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Le Divan de mai 1925
Les Nouvelles littéraires de l’été 1925
Les Nouvelles littéraires du 27 juin
Les Nouvelles littéraires du sept juillet
Notes
Les six premiers mois de 1925 ont été une belle saison Fagus, qui l’a commencée en publiant, à la fin du mois de janvier et au tout début de février ses Éphémères au Divan (150 pages). Sur l’exemplaire de presse envoyé au Mercure, Fagus a tracé :
À qui que ce soit du Mercure
Soit cet ours offert, au hasard,
Mais sauf à Maurice Boissard
Car il porte dès sa figure
Son âme de damné rossard,
Et de pendard, et de gueusard,
De communard, de dreyfusard,
Et pour tout dire : de Boissard !
Fagus

Dans le numéro du Mercure du premier avril, Jean de Gourmont1 conclut sa rubrique de Littérature par cette page (172-173) :
Que dire des Éphémères de Fagus ? Ce sont des divagations spirituelles, des éclairs de poésie dont le charme réside dans la diversité de l’inspiration et dans la qualité de la langue.
Le sujet du livre, c’est l’âme éparpillée du poète, qui se souvient de ses émotions réelles et de ses rêves tout aussi réels, y mêle ses lectures, l’histoire, la mythologie et parfois se met à danser ses pensées sur une flûte d’un sou.
Sur la première page du volume, je trouve une dédicace que je transcris :
Suivent les huit vers lus plus haut.
Souhaitons que Boissard2 réponde avec la même cordialité à ce septain et sur des rimes en us. Je les publierai.
Jean de Gourmont
Journal de Paul Léautaud au seize avril :
Jeudi 16 Avril
Fagus a écrit à Jean de Gourmont une lettre à mon sujet, à propos de la reproduction qu’a faite Jean de Gourmont dans sa Chronique de littérature, des vers me concernant et mis par lui en envoi à un petit volume qu’il a publié récemment au Divan. Jean de Gourmont a envoyé cette lettre au Mercure, pour qu’on la publie, si on veut, dans les Échos, Fagus y ayant mis lui-même cette note : À publier si bon vous semble.
Dumur3 m’a dit cela tantôt et qu’il me montrera cette lettre, car on ne la publiera que si j’y consens. Il paraît qu’elle contient certaines choses… Dumur me la montrera demain matin. Je lui ai déjà répondu qu’on peut dire de moi tout ce qu’on veut, que je m’en moque complètement.
Vendredi 17 Avril
Dumur m’a donné ce matin à lire la lettre de Fagus. C’est de la folie. À un endroit, il me traite d’un des trois meilleurs prosateurs d’aujourd’hui, et à un autre il me trouve plus vif, ou autant, que Mirbeau et que Bloy. Il a encore dû écrire cela étant saoul. J’ai dit à Dumur, comme hier, qu’il peut publier s’il le veut. Le plus curieux, c’est que les gens croiront que je suis mal avec Fagus, alors que nous sommes très bien ensemble. En disant à Dumur de publier, j’ai ajouté : « Cette lettre fera plaisir à des tas de gens. »
« Échos » du Mercure du premier mai, page 860 :

Fagus et M. Boissard. — À la suite de mon articulet sur son livre Les Éphémères, où j’exprimais le vœu que Boissard répondît par un septain spirituel aux vers cités du poète fantaisiste, Fagus m’envoie cette lettre « à publier, si bon me semble ». Elle m’est ainsi adressée :
Monsieur Jean de Gourmont, au Mercure de France
(Un noble alexandrin éjecté sans souffrance).
Jean de Gourmont
Ce 2 avril 1925.
Non, Confrère Jean de Gourmont, non : Maurice Boissard ne me répliquera ni par septain ni par sixain. Et pourquoi ? Parce que la poésie lui demeure interdite comme le pater aux ânes, la langue française à Albalat4, l’intelligence à Paul Souday5. Un jour, dans les Nouvelles Littéraires, il narra sa villégiature (était-ce à Deauville ? peu importe6) et, fantaisie, ou ambition, lui prit d’insérer là un quatrain7. Oh ! le navrant spectacle ! Eh bien, puisque nous sommes encore en carême, il faut que je confesse mes criminelles ardeurs. Oui, c’est à cause de quoi je nourris pour Boissard un amour contre nature. Non que je brûle de forniquer avec l’écrivain de Petit Ami. Mes intentions sont pures. J’aime en Boissard, moi poète lyrique et parce que, le prosateur pur, le prosateur par excellence. Certains sont des lyriques en prose, tel Michelet, lequel se vantait de n’avoir jamais réussi un vers : et parbleu, son rythme était ailleurs. En d’autres, le poète est mort jeune, mais il en reste toujours quelque chose. Boissard, lui, n’a jamais conçu que prosaïquement la vie et les hommes. Quelle supériorité ! Je le déclarais l’un de nos trois ou quatre prosateurs par-dessus tous : Klingsor8 me répondit que des trois ou quatre il retrancherait volontiers un ou deux, au moins. Et Klingsor est judicieux. Oui, Boissard a l’âme basse, il ne conçoit rien à nul sentiment quelque peu noble. Je le soupçonne même « d’en remettre », oui : de représenter moins Diogène qu’Antisthène et son manteau9 aux trous faits exprès. Il ne m’en ravit que mieux. Il est cela, il est comme cela, mais il l’est franchement. Au lien que tant d’autres, Léon Bloy ou Mirbeau, pour ne citer aucun nom, furent au moins aussi vils, mais cauteleusement, et se donnant les gants d’être de grands cœurs. (Et j’oubliais Anatole France.) Et c’est pourquoi, lyrique impénitent, j’aime, que dis-je aimer, j’idolâtre Boissard ; tant il est démuni de toute poésie, tant il possède ce que je désire ne posséder jamais, tant il figure le prosateur par excellence.
Votre confrère,
Fagus
Cela fait près de deux ans que Maurice Boissard ne rédige plus de chronique dramatique aux Nouvelles littéraires mais on y trouve de temps en temps des chroniques d’ordre plus général comme « Mademoiselle Barbette » en février, des « Souvenirs d’enfance » en mai, « Mes souvenirs de Pierre Louÿs » en juin et, les 27 juin et quatre juillet, deux chroniques sur Fagus.
Le Divan de mai 1925
En mai 1925, la revue mensuelle d’Henri Martineau Le Divan publie un numéro spécial Fagus dont voici le sommaire :

Contrairement aux couvertures reproduites dans leautaud.com toujours fidèles, il s’agit ici d’une couverture jamais vue et reconstituée. Ce numéro est introuvable sauf à y mettre des sommes inconvenantes mais le texte du sommaire est exact. La couleur de la couverture changeait avec les années. Nombreux numéros (sans couverture) chez Gallica.
De ces pages très mal scannées (manque de crédits) a été extrait le très intéressant chapitre de « Notes sur Fagus » par Henri Martineau que l’on peut télécharger en PDF ci-après, très précisément reconstitué, ligne à ligne, depuis le mauvais scan de Gallica.
On peut y lire ceci :
Fagus m’a juré qu’il ne lirait pas ce numéro du Divan à lui consacré. Ne m’avait-il pas interdit tout aussi bien de mettre en chantier ce recueil d’hommages. Il m’écrivait : « Souffrez que je me répète et vous apporte des raisons. Avez-vous fait un numéro Vielé-Griffin, un numéro Saint-Pol-Roux, un numéro Claudel, un numéro Francis Jammes (etc…) ? Et quelque revue en a-t-elle fait ? Or ils sont mes aînés de toutes manières. Donc il sied de commencer par eux. »
Depuis, Fagus a cédé. Il ne s’est jamais rendu.

Ci-dessous le numéro de ce Divan de mai 1925 récupéré chez Gallica qui a été ici recadré et un peu arrangé. Un dépoussiérage en profondeur, serait très nécessaire tant on a l’impression que ce scan a été fait dans une poubelle.
Les Nouvelles littéraires de l’été 1925
À près de sept semaines de ça, nous lisons dans le Journal de Paul Léautaud :
Jeudi 18 Juin
À l’imprimerie tantôt pour corriger mon feuilleton sur Fagus (choix des lettres que j’ai de lui). Appris qu’il fait au moins les ? d’une page, et il y avait encore à ajouter le « chapeau » que j’ai écrit hier au soir et que j’apportais à composer. Décidé avec Martin du Gard de le reporter au numéro suivant, pour en faire une page entière, comme on fait pour les « nouvelles »10.
Jeudi 25 Juin
Aujourd’hui à l’imprimerie des Nouvelles pour la mise en page de ma chronique (premier morceau des lettres de Fagus). Mardi dernier, Martin du Gard a renoncé à la page entière et s’est décidé à la donner en deux feuilletons. J’aurais mieux aimé en une fois, mais d’autre part j’y gagne comme argent. Ce premier morceau est même si long qu’on l’a placé en colonnes au lieu de la forme feuilleton11, pour les nécessités de la mise en page.
Les Nouvelles littéraires du 27 juin
Je fais une diversion dans ma suite de feuilletons. Le lecteur en sera certainement enchanté.
Le Divan, la petite revue que dirige si bien M. Henri Martineau12 vient de publier un « numéro spécial » dans lequel des écrivains et des amis de Fagus rendent un juste hommage à son talent.
Je veux m’associer à ma façon à cet hommage.
J’ai d’ailleurs à rembourser à Fagus un tour qu’il m’a joué l’année dernière en me faisant présenter dans les journaux comme candidat à l’Académie Goncourt, à propos d’élections qui allaient avoir lieu13. On sait qu’il faut avoir maintenant soixante-dix ans et même plus pour entrer à l’Académie Goncourt. J’ai dû passer pour un tout à fait vieux monsieur aux yeux de bien des gens. J’ai trouvé que Fagus avait un peu dépassé la mesure.
Je pense le plus grand bien de Fagus, « mon ennemi intime », comme il se qualifie, ainsi qu’on le verra. L’écrivain, d’abord, le poète, plein de naturel, pittoresque, extrêmement lettré, et, comme poète, aussi simple qu’émouvant. L’homme, ensuite, si bien pareil à ce qu’il écrit (mérite plus rare qu’on ne croit), si franc, si simple, si désintéressé, si amusant, écrivant pour son plaisir, sans souci de l’opinion ni des résultats, vivant dans son coin, sans rien demander à personne. J’ai du goût pour les originaux et comme homme et comme écrivain Fagus est un original, dans les temps littéraires que nous vivons,
Nous nous rencontrons presque chaque jour, à midi, à l’heure du déjeuner, lui venant de son Hôtel de Ville14, moi de mon bureau du Mercure. Dès qu’il me voit, il m’arrête. Nous restons à bavarder, un quart d’heure, une demi-heure, tant il a l’esprit toujours éveillé. Quand il- habitait rue Dauphine, c’était dans cette rue qu’avaient lieu nos stations. Depuis qu’il habite rue Visconti15, c’est rue de Buci, quand il sort du « bouchon » où tels ses ancêtres les poètes francs buveurs ; il va rafraîchir sa verve.
Par quel prodige nous entendons-nous si bien, Fagus et moi ? Dieu sait si nous avons des points contraires. Il est affreusement catholique et je ris de la religion. Il est royaliste et je serais bien embarrassé de dire ce que je suis. Il est patriote en diable, et cette idolâtrie me fait pitié. Il est souvent altéré, et je suis la sobriété même. Il est rond et coloré, et je suis mince et plutôt pâle. Il va mis n’importe comment, et je suis, à en croire son jugement, jugement péjoratif de sa part, élégant ! Il est fonctionnaire, enfin, et il aura des rentes pour ses vieux jours, alors que je mourrai probablement sur la paille. Eh bien ! je le répète, nous nous entendons néanmoins le mieux du monde. Il est vrai que c’est à notre façon. Tous les deux vous savons rire, de nous pour commencer, et des autres ensuite. Nous nous moquons l’un de l’autre, nous nous couvrons mutuellement de sarcasmes dont nous nous amusons tous les deux. Si vous nous surpreniez dans nos entretiens, vous verriez souvent Fagus diriger sur moi un index menaçant, pendant que je me sauve en riant. C’est une vraie comédie.
Je me rappelle une des plus amusantes de nos rencontres. Fagus venait de s’installer rue Visconti. Nous nous étions rencontrés au coin de la rue de Buci et de la rue Mazarine. Nous nous tenions là sur le bord du trottoir. Accompagnant ses propos de gestes de sa main pour mieux retenir mon attention, il me faisait l’historique de la rue Visconti et m’énumérait les hôtes illustres qu’elle a comptés avant lui : le poète Des Yvetaux16, Racine, la Champmeslé17, la Clairon18, Adrienne Lecouvreur19. Balzac… À chaque nom, il ôtait son chapeau et saluait cérémonieusement. Il en vint à un moment à prononcer mon nom. Il allait répéter sa salutation. Bien vite il se reprit. « Ah ! non ! » s’écria-t-il en enfonçant, vigoureusement, son chapeau sur sa tête. C’était si spontané, si naturel, si drôle !… Il m’a joliment fait rire ce jour-là.
Quelles lettres amusantes il m’écrit, aussi, on va pouvoir en juger. Il a quelquefois à compléter ou préciser un point de notre conversation, ou à me mettre au courant d’un événement, ou à me dire en surplus pis que pendre — il ne s’en prive pas — sur mon compte. Alors, il m’écrit, de grands feuillets, que je trouve sur mon bureau du Mercure apportés par lui-même, sous des enveloppes administratives. C’est lui encore tout entier, dans ces lettres. C’est sa conversation qui continue. Les lire quand on le connaît, c’est l’entendre parler.
Je lui ai dit un jour : « Vous verrez, je vous ferai une surprise. Je publierai un choix de vos lettres20 ».
La petite manifestation du Divan rend le moment favorable. Fagus pourra voir, en ouvrant les Nouvelles ce matin, que j’ai tenu parole.
Maurice Boissard
Ce 31 janvier 1922.
Mon cher contemporain,
C’est pourtant vrai que vous dégringolez vers vos cinquante ans ! Vous, — je crois voir encore, — si beau (et le sachant), voici un quart de siècle, sous vos épaisses boucles noires savamment entretenues ! Hélas ! ce que c’est que nous : Alcibiade vieillit en Antisthène, et il en va toujours ainsi.
Eh bien, non : je prétends démasquer le don Juan périmé qui entend nous la faire au Jean-Jacques ou au Chodruc-Duclos21. Vous vous plaigniez hypocritement de devoir recourir aux ficelles22, faute de lacets « potables » (comme dit M. de Croisset23).
Eh bien, voici les propres lacets de notre regretté confrère Almereyda24. Vous pourrez les offrir à Paul Souday25 : ils seront toujours affectés à un pied. Vous pourrez même vous en servir à la façon d’Almereyda lui-même.
Vôtre,
FAGUS
Quinquagénaire bien conservé, grâce à ses mœurs chastes et tempérantes.
Mes respects, je vous prie, à Mme Rachilde.
Ce 4 avril 1922
Aimable contemporain,
Décidément, vous écrivez mieux encore que je ne croyais. Pour célébrer votre cinquantenaire, lequel est à la fois le mien et celui des Fontaines Wallace26, j’avais essayé aux Marges un « À la manière de… Maurice Boissard » ; je constate en relisant sur épreuves que ce n’est pas cela du tout. Dont je m’excuse ; veuille le Diable votre ami me tenir compte du moins de la mauvaise intention.
À présent, accueillez mes sincères condoléances, et avouez que Dieu est plus fort, et châtie mieux, car enfin vous n’aviez tout de même mérité traitement si dur que d’être encensé par Souday27. Mais aussi, pourquoi provoquer les foudres divines ? Vous avez affreusement engu …irlandé de pauvres religieuses parce qu’elles avaient omis d’attacher leur toutou28. C’était fatal : Souday, sans même prendre le temps de se faire adoniser29 les doigts par sa manucure, bondit sur sa bonne plume des environs de Tolède… et vous savez le reste. Soutenez cependant ce coup avec fermeté, rentrez en vous-même, tentez d’aimer les hommes et même les femmes autant que les chiens, songez au Ciel et à l’Enfer dont vous venez de savourer l’avant-goût. Et pour commencer Pardonnez à Souday afin qu’on vous pardonne !
Fagus
1.6.22(30)
Mon cher Boissard,
Lisez d’abord. Si quelque terme paraît un peu vif, qu’on le circoncise, soit, bien que ce ne soit dans la manière du Mercure. Mais je voudrais que ma protestation parût ; vous prenez la défense des chiens : souffrez que quelque autre prenne la défense des femmes31.
Votre ennemi intime.
Fagus.
Le 4 octobre 1922.
Confrère (si je puis encore dire) Boissard,
Vous m’affirmez que mes épîtres vous intéressent et qu’un de ces matins vous les publierez. Je vous défie bien de divulguer celle-ci. Ce que vous venez d’imprimer dans le Mercure est proprement infâme32. Comment ! voilà un de vos voisins, un vieillard auprès de nous, car vous êtes comme moi de la Classe 91(33), qui s’en va, délibérément, à la guerre. Grâce à ses fatigues, à ses périls, vous avez pu passer le temps de guerre les pieds au chaud34. Et vous trouvez le courage de le blaguer ? Sa femme se serait mal conduite dans l’intervalle, soit. Cela n’a rien à voir. Ce n’est toujours pas avec vous et je le regrette, car la malheureuse eût été terriblement châtiée. Dans tous les cas, vous devriez, si vous pouviez conserver quelque pudeur, garder à votre défenseur la considération qu’il mérite. Je rendais jusqu’ici grâces à ce que je croyais votre sincérité. Devrai-je vous tenir désormais pour un fanfaron d’abjection ? Car, ce que vous écrivîtes, vous n’avez pas pu le penser : vous seriez trop méprisable.
Fagus
22 septembre 1923
Fête de saint Maurice, soldat et patriote
Compère Boissard, vous m’éplafourdissez. Seriez-vous aussi, vous, quelque Pharisien de sorte un peu différente ? Mais notre ami Shakespeare prévoit le personnage avec l’Apemantus35 de Timon d’Athènes, et vous viendriez trop tard. Il me faut, absolument revenir sur notre conversation de ce midi36. Comment ! c’est vous dont le seul mérite (style à part, s’entend) consiste en votre franchise à ne pas désavouer un immoralisme que moi aussi constate répugnant (que voulez-vous ? c’est ainsi), voici que vous donnez les gants, — façon de parler — de vous établir moraliste ! Et à propos d’un confrère malheureux ! — Maurice du Plessys37 serait entaché d’affreux vices. Il s’ivrogne, horreur ! Je n’en sais rien, mais présume cependant que ce n’est du moins pas dans les grands bars, à la façon de tel et tel qui n’en poitrinent que davantage.
Mais, ce que je ne saurais avaler surtout, même en Quatre-Temps38 où nous sommes, c’est qu’à mon étonnement (euphémisme) de voir de vieux amis de ce vieux poète ne point le soulager, ainsi que d’autres accomplirent naguère en faveur de Verlaine, — vous me répondiez : « Ils se sont, peut-être lassés ! » – Vraiment ! Nul de ces messieurs, avouez-le, ne connaît l’indigence, et l’un au moins est millionnaire : en quoi eût pu les obérer un petit paquet de billets de mille annuel ? Et qui était et ce qu’il fallait, et ce qui convenait. Au lieu que cette nouvelle souscription39, à quoi chacun apportera ses quatre sous avec moins de bonne grâce qu’à la dernière ne produira qu’une somme misérable, vraisemblablement mangée déjà par les dettes.
Je finis par me demander, homme sobre et continent sur vos vieux jours, si vous n’êtes pas dévoré vous-même par ce vice solitaire : cet amour excessif des bêtes, forme de la haine des hommes. Vous m’imagez, à votre façon, les vieilles filles et leur toutou nourri de brioche alors qu’un pauvre meurt de faim de l’autre côté de la grille.
Votre représentant de la conscience que je sais que vous avez en dépit de vos fanfaronnades (oui, Monsieur),
Fagus
Ce 21 avril 1924
Anniversaire de la mort de Jean Racine
Infâme Boissard !
Je passai l’autre après-midi au Mercure, percevoir huit francs dûs (accent circonflexe) pour une contribution au folklore franco-canadien40. Vous n’y figuriez point (au Mercure) nonobstant l’heure : M. Alfred Vallette est un patron excessivement bénévole, pour ne pas dire : débonnaire. À votre place, simplement, votre effigie, par Rouveyre, exagérément flattée ; plus, un miroir. Un miroir ! ! Certes non fait pour vous flatter, si, ainsi que je l’ai joyeusement constaté, le spectacle de votre physionomie ne l’avait faussé. Je lui ai récité la tirade de Mallarmé41. Vainement : si l’ennui l’avait gelé, l’horreur l’avait gondolé kif-kif un tableau vénitien de Ziem42. Et cela seul me détourna de vous le détourner.
Mais ceci n’est rien. Boissard, vous serez désormais démuni de la jouissance de me contempler face à face, chaque méridienne, en pleine rue Dauphine. Depuis ce 21 retenez l’éphéméride, et qui coïncide avec le lendemain de Pâques, Fagus a pris logement : où ? je vous le donne en mille, comme s’exprime ma vieille bavarde de nouvelle voisine, la Marquise éternelle43 : rue Visconti ! Oui, rue Visconti, numéro 12 ! —44 Et, comme j’allais heurter au 14, présenter mes devoirs au duc de La Rochefoucauld, que vois-je ? — Ma Sévigné, laquelle sortait de son hôtel, et me glisse, après mille compliments sur mes vers : « Vous savez ? mon exquise amie, Mme de La Fayette ? Sa Princesse de Clèves ? C’est le duc qui le lui a fait45 ! Peuh ! À leur âge c’est tout ce qu’ils pouvaient faire ensemble ! »
Cette Sévigné, quelle peste !
Le duc sort à ce moment. Je crus à quelque médisance de sa part, et Ventre Saint Gris ! je lui ai botté les fesses. Royalement.
Mais, ce matin, et cela m’a gêné pour me rendre au bureau, il m’administra dans le mollet un furieux coup d’épée. Les témoins étaient, pour lui, la Grande Mademoiselle46 elle-même, et M. le Coadjuteur47 (celui qui vendit sa crosse pour une fronde) ; pour moi, M. d’Artagnan lieutenant aux Mousquetaires, et… et… Jean Racine, mon nouveau voisin !
« Que pensez-vous de Boissard ? » dis-je à Jean Racine. L’auteur d’Alexandre se montra catégorique : « Maurice Boissard est un veau. Mais il écrit superbement, je dirais même magnifiquement, n’était que je réprouve les successions d’adverbes. Et sur ce, allons boire ».
Il n’avait pas achevé que me tomba sur l’épaule une espèce de patte d’ours. Qui ? Quoi ? Mon autre voisin : Honoré de Balzac ! Je vous l’avoue : j’en fus comme deux ronds de flanc ! (ou de flan).
« Et Boissard ? » — « Boissard ? dit Balzac : c’est un type dans le genre de Bixiou ». « Je le croyais aussi, répondis-je : seulement, je n’osais pas le dire48.
Et nous allâmes rue de l’Échaudé-Saint-Germain faire carrousse49… et autre chose itou.
Et désormais, la rue Visconti sera dénommée Rue des Grands-Hommes !
Fagus
Ce jeudi 24 avril 1924.
Compère Maurice Boissard,
Je viens de voir, 44, rue St-André-des Arts, devant la boutique du pharmacien des gamins jouer au Guignol,… Guignol épatant, qu’ils m’assurent qu’ils renouvelleront chaque vêprée vers six heures. J’ai trouvé cela si beau, qu’en dépit de ma ladrerie de rond de cuir je leur ai refilé une thune (en papier) pour prix de ma place. Je leur ai promis de plus que je leur amènerais le Diable : doux, doux ami. Je dois cependant, vous rappeler qu’à Guignol le Diable est régulièrement massacré. (Dans la vie, on se contente de lui tirer la queue).
Ne manquez pas : c’est plus amusant que chez Copeau.
Votre
Fagus,
Poète budgétivore.
P. S. — Je vous injurie dans le prochain Divan50.
Ce 9 mai 1924.
Compère Boissard51,
Oui, Gourmont eut le… bovarysme (expliquerait Jules de Gaultier52) de bouffer du curé. C’est M. Prudhomme en tire-bouchons, écrivit notre ami Léon Daudet53. Et parfois M. Homais54 en tire-bouchons, et après tout, le pharmacien d’Yonville était son voisin de clocher ! Mais cela signifie simplement que ce succulent penseur n’était à l’aise au fond que dans les idées pures ! La preuve même qu’il était catholique, ainsi que nous tous Français depuis dix-huit siècles, est ce qu’il nommait son paganisme et sa répulsion des huguenots. C’est donc à bon droit qu’on l’enterra catholiquement, comme le voulut être Soury55. Et comme vous le serez, aimable contemporain, si je vous survis et y peux alors quelque chose ! Pourtant, si vous tenez absolument à être crémé, et que je puisse également quelque chose, il ne sera pas indispensable d’attendre votre trépas : la place Maubert56 demeure toujours en place, où vous tiendrez joyeusement compagnie à Étienne Marcel57… pardon, Étienne Dolet, ce « petit ami » qui poussait l’hellénisme jusques au fond des choses. — Vlan ! Et d’une !
Et de deux Remy de Gourmont « épilogua58 » comme nous savons, in abstracto du « joujou patriotisme59 » par protestation contre des sots et, surtout à une époque où il le pouvait opérer en restant dans la sphère des idées pures. Mais quand le fait brutal, saignant, apparut, Remy de Gourmont réagit selon les même dix-huit siècles de sa vie antérieure. Et vos chiens avec vos chats, s’ils pouvaient parler, et que j’estime d’avance autant que vous les estimez, c’est-à-dire au moins autant que votre cynique individualité, proclameraient qu’il eut raison, et l’approuveraient contre vous
Et… sans adieu, voisin. Je tire mon humble couvre-chef de poète budgétivore devant les splendeurs de votre bloumard60, que Mallarmé eût déclaré météorique !
Jean Galéas de Visconti-Fagus,
bourgeois du bourg Saint-Germain.
P. S. — Votre article comporte un « je l’ai fréquenté » qui me fait grincer. Et un « nos relations s’augmentèrent61 » qui m’évoque les plus sombres jours de Mme de Noailles, votre vénérable amie :
Soleil, petit taureau, augmente tes transports62…
Et c’est vous ! Quantum mutatus ab illo63, comme diraient M. Camille Pitollet64, ou M. Antoine Albalat lui-même !
À RACHILDE65
Pour honorer le bonze du 71
Léautaud, vieux dandy,
S’éblouit d’un pétase66 !
Un pétase inédit !
Un pétase à carreaux noirs et blancs, oui, madame !
Lui-même il nous l’a dit :
Au déclin de sa vie il veut jouer aux dames !
Eh non ! ce galurin funèbrement folâtre
C’est un rappel furtif du « Manteau d’Arlequin67 »
Oh ! ta nostalgie, ô théâtre !
O Boissard, ô petit coquin !
Fagus.
9 mai 1924
(À suivre.)

* * *
Nous sommes toujours le 27 juin 1925, date de parution de ce numéro des Nouvelles littéraires. Ce même 27 juin, Paul Léautaud rencontre Fagus, et le note dans son Journal :
Samedi 27 Juin 1925
À midi je rencontre Fagus. Je l’aborde aimablement, tout prêt à rire avec lui de la Chronique des Nouvelles. Accueil glacial, presque indifférent. Pas un mot de la chronique. Non ! mais est-ce qu’il serait fâché ? Je ne puis le croire de lui.
Je suis loin d’avoir eu aucune intention désagréable. Le « chapeau » que j’ai mis à ses lettres le montre tout le premier. J’ai aussi écrit ce matin à Maurice Martin du Gard pour lui demander d’ajouter à la fin de la seconde chronique quelques titres des œuvres de Fagus, cela pouvant peut-être lui faire du bien comme écrivain. Je ne serais pas seulement étonné, s’il était fâché, j’en serais un peu peiné.
Lundi 29 Juin
Fagus n’est pas fâché. Trouvé une lettre de lui sur mon bureau en rentrant après déjeuner. Une lettre charmante. Il écrit qu’il doit « notifier son contentement » et que mon entreprise l’a ravi à la fois et gêné. Une chose touchante, c’est la sorte de regret qu’il montre à propos de Souday : « Ce pauvre Souday, qui ne m’a jamais rien fait ! »
Je pense que son attitude de samedi était tout simplement gêne, timidité, à me parler de cette affaire. Je serais fort capable de me conduire de même en pareil cas.
De Fagus à PL
30 juin 1925
Conversion de saint Paul-Léautaud.
Compère Léautaud68,
Je ne sais quel lâche respect humain m’a sans doute retenu de vous faire savoir au vrai combien votre épanchement de plume, vous qui ne vous épanchez guère, m’avait ému.
Qu’on dise que j’ai du talent, bien entendu.
Quand c’est d’une main qu’on aime
Ça fait toujours plaisir…
VADÉ69.
(Et les Divantaires aimaient en moi, ou Martineau, ou les deux…). Même d’une main qu’on n’aime pas. Mais, qu’on a du talent, on se l’est déjà dit à soi-même, et sinon on n’écrirait guère.
Ce qui me plaît dans ce numéro-Martineau que je suis d’autant plus ravi de n’avoir voulu lire, — et ceci est un péché à la Stendhal, — c’est bien autre chose : c’est la sympathie que je subodore bien qui y est.
Aussi me plaît mieux encore votre appendice. Nul ne vous y obligeait et tout vous en écartait. Et m’émeut, je le répète, pour sa cordialité : car, cordi, — tant inattendue de votre part, mais ne seriez-vous pas un méconnu !
Et autant, deux épisodes, dont l’un ne saurait guère être compris que de vous. Ma pipelette possède un chat, fourré chez moi aussi souvent que chez elle. Ceci ne serait rien. Mais à midi et demi, Kiki (tous les chats se nomment Kiki, Kiki tout court quand ils échoient à de simples braves femmes, Kiki-la-doucette par exemple, quand leur maîtresse est une pimbèche de lettres), bref, à midi et demi tapant, Kiki galope de la loge jusqu’à mon deuxième. Et attend. Observez que ma bonne amie s’empresse de l’autre côté de la porte, après mon déjeuner, et goinfrerait Kiki. Non. Il m’attend. Lorsqu’il m’entend monter, il descend gravement à ma rencontre, ronronnant. Mais, par exemple, si j’arrive en retard (supposons que j’aie bavardé rue de Seine avec Maurice Boissard), il se renfrogne contre l’huis et m’adresse des miaulements qui me représentent une exacte querelle de ménage. N’est-ce pas divin ? Cela me va au cœur autant que tous les Numéros-Fagus du monde.
Pardon, et ceci. Quelqu’un l’a connu, ce Numéro-Divan (par votre article, peut-être ? peu importe). C’est un jeune compère, encore inédit, ou à peu près. Il gagne sa matérielle à la façon de vous et moi : représentant de commerce. Il se nomme Charles O… Vous retrouverez peut-être cette signature. Mais nous nous rencontrâmes au front, lui artilleur, moi fantassin. Eh ! bien, ce souvenir, cette fidélité, ce rappel de temps qui furent parfois atroces, et à travers tout cela, cette sympathie pour moi, à dix ans de distance, voilà, comme de votre part et de celle des autres, voilà ce qui sera resté le bienfait de ma vie littéraire. Car la notoriété des augures de notre sorte, la belle occasion cela nous est de rigoler !
Votre compère,
Fagus
Les Nouvelles littéraires du 7 juillet
La semaine précédente, le jour de la parution de la première partie des lettres de Fagus, Paul Léautaud a écrit à Maurice Martin du Gard :
À Maurice Martin du Gard
Paris le 27 juin 1925
Mon cher ami,
Si vous n’y voyez pas d’empêchement, je voudrais bien donner à la fin de ma seconde chronique Fagus quelques titres de ses œuvres. Cela peut lui faire du bien et il le mérite. Cette demande est toute personnelle : je n’ai pas vu Fagus.
En tout cas, il faudrait faire composer à la fin de la chronique le texte ci-joint. Comme je n’irai à l’imprimerie que jeudi pour la mise en pages, je vous l’envoie dès maintenant70.
Je viens toujours mardi pour argent : 1 000 francs, compte à fin juin, sur lesquels j’ai reçu 250.
Amitiés.
P. Léautaud
* * *

Ce 2 juin 1924
Saint Pothin.
Infâme Boissard ;
(J’insiste : point et virgule) ;
Ci-joint un ours, ours héroïque mais accouché, le cinquième et dernier acte de Philippe-Auguste71 n’étant pas encore dactylé. En principe, destiné à Deffoux72, qui me le réclame avec larmes. Comme je désirerais fort qu’il gambadât (pas Deffoux : l’ours) dans la ménagerie mercurielle, il importe que vous, de votre côté, criiez : oh et ah devant que les chandelles soient allumées. Cela ne vous astreint nullement à lire (ceci est une hypocrisie d’auteur). Pour votre récompense, le prochain Divan se trouve publier des madrigaux sur vous73.
Et je suis heureux et fier, mais d’autre part : moi aussi viens de bien mériter de M. de Grammont (pas le chevalier… d’industrie qui pluma vengeressement les sujets de Charles II).
L’autre soir, comme je me rendais boire mon demi-setier74 au tonneau du coin de la rue Grégoire-de-Tours75 : vous voyez d’ici ? j’avise, cheminant sur le trottoir, un diptyque plongeur ! Les traités d’entomologie impriment « dytique », ce qui ne veut rien dire : le dyptique (ainsi dénommé pour ses élytres76 en volets), qualifié aussi « hanneton d’eau », et tigre fluviatile par les pêcheurs pour ce qu’il leur boulotte leurs asticots, prend ses ébats dans les eaux claires, modérément courantes. Il y fait mille tours, nonobstant sa corpulence, avec les gerris, les gyrins ou tourniquets, les hydromètres ou araignées d’eau, ses compères ; mais méprise si fort la nèpe cendrée ou punaise d’eau qui se tapit dans la vase, qu’il dédaigne de la croquer, crainte d’entérite.
Que faisait celui-ci en ces lieux fameux seulement parce que Triboulet-Quasimodo77 y tint l’échelle pour le rapt de sa fille, sous prétexte que, sans qu’il s’en fût aperçu (sic !) ce maraud de Marot78 lui avait adapté un bandeau sur les yeux et les oreilles ! ! Bref, mon dyptique plongeur plongea dans le Bar du Familistère, lui, cet hydropathe, et je pense, aux fins de se suicider soi-même. Déjà, les gens, le traitant de cafard (c’est eux qui l’avaient, le kaffar !) le voulaient écrabouiller. Sourd au respect humain et n’écoutant que mon courage, je le sauvai d’une mort ignominieuse. Pour ma récompense, il me mordit cruellement : comme un homme.
Si j’avais pratiqué l’héroïcité des vertus chrétiennes, je l’eusse ramené au lac de Verrières. Mais je ne suis pas encore un saint François d’Assise, ni même un Francis Jammes. Je me contentai de le conduire chez moi : je lui procurai une cuvette d’eau fraîche, où il dormit confortablement.
Le lendemain matin, j’essayai de lui procurer quelque mouche (mussa domestica) pour son petit déjeuner. Insuffisamment domestiquées, celles dont je jouis se refusèrent à comprendre que la charité chrétienne leur commandait de sacrifier leur vie à celle de leur frère diptyque.
J’insérai donc celui-ci dans une bouteille d’eau : en verre vert, afin de lui rappeler les herbages de son enfance. Je remontai le cours de la Seine. Au Vert-Galant79, rien à tenter : les petits enfants, les becquants, l’eussent livré à un trépas affreux. Au petit bras du fleuve, le courant demeure malgré tout trop impétueux : c’était la noyade. Enfin parvînmes-nous au chevet de Notre-Dame, reffugium peccatorum80. Là s’élève, proche le triste buste de Goldoni81, un monument gothique, pur style XIIIe selon Viollet-le-Duc, avec deux vasques superposées au pied82. Olympiade VIIIe83, tu me favorisas ! Je visai le cristal liquide, et d’un dyptique lancé d’une main sûre,
je fis au cristal clair une large blessure.
Et voilà.
Et je pense que cela vaut bien l’hospitalisation d’un clebs ou deux !
Votre
Jean Galéas de Visconti-Fagus.
9 juin 1924.
Lundi de Pâques84 et saint Félicien.
Sycophante85 Boissard,
(Mon dytique (hanneton d’eau) qui me nage présent en la cervelle, me souffle même : calosome86, sycophante, ou callosome. Le calosome, coléoptère de la tribu des carabes, aux somptueuses élytres violet évêque à reflets vert-académicien, a pour coutume de se glisser derrière le hanneton vulgaire ou mélolonthe et de lui boulotter le ventre ou abdomen, l’un continuant de cheminer derrière l’autre. Après quoi il se retire, son ventre à lui plein ; ce que les financiers qualifient de : virement. Les critiques opèrent volontiers ainsi. Closons, ou mieux : clôturons la parenthèse.)
Voici qu’à présent vous vous faites inter… etc… par l’ami Ronda (la Miranda, rectifierait Shakespeare : Miranda87 chez Caliban) de l’Homme libre88 : tout indiqué, dès lors que s’agit de Caliban89.
Vous vous donnez des gants (s’il est permis de dire) de vous instituer le petit manteau bleu90 de vos frères supérieurs91. Halte-là ! Je vous ai surpris, en effet, rue Dauphine, administrer un croûton de pain à un ânon (et je n’aurai point le mauvais goût de rappeler le proverbe latin du petit Larousse, pages roses92 — prétérition ! — indifférent d’ailleurs à ce que cela valut plusieurs coups d’éventail à bourrique, mieux mérités par vous : vu que vous aviez immobilisé la bagnole93). Francis Jammes en fait autant, et du moins le raconte-t-il en beaux vers94, ce pourquoi il ira avant vous au Paradis des Bourriquots.
Mais, donneriez-vous un morceau de pain à un frère à deux pattes ? ?
En outre, vous vous gardez de révéler que vous châtrez les chats, et noyez leur postérité, et celle aux chiens. Il me semble que c’est malthusianisme et vivisection, hé95 ?
Je me confirme que j’ai bien plus humainement agi, en sauvant l’autre jour mon dytique de la pire des morts, qui est celle par siccité96.
Fagus.
(Jean Galéas Félicien de Visconti-Fagus.)
Le deux août 1924, dans Les Nouvelles littéraires, Maurice Boissard publie une chronique dans laquelle il moque Madame Aurel à propos d’un livre écrit en collaboration avec Han Ryner, Le Drame d’être deux, paru aux éditions du Fleuve à Lyon : « [Madame Aurel] a pris enfin le parti qui lui convient, celui de se faire éditer en province ». Elle a répondu dans le numéro du seize août : « En lisant la petite crasse pas chère que me fait Maurice Boissard dans les Nouvelles Littéraires, je sens que je dois vaincre mon ennui d’avoir encore à prononcer son nom. » Dans sa lettre de ce même seize août, Fagus de moque gentiment de son ami :
Ce 16 août 1924
St Roch (et son chien).
« Vieux rossignol » — et je complète : vieux rossignol cynique, ce qui constitue un aussi curieux échantillon ornithologique que, par exemple, l’ornithorynque97.
Je crois bien que Mme de Paladines (Mme de Paladines, douairière) vient de vous salement moucher, si j’ose dire. Et si je relationnais et conversationnais avec elle, selon que s’exprime mon bon maître Paul Bourget98, je lui révélerais à quel point elle a touché juste le méchant-méchant-méchant que vous faites.
Elle ne vous l’envoie pas dire : vous n’êtes pas beau, mon pauvre compère, ou bien ne l’êtes plus, ce qui est pis. Et Han Ryner99, qu’une basse envie vous pousse à mettre en cause représente auprès de vous quelque chose comme un chérubin, un chérubin barbu ; d’autant que lui se soigne, calamistre, testonne et adonise : Antisthène-Alcibiade (Polti100, c’est Antisthène. Chien d’Alcibiade). Et vous Antisthène tout court.
Nonobstant, ou par conséquent, ainsi que je viens de l’insinuer à notre nouveau légionnaire Léon Deffoux101, je souhaite bien fort et veux m’y employer, que vous soyez incessamment doté, vous aussi, de la croix des braves. Vous ne vous doutez pas à quel point cela congruera à votre genre de beauté.
Et surtout, je vois d’ici la gueule que cela fera faire à Aurel !
Votre persécuteur,
Fagus,
Homme du moyen-âge.
P. S. — Je pose votre candidature à l’Académie Goncourt.
Je veux maintenant faire suivre ces lettres d’un poème de Fagus. Après l’épistolier pittoresque on verra par ces vers, dans lesquels il se révèle également tout entier, le poète qu’il est.
TESTAMENT
Les durs soucis de l’art m’ont fait leur prisonnier.
Je ne suis qu’un rimeur, peut-être le dernier.
Mon vœu, c’était d’unir dans un baiser superbe
La force de l’idée à la splendeur du verbe :
Mais j’éprouve combien le grand effort qu’on fait
Est misérable et vain au regard de l’effet.
Je jure que jamais souffle de gloriole
Ne m’a frôlé : tel jeu n’est qu’impur et frivole ;
Je n’ai qu’un seul orgueil, c’est ma sincérité :
L’inconnu que j’eus faveur d’être n’a quitté
Sa place qu’à regret dans l’armée anonyme
Et c’est sous un nom de hasard que l’on m’imprime,
Tant j’ai la nostalgie de mon obscurité.
(Mais en nos temps brutaux Harpocrate est un mythe !)
J’ai marché quelques jours le long du grand chemin :
C’est presque malgré moi : demain, après-demain,
Je réintégrerai ma cellule d’ermite.
Là je vis, s’il est permis de dire, en dehors
De la vie et suis l’hôte affectueux des morts.
Au demeurant, mon Dieu, brave homme de pauvre homme,
Je suis entré dans la Littérature comme
On entrait dans un monastère aux temps passés.
Et mes vœux seront suffisamment exaucés.
De monomane inoffensif et solitaire,
Si je puis çà et là mettre à bien un bon vers…
Mais, prends garde pourtant, Lecteur et mon cher hôte :
Cette humilité vaut la fierté la plus haute.
Fagus.
Pour Diogène-Apémantus-Antisthène Boissard.
**************
Les principales œuvres Fagus sont : La Danse macabre, La Guirlande à l’épousée, Frère tranquille, Essai sur Shakespeare (Malfère, éditeur, Amiens), Les Éphémères (Le Divan, éditeur).
Un lecteur a bien voulu m’écrire que j’aurais dû préciser les allusions contenues dans les vers de Fagus que j’ai reproduits à la fin de ma chronique précédente. J’ai en effet oublié de mettre la note nécessaire.
Ces vers ont été écrits à propos de la pose d’une plaque sur la maison dans laquelle Remy de Gourmont habita, 71 rue des Saints-Pères. Je portais, à cette cérémonie, un chapeau à damier noir et blanc.
Maurice Boissard.
Les Lettres éditées par La Connaissance feront l’objet d’une page séparée à paraître le quinze septembre 2023.
Notes
1 Jean de Gourmont (1877-1928) est surtout connu comme le frère cadet (19 ans de moins) de Remy de Gourmont. Jean de Gourmont n’est entré au Mercure en 1903 que grâce à cette seule qualité. À la mort de son grand aîné en 1915, Jean de Gourmont ne fera quasiment plus que s’occuper de sa postérité.
2 C’est sous le pseudonyme de Maurice Boissard que Paul Léautaud a choisi d’écrire quelques-uns de ses premiers textes.
3 Louis Dumur (1860-1933), romancier, poète et dramaturge suisse. Après avoir fondé la revue La Pléiade (deuxième du nom) avec Édouard Dubus, Gabriel-Albert Aurier et Louis-Pilate de Brinn’Gaubast, il est avec Alfred Vallette l’un des fondateurs du nouveau Mercure de France, dont il est rédacteur en chef en 1889 et secrétaire général en 1895. On lira son portrait aux 13 et 15 novembre 1922 et au 4 août 1931. Voir aussi chez André Billy, Le Pont des Saint-Pères (Arthème Fayard 1947), pages 40-42.
4 Antoine Albalat (1856-1935), est l’auteur notamment de L’Art d’écrire enseigné en vingt leçons (1899), La Formation du style par l’assimilation des auteurs (1901), Le Travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains (1903), et Les Ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections (1905). Paul Léautaud fustigera Antoine Albalat sa vie durant, presque autant qu’Aurel. Voir André Billy, Le Pont des Saints-Pères, le chapitre II, intitulé « Le Groupe Albalat ».
5 Paul Souday (1869-1929), homme de lettres, critique littéraire au Temps de 1911 à sa mort.
6 À Pornic, évidemment.
7 « Pour sauver chats et chiens des guerrières houles / Avec Anne Cayssac, j’ai sauté dans le train / Pour trouver un abri à Gourmelon-les-Moules : / Si la plage en a peu, les chalets en sont pleins ». Bien entendu ni Anne Cayssac ni le nom de la ville (qui existe réellement) ne sont cités dans le texte des Nouvelles littéraires du 18 août 1923.
8 Tristan Klingsor (Léon Leclère, 1874-1966), poète, musicien et peintre. Le nom de Tristan Klingsor survit de nos jours essentiellement grâce à la musique de Maurice Ravel sur trois poèmes issus de Shéhérazade (1903) : « Vieux pays merveilleux des contes de nourrice / Où dort la fantaisie comme une impératrice… »
9 Antisthène (né vers -440), philosophe grec. La légende dit qu’Antisthène, voulant montrer sa pauvreté, vivait nu sous son manteau. Socrate le voyant ainsi lui dit » Je vois ton orgueil à travers les trous de ton manteau. »
10 Cette chronique paraîtra comme les autres à la page cinq mais au lieu d’occuper tout le tiers ou le quart au bas de la page elle sera disposée verticalement sur quatre colonnes de large représentant une demi-page.
11 La « forme feuilleton » représente tout un bas de page (un quart ou un tiers de page) sur toute la largeur disponible. C’est le format habituel des chroniques de Maurice Boissard. Ce sera, dans ce même numéro des Nouvelles du 27 juin, le format du « feuilleton » d’Edmond Jaloux » L’esprit des livres », des « Lettres françaises » de Benjamin Crémieux ou des « Visages de la comédie », la chronique dramatique de Claude Berton.
12 Henri Martineau (1882-1958), médecin, critique littéraire et journaliste, créateur, avec son ami Eugène Marsan au début de 1909, de la revue littéraire Le Divan, qui sera active jusqu’en 1958. Cette revue bimensuelle, comme le Mercure, mais sensiblement à droite, était considérée comme une gardienne du classicisme littéraire. Sous ce nom et sous la même direction, la librairie se trouvait au 18 rue Bonaparte (à l’angle de rue de l’Abbaye, qui longe l’église Saint-Germain-des-Prés).
13 Préface de Paul Léautaud aux Lettres de Fagus à Paul Léautaud, ouvrage qui paraîtra au printemps 1928 (78 pages) : « Si Fagus a donné son consentement pour le présent volume, il ne s’attendait pas à cette première publication. C’était une vengeance que j’exerçais à son égard. N’avait-il pas eu l’idée, grâce à ses relations dans les journaux, de faire de moi un candidat à l’Académie Goncourt, à propos d’une vacance qui venait de s’y produire ? »
14 Fagus travaillait à la mairie de Paris. Comme Paul Léautaud et bien d’autres, il utilisait le papier, les enveloppes et sans doute l’affranchissement de son employeur pour sa correspondance personnelle, comme on peut le voir sur cet en-tête de lettre datée adressée à un « confrère délicieux » mais inconnu de nous, datée du (samedi) six août 1921. À cette époque se pratiquait la « semaine anglaise » donnant droit au repos le samedi après-midi.

15 Fagus a emménagé au douze rue Visconti le 21 avril 1924 (voir sa lettre à cette date). La rue Visconti, qui relie la rue de Seine à la rue Bonaparte, est l’une des rues les plus étroites de Paris. Lors de la création de la rue de Rennes, au milieu du XIXe siècle, il était prévu un prolongement jusqu’à la Seine. On peut d’ailleurs observer que le premier immeuble de la rue de Rennes porte le numéro 41, dont l’entrée est sur la place du Québec. Ce projet, qui n’aboutit jamais devant la lassitude des parisiens face aux travaux d’Haussmann, devait entraîner la démolition de nombreux immeubles, dont ceux des premiers numéros de la rue Visconti, dissuadant ainsi les propriétaires de s’occuper de leur entretien. Le lieu devint vite insalubre. Les atermoiements face à des travaux souvent différés ont conduit la ville de Paris à acquérir, pendant la première guerre mondiale et après, toute la première partie de la rue, jusqu’au numéro 16 pour la partie paire. On peut donc imaginer que les immeubles ainsi acquis ont permis à la mairie d’y loger ses employés au fur et à mesure du départ des anciens habitants et que Fagus a su profiter de l’occasion.

À gauche, l’entrée du douze rue Visconti où habitait Fagus. C’est dans cette rue étroite que, le neuf novembre 1933 Fagus sera renversé par un camion. Il mourra le soir-même.
16 Nicolas Vauquelin Des Yveteaux (1567-1649), poète libertin. « Les jardins, les tableaux, la musique, les vers, / Une table fort libre et de peu de couverts, / Avoir bien plus d’amour pour soi que pour sa dame, / Être estimé du Prince, et le voir rarement, / Beaucoup d’honneur sans peine et peu d’enfants sans femme, / Font attendre à Paris la mort fort doucement. » Voir Tallemant des Réaux, Historiettes, Pléiade 1960, volume I, pages 137-145.
17 Mademoiselle de Champmeslé (Marie Desmares, 1642-1698), comédienne.
18 Mademoiselle Clairon (Claire Léris, 1723-1803), comédienne.
19 La vie fantasque de la comédienne Adrienne Lecouvreur (1692-1730) a conduit les librettistes Eugène Scribe et Ernest Legouvé a écrire une « comédie-drame » en cinq actes, Adrienne Lecouvreur, parue à Bruxelles en 1860 qui sera mise en musique par l’Italien Francesco Cilea (1866-1950) et créé à Milan en 1902.
20 Ce n’est que la première salve, en mars 1928, Paul Léautaud publiera des Lettres de Fagus en volume.

21 Émile Chodruc-Duclos (1775-1843), fils de famille aisée, dépensa toute son énergie à la politique et aux plaisirs. Dandy contre-révolutionnaire, souvent emprisonné, il eut une vie agitée et pittoresque qui le conduisit de l’opulence à la misère, presque volontaire. Voir, sans nom d’auteur : Histoire véritable et complète de Chodrus-Duclos, surnommé l’homme aux haillons et à la longue barbe, du Palais-Royal […] suivie d’une complainte sur ce Diogène moderne, chez les libraires du Palais-royal et les marchands de nouveautés, 1830 (126 pages). Voir aussi Émile Chodruc-Duclos, Mémoires recueillis et publiés par J. Arago et Édouard Gouin, Dolin 1843, deux volumes de 356 et 272 pages. Voir enfin, plus accessible, Alexandre Dumas Mes Mémoires, le petit chapitre CLXXXIII.
22 Note de Maurice Boissard : « Outré des prix qu’atteignaient alors les lacets de chaussures, s’y ajoutant leur mauvaise qualité, j’avais résolu, en guise de protestation, de mettre à mes souliers de simples ficelles. Je garde précieusement la paire de lacets que Fagus m’offrit dans cette circonstance. »
23 Note de Maurice Boissard : « S’il ne l’a pas dit, il a eu tort (note de Fagus.) » Francis de Croisset (Franz Wiener, 1877-1937), auteur dramatique, romancier et librettiste prolifique. Né Belge d’origine allemande, et Juif, arrivé en France à l’âge de vingt ans et fort désireux de s’intégrer au mieux dans la société, Franz Wiener prit le nom du hameau ou vécut Gustave Flaubert et se fit baptiser. Malgré une œuvre conséquente et un succès certain, il ne reste plus guère de Francis de Croisset de nos jours que Ciboulette, opérette écrite en collaboration avec Robert de Flers au printemps 1923 avec une musique de Reynaldo Hahn. Maurice Boissard a chroniqué deux comédies en trois actes de Francis de Croisset, Le Cœur dispose (Mercure du seize avril 1912) et Le Retour, de Robert de Flers et Francis de Croisset (Mercure du quinze novembre 1920).
24 Miguel Almereyda (Eugène Vigo, 1883-1917), journaliste, rédacteur en chef du journal anarchiste Le Bonnet rouge, dont le premier numéro est sorti en novembre 1913. Miguel Almereyda a été retrouvé étranglé par un lacet dans sa cellule de la prison de Fresnes, le suicide étant assez incertain. Miguel Almereyda est le père du réalisateur Jean Vigo. Ce Bonnet rouge finira mal, dans un retentissant procès en mai 1918 pour intelligence avec l’ennemi.
25 Note de Maurice Boissard : « On trouvera, au cours de ces lettres, quelques marques de la grande sympathie de Fagus a pour M. Paul Souday. Je n’ai pas cru devoir ôter à la saveur de ces lettres en les retranchant. »
26 Richard Wallace (1818-1890), collectionneur, philanthrope et parlementaire britannique. L’eau manquant à Paris suite à la guerre de 1870 qui avait détruit plusieurs canalisations, Richard Wallace a installé à ses frais ces fontaines dans plusieurs villes de France et surtout à Paris. La première fontaine Wallace a été installée en août 1872 sur le boulevard de La Villette.
27 Note de Maurice Boissard : » M. Paul Souday venait d’écrire un article très aimable à mon sujet dans Comœdia. » « À Maurice Boissard », paru en une du Comœdia du premier avril 1922.
28 Note de Maurice Boissard : « Chronique dramatique, Nouvelle Revue française. » Chronique du 1er mars 1922 : « J’ai dans ma rue, à deux pas de chez moi, une espèce de pensionnat d’enfants tenu par des sœurs. Il y a quelque temps, la porte ouverte, j’avais vu là un brave bonhomme de chien mouton couleur chocolat, les meilleurs yeux du monde, plein de sympathie pour tout le monde. […] Je passe deux fois par jour devant ce pensionnat. Deux fois par jour, l’image de ce chien, la pensée de son sort, me reviendront. Le diable emporte ces sœurs dites de charité. »
29 Adoniser : « Parer avec une recherche raffinée, excessive. » (TLFi).
30 La date est au bas de la lettre. Elle est remontée ici dans un souci d’uniformisation, son format ayant été conservé.
31 Note de Maurice Boissard : « À propos de je ne sais plus quel article du Mercure, à tendances un peu antiféministes. »
32 Note de Maurice Boissard : « Le Cocu de Nanterre. (“Gazette d’hier et d’aujourd’hui”. Mercure de France.) » Mercure du premier octobre 1922, pages 271-275. Ce texte a été repris dans Passe-Temps, dans la partie « Mots, propos et anecdotes », page 146 de l’édition de 1987 (réunissant les deux Passe-Temps en un seul volume) : « Je vous présente un héros… »
33 Cette notion de « classe », issue du jargon administratif » classe d’âge » s’efface peu à peu de nos jours. Fagus indique ici les hommes devant accomplir leur service militaire en 1991. Fagus et Paul Léautaud avaient quatre jours d’écart, nés tous deux en 1872, le 18 et le 22 janvier. Le C majuscule à » Classe » est dans Les Nouvelles littéraires. La lettre n’a pas été reproduite dans le volume des Lettres de Fagus à Paul Léautaud paru à La Connaissance en 1928 qui sera disponible en téléchargement le quinze septembre prochain (2023) (voir la note 20).
34 Paul Léautaud avait été affecté, dans « une moitié d’uniforme » à la « Maison de la presse » (le service de la propagande), sise à l’école militaire où il devait se rendre une fois par mois. Là, le temps d’un l’appel, il se trouvait en bonne compagnie auprès d’André Doderet (1879-1949), Max Daireaux (1882-1954), Paul Géraldy (1885-1983), Edmond Jaloux (1878-1949), Fernand Nozière (1874-1931), le plus ancien, qui mourra le premier, et le plus jeune.
35 Dans Timon d’Athènes, le personnage d’Apémantus est qualifié de « philosophe acariâtre ».Le é est couramment admis dans plusieurs traductions françaises, dont celle de Jean-Michel Desprats pour La Pléiade de mars 2002.
36 Note de Maurice Boissard : » J’avais rencontré, comme presque chaque jour, Fagus, rue Dauphine. Les Nouvelles Littéraires venaient d’ouvrir une souscription pour venir en aide à Maurice Du Plessys. Nous avions bavardé sur cette affaire et je m’étais risqué à dire à Fagus que Du Plessys, au reste poète érudit, et grammairien plutôt que vrai poète, avait quelque peu gâché sa vie par l’alcoolisme et qu’il était le premier auteur de la situation dans laquelle il se trouvait, — ce qui ne comportait de ma part nul avis contraire à l’aide qu’on voulait lui donner. »

Maurice Du Plessys en une des Nouvelles littéraires du 22 septembre 1923.
37 Maurice du Plessys (Maurice du Plessys-Flandre-Noblesse, 1864-1924), poète proche de Jean Moréas. Voir sa notice nécrologique dans les « Échos » du Mercure du premier février 1924, page 347.
38 La tradition liturgique catholique prévoit une journée de jeûne le premier jour de chaque saison, ici le samedi 22 septembre, premier jour de l’automne.
39 À la une des Nouvelles Littéraires du 22 septembre, sur trois colonnes : « Un appel qui sera entendu — Pour sauver un grand poète français — Une heure avec Maurice du Plessys », par Frédéric Lefêvre. Frédéric Lefêvre publiait régulièrement « une heure avec… ». Le numéro suivant, du 29 septembre, sera consacré à André Rouveyre, deux colonnes en une, sous « deux poèmes inédits de Maurice du Plessys ». Le six octobre paraîtra en page deux un premier résultat de « Notre souscription en faveur de Maurice du Plessys » où l’on voit qu’Alexandre Millerand, président de la République a donné 500 francs, Maurice Barrès, 300 et Charles Foix, 200. Nous voyons également le nom de Marie Dormoy. De nouvelles listes paraîtront dans les numéros suivants et encore fin novembre.
40 Mercure du 15 avril page 572 pour une page dans les « Échos » sur les chants populaires du Canada.
41 Peut-être Le Sonnet du cygne : « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui… »
42 Félix Ziem (1821-1911), peintre de l’École de Barbizon renommé pour ses marines et ses paysages vénitiens.
43 Marie de Sévigné, évidemment. Il n’apparait pas, à la lecture des Lettres de Marie de Sévigné qu’elle abuse — et même utilise — cette expression, même si elle avait déjà cours de son temps et signifiait « vous avez une chance sur mille de deviner ».
44 Note de Maurice Boissard : « Qu’on lise en tête du petit volume publié récemment par Fagus : Les Éphémères (Le Divan, édit.), le poème liminaire sur la rue Visconti et ses hôtes passés. C’est une petite merveille. (Les Éphémères sont une suite de tableaux parisiens en prose). »
45 Cette information date de peu après la publication du livre, en mars 1878, sans nom d’auteur. Dans une lettre datée du mois suivant, Marie-Madeleine de Lafayette écrit ne pas en être l’auteur. Certains historiens de la littérature avancent que l’auteur serait en fait Jean Regnault de Segrais (1624-1701), élu à l’Académie française en 1662, secrétaire de Marie-Madeleine de Lafayette en 1670 et proche de François de La Rochefoucauld. L’un et l’autre seraient, dans des proportions délicates à établir, les véritables auteurs de ce texte… et vraisemblablement d’une large partie de la littérature attribuée à Madame de Lafayette.
46 Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier (1627-1693), fille de Gaston d’Orléans (« Grand Monsieur »), petite-fille d’Henri IV, cousine germaine de Louis XIV.
47 Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679).
48 Note de Maurice Boissard : « Point ! Boissard est un type (parlons comme Alphonse Allais) un type dans le genre de Diderot. Et je signe : Fagus. (Note de Fagus.) »
49 Selon le dictionnaire de l’académie de 1825 : « Faire débauche ».
50 Page 371 à propos de la plaque posée le neuf mai 1924 sur le mur de l’immeuble du 71 rue des Saint-Pères où vécu et est mort Remy de Gourmont.
51 Note de Maurice Boissard : « À propos de l’article “Notes et Souvenirs sur Remy de Gourmont”, Nouvelles Littéraires. » Les Nouvelles littéraires, comme beaucoup de périodiques, étaient disponibles la veille dans les rédactions parisiennes. Ce texte a été repris dans Passe-Temps.
52 Jules de Gaultier (1858-1942), philosophe, a été titulaire de la rubrique « Philosophie » du Mercure. Jules de Gaultier a publié, en 1892, Le Bovarysme — La Psychologie dans l’œuvre de Flaubert (60 pages). Le bovarysme est une sorte d’insatisfaction de soi-même ou de sa vie conduisant à des évasions de la pensée.
53 Léon Daudet (1867-1942), écrivain, journaliste et homme politique, député de Paris de 1919 à 1924, personnage influent de l’Action française.
54 Monsieur Homais est un personnage de Madame Bovary. Petit-bourgeois ambitieux, Homais incarne à la fois la sottise prétentieuse et l’opportunisme nuisible. C’est un cuistre parfait. Il était apothicaire à Yonville.
55 Gilbert Soury, dit l’abbé Soury (1732-1810) prêtre réfractaire à la Révolution, lui aussi normand. Il est l’inventeur de la tisane de Jouvence de l’Abbé Soury.
56 La place Maubert (comme le gibet de Montfaucon) est restée longtemps un lieu d’exécution encore dans la mémoire des Parisiens. Les amateurs de littérature peuvent y déplorer l’exécution des libraires et imprimeurs Antoine Augereau en 1534, Pierre Chapot et Étienne Dolet en 1546, Martin Lhomme en 1560… Étienne Dolet y eut sa statue inaugurée en 1889 mais détruite en 1943. Voir Jacqueline Lalouette, » Du bûcher au piédestal : Étienne Dolet, symbole de la libre pensée », revue Romantisme, 1989.
57 Étienne Marcel était prévôt des marchands de Paris deux bons siècles avant les suppliciés de la place Maubert. L’imposante statue équestre d’Étienne Marcel est toujours en place depuis 1888, devant la façade sud de l’hôtel de ville à Paris.
58 Allusion aux 320 chroniques de Remy de Gourmont ainsi titrées, parues dans le Mercure de 1896 à sa mort en 1915.
59 Remy de Gourmont « Le joujou patriotisme », Mercure d’avril 1891. Ce texte vaudra à Remy de Gourmont d’être révoqué de son emploi à la bibliothèque nationale.

60 Paul Léautaud s’était acheté ce chapeau à carreaux que nous lui connaissons vers 1920 et que Fagus a déjà et l’occasion de moquer, notamment dans les vers ci-après.
61 Il s’agit toujours des « Notes et souvenirs sur Remy de Gourmont », article des Nouvelles littéraires du dix mai. Ces deux tournures ont été modifiées à l’occasion de la mise en volume de Passe-Temps, dont un « nos relations se resserrèrent. »
62 « Tu vois, tout le jardin est une chaude arène, / Soleil, petit taureau, augmente tes transports, / Ne crains pas d’effrayer et de blesser ta reine, / Et dans mon pourpre cœur entre tes cornes d’or ! » Anna de Noailles, Les Éblouissements — « L’Aurore », Calmann-Lévy 1907, page 140.
63 Comme vous avez changé ! (depuis la dernière fois que je vous ai vu). Dans L’Énéide de Virgile, lorsque Énée revoit Hector, il n’est plus le guerrier vainqueur mais un homme très diminué par son combat.
64 Camille Pitollet (1874-1964), historien, hispaniste.
65 Note de Maurice Boissard : « À propos de la pose d’une plaque sur la maison dans laquelle Remy de Gourmont habita, 71, rue des Saints-Pères. Je portais, à cette cérémonie, un chapeau à damier noir et blanc. »
66 Le pétase était un chapeau plat, à bords larges, dont se coiffaient les voyageurs. C’est la coiffure d’Hermès, qui correspond au Mercure romain, adopté en logo par le Mercure de France.
67 Le manteau d’Arlequin est, derrière le rideau, le cadre bordant la scène. Ce cadre, restreignant au moins la hauteur, est parfois mobile sur ses trois côtés. Fagus considère ici le chapeau comme le cadre limitant la hauteur.
68 Note de PL : « À propos de la publication des lettres précédentes dans les Nouvelles Littéraires.
69 Jean-Joseph Vadé (1720-1757, à 37 ans), autodidacte, chansonnier, fabuliste et auteur dramatique populaire. Il fut à ce titre surnomme le Corneille des Halles.
70 Voici l’ajout à la chronique du 4 juillet. « Les principales œuvres de Fagus sont : La Danse macabre, La Guirlande à l’épousée, Frère tranquille, Essai sur Shakespeare (Malfère, éditeur, Amiens), Les Éphémères (Le Divan, éditeur).
71 Fagus, Le Mystère royal de Philippe-Auguste, en cinq journées, Société française d’éditions littéraires et techniques-Malfère, 1930, 171 pages.
72 Léon Deffoux (1881-1945), journaliste, a écrit notamment sur l’académie Goncourt et sur Huysmans. Léon Deffoux est employé à l’agence Havas depuis 1909 et est devenu chef du service des reportages en 1920. Léon Deffoux a été, de mai 1917 à janvier 1918, chroniqueur dans une trentaine de numéros du Mercure. Il sera aussi un chroniqueur régulier de L’Œuvre. Lire sa nécrologie par Alain Barbier Sainte Marie dans les Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro trois de 1994, pages 104-110.
73 Note de Maurice Boissard : « Les vers de la lettre précédente. »
74 Le setier est une mesure de volume très aléatoire selon les époques, les régions et les choses mesurées. En grains, compter l’équivalent de 150 et 300 kilos. Ce peut être aussi la surface du champ nécessaire à obtenir cette quantité. En liquides (typiquement le vin), cette quantité correspondait à un demi-litre mais le setier de Paris (celui que buvait Fagus) « contenait 8 pintes de 48 pouces cubes chacune, soit 7,6 litres » (TLFi).
75 La rue Grégoire de Tours dispose de plusieurs » coins » mais on peut penser à l’angle de la rue de Buci, près du carrefour du même nom.
76 Ces coléoptères disposent d’élytres, qui sont des sortes de volets, recouvrant les ailes au repos. Pendant le vol, les élytres sont simplement déployés et immobiles.
77 Triboulet (1479-1536), bouffon des rois Louis XII et François Ier a été utilisé par Victor Hugo pour en faire le personnage principal du Roi s’amuse (Comédie-Française 1932) et aussi le Quasimodo de Notre-Dame de Paris.
78 Peut-être le poète Clément Marot (1496-1544).
79 Vraisemblablement à l’angle du pont Neuf où se trouve le square du Vert-Galant où se retrouvent les deux bras de la seine, sous une statue d’Henri-IV, dans l’axe de la rue Dauphine. Le petit bras du fleuve est rive gauche.
80 Refuge des pêcheurs.
81 Ce buste en pierre de Goldoni est toujours en place, dans le square Jean XXIII, au chevet de Notre-Dame.
82 Il existe encore de nos jours, dans ce même square, un monument correspondant à cette description mais référencée sous le nom de Fontaine de la Vierge, ce que Fagus n’aurait pas manqué de noter.
83 Les huitièmes jeux olympiques se tiennent en ce moment à Paris du quatre mai au 27 juillet 1924
84 Ce neuf juin 1924 était le lundi de Pentecôte.
85 Dans la Grèce antique, dénonciateur professionnel qui assignait en justice des citoyens riches afin d’obtenir une part de leurs biens s’ils étaient condamnés (TLFi).
86 Coléoptère aux belles couleurs métalliques, de la famille des Carabides (TLFi).
87 Miranda est la fille de Prospero, duc de Milan, dans La Tempête.
88 Dans le quotidien fondé par Georges Clemenceau, L’Homme libre du 7 juin, en bas à droite de la une, un article de Ronda sur les bêtes martyres avec ce chapeau : « Il faut éduquer le public nous déclare M. Paul Léautaud ».

89 Caliban est esclave de Prospero.
90 Allusion à Edme Champion (1764-1852), bijoutier philanthrope, qui portait souvent un manteau bleu resté dans la tradition au point de devenir une expression. Voir par exemple chez Balzac, La Cousine Bette : » On parlerait de toi, comme d’un petit manteau bleu, d’un Montyon, et je serais fière de toi ! » (Pléiade 1977, volume VII, bas de la page 335).
91 Allusion aux « frères inférieurs » du texte de Ronda.
92 Vraisemblablement Asinus, asinum fricat (l’âne frotte l’âne), qui, selon les fameuses pages roses « se dit de deux personnes s’adressant mutuellement des éloges outrés. »
93 Premières attestations au début du XIXe siècle pour désigner une cabane. C’est ainsi qu’existe, à Nancy, un quartier des trois bagnoles. Ce fut ensuite un wagon de chemin de fer pour le transport des chevaux (TLFi) avant d’être l’usage que l’on sait.
94 Francis Jammes a souvent évoqué les ânes dans ses poèmes.
95 Je fais, en effet, châtrer mes chats. Je n’en finirais pas avec les batailles et les blessures, sans cela. Je supprime également les portées, chats et chiens. Je suis absolument contre l’élevage. C’est le premier point de la protection des bêtes. Trop de gens en élèvent inconsidérément, qu’ils mettent à la rue peu après, s’en trouvant embarrassés. Ces gens-là vous disent quelquefois qu’ils n’ont pas eu le « cœur » de les supprimer à leur arrivée au jour et ils ont « celui » de les mettre à la rue, exposés à tous les accidents de l’abandon, depuis la faim jusqu’à la cruauté. Singulière sensibilité. Les jardins et marchés publics, les terrains vagues, sont pleins de malheureuses bêtes victimes de cette jolie « pitié ». Entre le « nouveau-né » encore à peine vivant (si peu agréable que ce soit de supprimer la vie) et l’animal adulte exposé à toutes les menaces de l’abandon, mon choix est fait depuis longtemps. / Je ne suis pas fâché de l’occasion qui m’est donnée ici d’exposer cette petite question de protection animale.
96 Qualité de ce qui est sec.
97 Corrigé de « ornithorhynque ». Note de PL : « Point et virgule. (Note de Fagus.) »
98 Paul Bourget (1852-1935), écrivain et essayiste catholique. Ses premiers romans ont un grand retentissement auprès d’une jeune génération en quête de rêve et de modernité. À partir du Disciple, en 1899, Paul Bourget s’oriente davantage vers l’étude des mœurs et les sources des désordres sociaux, qu’il relie parfois à la race. Fagus est ici moqueur.
99 Fagus se moque ici aussi, Han Ryner ayant onze ans de plus que Paul Léautaud. (Henri Ner, 1861-1938), anarchiste pacifiste, poète, auteur dramatique et journaliste. On peut lire un portrait d’Han Ryner dans André Billy, Le Pont des Saint-Pères, page 155.
100 Georges Polti (1867-1946) est chargé, au Mercure, de la littérature dramatique, c’est-à-dire des pièces de théâtre parues en volume ou en feuilleton dans les revues. Nous trouvons sa signature dans une soixantaine de numéros du Mercure entre 1894 et 1910. Georges Polti est évoqué dans Le Drame d’être deux et dans le texte de Maurice Boissard.
101 Léon Deffoux (note 72) venait d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il sera promu officier en octobre 1932.
En juillet 2024 Grégory Haleux nous communique l’adresse de son site web :
http://fagus-poete.gregory-haleux.com/
Nous lui souhaitons longe vie !