Adam

Page publiée le premier août 2025. Temps de lecture : sept minutes.

Adam est une revue bimensuelle de mode masculine. Le premier numéro, sous la direction du Suisse Edmond Dubois (1899-1977), est paru le quinze décembre 1925.

Paul Léautaud a eu deux fois affaire à Adam. La première fois est celle qui nous occupe ici.

Ce numéro 178, de novembre-décembre 1946, compte 96 pages plus la couverture, illustrée par André Dignimont (1881-1965). Après 32 pages de publicité, le sommaire intervient en page 33.

Sous ce sommaire est la mention de l’adresse de la revue, dans l’alors très chic rue Boissy d’Anglas, proche de l’église de la Madeleine où, en janvier 1922, Louis Moysès installa Le Bœuf sur le toit au numéro 28.

En regardant ce sommaire nous lisons le nom de Charles Régismanset, pages 40-41. Dans un article « On s’habille à Paris », il nous donne un peu de texte et sept images.

Les deux pages suivantes sont celles de Jean-Claude Collin-Simard à propos de Paul Léautaud.

Ce jeune journaliste de 22 ans (1924-2005) n’est pas inconnu des lecteurs du Journal de Paul Léautaud et a même été évoqué ici dans la page « Sacha Guitry II ».

Deux décembre 1944

Tantôt, visite du fils adoptif de Jean-Germain Tricot, qui a trouvé la mort à l’exode de 1940 sur une route du côté d’Orléans, sous la mitraillade des avions italiens1. Jeune homme de 20 ans, à la fois comédien et auteur dramatique. À la suite d’une pétition en sa faveur, dont il a été le promoteur, il est entré en relations avec Sacha Guitry.

C’est le huit janvier 1946 que Paul Léautaud évoquera l’article de Jean-Claude Collin-Simard :

Ce Colin, qui fait du journalisme, m’a remis un petit article qu’il a écrit sur moi je ne sais plus dans quel journal et qui est une redite de tout ce qu’on a déjà dit. Il y a longtemps que les articles qu’on écrit sur moi se ressemblent tous. Il m’a assuré, se fâchant presque de mon incrédulité, que, dans le cercle de jeunes artistes, de jeunes écrivains dont il fait partie, des jeunes gens qui ont à peine vingt-cinq ans, je compte beaucoup. On y parle de moi, on y lit et discute tout ce que j’ai écrit, on serait heureux de me connaître. Cela, c’est beaucoup. Cela, je n’en reviens pas. Cela, j’ai même de la peine à le croire.

Jean-Claude Collin-Simard est encore évoqué huit ans plus tard dans une lettre de Paul Léautaud à Marie Dormoy datée du dix juin 1954 :

Pour le dossier sur papier jaune du début du Journal paru en 40 dans le Mercure que j’ai prêté à cet envoyé de Colin-Simard, j’ai eu tort, c’est sûr. Il devait me le rapporter ou le déposer au Mercure à mon nom. Si vous voulez, Colin-Simard habite du côté de l’avenue d’Italie. Il n’est pas à mon annuaire qui est très ancien. Regardez le vôtre.

Colin-Simard. Dites-lui que j’ai prêté pour une journée à son envoyé le dossier en question et que j’en ai absolument besoin.

La toute dernière fois est le douze février 1955, qui ne contient que cette seule phrase :

Visite de Colin Simart.

Avec un seul l, un t fautif et un tiret oublié.

Lisons maintenant cet article, très quelconque et très fautif :

Un écrivain qui vit hors du temps

À notre époque de standardisation, peut-être sommes-nous portés à croire que l’originalité, la bizarrerie, l’extravagance ne sont plus de mise chez un écrivain. Il existe cependant près de Paris, à Fontenay-aux-Roses, un homme de lettres des plus curieux qui habite dans une petite maison au milieu d’un cimetière d’animaux. Cet homme de lettres c’est Paul Léautaud et les animaux enterrés dans son jardin ce sont ses chats et ses chiens.

Paul Léautaud, ce misanthrope du XXe siècle, est peu connu du grand public. Mais il est goûté par toutes les personnalités du monde littéraire. Elles disent de lui « qu’il est celui de notre génération qui restera ».C’est assurément le plus bel éloge que l’on puisse faire à un homme de plume.

En attendant, Paul Léautaud reste chez lui et n’en bouge plus. Il a, estime-t-il, assez vagabondé lorsqu’il était critique dramatique au Mercure de France, ou à la Nouvelle Revue Française. Il signait alors Maurice Boissard. Lorsque la pièce, dont il avait à rendre compte, l’ennuyait, dans une chronique de deux cents lignes, il en consacrait parfois cinq ou six au théâtre et le reste était le fruit de ses rêveries, de ses commentaires sur l’amour, de ses démêlés personnels, ou bien encore de ses vociférations contre les automobiles, l’avion.

« On ne sait plus vivre », dit-il.

Paul Léautaud n’est d’ailleurs pas réconcilié avec les inventions modernes. Pour écrire, deux bougies suffisent à l’éclairer. Il n’a jamais été au cinéma. Il ne connaît aucun transport rapide, car jamais il n’a été plus loin que sa banlieue parisienne2 ; Fontenay-aux-Roses est pour lui une frontière. L’automobile fait trop de bruit. Il n’aime que le silence. Léautaud préfère aller à pied, aidé de sa canne, emmitouflé dans une immense cape, le chef recouvert d’un invraisemblable chapeau, qu’il est difficile de décrire, tant il ressemble peu à ceux de son espèce.

Léautaud n’aime pas le monde mais il s’amuse de voir gesticuler dans la rue tous ces polichinelles. Il tire profit de tout, et son esprit s’exerce au hasard, au détriment de certains passants. Ils sont nombreux ceux qui firent les frais de la causticité de Léautaud. Un jour au Mercure, Albert de Berdancourt3 était venu faire le service d’un de ses volumes. Il prit un exemplaire, le feuilleta, le tâta, le soupesa, visiblement satisfait de sa bonne apparence.

« Eh bien, il est lourd, dit-il.

— C’est votre style », lança aimablement Léautaud.

Léautaud ne s’attaque d’ailleurs pas spécialement aux personnes, les choses notamment la T.S.F., donnent prise à ses colères. Il est juste d’ajouter que c’est peut-être une vengeance, son aversion pour le confort moderne, car il est pauvre. Il est encore juste d’ajouter qu’il est pauvre parce qu’il ne fait rien pour ne plus l’être. Il ne se résout que rarement à livrer ses écrits aux éditeurs. Il lui fut offert d’importantes sommes d’argent pour publier son « Journal ». Il refusa.

Paul Léautaud n’a laissé paraître que quelques livres, à tirage restreint. Seul Le Théâtre de Maurice Boissard, édité chez Gallimard, atteint une plus large audience. C’est un recueil de quelques-unes de ses meilleures chroniques dramatiques qui sont maintenant vieilles, mais qui ne datent pas.

On le supplie de laisser rééditer son premier livre — Le Petit Ami — il n’a jamais consenti. Léautaud vient cependant de publier un nouveau livre : Marly-le-Roy et Environs, en luxe4. C’est un petit chef d’œuvre que seuls connaîtront quelques privilégiés.

Mais revenons au personnage et pénétrons chez lui. Une vieille grille rouillée que l’on pousse et nous voilà dans son fameux jardin. Un jardin… si l’on veut. Le sentier vous le créez vous-même, à travers les nombreuses tombes où reposent ses chiens et ses chats. Léautaud eut jusqu’à trente chats et quinze chiens à la fois, sans compter divers animaux de toutes espèces. (Lors de l’exode en 40, c’est Léautaud qui nourrit tous les animaux abandonnés du quartier.)

Après avoir traversé ce cimetière d’animaux, vous arrivez à la maison, gardée par deux ou trois chats qui vont tout de suite prévenir le maître de l’intrusion d’un humain dans le royaume. Un vieux monsieur grimaçant vous crie de monter un étage et vous fait asseoir sur un tabouret que les chats et les paires de chaussures ont bien voulu laisser libre.

Et vous vous trouvez assis dans une petite pièce, remplie de gamelles, de cendre, de morceaux de bois, en face de Léautaud, tout étonné que l’on vienne de Paris le voir, et intimidé par une présence qui trouble le silence habituel. Une guenon arrive brusquement vers vous menaçante.

« N’ayez pas peur, elle est charmante… Guenette, va dans ton coin ! » dit doucement Léautaud.

Rassuré, vous essayez de lui parler et comme entrée en matière, vous croyez bien faire en le louant de son œuvre.

« Taisez-vous, hurle-t-il, parlons d’autre chose, ce n’est rien ; j’écris pour passer le temps parce que c’est mon plaisir. »

Et il part d’un grand éclat de rire faux comme lui seul sait le faire. Il faut l’entendre bavarder, ce n’est plus du bavardage, c’est un monologue de théâtre avec mime ; il parle avec ses pieds, avec ses mains, ses yeux, ses lunettes, et… sa bouche d’une voix perçante et criarde qu’il fait fluctuer sur toute la gamme des cordes vocales.

Léautaud se moque de tout, de tout le monde y compris de lui-même. Si Léautaud est de bonne humeur, il vous racontera, non sans sel, ce que fut sa jeunesse, son premier métier de notaire5. Puis il se remémore son existence dans les coulisses de théâtre, son désir d’être entretenu par une belle artiste. Enfin des histoires à ne pas raconter à des Enfants de Marie, ni aux autres non plus d’ailleurs.

Ce fut ensuite les années passées au Mercure. Là, il emballait et expédiait les livres. Il rencontra en cet endroit les plus illustres littérateurs. Les chers confrères passent avec Léautaud de bien mauvais moments. Que ce soit Duhamel, Mauriac, Lacretelle6, tous sont servis comme il ne convient pas.

Maintenant. Léautaud passe la plus grande partie de son temps à rêvasser. Lorsqu’il lui reste une minute il prend sa plume d’oie et écrit.

Signalons enfin une dernière bizarrerie de ce curieux homme : Paul Léautaud a le téléphone.

Collin SIMARD.

Voilà donc un article bien niais…

Notes

1       Voir le Journal littéraire au dix octobre 1940.

2       Paul Léautaud n’a certes jamais été un grand voyageur mais outre Pornic, il tout de même accompli quelques petits voyages, essentiellement en voiture avec Marie Dormoy.

3       Albert de Berdancourt n’existe pas et Jean-Claude Collin-Simard n’est même pas capable de recopier proprement un nom propre. Cette anecdote est donnée dans la chronique des Nouvelles littéraires du seize juin 1923, « Mots propos et anecdotes », reproduite aussi dans Passe-Temps. Il s’agit d’Albert Serpette de Bersaucourt (1883-1937), avocat à la Cour d’appel, conseiller d’arrondissement de canton, poète et critique littéraire.

4       Parution le seize décembre 1945 au Bélier de Mathias Tahon, après une parution dans l’hebdomadaire Vendémiaire du 26 juin 1935.

Justification du tirage de l’édition du Bélier

5       Clerc d’avoué.

6       Pourquoi Jacques de Lacretelle (1888-1985), davantage que tant d’autres, qui n’est cité que onze fois dans le Journal ?… Dont ce treize juillet 1937 : « Mes relations académiques vont s’accroître. Duhamel est venu me trouver ce matin pour me prévenir que j’aurai prochainement, sur l’avis qu’il lui a donné, la visite de Jacques de Lacretelle, qui a été élu à l’Académie au fauteuil de Régnier (je ne m’en étais pas aperçu), et qui désire se documenter auprès de moi, pour son discours, sur Régnier dans le milieu du Mercure, — en me priant de lui faire le meilleur accueil. J’ai déjà fait la connaissance, par Duhamel, de Donnay, de Mauriac. Si cela continue, je finirai par me présenter. »