Les commémorations de la mort de Guillaume Apollinaire
◄ La mort de Guillaume Apollinaire
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Guillaume Apollinaire, nous le savons, est mort le 9 novembre 1918, l’avant-veille de l’Armistice. Toute la presse était au guet de cet événement majeur ce qui fait que le dix millionième et un mort de la guerre a été inhumé quasi clandestinement.
Frustrés de ce silence, ses amis lui rendent encore hommage chaque neuf novembre1. Paul Léautaud s’y est assez peu rendu mais a décrit chacune des rencontres auxquelles il a assisté. Ces récits semblent les seuls témoignages de ces réunions.
Les première années, Guillaume Apollinaire ne remportait pas tous les suffrages ni tous les enthousiasmes. Il avait fait la guerre par devoir, parce qu’il fallait la faire mais était profondément pacifiste. D’autres ont avancé que cet engagement n’était que la réaction à sa rupture avec Louise de Coligny (dont il sera question note 50). Cette guerre a été tellement énorme, tellement monstrueuse, dix millions de morts, que peu appréciaient les pacifistes, même des années plus tard. Rachilde, par exemple, l’a toujours détesté. Il a fallu attendre cinq ans…
1923

On pourrait dire que tout a commencé par un article d’André Billy, une colonne et demie en une des Nouvelles littéraires du trois novembre 1923 :
Nous trouvons qu’on l’oublie trop, depuis qu’il est mort2, et que sa descendance est bien ingrate.
Après le texte d’André Billy, pour compléter la colonne, un texte de Jacques Dyssord3 « Guillaume Apollinaire et les Soirées de Paris4 ».
Les deux colonnes du centre, avec une photo de Guillaume Apollinaire et tenue militaire et la tête bandée, reproduisent trois poèmes : Les Colchiques, Le pont Mirabeau et Signe. Les deux dernières colonnes, sont d’André Rouveyre, sous le titre Parade.
Dans la page suivante, mais il s’agit peut-être d’un hasard, Léon Treich5 fait ressurgir cette vieille histoire des statues phéniciennes du Louvre.
Donc voilà, les hommages à Guillaume Apollinaire reviennent au jour.
C’est pourtant dans un autre journal que Paul Léautaud lit l’annonce d’une réunion au cimetière du Père-Lachaise. Le deux novembre il écrit à André Billy :
Paris le 2 novembre 1923
Mon cher Billy,
Je vois annoncer une cérémonie Apollinaire pour le 9 du mois6. Que serait-ce ? Si vous savez quelque chose, vous seriez bien gentil de me mettre au courant. Avis : je ne serai pas au Mercure ce tantôt : je vais me chicaner avec les Nouvelles littéraires.
Cela va devenir une habitude : je suis encore obligé de vous faire de grands compliments pour votre article des Nouvelles sur notre cher Guillaume. Pas seulement des compliments littéraires. Des compliments aussi pour le grand plaisir qu’il m’a fait. Tout le souvenir que je garde de notre ami en a été grandement content et heureux. Savez-vous que ce serait une idée à réaliser très sérieusement de mettre sur sa tombe cette merveilleuse chose : Il a manqué de gravité professionnelle. Vraiment. Je vois là plus qu’une boutade : une chose à faire, très sérieusement.
Vous serez bien gentil de me donner un exemplaire de votre Apollinaire vivant7 dès que vous le pourrez.
Amitiés.
P. Léautaud
La cérémonie aura bien lieu :
Vendredi 9 Novembre
Ce matin, messe à Saint-Thomas-d’Aquin pour Apollinaire (5e anniversaire de sa mort) et ensuite réunion au cimetière. Je suis arrivé le premier à l’église, à 9 heures moins le quart. La messe était pour 9 heures. Ensuite est arrivé Deffoux8. Puis Billy. Puis Mme Apollinaire9 avec Picasso et sa femme10. Nous sommes entrés dans l’église et nous nous sommes rendus devant une petite chapelle de côté où un prêtre célébrait sa messe. Rouveyre est arrivé ensuite, puis Jacques Dyssord, puis Pierre Varenne11 (le fils d’Annie de Pène12), puis le commanditaire des défuntes Soirées de Paris13.
Je n’avais jamais vu de si près ce que c’est que dire une messe. C’est à mourir de rire. J’avais pensé à me retenir. Le grotesque et la bêtise de la chose dépassent toute mesure. […].
Ensuite, départ pour le cimetière, Deffoux et Zavie14 nous quittent. Billy me présente Pierre Varenne, garçon charmant, visage d’un abbé malicieux. Nous prenons tous l’autobus à Saint-Germain-des-Prés. En passant devant un fleuriste, j’achète un bouquet de violettes pour la tombe. Rouveyre, qui est venu à l’église dans une petite auto qu’il a achetée récemment, va de même au cimetière de son côté. Je suis dans l’autobus avec Billy, Dyssord et Varenne. — Mme Apollinaire, Picasso et sa femme et le commanditaire des Soirées de Paris ensemble dans un autre compartiment15. Varenne et Dyssord racontent de ces histoires dont on ne sait qui les invente et qui sont souvent fort drôles. […].

L’autobus pris par le groupe en direction du cimetière du Père-Lachaise selon les informations aimablement données par Michel Koumany, secrétaire général de l’association des musées des transports urbains de France. Au premier plan, les banquettes de première classe figurant ce que Paul Léautaud nomme des compartiments.
Photo Musée des transports de Chelles, associée ici à une image Google street view pour le carrefour Saint-Michel/Saint-Germain.
Arrivés place Gambetta, nous descendons. Sauf moi, qui me suis déjà muni, tous achètent des fleurs pour mettre sur la tombe. Nous arrivons à celle-ci. Mme Apollinaire dispose les fleurs sur la pierre tombale, toute neuve, portant l’inscription : Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, car Apollinaire n’était nullement un pseudonyme, comme je l’ai cru pendant longtemps mais bien un des prénoms de notre ami. Nous restons un instant. Puis nous partons, Mme Apollinaire nous disant qu’elle reste encore un moment, seule. Elle est tout à fait charmante. Il paraît qu’elle entretient le petit appartement d’Apollinaire dans le même état qu’au jour de sa mort. On ne lui connaît pas de relations d’homme. De quoi vit-elle ? La pension de veuve d’officier et les droits d’auteur ne doivent pas faire gros ?
Picasso et sa femme et le commanditaire partent de leur côté. Nous restons Billy, Dyssord, Rouveyre, Varenne et moi. Nous traversons le Père Lachaise pour gagner l’entrée principale16. Nous regardons les tombes. Nous voyons celle de Balzac que je ne connaissais pas. Nous allons prendre un café chez un bistro du boulevard qui se trouve là. Puis nous sortons. Rouveyre nous quitte. Billy, Dyssord, Varenne et moi allons à pied jusqu’à la place de la République17. Là nous prenons le tramway pour aller déjeuner dans un restaurant de leur connaissance, au coin de la rue de Vintimille et de la rue de Clichy, je crois18. J’ai tout à fait négligé de regarder.
Varenne met pendant le déjeuner la conversation sur les bêtes. Je parle de ce sujet qui m’intéresse tant et sur lequel je sais tant de choses ou charmantes ou douloureuses ou révoltantes. Une femme qui déjeune à deux pas de nous, suit de très près tout ce que je dis et souvent dit à son compagnon : Il a raison ! — C’est charmant ! etc…
Varenne émet cette idée d’un groupement d’écrivains qui s’engageraient à prendre le plus souvent possible la défense de la cause des animaux, chacun dans le journal dans lequel il écrit. Si en effet on pouvait réussir cela, on pourrait peut-être en espérer des résultats.
En sortant du restaurant, Varenne nous quitte. Billy et Dyssord ont de l’argent à toucher aux Nouvelles Littéraires pour leurs articles dans le No sur Apollinaire. La rue de Milan est tout près. Ils décident d’y aller. Je les accompagne. Nous ne trouvons que Jacques Guenne19. Nous restons un moment à bavarder. Guenne me demande ce que deviennent mes feuilletons qu’on ne voit plus20. Je lui dis que, n’ayant pas reçu le mot de Maurice Martin du Gard21 me confirmant notre accord de l’autre jour, après s’être entendu sur ce point avec lui, Guenne, je ne sais si je suis ou non encore aux Nouvelles. Guenne me dit que Martin du Gard ne lui a rien dit, qu’il est en train de se marier22, qu’il le voit cinq minutes par jour, qu’il n’y a pas de doute qu’il sera d’accord avec lui et qu’il prend note de lui rappeler qu’il a un mot à m’écrire. Billy et Dyssord touchent leur argent : Billy 100 frs et Dyssord 75. Billy trouve que c’est fort maigre pour son article et se propose de l’écrire à Guenne.
Paul Léautaud a ensuite mis des années à retourner au cimetière du Père-Lachaise. On pourrait penser qu’il a cru que cette cérémonie de 1923 n’était que de circonstance pour le cinquième anniversaire de sa mort mais une lettre à André Billy datée du treize septembre 1923 confirme bien qu’il était prévu que la cérémonie soit annuelle (sans nécessairement une messe) :
J’ai laissé passer, sans y penser, l’anniversaire d’Apollinaire. Je l’ai bien regretté.
1936
Paul Léautaud n’était pas le plus assidu aux cérémonies. En fait il n’était assidu à rien. Ce n’est donc qu’en 1936 qu’il est revenu au Père-Lachaise :
Lundi 9 novembre
Cérémonie anniversaire mort d’Apollinaire, à sa tombe, au Père-Lachaise. Mme Apollinaire, son mari23, Fleuret24, Picasso, Dyssord, Rouveyre, Billy, Gonzague Frick25. La tombe fort bien entretenue, Mme Apollinaire garnissant de fleurs coupées fichées en terre tout le pourtour de la tombe. Son mari autant qu’elle, paraît-il, garde un culte à Apollinaire. Que de veuves, remariées, depuis le temps auraient oublié.
Ensuite un moment dans un café voisin. Là nous rejoignent Carco et sa femme, arrivés en retard. Tout le monde parle de choses et de gens auxquels je ne connais rien. J’entends de plus fort mal. Madame Apollinaire me demande si je voudrais venir un jour déjeuner chez elle avec Rouveyre. J’ignorais, ou j’avais oublié, qu’elle habite toujours l’appartement où est mort Apollinaire et où rien n’a été changé, me dit-elle26.
Rouveyre nous quitte. Il y a une réunion de Doriot27 à Saint-Denis. Il y va, pour un de ses dessins au Figaro, chaque samedi28. Gonzague Frick nous quitte aussi. Billy nous emmène déjeuner, Carco et sa femme, Picasso, Fleuret, Mme Apollinaire et son mari, et moi, dans un restaurant de l’avenue Parmentier.
J’ai en face de moi Carco et sa femme29. Ce doit être celle qu’il est allé chercher au Caire, qui a quitté pour lui une existence luxueuse. À un moment, il raconte que la précédente, si j’ai bien compris, a été casée par Sarraut30, par l’intermédiaire de Mme Paul Guillaume31, dans je ne sais quelle sinécure de tout repos, ce qui lui enlève un grand poids, car, certainement, d’ici une dizaine d’années, elle lui serait tombée sur le dos.
Mme Carco a raconté à ce sujet qu’elle s’est trouvée avec cette Germaine, — l’ancienne femme de Carco, — tout récemment chez Mme Paul Guillaume. Tout le monde s’attendait à les voir se crêper le chignon, alors qu’elles sont si bien tombées toutes les deux dans les bras l’une de l’autre, elle lui disant : « Si vous saviez, ma chérie, quel bonheur c’est pour moi ce qui vous arrive. J’en ai été tout de suite très heureuse quand je l’ai appris. »
La conversation venue sur le Mercure et Vallette. J’ai éberlué Carco en lui donnant des détails sur le patron qu’était Vallette, notamment sur ses procédés avec moi. Il a eu ce mot : « Personne n’aurait soupçonné cela. On disait : Léautaud est un original… » Je ne sais pas trop ce que Carco voulait entendre par là : ou qu’on ne pouvait s’attendre aux procédés de Vallette, ou qu’on s’étonnait que je reste ainsi employé, ou qu’on ne pouvait penser que je fusse payé si misérablement.
Mme Carco s’arrêtant à chaque instant, dans son déjeuner, pour un petit baiser à Carco.
Très sages propos de Fleuret sur l’attitude d’un artiste, d’un écrivain, devant la politique, les mouvements sociaux, les heurts et compétitions des partis. Se tenir à l’écart et ne pas s’en occuper. Plus sage que cet étonnant Gonzague Frick, qui, en littérature comme en politique, trouve le moindre fait d’une « importance considérable ». J’ai fini ce matin, en l’écoutant faire ainsi le médecin tant pis32 sur tout, par le plaisanter sur sa gravité.
Carco m’a demandé des nouvelles de Rachilde, si elle est toujours aussi folle. Quand il chantait ses chansons aux Noctambules, elle est venue l’entendre. À un moment, elle s’est mise à lui crier de sa place : « Chante Nous deux… » Toute la salle ne savait ce qu’il y avait.
Carco n’a plus sa mise de petit patron de bordel dans laquelle je l’ai rencontré un jour boulevard Saint-Germain33. La mise d’un bourgeois, tout en noir. Charmant et simple.
Au cimetière, comme on parlait du roman que Louise Hervieu vient de publier : Sangs, qu’elle m’a envoyé, pour lequel il est presque assuré, au dire de Fleuret, qu’elle va avoir le Prix de la Vie heureuse34, il nous a parlé de son illustration des Fleurs du mal, dans laquelle il y a des femmes étonnantes, de vraies femmes, avec des seins jusque là, (il montrait sa ceinture), pas des seins de bourgeoises, des seins pour faire l’amour ! sur un ton de vrai voluptueux.
∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ Une ligne de points. ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
Au café Fleuret a demandé un calvados. On lui a apporté un petit verre à liqueur. « Vous vous foutez de moi, a-t-il dit au garçon. Je vous demande du calvados. C’est pour boire du calvados. Donnez-moi un verre pour en boire. » On lui a apporté un verre à bordeaux, ou approchant.
J’ai dit à Carco, sa femme et Billy les épigrammes de Fleuret sur Duhamel et sur Mme Steinheil (mort de Félix Faure) qu’ils ne connaissaient pas, sans que Fleuret, à l’autre bout de la table, s’en doute35. Je crois les avoir notés.
J’ai tout de même esquissé une question, sur le propos de Billy : « C’est un curieux homme, ce Vollard ? — Lui ? Une brute ! Un homme qui ne s’intéresse à rien. » Il nous raconte que Vollard a, à Boisrond36, une maison qu’il a fait construire, qui lui a coûté deux millions. Elle est entièrement vide. Pas un meuble. Si, une chaise de paille. Sur le devant de la propriété, la maison du garde. « Je me contenterais facilement de la maison du garde, dit Billy, qui lui a coûté six cent mille francs. Un domaine immense. Neuf cents hectares. Vous voyez cela d’ici : neuf cents hectares ! Une petite ville ! Quelquefois, le dimanche, Vollard arrive, dans sa voiture. Il descend, s’assied sur le marchepied. Le gardien arrive, sa casquette à la main. Vollard demande : Rien de nouveau ? — Rien de nouveau, Monsieur. Vollard dit : Bon ! remonte dans sa voiture et repart. » Il a appelé en témoignage Picasso : « N’est-ce pas ? Picasso ! Vollard, sa maison de [Bois-rond]. Il n’y a rien dedans ? » Picasso : « Absolument rien. »
Billy raconte aussi ce que lui a dit un jour Vollard : pour gagner de l’argent, il faut dormir. Un jour, un Américain se présente chez lui pour acheter un Cézanne. Vollard se reposait. C’était après déjeuner. « Dites que je fais la sieste, que je ne peux pas recevoir. » L’Américain revient une quinzaine de jours après. Vollard était encore en train de faire la sieste. Il fait faire la même réponse. L’Américain revient encore, mais six mois plus tard. Pendant ce temps, les Cézanne avaient considérablement monté. « Vous voyez, lui dit Vollard, comme conclusion. Pour gagner de l’argent, il faut dormir. »
Billy raconte aussi que, rencontrant Duhamel après sa prise de la direction du Mercure, il lui dit : « Eh ! bien, j’espère que vous allez augmenter la rédaction ? — Augmenter tous ces gens-là, s’écria Duhamel. J’aimerais mieux fermer la boutique », donnant en exemple combien, lui, il se contentait d’une somme modeste : 15 000 francs par an.
Billy parlait à un moment de la diminution de ses moyens amoureux. « Ce n’est pas comme vous, me dit-il en plaisantant. Toujours jeune ! » Je l’ai fait rire, lui et Carco et sa femme, en leur racontant le mot de C. N37. la semaine dernière : « Il y a quelques jours, j’étais à une certaine occupation. Je me mets à dire : Il faudrait que j’aille un quart d’heure comme cela. — Présomptueux ! m’a-t-on répondu. »
Billy, Carco, avec leur travail incessant, leur production active, articles, volumes, se décrivant chacun de la main comme un homme sans cesse à écrire, leur vie extérieure, conférences, réunions, relations, moi, à côté d’eux, et tellement leur aîné, ayant si peu produit, n’allant nulle part, publiant si rarement quelque chose, et qui ne voudrais pas de leur carrière avec tout ce qu’elle comporte de travail et de servitudes, je me faisais l’effet d’un vieil écrivain démodé, achevé, oublié, se trouvant avec de jeunes célébrités. Carco m’a parlé de Madame Cantili38, citant des traits de ce récit montrant bien qu’il le connaît. J’en étais tout gêné. Je l’ai prié tout de suite de se taire, que c’est là une bien vieille histoire. Au train dont je travaille, je serai peut-être un écrivain posthume, avec mon Journal.
1937
Nous n’avons pas de certitude que Paul Léautaud se soit rendu au Père-Lachaise en novembre 1937. Il n’a rien noté à cette date dans son Journal mais le six janvier 1938 nous pouvons lire :
Visite de Mme Fernande Olivier. Comme je lui parle de l’incident Picasso-Marinetti39 au dernier anniversaire d’Apollinaire au Père-Lachaise, nous parlons peinture.
C’est tout ce que nous saurons.
1938
Mercredi 9 Novembre
Ce matin, réunion Apollinaire au Père-Lachaise. Déjeuner dans un café du quartier. Cette atmosphère de café, ces conversations ! Je rentre chez moi à 7 heures avec une gueule de bois complète : comme lorsque je m’écarte de ma vie très réglée.
[…]
Au cimetière, comme quelqu’un prononce le nom de Max Jacob, Salmon40 me parle de lui. Il me dit qu’il est resté l’homme de sa jeunesse, donnant tout ce qu’il a. Quand il lui arrive de toucher l’argent d’un livre, il le prodigue en générosités. Il vit toujours à Saint-Benoît-sur-Loire, endroit peu joli, paraît-il, d’abord parce que la vie y est moins chère, ensuite qu’il y est plus tranquille pour travailler. Il touche une petite rente depuis son accident (renversé par une auto, je crois)41. Salmon calcule qu’il doit avoir environ 7 000 francs par 42 pour vivre.
Il me dit que le chroniqueur judiciaire Géo London, quand il vivait à Montmartre, était comme Max Jacob, donnant à tout le monde. Il disait à tous : « Envoyez-moi des pauvres. »
1939
Mercredi 8 Novembre
J’ai oublié hier que c’est demain jeudi, le matin, la cérémonie Apollinaire. Deffoux était venu me le rappeler hier matin, et ce matin Paul Morisse.
Jeudi 9 Novembre
Réunion Apollinaire au Père La Chaise ce matin. Des manquants, et des nouveaux. Dans ceux-ci, Florent Fels43. Je lui dis : « Tiens ! je ne vous avais jamais vu ici. Vous connaissiez donc Apollinaire ? » Il me répond : « Comment ? Vous ignorez votre histoire de France. » Je lui réplique en riant : « Vous savez que vous venez de dire là une chose énorme. » Il ne comprend pas. Je répète : « Une chose énorme. Vous chercherez ce que je veux dire. » Ce Juif se vantant de mieux connaître l’histoire de France. Florent Fels m’a expliqué qu’il voulait dire qu’il a été dans les premiers qui ont connu Apollinaire à son arrivée à Paris.
Florent Fels m’a reparlé de Voilà, m’a réoffert d’y collaborer, en me donnant comme autrefois 1 000 francs par article, une exception, entendant qu’il ne donne pas ce prix à tout le monde. Il a toujours été charmant pour moi et se le montre encore par cette offre.
Après le Père La Chaise, déjeuner dans un restaurant de la place des Victoires : À Louis XIV. Aucun agrément. Mal installés. Serrés. Conversation sur la cuisine, les vins, les restaurants où sont mieux faits tels plats, où tels vins sont plus remarquables. Absolument sans intérêt pour moi. Je me suis retrouvé ce soir chez moi seul, avec plaisir, avec mon dîner de pain et de fromage.
Y a-t-il eu une réunion au Père Lachaise en 1940, 1941 et 1942 ? Vraisemblablement mais Paul Léautaud n’en a rien écrit.
1943
Lundi 8 Novembre
M[arie] D[ormoy] me téléphone ce soir. Elle a vu Mme Apollinaire. Elle ira, elle, demain matin à la réunion du Père-Lachaise. Mme Apollinaire viendra à 4 heures, à la Bibliothèque. Les Paulhan viendront également. On parlera certainement de l’affaire de la Pléiade44. Il serait bon que je sois là. Me voilà encore embarqué45.
Mardi 9 Novembre
Cérémonie Apollinaire. Adéma46 avec sa voiture à Cité Universitaire47. Les deux premiers au cimetière. Puis les gens arrivent. Au bout d’une demi-heure très nombreux. Puis Mme Apollinaire et Billy. Serge Férat. Salmon et sa femme48, Deffoux, Mme Picasso, Marie Dormoy, etc., etc. Reporters et photographes.
La tombe merveilleusement entretenue. Mme Apollinaire y arrange des fleurs apportées. À sa prière, Salmon, une vingtaine de mots parfaits. Mme Faure-Favier49 « Au revoir, mon cher Léautaud. Nous allons mourir. — Parlez pour moi, mais vous ! — Je ne suis pas si loin de vous, mon cher. » Invitation à déjeuner Paris-Midi.
Petit arrêt dans un café voisin, à une quinzaine. Vin blanc. J’en ai bu à peine. Plusieurs bouteilles. Au règlement, quand on établit la part de chacun, 100 frs.
Conversation Billy, Mme Apollinaire et moi sur la Pléiade. Elle donne son acceptation complète, y compris les poèmes à « Lou50 ». Billy lui-même ne s’attendait pas à cela si vite. Elle verra Gallimard cette semaine et le lui dira. Comme je lui parlais des questions matérielles à régler ensuite : « Je l’aurais donnée même sans droits. »
Ensuite en métro, jusqu’à la Bourse. Déjeuner dans un restaurant du quartier. Excellent, mais simple. Si ce n’est les vins. Un drôle de corps, par sa physionomie, n’arrête pas de me verser, malgré mes récriminations, qu’on appelle le Persan, qui me dit être venu me voir autrefois au Mercure, très bien reçu, ce qui me fait lui dire que cela m’étonne joliment. M’oblige à lui donner mon adresse. Viendra me voir jeudi. Tout le monde suspendu à m’écouter dans mes propos vifs, amusants, moqueurs, mes jeux de physionomie s’y joignant.
Ensuite départ à pied par la rue Montmartre, la rue Dauphine et la suite pour la Bibliothèque. Au début du chemin je dis à Férat mon admiration pour la tombe si bien entretenue, si couverte de fleurs : « Ce sera ainsi jusqu’à ma mort. »
Casanova.
1944
Jeudi 9 Novembre
Ce matin, réunion annuelle à la tombe d’Apollinaire, au Père-Lachaise. On ne sait trop à quoi cela rime, chacun restant là une demi-heure ou une heure à bavarder de bien autre chose. On y va quand même.
Adéma m’a pris dans sa voiture, à la gare du métro Cité Universitaire.
Son chien, un merveilleux briard de 10 mois, est mort d’une pneumonie, mal soignée par un sot vétérinaire, qui n’a eu l’idée de l’auscultation qu’à la troisième visite.
Au cimetière, Mme Apollinaire, Mme Picasso (l’ex), Louise Faure-Favier, Marie Dormoy, Mme André Salmon. Très sympathique, Mme André Salmon. Elle me fait toujours penser à ce genre de femmes d’artistes qu’on voit dans le livre d’Alphonse Daudet portant ce titre51. Où est le temps que je lisais ces sortes de livres. Il y a un autre livre de Daudet que je veux toujours lire : Trente ans de Paris52, je crois. Il y en a une édition illustrée chez un éditeur du boulevard Raspail, dont une des gravures montre un homme de lettres à la mode de ce temps arrivant chez Edmond de Goncourt pour une lecture53. Je suis entré une fois pour demander s’il n’y aurait pas un exemplaire défraîchi, abîmé, qu’on pourrait me vendre moins cher. On m’a envoyé au diable.
Comme hommes : André Billy, André Salmon, Serge Férat, ce peintre, homme si charmant, qui travaille pour les Éditions Gallimard et dont j’oublie toujours le nom54, Léon Deffoux, Adéma, un ou deux autres que je ne connais pas. Le charmant baron Mollet55 est arrivé un pot de fleurs à la main, l’a tendu à Mme Apollinaire et est parti aussitôt. Pas même une minute56.
Léon Deffoux n’a pas du tout été congédié de l’Agence Havas ou ancienne Agence Havas. X. raconte les choses tout de travers57. L’Agence Havas avait été transformée à Vichy en quelque chose comme Société Nationale d’Information. Rentré à Paris avec la « délivrance », ladite société a été à son tour changée en je ne sais quelle autre. Le vieux personnel a été mis à la retraite. Deffoux était dans la maison depuis trente-trois ans. Il a été mis à la retraite, comme d’autres, rien de plus. Ce qui ne l’empêche pas de dire : « J’espère que cela s’arrêtera là, car j’ai été au service du gouvernement de Vichy. »
Parlé avec Salmon dans un coin des proscripteurs littéraires qui se distinguent depuis quelque temps. Je lui ai raconté les deux soufflets reçus dans la même journée par les proscripteurs Mauriac, Duhamel et Valéry (le jeudi 21 septembre58). Je lui ai parlé de la réunion à la Société des Gens de Lettres pour le renouvellement du comité et de l’Écho, à ce sujet, des Lettres françaises59, dans lequel on s’étonnait de la présence, au milieu « d’honnêtes gens », de certains autres écrivains qu’on nommait et dont il était, et concluant que la prochaine fois il faudrait venir avec des mitraillettes. Salmon me dit qu’il ne s’est rien passé du tout, que personne ne lui a rien dit, qu’il a circulé très tranquillement, avec un confrère même qui s’amusait beaucoup et qui n’était autre que Clément Vautel60, qui, votant contre Émile Henriot61, a dit à Salmon : « Je vote contre lui comme stendhalien. » À propos de Mauriac, dont je lui parle, Salmon me rappelle, ce que j’ai bien lu dans le compte rendu en question, sans m’y arrêter, qu’il a eu 43 votes contre lui, et que certainement cela a dû le faire réfléchir, lui être même très sensible. Salmon paraît tenir Mauriac en grande estime comme écrivain et même comme homme. Il a voulu me persuader que depuis ce vote ses articles avaient beaucoup changé, sont souvent très intéressants.
La petite séance au cimetière terminée, on s’est rendu comme d’habitude à cet établissement où « on va boire ». Resté là une demi-heure à boire un verre, petit heureusement, d’affreux vin blanc. Grandes cordialités, grandes manifestations d’amitié de Billy, navré que je ne reste pas au déjeuner, si rarement que nous nous voyons. J’ai eu un regret de la façon dont j’ai dû parler de lui dans ce Journal depuis la « délivrance »62.
[…]
Je craignais qu’il y eût, dans cette réunion de ce matin, quelque échange de propos rivaux, assortis aux circonstances présentes. Il n’en a rien été. Tout le monde a été amis comme devant, ce qui est certes montrer plus d’esprit.
1945
Mercredi 7 novembre
Je crois bien que c’est dimanche matin la réunion Apollinaire au Père-Lachaise. Y aller m’assomme. Me traîner en métro jusqu’à la porte arrière du cimetière, me trouver encore là avec des gens, obligé de leur parler. Je partirai, en tout cas, dès la réunion terminée. Je n’ai aucune envie de prendre part au déjeuner habituel.
Seulement voilà, Paul Léautaud se trompe et confond le neuf novembre avec le onze.
Mardi 20 novembre
À propos de mon erreur, pour la dernière réunion annuelle Apollinaire, au Père-Lachaise, j’ai écrit sur-le-champ à Mme Apollinaire pour la lui raconter, afin qu’elle n’impute pas à mal mon absence. J’ai reçu tantôt une réponse d’elle, une lettre charmante, dans laquelle elle me parle des canards qu’elle a dans sa ferme des environs d’Amboise63, et qui sont accourus vers elle, à son retour de Paris, avec des cris de joie, presque comme autant de jeunes chiens. Je lui enverrai un exemplaire de ma plaquette Marly-le-Roy et environs, pour le passage « canards ».
Nous aurons la confirmation de cet oubli dans une lettre à André Rouveyre datée du premier décembre :
Je ne suis pas allé, en effet, à la réunion Apollinaire, ou plutôt je suis allé à mon jour. Figurez-vous que j’ai eu dans la tête que cette réunion a lieu les 11 novembre. Je suis donc arrivé au Père Lachaise le dimanche 11 novembre, et Dieu sait en m’étant démené de quelle façon pour quitter mon Fontenay-aux-Roses. Ne voyant personne, j’ai compris mon erreur. C’est le 9 qu’on se réunit.
1946
Samedi 9 Novembre
Ce matin, réunion Apollinaire au Père-Lachaise. À attraper la mort, ces affaires-là. Une bonne demi-heure à peu près immobile, les pieds sur la terre humide et glacée. J’en ai eu les orteils comme gelés, et n’ai retrouvé la chaleur qu’une heure après, en déjeunant au restaurant Cochet, rue des Quatre-Vents64, avec Marie Dormoy. […].
À la réunion Apollinaire, Billy, Tahon, Adéma, Gonzague Frick, Poulenc65, Louise Faure-Favier, Mme Salmon, d’autres que je ne connaissais pas. Billy tire de sa poche les feuilles de son article dans Le Monde illustré, orné d’une photographie remontant assez loin, sur laquelle j’ai vraiment un drôle d’air, assez romanesque et angélique, que je ne sais où ils ont été dénicher66. Billy me parle tout haut de cela. Il me présente de même un jeune journaliste qui désire écrire un article sur moi et serait désireux que je le reçoive. J’ai été obligé d’interrompre Billy, lui disant que nous n’étions pas réunis là pour nous occuper de choses de ce genre.
Mme Jacqueline Apollinaire présente, naturellement.
C’est terminé, Paul Léautaud ne retournera plus au Père-Lachaise. En 1947 il l’a envisagé, et l’a évoqué dans une lettre à Marie Dormoy datée du quatre novembre :
Avez-vous des dispositions pour aller à la cérémonie Apollinaire, dimanche, onze heures et demie ?
Moi, j’hésite, à cause de mon état, qui ne s’améliore pas. Je passe mes journées assis devant mon feu, les yeux fermés, à écrire dans ma tête ce que j’ai à écrire et que je n’écris pas.
30 octobre 1951
Reçu ce matin, du Président et des membres du Conseil municipal de Paris, une invitation à assister, le vendredi 9 novembre, à 11 heures, à l’inauguration de la rue Guillaume-Apollinaire. Elle doit être la partie de la rue de l’Abbaye, de la rue Saint-Benoît à la place Saint-Germain-des-Prés.
Il ne s’agit pas de l’ouverture d’une rue mais du renommage d’une partie de la rue de l’Abbaye, entre la rue Bonaparte et la rue Saint-Benoît. Il ne semble pas que PL, qui aura 80 ans en le 18 janvier suivant, s’y soit rendu.
Notes
1 Encore qu’après 2018 nous n’en sachons plus rien, il faudrait aller sur place, sans être sûr de l’heure. Aucune trace de ces commémorations n’a été trouvée. Deux petits sites se réclamant de Guillaume Apollinaire présentent chacun à peine quelques pages. L’un deux se revendique pourtant « site officiel ». Il serait bien que quelqu’un s’en occupe sérieusement.

2 Heureux temps où les gens, même les poètes, mouraient. De nos jours ils décèdent. Cela fait bien mesquin.
3 Jacques Dyssord (Jacques Moreau de Bellaing, 1880-1952), licencié en droit, poète et écrivain, ami d’André Billy qui écrira dans Le Pont des Saint-Pères, page 29 : « Sur Jacques Dyssord, c’est un livre que je pourrais écrire ». Dans sa critique des Poètes d’Aujourd’hui parue dans L’Œuvre du 11 mars 1930, regrettant son absence dans ce choix, André Billy écrira : « Il fallait y mettre le douloureux, le capricieux, le désenchanté Jacques Dyssord. »
4 Le premier numéro des Soirées de Paris, établie 278 boulevard Raspail, avait paru en février 1912. Guillaume Apollinaire, André Billy, André Salmon, René Dalize (1879-1917) et André Tudesq (1883-1925) en étaient les fondateurs. André Billy a abandonné en novembre 1913 après que la revue ait été rachetée par Serge Férat (note 13). Le dernier numéro est daté du quinze avril 1914.
5 Léon Treich (1889-1974), journaliste particulièrement prolifique.
6 Paul Léautaud n’indique pas dans quel journal il a lu cette annonce. Il y en aura le 9 novembre, dans Le Figaro (Courrier des Lettres, page deux), dans L’Intransigeant (Les Lettres, page deux), dans Comœdia (Nouvelles littéraires, page deux).
7 Paru à La Sirène, cette année 1923.
8 Léon Deffoux (1881-1945), journaliste, a écrit notamment sur l’académie Goncourt et sur Huysmans. Léon Deffoux est employé à l’agence Havas depuis 1909 et il deviendra chef du service des reportages en 1920. Léon Deffoux a été, de mai 1917 à janvier 1918, chroniqueur dans une trentaine de numéros du Mercure. Il sera aussi un chroniqueur régulier de L’Œuvre. Lire sa nécrologie par Alain Barbier Sainte Marie dans les Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro trois de 1994, pages 104-110.
9 Jacqueline Kolb (1891-1967), a épousé Guillaume Apollinaire le deux mai 1918, quelques mois avant sa mort. Les témoins du mariage étaient Lucien Descaves, Pablo Picasso, la musicienne Gabrièle Buffet et Ambroise Vollard.

10 Olga Khokhlova (1891-1955) est née à Nijyn, à 150 kilomètres au nord-est de Kiev, à l’époque en Russie. Elle est venue en France comme danseuse et a intégré plus tard la troupe des Ballets russes de Serge de Diaghilev. En mai 1917 Pablo Picasso avait dessiné les décors et les costumes pour Parade, le ballet d’Erik Satie sur un texte de Jean Cocteau dont l’idée était venue d’une toile de Georges Seurat. Cet à cette occasion qu’Olga et Pablo se sont rencontrés et mariés en juillet de l’année suivante.
11 Pierre Varenne (Pierre-Georges Battendier, 1893-1961), romancier, librettiste, journaliste et critique de music-hall. Un portrait de Pierre Varenne a été dressé par Auriant dans Vipère lubrique, page 156. On ne confondra pas Pierre Varenne avec son homonyme comédien (1920-2006).
12 Annie de Pène (Désirée Poutrel, 1871-1918), libraire, éditrice, journaliste, reporter et chroniqueuse pendant la Grande Guerre. Romancière, Annie de Pène animait à la fin de la guerre un salon littéraire qui avait gagné une solide réputation. Voir Dominique Clayer-Bréchemier : Annie de Pène, 1871-1918 : une femme de lettres à la Belle Époque, thèse de doctorat en littérature française.
13 Serge Férat (Sergueï Nikolaïevitch Iastrebzoff, ou Jastrebzoff ou Yastrebzov 1881-1958), ami intime de Guillaume Apollinaire. Peintre et décorateur, il a réalisé les décors et les costumes des Mamelles de Tirésias. Dans ses Souvenirs sur Apollinaire, Louise Faure-Favier a écrit que Serge Iastrebzoff a acheté le magazine Les Soirées de Paris en septembre 1913. C’est Serge Férat qui, après plusieurs échecs de Pablo Picasso, a dessiné le menhir surplombant la tombe de Guillaume Apollinaire.

14 Émile Zavie (Émile Boyer, 1884-1943), romancier et journaliste.
15 À propos des compartiments dans les autobus, voici la précision donnée par Michel Koumany, secrétaire général de l’Amtuir : « La ligne indiquée est sans doute possible la ligne O de la Cie Générale des Omnibus qui reliait la gare Montparnasse à Ménilmontant (place Gambetta). / Entre 1919 et 1938 les bus de cette ligne étaient dotés d’une caisse divisée en deux compartiments, de 1re classe à l’avant et de seconde classe à l’arrière. Les voyageurs montaient par la plate-forme arrière et empruntaient l’unique couloir central pour rejoindre leurs places assises. Les deux classes étaient séparées par une vitre mais sans porte d’accès intérieure ni aucune autre division dans chaque classe du bus. / Les places assises étaient disposées en carré, par groupe de deux banquettes disposées face à face. Ce groupe formait un compartiment de fait car il est difficile de communiquer avec d’autres voyageurs sans se pencher ou se retourner. C’est très probablement ainsi qu’il faut comprendre le mot “compartiment” employé par Paul Léautaud. »
16 Cette entrée principale est au sud-ouest, boulevard de Ménilmontant. Paul Léautaud indique « Nous traversons » parce que la tombe de Guillaume Apollinaire est au nord-ouest du cimetière, près de crematorium. D’autres années les réunions au café se feront plutôt vers la sortie nord, vers la place Gambetta, dans l’avenue du Père Lachaise où l’on trouve encore quelques cafés après les fleuristes et les marbriers.
17 En descendant le boulevard Voltaire, un peu plus de deux kilomètres.
18 Chacun des deux angles de ces rues a encore son café de nos jours.
19 Jacques Guenne (1896-1945), critique d’art, est administrateur délégué (des éditions Larousse) auprès des Nouvelles littéraires. Après Les Nouvelles littéraires, Jacques Guenne fondera L’Art vivant en 1924.
20 Paul Léautaud écrit ses chroniques dramatiques dans Les Nouvelles littéraires depuis avril et sa dernière chronique date du vingt octobre. Ce sera la dernière à traiter de théâtre et il sera remplacé par Fernand Gregh.
21 Maurice Martin du Gard (1896-1970), écrivain et journaliste, petit-cousin de Roger Martin du Gard (le grand-père de Roger était le frère du grand-père de Maurice) et fondateur des Nouvelles littéraires, dont le premier numéro est paru le 21 octobre dernier, 6, rue de Milan. Direction : Jacques Guenne et MMG, rédacteur en chef : Gilbert Charles.
22 Le huit décembre 1923, MMG épousera Henriette Oettinger (1892-1995, à 103 ans) qui lui donnera deux fils, avant de divorcer en 1944 pour épouser Marthe Macaux.
23 Jacqueline Apollinaire (note 9) ne s’est jamais remariée.
24 Fernand Fleuret (1883-1945), poète, érudit et mystificateur. Dans ses Souvenirs sur Apollinaire (Grasset 1945), Louise Faure-Favier dresse un singulier portrait de Fernand Fleuret, « Très satisfait de ressembler à un archer de la tapisserie de Bayeux. » Fernand Fleuret est l’auteur de l’Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, paru à la NRF en octobre 1926.
25 Louis de Gonzague-Frick (1883-1959), poète avant-gardiste et critique littéraire.
26 Guillaume Apollinaire habitait au 202 boulevard Saint-Germain, à l’angle de la rue Saint-Guillaume.
27 Jacques Doriot (1898-1945), homme d’extrêmes, après avoir été exclu du Parti communiste en 1936 a fondé la même année le mouvement fasciste PPF. En juillet 1941 il participera activement à la création de la LVF et combattra sous l’uniforme allemand sur le front de l’Est, avec le grade de lieutenant de la Waffen-SS. Après le Débarquement il se réfugiera en Allemagne, où il sera abattu par un avion allié.
28 Il faut croire qu’André Rouveyre n’a pas été très inspiré par Doriot puisque dans Le Figaro du samedi quatorze novembre c’est un dessin du violoniste Jacques Thibaud qui est présenté, page sept, après Les « Propos du samedi » d’André Billy (page six) sur Edmond Haraucourt.
29 Francis Carco, divorcé en novembre 1935 de Germaine Jarrel, vient d’épouser le 11 février dernier, Eliane Négrin (1892-1948), divorcée de l’industriel égyptien Nissim Aghion (1881-1957) qu’elle avait épousé en 1920. Voir le Journal littéraire aux 11 et 12 novembre 1936.
30 Albert Sarraut (1872-1962), cinq fois député (gauche) de 1902 à 1924, quatre fois sénateur de 1926 à 1945, quinze fois ministre entre 1914 et 1940, deux fois président du Conseil (en 1933 et 1936). Albert Sarraut est le frère cadet de Maurice Sarraut (1869-1943), trois fois sénateur.
31 Paul Guillaume (1891-1934), marchand et collectionneur d’art moderne, ami de Guillaume Apollinaire. Domenica (né Juliette) Lacaze (1898-1977) a épousé en 1920 Paul Guillaume. En 1941, Domenica Guillaume épousera Jean Walter (1883-1957), architecte et homme d’affaires.
32 Allusion à la fable de La Fontaine Les Médecins : « Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade / Que visitait aussi son confrère Tant-Mieux… »
33 Le 24 août 1932.
34 Louise Hervieu (1878-1954), peintre et lithographe surtout connue pour avoir illustré Les Fleurs du mal en 1922. Louise Hervieu a obtenu le prix Femina en 1936 pour Sangs, chez Denoël, 389 pages.
35 Les Épigrammes du Siècle — Anthologie des épigrammes contemporaines, établie par les soins de M. Pierre Charron, archiviste-paléographe. Pierre Charron (1541-1603) n’a évidemment pas écrit d’épigramme sur Georges Duhamel ni même sur Mme Steinheil. Les auteurs contemporains, non indiqués sur l’ouvrage, sont en effet Fernand Fleuret et André Thérive. D’autres auteurs avancent aussi le nom de Constant Bourquin.
36 Bois Rond, dans la forêt de Fontainebleau. Cette propriété sera rachetée par l’armée en 1952.
37 Marie Dormoy est parfois indiquée sous ces initiales dans le Journal Littéraire.
38 Le récit Madame Cantili a fait l’objet de la première « Gazette d’hier et d’aujourd’hui » dans le Mercure du quinze janvier 1921, page 548 et a été repris dans Passe-Temps, paru au Mercure le douze février 1929.
39 Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), initiateur du mouvement futuriste fonde la revue milanaise Poesia, parue en 31 fascicules de février 1905 à 1909. Soutenant le régime fasciste dès la fin des années 1920 il sera membre de l’Académie d’Italie Mussolinienne. Marinetti, qui a fait la plus grande partie de ses études en France, sera ensuite chevalier de la Légion d’honneur française en 1930.
40 André Salmon (1881-1969), poète, romancier, journaliste et critique d’art, défenseur du cubisme au côté de Guillaume Apollinaire. André Salmon est une vieille connaissance de Paul Léautaud, qu’il a rencontré en janvier 1907.
41 En août 1929, de retour de Saint-Malo la voiture a percuté un arbre. Le rétablissement a été long et compliqué. Suite à un procès à son assureur, Max Jacob a obtenu une pension qui a constitué l’essentiel de ses revenus.
42 Note de l’édition papier : « En blanc dans le manuscrit. » vraisemblablement le mot an.
43 Florent Fels (Florent Felsenberg, 1891-1977), critique d’art avant-gardiste, fondateur puis codirecteur de la revue Action (cahiers individualistes de philosophie et d’art), sera nommé directeur artistique de Radio Monte-Carlo en 1945.
44 La publication du volume des Œuvres poétiques complètes n’aura lieu qu’en décembre 1956, par Marcel Adéma (note 46) et Michel Décaudin accompagné d’une préface d’André Billy, 1344 pages. C’est encore de nos jours l’édition en cours.
45 « Me voilà encore embarqué » : Paul Léautaud était chargé de fluidifier les échanges un peu tendus à l’époque, entre ses deux amis André Billy et André Rouveyre, tous deux spécialistes de Guillaume Apollinaire.
46 Marcel Adéma (1912-2000), biographe et bibliographe de Guillaume Apollinaire, président de la Société internationale des amis d’Apollinaire, conservateur de la Bibliothèque de la Société polymathique du Morbihan. Marcel Adéma a également été Conseiller du Commerce extérieur de la France.
47 Cette phrase indique que Marcel Adéma a pris Paul Léautaud et peut-être Marie Dormoy à la station de métro Cité universitaire. Cette station est sur la ligne de sceaux qu’emprunte Paul Léautaud et proche du domicile de Marie Dormoy.
48 Jeanne Blazy-Escarpette (1882-1949) a épousé André Salmon (note 40) en 1909. André Salmon se remariera en 1945 avec Angèle Miey (1896-1991).
49 Louise Faure-Favier (1870-1961), écrivaine, journaliste et aviatrice amie de Guillaume Apollinaire (rencontré en septembre 1912) et de Marie Laurencin. En août 1907, Louise Faure-Favier a épousé Jean Ernest-Charles et lui a donné une fille, Chériane, qui épousera Léon-Paul Fargue en 1946. Louise Faure-Favier nous intéresse particulièrement ici pour ses Souvenirs sur Apollinaire (Grasset 1945, 242 pages) réédités en édition très bon marché (8 euros en e-pub) en octobre 2018 pour le centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire.
50 « Lou » est Louise de Coligny-Chatillon (Marie-Louise de Pillot de Coligny, 1881-1963) rencontrée par Guillaume Apollinaire en 1914. Jacqueline Apollinaire s’était dans un premier temps opposée à la publication de ces poèmes.
51 Alphonse Daudet, Les Femmes d’artistes, Alphonse Lemerre sans date (1884), 177 pages. Douze textes.
52 Alphonse Daudet, Trente ans de Paris — à travers ma vie et ses livres, édition originale illustrée par Bieler, Montégut, Myrbach, Picard et Rossi. Marpon et Flammarion 1888, 353 pages.
53 Cette gravure n’a pas été retrouvée précisément et il semble que la mémoire fasse pour une fois défaut à Paul Léautaud qui précise bien « je crois ». Une seule illustration pourrait à la rigueur correspondre, page 224, dans le chapitre peu flatteur réservé à Henri Monnier, rendant visite à l’auteur.

« …et dans l’ouverture de la porte se dresse une assez fantasque apparition. Figurez-vous un ventre, un faux-col, une face de bourgeois rougeaud et rasé, et un nez romain chaussé de lunettes. Cérémonieusement, le personnage salue et me dit : « Je suis Henry Monnier. »
54 Pierre Roy (1880-1950). Après plusieurs expositions au salon des Indépendants entre 1907 et 1914, Pierre Roy a participé à la première exposition des peintres surréalistes de 1925 à côté de Pablo Picasso. Le musée national d’art moderne (Beaubourg) possède, de Pierre Roy un Portrait de Guillaume Apollinaire d’après Giorgio de Chirico de 1914 dont un fragment est reproduit ci-dessous :

55 Sa Magnificence le Baron Jean Mollet (1877-1964), homme lettres surréaliste. Son titre de baron lui a été octroyé par Guillaume Apollinaire, dont il a été le secrétaire. Dans Souvenirs sur Apollinaire (Louise Faure-Favier), Apollinaire déclare « Jean Mollet consolide le mieux qu’il peut les pieds de ma table et de mes chaises et il a déjà tant de besogne avec le classement de mes livres ! » On peut lire dans le Journal littéraire au six avril 1944 une brève opinion de Marie Laurencin et de Paul Léautaud sur le baron Mollet.
56 Il se trouve que deux semaines plus tard, le 21 novembre, Paul Léautaud sera conduit à déjeuner avec le « baron Mollet » « au petit restaurant de marché noir, “Les Deux Bonnes Sœurs”, rue Dauphine ». « Je lui dis mon étonnement de son apparition si brève à la dernière réunion Apollinaire au Père-Lachaise. “Je ne voulais pas y manquer, mais il fallait que je reparte aussitôt. Un rendez-vous d’affaire. Vous comprenez…” Il doit gagner sa vie ainsi, plus ou moins courtier, intermédiaire, en tableaux, je pense. »
57 Pour cette rumeur, voir le Journal littéraire au 27 octobre 1944.
58 Journal littéraire au 21 septembre 1944 : « Ce matin, lettre de Duhamel. Il me fait part de l’exclusion de Bernard du Syndicat des Éditeurs, destitué également de ses fonctions de directeur et d’administrateur du Mercure. »
59 Les Lettres françaises du sept octobre 1944, page deux,
60 Clément Vautel (Clément-Henri Vaulet, 1876-1954), journaliste, romancier et dramaturge d’origine belge, surtout connu pour ses œuvres de haute tenue telles que Mon curé chez les riches (1923) ou Les Femmes aux enchères (1932).
61 Émile Henriot (Émile Maigrot, 1889-1961), poète, écrivain, essayiste et critique. Membre de l’Académie française en 1945, Émile Henriot sera critique littéraire au Monde. On ne confondra pas Émile Henriot avec Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information en janvier 1944.
62 La « délivrance » en question est la Libération. Paul Léautaud n’était pas « pro-allemand » stricto sensu (encore que…) mais, selon un mot de l’époque, souhaitait « plutôt Hitler que Léon Blum », pour des raisons d’ailleurs bien plus mesquines que réellement politiques. Sa plus grande crainte était le retour de ce qu’il nommait la « racaille » du Front populaire.
63 Jacqueline Apollinaire habite à Chandon, à trois kilomètres en aval d’Amboise.
64 La rue des quatre-vents relie la rue de Condé à la rue de Seine, ce qui indique que PL n’est pas resté au déjeuner suivant la réunion au Père-Lachaise.
65 Unique mention du musicien Francis Poulenc dans le Journal littéraire. Francis Poulenc (1899-1963), est le fils du fondateur de ce qui deviendra le groupe chimiste Rhône-Poulenc. Francis Poulenc a fait partie des musiciens du « groupe des six », en réaction contre le romantisme. Il aura lui aussi les honneurs de la radio. Ses Entretiens avec Claude Rostand seront diffusés d’octobre 1953 à février 1954 avant de paraître en volume chez Julliard en 1954 (225 pages).
66 Peut-être une photo issue d’une série d’Henri Manuel prise pour le Comœdia du 28 juillet 1926.