Par Maxime Hoffman
Cette page est publiée ici en toute liberté de fond et de forme par Maxime Hoffman, fidèle lecteur. D’autres passionnés seront toujours accueillis ici avec plaisir.
Voir aussi « Graver Léautaud » et « Ami, ou la mort du chien »
Liens internes :
Albert Samain, l’homme et sa littérature
L’ouvrage posthume Des Lettres 1887-1900
Paul Léautaud, à propos d’Albert Samain
En revanche, qu’en écrivait Maurice Boissard ?
Des lettres de Paul Léautaud dans Des Lettres d’une bibliothèque particulière
Notes
De nombreux hommes de lettres ont entouré Paul Léautaud, furtivement ou durablement.
Cet article est structuré en quatre parties distinctes. Les deux premières à savoir « Qui est Albert Samain ? » et ce qu’en disait/pensait Paul Léautaud, tandis que la suite de la chronique présentera des documents inédits envoyés par Paul Léautaud — qui ne manqueront pas d’intéresser le lecteur — disons-le, des lettres pour « Des Lettres »1.
Albert Samain, l’homme et sa littérature

Caricature d’Albert Samain (Linogravure originale, 70 x 70 mm, 2023, par MH)
Blotti comme un oiseau frileux au fond du nid,
Les yeux sur ton profil, je songe à l’infini…
Immobile sur les coussins brodés, j’évoque
L’enchantement ancien, la radieuse époque,
Et les rêves au ciel de tes yeux verts baignés !
Et je revis, parmi les objets imprégnés
De ton parfum intime et cher, l’ancienne année
Celle qui flotte encor dans ta robe fanée…
Il est toujours délicat — difficile — de rédiger une courte biographie sachant qu’une vie ne peut être résumée en un paragraphe. Si elle excède ce volume dernièrement cité, le lecteur sera noyé dans des détails qui risqueraient de le lasser. Alors, rédiger un paragraphe biographique sur un homme de lettres, encore plus délicat (ou difficile, encore une fois). Nous essaierons alors d’être succinct :
Albert Samain est né à Lille le 3 avril 1858. À la mort de son père, il doit commencer à travailler pour gagner sa vie dès l’âge de 14 ans à travers de nombreux « petits boulots ». C’est à partir des années 1880 qu’il s’installe à Paris et fait ses premières lectures publiques de poèmes. C’est, entouré d’Alfred Vallette2 et d’autres amis qui se réunissent rue Monsieur-le-Prince, qu’il se fait remarquer comme poète remarquable, principalement par François Coppée3. Il publie son premier recueil Au jardin de l’Infante en 1893, le succès est immense et immédiat. Pour ce livre, il reçoit en 1889 le prix de poésie annuel Archon-Despérouses4 ainsi que la récompense de 1 500 Francs.
Il collabore au Mercure de France jusqu’à sa mort le 18 août 1900 à l’âge de 42 ans, causée par une tuberculose.
Il est enterré à Lille au cimetière de l’Est le 21 août 1900(5).
Ses œuvres sont exclusivement des recueils de poésies, parfois édités de manière posthume, ainsi que des Correspondances, également d’éditions tardives. Citons de son vivant Au Jardin de l’Infante (1893 puis augmentée en 1897), Poème (collectif Le Monument, 1896), Aux flancs du vase (1898) et Le Chariot d’or (1900).
Cinq éditions in-vivo contre une dizaine post-mortem, avec une belle « biographie souvenir » d’Alfred Jarry6 publiée en 1907.
Paul Léautaud et Adolphe Van Bever7 réserveront dans leurs Poètes d’Aujourd’hui une rubrique consacrée à Albert Samain. C’est A. Van Bever qui en assure la notice l’année même de la mort du poète. La renommée d’Albert Samain ne faisait nul doute, et Van Bever l’a bien mentionné dans sa notice, tant l’œuvre que l’homme simple mais distingué, et distinguable des autres :
La simplicité de son attitude et de ses manières, la dignité de sa vie ne faisaient qu’ajouter de l’estime à la prédilection qu’inspiraient ses œuvres8.
Les morceaux choisis d’Albert Samain s’ouvrent sur, bien évidemment, L’Infante. S’en suit une série de quatorze poèmes.

Double envoi des Poètes d’Aujourd’hui par P. Léautaud et A. Van Bever – Tome 1, édition de 1908, coll. privée)

Exemplaire du Service de Presse envoyé à M. Ferdinand Herold
Léon Bocquet9 rédigea une biographie sur Albert Samain en 1905(10). Rien de plus normal et classique qu’à la sortie du recueil Des Lettres en février 1933, ce même M. Bocquet annonça la sortie de l’ouvrage regroupant les lettres dans la « Revue de la quinzaine » du Mercure de France de septembre de la même année11. Un éloge infaillible, plus de 30 ans après la mort de Samain, fait encore vibrer les chroniqueurs du Mercure et ses lecteurs :
La plupart de ces lettres sont de qualité et révèlent que le tendre et nostalgique Samain possédait une intelligence fine et pénétrante et un jugement ailé et perspicace. […] ; on le voit encore avec son tact charmant, ses pudeurs, ses spleens, ses doutes sur lui-même, ses scrupules d’artiste exigeant, une élévation spontanée de l’imagination […].11 bis
En plus de sa prose, Albert Samain est également intermédiaire occasionnel : c’est lui qui présenta Rachilde à son ami Alfred Vallette, probablement en mars 1885 au Bal Bullier, et fut même témoin du couple lors de la cérémonie12.
L’un des meilleurs amis d’Alfred Vallette, il fut très inquiet lorsqu’il apprit que je devais l’épouser. […]
— Vous comprenez, Rachilde, c’est moi qui vous ai présenté l’un à l’autre…
[…]
— Je comprends très bien ! Vous vous souciez beaucoup moins de mon bonheur que de celui de votre meilleur ami, et j’en suis touchée… car, en effet, il n’y a que cela qui compte : l’amitié.12 bis
Rachilde écrivait dans Portraits d’Hommes qu’elle avait envers Albert Samain des « allures cassantes » ; ce dernier ne pouvait se la représenter « autrement qu’une cravache à la main. »12 ter.
L’ouvrage posthume Des Lettres 1887-1900
Pourquoi cet ouvrage en particulier ? Je vais vous le dire : premièrement parce qu’il s’agit d’un recueil abouti de choix de lettres de Samain, parce que sa prose laisse sous-entendre ses talents de poète — et donnera envie aux lecteurs de cette chronique de s’y pencher, sans nul doute —, et enfin parce que la suite de cette chronique réserve des surprises sur ce livre.

Exemplaire du service de presse de M. Petitot, coll. privée
Les correspondants d’Albert Samain présentés dans cet ouvrage sont, pour certains d’entre eux, réguliers durant les treize dernières années de la vie de l’auteur :
Les noms sont listés par ordre d’arrivée dans le livre.
Raymond Bonheur13 | 26 lettres |
Anatole France | 1 lettre |
Odilon Redon14 | 1 lettre |
Paul Morisse15 | 25 lettres |
François Coppée | 11 lettres |
Georges Rodenbach16 | 4 lettres |
Antonio de La Gandara17 | 1 lettre |
Fernand Severin18 | 1 lettre |
Pierre Louÿs19 | 2 lettres |
Marcel Schwob20 | 1 lettre |
Paul Fort21 | 2 lettres |
Jules Renard22 | 3 lettres |
André Gide23 | 1 lettre |
Henri de Régnier24 | 1 lettre |
Charles Guérin25 | 1 lettre |
Eugène Demolder26 | 1 lettre |
Adolphe Van Bever27 | 2 lettres |
Jehan-Rictus28 | 1 lettre |
Félix Jeantet29 | 1 lettre |
Léon Bocquet | 1 lettre |
Parmi les destinataires avec qui les échanges étaient fréquents, citons :
Raymond Bonheur13 était un ami très proche d’Albert Samain. Durant l’année 1900, la maladie de Samain étant déclarée contagieuse, il s’installe dans une maison non loin de celle de son ami Raymond Bonheur, qui veillera sur lui jusqu’à son dernier jour.
Albert Samain et Paul Morisse s’écrivirent régulièrement très amicalement. Morisse envoyait des plaquettes d’ouvrages à Samain.
— Sa dernière lettre publiée30 :
La dernière correspondance de Des Lettres s’adresse à Léon Bocquet le 14 août 1900, 4 jours avant la mort d’Albert Samain. L. Bocquet écrivait déjà, du vivant du poète, des notes élogieuses à son sujet. Il en va de soi que la promotion de Des Lettres soit faite par son biographe (voir à ce sujet les notes 9 et 11).
Albert Samain lui écrivit qu’il se sent faible mais ne pense pas qu’il est en train de vivre ses derniers jours. En voici l’extrait :
Magny-les-Hameaux, 14 août 1900.
Cher Monsieur Bocquet,
[…] Quelle exagération toutefois dans l’inclination constante que vous donnez à mon âme vers la mort. Le pessimisme est moins vif. Toutefois, ma sœur, qui m’a toujours vu grave depuis mon enfance, a été tout à fait émue et bouleversée à la suite de vos pages, surtout que je suis sérieusement malade en ce moment…
Je vous demande pardon, mais vous voyez mon écriture ! Je constate avec stupéfaction que je ne peux plus écrire de mon écriture courante. Qu’est-ce que cela signifie ? Je suis tout à fait fatigué.
Je vous serre la main bien cordialement.
L’exemplaire d’où est tiré cet extrait provient d’une collection privée (nous y reviendrons un plus bas dans cette chronique) dont la mention manuscrite par le lecteur est apposée après le mot de Samain « moment… » :
moment…(1)
[…]
FIN
(1) Mort le 18 août 1900.
À présent, attardons-nous un peu sur ce que Paul Léautaud pensait ou écrivait à propos du poète.
Paul Léautaud, à propos d’Albert Samain
Dans le Journal Littéraire, Paul Léautaud mentionne seize fois Albert Samain. En voici succinctement le contenu augmenté de citations quand cela est pertinent, voire même, acide :
Samedi 26 Août 1905 : Paul Léautaud écrit au sujet des auteurs qui se « servent » des textes de Samain pour publier des choses à son insu.
Vendredi 18 Octobre 1907 : Rencontre de Raymond Bonheur, ami de Samain.
Mercredi 20 Mai 1908 : Représentation de Polyphème de Samain. Léautaud n’a pas apprécié :
[…] C’est froid, gris, faible. Cette idée de reprendre ce vieux thème n’a rien d’intéressant. C’est joué déplorablement, […]
Samedi 23 Mai 1908 : Mort de François Coppée et évocation de son entourage dont Samain, Mendès.
Mardi 26 Mai 1908 : Évocation des styles de poésies chez Samain, Jammes, Coppée.
Mercredi 26 Juillet 1922 : Paul Léautaud n’aime définitivement pas les écrits de Samain :
Collationné aujourd’hui Aux flancs du vase, de Samain, pour une réimpression […]. Rien de plus plat, de plus fade, que cette poésie de Samain. Son grand succès se justifie fort bien. […]
Jeudi 29 Octobre 1925 : Débat entre Paul Léautaud, Alfred Vallette et Louis Dumur31 : au sujet l’intérêt du public pour des choses « médiocres » :
[…] [Citant Dumur] « les raisons par lesquelles on plaît au grand public, ne sont pas d’un ordre bien élevé, comportent toujours un part de médiocre. Il est bien évident, par exemple, qu’il doit y avoir dans Samain, pour qu’il plaise autant, certaines choses médiocres, qui se retrouvent dans beaucoup de gens… » Valette change un peu de ton sur Samain, depuis quelque temps. Il a entendu parler de lui. Le Mercure va publier un livre sur lui, […]. Il finira peut-être par reconnaître la vérité, que Samain est un poète extrêmement médiocre dans sa préciosité. Cela a toujours été mon avis. […]
Mercredi 24 Octobre 1928 : Au sujet des ventes du Mercure :
[…] Il ne publie plus, depuis la guerre, que des volumes de vente assurée. Certains groupes d’œuvres : les Kipling, les Wells, les Nietzsche, les Régnier, les Duhamel, les Willy, les Samain, représenteraient de belles sommes si on vendait la propriété. […]
Mardi 18 Décembre 1928 : Remarque au sujet des auteurs édités appréciés/non-appréciés par les membres du Mercure :
Vallette et Bernard ont remarqué, Bernard venant de lire mon étude d’autrefois sur Régnier, et en parlant ensemble, qu’il n’y a pas au Mercure de volumes sur Régnier. Il y a un volume sur Samain. Il y a un volume sur Duhamel. Il y a un volume sur Gourmont. Sur Régnier, rien. […].
Samedi 1er Juin 1929 : Au sujet de l’écriture des manuscrits soumis au Mercure, Paul Léautaud cite les propos d’Alfred Vallette :
[…] Si je ne faisais pas cela, si j’envoyais tel quel à l’imprimerie, mais nous aurions 500 francs de correction. […] Voilà comme sont les auteurs, aujourd’hui. Non seulement ils écrivent des foutaises, mais encore ils ne savent pas le français, ni l’orthographe […]. Ce n’était pas comme ça de notre temps. Dieu sait si j’ai vu des manuscrits. Des manuscrits de Louÿs, de Maeterlinck, de Samain, de Gourmont. C’étaient pourtant d’autres bonshommes. Leurs manuscrits étaient clairs, écrit soigneusement. On pouvait les envoyer à l’imprimerie sans regarder. Aujourd’hui !… Je vous le dis : tous des sagouins.
Jeudi 9 Juillet 1931 : Au sujet d’une demande d’une note sur Samain de la part de Paul Léautaud, ce qui semblait l’embarrasser :
Un directeur de revue, à Lille, […] qui prépare un numéro spécial sur Samain, à propos des fêtes qui doivent avoir lieu là-bas prochainement, m’a écrit il y a quelque temps pour me demander quelque chose sur Samain et sur son œuvre. Je n’avais pas répondu. Nouvelle lettre ce matin, insistant pour que je lui réponde. Ma foi ! je lui ai répondu comme je pense.
Lundi 12 Octobre 1931 : Paul Léautaud mentionne que Jehan Rictus ne souhaite pas céder à l’offre « d’une perception » qui lui est faite par le sénateur des Basses-Pyrénées et ancien ministre Louis Barthou contre une « correspondance fort importante et intéressante de Samain ».
Jeudi 21 Avril 1932 : Évocation de la publication d’un volume de lettres de Samain.
Mercredi 21 Septembre 1932. Pour une affaire de gestion de personnel, Paul Léautaud est très en colère contre Alfred Vallette, et aussi excessif qu’à son habitude :
Je le tiens même pour ne pas savoir son métier, à voir les livres qu’il va publier la prochaine saison : le livre d’Orliac sur le Symbolisme, un livre sur Jarry, un livre de Bocquet sur Samain, un livre de Sémenoff sur Tourgueniev. Autant de volumes qui ne se vendront pas.
Mardi 1er Janvier 1935 : Paul Léautaud et Marie Dormoy, après leur déjeuner du nouvel an du midi, s’arrêtent pour discuter avec le gardien des ruines du Monastères de Port-Royal. Cet homme connait Raymond Bonheur (voir 13) chez qui est mort Albert Samain, son ami.
En revanche, qu’en écrivait Maurice Boissard ?
Contrairement à ce qu’en écrivait Paul Léautaud, le critique Maurice Boissard appréciait les représentations sur scène des œuvres d’Albert Samain.
Il est intéressant de remarquer que Paul Léautaud était parfois contradictoire dans ses propos. Ceci se remarque à de nombreuses reprises également dans les Entretiens radiophoniques menés par Robert Mallet (1950-1951). On peut alors se demander qui de Léautaud et de Boissard est Dr Jekill et Mr Hyde. Entre sincérité sentimentale et dire par solidarité professionnelle avec ses contemporains au siège du Mercure de France — réponse que nous n’obtiendrons malheureusement jamais —, le doute demeure.
Dans son Journal au mercredi 20 Mai 1908 Paul Léautaud décrivait que la représentation de Polyphème…
C’est froid, gris, faible. Cette idée de reprendre ce vieux thème n’a rien d’intéressant. C’est joué déplorablement, […].
Quelques jours après cette pensée sur Albert Samain notée dans le Journal de Paul Léautaud sortit le 1er juin 1908(33) une chronique plutôt honnête, et sans animosité acerbe que l’on peut connaître de Maurice Boissard, au Mercure de France — sans doute rédigée entre le 20 mai 1908 et la veille de la sortie de cette chronique — qui relate la pièce Polyphème jouée à la Comédie-Française et où, Maurice Boissard (Alias Paul Léautaud, ou l’inverse), assista :
Il faut féliciter la Comédie-Française, […]. L’œuvre le méritait et la preuve en a été le succès qui lui a été fait, aussi grand que lorsqu’elle fut jouée à l’Œuvre en 1904. S’il y a là comme une consécration pour la mémoire d’Albert Samain, la Comédie-Française y a gagné de son côté un spectacle aussi facile à monter que commode pour ses soirées et qui sera toujours applaudi. […]
Enfin, Maurice Boissard rappelle au lecteur la volonté-même d’Albert Samain de « désacraliser » le côté antique du mythe de Polyphème — seuls les noms des personnages le sont — pour le transposer dans l’époque contemporaine :
Il m’a semblé que c’était beaucoup se méprendre sur les intentions d’Albert Samain, qui n’eut certainement jamais la préoccupation de faire « antique » ni aucun souci d’érudition et de « couleur locale ». […] Ôtez de ces poèmes certains mots usuels, remplacez les noms grecs par des noms d’aujourd’hui, — le sien et celui des amis qui l’entouraient, — et vous aurez de petits tableaux de vie moderne, d’existence familière dans un coin de campagne, aussi près de nous, dans un genre plus fin, plus tendre et plus orné que les croquis de François Coppée. Ainsi en est-il absolument ainsi pour Polyphème.
Des lettres de Paul Léautaud dans Des Lettres d’une bibliothèque particulière
Le développement qui vient de suivre sur Des Lettres d’Albert Samain provient de la consultation d’un exemplaire de Service de Presse — poinçonné MF pour Mercure de France — de l’édition originale de 1930.
Ce volume, provenant d’une collection privée prêtée pour cette chronique, contenait quelques autres documents inédits que nous vous proposons dans ce qui suit.
L’ouvrage Des Lettres a été envoyé à M. Paul Petitot34 (1890-1979), rédacteur au journal L’Étoile de l’Est.
Le volume est truffé de soulignés ainsi que de quelques notes personnelles en marge de la main de M. Petitot au fil de sa lecture.
Des lettres manuscrites, écrites par Paul Léautaud alors secrétaire au Mercure de France, font parties de cet ouvrage. On sait, de plus, que M. Petitot, lecteur de Paul Léautaud, lui demanda certains de ses exemplaires. Ce que Paul Léautaud essaya de faire, du mieux possible.

Page de garde du livre Des Lettres de Samain, envoyé par Paul Léautaud, augmenté de l’ex-libris de M. Petitot.
Une belle dédicace de M. Jules Mouquet, coll. Privée
Paul Petitot a envoyé l’article de promotion des « Lettres » de Samain à Jules Mouquet (1867-1946), qui a aimé le livre. M. Mouquet (professeur d’université à Paris et compositeur) considérait Samain comme un “bon poète” et aimait ses lettres.
Mais quid de la dédicace de Jules Mouquet dans le livre de Samain… supposons lors d’une rencontre tardive.
Les deux lettres maintenant présentées seront reçues par Paul Petitot à 2 jours d’intervalle, concernant une histoire d’échange de livre avec un certain Maurice Perray, et dont Paul Léautaud demande le retour.
La situation, ubuesque dirons-nous, obligea Paul Léautaud à tourner de longues phrases, essayant d’expliquer le quiproquo (que lui-même, ne comprend guère).
25 avril 1933
Cher Monsieur
Vous avez dû recevoir, pour votre service de presse, l’exemplaire destiné à M. Maurice Perray, qui a reçu le vôtre et qui vient de nous le rapporter.
Je vous envoie votre exemplaire. Vous seriez bien aimable de nous retourner celui que vous avez reçu et que nous adresserons à son vrai destinataire.
Cordialement à vous
P. Léautaud.
27 avril 1933
Cher Monsieur
Je reçois ce matin votre exemplaire des Lettres de Samain. Je dis bien : votre exemplaire puisque l’envoi [qu’il porta] est à votre nom. Comment avez-vous lu ma lettre ? Je vous ai écrit qu’un M. Maurice Perray avait reçu par courrier l’exemplaire à vous destiné — que probablement vous avez dû recevoir le sien — qu’il nous avait rapporté votre exemplaire — que je vous l’envoyais et que vous vouliez bien me retourner le sien, que je lui ferais alors parvenir. Et vous me retournez le même exemplaire. Le vôtre. Je n’y comprends plus rien.
Je vous renvoie de nouveau votre exemplaire. Renvoyez-moi, si vous l’avez, celui destiné à M. Perray.
Cordialement
P. Léautaud.

Lettres manuscrites de Paul Léautaud des 25 et 27 avril 1933
Cette chronique sur Albert Samain s’achève en remerciant le lecteur d’être parvenu à la fin de ce texte. Loin d’être exhaustive concernant la — courte — vie du poète, le lecteur peut se faire néanmoins une idée de l’homme et de l’écrivain qu’il était.
Les ouvrages d’Albert Samain ne se trouvent guère que sur commande en librairie d’ouvrages neufs ; des recueils de poésies et de contes ont été réédités entre 2016 et 2020(35).
Avec un peu de chance et à prix modiques vous pourriez les trouver en librairie d’occasions ou bouquinistes. L’on découvre moins difficilement d’occasion l’une des éditions des Œuvres Choisies d’Albert Samain (éditions des années 1928 et 1931).
Notes
1 — Des Lettres, ouvrage recueil des « plus belles lettres » écrites par Albert Samain entre 1887 et 1900 ; Mercure de France, 1933, 221 pages. L’ouvrage est imprimé le 28 février 1933 à Orléans.
2 — Alfred Vallette (1858-1935) est un homme de lettre et fondateur du nouveau Mercure de France, à Paris, en 1890. Marié à Rachilde (romancière), ils se réunissent dans une arrière-boutique rue Monsieur-le-Prince pour construire le nouveau « Mercure » avec de nombreux hommes de lettres. Les locaux de la nouvelle maison d’édition se situent originellement au domicile du couple 15 rue de l’Échaudé (Paris). Entourés de Paul Léautaud, Rémy de Gourmont, Louis Dumur, Albert Samain, Jean Moréas, Charles Guérin et de bien d’autres encore, ils développeront les publications avant de s’installer en 1903 dans un hôtel particulier au 26 rue de Condé (Ancien hôtel de Beaumarchais qui y résida de 1763 à 1776).
3 — François Coppée (1842-1908) est poète et romancier, né et mort à Paris. Il est considéré par ses contemporains comme un poète du quotidien grâce à ses textes qui se lisent « aisément » mais toujours de manière romantique.
4 — Le prix de poésie annuel Archon-Despérouses est créé en 1834 et récompense, comme son nom l’indique, les deux ou trois « poètes de l’année ». Il est regroupé avec d’autres prix littéraires attribués par l’Académie française en 1969. Le dernier lauréat fut attribué en 1986 à Mme Olympia Alberti.
5 — Albert Samain repose au cimetière de l’Est de Lille. Après sa mort dans les Yvelines, il y est rapatrié et inhumé le 21 août 1900.
6 — Alfred Jarry (1873-1907) est un écrivain né à Laval et mort à Paris d’une méningite tuberculeuse à l’âge de 34 ans. Il est considéré comme l’un des fondateurs du théâtre de l’absurde avec son Ubu Roi (1897) et plus généralement du surréalisme. Ses écrits sont remarqués par Alfred Vallette, qui ne manquera pas de le publier au Mercure de France. Les piliers du « Mercure » assistent à ses funérailles parisiennes : Paul Léautaud, Octave Mirbeau, Paul Valéry, Rachilde et Alfred Vallette.
7 — J’ai écrit « Paul Léautaud et Adolphe Van Bever », mais en réalité l’ordre des noms dans les auteurs des Poètes d’Aujourd’hui est inversé. Le choix s’est fait, à en croire Paul Léautaud durant ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet (1950-1951), au tirage au sort.
8 — Extrait de la notice d’Albert Samain, dans les Poètes d’Aujourd’hui, page 201 (tome II) de l’édition de 1917. Cette dernière est une réimpression intermédiaire entre les deux dernières éditions dites « principales » des Poètes d’Aujourd’hui de 1908 et 1930.
9 — Léon Bocquet (1876-1954) est écrivain et poète. Descendant d’une famille d’agriculteurs du nord de la France, il mène des études de langues anglaise brillantes et fonde en 1900 le journal Le Beffroi (qui durera jusqu’en 1914). Il obtient le prix de poésie Archon-Despérouses en 1911 pour Les Branches lourdes (1910). Il est également historien de la guerre, correcteur de langues anciennes à l’Imprimerie nationale.
10 — Albert Samain, sa Vie, son Œuvre, avec un portrait et un autographe. Préface de Francis Jammes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18.
11 et 11 bis — Extrait de la « Revue de la quinzaine » du Mercure de France daté du 1er septembre 1933, page 407.
12, bis et ter — Extrait de Portraits d’Hommes, par Rachilde, 1930 (édition originale).
13 — Raymond Bonheur (1856-1934) est compositeur de musique. Il composa la musique des Élégies de son ami André Gide. Albert Samain fut l’un de ses plus grands hôtes. Connu pour ne produire que peu d’œuvres et lentement, on ne retiendra après sa mort que les mélodies qui accompagnent le livret Polyphème de Samain.
14 — Odilon Redon, de son vrai nom Bertrand Redon (1840-1916) est peintre et graveur symboliste. Ses inspirations proviennent des rêves et de l’ésotérisme. Dans sa lettre, Albert Samain écrit au « Cher Maître » et le complimente sur son travail qui l’a beaucoup touché lors d’une exposition.
15 — Paul Morisse (1866-1946) est traducteur et poète. Originairement libraire, il devient secrétaire de rédaction du Mercure de France aux côtés d’Alfred Vallette durant près de 20 années.
16 — Georges Rodenbach (1855-1898) est un poète et écrivain belge. Il fréquente les milieux littéraires et artistiques parisiens. Il meurt d’une appendicite le 25 décembre 1989 à l’âge de 43 ans. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.
17 — Antonio de La Gandara (1861-1917) est un peintre dessinateur (d’origine espagnole). Albert Samain lui écrit pour lui faire part, avec la timidité qui le caractérise, de son engouement pour ses peintures et dessins : « […] les adorables natures mortes, riches et fines comme des coulis longuement mijotés. ». Le peintre meurt d’un infarctus à son atelier au 22 rue Monsieur-le-Prince.
18 — Fernand Severin (1867-1931) est un poète francophone belge. Durant toute sa vie il restera fidèle à son style classique, déclinant la nature dans ses poésies. Il sera intégré dans la deuxième édition des Poètes d’Aujourd’hui en 1908 par A. Van Bever et Paul Léautaud.
19 — Pierre Louÿs (1870-1925) est un poète et écrivain français, proche de François Coppée. Il publie Aphrodite au Mercure de France en 1896, son premier roman.
20 — Marcel Schwob (1867-1905) est un écrivain français. Marié à la grande actrice des planches Marguerite Moréno, le couple était proche de Paul Léautaud.

Envoi de Paul Léautaud à Marguerite Moréno du Tome I du Théâtre de Maurice Boissard (1926 ; coll. privée, DR)
21 — Paul Fort (1872-1960) est un poète français très prolifique. Ses œuvres ont eu énormément de succès, rééditions posthumes également.
22 — Jules Renard (1864-1910) est un écrivain français. Hormis son roman Poil de Carotte (1894), il est également connu pour son Journal : 1887-1910 édité à titre posthume de 1925 à 1927.
23 — André Gide (1869-1951) et un écrivain français. Très populaire de son vivant pour ses romans et ses pièces de théâtre, il obtient en 1947 le prix Nobel de littérature. La vie d’André Gide a fait couler beaucoup d’encre (controverses, critiques).
Hormis Paul Léautaud, Julien Green (qui admirait l’écrivain en Gide) l’évoque très régulièrement dans son Journal avec des « rencontres » dans les pissotières de Paris :
« 6 janvier (1932). Hier déjeuné avec Gide. Il me dit courir de plus en plus dans la rue et s’arrêter sans cesse dans les pissotières. ‘‘Malheureusement, dit-il, je crains que cela ne tourne à la manie. […] Beaucoup de mes aventures ont commencé là. Et puis venir en contact avec tant d’inconnus, leur parler…
« Dimanche 22 mai (1932). […] professeur et fait à Gide cadeau de deux beaux élèves de quatorze et quinze ans, à l’issue d’un déjeuner où les jeunes convives se paffent et tombent dans les bras de l’Immoraliste. »
(Extraits du Journal Intégral, Julien Green, tome I, Bouquins, 2019).
24 — Henri de Régnier (1864-1936) est un écrivain et poète français. Paul Léautaud, qui en avait une grande admiration, lui consacra quelques écrits, dont « Henri de Régnier, par Paul Léautaud » (1904) et Le Petit Ami (1903) à qui il dédie son texte en première page.
25 — Charles Guérin (1873-1907) est un poète français. Il obtient le prix Archon-Despérouses en 1902. Il meurt à l’âge de 33 ans des suites d’une santé fragile aggravée d’une mélancolie — le mal du siècle — provoquée par sa sensibilité et un amour complexe avec sa compagne Jeanne Blumer.
26 — Eugène Demolder (1862-1919) est un écrivain de nationalité belge, publiant en français.
27 — Adolphe Van Bever (1871-1927) est un grand bibliographe de son époque. Ami d’enfance de Paul Léautaud depuis l’école communale de Courbevoie, ils seront colocataires à la fin des années 1890 et collaboreront ensemble sur les éditions des Poètes d’Aujourd’hui. Van Bever meurt à l’âge de 55 ans d’une forme grave de la syphilis touchant la moelle épinière, qui lui provoquera de terribles douleurs durant sa vie.
28 — Jehan-Rictus (de son vrai nom Gabriel Randon), né en 1867 et mort en 1933, est un poète français célèbre de son vivant pour avoir publié des textes en langue populaire. Il fut également chansonnier et se produisit dans les grands cabarets des Quat’z’arts et du Chat noir.
29 — Félix Jeantet (1855-1932) est un journaliste, critique d’art et écrivain français. Il et un proche de François Coppée.
30 — Dernière lettre du recueil Des Lettres d’Albert Samain, page 221.
31 — Louis Dumur (1863-1933) est un écrivain suisse. Il arrive à Paris fin des années 1880 et refonde, au début des années 1890 avec Alfred Vallette, le Mercure de France, maison d’édition grâce à laquelle ses écrits remportent le succès. Il meurt en mars 1933 des suites d’un cancer du larynx. Paul Léautaud, dans son Journal Littéraire, détaillera la longue et lente perte d’énergie de l’écrivain jusqu’à sa mort.
Paul Léautaud écrit à son sujet une touchante anecdote :
« Rentré au Mercure, j’apprends ce détail amusant. Le cercueil de Dumur installé sous la voûte, recouvert du drap mortuaire, les couronnes placées dessus, la chatte de la concierge est allée s’installer là, assise sur son derrière, très tranquille. L’employé des pompes funèbres a attendu un moment favorable pour la faire partir très doucement, ajoutant que chaque fois qu’il y a un convoi dans une maison dont la concierge a un chat, on voit toujours celui-ci venir s’installer sur le cercueil. La chose ici se double d’un détail touchant. La chatte de Mme Izambard montait souvent chez Dumur. Dès qu’il l’entendait, il lui ouvrait. Si elle s’installait sur sa chaise ou dans son fauteuil, il prenait un autre siège pour ne pas la déranger. Elle lui a tenu plus d’une fois compagnie sur son lit, quand il lui arrivait, dans sa maladie, d’être obligé de rester couché. » (31 mars 1933)
33 — Comédie-Française : Polyphème, drame antique en 2 tableaux et en vers, d’Albert Samain, musique de M. Raymond Bonheur […]. In Le Théâtre de Maurice Boissard, tome I, pages 68-77, Mercure de France, 1958.
34 — Paul Petitot (1890-1979) est connu pour être un fervent militant politique et cheminot dans sa région dans la Haute-Marne. Il est également rédacteur du journal L’Étoile de l’Est.
35 — 2016 : Œuvres poétiques complètes. Albert Samain. Bibliothèque du XIXe siècle. Classiques Garnier éditeur. 793 pages.
NB : Les œuvres d’Albert Samain se trouvent aujourd’hui (et depuis de nombreuses années) en domaine public. Leur consultation peut se faire aisément numériquement.