1904 1905-1906 1907-1908 1913-1922 1923 1930 1936-1938 Annexe I : Tybert Notes
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Charles Régismanset est l’un de ces personnages dont le lecteur du Journal de Paul Léautaud connaît le nom — il est cité une petite cinquantaine de fois — sans savoir vraiment de qui il s’agit. Juste de quelqu’un d’agréable, de positif, qui passe, de temps à autre. Inconsciemment on le rapproche, à cause peut-être d’un peu d’exotisme, du charmant Charles-Adolphe Cantacuzène, qui a été évoqué ici l’an dernier.
C’est presque ça. Regardons-le d’un peu plus près.
Charles Régismanset, né l’été 1873 à Carcassonne où sa famille est installée depuis des siècles, est le cadet d’un an de Paul Léautaud.
Licencié en droit, diplômé de l’école Coloniale, il était rédacteur stagiaire au ministère des Colonies en 1898. Il est nommé chef de cabinet du lieutenant-gouverneur du Congo français en 1899, puis chef de cabinet du lieutenant-gouverneur du Gabon (1899-1900).
On retrouve ensuite Charles Régismanset secrétaire adjoint de la commission extra-parlementaire de la Guadeloupe puis secrétaire adjoint de la commission de vérification des comptes du chemins de fer de l’Indochine et du Yunnan (en Chine1) et commissaire des établissements français de l’Océanie à l’exposition de Marseille en 1906. Après cela Charles Régismanset devient sous-chef de cabinet du ministre des Colonies, secrétaire, en 1909, de la commission de défense et de protection des Indigènes et, en 1924, directeur de l’agence générale des colonies. Charles Régismanset enseigne à l’École nationale de la France d’outre-mer de l’avenue de l’Observatoire (de nos jours antenne parisienne de l’ENA) et publie divers ouvrages sur les colonies. En 1931 Charles Régsimanset est détaché auprès de la banque d’Indochine en qualité de conseiller d’État, avant d’être admis à la retraite en 1937 et de mourir au tout début de janvier 1945.

Image reconstituée, l’original n’étant pas très beau à voir.
Les fautes typographiques, normales du temps de la machine à écrire, ont été laissées telles.
Afin de pouvoir entrer dans l’ordre de la légion d’Honneur il faut avoir rendu à l’État des services exceptionnels, ce qui est bien normal. L’état de services ci-dessus, traduit en langage courant, indique que Charles a tout bonnement exécuté correctement le travail pour lequel il a été payé correctement.
Charles Régismanset avait entre-temps été nommé, en 1901, officier d’académie puis élevé aux rangs de chevalier de la Légion d’honneur en 1918, d’officier en 1926 et de commandeur en 1931(2). Il avait aussi été élu membre titulaire de l’Académie des sciences coloniales dès sa fondation en 1923 (source : école des Chartes).

Signature de Charles Régismanset au bas d’une lettre du 27 septembre 1932 adressée au grand chancelier de la légion d’Honneur (source dossier de LH)
Ce que peu de gens savent, parce qu’il était contraint de le dissimuler, est que Charles Régismanset a écrit sous le nom de Karl Siger dans le Mercure de France, entre mars 1901 et février 1926, 170 rubriques de « questions coloniales ». C’est ce qui explique que Paul Léautaud, qui n’a jamais voyagé plus loin que la Bretagne, a souvent eu l’occasion de le fréquenter. La première fois qu’il évoque le nom de Charles Régismanset est le trente octobre 1903 :
Il faut attendre si longtemps pour être publié, même au Mercure, où je suis pourtant depuis huit ans3, que c’est à ne plus écrire. Il y a pourtant des gens à qui cela fait envie, et je le disais ce soir à Morisse4, en allant au vernissage du Salon d’Automne5. L’autre jour, je rencontre Régismanset. Il me raconte qu’on lui a refusé un roman au Mercure, sans même le lire, pour encombrement de manuscrits : « Vous, au moins, vous avez un pied dans la maison ! — Ah ! oui, parlons-en, lui répondis-je. Un pied… de grue, alors ! »
Charles Régismanset a déjà publié un premier livre, Vers l’équateur — Sensations coloniales. Un petit volume de 42 pages terminé en mars 1900 mais paru seulement à la fin de l’année et daté de 1901 par un petit éditeur inconnu, André, 27 rue Bonaparte. Charles Régismanset a pourtant 27 ou 28 ans mais c’est le livre d’un gamin encore embarrassé d’allégeances, dédié à Henri de Lamothe, gouverneur des colonies. Il serait temps de s’émanciper.
1904
En juin 1904, Charles Régismanset publie son deuxième livre et premier roman, La Femme à l’enfant (272 pages), chez un éditeur encore débutant mais qui ne tardera pas à être connu : Edward Sansot. Charles Régismanset envoie son bébé à Paul Léautaud, qui lui répond le 21 juin :
Mon cher Régismanset,
Une lettre pour remercier d’un livre est généralement une corvée, je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi. Celle-ci m’est au contraire un grand plaisir. J’ai lu votre livre vendredi soir, et je l’ai lu d’un coup, curieux que j’étais devenu du sujet au fur et à mesure de ma lecture. C’est tout à fait bien, et je vous prie de croire à ma sincérité en vous disant cela. Le sujet n’a pas traîné partout, loin de là. Il est mené avec une extrême adresse, ce qui est rare dans un premier livre, et même les détails [illisible] tant à lui et sont traités si sobrement qu’on ne les voit plus comme des détails. Il me semble bien que vous avez dû écrire ce livre avec beaucoup de soin, et que vous aimez la netteté et l’ordre. Il y a aussi une sorte de détachement, à cause de certaines remarques railleuses, qui me plaît particulièrement. Il est si bien, si salutaire aussi, de ne pas avoir une idée trop sérieuse de ce que l’on fait. Je vous ai retrouvé souvent, presque entendu, au cours de ma lecture, et ce livre est bien de vous, on le constate tout de suite pour peu qu’on vous connaisse. Quand je pense que je n’y ai pas retrouvé un seul souvenir de lectures. C’est vraiment un grand point aussi6.
Je n’ignore pas, mon cher Régismanset, que mon avis n’a pas une importance… européenne. Je puis cependant vous dire qu’Albert7 pense tout à fait comme moi de la Femme à l’Enfant, et il a aussi beaucoup lu, vous savez, et il a infiniment d’esprit, un très grand goût de modernité, ce qui le rend très difficile. Je n’ai pas attendu de savoir son avis pour avoir le mien, mais cela m’a fait plaisir quand, samedi après-midi, parlant avec lui de votre livre, je me suis trouvé d’accord avec lui.
Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir de Madame Régismanset (ce qui ne sera pas une petite affaire : elle m’a vu une fois !) et croyez à mes sentiments de grande cordialité.
P. Léautaud
Van Bever m’avait donné, il y a une huitaine, pour que j’y mette un mot, un exemplaire du Régnier8 qu’il vous destinait. Je vous le remets avec la présente. Pas de remerciements, surtout.
Dans leur ouvrage La Nouvelle littérature 1895-1905 paru chez Edward Sansot en 1906, Georges Casella et Ernest Gaubert, dans le chapitre XII : « Le roman de la vie contemporaine », ont choisi de faire suivre, pages 196-197, Paul Léautaud et Charles Régismanset. Ils écrivent :
M. Paul Léautaud ne peut se réclamer que de quatre devanciers : Jérôme Cardan, Jean-Jacques Rousseau, Restif de la Bretonne et Stendhal. Il est surtout plus près des Mémoires de M. Nicolas et on dirait qu’il a voulu refaire à l’envers La Vie de mon Père9. M. Léautaud a fait crier au scandale et au chef-d’œuvre. À juger sainement, il semblerait que, dans un temps où les femmes s’obstinent à vouloir être sincères, l’auteur du Petit Ami n’ait pas voulu leur laisser le monopole de la franchise. Cette franchise dans Le Petit Ami et dans In Memoriam est complète sinon excessive. C’est une confession qu’on devine absolue et sans retour, parce qu’on sent que l’auteur s’y intéresse. Un style négligé avec correction et intention y traduit des aveux tels que le XVIIIe siècle les eut aimés, mais que notre époque d’hypocrisie romantique les goûtera difficilement. À de telles audaces naturelles correspond une grande aristocratie d’intelligence.

Nous citerons encore […] de M. Charles Regismanset, un roman qui vaudrait par son audace tranquille d’être rapproché du Petit Ami. La femme à l’Enfant de M. Régismanset envisage l’enfant au point de vue de l’émoi instinctivement sexuel. Ce n’est point un livre obscène ou curieux, c’est une œuvre troublante et douce. Pas même le regard de Stendhal amoureux de sa mère Henriette Beyle « alors qu’elle saute par-dessus le lit de son fils pour atteindre plus vite le sien » ou de sa tante Mme Camille Gagnon dont il avait entrevu, alors qu’elle descendait de voiture, « la peau blanche à deux doigts au-dessus du genou ». M. Régismanset a composé un roman plus subtil, plus équivoque et plus profond.
À la seule lecture de ce compte rendu — il s’agit là de tout ce que l’on peut savoir sur ce roman — on croit comprendre que le gamin qui dédiait son premier livre à son chef s’est émancipé.
1905-1906
18 mois plus tard, le neuf décembre 1905 :
Mme van Bever me dit l’opinion de Ghil10 sur In Memoriam. « On n’a pas à se réjouir de le voir raconter de telles choses, quand on a de la sympathie pour lui. » Quant à Mme Régismanset, tout le contraire : elle trouvait qu’il n’y en avait pas assez.
Il paraît que Mme Régismanset11 est au courant de toutes les maîtresses qu’a eues son mari, et de temps en temps, se fait rappeler leur histoire.
Et un mois après, le samedi treize janvier 1906 :
Été ce soir pour la première fois chez Régismanset. Mme Régismanset joue de la harpe avec un vrai talent, mais une certaine cousine de Sansot Orland12 chante comme en province, en vibrant les r tout à fait fâcheusement, du moins pour un aussi petit salon.
Quelques jours plus tard, le 27 janvier 1906, dans le bureau d’Alfred Vallette, avec Remy de Gourmont (alors que Paul Léautaud ne travaillera au Mercure qu’en janvier 1908) :
Nous avons ensuite parlé du monde, d’aller dans le monde, des gens qui reçoivent, etc. Anecdotes de Vallette sur le salon des Danville où l’on se rasait d’importance, paraît-il. Personne n’y allait plus. Tinan avait mis à la mode de dire : « Allons pisser chez les Danville. » J’ai amusé Gourmont13 et Vallette avec mes gaffes et mes gaucheries chez M. Lebey, chez Valéry. […] Mon embarras à offrir le bras à une dame pour passer du salon dans la salle à manger, chez Valéry14, si bien qu’après une ou deux fois je m’arrangeais pour rester le dernier et passer seul. Je disais que je ne sais jamais comment faire, ni que dire, dans de telles circonstances. « Mais pourquoi n’êtes-vous pas simplement comme vous êtes ici », m’a dit alors Gourmont. À quoi je lui ai répondu que j’avais besoin de connaître beaucoup les gens pour avoir toute ma liberté, cela m’a amené à raconter un mot que j’ai eu chez Régismanset, quand j’y suis allé dernièrement, et que j’avais oublié de noter. Mme Régismanset venait de jouer un morceau de harpe, quelque chose de Rameau je crois. Tout le monde applaudissait. J’étais derrière le piano, seul dans un coin. Van Bever qui était non loin de moi me demanda : « Eh bien ça te plaît ? — Mais oui, lui répondis-je. Seulement, il faudrait être seul, pour entendre cela. » Ce qui amena aussitôt une dame à me dire tout haut : « Il faut croire que nous vous gênons. » J’avais été comme il faut être, j’avais obéi à mon sentiment. Il ne faut pas chercher ses mots pour bien parler, ni réfléchir à l’excès. Sans cela on n’est plus naturel.
Le 23 mars suivant, toujours 1906, Paul Léautaud écrit une longue lettre à Charles Régismanset :
Mon cher ami,
Van Bever m’a remis votre petit livre Contradictions15 cette après-midi, et je viens de passer ma soirée à le lire, ayant lâché pour lui mon manuscrit en train, ce qui n’est pas peu, car je ne lis guère quand je travaille, et j’ai là dans un coin trois ou quatre fameux ouvrages, dont un Gide16, qui ne sont pas près d’être ouverts. Mais avec vous il n’y a pas eu moyen. J’avais ouvert vos Contradictions après dîner, histoire d’en prendre une idée, en attendant une vraie lecture. Il est onze heures et demie et j’y suis encore, tant j’ai fait des poses de temps, à cause de telle ou telle de vos notes qui me mettait l’esprit en mouvement… trop. C’est vous dire si j’ai goûté votre cynisme, votre gouaillerie à déshabiller certains grands sentiments pour montrer qu’ils ne sont que des hypocrisies conscientes chez les uns, inconscientes chez les autres. Je ne vous ferai qu’un reproche. Pourquoi cette rage de mettre seulement huit ou dix mots là où vous auriez pu enfiler des phrases à perte de vue ?
C’est contre tous les usages17.
Une de vos notes, il y en a plusieurs, mais celle-là surtout, la première de la page 43, m’a ramené soudain à ce fameux manuscrit auquel j’ai fait plus haut une allusion si discrète. Je me suis même demandé un moment si je ne devais pas faire paraître une note quelque part pour ne pas être un jour accusé de plagiat. Voici. La chronologie des faits que je raconte18 m’a fait dire un mot très en passant de certaines années extra serrées que j’ai vécues, et je me suis empressé d’ajouter que ce mot était tout ce que j’en dirais : 1o n’y trouvant aucun intérêt ; 2o n’ayant jamais compris le plaisir que pouvaient avoir des gens à parler avec attendrissement de feu leur vache enragée ; 3o que je n’ai jamais coupé dans toutes les blagues qu’on nous a servies sur l’utilité de la pauvreté ; 4o que loin de trouver qu’elle était utile, je trouvais au contraire qu’elle était un arrêt, une diminution ; 5o car on n’est soi, et vraiment, et l’on ne vaut quelque chose que dans le bonheur, lui seul nous augmentant, nous donnant tous nos moyens, etc. Vous le voyez : les grands esprits se rencontrent. Voilà au moins un proverbe qui n’est pas une blague. Je n’ai pas été fâché — si vous vous rappelez ce que vous m’avez dit ? — de la note à moi dédiée. J’ai l’aplomb de ma faiblesse. J’ai pour les bêtes, toutes les bêtes, un cœur de concierge, et de vieille concierge. Si j’avais l’habitude des phrases poétiques, je dirais que je me sens le frère de ces vieilles femmes à cabas qui portent le soir à manger, aux grilles des jardins publics, aux chats sans patrons. Je ne donne jamais un centime aux pauvres, le spectacle des gens écrasés m’est indifférent, les gens qui pleurent aux enterrements me semblent très laids, et quand ma chère bien-aimée est malade je vais me promener. Mais mon chat est le maître chez moi, mes fenêtres sont pleines de pain pour les oiseaux, je pars chaque matin avec des provisions de pain que je distribue à tous les moineaux de ma route, je donne du sucre aux chevaux de fiacre dont la misère finira par m’empêcher de sortir, j’achète de la viande aux chiens perdus que je rencontre, et si je m’écoutais, et si je le pouvais, ma maison serait pleine de bêtes, au lieu que j’y sois seul, car mon chat, vous pouvez vous en douter, vous, un de ses oncles ! est bigrement loin d’être une bête. Que de cochers de fiacres j’ai dans mes relations, pour bavarder de temps en temps avec eux, et que de bonnes bêtes, dans mon quartier, qui me connaissent. Si beaux yeux, au fond desquels je ne saurai jamais ce qui se passe. J’y rêve, souvent, pendant des heures. Vous voyez bien que je ne me cache pas. J’arrêterai ici cet autographe, en vous remerciant en même temps pour votre Manuel du Candidat19 qui m’amuse encore rien qu’à y penser. Je voudrais être gracieux comme mon chat pour saluer Madame Régismanset, et je vous prie de croire à ma vive cordialité.
Trois mois plus tard, le 21 juin, dîner à quatre (six ?) chez Adolphe van Bever :
Le soir, chez van Bever, où il n’y a que Régismanset et sa femme. Régismanset nous raconte ses tribulations d’auteur, à propos d’un roman (le second) pour lequel il ne peut arriver à trouver un éditeur20. van Bever lui demande quel démon le pousse à vouloir publier, alors qu’il serait si heureux sans cela, une place excellente, de bons appointements, un père sénateur21 qui le poussera, sous-chef un jour, chef ensuite, la croix encore ensuite. « Le besoin de m’exprimer, de me manifester » répond Régismanset. Exprimer, manifester quoi ? mon Dieu. Il n’a ni personnalité, ni originalité, il écrit en clichés, et tant d’esprit qu’il ait, il n’y en a aucun dans ses romans. Il arrive à dire que la littérature est aussi malpropre que la politique, — ce qui ne l’empêche pas de courir après l’une et l’autre, avec sa course aux éditeurs, et ses démarches pour obtenir un secrétariat ministériel chaque fois qu’il y a un nouveau ministère en formation. Certainement il finira dans la politique. En attendant, il va encore se payer le luxe de se faire éditer chez Sansot. Il paraît aussi — c’est une confidence de van Bever car Régismanset, avec moi, n’en a guère parlé, — il paraît, dis-je, qu’il se croit assuré du Prix Goncourt. Encore un !
Le roman de Charles Régismanset paraîtra en octobre. Journal littéraire au 26 :
J’ai reçu il y a quelques jours le roman de Régismanset, dont il s’est offert l’édition chez Sansot, coût cinq ou six cents francs. Platitude, clichés, rien de neuf ni de personnel, l’ouvrage d’un garçon adroit, pas bavard, mais sans sensibilité quelconque. Et il compte sur le P. G. Vallette à qui j’en ai parlé s’en tordait. Je lui disais : « Dieu sait si en ce moment je ne suis pas fou de moi avec tous mes gribouillages d’Amours, mais de là à Régismanset, il y a encore quelque marge. » Et Régismanset qui me disait il y a deux ou trois jours qu’il avait écrit son Ascète en vingt jours, de trois heures de travail chacun. Je ne m’en étonne plus, à voir ses phrases toutes faites, ses lieux communs. Je suis loin d’estimer qu’on doit se tournebouler le cerveau pour faire des phrases curieuses et je ne suis pas non plus pour les expressions rares. On doit avoir son style sans faire d’effort, et en être dénué, de style, à ce point-là ! Un garçon d’esprit, et pas bête, pourtant !
Nous sommes loin de la lettre dithyrambique du 23 mars !
Un mois plus tard, le vingt novembre (toujours 1906) :
Au Mercure, mardi de Rachilde. Régismanset était là. Nous bavardons. Il veut me donner un manuscrit à lire, pour avoir mon avis. […] Je lui dis, à Régismanset, qu’il ne me fait pas du tout l’effet d’un homme à qui on peut dire la vérité littérairement. Il se récrie. « Ainsi, me dit-il, on m’a dit que L’Ascète est mal écrit. Je ne m’en suis pas fâché. Du moment qu’on me fait une critique où il y a quelque chose. » Là-dessus je lui dis carrément que je n’ai pas trouvé ce livre mal écrit, moi, mais, ce qui est pire, écrit avec les phrases de tout le monde, rien qu’avec des clichés, etc., etc…
À propos d’Amours, il me dit que le passage sur la sympathie que j’inspire aux gens l’a fait sauter22. Jusqu’à être sur le point de m’écrire que je le dégoûtais. J’ai bien ri.
Quelques jours plus tard, le trois décembre :
J’ai commencé à lire ce soir ce manuscrit de roman que Régismanset a voulu à toutes forces me faire lire, pour avoir mon avis. Sixtine23, de Gourmont, ce roman de Régismanset, le manuscrit que doit me communiquer Alphonse Séché24 — j’en suis à trois, et j’oubliais le cahier poétique à recevoir de ce M. André Lafon25, répétiteur au Collège de Blaye. J’en reviens au roman de Régismanset, intitulé Lui et moi26, souvenirs (autobiographiques, je pense), l’internat au collège, histoires de camarades, « lapin et chasseur » comme on dit. Des coins qui pourraient être intéressants, mais toujours la même chose : aucun style, et pas la moindre personnalité. Les phrases de tout le monde, des expressions tout ce qu’il y a de plus « toutes faites » avec des longueurs en quantité. Non, pas un écrivain. Il n’y a aucun « air » dans les phrases, rien qui sente une rêverie intérieure, pas d’émotion, de sensibilité. Ce sont des souvenirs, et personnels, très certainement, et c’est écrit comme un rapport. Régismanset ne doit certainement jamais être ému, sentir ce qu’il écrit. On ne sent aucun prolongement. On lit des mots, des phrases, des pages, rien de plus.
Il m’a demandé mon avis, et mon avis sincère, mais dur. Vais-je le lui donner ?… Si délicat, si délicat ! Et puis, il y a encore là quelque chose comme une imitation de moi. C’est le deuxième avec Thomas27. Cette imitation, c’est peut-être flatteur, mais je suis encore trop à moitié chemin pour que cela puisse me faire plaisir. On pourrait faire mieux que moi : les imitateurs font du reste toujours mieux. Il est vrai que ce mieux n’est que superficiel, n’est jamais que dans la forme. Le fond, le tréfonds, ce n’est jamais que le premier qui l’a. Qu’on ne croie pas que je me considère comme le premier. Tout au plus, je suis le premier d’une nouvelle série.
J’ai bien envie de dire à Régismanset que c’est parfait. Il faudrait seulement qu’il ne publie ce volume qu’après moi mon Passé indéfini28. Il écrit si vite, et un livre pour lui, c’est si vite bâclé, qu’il peut bien en écrire un autre pour patienter.
Un des dernières lettres de l’année est à l’intention, de Charles Régismanset, à propos du très joli Tybert, achevé d’imprimer le 26 novembre 1906.

Tybert, chat, paru chez Sansot en 200 exemplaires, 78 pages richement illustrés de soixante dessins de Paul Magne de la Croix, reproduit un manuscrit. Paul Magne de la Croix (1875-1942), peintre animalier né à Paris mais assez peu connu à cause, peut-être, de longues années passées à Buenos-Aires. Ce qui ne l’a néanmoins pas empêché d’exposer parfois dans des salons parisiens, au Grand-Palais ou à l’Orangerie. On lui doit de nombreuses peintures de vénerie et de chevaux.
Ça ferait une note un peu longue et c’est en annexe I infra qu’on lira avec plaisir le texte de Remy de Gourmont à propos de ce livre. Voici la lettre de Paul Léautaud à Charles Régismanset du trente décembre 1906.
Paris, 17, rue Rousselet
le 30 décembre 1906
Mon cher Ami,
J’ai été vraiment heureux de recevoir votre lettre, et c’est une chose que je voulais déjà vous dire quand vous m’avez écrit, en juin dernier, après une conversation chez van Bever. « Ministère des Colonies » et qui plus est, cette fois-ci « Cabinet du Ministre29 » ! C’est ça qui va me poser chez ma concierge. La malheureuse ne se doute pas qu’il n’y a dans tout cela que des questions littéraires.
J’ai lu Tybert, et dès l’avoir reçu. Je voulais vous répondre. J’avais même, le soir même de ma lecture, préparé un brouillon de lettre. Puis, à force de remettre au lendemain, je suis arrivé à aujourd’hui. Aujourd’hui, à quoi bon ? Une lettre de moins, vous n’en mourrez pas, mon cher Régismanset. Je suis dans mes mauvais moments. La cause, la fin de l’année. Chaque fin d’année il en est ainsi, et vous l’expliquer, vous le raconter, ce serait si long, sans parler de l’inutilité. Votre lettre ne m’a pas rappelé que vous, hélas ! Je regarde devant moi d’autres livres, d’autres lettres, même une demande de collaboration à une revue, et qui attendent aussi une réponse. Les gens s’imaginent probablement que j’ai un secrétaire. Si j’avais encore, comme avec vous, l’espoir d’être excusé par l’amitié.
Un mot, cependant, au sujet de Tybert. J’ai été très fâché après vous pour ce nom. Votre chat était un chat contemporain, que diable, et qui s’appelait Toto. Allez l’appeler Tybert ! Ce besoin d’érudition (le Roman de Renart), m’a beaucoup gâté l’ouvrage30.
Je vous retourne, dans un délai assez bref, j’espère votre Lui et Moi que j’ai lu aussi. Je n’en ai pas une opinion différente de celle que j’ai sur vos autres livres. Ce sont toujours les mêmes qualités, rapidité d’expression, tout de suite dans le sujet, aucun bavardage ni aucune scène inutile. Ce pourra être un livre curieux, en le laissant bien tel quel, c’est-à-dire en laissant les scènes pas plus indiquées qu’elles ne le sont — et de plus, il y a longtemps qu’on a vu un livre de ce genre. Pensez-vous le faire paraître bientôt ?
On ne vous voit plus depuis que vous êtes dans les grandeurs. Dites donc à ces messieurs qu’ils ont vraiment le chic pour fortifier en nous le zèle républicain. L’argumentation parlementaire m’a rappelé certaines officines louches où me menèrent mes occupations judiciaires et où des filous opéraient presto subito.
Mes meilleurs hommages à Madame Régismanset et toutes mes cordialités pour vous. Vous n’avez jamais aimé les bêtes, malgré toutes vos belles paroles. Un jour que je serai disposé, je vous écrirai peut-être une lettre pour vous le démontrer.
P. Léautaud
Ce lundi matin, je reçois votre seconde lettre. Ce n’est pas possible, vous voulez l’offrir à quelqu’un comme étrennes, votre manuscrit, pour être si pressé. Meilleurs souhaits aussi, mais pour quoi ? Est-il quelque chose que vous puissiez désirer !

1907-1908
Nous en avons fini avec l’année 1906. Charles Régismanset ne sera pas évoqué en 1907, seulement Madame. Au début de l’année 1908, le 18 février, nous apprenons que Blanche Blanc, maîtresse de Paul Léautaud a été « maltraitée et volée par la concierge et la cuisinière de la veuve Haucourt, sa propriétaire 43 rue Tournefort. » Blanche fait établir un constat par un médecin et se rend au commissariat de la rue Vauquelin pour porter plainte. La réponse est que l’affaire a peu de chances d’aboutir. Paul pense alors à faire jouer ses relations, c’est-à-dire l’avocat romancier et chroniqueur au Mercure José Théry, et Charles Régismanset. Paul Léautaud prend cette affaire très à cœur, on le comprend. Et le vingt février 1908…
À 9 heures, été chez van Bever, pour voir Régismanset, lui raconter l’affaire et lui demander, si possible, son appui auprès de quelqu’un du Parquet. C’est entendu. Le jour venu, il me donnera une lettre.
Le lendemain 21 février Paul retourne au commissariat et rencontre le secrétaire vu la veille. Ils finissent par bien se connaître. Le douze mars…
Été ce soir, à onze heures ! chez van Bever pour demander à Régismanset son mot pour le Parquet, relativement à l’affaire Haucourt. Il me l’enverra demain.
Cette affaire se terminera vers la mi-mars sans que l’on sache trop comment. Et le 25 juin :
En sortant du Mercure, j’ai été abordé par Régismanset qui revenait du Sénat et rentrait chez lui. Il avait l’air de vouloir me parler. Je ne lui en ai pas laissé le temps. Il en a été presque fâché. « Qu’est-ce qu’il y a ? Ah ! oui, le chat… » Un chat perdu, réfugié sur le rebord d’une fenêtre du Commissariat, et pour lequel je venais d’aller au Marché Saint-Germain acheter de la nourriture. Parbleu, oui, le chat. Le sort de cette bête m’intéressait autrement que de vagues propos.
« Il n’y a que moi qui m’intéresse ». Nous voyons poindre ici avec toujours la même tristesse l’ingratitude de Paul Léautaud. Nous la retrouverons souvent, comme quarante ans plus tard presque jour pour jour — le onze juin 1848 — dans la lettre à Jean Saltas dans laquelle Paul Léautaud lui refusera son aide pour relire une traduction :
Cela m’assomme. Je suis désolé d’être bâti comme je suis : je me refuse à faire ce qui m’embête, ou me dérange, ou me déplaît.
Paul Léautaud a quelques autres fois évoqué Marie Régismanset (note 10) rencontrée avec son mari chez Adolphe van Bever ou seule, certains mardis, chez Rachilde. Ces galanteries n’ont pas toutes été retranscrites ici. Relevons la date du huit décembre 1908 :
J’ai bavardé très agréablement ce soir avec Mme Régismanset dans le salon de Rachilde. Elle était assise à un bout opposé. En me voyant, elle s’est levée pour venir s’asseoir à côté de moi. Je lui ai demandé son avis sur le singulier chapeau de Mme Danville31, qu’elle a trouvé grotesque comme moi. Mme Hirsch était là32. Elle me dit qu’elle est jolie. Je me suis mis à lui demander si elle connaît les histoires Mendès-Hirsch33. Elle n’en connaît rien et a été très étonnée. Je n’ai rien pu lui raconter en détails. Je lui ai seulement parlé de la coquetterie de Mme Hirsch, de ce que disait Monceau34 qui la connaissait bien, qu’elle marchait pour un chapeau. Mme Régismanset s’en est à la fois étonnée et amusée. « Vraiment, me dit-elle, je ne marcherais pas pour un chapeau. Ce ne serait pas suffisant. — Prenez-garde, lui ai-je dit. — Quoi ? me demande-t-elle. — C’est très simple. En disant que vous ne marcheriez pas pour un chapeau, c’est presque laisser entendre que vous marcheriez pour plus, ou mieux. » Elle m’a répondu que ce n’est pas cela du tout, qu’elle n’a pas ma subtilité35. Nous avons aussi bavardé sur d’autres gens. Elle m’a demandé comme il se fait que je sache des tas de choses sur des tas de gens. « Il le faut bien, lui ai-je répondu. J’ai besoin de savoir tout cela… pour le raconter un jour. Ainsi, vous, s’il vous arrive d’avoir une petite histoire scandaleuse, j’espère bien la savoir. — Je viendrai vous la raconter moi-même, Léautaud, m’a-t-elle dit en riant, moi-même. C’est gentil, hein ? »
1913, 1922
Cinq années passent sans que le nom de Charles Régismanset, vraisemblablement dans nos colonies d’alors, apparaisse dans le Journal. Jusqu’au mercredi 17 décembre 1913. Pour fixer la date, Jules Claretie va mourir dans six jours, mardi prochain.
Une belle chose comique, arrivée hier au mardi de Rachilde. Régismanset a publié il y a un mois ou deux un nouveau roman, Les Lauriers salis36, avec lequel il s’est porté candidat au Prix Goncourt et a fait des démarches37, le mot de Rosny l’indique. Il a été aussi candidat, il y a un an ou deux, avec un précédent roman. Rosny l’aîné, qui est sourd comme trente-six et, comme tel, parle en criant très haut, arrive au mardi de Rachilde. Régismanset était là. Du plus loin que Rosny l’aperçoit, il lui crie : « Je n’ai pas voté pour vous, parce que j’aurais été seul, et que cela aurait fait la deuxième fois. On finirait par suspecter la nature de nos relations. » Effet dans l’assistance. Ce pauvre Régismanset était visiblement gêné. « Vous êtes cruel », répliqua-t-il au comble de la gêne. C’est pour moi d’un comique, une telle chose ainsi criée publiquement. Braves gens, les sourds.
L’anecdote sera reprise par Jean de l’écritoire (André Billy) dans la « Gazette des Lettres » de Paris-Midi du 18 décembre (page deux, colonne deux) :

La guerre et les années passent sans que l’on ne lise rien sur Charles Régismanset ni même sur Madame. Dans une page récente sur Georges Besson (parue le premier décembre 2024), nous avons lu la journée du 21 février 1922 :
Il faut que je note ceci :
Régismanset m’a demandé de lui faire lire In Memoriam. Je lui ai donné le troisième morceau (dernier no des Cahiers d’Aujourd’hui). Quand je l’ai revu quelques jours après, il m’a dit seulement : « J’ai lu. Je vous remercie. »
Cassou a lu ce même 3e morceau dans le no des Cahiers arrivé au Mercure pour la rubrique des revues. Il ne m’en a pas dit un mot.
Je ne sais que penser de ce silence. Je l’interprète plutôt comme défavorable. Je veux dire que ni Régismanset ni Cassou n’ont trouvé bien ce 3e morceau ? Je voudrais pourtant bien savoir leurs critiques et je n’ose pas les leur demander.
1923
Passons donc rapidement pour rejoindre le onze mai de l’année suivante (1923), Charles Régismanset étant de retour à Paris :
Régismanset passe prendre sa case38, descendant de chez Vallette, qui lui a parlé de l’affaire et du journal Mortier39. Il me raconte ce qui suit, qui est assez amusant. Il est aussi grand joueur de billard40 et se trouve souvent à jouer avec Robert Mortier, le frère d’Alfred. Mon feuilleton sur Jules Romains venait de paraître41. Robert Mortier dit à Régismanset « Vous avez vu le feuilleton de Boissard sur Romains et ses commentaires. C’est tapé ! » — Régismanset lui dit qu’à son avis il comprend que la N.R.F. n’ait pas voulu laisser critiquer ainsi son collaborateur et que mon feuilleton est en effet un peu méchant. Robert Mortier lui dit alors : « Laissez donc ! C’est toujours très amusant, la méchanceté. »
Quelques jours après se trouvant ensemble, Robert Mortier lui dit : « Dites donc, avez-vous lu le feuilleton de Léautaud ? »
Régismanset avait Les Nouvelles littéraires dans sa poche mais n’avait pas encore lu ma chronique42. Il répond négativement. Robert Mortier lui dit alors : « Oh ! vous savez, il exagère. Il arrange cette fois-ci ce pauvre Alfred. C’est vraiment aller un peu loin. »
J’ai dit à Régismanset comme il a manqué une belle réponse : « Mais, mon cher, c’est toujours amusant, la méchanceté. » Régismanset43 en a convenu, mais il m’a dit ceci : « Il faut vous dire que ce jour-là Robert Mortier venait de se faire pincer à tricher sérieusement en jouant. » Je lui dis : « Comment, il triche ? C’est du joli. » Régismanset me répond : « Que voulez-vous. Cela lui fait du chagrin, de perdre. Alors, quelquefois… » C’est tout à fait délicieux.
1930
Les années passent toujours et nous voilà sept ans plus tard, le quatre juin 1930 :
Tantôt, rencontré à la Civette Régismanset. Pas vieilli du tout de visage. Auprès de moi… Quelle veine ont ces gens. Il est vrai que Régismanset doit être plus jeune que moi. Il me parle de la journée de Melun, à propos de Rachilde44. Je lui raconte tout ce que j’ai vu, foule et police. Il me dit en riant : « Ah ! dame, mon cher, vous savez, les défenseurs de l’ordre n’y vont pas doucement. » C’est tout ce qu’il a trouvé.
Depuis mars 1926 Charles Régismanset n’écrit plus ses « Questions coloniales » dans le Mercure et on le voit forcément moins rue de Condé, ou alors pour autre chose, comme ce premier mai 1934 :
Il y a quelque temps, Régismanset est venu trouver Vallette pour lui demander s’il voudrait donner la firme du Mercure à un volume, à mille exemplaires, qu’il imprimerait à ses frais, dans lequel il dirait des choses sur les colonies qu’il n’a pu dire quand il était fonctionnaire (il était aux Colonies) et qu’il peut dire maintenant qu’il est à la retraite et libre. Vallette, qui n’aime pas beaucoup ce genre d’opération, avait pourtant dit oui, ou presque. Régismanset a apporté son volume, et ce sont des Aphorismes sur les colonies45. Vallette en est tombé de son haut et trouve la chose d’un ridicule achevé. Régismanset a non seulement aucun talent littéraire, mais encore aucun esprit. Les Aphorismes qu’il publie de temps en temps dans L’Ère Nouvelle, je crois, sous son titre habituel, Contradictions, sont la platitude même et assez vulgaires46. Je n’y ai jamais trouvé un trait à retenir. Comme il n’en est pas moins plein de prétentions, il est clair qu’il est un sot. Reste à voir comment Vallette va se tirer de là. Il est probable qu’ayant dit oui, il faudra qu’il avale la bourde.
1936-1938
Il faut attendre deux ans et demi, le seize janvier 1936 pour voir Paul Léautaud revenir sur le sujet, à propos d’une conversation avec Louis Cario47 :
J’ai oublié ceci. J’ai dit hier matin à Cario la stupéfaction que j’ai de voir Régismanset publier dans L’Ère Nouvelle les notes, réflexions, maximes qu’il y publie de temps en temps. On n’a pas idée d’écrire plus mal et de dire des choses plus insignifiantes. Il faut manquer de sens critique à un point déconcertant. Cario de mon avis. Il me dit que Régismanset est pourtant intelligent (ce qui n’est pas mon avis, pour la raison ci-dessus), mais qu’il manque complètement de sens critique en ce qui le concerne lui-même, qu’il ne se méfie pas non plus assez de sa facilité, capable d’écrire tout un roman en trois jours, sans la moindre idée, le moindre souci, de revoir ce qu’il a écrit, la facilité étant sans doute pour lui le don suprême. Il me rappelle l’histoire du roman publié par Régismanset sous ce titre : Couronné par l’Académie Goncourt48, l’éditeur s’étant arrangé pour donner au titre, sur la couverture, l’aspect d’une bande, comme on met en pareil cas. Cario me raconte que nombre de gens lui parlent quelquefois de Régismanset comme ayant eu le prix Goncourt. Ils ne se rappellent plus quelle année, voilà tout. Ils pourraient chercher longtemps sans la trouver.
Le tour était tout de même drôle.

En août 1938, la relieuse Rose Adler est souffrante. Le 19, Paul prend, par téléphone, des nouvelles de sa santé puis en rend compte, par courrier, à Marie Dormoy qui prends les eaux à Saint-Flour :
J’ai téléphoné dès hier à Rose. Elle m’a fait au téléphone un accueil charmant. Elle va un tout petit peu mieux, avec un petit peu de fièvre encore. Je lui ai dit tout ce que vous m’aviez dit de lui dire.
J’ai dit : Mademoiselle Dormoy. J’ai dit : Monsieur Vollard. J’ai dit : Mademoiselle Adler. Je ne suis pas de ces galapiats qui disent : Marie Dormoy, tout court (ex. Champigneulle49), qui parlent à Vollard : « Dites donc, Vollard ! » (exemple Régismanset). Je suis un sauvage qui a des manières. Il n’y a que dans l’intimité que j’envoie au diable les formes, quand j’en tiens.
Puis vient l’hiver. Le 26 décembre 1938, Paul a froid. Et ce n’est pas encore la guerre…
Il fait un froid tel que je n’arrive pas à me chauffer dans ce pavillon où l’air entre par les portes et par les fenêtres. Je vis chez moi la tête enveloppée de foulards, comme un Chardin50.
Ce matin, visite de Cario. Conversation sur Régismanset. Selon lui, Régismanset, avec sa retraite du ministère des Colonies, son poste d’administrateur de la Banque d’Indo-Chine51, son professorat à l’École coloniale, un autre [poste] d’administrateur dans une autre banque, doit bien se faire cent cinquante mille francs par an. Comme je demandais à Cario ce qu’il peut bien faire de cet argent, il m’explique : Régismanset a gardé le petit appartement qu’il habite depuis longtemps avenue de Breteuil avec sa femme52. Une femme de ménage qui vient tous les jours leur suffit. De ce côté, pas de grands frais. Mais Régismanset ne se refuse rien pour son plaisir de la pêche. De plus, il aime beaucoup inviter des gens dans des déjeuners ou des dîners dans des restaurants chics, surtout des femmes, la sienne étant de ces parties53. Cario me dit aussi, qui le connaît depuis bientôt quarante ans : « C’est certainement un garçon intelligent. Ce qui m’étonne, c’est sa sottise littéraire, à ne pas se rendre compte du manque complet d’intérêt de ce qu’il écrit. » Je dis à Cario que je connais Régismanset depuis bien des années aussi, non dans l’intimité, je ne suis jamais allé chez lui, mais pour l’avoir vu au Mercure, au théâtre, dans des rencontres dans la rue, et qu’à tous les propos que j’ai entendus de lui, il ne m’a jamais donné l’idée d’un homme bien remarquable. Cario me dit alors : « Je vais vous dire : il y a un homme secret chez Régismanset. Je ne le sais pas depuis longtemps. Je peux vous dire que j’en ai été renversé quand je l’ai appris, il n’y a pas longtemps. C’était à un dîner auquel j’assistais. Il y avait là la femme divorcée de Michel Clemenceau54. Le nom de Régismanset vient dans la conversation. « Ah ! c’est un joli monsieur votre Régismanset ! » Et elle se mit à nous raconter sur lui des histoires… J’en étais atterré. J’étais à cent lieues de me douter de cela. »
Cario ne m’a pas dit un mot des dites histoires.
Comme il m’avait donné à entendre que Régismanset a eu plus ou moins quelques aventures dans toutes ces relations avec des femmes, j’ai demandé à Cario si cette dame n’aurait pas été sa maîtresse, ce qui pourrait donner à supposer des inventions d’ancienne maîtresse quittée et rancunière. Cario m’a assuré que, pour elle, non.
Un homme secret chez Régismanset, sorte de Joseph Prudhomme55 comme le qualifiait ce matin Cario. Il est bien vrai qu’on ne connaît jamais complètement personne.
Deux jours plus tard…
Trouvé ce matin au Mercure un nouveau volume, pour moi, de Contradictions56 de Régismanset avec le sous-titre modeste : Maximes et Anecdotes, et une prière d’insérer d’une modestie, elle aussi ! Un volume énorme, imprimé chez Doin. Je me demandais hier ce qu’il peut bien faire de tout l’argent qu’il gagne ? Voilà la réponse.
J’ouvre au hasard et je tombe sur ceci : « On racontait des histoires de voleurs. X… commença : Il était une fois un commerçant… et n’ajouta pas un mot. »
Je verrais Régismanset que je lui dirais que je n’aime pas beaucoup les copies. Car il y a de Voltaire : « On racontait des histoires de brigands. Un tel commença en ces mots : Il était une fois un fermier général57… »
Si tout le volume est de cette fabrication, compliments.
En mars suivant (1939), le treize :
Un joli mot de Régismanset, au début de la grande réputation de Valéry, devant Marie Dormoy, qui me l’a rapporté dimanche dernier (26 mars) : « C’est renversant. Valéry n’a publié qu’un livre, tout le monde en parle. Moi j’ai publié plus de vingt volumes, personne n’en a jamais rien dit. »
Nous ne lirons plus rien de Charles Régismanset dans le Journal littéraire.
Annexe I : Tybert
Dans ses Promenades philosophiques (tome II, deuxième partie, « Idées et commentaires / Psychologie animale »), Remy de Gourmont parle du joli petit livre de Charles Régismanset : Tybert, chat.

Je pense aux chats, parce que l’on vient de publier la biographie d’un chat. Que l’on ne nie pas, c’est la pure vérité. Le chat s’appelle Tybert et le biographe du chat s’appelle Charles Régismanset. Ce petit livre, avec ses jolies images, m’a beaucoup amusé, et je m’y suis instruit aussi sur la psychologie du chat domestique, du chat gâté, du « chat-enfant ». Tybert, né à Paris, est fils d’un chat de gouttière et d’une chatte angora ; il est d’un noir brunâtre et ses oreilles sont un peu trop longues. Sa maîtresse, sa mère, veux-je dire, qui l’adore, l’emmène à la campagne et c’est là que ses instincts se développent. Un jour, tout petit encore, il découvre dans le jardin un oiseau mort. Aussitôt il se jette dessus et l’emporte « en grognant comme un fauve ». C’est là un bon trait de psychologie féline. Autre trait : Tybert, qui, dans la maison, aime à être caressé, ne se laisse pas prendre quand il joue dans le jardin ; là, il est redevenu l’animal sauvage, pour qui tout autre animal est un ennemi. Voici qu’il réussit à attraper une petite musaraigne et, « deux heures durant il la fait sauter entre ses pattes, l’abandonnant, la laissant fuir, la reprenant avant de la dévorer ». Une cruauté pareille, également inconsciente, se retrouve chez l’enfant, quand il coupe une mouche en morceaux, avec la même curiosité amusée qui lui a fait briser un joujou mécanique. Les renards apportent à leurs petits des proies vivantes et leur apprennent à les égorger ; les chats agissent de même et tout le monde a vu une chatte mettre entre les pattes de son chaton une souris blessée. Livrés à eux-mêmes, les petits carnassiers mettent en pratique renseignement maternel ; mais l’instinct suffirait peut-être à faire leur éducation. Il y a beaucoup de curieuses observations dans la première partie du livre de M. Régismanset. J’aime aussi les chapitres où il est parlé des relations de Tybert avec « son père et sa mère », mais il y avait là moins de choses nouvelles à dire. Le chat, d’abord très gâté, finit par devenir un tyran. Il saccage la maison, il prohibe tout voyage, tout déplacement un peu long. On l’a ramené à Paris, les vacances finies ; l’année suivante, on l’emporte encore à la campagne, mais cette fois on l’y laisse. Alors il devient un chat à demi-sauvage, très coureur et, comme beaucoup de ses pareils, il meurt dans une aventure amoureuse.
Notes
1 Cette ligne chemin de fer voulue par Paul Doumer, alors gouverneur général de l’Indochine, partait du port de Hải Phòng, au Vietnam et remontait vers le nord, nord-ouest pour rejoindre un autre port, Kunming (mais sur un lac, le lac Dian). La distance, de Hải Phòng à la frontière chinoise (Lào Cai) était de 385 kilomètres, puis ensuite de 468 kilomètres sur le territoire chinois.
2 Affirmation douteuse dont la trace ne figure pas dans le dossier LH de Charles Régismanset.
3 Nous sommes en octobre 1903, moins huit, cela fait 1895 et Paul Léautaud pense à sa première Élégie parue dans le numéro de septembre.
4 Paul Morisse (1866-1946) partagera son bureau avec Paul Léautaud à partir de son arrivée au Mercure en janvier 1908 jusqu’en 1911. On ne confondra pas Paul Morisse avec l’écrivain Charles Morice (1860-1919).
5 Du 31 octobre au six décembre 1903 s’est tenue la première édition du Salon d’Automne, en réaction à la peinture académique. Cette première exposition s’est tenue dans les sous-sols du Petit Palais. Le succès fut tel que l’année suivante l’exposition s’est tenue en face, dans le Grand Palais. Le Salon d’Automne est toujours actif en 2025.
6 La qualité première d’un auteur, pour Paul Léautaud, est qu’il soit lui-même, au point qu’on le reconnaisse dans ses écrits, et que donc il ne ressemble à personne, d’où la satisfaction de n’y retrouver « aucun souvenir de lecture ».
7 Henri Albert (Henri-Albert Haug, 1869-1921) signait de ses seuls prénoms et beaucoup pensaient ainsi qu’il se nommait Albert. Spécialiste de Nietzsche et auteur Mercure depuis 1891, il y tint une rubrique de « Lettres allemandes » de janvier 1893 à juin 1921. Dans d’autres journaux il utilisait parfois le pseudonyme de Matin Gale. À l’occasion de sa mort, lire, dans le Journal littéraire, un court portrait au trois août 1921.
8 Non pas Les Rencontres de M. de Bréot, ainsi que l’écrit distraitement Marie Dormoy en note dans la Correspondance générale (pourquoi Paul Léautaud aurait-il mit un mot sur le livre d’un autre ?) mais la brochure de Paul Léautaud sur Henry de Régnier parue au printemps chez Sansot, dite « Notice Régnier ».
9 Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1734-1816) : La Vie de mon père, roman biographique publié en 1779 à Neufchâtel et se trouvant à Paris chez Humblot, 152 pages dont 14 gravures hors-texte. Cette édition originale, second tirage, était proposée en octobre 2024 à 4 500 €uros.
10 René Ghil (René François Ghilbert, 1862-1925), entre au lycée Fontanes (de nos jours le lycée Condorcet de la rue du Havre) en 1870 où il rencontre plusieurs camarades qui figureront parmi les rédacteurs de La Pléiade de Rodolphe Darzens puis fondateurs du Mercure de France. Bien entendu il fréquente, rue de Rome, les Mardis de Stéphane Mallarmé, professeur dans ce lycée. René Ghil a fait partie de la première édition des Poètes d’Aujourd’hui en 1900 mais n’a écrit que deux articles pour le Mercure, un en 1890 et un autre en 1898. On ne confondra pas René Ghil avec le caricaturiste André Gill, de 22 ans son aîné.
11 Marie Fossé d’Arcosse, née à Ontario (Québec) en mai 1883, a dix ans de moins que son mari, épousé en 1904 à Versailles. En juin prochain elle lui donnera un fils, Jacques (1905-1984). Ce mariage ne durera pas et le couple divorcera en mai 1911. En janvier 1912 Marie se remariera, à Versailles encore, avec Maurice Crosson du Cormier, docteur en droit, inspecteur dans une compagnie d’assurances. Elle mourra en 1969, en Normandie.
12 Edward Sansot, qui a parfois publié sous ce nom.
13 Sans prénom il s’agira toujours de Remy de Gourmont (1858-1915), romancier, journaliste et critique d’art, proche des symbolistes, figure majeure du Mercure de France. Jean de Gourmont (1877-1928, cadet de 19 ans de son frère) sera salarié du Mercure de France.
14 Le 24 avril 1901.
15 Contradictions, 1re série, 1906, 96 pages. Sera suivi, en 1909, de Contradictions, 2e série en 1909 puis, en 1911, de Nouvelles contradictions – maximes et anecdotes, toutes chez Edward Sansot.
16 Amyntas, composé de « Mopsus », « Feuilles de route », « De Biskra à Touggourt » et du « Renoncement au voyage », paru au Mercure fin février ou début mars 1906 (295 pages). Ce qui est cruel dans cette affaire, est qu’André Gide a pris la peine d’inscrire un envoi (certes bien ordinaire) : « à Paul Léautaud, en amical souvenir ». C’est cet exemplaire dédicacé qui est consultable à la BNF. Journal d’André Gide daté de « mardi matin » (six ou treize mars) : « Mes Amyntas sont à peu près tous envoyés ».

17 Paul Léautaud est évidemment ici très ironique et l’on peut penser qu’il sous-entend une conversation récente avec Charles Régismanset.
18 Vraisemblablement dans Amours, qui paraîtra dans trois numéros du Mercure en octobre et novembre prochain.
19 Charles Régismanset et Charles Laisant : Manuel du candidat, Sansot 1906.
20 L’Ascète, qui paraîtra tout de même en octobre chez Edward Sansot mais à compte d’auteur et daté 1907.
21 Un Jacques Régismanset (1849-1923), avocat, né à Carcassonne comme Charles, a été élu sénateur de la Haute-Marne une première fois en 1891 puis plus récemment, en 1903 et 1909. Il le sera encore en 1920. Il n’est pas le père de Charles Régismanset mais son oncle.
22 Édition de 1961 couplée avec Le Petit Ami et In Memoriam, page 231 : « Je ne me suis jamais forcé, je n’ai jamais cherché à être plus aimable que je ne peux. Le monde est si drôle, cependant, que j’ai toujours conquis, et d’une façon assez importante, la sympathie des gens à qui j’ai permis de me connaître. » ce « j’ai permis de me connaître » est un peu présonptueux.
23 Remy de Gourmont, Sixtine « roman de la vie cérébrale », dédié à Villiers de l’Isle-Adam, chez Albert Savine, septembre 1890 (distribué par le Mercure de France), 314 pages. La deuxième édition sera celle de La Connaissance, en 1923.
24 Alphonse Séché (1876-1964), écrivain et journaliste. Avec Romain Rolland et Frédéric Pottecher, Alphonse Séché dirige la Revue d’art dramatique et musical. Pendant la première guerre mondiale, il fondera et dirigera le Théâtre aux Armées. Lecteur à la Comédie-Française en 1919, il en épousera une sociétaire, Andrée de Chauveron.
25 Journal littéraire au 27 octobre dernier : « Vallette m’apporte une lettre qu’il a reçue d’un M. André Lafon, de Blaye, Gironde, qui lui a envoyé quatre poèmes genre Jammes, en le priant de nous les remettre à moi et à van Bever, comme un témoignage de sympathie et de gratitude. » André Lafon (1883-1915), publiera des Poèmes provinciaux, son premier recueil, en 1909. Paul Léautaud lui a écrit le quinze novembre dernier et lui écrira encore le vingt juin 1907. André Lafon publiera La Maison pauvre, son deuxième recueil de poésies en 1911 puis un premier roman l’année suivante, L’Élève Gilles, qui bénéficiera d’un succès durable (Grand prix de littérature de l’Académie française 1912). André Lafon deviendra l’ami de François Mauriac avant de publier son second roman, La Maison sur la rive, chez Perrin en 1914.
26 Lui et moi ne semble pas avoir laissé de traces et est peut-être resté à l’état de manuscrit.
27 Louis Thomas (1885-1962), romancier, polémiste et éditeur. Journaliste collaborateur sous l’occupation en même temps que « marchand de biens » (voir le Journal littéraire au premier janvier 1944). Louis Thomas sera inquiété à la Libération. Voir le Journal littéraire au 25 février 1947.
28 Ce titre de Passé indéfini sera un temps celui d’Amours alors même qu’il sera paru sous le titre Amours dans le Mercure d’octobre 1906. Voir par exemple au 16 octobre où Paul Léautaud parle d’« épreuves » et d’« exemplaire » du Passé indéfini. Le Passé indéfini, qui ne sera jamais terminé, est le projet de la réunion en un seul volume du Petit Ami, d’In Memoriam et d’Amours. Marie Dormoy, rassemblant des fragments épars, en publiera de larges extraits dans La Vie secrète de Paul Léautaud chez Flammarion en 1972.
29 Charles Régismanset a été depuis peu nommé sous-chef de cabinet du ministre des Colonies.
30 Roman de Renart, (le Le viendra plus tard), ouvrage collectif constitué à partir de la fin du XIIe jusqu’au milieu du XIIIe siècle repose sur trois personnages principaux : Renart, le goupil, Tibert, le chat et Ysengrin, le loup. Nous avons encore le coq Chanteclerc, le corbeau Tiécelin…
31 Berthe Kahn (1873-1931) a épousé en mai 1893 Gaston Danville (Armand Abraham Blocq, 1870-1933). Berthe Danville se suicidera le 18 décembre 1931 (voir le Journal littéraire au 22 décembre 1931). Gaston Danville, romancier Mercure (le plus souvent), a dédié Comment Jacques se suicida (1891) à Alfred Vallette, L’Ange noir (1892) à Louis Dumur et Le Rêve de la mort (1892) à Rachilde. Ces nouvelles ont été rééditées, avec celles d’autres auteurs (150 nouvelles en tout, plus de mille pages), en 2008 dans la collection Bouquins sous le titre collectif Petit musée des horreurs. Nouvelles fantastiques, cruelles et macabres. Gaston Danville est le promoteur d’une réforme de l’orthographe (voir le Journal littéraire au 8 novembre 1904).
32 Marie Angèle Godivier (1877-1950) a épousé Charles-Henri Hirsch en juin 1905 et lui a donné un fils, Maurice, né en mars 1903. Marie Angèle était divorcée d’un Louis Denis. Charles-Henry Hirsch (1870-1948), poète, romancier et dramaturge, responsable, au Mercure, de la rubrique des « Revues » depuis 1898. En même temps qu’il était employé de banque jusqu’en 1907. C.-H. Hirsch est aussi un auteur de romans populaires ou naturalistes, comme son célèbre (à l’époque) Le Tigre et Coquelicot de 1905 chez Albin Michel, ou licencieux comme Poupée fragile, chez Flammarion en 1907. En 1910, il a été un des défenseurs des Fleurs du mal. Charles-Henry Hirsch est l’un des auteurs Mercure les plus prolifiques avec 792 textes, d’août 1892 à décembre 1939. Il est aujourd’hui essentiellement connu comme l’auteur du scénario du film Cœur de lilas (Anatole Litvak 1931) avec Jean Gabin.
33 Hirsch et Mendès, restaurés depuis le tapuscrit de Grenoble. Il s’agit d’une affaire de coucherie aussi sordide que compliquée.
34 Lucien Monceau (1873-1907), est l’un des quatre frères de Marguerite Moreno. Il est agent comptable au Mercure. Marguerite Moreno était l’aînée de quatre frères, tous morts jeunes : l’aîné, Gustave Monceau (1872-1914), Lucien, objet de cette note, Gaston (1876-1905) et Pierre (1878-1907).
35 Paul Léautaud ne semble pas se rendre compte que, dans la bouche d’une femme et dans ces circonstances, ce n’est jamais un compliment.
36 Voir la rubrique des « Romans » de Rachilde page 785 du Mercure du seize décembre 1913. Charles Régismanset n’a pas de chance, si Alain-Fournier ne venait pas de publier son Grand Meaulne, c’est son livre, paru chez Edward Sansot, qui aurait ouvert la rubrique. Ce roman est plus important qu’il en a l’air, on peut le considérer comme l’un des premiers romans français d’anticipation. Il est en tous cas le premier à porter cette mention sur sa couverture et dans les publicités de Sansot. Bien sûr des auteurs comme J.-H. Rosny aîné, évoqué dans cette journée, ne sont pas oubliés mais lui-même n’a traité jusqu’ici que des romans dont l’action est située dans le passé.
37 Le prix Goncourt 1913 a été décerné à Marc Elder (1884-1933) pour son roman Le Peuple de la mer paru chez Oudin, 24 rue de Condé (le Mercure étant au 26). Ce roman n’était pas seul et avait comme concurrents Du côté de chez Swann (qui n’est même pas parvenu sur la liste finale) et Le Grand Meaulne, rien que ça.
38 Au Mercure, dans le bureau de Paul Léautaud, se trouvait un grand casier. Chaque rédacteur indépendant avait sa case. À la réception du courrier, Paul glissait dans chaque case le courrier de chacun.
39 C’est une longue affaire que cette histoire du journal Mortier. Aurel, son épouse, ayant été un peu bousculée par Paul Léautaud dans sa chronique du 28 avril, Alfred Mortier s’est vengé en publiant un journal, un seul numéro, ayant pour titre Courrier littéraire mais nommé plus généralement « Journal Mortier »
40 Voir la page Aurel III où Paul Léautaud cite Alfred comme amateur de billard mais les deux frères peuvent en jouer. La photo de cette page Aurel III représente bien Alfred.
41 Alors qu’il rédigeait une chronique dramatique pour La NRF, Maurice Boissard avait rédigé un compte rendu pas très aimable de Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche. Jules Romains étant un auteur NRF assez important, la chronique a été refusée. Paul Léautaud a aussitôt quitté La NRF et a continué ses critiques dramatiques aux Nouvelles littéraires, la première d’entre elles étant justement le compte rendu refusé par La NRF, paru dans Les Nouvelles littéraires du quatorze avril. Davantage de détails ici.
42 Il s’agit de la chronique du numéro suivant, daté du 28 avril, qui massacre Aurel (note 39).
43 À partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe, texte provenant du tapuscrit de Grenoble.
44 Journal littéraire au 24 mai 1930 : « La municipalité de Melun a eu l’idée d’organiser des courses de taureaux au profit de sa Caisse des Écoles. » Une manifestation est organisée en opposition. Rachilde et Paul s’y rendront le 29 mai.
45 Ce recueil sera publié en 1936 sous le titre Misère de l’Homme par l’Imprimerie française, 123 rue Montmartre (trente pages). Le texte est daté du 28 décembre 1935.
46 Charles Régismanset était pourtant un de ces rédacteurs mis en avant par L’Ère nouvelle « Journal de l’entente des gauches » Dans le numéro du 23 février 1932, cet encart publicitaire en une : « Républicains, vous trouverez dans L’Ère nouvelle en dehors des articles quotidiens […] la critique de Louis Laloy, les Chroniques d’Ernest-Charles, les Contradictions de Ch. Régismanset. L’Ère nouvelle s’honore d’être “un journal où il y a des articles”. » Lire ces aphorismes dans le numéro suivant est un exercice affligeant.
47 Louis Cario (1876-1960), docteur en droit en 1904, commissaire répartiteur des contributions directes, homme de lettres et peintre amateur. Il tient une rubrique « Science financière » au Mercure, pour laquelle il a écrit 26 articles entre février 1922 et janvier 1940. Louis Cario sera un temps, en 1937, pressenti par PL comme exécuteur testamentaire. Une page sur Louis Cario est prévue ici à la rentrée 2025.
48 Charles Régismanset, Couronné par l’Académie Goncourt, les Éditions du Siècle, 1924. Il s’agit d’un roman facétieux dédié à Remy de Gourmont qui raconte l’histoire de Joseph Paturin-Miraut, lauréat (fictif) du Goncourt… Le titre est en place mais sur une bande verte.
49 Bernard Champigneulle (1896-1984), journaliste, écrivain, critique d’art et musicologue.
50 C’est la deuxième fois que Paul Léautaud fait référence à ce peintre, la première fois le 20 avril 1933 à propos de sa bonne. Il pense évidemment ici à l’Autoportrait aux besicles de 1771, visible au Louvre à l’occasion d’expositions temporaires à cause de sa fragilité (pastel sur papier).

51 Indo-Chine était la graphie utilisée à l’époque.
52 35 avenue de Breteuil, bel immeuble de six fenêtres sur sept étages mais un appartement, d’après Alphonse Séché, fort mal tenu (Journal littéraire au 24 juin 1941).
53 Il s’agit de la seconde épouse de Charles Régismanset, qui s’est séparé de sa première femme en mai 1911 (note 11)
54 Michel Clemenceau (1873-1964) ingénieur agronome (en 1894), homme d’affaires et homme politique modeste, fils de Georges Clemenceau. Michel Clemenceau a épousé en 1901 Ida Michnay (1882-1983).
55 Joseph Prudhomme est un personnage grassouillet créé par Henry Monnier, apparaissant dans plusieurs de ses œuvres. Ce personnage de gros bourgeois sot et sentencieux a été de nombreuses fois repris par différents auteurs, de Balzac à Sacha Guitry.
56 Charles Régismanset a d’abord publié sept séries de Contradictions, ouvrages de maximes, d’abord chez Sansot en 1906, 1909, 1911 et 1920 puis chez Chiberre (successeur de Sansot en 1925) et chez Doin en 1927 (328 pages). Il s’agit ici des Nouvelles contradictions, Maximes et anecdotes, parues aussi chez Doin avec la date de 1939 (356 pages). Il n’est pas interdit de penser que les deux derniers ouvrages ont repris les ouvrages de Sansot/Chiberre, qui ne comportaient qu’une centaine de pages.
57 Cette anecdote a été reprise tant de fois par tant d’auteurs… qu’on en arrive à douter de son authenticité… d’autant qu’il s’agit d’une source orale.