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André David (1899-1988) intéresse surtout les lecteurs de Paul Léautaud pour avoir été proche de la très antisémite Rachilde, peut-être parce qu’il était catholique mais plus vraisemblablement par manque de cohérence dans les idées de Rachilde. De 39 ans son cadet il a publié avec elle un roman, Le Prisonnier, aux éditions de France 1928.

Toute après-guerre ouvre des mondes nouveaux. En 1890, Rachilde avait trente ans. Grâce aux progrès de l’imprimerie, qui ne cesseront pas pendant un siècle, le monde nouveau c’était les innombrables revues surgies à la fin du siècle.
En 1924, Rachile à 64 ans. Une vieille femme, à l’époque. La guerre a changé bien des choses. Elle commence maintenant à être ignorée de la jeune génération. Sa dernière chronique régulière des « Romans » du Mercure paraît dans le numéro du 15 avril 1924. Pour continuer d’exister, elle pense devoir s’entourer de jeunes gens, que Paul Léautaud voit défiler avec cynisme. La fréquentation de cette jeunesse a tant d’importance pour elle qu’elle n’hésite pas à dévaloriser sa signature en la laissant s’associer avec de parfaits inconnus, même si certains sont talentueux. Pas tous.
Ainsi dans le milieu des années 1920 voyons-nous passer le Portugais Francisco de Homem Christo (1892-1928), pour Le Parc du mystère, Flammarion 1923 et Au Seuil de l’enfer, Flammarion 1924. Lire, dans le Journal littéraire au 28 décembre 1925 une conversation entre Alfred Vallette et Paul Léautaud.
Jean-Joë Lauzach (1797-1983) n’est pas cité par Paul Léautaud. Rachilde a pourtant inscrit son nom à la droite du sien sur la couverture du Val sans retour, Fayard 1929 et Crès 1930 et aussi pour L’Aérophage, en 1935 chez Les écrivains associés. Pour être complet, sachons que Jean-Joë Lauzach est aussi, à lui tout seul, l’inoubliable auteur d’Enquête entre deux slips, récit fort court il est vrai, neuf pages, paru dans l’un des derniers numéros (avril 1931) de l’assez éphémère revue Jazz. Ce texte indispensable a heureusement été réédité en 1994, le patrimoine littéraire français est donc sauf.

Dédicace de Rachilde à Henri Béraud
L’unique mention de Nel Haroun dans le Journal littéraire est dans la journée du 17 décembre 1936 :
J’ai oublié de noter : Rachilde a écrit un roman avec Nel Haroun. Un roman policier, paraît-il. C’est le Mercure qui va l’éditer. Elle dit en riant que Vallette ne le lui aurait pas pris. C’est bien la vérité. Pour lui donner encore plus d’intérêt, il y aura une préface de Ferdinand Herold.
Alfred Vallette est mort il y a plus d’un an maintenant, en septembre dernier, et la veuve est bien joyeuse. Elle s’est associée au danseur et gigolo roumain Nel Haroun (Joan Nicolaï Nicolesco), pour L’Autre crime, qui paraîtra au Mercure en 1937.
Avant cela, Rachilde avait publié Mon étrange plaisir, à La Baudinière, en 1934. Du vivant de son mari, une parution au Mercure n’était pas envisageable et, de plus, Rachilde était coutumière de ces incartades chez d’autres éditeurs. Le texte original était de Neil Haroun, à qui Rachilde a eu bien du mal à expliquer que son nom seul ne suffirait pas à convaincre les éditeurs. Cet Étrange plaisir est donc paru sous le nom de Rachilde, suite à on ne sait quelles tractations.
Lire, avec gourmandise, l’article de Pierre Philippe, « Rachilde saisie par la débauche », Le Monde du 21 août 1998.
La première fois que le nom d’André David est cité par Paul Léautaud est dans le Journal littéraire au trois février 1922 :
… le jeune André David, qu’elle couve depuis quelque temps comme une cane son canard…
C’est à propos d’une histoire de légion d’honneur, donc sans intérêt. Lisons quelques semaines plus tard, au 29 avril :
Depuis quelque temps son nouveau poussin littéraire est le jeune André David, joli garçon fort élégant, fils d’un joaillier de la rue de la Paix. Je tiens de Vallette que ce garçon reçoit de son père 1 000 francs par mois comme argent de poche. Il est tout le temps fourré chez Rachilde, entrant chez elle à toute heure, et elle, de son côté, est tout le temps à dîner ou déjeuner chez les parents. André David semble être la vedette des mardis, tout le monde est après lui et il amène avec lui toute une collection de dames sur lesquelles je manque de renseignements, ne fréquentant plus depuis longtemps le salon de Rachilde, en quoi j’ai peut-être tort. La sœur de cet André David est fort jolie. Après plusieurs essais André David a réussi à avoir une nouvelle prise au Mercure1. Je ne l’ai pas lue. Je sais qu’il achète sans cesse des numéros de l’exemplaire la contenant et que ces deux ou trois derniers mardis, des dames sont descendues de chez Rachilde pour acheter ce numéro, venant sans doute d’apprendre de lui qu’il y avait collaboré.
L’année suivante, le onze mai 1923, nous sommes en pleine affaire Aurel :
Un moment après elle [Rachilde] vient me trouver dans mon bureau. Le jeune André David est traité [dans le journal d’Alfred Mortier à numéro unique] par Aurel de : Le triste André David. Rachilde me dit qu’il ne va certainement pas manquer de lui répondre et comment. Jusqu’ici elle l’avait retenu. Cette fois-ci, elle collaborera avec lui et, s’il manque de mordant, elle y suppléera.
Toute la journée suivante, douze mai 1923, décrit des entretiens entre André David et Rachilde. Mais cinq ans plus tard, le quatorze décembre 1928, ça semble bien fini. Dans l’édition papier du Journal, André David est masqué sous l’initiale Z.
Rachilde se met ensuite à me parler de Z, comme elle l’a fait l’autre soir devant Vallette, se plaignant de ses procédés, disant qu’elle commence à avoir assez des juifs, que celui-là encore est bien juif, que ces gens-là n’ont décidément pas la moindre idée du tact et de la délicatesse. « Savez-vous le tour qu’il vient encore de me jouer ? Il m’a fourrée dans une vente de livres qu’il organise dans je ne sais quel magasin d’objets d’art, rue de La Boétie, je crois, sans même me demander si cela me plairait. Il a tellement besoin d’argent. Il ferait n’importe quoi pour en avoir. Ce qu’il fait ne me regarde pas. Je m’en fiche. Mais voyez-vous ? Me fourrer dans cette affaire, comme vendeuse, moi aussi. Ah ! non, non. Il aurait pu au moins me demander la permission. J’en ai du reste assez de collaborer avec lui. Il me joue des tours pendables. Fini. Je suis d’ailleurs en train de préparer quelque chose, un livre que je vais écrire avec un jeune homme… Un garçon tout à fait remarquable. Vous verrez cela. Je viens justement de lui envoyer le canevas… »
André David est évoqué une fois au trois juin 1932, ce sera la dernière.
⁂
André David et son frère, Guy, ont été les fondateurs des Conférences des ambassadeurs. André David a collaboré à la Revue des Deux Mondes.
André David a publié Rachilde homme de lettres, aux éditions de la Nouvelle revue critique en 1924.
Il a aussi publié, en collaboration avec « un Dominicain » : Mon père répondez-moi chez Gallimard en 1939 ;
En collaboration avec Heinrich Mann Du glaive et de l’esprit : hommage aux hommes et aux femmes de l’Union soviétique (1942) ;
Pleins feux sur Hollywood, André Bonne 1956. Ce récit date des années 1940-1945 lors d’un séjour forcé aux États-Unis au cours duquel André David a dirigé l’Institut français de Los Angeles. Lire l’article d’Henri Magnan dans Le Monde du 17 mai 1956 ;
Paroles d’or. Les coulisses des Conférences des ambassadeurs, Table ronde 1969 ;

75 années de jeunesse. Du vivant des héros de Marcel Proust, André Bonne 1974. « Barbey d’Aurevilly et Paul Léautaud, la duchesse de Rohan et Boni de Castellane, Maurice de Rothschild et le maréchal Lyautey, Hélène Vacaresco et Tristan Bernard défilent, la fleur au corsage ou l’œillet à la boutonnière, au fil de pages savoureuses. » (Court article paru dans Le Monde du sept juin 1974 signé P.V.P., peut-être Pierre Viansson-Ponté).
Du côté des romans c’est beaucoup moins glorieux :
Le Roman du Désir : L’Escalier de Velours, accompagné d’une préface de Rachilde, Flammarion 1922 ;
Le Roman du plaisir — Souteneur blanc, paru en trois livraisons du Mercure du quinze avril au quinze mai 1923 puis en volume au Mercure à partir du quinze avril 1923 ;
Le Vice d’une femme aux éditions de France en 1929 ;
Sensualité chez le même éditeur l’année suivante ;
André David a tenu son journal de 1941 à 1974 (non publié), dont Pleins feux sur Hollywood constitue sans doute un extrait.
André David — Le Mercure de France entre les deux guerres
Texte paru dans la Revue des Deux Mondes d’août 1971, pages 290-301. De nombreuses italiques ont été rectifiées en romain, d’autres, manquantes ont été rétablies.
… Les mardis de Rachilde : de Liane de Pougy à la duchesse de Rohan. Une grande courtisane : Émilienne d’Alençon. Rachilde entre Jean Lorrain et Barbey d’Aurevilly. Catulle-Mendès la fait s’agenouiller devant Victor Hugo. Avec Verlaine. De Paul Léautaud à Rachilde et Alfred Vallette. Élémir Bourges et le prix Goncourt en 1922
Jean Cocteau disait fort justement : « Le Mercure de France est le conservateur des vieilles anarchies2. »
Les pontifes de cette maison d’édition longtemps glorieuse se contentaient de ce que Rémy de Gourmont vendît quinze cents exemplaires des Lettres à l’Amazone3 et de la Physiologie de l’Amour4. Léon Bloy, Francis Jammes, Paul Fort, Henri de Régnier, pour ne citer que ces quatre piliers de la maison, auraient bien voulu pouvoir en dire autant et même André Gide qui y fit ses débuts et ne connut de gros tirages qu’après la publication de son Retour de l’U.R.S.S5.
La revue à couverture mauve ornée d’un caducée et la maison d’éditions publiaient les œuvres les plus représentatives de la fin du siècle et du commencement du nôtre, avant d’être supplantées par la Nouvelle Revue française.
Celle pour laquelle fut créée cette maison d’éditions qui joua un grand rôle dans la vie intellectuelle contemporaine, c’est-à-dire Rachilde, m’introduisit dans le cabinet où son mari, Alfred Vallette, était assis devant son bureau directorial près d’une fenêtre s’ouvrant sur la rue de Condé, entouré de Louis Dumur — rédacteur en chef — de Paul Léautaud — secrétaire de rédaction et critique dramatique — et de Jean Cassou.
Si Alfred Vallette n’était tombé amoureux de Rachilde, le Mercure de France n’aurait sans doute jamais paru. Voici quelles furent les conditions.
Un soir de 1888, Alfred Vallette déambulait au bal Bullier en compagnie d’Albert Samain. Le poète du Jardin de l’Infante lui dit :
— Mademoiselle Rachilde se trouve ici, je vais vous présenter à elle.
— Je préfère que vous n’en fassiez rien, répondit le futur directeur du Mercure, car je ne goûte pas beaucoup ce genre de littérature.
Il importe de rappeler ici qu’à vingt ans, Rachilde avait connu un succès de scandale en publiant un roman intitulé Monsieur Vénus6 qui semble aujourd’hui de l’eau de rose.
À cette époque, aux alentours de 1880, il y avait à Paris seulement six femmes de lettres qui portaient de la copie dans les rédactions. Rachilde mangea de la vache enragée. Elle s’habilla en homme. Elle eut l’autorisation officielle de la préfecture de Police comme Mme Dieulafoy qui, elle, l’obtint pour ses travaux d’archéologie7 — elle s’habilla en homme afin d’économiser les toilettes et aussi pour courir plus facilement les reportages. Son habit de soirée dura dix ans, et ses cartes de visite étaient gravées : Rachilde, homme de lettres.
Bref, Monsieur Vénus, édité en Belgique, suscita des passions. L’opinion publique traîna la jeune romancière dans la boue. On inventa des légendes ; le Parquet de Bruxelles ordonna la saisie du livre ; la correspondance de l’éditeur fut interceptée ; les scellés apposés sur les épreuves d’un autre ouvrage qui n’était pas poursuivi ; enfin une Chambre correctionnelle de Bruxelles la condamna à deux ans de prison, et à deux mille francs d’amende, peines qui furent heureusement remises. L’opinion n’était pas encore préparée à accepter dans sa nudité l’exhibition des sentiments d’une femme virile et d’un homme efféminé.
Accusée par le ministère public d’avoir inventé un vice nouveau, poursuivie par une presse hostile, Rachilde confiait ses ennuis à Verlaine qui aimait ce livre pour lequel, plus tard, à sa réimpression, Maurice Barrès, lui, devait écrire une préface. Et le poète de Sagesse la consolait par ces paroles : « Ah ! ma chère enfant, si vous aviez inventé un vice nouveau, vous seriez une bienfaitrice de l’humanité. »
Quant à Barbey d’Aurevilly, il la défendait par cette boutade : « Pornographe, soit ! mais tellement distinguée. »
Voici donc les raisons qui, au premier chef, écartaient Alfred Vallette. Tout cela me fut raconté en détail et avec beaucoup de rires par les intéressés eux-mêmes durant les vacances d’été que je passai dans leur petite maison des bords de la Seine8. Albert Samain fit néanmoins les présentations. Mlle Rachilde était comme à son accoutumée en costume masculin. Vallette dut vite s’apercevoir que le petit jeune homme en question en savait plus long que ce que l’on apprend généralement à l’école. Ils se revirent souvent chez la Mère Clarisse, où l’on buvait la seule bière de Strasbourg alors trouvable à Paris9 et où retentissaient les interminables discussions des poètes. C’est ainsi que Rachilde (de son vrai nom Marguerite Eymery) épousa Alfred Vallette. Les témoins du marié furent Albert Samain et Laurent Tailhade ; ceux de la mariée Léo Trézenik10, directeur de la revue Lutèce (dans laquelle Willy, le premier mari de Colette, débuta sous la signature de l’Ouvreuse), et le célèbre astronome Camille Flammarion. Après le repas de noces traditionnel, les nouveaux époux rentrèrent chez eux, rue de l’Échaudé-Saint-Germain11 ; et c’est là qu’un an plus tard, en 1890, leur naquit une fille en même temps que le Mercure de France. Car Alfred Vallette n’admettait pas que sa femme courût les salles de rédaction et fît antichambre chez les éditeurs. La création de la revue mauve, couleur favorite de Rachilde, et de la maison d’édition de l’école symboliste, est en somme un cadeau d’anniversaire offert à la jeune femme qu’avant son mariage Maurice Barrès avait surnommée Mlle Baudelaire.
Cinq années auparavant, en 1884, comme Rachilde allait faire un service de presse chez un éditeur, elle avait aperçu au fond d’un cabinet où s’entassaient de vieux papiers, un jeune homme mince, extrêmement pâle, dont les yeux, dira-t-elle, faisaient le tour de la tête ; il était élégant et distant, et son visage sérieux. Le bruit courait que les affaires de l’éditeur étaient en fâcheuse posture, aussi semblait-il attendre celui-ci avec impatience. Il s’approcha :
— Mademoiselle, croyez-vous qu’il viendra ? Êtes-vous dessinatrice ?
— Non, monsieur, je suis l’auteur des Histoires Bêtes12 qui viennent de paraître.
— Vous n’avez pas fait que cela ? reprit le jeune homme qui pensait à Monsieur Vénus mais n’osait pas en parler.
En ce temps-là, Maurice Barrès fréquentait chez Stanislas de Guaïta13. Fluidique et blond, avec des yeux verts, celui-ci était fervent de sciences ésotériques et distillait des parfums qui représentaient tel bonheur ou telle tristesse. Pour contredire Rachilde qui prédisait à Maurice Barrès qu’il était destiné à être de l’Académie française et ministre de l’Intérieur14, Stanislas de Guaïta lui annonçait les pires catastrophes et que la conjonction des astres conspirait contre lui. Une fois, il convia Rachilde, Maurice Barrès et des camarades à voir un squelette qui hantait son armoire. Au bout d’une heure d’attente dans l’obscurité, le spectre n’avait toujours pas fait son apparition. Stanislas de Guaïta décrivait sa forme blanche, mouvante, inquiétante, en entrebâillant seulement la porte de son armoire.
« Parbleu, dit Rachilde, dans un éclat de rire général, c’est votre chemise de nuit ! »
Rachilde fut ma seconde marraine dans les Lettres, la première ayant été Anna de Noailles15. La romancière de Monsieur Vénus et le poète du Cœur innombrable16 ne nourrissaient pas l’une envers l’autre beaucoup de sympathie. Une année, à la vente des Écrivains combattants, la comtesse de Noailles, se rendant au comptoir où elle devait dédicacer ses œuvres, s’arrêta sur son passage devant celui de Rachilde. Installé dans une salle voisine, je n’étais pas présent au bref colloque échangé entre ces deux célébrités féminines, mais j’en garantis l’authenticité. Mme de Noailles s’arrêta devant Rachilde et lui demanda à brûle-pourpoint à mon sujet : « Eh bien, Rachilde, qu’avez-vous fait du petit garçon que nous avons fabriqué ensemble ? »
Les mardis de Rachilde : de Liane de Pougy à la duchesse de Rohan
Rachilde recevait le mardi, chaque semaine, jusqu’à Pâques. Pendant un demi-siècle, ses mardis eurent leur renommée. Les personnalités les plus inattendues, souvent accoutrées de la manière la plus hétéroclite, gravissaient l’escalier en colimaçon de la rue de Condé, sur les marches duquel la légende veut que Beaumarchais ait été roué de coups de bâton sur l’ordre d’un grand seigneur17. Les visiteurs pénétraient directement dans le salon de Rachilde par une petite porte ouverte sur l’étroit palier, ou par le bureau directorial s’ils voulaient aussi s’entretenir avec Vallette qui ne se mêlait pas aux invités de sa femme.
Quand Séverine18 se rendait à un mardi de Rachilde, ce jour n’était pas tout à fait comme les autres. Dès la porte, Mme Isambart, la concierge et femme de charge des Vallette annonçait aux fidèles des mardis : « Mme Séverine est là-haut. »
Rachilde témoignait une réelle déférence à son aînée19. Mais je me demande si cette déférence n’était pas plus inspirée par la pitié qu’éprouvaient les deux femmes de lettres pour les bêtes malheureuses que par l’amour de la littérature ?
Je revois Séverine avec sa masse de cheveux blancs, ses beaux yeux bleus dont la tristesse semblait masquer des larmes et j’entends encore l’accent de sa voix qui remua tant de foules.
Sur le journalisme féminin planera toujours son ombre car le style de l’écrivain qu’elle fut dépassait l’actualité : ce style résiste au temps. Séverine incarnait la générosité. Jamais il ne fut fait appel en vain à son cœur. Toute cause perdue devenait la sienne, en digne fille spirituelle qu’elle était du militant socialiste Jules Vallès. Grâce à ses mouvements de révolte, servis par une éloquence qui bouleversait ses auditeurs, Séverine contribua parfois à améliorer les lois. La première, elle lutta pour les droits de la femme dans le mariage, les droits de l’enfant, les droits de ceux que personne ne protégeait. Toutes ces conquêtes qui paraissent évidentes aujourd’hui et dont les bénéfices sont acquis à la femme, à l’enfant, aux humbles, c’est un peu à Séverine qu’ils le doivent. Cette passion de justice, Séverine en a révélé la naissance en son cœur dans un livre intitulé : Line20, histoire d’une petite fille très sauvage en Lorraine entre 1855 et 1865, qui n’est sans doute autre qu’elle-même.
Dans le salon de Rachilde, l’Académie française avec Henri de Régnier et Georges Duhamel, l’Académie Goncourt avec Rosny aîné21 et Roland Dorgelès22, y avaient leurs représentants ; les débutants y trouvaient un refuge plein d’espérance. La duchesse de Rohan23 (celle qui, vingt ans après la mort de Verlaine, convia ce dernier à dîner et remercia Gobineau24 quarante ans après la sienne pour l’envoi d’une réédition posthume de son Voyage en Perse !) y côtoyait Liane de Pougy25 et Mme Philippe Berthelot26 dont le mari était le tout-puissant secrétaire général du ministère des Affaires étrangères.
Liane de Pougy était encore fort belle. Elle avait fait une fin en épousant un prince Ghika, ce qui avait incité Rachilde à déclarer : « Il me plaisait de la recevoir quand elle était courtisane, mais depuis qu’elle est princesse, je ne veux plus la voir. »
Ce propos fut évidemment vite répété à Liane de Pougy qui retourna la situation en sa faveur un soir à l’Opéra-Comique où les deux femmes se trouvèrent face à face : Rachilde, lui dit-elle, permettez-moi de vous présenter le petit mari que Dieu m’a donné et que je ne méritais pas.
Ainsi, tout s’arrangea.
Une grande courtisane : Émilienne d’Alençon
Non seulement, ai-je connu le crépuscule des grandes courtisanes, mais encore ai-je été initié à leur art. Émilienne d’Alençon27, dont l’hôtel particulier, avenue Victor-Hugo28, était situé à cent mètres de Janson de Sailly, fut très attentive aux lycéens de ma génération. Elle avait le sens du confort et du luxe, évidemment ! mais aussi des prétentions à la poésie ; elle signa du reste deux ou trois recueils de vers qu’elle commandait à un vrai poète, mort trop tôt, Jean Bouscatel29. Des femmes comme Émilienne d’Alençon avaient leur raison d’être : elles parachevaient l’éducation d’un jeune homme. D’une respectueuse discrétion devant nos mères et nos sœurs, elles préparaient les uns au mariage bourgeois, les autres à l’existence du dilettante et cela non sans goût. L’art de la table leur était familier. Ainsi, Émilienne d’Alençon m’enseigna-t-elle, entre autres choses, qu’un Parisien de mon âge devait aller chez Boilesve, (restaurant aujourd’hui disparu) se faire griller ses côtelettes d’agneau. Contrairement à Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon n’était pas reçue chez Rachilde, mais, se piquant de littérature, elle m’interrogeait sur ce qui s’y passait.
Dans le salon bourgeois des Vallette, avec les beaux meubles de famille authentiquement Régence, nous étions loin du temps où Rachilde s’habillait en homme et où elle causait scandale avec Monsieur Vénus. Certaines personnes qui, jadis, lui avaient fermé leur porte, sachant que sa critique exerçait à présent quelque influence et qu’elle était membre du jury du prix Fémina, sollicitaient des articles.
Rachilde entre Jean Lorrain et Barbey d’Aurevilly
Émilienne d’Alençon avait acquis un vague vernis. Autrefois, elle s’était produite au music-hall dans un numéro de dressage de lapins blancs qui avait fait dire que ce n’était pas elle qui montrait les bêtes, mais celles-ci, au contraire, qui exhibaient la jolie fille. Maintenant qu’elle s’efforçait de jouer à la femme de lettres, elle prétendait savoir que Jean Lorrain30 avait jadis traité Rachilde, jeune fille, avec les égards et la sollicitude d’un frère aîné et qu’il n’hésitait pas, lorsqu’il était malheureux, à se confier à elle ; qu’ils avaient fréquenté chez Léonide Leblanc31, favorite du duc d’Aumale, où Jean Lorrain, curieux du boudoir et par malice, écoutait à la porte du salon les conversations de l’actrice et de Rachilde, se cachait dans la baignoire d’argent qui défrayait la chronique de l’époque et, comme un guignol, se dressait, tout à coup, devant les deux femmes pour les effrayer. C’est lui qui emmena encore Rachilde chez Barbey d’Aurevilly32, en la prévenant du maquillage de l’auteur des Diaboliques, dont il la priait de ne pas se moquer.
Une dame très réservée, coiffée de bandeaux blonds, les recevait : Mlle Read33, qui, jusqu’à sa mort, ne cessa de s’occuper des œuvres et de veiller sur la gloire de Barbey d’Aurevilly. Je me souviens parfaitement de cette égérie qui ne manquait pas un mardi de Rachilde.
Rachilde trouva donc Barbey d’Aurevilly entouré de ses chats au poil clair de lune et angoras blancs. « Il était, racontait-elle, de taille plutôt élevée, portant encore assez beau, la peau couperosée, les pommettes fardées, les moustaches et les cheveux mal teints en noir, vêtu d’une robe de chambre en drap rouge avec des revers de velours noir ; son geste était ample ; l’ensemble de sa personne conservait l’empreinte d’une évidente majesté. »
Il échangea avec Jean Lorrain des mots truculents et proposa un déjeuner. Barbey d’Aurevilly disposa autour de son couvert des boîtes de fards et interrompit son repas pour réparer des ans l’irréparable outrage. Rachilde, personne espiègle, trouvait qu’il l’accentuait au contraire et remarqua, en essayant de garder son sérieux recommandé par Jean Lorrain, lorsqu’il s’essuyait la bouche, les traînées noires laissées par ses moustaches sur la serviette blanche. Si Barbey d’Aurevilly professait à l’égard des femmes une courtoisie excessive, Rachilde, de son côté indulgente pour les petits travers du connétable des Lettres34, lui témoignait le plus admiratif des respects ; elle n’avait pas encore dépouillé, tout à fait, la jeune provinciale qui s’était agenouillée devant Victor Hugo.
L’anecdote vaut d’être contée.
Catulle-Mendès la fait s’agenouiller devant Victor Hugo
Elle avait quinze ans, quand elle reçut, courrier par courrier, en réponse à l’envoi d’un conte intitulé Le Premier amour qui s’accompagnait d’un témoignage débordant d’admiration, le billet suivant : « Remerciements et applaudissements, courage mademoiselle », et cette phrase était signée : Victor Hugo. Quand elle arriva à Paris quelques années plus tard, Catulle-Mendès lui déclara que sa première visite devait être pour celui qu’il appelait le maître universel. Il proposa donc de l’emmener chez le poète des Contemplations en lui faisant croire qu’il était d’usage, pour les femmes, de s’agenouiller devant Victor Hugo ; Rachilde — persuadée de ne pouvoir agir autrement — s’exécuta avec la plus mauvaise grâce. Quand elle raconta cette aventure à Albert Samain, ce dernier éclata de rire en lui disant : Petite cruche !
Avec Verlaine
Verlaine, qui, après le procès de Monsieur Vénus, avait réconforté Rachilde, lui manifesta toujours beaucoup de tendresse. La rencontre de Paul Verlaine, génie encore ignoré, et de Rachilde, romancière qui commençait à percer, ne fut pas ordinaire. Le dessinateur Cazals35 amena chez la jeune femme de lettres Verlaine auquel un propriétaire, peu empressé de loger un tel bohème, venait de signifier congé. Le poète, sans domicile, était blessé : il avait une jambe brisée.
— On m’a dit, commença Verlaine, que vous étiez une bonne demoiselle…
Rachilde ne le laissa pas achever : elle lui offrit son logement rue des Écoles36 et se rendit chez sa mère. Chaque jour, cependant, elle venait soigner son malade ; le matin, elle le forçait à boire le chocolat préparé, mais aussitôt après son départ, Verlaine se faisait monter en cachette de l’absinthe.
Le Mercure de France fut fondé en 1890. À l’une des premières réunions des fondateurs, véritable assemblée fraternelle, Remy de Gourmont décida : « Nous donnerons la critique littéraire à Mme Rachilde qui adore la lecture et se passionne pour des livres qui n’en valent pas la peine. »
Pendant trente-cinq ans, elle tint au Mercure la fonction de critique des romans37 et des recueils de nouvelles : cette tâche, elle l’accomplit pour cinquante francs par mois. Après la mort d’Alfred Vallette, Rachilde vécut très retirée. La guerre de 1939 ne fit qu’augmenter sa solitude. Sa dignité exemplaire n’eut d’égale que sa haine de l’occupant, car toute sa jeunesse avait été obsédée par la défaite de 1870. Sous l’occupation, lui furent dérobés des documents auxquels elle attachait un grand prix, ceux probablement de Victor Hugo, Verlaine, Barbey d’Aurevilly, Jean Lorrain, Villiers de L’Isle-Adam, Laurent Tailhade, Albert Samain, Alfred Jarry, Remy de Gourmont, Jules Renard, Maeterlinck, entre autres, trésors autographes qu’elle m’avait confiés pour un ouvrage que je lui consacrai en 1923(38). Elle porta plainte. Mais apprenant que son voleur n’était pas aryen, elle courut vite au commissariat de police et déclara : « Je retire ma plainte. Vous pensez ! cela ferait trop plaisir à l’ennemi. »
Ce geste mérite d’être enregistré.
Aucun visiteur, homme ou femme, ne montait chez Rachilde les mains vides de fleurs.
— On a pitié de moi, dit-elle, on fleurit déjà ma tombe.
Une femme de lettres se vantait auprès d’elle d’avoir fait de la résistance.
— En quoi cela consistait-il ? interrogea Rachilde.
— Eh bien, voilà, expliqua la dame, je prenais des notes sur les Allemands et je les cachais entre mes deux matelas.
Et Rachilde de s’écrier :
— Alors ce sont les matelas qui ont résisté !
Un jour de printemps 1948, Maurice Bedel39, président de la Société des Gens de Lettres, Roland Dorgelès et moi, nous nous étions donné rendez-vous devant la porte du Mercure de France. En nous voyant pénétrer tous les trois dans son salon, Rachilde eut de la peine à maîtriser son émotion. De toute évidence, cette visite la bouleversait. À Dorgelès qui lui assurait qu’elle allait être incessamment promue officier de la Légion d’honneur, elle répondit : « À mon âge, on ne porte plus de ruban. » Comme ensuite, Dorgelès lui transmettait les bonnes pensées de Mme Courteline40, Rachilde évoqua le temps où Georges Courteline et elle faisaient scandale en riant aux pièces de Claudel sous l’œil désapprobateur d’Alfred Vallette.
« Cela me rappelle, continua Dorgelès, une répétition générale d’une œuvre de Giraudoux à l’issue de laquelle Tristan Bernard félicita ce dernier en ces termes : “C’est vraiment très bien, et encore, je n’ai compris que la moitié.” »
De Paul Léautaud à Rachilde et Alfred Vallette
Dans le IVe tome de son Journal littéraire, Paul Léautaud a consacré sept ou huit pages à ma personne. Ce IVe tome englobe les années 1922, 1923, 1924. L’avouerai-je ? Ce qui sembla à Paul Léautaud suffisamment intéressant à l’époque pour être noté dans son Journal, ne m’a laissé, à moi que le souvenir le plus vague. Il est surprenant de constater les différences et les contradictions qui opposent deux versions d’un même événement. Ce que Léautaud raconte n’a marqué aucune trace dans ma mémoire. Il est vrai que mes contacts avec lui furent superficiels bien que je le croisais chaque fois que j’allais au Mercure de France puisqu’il fallait traverser son bureau avant de franchir le seuil de celui d’Alfred Vallette. Qu’il s’agisse d’une séance au Club du Faubourg41, où était discuté un roman que Mme Rachilde venait de faire paraître, ou d’un incident survenu dans le salon littéraire d’une femme de lettres du nom d’Aurel42, mariée à Alfred Mortier, l’un et l’autre réunis à jamais dans l’oubli, c’est à peine si les détails pourtant précis rapportés par Léautaud évoquent quoi que ce soit en moi. En revanche, ils ressuscitent l’atmosphère du Mercure de France de mes débuts.
Léautaud écrit, le 3 février 1922, que « Rachilde me couvait depuis quelque temps comme une cane son canard ». Il est exact que, dès 1916, j’étais un peu l’enfant gâté de la maison d’édition de la rue de Condé. L’épouse du patron, Alfred Vallette, Mme Rachilde, la dame habillée de mauve, était toujours à l’affût d’un talent nouveau, et ce fut grâce à elle que je fis — comme beaucoup de mes aînés dont l’un des plus célèbres fut Francis Carco — mon entrée dans la carrière des Lettres. Elle m’obtint un contrat chez Flammarion pour l’Escalier de velours et fit prendre par sa revue à la couverture mauve mon second roman pour être publié en feuilleton.
Paul Léautaud, d’aspect physique assez burlesque, avec son sourire édenté, n’était guère d’un commerce facile. Chacun sait que, de longues années durant, il occupa le poste de critique dramatique au Mercure, signant ses articles du pseudonyme Maurice Boissard ; mais il est légendaire que les comédies et les drames dont il était chargé de rendre compte lui importaient beaucoup moins que la ménagerie d’animaux perdus et recueillis par lui, auxquels il dévoua son existence. Prêt à se rendre à la répétition générale d’une pièce du boulevard (comme l’on disait alors), il n’hésitait pas un instant à rester auprès de tel ou tel de ses pensionnaires, si chatte ou chienne était sur le point de mettre bas. Un caractère aussi entier que le sien estimait sans réplique l’argument chatte opposé à l’argument actrice en vogue. Il n’admit jamais que l’on pût lui forcer la plume, c’est-à-dire lui faire écrire autrement qu’il pensait, ou lui demander d’atténuer son jugement. Changer une virgule lui était pire qu’une offense. Pour se faire une idée de son intransigeance et de son entêtement, il suffit de lire dans son Journal littéraire les récits de ses démêlés perpétuels avec la direction de la Nouvelle Revue française et avec celle des Nouvelles littéraires. Il ne mâchait pas ses paroles !
Une fois, deux fois peut-être, mais certainement pas davantage, il m’arriva, aux alentours de ces années 1920, par affection pour un auteur dramatique à succès, de solliciter du directeur de la revue et de Rachilde quelques ménagements pour une pièce nouvelle de mon ami. Mal m’en prit : pour prouver qu’il n’était pas influençable, Léautaud se déchaîna de plus belle ! Pour que Vallette, scrupuleux de l’indépendance d’autrui, se décidât un jour à retirer la critique dramatique à son collaborateur Léautaud, ce dut être à la suite d’une interminable liste de récriminations de bien des auteurs ! À l’égard de Robert de Flers43, par exemple, Léautaud se révélait d’une hostilité que son engouement pour Sacha Guitry expliquait mal. Nombre de ses jugements n’ont pas été ratifiés par l’avenir, à commencer par celui qu’il porte sur Raymond Radiguet44, sans parler de la façon dont il traite Maurice Barrès ! Et, tout compte fait, à le lire de près, Léautaud prouve qu’il n’était qu’un petit homme.
Pour son directeur (son patron, comme il l’appelle), auprès duquel il travailla pendant tant d’années côte à côte, peut-on dire, il se révéla souvent hargneux et, en quelque sorte, envieux. Je ne mentionne pas les sentiments nettement méprisants qu’il affiche pour son rédacteur en chef, Louis Dumur, sentiments qu’expliquent les opinions diamétralement opposées des deux hommes, ce qui joue d’ailleurs en faveur de Léautaud. Mais ceux qui auront connu la générosité de cœur de Rachilde seront choqués de l’injustice qu’il emploie à l’égard de celle-ci. Jamais il ne perd l’occasion de se moquer d’elle ou pire encore de diminuer chacune de ses intentions. En revanche, je ne me souviens pas avoir jamais entendu Rachilde dénigrer Léautaud, sans doute parce qu’elle partageait sa compassion pour les bêtes. Cela dura jusqu’au jour où elle se fâcha définitivement avec lui. Mais comme Léautaud le rapporte dans un de ses entretiens avec Vallette : « Il n’y a décidément pas de meilleur moyen que de dire du mal des gens pour qu’ils disent du bien de vous45. »
En 1916, chez Hélène du Pasquier46, sensible traductrice de Rabindranath Tagore, je fis la connaissance d’Henriette Charasson47. Suppléante de Rachilde, critique littéraire du Mercure de France, elle rapporta à cette dernière les louanges prodiguées par moi à la Tour d’amour48, âpre histoire de solitude qui se situe dans un phare. Quelques jours après, je me présentai rue de Condé pour faire dédicacer mon exemplaire de ce roman.
Je me rappellerai toujours cette entrevue. Je me trouvais devant une petite femme ronde, dont la silhouette ne ressemblait en rien à celle du chevalier d’Eon, à laquelle on l’avait comparée, une femme de cinquante-six ans49 qui donnait l’impression d’une brave bourgeoise, n’eût été son accoutrement un peu excentrique. Ses cheveux blancs tirés en arrière étaient coiffés d’un bonnet de velours médiéval et sa toilette, qui allait du gris au violet, était constellée de bijoux d’améthystes. Son front était magnifique d’intelligence. Elle avait des yeux fascinants, d’un vert changeant au gris bleu et un rire strident qui, la première fois qu’on l’entendait, faisait un peu peur.
Modeste, presque ridiculement modeste, elle semblait touchée par mon geste spontané d’étudiant. Il était midi. Elle me présenta ses souris blanches et j’assistai au repas de ses favoris, ainsi qu’à celui des moineaux et des pigeons qui venaient à heures fixes sur son balcon. Sa réputation d’aimer les bêtes était notoire ; ainsi n’était-il pas rare que l’on déposât devant sa porte50 chiens et chats malades qu’elle soignait indifféremment. Cet amour des bêtes la rapprocha de Léautaud jusque dans les dernières années où les deux vieillards se brouillèrent à cause de Marguerite Moreno. Léautaud se vantait d’avoir obtenu jadis des bontés51 de la célèbre actrice et Rachilde s’indignait de ce qu’elle qualifiait une vantardise de mufle.
De cette visite date une amitié que la mort seule interrompit en 1952. Rachilde avait quatre-vingt-treize ans.
Élémir Bourges et le prix Goncourt en 1922
Avec elle, je devais publier le Prisonnier pendant de la Prisonnière d’Édouard Bourdet52. Ce ne fut pas le seul ouvrage dû à notre collaboration, mais le seul à porter nos deux noms sur la couverture, la généreuse Rachilde estimant que la réputation de l’auteur de Monsieur Vénus risquait de causer préjudice à un débutant. À la parution de l’Escalier de velours, mon succès s’affirma. Ce premier roman me valut l’honneur d’une grande amitié, celle d’Élémir Bourges53 auquel il avait suffi de trois livres pour devenir membre de l’Académie Goncourt : Sous la Hache, le Crépuscule des Dieux et les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent54. La Nef55, dix-sept ans sur le chantier, ne fut publiée qu’en 1922. Élémir Bourges ne me connaissait pas lorsqu’il m’écrivit la lettre suivante, précieusement conservée :
« Paris, 51, rue de Ranelagh
23 juin 1922
« Monsieur, voilà bien des années que je n’ai pas lu un livre aussi étonnant que le vôtre. C’est un spectacle magnifique que celui d’un cœur s’ouvrant jusqu’au fond… Mais pas de phrases entre nous. J’ai senti jusqu’au fond de moi-même le grand cri que vous venez de jeter.
Élémir Bourges. »
Cette déclaration avait un sens réel puisque cette année-là Élémir Bourges me choisit pour candidat au Prix Goncourt et vota pour moi jusqu’au dernier tour56. Chaque mercredi, j’allais lui rendre visite. Son estime m’acquit la sympathie de ses amis personnels ; c’est auprès de lui qu’est née l’affection que me témoigna le grand helléniste Mario Meunier57.
Sans m’en rendre compte alors, je commençais à creuser ma solitude. Ceux qui me formèrent et ceux qui allaient peupler ma vie étaient de beaucoup mes aînés. Un à un, ils devaient me quitter.
Les trois malheurs irréparables sont en premier lieu la mort de ceux que l’on aime ; ensuite la maladie et la souffrance de ceux que l’on aime ; enfin, l’abandon de ceux que l’on aime. Tout le reste n’est qu’embêtement. Peut-être sont-ce ces inquiétudes qui inspirèrent à Anna de Noailles cette vérité : « Pour enchanter mon cœur, il suffit que tu vives58. »
André David
Notes
1 « Les Vertus imaginaires », Mercure du premier février 1922, pages 625-644.
2 André David ne cite pas sa source. On peut lire à ce propos dans un court billet de Jean Cocteau à Henri Barbusse (trois lignes) datée de 1927 le post-scriptum suivant « Ne doutez jamais de ma profonde gratitude pour votre clairvoyance et ne me confondez pas avec les esthètes du scandale et les conservateurs de vieilles anarchies », ce qui laisse penser que Jean Cocteau était heureux de cette formule.
3 Remy de Gourmont, Lettres intimes à l’Amazone, La Centaine 1926 puis Mercure 1927. Dans sa présentation de l’édition de 1988, Le Mercure écrit : « C’est pendant l’été 1910 que Natalie Clifford Barney et Remy de Gournont se rencontrent. Elle a 34 ans. Il en a 52. Elle est américaine. Il est français. Elle est belle. Il est laid. Elle est riche. Il ne l’est pas. Elle aime les femmes. Il les aime également. Elle est l’auteur d’un recueil de pensées et d’un recueil de poèmes, qui n’ont été appréciés que d’un très petit cercle. Il est au sommet de sa gloire, auteur d’ouvrages connus, et l’un des fondateurs du prestigieux Mercure de France. / Aujourd’hui, au cimetière de Passy, où Natalie repose, on peut lire : / Natalie Clifford Barney / (1876-1972) / Écrivain / Elle fut l’Amazone de Remy de Gourmont »
4 Non pas physiologie mais Physique de l’amour — Essai sur l’instinct sexuel, Mercure 1903.
5 André Gide, Retour de l’U.R.S.S., Gallimard 1936.
6 Rachilde, Monsieur Venus — roman matérialiste, Auguste Brancart à Bruxelles, 1884. À côté de son nom, Rachilde a inscrit celui d’un Maurice Talman encore inconnu de nos jours et qui n’a peut-être jamais existé.

7 Jane Dieulafoy (1851-1916), d’allure très masculine, costumée en franc-tireur, a suivi son mari, capitaine du Génie pendant la guerre de 1870. Plus tard dans plusieurs fouilles archéologiques en Orient, le fait de se faire passer pour un homme lui a permis d’effectuer librement ses travaux.
8 Quand ils ne restaient pas rue de Condé, les Vallette habitaient Corbeil, 19 quai de l’Apport-Paris, l’une des deux maisons jumelles donnant sur la Seine à côté de l’usine immense des grands Moulins construite en 1893. La numérotation a changé, le 19 est devenu 21. Toujours visible de nos jours, il correspond à la maison de droite. Louée depuis 1898, les Vallette finiront par l’acheter. Voir le Journal littéraire au seize mai 1922 et au douze septembre 1932.

9 Lire Rachilde, Portraits d’hommes — Alfred Vallette : « En ce temps-là, l’esprit de la littérature soufflait sur les bocks du cabaret de la Mère Clarisse, appelé familièrement ainsi par ses habitués. Un cabaret dit alsacien, où la bière de Strasbourg venait de Strasbourg même ! »
10 Léo Trézenik (Léon Épinette, 1855-1902), poète, romancier et journaliste. La revue Lutèce a paru de 1883 à 1886.
11 Au quinze rue de l’Échaudé-Saint-Germain, chez les parents d’Alfred Vallette, qui fut aussi le siège du Mercure de France jusqu’en mars 1903. C’est la pointe de cette rue rejoignant la rue de Seine, en angle aigu, qui a donné son nom à la rue.
12 Rachilde, Histoires bêtes pour amuser les petits enfants d’esprit, René Brissy 1884, 52 pages ornées de trente-cinq illustrations de Max.
13 « fréquenter chez Stanislas de Guaïta » est une manière délicate d’évoquer des réunions d’illuminés croyant voir tourner des tables en fin de repas. Stanislas de Guaita (1861-1897, à 36 ans), proche de Joséphin Péladan (on a tout dit) et cofondateur avec lui en 1888 de l’« Ordre kabbalistique de la Rose-Croix ».
14 La moitié seulement des prédictions de Rachilde s’est réalisée puisque Maurice Barrès (1862-1923), amant de Rachilde à cette époque, sera élu à l’Académie douze ans plus tard, en 1906 au fauteuil laissé vacant par la mort de José-Maria de Heredia. En matière de politique, Maurice Barrès n’a jamais été ministre mais plusieurs fois député, de Meurthe-et-Moselle dans un premier temps (de 1889 à 1893) puis de la Seine sans discontinuer, de 1906 à 1923. Maurice Barrès est hélas aussi connu pour avoir été, neuf ans durant (de 1914 à sa mort en décembre 1923), président de la Ligue des patriotes de Paul Déroulède.
15 Anna-Élisabeth Bibesco Bassaraba de Brancovan (1876-1933), poétesse et romancière d’origine roumaine a épousé à l’âge de 19 ans le comte Mathieu de Noailles (1873-1942), quatrième fils du septième duc de Noailles. Elle est pour cela parfois nommée « comtesse Mathieu de Noailles ». Au début du XXe siècle, son salon de l’avenue Hoche attire l’élite intellectuelle, littéraire et artistique. En 1904 elle crée le prix « Vie heureuse », qui deviendra en 1922 le prix Femina dont le jury sera composé de vingt femmes.

Le Jury Femina en décembre 1926 — De droite à gauche, assises, Mmes E. Duclaux, A. Daudet, Gabrielle Réval, Zanta, Delarue-Mardrus, Myriam Harry. Debout : Saint-René Taillandier, Judith Cladel, Jean Dornis, André Corthis, [?], Hélène Vacaresco, Colette Yver.
16 Anna de Noailles, Le Cœur innombrable, Calmann Lévy 1901. Les trente exemplaires de tête sur Hollande sont enrichis de six aquarelles originales de Jean Berque en pleine page.
17 Peut-être Louis Joseph d’Albert d’Ailly (1741-1792), vidame d’Amiens, duc de Picquigny en 1762 et sixième duc de Chaulnes en 1769, officier et chimiste. L’affaire est évidemment controversée.
18 Séverine (Caroline Rémy, 1855-1929), écrivaine et journaliste libertaire et féministe. Marié de force à un employé du gaz qu’elle a quitté rapidement, Séverine s’est ensuite mariée une deuxième fois avec un riche médecin suisse dont elle a rapidement divorcé avant de rencontrer Jules Vallès en 1879, de 18 ans son aîné. C’est à ses côtés que Séverine s’est épanouie. Elle a permis à Jules Vallès de relancer Le Cri du peuple, grâce au soutien financier de son ancien mari. Séverine est devenue directrice du journal après la mort de Jules Vallès en 1885. C’est là que Séverine a rencontré Georges de Labruyère (1856-1920) avec qui elle a vécu jusqu’à sa mort. Séverine sera, aux côtés de Jeanne Mette et d’Arvède Barine, une des fondatrices du prix Femina, évoqué note 15.

19 N’exagérons rien, Séverine n’est l’aînée de Rachilde que d’à peine cinq ans.
20 Séverine, Line, Crès 1921.

21 J.-H. Rosny est le pseudonyme commun des frères Joseph Henri Honoré Boex (1856-1940) et Séraphin Justin François Boex (1859-1948), tous deux nés à Bruxelles et donc Belges. Dans son testament, Edmond de Goncourt a désigné les frères Rosny comme membres de la future académie Goncourt où ils occuperont les quatrième et cinquième couverts. Entre 1887 et 1908 ils écrivent en collaboration de nombreux contes et romans à dominantes scientifique ou fantastique, mêlant souvent les deux. En juillet 1908 les frères arrêtent leur collaboration et Joseph continue d’écrire sous le nom J.-H. Rosny aîné, pendant que Séraphin signe J.-H. Rosny jeune.
22 Roland Dorgelès (Rolland Maurice Lecavelé, 1885-1973), auteur des Croix de bois en 1919. Journaliste avant la première guerre mondiale après des études d’architecture. Réformé deux fois, Roland Dorgelès a dû se faire appuyer par le directeur de son journal, Georges Clemenceau, afin de pouvoir se faire engager en août 1914. Cet entêtement qui lui a valu d’écrire son premier roman lui a donc apporté la fortune et la gloire. Dix ans plus tard Roland Dorgelès a été élu à l’académie Goncourt au couvert de l’excellent Georges Courteline. Il sera même élu président de cette académie en 1954 en remplacement de Colette.
23 Herminie de La Brousse de Verteillac (1853-1926), princesse de Léon puis duchesse de Rohan, poète.
24 Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882), diplomate et écrivain devant sa notoriété posthume à son douteux Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Gobineau est également connu pour être spécialiste de l’Iran ancien.
25 Liane de Pougy (Anne-Marie Chassaigne, 1869-1950) a épousé Armand Pourpe en 1886 puis, par son second mariage en 1910 est devenue princesse en épousant Georges Ghika, neveu de la reine Nathalie de Serbie. Liane de Pougy était danseuse de cabaret avant de devenir courtisane et d’avoir des liaisons avec nombre de messieurs ou de dames, indifféremment, dont Natalie Clifford Barney, l’« Amazone » de Remy de Gourmont ou Émilienne d’Alençon, objet de la note 27 ci-dessous.
26 Hélène Berthelot (1867-1955) a épousé Philippe Berthelot en 1914. Philippe Berthelot (1866-1934), diplomate, est le fils du chimiste Marcellin Berthelot. Après avoir dirigé le cabinet du ministre des Affaires étrangères, Philippe Berthelot en sera nommé secrétaire général en septembre 1920. Il est par ailleurs connu pour ses nombreuses amitiés artistiques et littéraires.

Hélène Berthelot en 1921
27 Émilienne d’Alençon (Émilienne André, 1870-1945), fille d’une concierge de la rue des Martyrs, a fait ses débuts comme danseuse à 19 ans au cirque d’été des Champs Élysées (actuel théâtre Marigny) avant de rejoindre des salles de spectacles plus conventionnelles. Ses débuts de « demi-mondaine » ont été plus récents, vers sa quinzième année. Toute sa vie, Émilienne a cumulé les amants de plus en plus riches et célèbres, en même temps que de nombreuses maîtresses.
28 Émilienne habitait à cette époque dans son hôtel particulier du 139 avenue Victor-Hugo, aujourd’hui disparu.
29 Jean Bouscatel est de nos jours complètement ignoré et ne survit que par un prix à son nom qui a été décerné par l’Académie française de 1940 à 1987. Il s’agissait d’un prix triennal créé en 1940 destiné à récompenser un volume de vers. La BNF le crédite de quatre volumes de vers.
30 Jean Lorrain (Paul Alexandre Martin Duval, 1855-1906). La littérature « fin de siècle » de Jean Lorrain, à tendance audacieuse, peut être rapprochée de celle de Rachilde ou d’Hugues Rebell. Jean Lorrain se crée d’ailleurs une personnalité en ce sens, ce qui fait un peu penser à un Brummell ou à un Montesquiou décomplexé, s’amusant à transformer le bal des Quat’z’Arts en gay pride bien avant l’heure. Voir sa très intéressante notice des Poètes d’aujourd’hui, essentiellement extraite de l’ouvrage d’Ernest Gaubert paru chez Sansot en 1905 (64 pages).
31 Léonide Leblanc (1842-1894), comédienne et courtisane, dite Mademoiselle Maximum (elle demandait le maximum), maîtresse de nombreux hommes célèbres, Aurélien Scholl, le prince Napoléon, le duc d’Aumale. Lire à son propos le passage (à partir de la page X) de la préface d’Édith Silve au Roman d’un homme sérieux d’Alfred Vallette paru au Mercure en 1994 1994 et faisant l’objet du quinzième Cahier Paul Léautaud.
32 Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), homme de lettres normand, fut un écrivain majeur de son temps. Il est surtout connu de nos jours par son recueil de nouvelles Les Diaboliques, paru chez Édouard Dentu en 1874. Cette célébrité tient peut-être à l’interdiction du livre à sa sortie pour « outrage à la morale publique ». On ne confondra pas le titre de ce recueil avec le film de Georges Clouzot de 1954, adapté du roman de Boileau et Narcejac paru chez Denoël en 1952.
33 Louise Read (1845-1928) fait son apparition en 1879 dans la vie d’un Barbey d’Aurevilly de 71 ans, chez Annette Coppée. Elle a trente-cinq ans et devient son admiratrice. Dans les faits, elle sera à la fois la gouvernante et la « chargée d’affaires » de Barbey d’Aurevilly. Son dévouement se double vraisemblablement d’un amour muet. Par testament, Barbey en fait sa légataire universelle. Elle fondera le musée Barbey d’Aurevilly.
34 Cette attribution systématiquement employée à propos de Jules Barbey d’Aurevilly revient à Léon Bloy qui, dans son Journal au 23 novembre 1909 se remémore sa mort en novembre précédent : « Naturellement, les journaux parlèrent beaucoup du Connétable des lettres françaises, appellation dont la paternité ne m’inspire aucun orgueil et dont l’origine, fort heureusement oubliée de la présente génération, se perd dans les ruines en culs de bouteilles de l’ancien Chat noir. »
35 Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941), peintre, dessinateur, écrivain et poète était un ami de Paul Verlaine.
36 Avant de rencontrer Alfred Vallette, Rachilde habitait au cinq rue des Écoles, dans un petit immeuble qui existe toujours.
37 Dès 1890 Rachilde a écrit dans le Mercure (quatre textes cette année-là) mais ses critiques littéraires n’ont débuté qu’en janvier 1894 (cinq livres seulement pour l’année). Il faudra attendre avril 1896 pour voir apparaître des critiques mensuelles régulières. C’est aussi en avril, 1924, que sont parus ses derniers compte-rendus.
38 André David, Rachilde homme de lettres, son œuvre. Portrait et autographe. Document pour l’histoire de la littérature française, Éditions de La Nouvelle Revue Critique, 1924. Une reproduction en PDF de ce document de 80 pages introuvable ou hors de prix est consultable en fin de page.
39 Maurice Bedel (1883-1954), médecin psychiatre et homme de lettres.
40 Georges Courteline (Georges Moinaux, 1858-1929), romancier, élu à l’académie Goncourt en 1926. Georges Courteline a épousé (second mariage) en décembre 1907 la comédienne Marie-Jeanne Brécou (1869-1967).
41 Le 29 avril 1922.
42 Onze mai 1923. Voir aussi la page « Aurel III »
43 Fils d’un sous-préfet de Pont-l’Évêque, Robert de Flers (1872-1927), fut le condisciple de Marcel Proust au lycée Condorcet et ils devaient rester très liés tout au long de leur vie. En 1901 Robert de Flers a épousé Geneviève Sardou, fille de Victorien Sardou, dont il eut François de Flers. Il eut pour secrétaire le jeune Gaston Gallimard. Il écrivit d’abord en collaboration avec Gaston Arman de Caillavet des comédies gaies et spirituelles grâce auxquelles, durant les quinze premières années du siècle le duo régna en maître sur le vaudeville. Après la mort de Gaston Arman de Caillavet en 1915, Robert de Flers joua entre la France et la Roumanie un rôle diplomatique de premier plan. La paix revenue, il collabora avec Francis de Croisset.
44 Voir, par exemple, le Journal littéraire au 21 avril 1923..
45 Premier avril 1922.
46 Hélène du Pasquier (1888-1952), traductrice.
47 Henriette Charasson (1884-1972), poète et auteur dramatique d’inspiration catholique a secondé Rachilde dans la chronique des Romans à partir de 1914 et a été en charge des questions religieuses de 1936 à mai 1940.
48 Rachilde, La Tour d’amour, Mercure de France 1899.
49 Nous sommes donc en 1916 et André David avait 17 ans.
50 Quelle porte ? Ce n’est évidemment pas la porte de son appartement du deuxième étage du Mercure. André David n’écrit pas « la porte du Mercure ». On peut donc imaginer qu’il s’agit de la grille de la maison de Corbeil mais dans ce cas il aurait écrit grille…
51 Le Journal littéraire est clair à ce sujet : il ne s’est rien passé même s’il n’en était pas loin. Paul Léautaud ne mentait jamais. Rachilde a-t-elle surinterprété ses récits ?
52 Édouard Bourdet (1887-1945), célèbre auteur du boulevard, administrateur général de la Comédie-Française d’octobre 1936 à décembre 1940. La Prisonnière, comédie en trois actes créée au Théâtre Femina le six mars 1926 a été le premier grand succès d’Édouard Bourdet. La prisonnière en question est prisonnière de son état de lesbienne. Le succès de cette pièce entraîna une mode de coupe de cheveux à la nuque très dégagée. Le théâtre Femina n’a existé que 22 ans, de 1907 à 1929. Il se trouvait au 90 avenue des Champs-Élysées dans l’immeuble propriétaire du magazine Femina revendu à Hachette.
53 D’abord critique dramatique pour la revue Le Parlement, Élémir Bourges (1852-1925), fonde avec Henri Signoret, la Revue des chefs-d’œuvre (1883-1885), et est parallèlement chroniqueur au Gaulois. Il est élu membre de l’académie Goncourt le sept avril 1900 (au neuvième couvert), chez Léon Hennique, en même temps que Lucien Descaves et Léon Daudet. Son élection a surpris. Voir Marie-France David-de Palacio : « Élémir Bourges, ou les paradoxes du neuvième couvert », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt numéro 10, 2003. Voir aussi plusieurs articles sur Élémir Bourges à l’occasion de sa mort dans Les Nouvelles littéraires du 21 novembre 1925.
54 Élémir Bourges, Sous la hache, Giraud, 1883, dédié à Paul Bourget, 287 pages. La hache est celle de la guillotine. Le Crépuscule des dieux — mœurs contemporaines, Giraud, printemps 1884, dédié réciproquement au poète Henri Signoret (ne pas confondre avec Emmanuel Signoret), qui lui avait dédié ses Noces fantastiques en 1880. Les mœurs contemporaines en question sont celles d’une famille sous le second empire et la fin d’une époque. Les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent, dédié à Théodore de Banville, Plon, printemps 1893. La typographie de la couverture laisse penser que ces deux tomes présentent deux récits différents.
55 Élémir Bourges La Nef, Stock 1904 (345 pages), monographie précédemment parue dans les numéros du Mercure de juin à août 1904. En avançant la date de 1922, André David pense à l’important remaniement paru chez le même éditeur cette année-là. L’ouvrage est parfois qualifié d’« épopée-opéra mystique et mythologique inspiré des idées symbolistes mettant en scène Prométhée venu sur terre pour sauver les hommes… » ou d’« allégorie de la foi catholique » ou encore de « Somme théologico-métaphysique gigantesque et touffue, [qui] essaye de fondre dans une vaste synthèse quantité d’éléments complexes. ». On ne confondra pas cet ouvrage avec la revue parue à Alger au cours de l’été 1944.
56 Le prix Goncourt, cette année-là a été attribué à Un homme se penche sur son passé de Maurice Constantin-Weyer. Il s’agit d’une histoire de trappeur canadien.
57 Mario Meunier (1880-1960), helléniste, a appris le latin puis le grec chez les moines. Avec quelques amis il a fondé la revue Le Feu dans laquelle il a publié en 1907 sa traduction de l’Antigone de Sophocle. Mario Meunier a ensuite été, en 1910 secrétaire d’Auguste Rodin et en 1912 secrétaire de la danseuse Isadora Duncan. Il a tenu, de 1925 à juillet 1936 la rubrique des « Lettres antiques » dans 45 numéros du Mercure. Il a également collaboré aux Débats et L’Action Française.
58 Anna de Noailles (note 15), Les Forces éternelles, Fayard 1920. « Repose-toi, tais-toi, respire seulement, / Pour enchanter mon cœur il suffit que tu vives, / Ton regard a le poids de deux noires olives / Dans ton visage pâle, anxieux et charmant. // Tu goûtes, en fumant, la chaleur catalane, / Dans un blanc cabaret, sur le sol de safran ; / On voit un aloès, un cimetière, un âne, / Et l’enivrant azur du ciel indifférent. »