Les Léautaud de Fours

La Famille Léautaud — FoursNotes

Page mise en ligne le premier août 2022. Temps de lecture : huit minutes.

Ce texte provient d’une brochure Fours, berceau de la famille Léautaud, publiée à l’occasion des Ves Journées du livre organisées par l’association Sabenca de la valeia, qui se sont tenues à Barcelonnette du six au huit août 1987. Voir aussi le Cahier Paul Léautaud numéro deux.

En se connectant au site web de l’association pour acheter cette brochure on constate qu’aucune adresse de messagerie n’est donnée. Pour se procurer d’anciens numéros l’association indique qu’il faut « adresser un courrier sur papier libre ». Il n’y a donc pas besoin de timbre fiscal, c’est plutôt bien.

Une lettre a donc été postée (et timbrée) dans les derniers jours d’avril 2022… aucune réponse n’est parvenue à ce jour. Ce doit être la neige, dont il sera fait mention plus bas.

Heureusement notre ami Maxime possède des photos de cette revue, égarée depuis. C’est à partir de ces photos que la brochure a été reconstituée.

Les seize pages sont ouvertes par une introduction, suivie du texte d’Étienne Buthaud « Les origines bas-alpines de Paul Léautaud » que nous trouvons en ouverture du deuxième des Cahiers Paul Léautaud et que donc tout le monde connaît. Ensuite « Paul Léautaud parle de son père ». Il s’agit d’extraits des Entretiens avec Robert Mallet.

Viennent ensuite deux textes moins connus, « La Famille Léautaud » et « Fours » par une Josette Chambonnet, que nous saluons ici1.

Ce sont ces deux derniers textes qui sont reproduits ci-dessous, en page privée faute d’autorisation mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

La faible qualité du document disponible fait que le texte a plus souvent été deviné que lu et a souvent conduit à des incertitudes indiquées en notes. Les chiffres, surtout, donc les dates, sont douteux. Les fautes d’orthographe ou de typographie ont été corrigées en silence.

La famille Léautaud,
par Josette Chambonnet

Après avoir pris connaissance de l’acte de naissance de Firmin Léautaud (ou Firment suivant cet acte), en 1834, nous avons essayé de retrouver quelques-uns de ses ascendants. Cette recherche a été peuplée d’embûches et de difficultés nées au fait de l’importante homonymie patronymique à Fours, notamment au hameau du Serre au village d’Abbaye2 pour les « Léautaud »

Les prénoms employés étaient identiques et malgré l’existence des surnoms pour différencier, nous n’avons pu remonter avec certitude au-delà du mariage de Joseph Léautaud avec Anne Marie Jauffred le 27 juillet 1799 (II thermidor an VI3).

Ce jour-là

sont comparus à la maison commune Joseph Léautaud feu Laurent et fils de Magdeleine Chabrand, mariés, citoyen cultivateur au lieu de la Barre au Villars d’Abbas en cette commune et d’autre part Anne Marie Jauffred à feu Alexis et fille de vivante Marguerite Léautaud citoyenne du Serre audit Villars… Les deux mariés ont déclaré ne savoir écrire.

De cette union sont nés plusieurs enfants dont Jean-Baptiste né le 21 février 1806 et Laurent né le 20 mars 1807(4).

Nous ne savons de Jean Baptiste que les propos rapportée à son sujet par Paul Léautaud, à savoir qu’il était établi horloger à Paris en 1854 et qu’il était « fort juponard ».

Laurent s’est marié en 1830 avec Thérèse Bellon.

L’an mil huit cent trente et le vingt-neuf de septembre à Fours au lieu de la Barre dans la maison de Jean Baptiste Bellon devant nous Jean Baptiste Arnaud Maire officier de l’état civil de la commune de Fours ont été présents pour contracter mariage le sieur Léautaud Laurent natif de cette commune âgé de 23 ans, fils de feu Léautaud décédé en cette commune et de Jauffred Anne Marie, ici présente, cultivatrice domiciliée ai lieu de Serre, d’une part. La demoiselle Bellon Thérèse native de cette commune, âgée de 21 ans, fille de Jean Baptiste Bellon, ici présent et de feue Théotiste Léautaud décédée en cette commune, cultivateurs domiciliés sur cette commune à l’endroit de Villars d’Abbas, d’autre part. Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux … … présent acte dressé en présence de Jean Baptiste Léautaud âgé de 25 ans frère de l’époux, de Joseph Léautaud voisin de l’époux, de Joseph Jean Pascal âgé de 53 ans et de Laurent Alexis Jauffred âgé de 42 ans, tous les deux oncles de l’épouse, tous les quatre cultivateurs domiciliés sur cette commune, témoins choisis.

De son mariage avec Thérèse Bellon, Laurent Léautaud a eu deux enfants : Léautaud Firmin, né le 10 Juillet 1834 et Léautaud Marie Élisabeth née vers 1838. Devenu veuf, Laurent Léautaud se remarie avec Arnaud Virginie dont il aura plusieurs enfants : Joséphine, Fortuné, Sylvie, Constantin.

Dans les dénombrements de population 1856 au hameau de Serre de Villars d’Abbas, Firmin ne figure pas, la famille compte seulement trois enfants : Élisabeth, Joséphine et Fortunée.

En l861, année où la famille paraît être complète nous trouvons Laurent Léautaud, cultivateur 54 ans, Arnaud Joséphine sa femme 39 ans. Léautaud Firmin leur ainé absent pour ses affaires 26 ans, Léautaud Élisabeth leur fille 20 ans5, Léautaud Joséphine leur fille 14 ans, Léautaud Fortuné leur fils 12 ans, Léautaud Sylvie leur fille 4 ans, Léautaud Constantin leur fils 1 mois.

Les dénombrements suivants ne mentionnent plus Firmin et Laurent Léautaud le père a disparu en 1866.

En 1876 Léautaud Fortuné semble s’être installé sur le domaine familial avec sa femme Léautaud Adèle née à Briançon, son fils Alphonse, sa mère Arnaud Eugénie, son frère Constantin et sa sœur Sylvie. En 1881 Sylvie Léautaud a épousé Rignon Napoléon, berger. Ils ont un fils de 6 ans. De cette union des descendants vivent encore de nos jours.

Fours

Les archives communales de Fours mises en dépôt aux Archives départementales, nous donnent un aperçu de la situation de cette communauté pour la période contemporaine de Joseph Léautaud et Anne Marie Jauffred. La rédaction du cahier des doléances datée du 25 mars 1789, précise : « Le lieu de Fours est un village assez considérable ayant paroisse et succursale. Il est composé de 152 habitats formant en tout 939 individus. Sa situation se trouve au fond de quatre montagnes escarpées dans le climat le plus froid de la vallée. Les abords sont inaccessibles plus de 11 mois de l’année6 par la quantité de neige qui tombe et par le défaut de chemin. Le village est éloigné de six heures de marche de la ville de Barcelonnette dont il fait la quinzième partie. Cette position désagréable et pénible laisse les habitants à manquer de secours nécessaires en cas de maladie. Ils n’ont sur les lieux ni chirurgien ni notaire, aussi arrive-t-il souvent que les malades périssent faute de soulagement et que des familles se détruisent faute de dispositions de la part de leurs chefs. On a presque toujours vu les pupilles dépouillés de leurs principales ressources lorsque les pères sont morts sans disposer de leurs biens.

Il ne se passe pas d’années qu’il n’y ait des morts par accident, soit en hiver par les coulées de neige, soit en été pour faire dépaître7 les troupeaux à travers les montagnes escarpées qui dominent les villages. Dans ces événements malheureux il est arrivé souvent que les cadavres ont pourri sur la place faute de justice sur les lieux, ou qu’ils ont resté trois mois ensevelis sous la neige.

Ce tableau, tout effrayant qu’il est, n’est point exagéré ; l’éloignement du chef-lieu et la difficulté des chemins rendent le hameau de Fours isolé et comme séparé du reste de la Vallée. Les habitants gémissent depuis longtemps dans le désordre. Jamais le corps de la communauté n’a rien fait pour leur hameau, — ponts, chemins, réparations publiques, — tout a toujours été à leurs charges. Ils n’ont jamais eu ni consul, ni défenseur, ni conseiller. Jamais aucun habitant n’a participé à l’administration, cependant la ville a été attentive à les surcharger d’impôts quelque misérable que soit le hameau par sa position et son peu de produit, les habitants ont toujours supporté les fortes charges.

Le cahier de doléances destiné à la réunion des États Généraux n’avait pas eu l’effet bénéfique escompté puisque le 21 février 1790, une nouvelle demande est faite pour avoir une municipalité. Les arguments sont à peu près les mêmes : les habitants vivent du produit de leurs terres. Ils sont éloignés de 4 à 5 lieues de la ville de Barcelonnette dont ils sont séparés par une montagne très élevée. Il faut six heures au moins pour aller d’un endroit à l’autre à une personne robuste et exercée à la fatigue. La montagne qui sépare le lieu de Fours de celui de Barcelonnette est couverte de neige depuis le mois d’octobre jusqu’à la fin juin. Pendant ces sept ou huit mois il est impossible de traverser cette montagne avec des bestiaux. Les habitants de Fours font entre eux commerce en bestiaux, en étoffes qu’ils se fabriquent sur les lieux ; il y a un grand nombre d’ouvriers et par conséquent des réclamations assez fréquentes pour le paiement de leurs salaires. De plus cette communauté, située à la frontière du Piémont voit des désordres qui nécessite la présence d’un chef sur les lieux.

Le 8 Septembre 1790 une assemblée générale des citoyens actifs de la Communauté de Fours se réunit dans l’église de Saint Laurent pour délibérer sur le besoin urgent où se trouve la communauté, vu le grand éloignement et danger surtout en temps d’hiver, qui est très long dans ce pauvre vallon, et la difficulté des chemins de montagne très affreux pour avoir du secours en temps de maladie attendu qu’il n’y a sur le lieu « ni médecin ni chirurgien » et que par conséquent quantité de malades périssent faute de secours. L’assemblée requiert que possédant un bien commun, le pré de Saint Esprit au quartier de Bayasse et au Villars d’Abbas il y a lieu d’affecter le revenu au paiement d’un « médecin chirurgien ». Décision qui est restée un vœu pieux.

En 1791, nouvelle assemblée pour constater que la plus grande partie des habitants pour gagner leur vie vont dans la Flandre et les autres dans l’Italie pour commercer et gagner de quoi substanter leurs familles et que les troubles de la « Flandre Autrichienne8 » ont fait un tort considérable à cette communauté. Tort encore aggravé par le fait qu’il n’y a plus de routes, emportées par les pluies, et plus de pont sur le Bachelard.

Le propriétaire d’une montagne appelée La Moutière déplore ne plus pouvoir retirer un revenu (quatre cent vingt livres monnaye de France plus quatre saucissons d’Arles à double boyau et un quintal de bon fromage) parce que les bergers de Provence ne viennent plus y faire dépaître leurs troupeaux. Les piémontais ennemis ont enlevé lors de leurs incursions, un troupeau de dix-huit cents bêtes d’avérage9 avec une grande férocité, la montagne se trouvant sur la frontière.

Le 12 Prairial de l’An III10, une troupe de brigands piémontais a fait une incursion au quartier de Bayasse vers les six heures du soir et dans le temps que les habitants s’étaient rendus en plus grande partie à Barcelonnette à l’occasion de la foire qui se tenait le 13. Le maire et officiers municipaux, réunis le 14 du même mois, ont rapporté tous les renseignements recueillis auprès des habitants.

La commune de Fours, étant sur la frontière des États du Roy des Sardes, est plus exposée aux incursions et au pillage de la part des ennemis, c’est la troisième fois que les brigands ennemis sont venus ravager et voler les maisons. Ces brigands, au nombre d’environ trente, tous armés de fusils, pistolets, sabres, estilets11, venus du quartier de Bayasse ont parcouru les maisons qui sont en général isolées, ils ont fait sortir les hommes et les femmes qui s’y trouvaient et les ont conduits dans la maison qu’occupe Jean Bellon au hameau « Bellon », les menaçant de leurs fusils et baïonnettes et de leurs stilets s’ils refusaient de marcher. Là, ils ont fait garder la porte par quelques-uns d’entre eux et pendant ce temps les autres qui ne pouvaient plus craindre de résistance ont enlevé les troupeaux des habitants, sont entrés dans les maisons, ont fouillé partout, ont brisé les coffres et les armoires, ont emporté tout ce qu’ils ont pu facilement voler. Joignant ensuite la barbarie au brigandage ils ont blessé à coups de couteaux et stilets six femmes qu’ils ont encore trouvé dans les maisons, après quoi ils ont fait sortir les détenus l’un après l’autre, les menaçant à tout moment de les tuer : ils en ont fait déshabiller quatre et ils ont emporté leurs vêtements : ils ont en outre enlevé aux femmes détenues leurs mouchoirs, leurs colliers et tous les meubles de quelque nature qu’elles avaient sur le corps.

D’après les Informations ont été volés les objets suivants :

Suit une longue liste d’objets les plus divers et d’animaux, non reproduite ici.

Dans ce temps que les brigands piémontais commettent ces vols Joseph Jean Garron qui n’avait pas été arrêté, court chez un autre officier municipal pour l’instruire. Là il lui remit une lettre adressée au Général pour l’informer de ce qui se passait. Joseph Jean partit de suite. Le général donna des ordres qui furent exécutés dans la minute et une compagnie de volontaires arriva au quartier de Bayasse, mais les brigands avaient déjà décampé et les volontaires n’avaient pas eu le bonheur de les rencontrer en route.

L’inventaire qui précède permet surtout d’imaginer le mode de vie des habitants de Fours et aussi de mesurer combien était grand leur isolement au fond du vallon.

Malgré toutes leurs démarches pressantes leur situation ne s’est améliorée qu’avec la construction de la route du col de la Cayolle.

Josette Chambonnet


Notes

1       Il s’agit peut-être d’une dame morte en novembre 2014 à l’âge de 80 ans dans la ville de Dieulefit (Drôme).

2       « Abbaye » peu lisible.

3       Le 2 thermidor, an VI (si nous lisons bien), correspond au 20 juillet 1799.

4       Les troisièmes chiffres de ces deux dates sont illisibles. Nous lisons 1856 et 1857, ce qui est évidemment invraisemblable.

5       « 20 » peu lisible. Peut-être 26.

6       Ces « 11 mois » peu lisible ou alors très exagéré. Plus bas nous lirons « depuis le mois d’octobre jusqu’à la fin juin »

7       Selon Émile Littré, le mot dépaissance désigne le lieu où le bétail va paître. Paître et dépaître seraient donc synonymes. Il n’est pas impossible que le mot soir associé à une taxe.

8       Cette « Flandre autrichienne » était ainsi nommée de 1714 à 1794. Elle était avant cette date, et depuis 1556 « Flandre espagnole ». Il s’agit de la partie ouest des Pays-Bas, le tracé des frontières étant toutefois sensiblement différent du tracé actuel.

9       Chèvres, moutons…

10     31 mai 1795.

11     Vraisemblablement poignards.