Le Parfait plagiaire

Temps de lecture : cinq minutes.

Pour ce premier janvier 2024 après le beau texte d’Auguste Poulon du vingt décembre, et en accompagnement de En sortant de l’école, document rare offert par Maxime Hofmann, le choix a été fait d’une petite page distrayante comme le sont souvent les pastiches. Plus rarement les plagiats mais l’auteur a préféré le mot plagiaire.

Journal littéraire au 24 octobre 1924 :

Un volume vient de paraître : Les Épigrammes du Siècle, aux Éditions du Siècle1. Il y en a trois ou quatre sur moi et pas brillantes comme esprit. Cela vaut le pastiche de moi fait dans un autre volume par Georges-Armand Masson : c’est plutôt de la grossièreté.

Journaliste, écrivain et peintre, Georges-Armand Masson (1892-1977) est, dans ces années 1920, journaliste au Canard Enchaîné. L’ouvrage évoqué ici est Le parfait plagiaire (pastiches de Maurice Maeterlinck, Anna de Noailles, Jean Giraudoux, etc. et divers autres illustres contemporains), éditions du Siècle, 1924.

En avril 1942, le journaliste du Canard enchaîné sera devenu directeur des Beaux-Arts, dans on n’ose imaginer quelles compromissions avec l’occupant. Nous le retrouverons dans le Journal littéraire de Paul Léautaud à propos d’une commande d’un livre sur Les Chats de Paris qui ne se fera pas.

Mais restons-en à ce Parfait plagiaire de 1924, dont voici le texte ;

Chronique dramatique par Maurice Boissard

Comédie Française. — En Dromak, drame en cinq actes de M. Rassine

Hier soir, la Comédie Française faisait sa cour à l’Internationale, en jouant un drame en cinq actes, bien ennuyeux entre parenthèses, d’un M. Rassine, qui nous vient tout droit de Moscou, comme son nom du moins le donne à supposer.

Je n’ai pas très bien compris la pièce parce que je dormais. Je dormais, parce que je m’étais couché très tard la veille. J’avais raté mon dernier train à la gare du Luxembourg, à cause d’un pauvre diable de chien errant, que j’avais rencontré au coin d’une boite à ordure, dévorant tristement d’humbles reliefs. J’essayai de le caresser, mais bernique. On devait l’avoir roué de coups, car il s’enfuit à mon approche. J’avais beau prendre ma voix la plus douce, il se sauvait, mais à regret, en regardant derrière lui, avec l’air de me reprocher de ne pas le laisser tranquille à ronger son os. Je m’aperçus, au bout d’un instant de ce manège, que c’était ma canne qui l’inquiétait. Je la déposai contre un réverbère. Alors il se laissa prendre. Je lui donnai des croûtes de pain, dont j’ai toujours dans le fond de mon chapeau. Il remua joyeusement la queue et me suivit. Mais j’entendis siffler mon train. Je fus donc obligé de rentrer à pied à Bourg-la-Reine, accompagné de mon nouvel ami. C’est pour vous dire comment il se fait que j’étais si fatigué l’autre soir. Ajoutez à cela que je dus, le lendemain, aller aux Objets Perdus chercher ma canne. Ce n’est pas qu’elle soit belle, mais j’y tiens.

Je dormais donc, tandis que les acteurs se renvoyaient la prose de M. Rassine. Mais vous savez comment je dors : d’une oreille et j’écoute de l’autre. À force d’entendre des pièces de théâtre, on finit par arriver très facilement à ce dédoublement de la personnalité. C’était même, en cette occurrence, un détriplement, car pendant que mon oreille droite écoutait, et que mon oreille gauche dormait, mon cœur était ailleurs. Il était resté dans ma chambre, où, quelques heures auparavant, j’avais quitté l’Impératrice en pleine crise de coliques. L’Impératrice, de qui je vous ai parlé dans une de ces précédentes chroniques est la plus vieille de mes chattes. Elle est sujette aux flux de ventre, et je dois la surveiller afin qu’elle ne mange pas trop. Ses petits gémissements de douleur me poursuivaient jusque dans la salle de spectacle, et je ne parvenais guère à saisir toutes les finesses que M. Rassine a prétendu mettre dans sa pièce, bizarrement intitulée : En Dromak. Je ne sais pas ce que c’est qu’un dromak. Ce doit être une espèce de véhicule utilisé en Orient. Car il faut vous dire que la scène se passe en Turquie. J’ai reconnu cela à ce qu’il y est tout le temps question des Grecs.

À propos de Turquie, vous savez peut-être que ma voisine, la mère Michel, a fait couper son chat. Elle l’avait cru perdu et m’étourdissait de ses plaintes. Quand il est revenu, à quoi il fallait bien s’attendre, — car ces braves petites bêtes finissent toujours par regagner leur logis, quand elles ont fait ce qu’elles voulaient faire, — elle l’a conduit chez le père Lustucru, le tondeur, qui l’a débarrassé de son esprit d’aventure. Le pauvre minet ! Quand je pense à lui, je vous assure que les imprécations de cet Oreste ne m’émeuvent guère. D’abord, il n’est pas intéressant, ce personnage. Je vois là, parmi les notes que j’ai prises au vol sur le papier qui enveloppait le mou de mes chers minets, un couplet où cet imbécile crie à qui veut l’entendre qu’il a peur des serpents qui sifflent et qui se paient sa tête2. Il n’y a pas de quoi se vanter. Les serpents sont des animaux assez froids, assez repliés, en apparence, mais qui, dans le fond, ont le cœur sur la main, et sont on ne peut plus gentils quand on sait les prendre.

Je ne vous ai pas raconté la dernière équipée de la Dame aux Camélias ? La Dame aux Camélias, vous ne l’ignorez pas, est cette épagneule jaune que j’ai recueillie l’hiver dernier dans un terrain vague. Eh bien ! le croiriez-vous ? la Dame aux Camélias s’est encore fait prendre par un gros terre-neuve, sale, dégoûtant. Je suis arrivé juste pendant la grande scène du deux. Le mal était fait. J’ai bien jeté un seau d’eau sur le couple, mais sans pouvoir interrompre leur duo. Vous savez, quand des cabots sont lancés… C’est à propos de cet Oreste et de son insupportable Hermione que cette histoire me revient. Que voulez-vous ! Avec les bêtes, il faut s’attendre à toutes sortes de désagréments. C’est comme avec les auteurs dramatiques. Encore, en général, les auteurs dramatiques ne font-ils pas pipi dans la corbeille, tandis que l’autre jour j’ai surpris Bout-de-Baba dans ma corbeille à papier, en train de… parfaitement. Je lui pardonne volontiers, car il n’a que deux mois, le cher petit, et il ne sait pas encore ce qu’il fait. Mais que la Totote, qui est une personne d’âge, une chatte bien élevée… Je suis vraiment fâché après elle. Je ne lui parle plus depuis une semaine. Le 25 à midi, prise de je ne sais quel délire, ne voilà-t-il pas quelle a griffé Kokto, le perroquet, qui, depuis, garde un silence réprobateur et ne me demande même plus si j’ai bien déjeuné, signe de grave colère chez un animal d’ordinaire très poli.

Mais cela n’est rien. Croiriez-vous qu’après cela, elle est venue rendre sur une chronique que j’allais envoyer au Informations littéraires ? Il m’a fallu essuyer avec mon mouchoir, et puis boire, tache après tache, avec du papier buvard. J’en ai usé pour deux sous. J’ai pu tout de même envoyer l’article, une fois sec. Il a paru hier. Je crois que les lecteurs ne se sont aperçus de rien.

Bah ! je le sais bien, la journée ne se passera pas que je ne pardonne à la Totote, comme j’ai pardonné aux autres. Voyez-vous, les bêtes, c’est comme les pièces de théâtre : quand on les aime, ce n’est pas comme quand on ne les aime pas.

Deux notes

1       Les Épigrammes du siècle, Anthologie des épigrammes contemporaines établie par les soins de M. Pierre Charron (1541-1603), archiviste-paléographe, pour les éditions du Siècle, achevé d’imprimer le dix octobre 1924, 191 pages. Parmi ces épigrammes, celle-ci, page trente : « Descendant aux Enfers et, négligeant le reste, / D’embrasser Léotard Boissaud faisait le geste. / Léotard de crier : « J’aimais beaucoup ma mère, / Je ne peux pourtant pas… baiser aussi mon frère ! » On le comprend, Pierre Charron n’est que le masque d’un auteur (de plusieurs ?) de ce XXe siècle, vraisemblablement Fernand Fleuret, André Thérive et quelques autres…

2       Il s’agit, on s’en souvient, à la toute fin de la pièce, dans des vers trop cadencés où l’on s’essouffle, de la dernière intervention d’Oreste, face à son ami Pylade : « Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi ! / Quels Démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ? / Hé bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ? / Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? / À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ? / Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ? » Pléiade de Raymond Picard 1950, page 300.