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« Les Matinées Ballande, par Francisque Sarcey »
« La Comédie en voyage »
« 7 855 pièces de théâtre jouées à Paris de 1835 à 1906.
Une douzaine d’articles de journaux a mis plus particulièrement en avant ce départ en retraite de Firmin Léautaud. Neuf d’entre eux ont été réunis ici en ordre chronologique. Ils sont enrichis de notes.
La Presse du 26 février 1897
Le Gaulois du 27 février 1897
Le Figaro du 27 février 1897
Le Petit Parisien du 28 février 1897
L’Éclair du 28 février 1897
Le Figaro du deux mars 1897
La République française du trois mars 1897
La Petite Gironde du sept mars 1893
Le Temps du 4 mars 1897
Le Temps du trente juin 1905
Notes
Trente ans ou là vie d’un souffleur
Article de Ch. Formentin paru dans le quotidien La Presse du 26 février 1879.

Encore une démission à la Comédie-Française. Le 1er mars prochain, le souffleur quittera son trou et nous fera ses adieux. J’imagine que cette retraite ne se fera pas sans quelque cérémonie et que la troupe de la maison de Molière ne laissera pas partir ce serviteur du grand répertoire sans lui offrir un gage de reconnaissance et de bon souvenir.
Souffleur à la Comédie-Française ! Savez-vous bien que c’est là une mission de la plus haute gravité. Cet homme qui passe ses soirées à la façon des taupes, à l’ombre, dont nul ne voit jamais le dos et de qui la tête, semblable à celle du décapité parlant, se détache dans la lumière, de la rampe, cet homme-là est un personnage important et redoutable. Il tient sur ses lèvres, entre ses doigts qui feuillettent sans bruit des pages, les destinées artistiques d’un théâtre. Si son âme était ouverte aux sentiments vils et mesquins, s’il connaissait la jalousie, l’envie, la vengeance, que de désastres à lui tout seul il pourrait accumuler ! Un oubli, une distraction calculée, adieu les grands effets qui soulèvent les salles !
On nous disait tout récemment que la claque collabore au succès d’un artiste et que les grands battoirs qui s’agitent près des cintres posent ou soutiennent une réputation ou un talent. Comment, définir alors les services incalculables du souffleur toujours dans le mystère ? Pour claquer, il suffit de posséder de grosses pattes et d’avoir fait ses études chez le marchand de vins ; pour souffler avec art, il faut être à la fois lettré, comédien, observateur subtil. Je n’ai pas l’honneur de connaître M. Léautaud, qui va nous quitter, mais je ne serais pas surpris si l’on me disait qu’il a des titres et des diplômes. Et c’est pour cela que j’attends de lui des Mémoires qui seront lus avec passion.
On fait grand bruit autour des policiers retraités qui s’apprêtent à nous raconter leurs aventures professionnelles ; on trouve intéressants les écrits des politiciens désabusés ; combien sera plus attrayante la lecture du livre que le souffleur de la Comédie a le devoir de publier.
Trente ans ou la vie d’un souffleur : quel titre suggestif et pittoresque ! Le sage chanté par Lucrèce regardait l’humanité du haut de son temple serein : le souffleur de la Comédie l’aura observée d’en bas et l’aura peut-être mieux étudiée. Que de choses n’a-t-il pas vues pendant ce long espace de temps, du fond de sa petite guérite, à travers la poussière que le piétinement des acteurs soulevait devant lui ! Il n’a pas contemplé seulement les jambes de Mlle Muller et les impeccables pantalons de M. Le Bargy ; mais il a assisté de son trou à de plus palpitants spectacles. Il a vu, seul de très près, les angoisses et les frissons de l’artiste ; il a reçu les mystérieuses confidences que le public ne soupçonne pas. De même qu’il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, il n’y a pas de parfait comédien pour le souffleur. Lui seul connaît les faiblesses que l’art si bien dissimule ; les défaillances qui ne dépassent pas sa taupinière, parce qu’il les arrête, les corrige, les atténue.
M. Léautaud nous dira tout cela, j’en suis sûr, dans ses Mémoires, que se disputeront les lettrés. Et M. Jules Claretie ne refusera pas d’écrire une jolie préface pour ce livre qui lui sera certainement dédié. Car le délicat et consciencieux historien de Brichanteau1 ne saurait trouver regrettables les indiscrétions et les souvenirs fleuris à l’ombre, dans le trou du souffleur.
Ch. Formentin
Billet du soir
Texte paru en une du Gaulois du 27 février 1897 sous la signature « Un Domino ».
Léautaud, le souffleur aujourd’hui retraité de la Comédie-Française, connaissait les dessous de son théâtre, non seulement parce qu’il occupait la petite guérite que l’on sait, mais parce qu’un jeu d’acteur ou d’actrice n’avait rien de caché pour lui.
C’est qu’un souffleur est sinon un confesseur, du moins un confident, toujours un complice. C’est à lui que les comédiennes enjôleuses viennent dire câlinement : « J’ai eu tant à faire la semaine dernière que je ne sais pas très bien mon rôle. Vous me rattraperez, hein ? »
Et le souffleur rattrape. Et quand il possède à fond l’art du rattrapage, son compte est bon. Il n’a pas de répit. L’acteur ou l’actrice paresseux, sûrs de n’être pas laisses en plan, n’apprennent plus rien.
Ils jouent au souffleur, selon l’expression consacrée. En réalité, c’est le souffleur qui parle pour eux, quelquefois même assez haut pour avoir justifié ce cri ironique d’un spectateur du siècle dernier :
— Monsieur le comédien, cessez de parler. On n’entend plus le souffleur.
On ne sera pas surpris d’apprendre que Léautaud avait eu autrefois un prix au Conservatoire, et que Gaillard, qui le remplace, est un excellent diseur.
C’est que pour être bon souffleur il faut avoir été bon acteur. Il va de soi qu’on ne se fait souffleur que parce que la voix ne porte plus. Cruelle extrémité pour un Brichanteau que de se dérober dans un trou aux ovations escomptées ! Inexpiable châtiment infligé à la vanité humaine ! Alors que tous les autres collaborateurs d’une pièce tirent une gloire du théâtre, parce que leur part de collaboration s’entend ou se voit, seul le souffleur, invisible et oublié, a pour toute distraction la contemplation des mollets d’artistes court-vêtues, compensation trop souvent — sans calembour — bien maigre.
Un Domino
Les Mémoires d’un souffleur
Texte de Maurice Guillemot paru dans Le Figaro du 27 février 1897, page trois.

Au numéro 48 de la rue de l’Ouest, à Courbevoie, proche la gare, une maisonnette en retrait d’un carré de jardin fruitier, trois fenêtres de façade, un perron sur la rampe duquel sèche du linge, et, à côté, un chenil grillagé où aboient des épagneuls, avertisseurs de nuit indispensables en ces contrées suburbaines aux mornes terrains, vagues, façon Raffaëlli2.
Le tintement de la petite porte que j’ai poussée, sur le conseil d’un voisin qui me renseigne, fait apparaître au haut des marches le maître de céans. En pantalon noir que soutiennent des bretelles rayant la chemise blanche sans faux-col, les souliers fraîchement cirés et luisants, mossieur le propriétaire est grand, fort, les cheveux gris en touffe de chaque côté du crâne dégarni, le visage monté de ton, le nez en boule, des moustaches épaisses et retroussées à la gendarme.
Aimablement, il m’invite à entrer dans une pièce qui ouvre sur le vestibule, la salle à manger, où une suspension au globe verdâtre s’historie de bougies roses, où sur les murs sont accrochées des chromos et des toiles, où contre la pendule un portrait d’actrice signé attire l’attention. Par la fenêtre, en ce matin de février si doux qu’on a l’illusion du printemps déjà, on voit les arbres verdissants de bourgeons, les rameaux gonflés de sève…
M. Léautaud, souffleur de la Comédie-Française, prend sa retraite demain dimanche, après vingt-trois ans de service, et je viens, à cause de cela, le questionner un peu sur lui-même.
— J’étais acteur jadis, élève de Régnier, je me suis trouvé au Conservatoire avec Worms, j’ai joué à l’Odéon, les vieux, les Leloir3, puis je suis devenu régisseur aux matinées Ballande, vous vous souvenez ?… C’est là, après la guerre, que Maubant vint me chercher à la Porte-Saint-Martin et m’offrir d’être souffleur à la Comédie : « Jurez-moi, lui demandai-je, que je n’aurai pas de regrets, qu’il ne me viendra jamais la tentation de remonter sur les planches », car, vous comprenez, j’étais artiste… Eh bien ! cependant, l’aventure m’est arrivée : j’ai dû deux ou trois fois remplir des bouts de rôle…
Nous n’insistons pas à ce détail un tantinet cruel et mettons le bonhomme sur ses souvenirs :
— Ah ! depuis que je suis là, j’en ai connu ! J’ai connu Delaunay, un amoureux comme je n’en reverrai jamais, et Febvre, et Got, est-ce vrai qu’il publiera ces mémoires4 ? Et Mounet, je lui ai donné la réplique autrefois. C’étaient des amis pour moi, tous, on n’est pas plus sucré qu’il ne faut, mais, tout de même, ils savaient bien que j’avais été artiste, et ils m’aimaient autant comme un confrère que comme souffleur…
La silhouette de Brichanteau se profile au lointain, mais rentrons dans le trou :
— Dans les autres théâtres, c’est un métier vil, le dernier des métiers ; à la Comédie c’est une situation importante, on a des appointements sérieux, il y a une grave responsabilité ; je peux faire baisser le rideau et aussi le rideau de fer5… Ainsi, vous étiez peut-être là le soir de Thiron6. On donnait l’Été de la Saint-Martin7. Quand Mme Barretta se vit en scène en face de cet homme qui était absolument ivre, elle me jeta un regard désolé que je n’oublierai jamais : elle m’appelait à son secours. Si son partenaire parlait, ça allait être un scandale au théâtre. Je fis baisser le rideau, et je me rendis tout de suite au bureau de M. Perrin pour lui expliquer : il me donna raison.
Et, cet incident en rappelant d’autres :
— J’ai vu la première de l’Ami Fritz8, celle de L’Étrangère9, celle du départ de Sarah10… À propos de Sarah, c’est avec moi qu’elle a joué pour la première fois Zaïre, je faisais Lusignan ; elle était encore au Conservatoire11, j’avais monté la pièce pour elle au petit théâtre de La Tour-d’Auvergne12 : ce fut un succès… Je l’ai retrouvée après à l’Odéon ; si vous lui parliez de moi, elle me connaît bien…
Le bonhomme a gardé la griserie du théâtre ; il aime son affaire et s’anime en causant :
— Je connais tout le répertoire, puisque je l’ai vu jouer ; néanmoins, j’ai toujours le livret sous les yeux ; c’est très dangereux de souffler de mémoire. On peut avoir un moment d’oubli, la fatigue cérébrale est énorme, il faut aller de l’un à l’autre rôle, les suivre tous, être à l’affût. Ainsi Mounet — aujourd’hui il est plus raisonnable, il prend de l’âge — mais autrefois il était terrible : il s’emballait, il ne faisait plus attention à rien, ni à lui, ni à moi, et il s’arrêtait au milieu d’un mot… Une seconde de distraction n’est pas permise. Il y avait auparavant dans ma cabine une petite lucarne par où, en se retournant, on pouvait voir la salle, je l’ai fait boucher… D’ailleurs c’est extraordinaire comme on suit les spectateurs qu’on a dans le dos : j’entends immédiatement si une scène porte ou non, si les spectateurs marcheront…
Et c’est très spécial la psychologie du public de la Comédie-Française racontée ainsi par le prisonnier de cette logette noire qui bombe au milieu de la rampe. Au lendemain d’une nouvelle œuvre, avant le feuilleton de Sarcey13, il serait curieux d’interroger le souffleur : mieux que le pompier de service, souventes fois interviewé avant d’être tant applaudi, il donnerait des « tuyaux ».
— Ce qui est fatigant, à la Comédie, c’est qu’on change tous les soirs, et puis les répétitions. Ainsi mercredi j’ai fait répéter Le Cid tout entier…
M. Léautaud me confie qu’il prend sa retraite demain dimanche soir, à cause de son état de santé :
— Il vient un diable de vent du dessous la scène, ça vous tape les jambes, je ne m’en méfiais pas. Quand j’ai pris l’habitude de m’enrouler dans une couverture, il était trop tard, le mal était venu. Autrement je suis robuste, je me porte bien, mais j’ai de la peine à marcher… et je vais rester à la campagne à humer l’air…
À la satisfaction des vacances arrivées se joint bientôt la mélancolie des regrets. Comme l’employé qui, après la retraite, prend quand même son chapeau et son parapluie à l’heure accoutumée de son ancien bureau, le souffleur de la Comédie-Française songe qu’il retournera là-bas :
— Après huit jours, je ne dis pas que ça ne me manquera pas, j’irai les revoir, ce sont des amis…
Tandis qu’il me reconduit, d’une démarche très lente, il s’excuse du mauvais état de son jardin — il va le faire arranger, voilà le beau temps, ce sera très joli — et j’admire la puissance d’attraction de la vraie nature, des vrais arbres, des vraies fleurs, qui reprennent après tant d’années un pauvre martyr ayant vécu sa vie entre des portants et des décors illusoires, devant des toiles de fond invraisemblables, illuminées de rampes électriques.
Maurice Guillemot
La Retraite d’un Souffleur
Article de Pontarmé paru dans Le Petit Parisien du 28 février 1897, page deux.
C’est tout un petit événement dans le monde des théâtres que la retraite de M. Léautaud, le souffleur de la Comédie-Française. Il était resté vingt-cinq années en fonctions. Fonctions très effacées, puisque le souffleur passe son temps de travail dans un trou, mais fonctions très-importantes néanmoins.
Le souffleur est, en effet, un auxiliaire précieux pour le comédien. Celui-ci ne peut s’en passer. Aussi Mlle Mars, la grande comédienne, disait-elle : « Apprenez à l’artiste dont la mémoire est ordinairement la plus infaillible qu’il doit jouer sans souffleur, et vous le verrez aussitôt, plein de trouble et d’inquiétude, chercher ses phrases, oublier ses répliques, manquer tous ses effets ; mais que le souffleur, au contraire, dise à l’acteur le moins doué de mémoire “Soyez sans crainte, je ferai attention à vous, je soignerai votre grande tirade !”, et vous n’entendrez pas le comédien faillir d’une seule syllabe »14.
En sortant du Conservatoire. M. Léautaud s’était fait acteur. Il commença à se produire à l’étranger, à Bruxelles, puis dans quelques villes françaises. En 1866, il revint à Paris et entra à l’Odéon. À la vérité, il végétait, gagnant difficilement sa vie.
— Je ne parvenais pas, raconte-t-il, à faire mon trou ».
C’est alors qu’il eut l’idée d’entrer dans celui du souffleur. L’emploi était libre à la Comédie-Française, et, quoique modeste pour un homme qui avait rêvé la gloire sur la scène, au feu de la rampe, devant les spectateurs enthousiasmés, M. Léautaud l’accepta. C’était son existence assurée, avec des appointements convenables, et une retraite pour les vieux jours.
Oh croyez-le bien, ce n’est point sans peine qu’il se résigna à ces fonctions obscures ! Lui-même l’a avoué. Bien des fois, il eut la tentation de remonter sur les planches, de reprendre sa place parmi ses camarades. Mais il sut refréner son ambition, et pendant un quart de siècle il vint se blottir dans sa cabine. Toutefois, si le soir il se contentait de souffler, le matin il se rattrapait en donnant des leçons de déclamation.
— J’eus la chance, déclare-t-il avec fierté, d’avoir formé à mon cours des artistes de valeur !
Ce que M. Léautaud aurait pu dire aussi, c’est que souvent il eut le mérite de « sauver la situation », comme on dit, et d’empêcher des incidents de se produire sur la scène. Une fois, entre autres, dans l’Été de la Saint-Martin, l’acteur chargé du principal rôle apparut en complet état d’ivresse, après un dîner trop arrosé de vins fins. Mme Barretta, qui était en scène, se voyant en face de cet homme absolument ivre, jeta au souffleur un regard désolé. « Elle m’appelait véritablement à son secours ! » dit M. Léautaud. Aussitôt, il fit baisser le rideau, avant qu’on eût eu le temps dans la salle de rien remarquer, et, après une annonce au public, le spectacle fut changé.
Une autre fois, ce fut plus grave. Un commencement d’incendie assez violent s’était déclaré sur la scène. M. Léautaud s’en aperçut, donna l’alarme, et on put éviter un désastre. « Vous voyez, s’écria alors le brave homme, qu’en soufflant, on peut éteindra un incendie ! »
* * *
Le Dictionnaire théâtral énumère les principales conditions requises du souffleur. D’abord, et avant tout, il faut avoir un organe net et délié il faut que le timbre soit pour ainsi dire pénétrant, non pas comme une vibration, mais comme un jet de son projeté vers celui à qui il s’adresse. D’autre part, l’émission des mots ne doit pas se faire à demi voix, ce qui produirait un bourdonnement confus, indiscernable pour le comédien et désagréable pour le spectateur elle doit avoir lieu dans la gamme gutturale qu’on appelle le chuchotement. En un mot, ce doit être une confidence habilement dissimulée. Voilà pour l’organe. Mais ce n’est pas tout, et il importe encore que le souffleur connaisse bien chaque acteur, qu’il sache le servir comme il l’entend l’être, qu’à l’un il « envoie » toute la pièce, que pour l’autre il se contente de souffler à certains passages.
Il y a là, en somme, presque un art. Sur la scène, le moindre égarement, la moindre déviation peut conduire en quelques secondes à l’effarement. Il arrive aussi que des comédiens ont pour habitude, quand leur mémoire leur fait défaut, de collaborer à la pièce par des amplifications ; c’est alors que le souffleur doit prêter toute son attention ; s’il se trouble, s’il mêle les feuillets de sa brochure, s’il ne peut rattraper le comédien au bon passage, il y aura un véritable galimatias, et tout pourra bien finir sous les sifflets du public.
L’attention voilà le grand point.
— Je connais tout le répertoire, a dit M. Léautaud à un de mes confrères, mais j’ai quand même la pièce sous les yeux, car c’est très dangereux de souffler de mémoire. On peut avoir un moment d’oubli. La fatigue cérébrale est énorme, il faut aller de l’un à l’autre rôle, les suivre tous, être à l’affût. Une seconde de distraction n’est pas permise. Il y avait auparavant dans ma cabine une petite lucarne par où, en se retournant, on pouvait voir la salle : je l’avais fait boucher afin de n’avoir pas mon attention détournée de ma brochure.
Quelques acteurs ne savent jamais bien leur rôle. Ainsi fut le célèbre Arnal15, qui avait la mémoire la plus incertaine qu’on puisse imaginer. Rachel, au contraire, savait bien ses rôles, mais elle voulait néanmoins que le souffleur la suivit de la première à la dernière représentation.
* * *
Il paraît que Mounet-Sully fit plus d’une fois le malheur de M. Léautaud. « Aujourd’hui, raconte ce dernier, il est plus raisonnables il prend de l’âge ; mais autrefois il était terrible : il s’emballait, il ne faisait plus attention à rien, ni à lui ni à moi ; il allait, il allait… et, soudain, il s’arrêtait… » Heureusement, M. Léautaud était là, veillant : il soufflait le mot oublié par le comédien, et tout était sauvé !
Heureusement l’acteur n’avait point affaire ici à un souffleur d’occasion.
Il en fut autrement un jour à Marseille. Un jeune homme amoureux d’une des actrices parvint à remplacer le souffleur à qui il avait donné une somme d’argent pour l’amener à lui céder son emploi. Il espérait toucher ainsi le cœur de la comédienne. N’était-ce point lui donner une preuve de son amour que de consentir à passer toute une soirée dans le trou du souffleur ? Malheureusement le jeune homme était trop épris. Quand l’actrice entra en scène, il n’eut d’yeux que pour elle et oublia la brochure. Soudain, la mémoire de la comédienne lui fit défaut. Elle attendit le secours du souffleur : rien ! Elle frappa du pied, tendit l’oreille : rien encore. « Mais soufflez donc ! » s’écria-t-elle enfin, furieuse et désespérée. Vous devinez la suite : le public s’impatienta, on protesta, on fit sortir le souffleur de sa cabine, et l’on s’aperçut de la supercherie.
Vous pensez bien qu’après une telle scène, ce souffleur par amour n’eut point de sa belle les faveurs qu’il en attendait.
Il les eut mérités cependant, car le métier ne va pas sans quelques ennuis. Outre les récriminations des artistes, il y a des inconvénients non moins désagréables. On n’est point à son aise dans le trou du souffleur, et on y contracte des infirmités.
Il vient, disait M. Léautaud, un diable de vent de dessous la scène qui vous tape les jambes. Je ne m’en mettais pas. Quand j’ai pris l’habitude de m’enrouler dans une couverture, il était trop tard les rhumatismes étaient venus !
Mais M. Léautaud va pouvoir maintenant se reposer. « Je n’ai été, a-t-il déclaré, qu’au modeste serviteur de la Maison de Molière, mais on n’a pas soufflé pendant vingt-cinq ans des vers et de la prose sans se croire soi-même un peu artiste ». Artiste, il l’a été à sa façon, en venant en aide aux mémoires défaillantes, en assurant à l’artiste, du fond de son trou obscur, le concours de sa vigilance toujours en éveil.
Pontarmé
Un souffleur
Les souvenirs de M. Léautaud de la Comédie-Française
Texte paru dans L’Éclair du 28 février 1897, pages deux et trois.
Les rêves du jeune homme. — À l’Odéon. — Après la guerre. — Vingt-cinq ans à l’ombre. — Ce qu’on voit par le trou du souffleur
Nous avons dit hier que M. Léautaud, le souffleur de la Comédie-Française allait prendre sa retraite. Ce modeste serviteur, qui depuis un quart de siècle souffle aux artistes de la Maison de Molière les vers ou la prose de nos meilleurs auteurs, mérite bien, nous semble-t-il, les honneurs d’un article. Ne contribue-t-il pas à l’intensité des sensations que nous donne le grand art ? Combien ces sensations seraient moindres si la vigilance du souffleur, auquel nous ne pensons même pas, ne venait en aide, en temps opportun, aux mémoires défaillantes !
Nous nous livrions à ces réflexions hier, tandis que nous nous dirigions vers la Comédie-Française où nous savions devoir rencontrer M. Léautaud. Il était dans son trou car il y avait répétition. Force nous fut d’attendre qu’il en sortît.
Enfin nous vîmes venir vers nous un homme à la barbe et aux cheveux grisonnants, à l’œil vif encore, mais qui traînait la jambe.
En sortant du Conservatoire
— Hélas ! monsieur, nous dit-il, non sans que sa voix décelât quelques regrets, je marche très difficilement, car mes vingt-cinq années d’exercice m’ont valu de douloureux rhumatismes. Et c’est la raison pour laquelle j’ai demandé à me retirer : si la tête est bonne, malgré mes soixante-cinq ans, les jambes ne vont plus.
Nous nous en apercevons aux temps que nous mettons pour gagner le café voisin où, quelques minutes plus tard, commodément assis et le cigare aux lèvres, nous écoutions le vieux souffleur nous raconter ses souvenirs.
— Mon existence est bien uniforme, bien monotone, nous déclare modestement M Léautaud, et je ne vois pas en quoi elle pourra intéresser vos lecteurs. Néanmoins, puisque vous tenez à la connaître, je m’exécute.
« Sachez donc que je suis sorti, en 1859, du Conservatoire, enthousiaste comme le sont tous les jeunes gens et certain, en dedans de moi, de conquérir un place brillante dans l’art dramatique. Hélas ! les événements ont trompé mon espoir… Je commençai par jouer en province et à l’étranger ; je séjournai quelque temps à Bruxelles, puis à Lille et dans quelques autres villes françaises. Vers 1866, je revins à Paris et fus assez heureux pour obtenir un engagement à l’Odéon. Là, je retrouvai Sarah Bernhardt, ma chère petite camarade Sarah, que j’avais connue au Conservatoire et qui n’était à cette époque qu’un étrange gamin… un gamin bien doué, elle l’a prouvé depuis. Ah ! comme c’est loin ce temps-là !… »
« La guerre vint interrompre mon engagement. Je partis comme les camarades. À mon retour j’entrai aux “Matinées Ballande”. Mais je végétais là et gagnais assez difficilement ma vie. Aussi lorsque, quelques années plus tard, on m’offrit l’empire de souffleur à la Comédie-Française, je n’hésitai pas, je soufflai.
« Les fonctions, quoique modestes, étaient assez bien rétribuées ; et puis, il y avait une retraite pour les vieux jours. C’était l’avenir assuré, un avenir moins brillant que celui de mes rêves d’adolescent, mais le temps avait tué en moi les idées ambitieuses.
« Néanmoins, je ne renonçai pas tout à fait à mon art. Si le soir je me contentais du rôle effacé de souffleur, le matin je me rattrapais en donnant des leçons de diction. J’eus la chance de voir venir à mon cours des élèves aux heureuses dispositions, qui aujourd’hui ont au théâtre des situations enviables.
« Pour n’en citer qu’une, je nommerai la petite Belanger, une gamine que je présentai à Sarah Bernhardt qui l’engagea de confiance, ce dont elle ne s’est jamais repentie.
« Mais ce double labeur du jour et de la nuit me fatiguait. Je dus renoncer à mon cours et me consacrer exclusivement à l’emploi modeste que j’avais accepté. J’abandonnai donc mes leçons et n’eus d’autre préoccupation que d’être tout à mon rôle de souffleur.
Dans le trou
« Et voici vingt-cinq ans que, blotti dans mon trou, je lis, avec une attention qui ne doit jamais défaillir, les œuvres dramatiques que d’autres au-dessus de moi, interprètent. »
— L’attention que nécessite votre travail est-elle intense au point de vous accaparer entièrement ?
— Non pas, maintenant surtout que j’ai l’habitude ; elle me laisse le loisir d’observer tout à mon aise les acteurs, et si mon observation me permet de noter en ma mémoire des faits piquants, que vous me permettrez de garder pour moi, elle a quelquefois l’avantage d’être utile à ceux mêmes qui en sont l’objet. Il arrive que des artistes se présentent sur la scène dans une tenue, dont tous les détails n’ont pas été vérifiés, ce qui est d’un effet désastreux. Je m’en aperçois tout de suite et fais prévenir aussitôt l’intéressé ou l’intéressée.
« D’autres fois, l’occasion se présente de sauver une situation. C’est ainsi qu’un soir, je fis baisser le rideau parce que l’acteur qui devait donner la réplique à Mme Baretta-Worms est arrivé sur scène dans un état d’ivresse, que personne, dans la salle, n’eut le temps de remarquer. Un autre soir, il y a deux ans, je fus assez heureux pour éviter un désastre. Un commencement d’incendie assez violent s’était déclaré sous la scène. M’en étant aperçu un des premiers, je fis tomber le rideau de fer et M. Baillet seconda mon effort en allant aussitôt annoncer au public que nul danger n’était à redouter et qu’on avait tout le temps nécessaire pour évacuer la salle.
« Vous voyez que mes fonctions modestes n’ont pas toujours consisté à souffler. Est-ce pour cette raison ou pour une autre ? Toujours est-il que je vais les regretter sincèrement. Dimanche quand je quitterai définitivement la Comédie-Française, saurai le cœur gros…
« Il faut bien se faire une raison cependant. Et puis, là-bas, dans ma petite maison de Courbevoie, je me consolerai en revivant, par le souvenir, ma vie un peu triste d’acteur devenu souffleur. »
Une soirée sera donnée très probablement au profit de M. Léautaud, avec le concours des principaux artistes de la Comédie-Française.
Le remplaçant de Firmin
Texte sans titre paru dans Le Figaro du deux mars 1897, page quatre.
Petite cérémonie aussi touchante qu’intime, hier soir, au Vaudeville. M. Gaillard, qui entre à la Comédie-Française pour remplacer Léautaud et pour aider son père comme souffleur, quittait hier ses fonctions au théâtre du Vaudeville où il était très apprécié et très aimé. Après le second acte de la Douloureuse16, les directeurs MM. Porel et Albert Carré, les artistes et les camarades de M. Gaillard se sont réunis au foyer pour lui dire adieu et lui offrir un souvenir : une montre… à répétitions, bien entendu. À l’écrin de la montre était attachée cette lettre charmante de M. Calmettes, l’excellent artiste que le public associe tous les soirs au triomphe de Réjane :
« Ceux des auteurs célèbres que vous avez aidés le plus récemment, MM. Sardou, Moreau, Donnay ; vos directeurs et les artistes vos amis, désolés de vous voir quitter le Vaudeville, n’ont pas voulu vous laisser partir sans que vous emportiez d’eux un souvenir. Ils se sont joints, pour vous l’offrir, à celle qui est l’âme de notre théâtre, de laquelle viennent toutes les pensées délicates comme celle-ci ; à celle qui vous aime beaucoup et qu’entre tous nous comprendrons que vous regrettiez le plus : à Réjane. »
C’est M. Siglas, l’ancien acteur, qui remplace M. Gaillard comme souffleur.
Le Souffleur
Article de Maurice Cabs paru dans La République française du trois mars 1897. Paul Léautaud travaillera brièvement dans ce journal à l’automne 1899.
La retraite de M. Léautaud, le souffleur de la Comédie-Française, appelle l’attention des chroniqueurs sur toute une catégorie de modestes et précieux serviteurs de l’art, qui méritent à coup sûr les honneurs d’un article.
On a rarement l’occasion de parler du souffleur car, dans le monde des « M’as-tu-vu », il est le seul qui ait la mission, voire le devoir strict, de rester aussi inaperçu, aussi insoupçonnable que possible, sous peine de s’attirer ce cri ironique d’un spectateur du siècle dernier :
— Monsieur le comédien, cessez donc de parler. On n’entend plus le souffleur ?
La tâche du malheureux — qui a le haut du corps rôti et chauffe à blanc par les terrifiantes ardeurs de la rampe pendant que la partie inférieure de son individu est engourdie, gelée par les vents coulis des dessous — est loin d’être une sinécure. Gare à lui s’il souffle trop haut ou trop bas ! Malheur, trois fois malheur à l’infortuné s’il s’avise d’envoyer le mot trop tard ou trop tôt ! La moindre hésitation, le plus léger oubli, la plus petite défaillance de sa part, provoque des tempêtes d’amour-propre et des avalanches de rebuffades et de mortifications !
Beaucoup de lecteurs témoigneront sans doute quelque surprise en apprenant que Léautaud avait eu autrefois un prix au Conservatoire et qu’il avait paru sur la scène de l’Odéon en compagnie de Sarah Bernhardt ! Les artistes chéris de l’aveugle fortune, les favoris de la gloire et de la célébrité, tous ceux qui, en un mot, ont eu la chance d’attraper un bon numéro à la grande loterie théâtrale, diront sans doute : « Comment un artiste ayant débuté aussi brillamment a-t-il pu se contenter de la situation — plutôt effacée — de souffleur ? » Hélas, dans le tohu-bohu de la vie, dans ce combat quotidien que Darwin appelle énergiquement the struggle for life! l’édifice de la fortune n’est souvent que la résultante de lois physiques, purement fortuites, qu’il faut subir à son insu. Ceux qui se vantent d’être les « fils de leurs œuvres » n’ont-ils pas gravi la plupart du temps, les degrés de l’échelle sociale par le simple effet du hasard ?
Léautaud était un timide, doublé d’un sage. Il s’est contenté de souffler aux artistes de la maison de Molière les vers ou la prose de nos meilleurs auteurs pendant un quart de siècle. En raison de sa responsabilité — réellement très lourde, — il jouissait au Théâtre-Français d’une certaine considération. Le souffleur est à un poste de confiance et, en maintes occasions, les auteurs eux-mêmes n’ont pas cru déroger en prenant sa place. Paloschi17 conte — entre autres exemples, — dans ses Éphémérides, qu’à une représentation du Ritorno di Collumella du maestro Fioravanti18 au théâtre Nuovo, de Naples, le souffleur se trouvant indisposé, Donizetti en personne n’hésita pas à prendre la partition et à descendre «dans le trou, pour secourir la mémoire troublée des acteurs… »
* * *
La position topographique et sociale du souffleur varie suivant les mœurs théâtrales des différents pays. En Angleterre, le souffleur the prompter est placé dans le manteau d’Arlequin19 par lequel les comédiens font généralement leurs entrées et leurs sorties. Quand la pièce n’a qu’un nombre restreint de répétitions, on en met parfois deux, l’un côté cour, l’autre côté jardin. Dans ces circonstances, assez fréquentes en Angleterre, mais surtout aux États-Unis, les artistes surmenés ont recours fréquemment au souffleur et conséquemment ne s’écartent que rarement de la coulisse, sous peine de rester cois. Sont-ils sûrs d’un passage, ils risquent « une pleine scène » et reculent prudemment vers la coulisse, dès que la mémoire leur fait défaut. Cette constante préoccupation d’éviter le milieu des planches pour se réfugier près des portants nuit souvent beaucoup à la marche de l’action, voire à la vraisemblance. Voyez-vous un duo d’amour chanté dans ces conditions ? En Espagne, l’apuntador possède comme chez nous une petite niche en bois parfaitement disgracieuse ; seulement, au lieu de laisser parler les artistes et de guetter leurs défaillances de mémoire, il lit ou fredonne couramment la brochure ou la partition et ce sont les artistes qui lui emboitent le pas : de là le débit monotone et précipité des acteurs espagnols.
En Italie, le souffleur (suggeritore) est un personnage avec lequel il faut compter au théâtre. D’abord, bien qu’il soit placé comme chez nous au milieu de la rampe, sa présence n’est nullement dissimulée. Il n’est même pas masqué par le maestro, dont il est séparé par toute la largeur de l’orchestre ; car, au lieu de tourner le dos à ses musiciens, le maestro les a devant lui, sous ses yeux, laissant au souffleur le soin de conduire les artistes.
Le rôle de suggeritore — surtout dans les théâtres de musique, est donc considérable. L’acte fini, si le rideau tombe sur un froid, le souffleur, tel qu’un craintif escargot s’enfonce dans sa coquille ; mais si les applaudissements se font entendre, il a le droit et le devoir, comme le maestro, de faire un demi-tour et de saluer le public. Si l’on rappelle, il est d’usage qu’il monte sur la scène pour se mêler au groupe des principaux interprètes !
Léautaud, Léautaud en personne, au cours de sa longue carrière, n’a jamais goûté — comme ses confrères d’Italie — aux douces joies de la popularité méritée. Et cependant, combien de réputations, grâce à lui, sont restées intactes de comédiens et de « petites pensionnaires » trop oublieux de la recommandation de Dorat20 :
Que surtout la mémoire, à chaque instant fidèle,
Lorsque vous commandez ne soit jamais rebelle,
Et ne vous force point, glaçant votre chaleur,
D’aller à son défaut consulter… le souffleur.
Maurice Cabs
Causerie
Texte de Simplice paru dans La Petite Gironde du sept mars 1893, page deux.
La retraite du souffleur de la Comédie-Française, arrivée cette semaine, a naturellement fait beaucoup parler des souffleurs. Ce n’est pas une tâche peu importante ni commode, que celle de cet utile auxiliaire des acteurs qui vient « secourir leur mémoire troublée » et les remettre dans la bonne voie lorsqu’ils pataugent, ce qui leur arrive quelquefois.
Pour être un bon souffleur, il faut, avec beaucoup de tact, de patience et d’endurance, une faculté d’attention portée à son maximum. Songez qu’un souffleur, comme celui de la Comédie-Française, par exemple, qui depuis vingt ans et plus souffle les pièces du répertoire, les connaît toutes par cœur et sur le bout du doigt (drôles d’expressions tout de même, quand on songe que la mémoire n’est point une affaire de cœur, ni de doigts !). Mais si le souffleur sait tous les rôles de la pièce, il n’en est que plus tenté de croire que les acteurs sont comme lui, et alors, au lieu d’épier leur moindre défaillance, leur plus petite hésitation pour leur envoyer la réplique, il s’amuse à les voir jouer, les laisse livrés à eux-mêmes et… vous voyez d’ici le grabuge, s’il survient un accroc de mémoire !
C’est donc le cas de dire, à l’imitation de Figaro : « Aux qualités qu’on demande d’un bon souffleur de comédie, combien de comédiens ne seraient pas dignes d’être souffleurs ! »
M. Léautaud, le souffleur qui vient de prendre sa retraite, avait été comédien. On a raconté qu’il avait eu un prix au Conservatoire et qu’il avait joué à l’Odéon, à côté de Sarah Bernhardt. Comment était-il tombé dans le trou du souffleur ? On ne nous l’a pas appris en détail. D’ailleurs, il paraît que ses camarades de la Comédie-Française ne le considéraient point comme déchu, bien qu’il fût descendu de la scène ; ils avaient pour lui une véritable estime, basée sur les excellents services qu’il leur rendait chaque jour.
Un de nos confrères, traitant ex-professo cette question du souffleur, nous a appris qu’en Amérique, où le spectacle change souvent, et où les artistes, par conséquent, ont à peine le temps d’apprendre leurs rôles, on a coutume d’employer deux souffleurs au lieu d’un, l’un du côté cour, l’autre du côté jardin : « Les artistes, ajoute-t-il, ne s’écartent que rarement de la coulisse, sous peine de tester coi. Sont-ils sûrs d’un passage, ils risquent « une pleine scène » et reculent prudemment vers la coulisse dès que la mémoire leur fait défaut. Cette constante préoccupation d’éviter le milieu des planches pour se réfugier près des portants nuit beaucoup à la vraisemblance. »
J’en demeure d’accord. D’autre part, le souffleur unique, au milieu de la scène, a dans les mêmes circonstances l’inconvénient contraire. Il retient obstinément au milieu et au premier plan des acteurs qui auraient affaire au fond ou sur les côtés. Le mieux serait peut-être de combiner les deux systèmes et de fourrer sur la scène trois souffleurs… On m’assure que certains vieux comédiens dont la mémoire est devenue paresseuse n’hésitent pas à recourir à cet expédient, tout au moins pour les pièces nouvelles.
Le même confrère cite, à ce propos, la recommandation rimée de Dorat aux comédiens.
Que surtout la mémoire, à chaque instant fidèle,
Lorsque vous commandez ne soit jamais rebelle.
Et ne vous force point, glaçant votre chaleur.
D’aller, à son défaut, consulter… le souffleur.
Cela est bon à dire, mais le plus sûr est d’avoir un souffleur, pour parer à tout événement. Mais il faut que le souffleur soit bon.
Mieux vaut pas de souffleur du tout qu’un souffleur qui perd la tête. On se rappelle les bourdes que fait dire à Petit Jean le souffleur des Plaideurs21 :

Etc. À côté de cet exemple classique, on en cite bien d’autres, et Léautaud lui-même, qui pourtant n’était pas un souffleur maladroit, tant s’en faut, a été sinon le héros, du moins le spectateur impuissant de l’aventure suivante, racontée par la Liberté :
« Dans une tournée qui eut lieu il y a quelques années et qui comprenait plusieurs artistes parisiens en renom, se trouvait une jeune actrice qui avait une telle confiance dans le zèle et l’habileté du souffleur, qu’elle négligeait de relire jamais une seule ligne de ses manuscrits. »
— Il arriverait n’importe quoi, disait-elle, que je me tirerais d’affaire avec l’aide de cet excellent Baptiste. » Un jour, un de ses camarades, que nous ne nommerons pas, mais qui vient de remporter un vif succès personnel dans une pièce nouvelle, se mit en tête de lui jouer une bonne farce. On jouait le Misanthrope dans une petite ville du centre. C’était au moment de la grande scène entre Célimène et Alceste. Célimène, c’était la jeune artiste en question.
« Tout à coup la porte du fond s’ouvre, et notre comédien fumiste paraît, en chapeau haut de forme, le col du pardessus relevé, le pantalon crotté, un parapluie humide à la main. Alceste et Célimène s’arrêtent interloqués. Le survenant fait quelques pas, puis, soulevant son chapeau :
« — Je vous demande pardon… Je crois que je me suis trompé d’étage.
« Et il disparut. Le souffleur riait tellement qu’il ne put repêcher Célimène. D’ailleurs, le public, furieux de la mystification fit tant de bruit que l’acte ne put aller jusqu’au bout. »
Là, du moins, il n’y avait pas de la faute du souffleur. Quelquefois, c’est bien lui qui est le coupable quand il est distrait, par exemple, comme ce souffleur de la Comédie-Française qui, somnolent ou préoccupé, laissa un jour en panne un acteur tragique au beau milieu de ce vers :
J’étais dans Rome alors…
L’acteur, arrêté, recommença une fois, puis deux, jetant en vain sur le souffleur des regards de détresse. À la fin, le comédien, perdant patience et frappant du pied, s’adressa au souffleur lui-même et lui dit à haute voix, d’un ton de dignité suprême : « Eh bien ! maraud, me diras-tu ce que je faisais dans Rome ?22 » Nous avons encore le souffleur de Lunéville, qui soufflait trop un acteur qui, de son côté, savait trop peu son rôle. La voix du comédien et celle de son utile auxiliaire alternaient, celle-ci prenant peu à peu le dessus, si bien que l’acteur se tut et que le souffleur termina seul la tirade. Et quand il eut fini, le comédien, se tournant vers l’actrice à qui il avait affaire, lui dit avec politesse : « Mademoiselle, ainsi que Monsieur (montrant le souffleur) vient d’avoir l’honneur de vous le dire, je suis… etc., etc. » Je crois qu’après celle-là on peut s’arrêter.
Simplice
Après La Petite Gironde, La France du dix mars, Le Journal de Roanne du onze, Le Monde artiste du quatorze, écriront aussi des articles sur la retraite de Firmin, ne faisant que reprendre les textes de leurs prédécesseurs.
La retraite d’un souffleur
Les deux derniers textes ci-dessous proviennent de l’ancienne page « Firmin Léautaud », entièrement mise à jour le premier septembre 2023. Ils n’apprendront rien aux anciens lecteurs. Le premier texte est extrait de la suite de chroniques La Vie à Paris, de Jules Claretie23. Il est paru dans Le Temps du 4 mars 1897, trois jours avant la Causerie ci-dessus mais le choix a été fait de le placer après.

Article Léautaud dans Henry Lyonnet : Dictionnaire des comédiens français (second volume : F-Z), édité par la bibliothèque de la Revue internationale illustrée, à Genève, sans date (page 315) »
La retraite d’un souffleur donne lieu à des articles de journaux, tout comme s’il s’agissait de la disparition d’un sociétaire, et Léautaud, le bon Léautaud, l’honnête et loyal serviteur de la maison de Molière, qui vient de quitter la rue Richelieu, a été interrogé24, comme jadis Ernest Renan, et comme Zola aujourd’hui.
Et il a raconté ses souvenirs aux reporters, l’excellent Léautaud qui emporte avec lui un peu des vieilles traditions de la Comédie. Il a rappelé ses années de théâtre, alors que, sortant du Conservatoire, il espérait, comme tant d’autres, la gloire, la fortune et le sociétariat, ce bâton de maréchal.
J’ouvre les registres du Conservatoire. Concours de 1858. Le premier prix de tragédie (hommes) est remporté par l’élève Godfrin ; le premier prix des femmes par Mlle Marie Royer. En comédie, c’est encore Marie Royer qui a le premier prix et Provost, Eugène Provost25, le fils du comédien éminent26, remporte le premier prix des élèves-hommes. L’élève Léautaud, lui, n’a que le premier accessit, un certain Leménil enlevant le second prix. Leménil, Godfrin, Provost, Marie Royer, autant de morts ! Et quelles destinées diverses !
Mlle Ponsin, qui obtenait cette année-là — comme Léautaud — le premier accessit de comédie, devait épouser son camarade Provost et donner des leçons à une jeune fille, élève aussi de Régnier, qui s’appelait Julia Régnault et allait être Mme Bartet. Morte, Marie Ponsin ; morte, Marie Royer. Godfrin, le tragique élève de Geffroy, a fini organisateur de tournées, comme tant d’autres, et Léautaud est devenu souffleur.
Souffleur ! Le martyre de l’art dramatique, disait Jules Janin27. Souffleur, l’esclave du succès des autres ! Et de son passé plein d’illusions, de jeunes chimères, Léautaud ne gardait aucune amertume, faisant son devoir en bon serviteur qu’il était et ne songeant plus à remonter sur les planches où il reparut cependant un soir, dans Hernani, sans que personne le sût, un « conjuré » ne s’étant pas rendu, ce soir-là, au théâtre pour conspirer contre Charles-Quint. Avec quelle joie. Léautaud prononça-t-il, autre part que dans son trou, face au public, le fameux : Per angusta28 !…
C’était le répertoire vivant que Léautaud. Il savait toutes les traditions moliéresques raciniennes, regnardesques29. « Lisette est ici… Crispin se met à droite30… Britannicus entre par le côté cour… On baisse la rampe au cinq quand Phèdre arrive pour mourir… Et sa bonne voix, timbrée d’un accent d’Arverne, sortait de la boîte du souffleur, pendant les répétitions, pour donner telle indication utile, évoquer les mouvements de Samson, de Provost, de Monrose, de Beauvallet, ses maîtres, ses amis !
On dit que Léautaud veut écrire ses Mémoires, les Mémoires d’un souffleur. Ils seraient intéressants. Le bon souffleur en avait tant et tant vu en sa vie ! Il pourrait dicter ses souvenirs à son fils, qui est un poète de talent, donnant des sonnets aux jeunes revues. Mais, s’il les écrit, qu’il passe sous silence, je l’en prie, cette fâcheuse anecdote sur Thiron qu’il a cru devoir rappeler et qui a attristé les amis et la famille du comédien excellent.
Ne se rappeler de toute une existence de souffleur que le grand soir où la toile fut baissée devant Thiron, jouant l’Été de la Saint-Martin en état d’ébriété, c’est un peu bien ironique, et n’évoquer de l’existence artistique si admirable de Thiron que ce souvenir désagréable, cela est blessant et injuste.

Charles Thiron, par Nadar
J’ai eu la bonne fortune de donner à Thiron ses dernières années de succès. Jamais je n’ai eu à lui reprocher le moindre retard dans son service d’artiste ou de semainier31, jamais le moindre écart. On avait, autour de lui, malicieusement créé une légende qu’il payait cher. Ce gros petit homme, que George Sand a si drôlement caricaturé d’un dessin fantaisiste ; était la courtoisie même, français de ton et d’allure, le geste précis, la voix aigrelette.
Je ne sais pas d’homme plus spirituel que Thiron et, dans sa petite taille grassouillette, plus élégant, d’une coquetterie d’abbé de ruelles. Quelque succès qu’il ait obtenu, il valait mieux que sa destinée. Comédien de premier ordre, mais timide, sans intrigue, volontiers attristé, il laissait devant lui passer les importants. Il en souffrait, puis s’en consolait, en se vengeant par un mot. Il avait un esprit si vif et de si bon aloi !
C’est lui qui me répondait dans une séance du comité où je plaidais la cause d’un auteur qui, dans une pièce mal venue, avait écrit une belle scène :
— Eh bien, je reçois la scène !
Je vois encore le pauvre homme lorsqu’il fut frappé, sur le théâtre-même, d’une congestion en jouant les Effrontés32, emporté jusqu’à sa voiture, la cravate défaite et le visage rouge… J’essayais de le rassurer, lui répétant que « ce ne serait rien, qu’un peu de repos suffirait… »
Il m’interrompit bien vite et, d’un geste exquis, élégant comme celui du marquis de la Seiglîère33, le malheureux, demi-mourant, me répondit, souriant :
— Oui, je sais… Saignare, purgare, clysterium donare !34
Il finissait en Gaulois, en vrai comédien de Molière.
De ce coup terrible — qu’avait prévu l’œil pénétrant de Dumas lorsque nous répétions Francillon35 — Thiron ne mourut pas. Mais il ne reparut point sur la scène. Il me disait, lorsqu’il venait me voir :
— Je m’en attriste, mais après tout j’ai bien mes consolations. Songez donc : je n’entendrai plus la lecture des pièces de M. X… et je ne jouerai plus les pièces de M. Z… !
Si Léautaud les a entendues, il pourra mettre les noms dans ses Mémoires maintenant qu’il n’est plus lié par le secret professionnel.
Mais qu’il rende à Thiron — je le lui-demande — la justice due à ce galant homme et qu’il oublie l’aventure d’un soir qui pesa si lourdement sur la renommée du bon comédien et attrista si fort, durant tant d’années, l’excellent artiste.
Lorsqu’une légende se forme, lorsque l’anecdote d’une heure prend dans une existence humaine une place démesurée, c’en est fait. On n’y échappe plus. On est le forçat de cette inoubliable minute. Lorsqu’il s’agit d’élever une statue à Musset, quelqu’un écrivit : « Mettra-t-on sur le socle, qu’il fut un buveur d’absinthe ? »
On trouvait spirituel le mot de Villemain, demandant des nouvelles du poète, absent à une séance de l’Institut, et répandant :
— C’est vrai, M. de Musset s’absinthe, pardon, s’absente toujours !
Et c’est ainsi que le plus douloureux et le plus poignant des poètes de l’amour fut pendant longtemps le buveur qui inspirait des mots aux ironistes. « Il y a de l’alcool dans ses vers, disait quelqu’un en parlant de l’auteur des Nuits36. Musset avait répondu d’avance lorsqu’il s’écriait : « Il y a du sang dans mon encre ! »
Il y avait aussi du sang, je veux dire du bon sang français dans le jeu alerte et pétillant de Thiron, et à sa mémoire applaudie, à son souvenir séduisant, le bon Léautaud, souffleur, lauréat du Conservatoire, doit des excuses.
Jules Claretie
Firmin à Orange
Cinq ans presque exactement, le 26 février 1903, Firmin meurt, paralysé dans sa maison du trois, avenue de la République à Courbevoie. Toujours dans sa Chronique du Temps, le trente juin 1905, Jules Claretie donne cette anecdote :
Orange reste et restera toujours le théâtre modèle de ces représentations estivales. Il a son cadre, il a son paysage, il a son ciel, il a son mur. C’est bien en vérité la scène idéale pour ces grands spectacles destinés à la foule. Nous avons éprouvé là, d’inoubliables impressions d’art. Telle représentation d’Antigone, avec Mlle Bartet regagnant son logis sous les étoiles ; telle apparition de Mlle Bréval dont le mistral faisait flotter la tunique comme le vent plisse le lin autour du corps de la Victoire de Samothrace ; telle vision d’Œdipe roi, les yeux saignants, avec le masque douloureux et superbe et les sanglots d’un Mounet-Sully, sont pour un amateur de théâtre des souvenirs qui se poétisent encore avec les années.
Et la foule est si étonnante, si vibrante, si chaleureuse, dans ce vivant et ardent Midi ! Quelquefois, je sais bien, la détonation d’une bouteille de limonade débouchée sur les gradins interrompt un vers de Sophocle, une menace de Tirésias. Pif ! paf ! Il faut bien se désaltérer un peu durant la tragédie. Ou encore, si quelque accident imprévu survient, elle se fâche, la brave foule provençale ! II y eut des soirs, à Orange, où tout semblait devenir vraiment tragique. Et le bon Henri de Bornier37, narquois aussi à ses heures, me contait les mésaventures de l’excellent souffleur Léautaud venant en qualité de régisseur improvisé demander aux spectateurs du Théâtre Antique de vouloir bien patienter parce que je ne sais quel artiste était en retard.
Quelle tempête !
D’abord, l’indignation du public devant ce régisseur qui se présentait à lui les mains nues.
— À pas dau gants ! À pas dau gants !
Léautaud ne comprenait guère. Il avait en face de lui, sur les gradins de pierre, une foule répétant, hurlant comme si elle eût été insultée :
— À pas dau gants !
— Il n’a pas de gants !
— Mettez des gants ! lui criait-on amicalement des premiers rangs des spectateurs.
— Des gants ! Mettez donc des gants !
Léautaud tira ses gants des poches de son habit. Il y eut un hourra de satisfaction.
— Mesdames et messieurs, dit alors le régisseur, nous réclamons toute votre indulgence. M. X… n’est pas encore arrivé, et sans doute est-il souffrant, mais…
Il ne put achever. Une clameur s’éleva, immense, couvrant sa voix :
— Les fers !
— Mettez-lui les fers !
— Les fers, les fers !
Lorsque les taureaux ne veulent point marcher, dans les courses, lorsqu’ils hésitent ou se dérobent, on les pousse et les excite avec les fers rouges. La foule réclame : « Les fers, les fers ! » Ainsi procédait le public d’Orange devant Léautaud stupéfait. Cette façon de protester contre les retards et la durée d’un entr’acte ne manque pas de pittoresque ; mais elle semblerait inapplicable à Paris. Elle parut même un peu brutale à Léautaud qui trouvait que les spectateurs ne mettaient pas de gants pour protester.
Et peut-être l’auteur de la Fille de Roland forçait-il un peu la note. J’ai trouvé pour ma part plus recueilli et plus respectueux le public des fêtes d’Orange.

Annonce du « Courrier des théâtres » du Gil Blas du dix septembre 1882 (haut de la dernière page)
Qui s’intéresse aux souffleurs de l’époque pourra aussi lire avec profit l’article de Santillane en une du Gil Blas du douze novembre 1900.
Notes
1 Jules Claretie, Brichanteau, comédien, Charpentier-Fasquelle 1896, 381 pages.
2 Jean-François Raffaëlli (1850-1924), peintre naturaliste et sculpteur.
3 Allusion vraisemblable à Louis Leloir (1860-1909, à 49 ans), acteur de la Comédie-Française et du Gymnase et auteur dramatique.
4 Edmond Got a publié un volume de souvenirs chez Ollendorff en 1880 dans lequel on trouve « La Comédie-Française à Londres (1871-1879 », son « Journal inédit » et le « Journal de Francisque Sarcey ».
5 Ce rideau de fer est un coupe-feu empêchant un incendie de se propager de la scène à la salle et vice-versa.
6 Charles Thiron (1830-1891) a remporté un premier prix du Conservatoire en 1848. Il est engagé par Rachel, avec qui il part pour trois ans de tournée à l’étranger. Charles Thiron entre ensuite à la Comédie-Française en 1852 avant de la quitter en 1867 pour une saison sur les boulevards puis d’y revenir l’année suivante. Il sera nommé sociétaire en 1872. Cette anecdote de l’ivresse de Charles Thiron sera souvent donnée par Firmin, ce que lui reprochera Jules Claretie mais la notice de Charles Thiron sur le site web de la Comédie-Française indique : « Son esprit caustique, sa gaieté et son penchant pour la dive bouteille sont célèbres autant que son aisance et son talent. »
En 1889, atteint par une paralysie, il doit quitter la scène. Il meurt en 1891.
7 Henri Meilhac et Ludovic Halévy, L’Été de la Saint-Martin, comédie en un acte à quatre personnages (Comédie-Française, deux juillet 1873). Il ne s’agit pas de la création, à laquelle Blanche Baretta n’a pas participé.
8 L’Ami Fritz est d’abord un roman écrit par Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, dits Erckmann-Chatrian. Le roman a ensuite été adapté pour le théâtre par ses deux auteurs. La pièce, trois actes, a été créée à la Comédie-Française en décembre 1876.
9 Alexandre Dumas (fils), L’Étrangère, comédie en cinq actes (Théâtre-Français, février 1876).
10 Le dernier rôle de Sarah Bernhardt à la Comédie-Française a été dans L’Aventurière, d’Émile Augier, en 1880.
11 Sarah Bernhardt a quitté le Conservatoire en 1862.
12 Ce théâtre se trouvait au 22 rue de la Tour d’Auvergne, pas très loin de la rue des Martyrs. Il a fonctionné de 1840 à 1882.
13 Francisque Sarcey (1827-1899), critique dramatique célèbre en même temps que très académique. Introduit par Edmond About, il a donné son premier article dans Le Figaro en 1857. En 1860, il devient critique dramatique au journal L’Opinion nationale. En 1867, il entre au Temps, où il tiendra son feuilleton pendant 32 ans, tout en collaborant à d’autres journaux.
14 François-Antoine Harel, Maurice Alhoy et Auguste Jal, Dictionnaire théâtral ou Douze-cent-trois vérités sur les directeurs, les régisseurs, les acteurs [etc.], chez Jean-Nicolas Barba, libraire. Édition de 1825 (page 280, après le supplément de 56 pages).
15 Étienne Arnal (1794-1872).

Étienne Arnal dans les années 1830, d’après une lithographie de Benjamin Roubaud
16 Maurice Donnay, La Douloureuse, comédie en quatre actes créée au théâtre du Vaudeville le douze février dernier, avec Réjane, Henry Mayer et André Calmettes.
17 Giovanni Paloschi, auteur italien mort en 1892, auteur d’un Annuaire musical historique, chronologique et universel publié l’an dernier chez Ricordi, où il était employé. Cet ouvrage supporte parfois le nom d’Éphémérides.
18 Vincenzo Fioravanti, Il Ritorno di columella da Padova, mélodrame bouffe en trois actes de 1842.
19 Ce « manteau d’Arlequin », fait de deux portants verticaux et d’une frise horizontale, est, juste avant le rideau, le cadre de scène.
20 Claude-Joseph Dorat (1734-1780), auteur dramatique.
21 Les Plaideurs est l’unique comédie de Jean Racine, créée à l’hôtel de Bourgogne en 1668.
22 Cette anecdote se trouve, avec d’autres, à l’entrée « Mémoire », page 513 du Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre d’Arthur Pougin paru chez Firmin Didot en 1885.
23 Jules Claretie (1840-1913), romancier, auteur et critique dramatique, historien et chroniqueur de la vie parisienne est surtout connu pour avoir été administrateur général de la Comédie-Française de 1895 à sa mort en décembre 1913. Jules Claretie a été élu à l’Académie française en 1888. En tant que chroniqueur on connaît surtout « La Vie à Paris », chroniques hebdomadaires parues dans le journal Le temps de 1880 à 1910 et réunies en plus de trente volumes sous ce titre.
24 Ces italiques de Jules Claretie proviennent du contexte de l’article et de la phrase précédente qui se terminait par « et tout prend aujourd’hui une importance capitale, devient sujet à interview. »
25 Eugène Provost (1836-1885), « lauréat du Conservatoire en 1859 » selon sa notice de la Comédie-Française, qui précise : « Malgré l’insuffisance de ses moyens (il n’a “ni taille ni voix”), il est nommé sociétaire en 1865, peu avant la mort de son père à qui il doit cette nomination pour le moins prématurée. Admis pour jouer les seconds comiques, il aurait pu faire sans doute une carrière honnête s’il n’avait été en butte à l’hostilité de la troupe et d’une partie de la critique. Il finit par donner sa démission en 1869. On le retrouve ensuite à l’Odéon (1872), puis aux Bouffes. Il abandonne le théâtre pour se consacrer à sa passion : collectionner les estampes. »
26 Jean-Baptiste Provost (1798-1865), a obtenu le second prix de tragédie à sa sortie du Conservatoire en 1818 avant d’être engagé à l’Odéon comme jeune premier. Son physique sévère le condamne aux traîtres et aux confidents. Jean-Baptiste Provost est considéré comme travailleur consciencieux, ce qui lui permettra d’accéder aux plus grands emplois et à de nombreuses créations. Professeur au Conservatoire en 1836, il a formé Pierre-François Beauvallet, Pierre Berton, Edmond Got, Louis-Arsène Delaunay, Charles Thiron, Sarah Bernhardt…
27 Jules Janin (1804-1874), journaliste, romancier et critique dramatique au Journal des débats. Jules Janin a précédé Jules Claretie à l’Académie française ; en 1870. Journal de Paul Léautaud au 30 juin 1914 : « J’étais né pour être chroniqueur, un critique du genre de Jules Janin (moins le savoir, il est vrai). »
28 Ad augusta / per angusta (Vers les sommets par des chemins étroits) est le mot de passe des conjurés (acte IV, sc. 3) : 2e conjuré : Qui vive ? — 1er conjuré (portant une torche allumée) : Ad augusta. — 2e conjuré : Per angusta. 1er conjuré : Les saints nous protègent ! »
29 Allusion à Jean-François Regnard (1655-1709), parfois considéré comme le continuateur de Molière, qui était son ainé de 43 ans. Jean-François Regnard est surtout connu pour sa comédie en cinq actes Le Légataire universel (1708).
30 Il s’agit de Lisette, servante de Géronte dans Le Légataire universel (Comédie-Française 1708), de Jean-François Regnard. Crispin est le valet d’Éraste, amoureux de Lisette, dans cette même pièce.
31 À partir de la fin du XVIIIe siècle, dans certaines troupes, comédien chargé pendant une semaine de veiller au bon déroulement de la représentation des pièces, et de consigner ses remarques la concernant. La fonction de semainier existe encore à la Comédie-Française. (Dictionnaire de l’Académie française).
32 Les Effrontés, comédie en cinq actes d’Émile Augier (janvier 1861).
33 Mademoiselle de La Seiglière a d’abord été un roman de Jules Sandeau (Michel Lévy, 1847). L’auteur a adapté son roman au théâtre en 1851 dans une comédie en quatre actes créée à la Comédie-Française en novembre 1851.
34 Jules Claretie cite de mémoire la fin du Malade imaginaire (troisième intermède), le texte de Bachelierus : Clysterium donare, / Postea seignare, / Ensuitta purgare. (Molière, Œuvres complètes, Pléiade tome II, page 1174). On peut imaginer que, même souffrant, Charles Thiron la savait par cœur.
35 Alexandre Dumas (fils), Francillon, en trois actes créé à la Comédie Française en janvier 1887.
36 À la suite de sa rupture avec George Sand, Alfred de Musset écrivit, de 1835 à 1837, quatre Nuits (mai, décembre — la plus connue —, août et octobre). « Du temps que j’étais écolier, / Je restais un soir à veiller / Dans notre salle solitaire. / Devant ma table vint s’asseoir / Un pauvre enfant vêtu de noir, / Qui me ressemblait comme un frère. »
37 Henri de Bornier (1825-1901), poète et bibliothécaire à la bibliothèque de l’Arsenal en 1847 avant d’obtenir le titre de conservateur puis administrateur en 1889. Parallèlement à cela, Henri de Bornier a été critique dramatique à La Nouvelle revue. Il a été élu à l’Académie française en 1893. D’Henri de Bornier il ne subsiste plus guère de nos jours que sa Fille de Roland, drame en quatre actes et en vers, qui eut un certain succès sur la scène du Français en février 1875 dont le texte a été publié par Édouard Dentu la même année (106 pages).