que Jean Saltas ait été naturalisé français, comme Guillaume Apollinaire et de nombreux autres, suite à son engagement français lors de la première guerre mondiale. À part cette traduction, Jean Saltas ne semble avoir écrit qu’un ouvrage médical en 1892 et un article sur « Les derniers jours d’Alfred Jarry » dans Les Marges. Voir le Journal littéraire au 18 octobre 1921. Voir aussi au 9 août 1938. Jean Saltas deviendra le médecin de PL. Le onze août 1941, dans Je suis partout (page huit), Jean Saltas décrira ses premières rencontres avec Paul Léautaud. On peut consulter son dossier sur la base Léonore.
30 Sébastien Voirol (Gustaf Henrik Lundqvist, 1870-1930), homme de lettres, journaliste et traducteur. Sébastien Voirol s’est installé à Paris en 1889. Auteur d’une dizaine d’ouvrages d’inspiration orientalo-ésotérique, traducteur de romans américains, allemands, danois et norvégiens, donnant des articles et des chroniques à des organes de presse tels que Les Lettres, La Grande Revue ou Le Figaro, franc-maçon dès 1901, il est intégré à un milieu littéraire et artistique à la fois cosmopolite, mondain et d’avant-garde. Sébastien Voirol a épousé Claudine, sœur des frères Perret (architectes) en 1901. Voir aussi André Billy, Le Pont des Saints-Pères à partir de la page 125. Un portrait de Sébastien Voirol sera dressé par Maurice Boissard dans sa chronique du Mercure du 16 août 1919.
31 Eugène Montfort (1877-1936), créateur du mouvement littéraire « Naturiste », fondateur de la revue Les Marges, éditeur historique, le 15 novembre 1908, du premier « premier numéro » (il y en aura un second) de La Nouvelle revue française. Un portrait d’Eugène Montfort a été dressé par PL qui s’est rendu chez lui, rue Chaptal, le 28 septembre 1908. Un autre portrait en sera dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg, pages 297-298. Pour les circonstances particulières de la mort d’Eugène Montfort, voir au 13 décembre 1936.
32 Voici le « morceau Toussaint », et l’ajout, extrait de ces Marges du premier janvier 1911 (page 47) :

33 André Rouveyre (1879-1962), dessinateur de presse, journaliste et écrivain. Au cours d’un de ses entretiens avec Robert Mallet, PL dira qu’il a connu André Rouveyre « Au Mercure, dans le salon de Madame Rachilde. » Dans La Terrasse du Luxembourg, André Billy écrira : « André Rouveyre, dont tous les journaux reproduisaient de petites bonnes femmes en chemise courte, au sourire largement fendu. Je ne me doutais pas que ce garçon barbu, à monocle, dont j’enviais la désinvolture, serait vingt-cinq ans plus tard mon plus intime ami. » André Rouveyre est le fils du libraire et éditeur Édouard Rouveyre (1849-1930). Pour une biographie plus détaillée, voir notamment la Correspondance entre André Gide et André Rouveyre éditée et annotée par Claude Martin, Mercure de France 1967, 286 pages. Voir aussi Louis Thomas : André Rouveyre, Les Bibliophiles fantaisistes, Dorbon-Aîné, 1912, 127 pages.
34 Georges Polti, L’Art d’inventer les personnages, est paru chez Eugène Figuière en 1912 (229 pages).
35 Georges Polti, L’Éphèbe, roman achéen, Eugène Figuière, août 1913, 265 pages. Un Achéen est un habitant d’Achaïe, contrée de l’ancienne Grèce. La plus ancienne des ethnies grecques d’origine indo-européenne.
36 Laure de Sade (1310-1348), lointaine aïeule de Donatien de Sade (1740-1814), eut, dit-on, onze enfants.
37 Les « choses qui précèdent » sont surtout un texte sur Le Char d’Apollon, monologue de Rachilde et de quelques autres femmes poètes « qui poussent quelquefois, sans y penser, quelques petits vagissements ».
38 Ernest Lavisse (1842-1922) est surtout connu pour être un historien enseignant, auteur de nombreux manuels scolaires. À ce titre, pour plusieurs générations d’écoliers et d’étudiants, Ernest Lavisse était l’auteur de leurs manuels d’histoire. Normalien en 1862, Ernest Lavisse est reçu premier au concours d’agrégation d’histoire en 1865. Cette même année, Ernest Lavisse est nommé pour trois ans secrétaire de cabinet du ministre de l’Instruction publique, l’historien Victor Duruy (1811-1894). À cette occasion on le retrouve comme répétiteur d’histoire du jeune Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879), fils de Napoléon III, qui ne sera jamais Napoléon IV. Ernest Lavisse a été élu à l’Académie française en 1892. Il sera remplacé par Georges de Porto-Riche dans des conditions particulières.
39 Le Misanthrope, à l’acte I met face à face Alceste (le misanthrope) et son ami Oronte, qui vient lui présenter un sonnet. Or ce sonnet ne vaut pas grand-chose : « Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ? / Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ? ».
40 Note de Maurice Boissard : « Cette définition, par exemple, de Mme Aurel par Paul Mariéton : “Aurel, me disait-il un jour. Une subtilité de muse départementale ! C’est Jean Dolent, un Jean Dolent plus hennissant. C’est Aurel… de Paladines ! ” Je me rappelle aussi un couplet qu’on chantait dans une revue des Bouffes-Parisiens, il y a quelques années. Le petit garçon de Mme Tynaire parlait du salon de sa mère, des “consœurs” de sa maman, les énumérait sur un air connu : Mme Daniel Lesueur, Mme Mendès, Mme Delarue-Mardrus, Mme de Noailles, Mme Dieulafoy. Et l’éternell’ / Madame Aurel / Qu’a écrit pour elle / Les jeux d’la Chandelle, / Ah ! les poires, / C’est la gloire, cela ! / Les belles poires… »
41 Henriette Sauret (1890-vers 1976) a épousé en octobre 1912 le journaliste, auteur dramatique et romancier André Arnyvelde (1881-1942). André Arnyvelde écrira dans La Renaissance d’avril un article vengeur sur Maurice Boissard (voir le Journal littéraire au quinze avril).
42 « Celle-ci » est Henriette Sauret (note 41), qui écrit dans le Mercure du premier avril : « C’est aussi ce que pense Émile Verhaeren, qui, ne me connaissant pas plus que ne me connaît M. Boissard, a eu la conscience de lire mon livre et la bonté de m’en louanger spontanément. / Mais Émile Verhaeren est un poète. »
43 Émile Verhaeren (1855-1916), poète flamand d’expression et de culture françaises s’intéressa rapidement au problème social, qui le révolta jusqu’à le conduire à des sympathies anarchistes. À sa mort, accidentelle sous un train, le transfert de son corps au Panthéon sera proposé mais sa famille s’y opposera.
44 Jeanne Mette, épouse de Catulle Mendès, évoquée ici note 14.
45 Les muets du sérail (ce n’étaient jamais des femmes) étaient des « serviteurs des anciens sultans ottomans, chargés des exécutions sommaires, et qui avaient l’obligation de ne s’exprimer que par signes. » (TLFi).
46 Chronique du 16 mars : « Il faut, du reste, que je sois franc. Les dites muses m’émerveillent souvent. J’éprouve devant leurs livres une surprise qui touche à la timidité. Écrire ainsi des volumes et des volumes pour ne rien dire du tout ? Ce n’est pas à la portée de tout le monde. J’ai nommé tout à l’heure Mme Catulle Mendès. Elle est un maître du genre. Les autres muses poussent quelquefois, sans y penser, quelques petits vagissements. Mme Catulle Mendès, elle, tant et tant qu’elle écrive, se tait complètement. Elle n’a pas même un soupir. C’est la muette du sérail. J’ai eu la curiosité, un jour, de feuilleter un de ses volumes de vers, et, un autre jour, de lire dans un journal, je ne sais plus lequel, un de ces contes (c’est le nom, paraît-il ?) qu’elle publie de temps en temps. C’est prodigieux ! Les vers, les lignes se suivent, le livre a deux cents pages et le conte deux colonnes. Quand on a fini, on a lu quoi ? Rien, absolument rien. C’est de la typographie, pas plus. Comment voulez-vous que je n’admire pas ? »
47 Cécile Martin (1877-1959) a épousé en 1898 l’homme de lettres Georges Périn (1873-1922). Après son veuvage, survenu à 45 ans, elle a épousé le peintre Daniel Réal (1877-1931), qui n’a survécu que neuf ans au premier mari. Il semble que Cécile Martin n’ait pas souhaité retenter l’aventure.
48 Cécile Périn a été la seule femme membre du groupe de l’Abbaye de Créteil. Dans la rubrique des poèmes, qui ouvre la « Revue de la quinzaine », Georges Duhamel est — comme presque toujours — à l’opposé de Paul Léautaud, tant par la pensée que par son expression : « Des livres de femmes ! Une bonne demi-douzaine. Le colis postal qui me les apporta en était comme vaporeux, aérien, impondérable. Il ne faut pas flatter une femme, même avec une fleur de rhétorique, a dit un disciple du prince des penseurs. Je ne retiendrai de ce bouquet que l’ouvrage de Mme Cécile Périn. Que l’haleine desséchante de la critique respecte le reste. » L’haleine desséchante de la critique a dû apprécier mais n’en a soufflé mot.
49 Les lettres d’Aurel, de Georges Polti, d’Henriette Sauret-Arnyvelde (la plus longue, une page) seront publiées dans le Mercure du premier avril sans mention particulière, pages 664-666.
50 Jehan Rictus (Gabriel Randon de Saint-Amand, 1867-1933), poète populaire. Ses œuvres ont été réunies dans deux volumes : Les Soliloques du pauvre et Le Cœur populaire. Un square à Paris porte son nom. Les Soliloques du pauvre, après avoir été édité par l’auteur, a été publié par le Mercure en 1897. Le 1er août 1933, en une du Petit Parisien, sous la signature de Maurice Bourdet on peut lire : « Le 12 décembre 1896 au cabaret des Quat’s-Arts […] entre Yon Lug et Dominus, un jeune homme de 28 ans au maigre visage […] venait réciter […] Les Soliloques du pauvre. […] L’effet fut énorme. La salle — où se trouvaient Albert Samain, Rachilde, Henri Barbusse, Alfred Vallette — acclama le poète… » Lire aussi la conversation entre Paul Léautaud et René-Louis Doyon le 25 juin 1942.
51 Guillaume Apollinaire (Guglielmo de Kostrowitzky, 1880-1918), poète et écrivain. Voir la notice de PL dans les Poètes d’Aujourd’hui (dans l’édition de 1930) et reproduite dans Passe-Temps. Voir aussi André Billy, Apollinaire vivant (éditions de la Sirène, 1923). Voir encore l’ouvrage de Laure Faure-Favier : Souvenirs sur Apollinaire, dont une réédition bon marché a été réalisée par Grasset en 2018 à l’occasion du centenaire de la mort d’Apollinaire.
52 À ce banquet étaient présents, entre nombreux autres, André Billy, Louise Faure-Favier, Antoine Orliac, Fernand Divoire, Paul Poiret, Pablo Picasso, Fernand Fleuret, Raoul Dufy, Felix Fénéon, Paul Morisse, Jacques Dyssord, Blaise Cendrars, Louis Dumur, Jean Cocteau, Alfred Valette, Aurel, Rachilde, André Salmon, Georges Braque, Juan et Josette Gris, Henri Matisse, Max Jacob, Maurice Magre, Pierre Reverdy, Jean Royère, Elia Ehrenbourg…
53 Ce banquet s’est tenu dans l’ancien palais d’Orléans, à l’endroit même où eut lieu jadis le banquet Paul Verlaine, au 198 avenue du Maine (sur l’arrière), construit à la charnière du siècle et particulièrement adapté à ce type d’activités. Après avoir été un collège d’enseignement privé catholique, puis le siège de la CGT ce bâtiment est aujourd’hui un immeuble d’habitations.
54 La phrase notée par L’Œuvre est exactement : « Son manque d’habitude des banquets, qu’ingénument elle avoua, l’amena à chanter une fois encore la louange de Jean Dolent, ce « Joubert de Belleville » chez qui elle fréquenta quelques semaines et dont elle parle depuis tant d’années. » Le texte de cet article, signé « L’Invité », paru dans L’Œuvre du premier janvier, page deux. Pour Jean Dolent, voir aussi note 16.
55 Aurel a près de trois ans de plus que Paul Léautaud.