Samedi 17 février — Lundi 19 février — Notes
Texte mis en ligne le premier novembre 2024. Temps de lecture : seize minutes.
Aucune étude sérieuse, voire aucune lecture d’Octave Mirbeau ne peut être entreprise sans le secours des travaux de Pierre Michel et de sa Société des Amis d’Octave Mirbeau. Cet avertissement ne rend en aucun cas Pierre Michel responsable des notes données ici.
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La journée du seize février 1917 est l’une des plus courtes du Journal de Paul Léautaud :
Le Temps annonce ce soir la mort de Mirbeau.
C’est tout. En clair, une de ces soirées où Paul Léautaud est rentré tard et n’a eu le temps de noter que l’événement majeur de sa journée. À moins que ce soit à cause de la maladie « Depuis huit jours je suis malade », notée le 19 février. Nous sommes vendredi, il travaille le lendemain et Octave Mirbeau est mort la veille.
L’article du Temps, très court, écrit dans l’urgence en quatrième page sous les publicités n’est pas très intéressant. Paul Souday, l’ancien chroniqueur littéraire du Temps mais actuellement au Siècle, rattrapera l’affaire le lendemain dans une colonne entière d’un texte, factuel et froid. C’est pour lui, à l’évidence, un pensum. Le Temps est un journal du soir, antidaté pour éviter que la province, qui sera servie le lendemain, ait l’impression de lire un journal de la veille. Le Temps daté du 17 est donc paru dans l’après-midi du seize, date de la note de Paul Léautaud. L’Intransigeant, lui aussi journal du soir — que Paul Léautaud lisait de préférence au Temps —, ne fait pas mieux et publie aussi un court texte mais en une.
Les journaux du lendemain matin 17 février sont davantage prolixes et affichent tous la nouvelle en une sur près d’une colonne, comme Le Gaulois, « Le plus grand journal du matin ». Le Figaro donne, sur une colonne et demie en une et deux, un beau texte de Régis Gignoux.
La dernière fois que les journaux avait écrit le nom d’Octave Mirbeau avait été pour annoncer la reprise de son immortelle comédie en trois actes Les affaires sont les affaires (1903) à la Comédie-Française, moins d’une semaine auparavant. Cette soirée du dix février, à la fin du premier acte, Louise Lara1, qui tenait le rôle de la fille Lechat (Germaine) s’était avancée près de la rampe, un papier à la main, pour un appel à participer à une tombola au profit de l’œuvre des Orphelins du spectacle.
Samedi 17 Février

Excelsior publie ce matin deux portraits de Mirbeau, l’un à une époque que je ne le connaissais pas encore, l’autre, ces derniers temps2. Celui-ci est vraiment effroyable, il n’y a pas d’autre mot. Le Mirbeau que j’ai vu, lors de ma visite à Triel3, sous la conduite du jeune George Besson4, dans les premiers mois de 1914(5), si je ne me trompe, (quel dommage que le premier feu de mon histoire avec Mme Caysac m’ait fait négliger de noter par le détail cette visite), ce Mirbeau-là était déjà bien abîmé. Encore du feu dans le regard, de la vie ironique et mordante dans la bouche, le bon rire vengeur de l’observateur sarcastique. Tandis que le Mirbeau de ce dernier portrait ! Oui, effroyable, avec cette barbe de vieillard, et surtout, surtout ces yeux mi-clos, sans regard. Je me dis que le contraste entre ces deux portraits lui aurait peut-être plu, s’il avait pu les voir. D’un côté, le bel homme, bien vivant, aimant la vie et en jouissant. De l’autre, celui qui paie tous les plaisirs passés6.
Lundi 19 Février
Cette après-midi, à trois heures, obsèques de Mirbeau. J’y suis allé. Je ne suis pas très en train de noter les choses nécessaires. Depuis huit jours je suis malade. Aujourd’hui, à une heure, je suis allé voir Saltas. Il m’a ausculté. Je suis sur le chemin d’une pneumonie. Il m’a fait une ordonnance. Il espère bien enrayer les choses fâcheuses. Samedi soir, pourtant, et hier dimanche, j’ai travaillé avec plaisir à mon fameux manuscrit d’In Memoriam7. […].
J’en viens aux obsèques de Mirbeau. Il paraît qu’il est mort, lui aussi, dans le sein de la Patrie, tout comme ce malheureux Gourmont8. Justement, ce matin, montant chez Vallette pour compléter des adresses de bonnes feuilles du dernier numéro, je l’entends qui célèbre à Apollinaire la mort de Mirbeau, disant des choses de ce genre. « Tout à fait comme Gourmont. Tout à coup, l’idée de la Patrie leur a fait prendre conscience de certaines choses. Gourmont disant, par exemple, après la mobilisation : C’est tout de même beau, la solidarité. Mirbeau voulant sans cesse avoir la certitude de la victoire. Il n’y a pas à dire, c’est très beau ! » Là-dessus, Apollinaire, en riant, et en me regardant, se met à dire : « On entendra peut-être un de ces matins Léautaud exprimer de ces choses-là ! » Ah ! J’ai vivement répliqué : « Est-ce que vous me prenez pour un ramolli. Quand je ne me suis pas ému ni troublé le premier jour, croyez-vous que je vais le faire maintenant. Je ne suis pas de ces imbéciles. Voyez-vous ce Gourmont, qui fait toute sa vie profession de mépriser tout, et qui prend soudain l’âme d’une modiste. Je le pense et je l’écrirai un jour. Quand un homme a eu, dans toute son œuvre, une attitude intellectuelle et morale qu’il dément et renie ainsi en cinq minutes, c’est un arlequin littéraire et son œuvre égale zéro. La sincérité ne m’importe pas. C’est la solidité d’un esprit qui m’occupe. Gourmont, je le lui ai dit un jour, était un faux sceptique, et pour l’esprit philosophique, il a pu l’avoir comme littérateur. Comme homme, non. Pas l’ombre. »
J’ai appris, rue Beaujon9, en attendant la levée du corps, que la mort de Mirbeau dans « le sein de la Patrie » n’est qu’une abominable cuisine autour du moribond et du gâteux qu’il était depuis quelque temps. J’ai trouvé là le jeune George Besson, qui m’a mis au courant. Il paraît que même le papier publié dans le Petit Parisien, dans les premiers mois de la guerre, sous la signature de Mirbeau, une sorte d’interview, je crois, avait été arraché purement à la demi-inconscience dans laquelle il était déjà10. Encore plus les propos qu’on lui prête, durant ces derniers mois. Besson m’a dit lui avoir rendu visite il y a à peu près un an, et que déjà, la conversation avec lui n’était presque plus possible. Depuis trois mois, il était absolument dans l’impossibilité de reconnaître les gens. Blanche Pierson11 lui rendit un jour visite. « Voyons, vous me reconnaissez bien ? — Non, je ne vous connais pas », lui répondit Mirbeau. Elle enleva son chapeau, pour qu’il pût mieux la voir. « Voyons, maintenant, vous me reconnaissez ? Je suis Blanche… — Non, je ne vous connais pas », répéta Mirbeau. Il n’y eut pas moyen de le sortir de cette réponse.
Besson m’a dit : « C’est Madame Mirbeau12-13 qui a organisé toute cette comédie, ce mensonge autour de lui, avec l’aide d’Hervé14. » Je lui dis : « Mais pourquoi ? Quel intérêt ? C’est abominable ! » Besson me répond : « C’est comme cela. Elle n’a pas voulu qu’il meure en révolté, en homme subversif, en ennemi de la société. Elle n’a pas voulu qu’on puisse dire qu’elle avait été la femme d’un pareil homme. »
Bêtise humaine, bassesse humaine, décidément éternelles. Un révolté, un homme subversif, un ennemi de la société. Et juste au moment que tout justifie un homme d’être cela, ce révolté, ce subversif, cet ennemi de la société. Le pauvre Mirbeau ! Qu’il a été trahi ! Cela m’a fait plaisir, tout de même, d’apprendre ces choses. Je m’étais dit : Il devait être devenu gâteux. On ne peut guère lui faire de reproches. Je vois que non seulement il était devenu gâteux, et que de plus on a mis à profit, abominablement, ce gâtisme.
Il paraît que le Petit Parisien publie ce matin un « testament politique » de Mirbeau. Mirbeau ! et un testament politique ! Ah ! vraiment, il n’y a pas que les curés qui sachent s’y prendre. Les patriotes les imitent assez bien. Clique égale, les uns et les autres.
J’ai dit à Besson : « Si vous êtes bien renseigné sur tout, j’espère que vous avez bien tout noté. On ne peut rien dire maintenant, puisque la liberté d’écrire n’existe plus. Après ! cela aura son prix. » Besson m’a répondu d’être tranquille, que lui, et surtout Werth15, sont documentés, et qu’ils le montreront, le moment venu.
Besson m’a dit aussi : « Et vous, vous n’écrirez rien ? — Que voulez-vous que j’écrive. On supprime tout. Inutile de travailler pour rien. »
Inutile également de s’attirer des ennuis sans au moins en avoir un bénéfice. J’écrirais quelque chose, on me le supprimerait, et on ne me noterait pas moins comme mauvais esprit. Témoin Pioch16, qui me disait tantôt que, affecté depuis un an à je ne sais quel service de munitions, sous un général ami de Jaurès et très bienveillant, il n’en a pas moins été exclu pour le premier mars prochain, malgré tous les efforts dudit général, comme « indésirable » et renvoyé à la « section ».
Le cortège des obsèques de Mirbeau méritait d’être vu. Il y avait là bien des gens sur lesquels Mirbeau a tapé dur, bien d’autres sur lesquels il eût aimé à en faire autant : les Donnay17, les Capus18, les Coolus19, ces écrivains graveleux transformés du jour au lendemain en patriotes invincibles, en stratèges profonds, en Tyrtées à gages20 loin de tout danger21. Ils l’ont eu, au moins en apparence. Ils ont voulu le mener jusqu’au trou, pour être plus sûrs de leur victoire. C’en sera toujours une qu’ils auront emportée. Les victoires de Tartuffe sont décidément plus faciles que les victoires militaires.
Je le disais à George Besson : « Quand on est un homme avec des idées libres, de ces idées qu’on appelle subversives, on ne devrait pas mourir dans la décrépitude. Par soi-même, ou par son entourage, cela vous joue de mauvais tours. »
Cette Mme Mirbeau aller s’amuser à cela. Certes, les catins ne me sont nullement antipathiques. Jeunes, elles m’intéressent pour la beauté qu’elles ont souvent. Vieilles, elles me font rêver et souvent m’attendrissent, comme de vieux objets d’amour mis au rebut. Vraiment, les vieilles catins devraient se contenter de mourir dans le sein de l’église, puisqu’elles éprouvent toutes ce besoin, et foutre au moins la paix à leur compagnon de vieillesse, quand elles en ont un.
Dans le cortège, je suis abordé par Séverine22, qui me reproche de n’être pas allé lui dire bonjour. Je lui réponds qu’elle était en conversation et que je n’ai pas voulu la déranger. Elle a la bonté de me dire que je ne la dérangerai jamais. Elle me dit : « Eh ! bien, Léautaud, qu’est-ce que vous dites ? — Madame, je ne dis rien, et je n’en pense pas moins. » Elle s’extasie, comme moi, sur la composition du cortège. Elle me dit : « Il paraît que nous allons avoir un discours d’Hervé », et elle me le montre, à trois ou quatre rangs devant nous, marchant en compagnie d’Ernest Vaughan23. Je n’avais jamais vu Hervé. Je l’ai regardé, à plusieurs reprises. Exactement l’air d’un marchand de vins, le plus vulgaire, endimanché. Au cimetière, un discours, un unique discours, et un discours d’Hervé, et malgré le désir, on peut même dire la volonté de Mirbeau : obsèques civiles, pas de discours. C’est un monde. Un écrivain qu’on enterre, dans une assistance d’écrivains, la plupart de ses collègues d’académies présents et le seul discours qu’on entend, alors qu’on ne devrait en entendre aucun, c’est un homme comme Hervé qui le prononce ! Qu’il a eu raison, ce farceur, de dire, dans son discours : « Mon pauvre Mirbeau, la vie est laide. » Vraiment, elle n’a jamais été plus laide qu’aux jours que nous vivons. Les canailles et les imbéciles sont innombrables, et c’est une grande tristesse à éprouver, que plus on vieillit, plus on s’aperçoit qu’ils sont nombreux. Une autre phrase d’Hervé qui mérite d’être retenue, c’est celle-ci : « Mon cher Mirbeau, vous aurez été un homme heureux. Vous avez vu la mobilisation du mois d’août 1914. » Également de nombreuses allusions à leurs entrevues, à leurs conversations, pendant ces derniers mois, montrant le malheureux Mirbeau s’accrochant à lui à chaque visite, lui disant d’un ton suppliant : « Alors, vous en êtes bien sûr, c’est la victoire ? » et qu’il avait besoin qu’on le lui dise et le lui répète, cet homme, pour pouvoir se résigner à mourir. J’ai murmuré, pour mes voisins : « Si Mirbeau entendait, comme il éclaterait de rire ! » Quelle farce, quand on a connu Mirbeau et lu seulement deux de ses livres ! Quelle farce, oui ! Je me demande si, au fond, il était si gâteux qu’on le dit, s’il n’avait pas gardé sa veine sarcastique en questionnant ainsi cet arlequin d’Hervé, et s’il n’y avait pas qu’ironie féroce et déguisée dans ses : « Alors, vous en êtes bien sûr, c’est la victoire ? » C’est que ç’aurait été fort bien dans le ton de Mirbeau et quelle belle histoire ce serait s’il avait ainsi mystifié le balourd qui voulait le convertir.
Il y a eu quelques légères protestations quand Hervé a commencé, quelques remarques ironiques durant qu’il parlait, en somme bien peu de chose. Je ne crois pas, toutefois, d’après les propos que j’ai entendus çà et là dans le cortège et au cimetière, qu’on fût dupe, en général, et qu’on approuvât la comédie de la conversion civique de Mirbeau.
Mme Mirbeau, que j’ai bien regardée, après la descente du corps dans le caveau, ne manque pas du tout de distinction.
Quand je suis rentré au Mercure, je suis monté chez Vallette. Je lui ai dit : « Eh ! bien, il paraît que c’est vrai. Mirbeau est bien mort dans « le sein de la patrie ». (Cette expression est de moi, comme pendant au sein de l’église, je tiens à le noter.) Seulement, il paraît que cela n’a pas été sans une cuisine odieuse. » Je l’ai alors mis au courant de tout ce que je venais d’apprendre. Vallette a fait l’occupé, m’a à peine répondu. Après qu’il s’était extasié et répandu en phrases sur la « conversion civique » de Mirbeau, l’histoire le défrisait, c’était visible.
Un détail à noter : extrêmement peu d’assistants ont passé, au cimetière, après la cérémonie, devant Mme Mirbeau24.
Mirbeau avait épousé une ancienne cocotte du Second Empire, Alice Regnault, la sœur de Julia Bartet25, de la Comédie-Française, qui avait pris ce nom de Bartet au théâtre. Toutes les portes de la haute société s’étaient fermées pour Mirbeau, à cause de son mariage. Il s’était vengé, lui alors réactionnaire, en devenant un ennemi de la Société, avec une grande S26 Il était assez sous la domination de sa femme, elle ayant apporté la fortune, et que les visiteurs ne voyaient jamais. Je n’arrive pas à retrouver le nom du personnage qui dit un jour à Mirbeau, à propos de son mariage : « Votre vrai prénom, Monsieur Mirbeau, ce n’est pas Octave, c’est Alphonse27. » Mirbeau ne répliqua pas. Quand j’allai, sur son invitation, le voir à Triel, et déjeuner, avec George Besson, elle ne parut point. Quand il achetait un tableau, il le donnait en garde à un ami, disant : « Je l’entrerai quand elle ne sera pas là. » Il avait quelquefois des mots énormes. Le jour de notre visite à Triel, à Besson et à moi, il vint nous chercher à la gare dans une sorte de carriole. Nous étions à peine assis : « Oh ! vous savez, j’ai découvert un garçon de ce pays ! Il ne sait même pas lire. Un talent ! un talent !… » De même, nous faisant admirer les plantations de son jardin, et comme en effet nous admirions : « Hein ! c’est fameux. Des choux ! des choux, pas autre chose ! »
Mirbeau donnait des articles au Journal. Directeur Fernand Xau28. Articles féroces pour des tas de gens et que les lecteurs attendaient avec impatience. La rédaction s’en alarmait, essayait de refréner le massacre de Mirbeau. Il leur proposa ce marché : « Vous ne me paierez plus mes articles. Cela va. Je les écrirai pour rien, pour mon plaisir. Cela va. » Le Journal, vu le succès des articles, dut en passer par là.
Sa pièce, Les Affaires sont les Affaires, qu’il réussit à faire recevoir par Jules Claretie, à force d’insistance et de menaces déguisées et de ses Échos dans le monde du théâtre !!! Je me rappelle ce mot d’un personnage : « Un verre de petit vin blanc. » Ce pauvre Claretie alarmé : « Oh ! Monsieur Mirbeau, du petit vin blanc à la Comédie-Française ! Mettez du Marsala29 ! » Maurice de Féraudy connut le plus grand succès de sa carrière dans le personnage principal30. De même Leloir31 dans celui du marquis d’Auberive32.
Notes
1 Louise Lara (Louise Larapidie-Delisle, 1876-1952) a débuté à treize ans au côté de Sarah Bernhardt avant d’être engagée à 19 ans au théâtre de l’Odéon. Premier prix du conservatoire à vingt ans Louise Lara a aussitôt été engagée à la Comédie-Française avant d’en être renvoyée après la guerre pour pacifisme et surtout pour son adhésion à la CGT. Elle fonda alors avec son mari, l’architecte Édouard Autant (1872-1964) une troupe où se jouaient les pièces d’avant-garde. Louise Lara et Édouard Autant sont les parents du cinéaste Claude Autant-Lara (1901-2000).
2 Le procédé est particulièrement cruel et inélégant, d’autant que la première photo présente un Octave Mirbeau âgé d’une trentaine d’années, semblant être prise vers 1880. Une troisième photo est en page deux où l’on trouve le texte de l’article nécrologique. Dans son numéro du lendemain, Excelsior, qui a oublié de le noter dans la précipitation, donnera les noms des photographes, Henri Manuel pour la première photo et les ateliers Talma pour la seconde. Rien pour la troisième. Précisons, parce que rien ne l’indique, qu’Octave Mirbeau était roux. Excelsior était un journal luxueux. La reproduction de photographies dans les journaux était courante à l’époque mais sa une ne comportait que de grandes photos sur beau papier. C’était un quotidien ressemblant à un hebdomadaire. Il coûtait dix centimes, comme Le Figaro quand Le Temps en coûtait quinze et Le Matin cinq.
3 Triel-sur-Seine est une commune des Yvelines située sur une boucle de la Seine à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Paris et desservi par une gare de chemin de fer. Octave Mirbeau avait fait construire en 1908 une maison sur les coteaux de Cheverchemont, dans une rue qui porte aujourd’hui son nom. Au cours d’un échange de messages, Pierre Michel, cité en tête de cette page, a bien voulu communiquer une photo qu’il a prise de la maison d’Octave Mirbeau en mars 2017.

Maison d’octave Mirbeau à Triel (photo mirbeau.asso.fr)
Le curieux trouvera cette maison sur Street View au 19 rue Octave Mirbeau à Triel-sur-Seine. Elle sera à vendre un jour (travaux à prévoir).
4 George Besson (1882-1971), collectionneur et critique d’art, militant communiste. En mai 1937, George Besson demandera à PL un texte sur les chats pour la revue Mieux vivre. Voir aussi le Journal littéraire au six septembre 1953. Une page sur George Besson est prévue ici dans un mois, le premier décembre.
5 Le samedi seize mai.
6 Cette crainte d’avoir à « payer les plaisirs passés » bien que parfaitement irrationnelle, est récurrente chez Paul Léautaud, qui n’avait pourtant rien de catholique.
7 Cette seconde version ne paraîtra qu’en 1921, dans Les Cahiers d’aujourd’hui de George Besson.
8 Toute sa vie, Paul Léautaud reprochera à Remy de Gourmont, auteur du Joujou patriotisme, mort en septembre 1915, d’avoir montré, avant sa mort, un ramollissement patriotique. Le cas d’Octave Mirbeau est fort différent. Au matin du 19 février, jour de ses obsèques au cimetière de Passy, les journaux, ont tous titré sur le « testament politique » d’Octave Mirbeau, reprenant le texte du Petit Parisien « Le plus fort tirage des journaux du monde entier » avec cette citation en exergue « Il faut qu’on découvre, comme je l’ai découvert moi-même, que la Patrie est une réalité. »

Paul Léautaud et les lecteurs de 1917 les moins avisés, pourtant abreuvés comme pendant toute guerre, de fausses nouvelles chaque jour, ont avalé le canular avec le même enthousiasme que le tiktokeur de 2024. Dans les « Échos » du Mercure du premier mars 1917 on peut lire, page 185 : « Par une mystérieuse logique de sa destinée, les obsèques de Mirbeau furent pour certaines personnalités politiques un rendez-vous presque orageux. Le discours prononcé par Gustave Hervé au bord de la tombe provoqua des murmures dans l’assistance et le lendemain un journaliste, de ceux qui portent le plus haut la prétention d’être restés fidèles à l’idéal servi par Mirbeau, qualifiait la cérémonie de guet-apens. » Le nom de ce journaliste n’est pas cité mais on peut voir Le Radical du vingt février, page deux (sur deux). En fait c’est la comédienne Alice Regnault, épouse Mirbeau (note 12) qui a falsifié, en bonne veuve abusive, la pensée de son mari grâce à la complicité du trouble Gustave Hervé (note 14).
9 Octave Mirbeau habitait, au rez-de-chaussée le grand immeuble d’angle, au numéro un, où il avait emménagé en octobre précédent, quittant le rez-de-chaussée du un de la rue Ampère afin de se rapprocher de son médecin.
10 Par « sorte d’interview » on peut penser au numéro du treize août 1914, pages une et deux. Mais il y avait eu, deux semaines auparavant, le 28 juillet, ce triste article en première colonne de une.
11 Blanche Pierson (1842-1919) avait créé le rôle de Mademoiselle Rambert la directrice du Foyer, le 7 décembre 1908.
12 La comédienne, chanteuse et prostituée Alice Regnault (Augustine-Alexandrine Toulet 1849-1931) épousée discrètement à Londres en mai 1887.
13 La légende veut que l’histoire du couple Mirbeau soit à l’origine de la comédie en quatre actes de Sacha Guitry Un sujet de roman créée au théâtre Édouard VII en janvier 1923, avec Lucien Guitry et Henriette Roggers.

Plusieurs critiques évoquèrent en effet le nom d’Octave Mirbeau. Les amateurs de Sacha Guitry, qui ne sont pas forcément amateurs d’Octave Mirbeau — alors que l’un et l’autre s’appréciaient — ont voulu récuser cette inspiration, déjà suggérée par plusieurs critiques de l’époque comme Régis Gignoux dans le Comœdia du cinq janvier 1922 qui écrivit (page une, colonne quatre) : « On peut également penser à cet acte de Mirbeau où un vieux ménage vidait son éternelle querelle. » Vieux ménages est en effet le titre de l’acte (créé en1894) évoqué par Régis Gignoux. Voir aussi Claude Farrère dans Le Gaulois, même date ou Guillot de Saix en une de La France (même date aussi).
La pièce avait été programmée pour les fêtes de fin d’année avec une générale le 18 décembre 1922 mais cet après-midi-là Sarah Bernhardt, qui devait tenir le rôle de l’épouse, eu un malaise dans l’après-midi et ne remonta plus jamais sur scène. Elle mourut le 26 mars 1923. Cette fin d’année 1922 on reparlait d’Octave Mirbeau grâce à la création, fin octobre au Grand-Guignol, du drame en trois tableaux de Pierre Chaine tirée du désagréable recueil de nouvelles Le Jardin des supplices paru chez Charpentier en 1899.
14 Gustave Hervé (1871-1944), homme et écrivain politique qui passa, au début de la guerre, du pacifisme le plus affirmé au bellicisme le plus violent, ce qui fut, malgré l’époque, considéré comme une trahison par ses premiers amis socialistes. Son journal La Guerre Sociale devint La Victoire en janvier 1916, installé au 142 de la rue de Montmartre. Ce 19 février 1917, Le Petit Parisien publie le « Testament politique » d’Octave Mirbeau dont on sait qu’il a été rédigé par Gustave Hervé avec l’accord complice d’Alice Regnault. Ce spécialiste ès palinodies sera à la fois, au cours de la guerre suivante, et avec les mêmes convictions, bolchéviste et fasciste, pétainiste et gaulliste. On peut noter que La Victoire fut l’un des premiers journaux à reparaître, le 17 juin 1940, quatre jours après l’occupation de Paris, c’est-à-dire la défaite, mais pour quatre numéros seulement.
15 Léon Werth (1878-1955), romancier, essayiste, critique d’art et journaliste. C’est Léon Werth qui a terminé Dingo, le dernier roman de son ami Mirbeau dont il partageait les idées.
16 Journaliste et militant communiste, Georges Pioch (1873-1953), publie des recueils de poèmes au Mercure de France et participe à la revue Vers et prose de Paul Fort. Rédacteur en chef de Gil Blas en 1910, des Hommes du jour en 1914, il milite pour la libération d’Alfred Dreyfus. Le 13 novembre 1918, à l’occasion du déjeuner suite aux obsèques d’Apollinaire, Paul Léautaud en dressera un portrait saisissant.
17 Centralien et ingénieur, c’est par la petite porte que Maurice Donnay (1859-1945) est entré en littérature, comme chansonnier au côté d’Alphonse Allais, avant de poursuivre une carrière d’auteur dramatique à succès, particulièrement apprécié de Jules Renard. Dans le Mercure du 16 avril 1908 à propos de Petite hollande, comédie de Sacha Guitry, Maurice Boissard écrira : « M. Sacha Guitry, lui, est un élève de M. Maurice Donnay. Il mêle, comme l’auteur d’Amants [Donnay], le pathétique avec la blague boulevardière, et adoucit de plaisanterie la passion de ses personnages. » De Maurice Donnay, Maurice Boissard chroniquera Le Ménage de Molière (Mercure du 16 juillet 1912) et Les Éclaireuses (1er avril 1913). Maurice Donnay siègera trente-huit ans à l’Académie française, où il a été élu il y a dix ans, en février 1907.
18 D’abord journaliste, Alfred Capus (1858-1922) se fit connaître par des chroniques. Il fut ensuite rédacteur en chef du Figaro (1914). Dans le même temps on pouvait découvrir un Alfred Capus romancier. Mais c’est au théâtre qu’Alfred Capus a donné sa pleine mesure avec sa quatrième pièce, Rosine, en 1897. Alfred Capus sera président de la société des Gens de lettres et reçu à l’Académie française en en juin prochain par Maurice Donnay.
19 Romain Coolus (René Max Weill, 1868-1952), romancier, auteur dramatique fécond et scénariste. Normalien, professeur agrégé de philosophie, Romain Coolus a rapidement quitté le métier dès ses premiers succès au théâtre.
20 Tyrtée (VIIe siècle avant), le poète officiel de Sparte, auteur des Exhortations, chants guerriers glorifiant le combat.
21 Le Petit Parisien du vingt février (page deux) et Excelsior (page quatre) donnent une liste de participants.
22 Séverine (née Caroline Rémy, 1855-1929), écrivaine et journaliste libertaire et féministe. Mariée de force à un employé du gaz qu’elle a quitté rapidement, Séverine s’est ensuite mariée une deuxième fois avec un riche médecin suisse dont elle a rapidement divorcé avant de rencontrer Jules Vallès en 1879, de 18 ans son aîné. C’est à ses côtés que Séverine s’est épanouie. Elle a permis à Jules Vallès de relancer Le Cri du peuple, grâce au soutien financier de son ancien mari. Séverine est devenue la directrice du journal après la mort de Jules Vallès en 1885. C’est là que Séverine a rencontré Georges de Labruyère (1856-1920) avec qui elle a vécu jusqu’à sa mort. Séverine sera, aux côtés de Jeanne Mette et d’Arvède Barine, une des fondatrices du prix Femina.
23 Ernest Vaughan (1841-1929), fondateur du journal L’Aurore en 1897. Ernest Vaughan fut avec Georges Clemenceau l’organisateur de la parution de J’accuse… ! en janvier 1898. Directeur de l’hôpital des Quinze-Vingt de 1902 à 1918.
24 On peut penser que la rédaction de cette journée s’arrêtait ici. À la date du treize janvier 1956, alors que Paul Léautaud est en train de préparer l’édition du tome III du Journal littéraire (années 1910 à 1921) nous pouvons lire : « Dans l’année 1917, il est question de la mort d’Octave Mirbeau. J’ai écrit, absolument de mémoire, un long supplément à ce passage de sa mort, sur son mariage, ses amours, ses changements d’opinion, sa collaboration au journal Le Journal, ma visite et déjeuner chez lui à Triel avec George Besson, tout cela comme si c’était d’hier. »
25 Il se trouve que la comédienne Julia Bartet (1854-1941) est née Regnault alors que qu’Alice Regnault (Madame Mirbeau), fille unique, est née Toulet, ce qui entraîne la confusion de Paul Léautaud. Dans Vipère lubrique pages 158-159, Auriant tancera vigoureusement PL pour cette méprise.
26 Nous ne sommes plus habitués à ce que les lettres de l’alphabet aient un genre, qui était relié à la prononciation. Les consonnes dont la prononciation se termine par une voyelle étaient masculines (bé, cé, dé…). Masculines aussi étaient les voyelles. Les autres lettres étaient féminines. Certaines lettres comme le f (la f ?) ont vu leur genre changer au cours des âges. Paul Léautaud tenait assez à cette distinction et l’a évoquée à plusieurs reprises. Ces subtilités sont de nos jours tombées en désuétude.
27 Un « Alphonse », en langage populaire de l’époque était un souteneur.
28 Fernand Xau (1852-1899), fondateur du Journal, alors littéraire, en septembre 1892, qu’il a dirigé jusqu’à sa mort (pour cause d’alcoolisme à moins de 48 ans). Fernand Xau et Octave Mirbeau se sont brouillés à cause de l’affaire Dreyfus, Xau étant antidreyfusard.
29 Octave Mirbeau, Les Affaires sont les affaires, comédie en trois actes dédiée à Jules Claretie et représentée à la Comédie-Française le vingt avril 1903. L’édition de la pièce en volume est parue chez Charpentier la même année sans date plus précise mais vraisemblablement après la première. On peut noter que le texte (acte II, scènes X et XI, pages 169 et 183 de l’édition originale) porte « Un verre de Porto ».

30 Maurice de Féraudy (1859-1932), sociétaire de la Comédie-Française en 1887 et doyen en 1929. Maurice de Féraudy est aussi dramaturge et réalisateur. Il avait le monopole du rôle de Théodore Lechat dans Les Affaires sont les affaires et l’aurait joué 1 200 fois. De fait cette excellente comédie ne tient que par le rôle d’Isidore Lechat, brute arriviste, qui en est quasiment l’unique personnage.
31 Leloir (Louis Pierre Sallot, 1860-1909), sociétaire de la Comédie-Française de 1889 à sa mort. Louis Leloir a aussi été professeur au Conservatoire, notamment de Roger Karl (voir le Journal littéraire au 1er août 1938).
32 Lapsus de Paul Léautaud, le marquis d’Auberive étant un personnage des Effrontés, comédie en cinq actes d’Émile Augier de 1861. Paul confond avec le marquis de Porcelet, ruiné mais encore flamboyant, que Isidore Lechat tente d’acheter en annulant ses dettes afin de lui faire épouser sa fille Germaine. La comédie d’octave Mirbeau est visible de nos jours sur le site web de l’INA (pour les abonnés), dans l’excellente version de Jean Meyer au théâtre Marigny en 1974.