Charles-Adolphe Cantacuzène et Paul Léautaud
7 Février [1928]
Annexe I : La chronique des « Poèmes » d’août 1917
Annexe II : Les Nouvelles littéraires du 9 mars 1950
Notes
Page mise en ligne le premier mars 2024. Temps de lecture : 33 minutes, y compris les annexes.
Charles-Adolphe Cantacuzène fait partie des innombrables poètes méconnus, même du web, et c’est pourquoi l’introduction le concernant va être un peu plus longue que celle des autres personnages côtoyés par Paul Léautaud. Le lecteur familier de CAC pourra se rendre directement au chapitre Charles-Adolphe Cantacuzène et Paul Léautaud.
Charles-Adolphe Cantacuzène (1874-1949), homme de lettres roumain et prince, descendant de deux empereurs byzantins. Les origines de la famille remontent au Xe siècle. Après son enfance à Bucarest, C.-A. Cantacuzène a poursuivi ses études secondaires au lycée Louis-Le-Grand (d’autres sources indiquent le collège Sainte-Barbe, davantage conforme au statut social de l’étudiant) avant d’intégrer la faculté de droit et d’occuper divers postes dans des ambassades roumaines, aux Pays-Bas, à Paris et en Belgique.

Il est, jusqu’en 1914, secrétaire de la légation de Roumanie à La Haye puis premier secrétaire et conseiller de la légation à Paris. On le retrouve au même poste à Bruxelles en janvier 1919.
Les légations n’existent plus de nos jours en tant que telles. Elles représentaient des sortes de sous-ambassades. Le secrétaire de la légation en était le responsable, ou un chargé d’affaires, sous l’autorité d’un ministre plénipotentiaire.
La première fois que Charles-Adolphe Cantacuzène est évoqué dans le Mercure l’est dans les « Publications récentes » du premier mai 1900 (page 190) pour indiquer la parution de son recueil de poésies Cinglons les souvenirs et cinglons vers les rêves (Perrin 1900). L’évocation suivante de C.A.C. est sous la plume de Pierre Quillard dans le Mercure d’avril 1901, dans une de ses phrases entortillées qui étaient sa marque de fabrique :
Que par une miraculeuse transfiguration M. Robert de Montesquiou devienne l’écrivain qu’il s’efforça d’être sans y réussir, précieux, impertinent, lyrique, capable de faire renaître dans ses vers les prêtresses antiques, les marquises et les reines et de célébrer les grâces fragiles des Parisiennes polies dans les rues en l’an dix-neuf cent unième, et il s’appellera Charles Adolphe Cantacuzène.
On vous épargne la phrase suivante.
Laissons passer du temps.
Dans Le Figaro, du premier novembre 1923 au sept juin 1931, « Les Alguazils » étaient la signature commune à quelques critiques choisis. Les Alguazils, qui vont toujours par deux, vêtus de noir sur des chevaux idéalement blancs, sont un peu les « Monsieur Loyal », les maîtres de cérémonie des corridas.
Le Figaro du 25 octobre 1926 annonce, dans son « Courrier des Lettres » de la page deux sous la signature de Les Alguazils que « Charles-Adolphe Cantacuzène [met] aussi la main à ses Mémoires fragmentés du conseiller de légation C. Extraits, probablement posthumes. » Cet ouvrage introuvable de nos jours ne figure pas dans la liste des titres de Gallica et est pourtant paru, sans doute à Rotterdam pour la Librairie académique Perrin. La Librairie académique Perrin a été — à de rares exceptions près — l’éditeur régulier de C.-A. Cantacuzène depuis ses Sourires glacés, recueil de poésies de 1896 jusqu’à ses Dernières aurores en 1938.

Cette annonce du Figaro d’octobre 1926 a semblé à beaucoup être la preuve — assez évidente il est vrai — d’une parution en 1926 ou peu après. On peut aussi penser à la période de la première guerre mondiale, sinon pourquoi Perrin aurait-il publié à Rotterdam ? Pour une question de coût ? Argument peu vraisemblable pour un tout petit format de trente pages.
En 1926, Charles-Adolphe Cantacuzène a pu envisager une réédition plus complète de ce minuscule ouvrage au tirage confidentiel.
Pourquoi évoquer ce texte davantage qu’un autre ? Essentiellement parce qu’il est absolument introuvable et que chez leautaud.com nous aimons bien les textes introuvables. Non seulement introuvable mais ignoré. Sur le web, le seul à l’évoquer et même nous offrir les images de la couverture et d’une page est l’éditeur Fabrice Mundzik dans son excellent blog sur J.-H. Rosny. Fabrice Mundzik a bien voulu — fait quasiment unique dans l’histoire de la littérature — expédier cette rareté par la poste afin qu’un scan puisse en être effectué dans la journée. Un fichier PDF identique à l’original est donné en libre téléchargement ci-dessous, avant les notes. Le texte en est assez abscons et mériterait bien des notes. À défaut, un index en a été dressé, qui aidera un peu.
Lors de l’hiver 1918-1919 Charles-Adolphe attrape une mauvaise grippe. Paul Valéry lui écrit :
Pour qui par la grippe alité
Trouverait la saison méchante,
Charles Cantacuzène chante
quelque rose réalité.
Il en trouve sans nul malaise
Jusque dans le Père-Lachaise,
Et cette muse danserait
dans les plus sombres atmosphères…
La mort même n’a de secret
Pour tel subtil chargé d’affaires.
En avril 1919, Charles-Adolphe Cantacuzène perd sa mère, née Missir, épouse de l’ancien président du Sénat roumain (Le Figaro du 24 avril 1919, page trois). En 1924 il est conseiller de légation de Roumanie à Paris et ministre plénipotentiaire.
En 1949, après la seconde guerre mondiale, l’installation du régime communiste en Roumanie provoqua sa déchéance et sa mort. À l’été 1949 il a reçu des autorités nouvelles l’ordre de quitter sa maison au plus vite, avec sa famille. En juillet, cet homme de soixante-quinze ans a loué une chambre meublée. Il s’y est couché pour ne plus se relever. Un mois plus tard, le huit août, il était mort, fidèle à son vers d’Hypotyposes :
et bientôt dans l’oubli tout seul je m’en irai.

Maison de Charles-Adolphe Cantacuzène qui lui venait de la famille de son épouse, née Julietta Missir, fille de Vasile Missir, ancien ministre et président du Sénat pendant la première guerre mondiale, dont il sera brièvement question infra
Sur le plan littéraire Charles-Adolphe Cantacuzène a publié plusieurs volumes de poèmes. Il s’est surtout intéressé à la littérature du XVIIIe siècle et à quelques-uns de ses auteurs, ce qui ne l’a pas empêché d’être proche de Stéphane Mallarmé et de Remy de Gourmont.
Charles-Adolphe Cantacuzène a publié cinq séries de poèmes dans le Mercure de France (revue) entre 1907 et 1939 et, le premier mai 1935, un article : « Sur Maximilien de Lamberg (1729-1792) ».
Dans le Mercure de France de février 1928, en fin de volume, se trouve une page de publicité dans laquelle trois poètes, Remy de Gourmont, Francis Vielé-Griffin et Paul Valéry écrivent sur Charles-Adolphe Cantacuzène qui vient de publier (chez Perrin, évidemment) ses Glyphes elliptiques.
Charles-Adolphe Cantacuzène et Paul Léautaud
La première fois que Charles-Adolphe Cantacuzène apparaît dans le Journal de Paul Léautaud est à l’occasion de l’inhumation de Remy de Gourmont, le premier octobre 1915 à Paris :
J’ai rejoint le cortège boulevard Saint-Germain, à 11 heures et demie, à la hauteur de la rue Saint-Guillaume. Peu de monde. Beaucoup plus à l’église, paraît-il. J’ai fait route avec Paupe1 à mon bras. Derrière nous, Charles-Adolphe Cantacuzène et Royère2, puis Vallette, Herold3 et Marnold4, puis deux ou trois voitures de deuil.
Pendant cette guerre, la chronique des « Poèmes » du Mercure bat de l’aile, on manque d’auteurs. Un peu comme tout le monde, Paul Léautaud s’y colle, pour deux numéros, les premier août et seize septembre 1917. Le seize juillet 1917, il écrit dans son Journal :
J’ai terminé ce soir, à minuit, ma première Chronique de mon intérim des Poèmes au Mercure. J’ai eu bien de la peine à m’y mettre. Voilà presque un an que Vallette attend. J’ai terminé par un éloge de l’excellent Prince Charles-Adolphe Cantacuzène qui va lui être une surprise et un plaisir, tel que je le connais.
On pourra lire la partie de cette chronique réservée à Charles-Adolphe Cantacuzène en annexe I.
Le sept août de cette même année 1917 :
Rencontré le charmant Cantacuzène ce soir, chez Dorbon, rue de Seine5, où j’étais entré pour demander s’il avait les quatre volumes d’Arnault : Souvenirs d’un Sexagénaire6. Parlé de la guerre. Il voit la fin pour cette année. Grande amertume pour le tour affreux joué à la Roumanie par l’Angleterre, la France et la Russie réunies, en la faisant entrer dans la guerre, au moyen de mille promesses dont aucune tenue, bien au contraire.
Le 31 décembre 1920, Paul Léautaud qui n’a rien d’autre à faire — heureux homme — écrit à Charles-Adolphe Cantacuzène :
Cher Monsieur et Ami,
Je raconte dans un prochain Mercure l’histoire d’une femme qui a eu dans sa jeunesse (vers 1856, elle est morte il y a longtemps) pour amant un jeune Roumain, faisant alors ses études à Paris, nommé Cantilli, et devenu, ensuite, paraît-il, ministre dans son pays. Le connaissez-vous comme homme politique, j’entends historiquement, car il est certainement mort aussi ? Y a-t-il le moindre inconvénient à mettre le nom vrai7 ? Je ne fais que le nommer et ce que je raconte n’a rien de scandaleux. J’aime tant les choses vraies, que cela m’ennuie de changer même un nom. Je le ferai pourtant, s’il le faut. Votre avis sans retard, si vous voulez bien, et mille mercis.
Merci aussi pour votre indication catalogue Margraff8. Je me suis précipité et j’ai acheté, enchanté.
Cordialement à vous, avec tous mes vœux les plus empressés.
P. Léautaud
Quatre jours auparavant, Paul Léautaud avait déjà noté dans son Journal :
J’ai écrit hier dimanche ma première Gazette d’hier et d’aujourd’hui pour le Mercure du 15 janvier. C’est l’histoire d’une Mme Cantili9, qu’ont connue les Cayssac, sur des indications que j’avais notées il y a trois ou quatre ans, sinon plus.
Six mois plus tard, le 18 juillet 1921 :
Ce matin, visite de Charles-Adolphe Cantacuzène, de passage à Paris. Il me parle de mes Gazettes du Mercure, qui l’enchantent. Il me dit qu’il n’y a pas un autre écrivain que moi aujourd’hui pour écrire de pareilles choses. Il me dit que je rappelle absolument Restif de la Bretonne10. Je lui réponds que je ne l’ai jamais lu. Il ne doit pas le croire. C’est pourtant la vérité. On m’a souvent dit de lire Monsieur Nicolas ou La Vie de mon Père. Je n’y ai jamais pensé. Je ne connais de Restif qu’un volume un peu ennuyeux : Mes Inscriptions11.
Le 29 avril 1922, Paul Léautaud note un fragment d’une lettre de Charles-Adolphe Cantacuzène adressée à Alfred Vallette :
« … Tous mes plus violents bonjours à Léautaud (on me disait à l’ambassade de France (à Bruxelles) qu’il n’est plus au Mercure12. Je crois que cela est d’une optique diplomatique, entre nous) à Léautaud, cet Hermès trismégiste13 du Mercure.
Dans son numéro de mai 1926, la luxueuse revue mensuelle de Crès Vient de paraître, publie un article d’André Rouveyre sur Paul Léautaud. Nous ne savons presque rien de cette revue et rien de ce texte sinon que Paul Léautaud en a été satisfait et qu’il finit par une épitaphe (Journal littéraire au 22 mai). Le 21 juin, Paul Léautaud écrit :
Cantacuzène a dû lire quelque part l’épitaphe que Rouveyre a mise à la fin de son article dans Vient de paraître. J’ai reçu de lui ce matin celle-ci :
Contre-Épitaphe
Cy dort Léautaud à peu près
Il n’aima de chiens que les vrais.
Mardi 7 Février [1928]
Ce matin, arrivée inattendue de Cantacuzène, ravi de se trouver à Paris. Je lui demande comment il se fait qu’il ait pu s’échapper. Il me dit qu’il a fait des économies, que son beau-père, qui a 85 ans et qui passe ses nuits dans les tripots, a consenti à lui faire un prêt. Il est à l’hôtel Régina14, avec sa femme et sa fille15. En bavardant, je lui parle des jolies choses qui ont l’air de se passer en Roumanie. Il me répond qu’il n’y a rien de vrai. Bon diplomate. Pas moyen de le faire parler. Il m’invite à déjeuner pour un de ces jours, il me préviendra la veille. Il parle de prendre sa retraite dans trois ou quatre ans, vivre à Paris ou à Vienne. Selon lui, il n’y a que ces deux villes d’acceptables.
En effet, le jeudi seize février :
Déjeuné avec Cantacuzène. Peu d’agrément pour moi. Lui si élégant, si cossu, moi avec mes vêtements si usés. De plus, l’ennui d’avoir à parler sans avoir rien à dire. Enfin ! Je lui ai dit qu’il me faut être au Mercure à 2 heures. Il est venu me prendre dans mon bureau à midi et demie. Cela n’a pas été trop long.
Il est la politesse, la courtoisie, les plus grandes prévenances, d’une façon accomplie.
Déjeuné à la Taverne du Panthéon16. En chemin, je lui demande des nouvelles de sa fille, l’âge qu’elle a aujourd’hui. Il me dit : « Elle a 14 ans. Elle a une bibliothèque de 800 volumes. Elle a déjà lu tout Voltaire. Elle tient un Journal. Et figurez-vous, mon cher, ce que j’ai vu l’autre jour. Vous allez voir si c’est délicieux. Elle écrivait. Je vois ce titre : Notes subites. — Eh ! bien, mon cher, lui ai-je dit, elle tient de vous. C’est bien votre fille. La même fantaisie charmante. » Et le fait est que l’expression est délicieuse : Notes subites. C’est Ligne rejoint à travers Cantacuzène17.
Cantacuzène n’aime que la littérature. Il a dans ce sens l’esprit un peu puéril. Cela lui fait encore de l’effet, après quelque chose comme vingt ans, d’avoir eu une fois son nom cité dans un article par Gaston Deschamps18. Il évoque cela comme un événement de sa vie.
J’ai encore essayé de le faire parler sur ce qui se passe en Roumanie. Rien à faire. Je lui parle de la reine Marie19, encore si jolie, et qui a fait tant parler par ses aventures. Je lui dis que son fils, le Prince Carol20, a l’air de tenir d’elle. Je lui parle du petit livre qu’on a publié récemment sur lui. Il me dit : « Ah ! vous avez lu cela ? » avec un air de mépris. Il ajoute : « Carol dit : Ma mère est une putain. Je la ferai enfermer dans un couvent quand je rentrerai21. »
Il me dit aussi de la reine Marie : « Quand elle a su que j’allais épouser ma femme, elle a dit : Comment ! elle ? Elle épouse ce fou ! » Ce qui donne à penser que sa femme doit être à la fois fort jolie et d’une certaine famille.
Il me parle de son voyage pour venir à Paris, 48 heures dans l’Orient-Express, sans avoir à changer. Il parle des Hongrois, charmants (à des arrêts en Hongrie, sans doute). « Dieu sait s’ils nous détestent, pourtant ! » (les Roumains). Il me dit que la Roumanie est entourée d’ennemis. D’un côté, la Russie, pour la possession de la Bessarabie. D’un autre, la Bulgarie, à cause de la Transylvanie. Puis les Hongrois, et les Serbes. Je lui dis : « Vous paierez cela cher, un jour. — Pas tout de suite. Mais dans huit ou dix ans. Et cette fois, les Américains ne se dérangeront pas. » Il entend sans doute que ce sera une nouvelle guerre européenne.
Il a toujours les mêmes opinions sur la grande guerre. Il est convaincu que l’Allemagne ne voulait pas la guerre. Il parle toujours de Poincaré22 comme d’un homme néfaste.
Pour lui, la mort du ministre Bratiano23 (il y a quelques semaines) est une chose mystérieuse.
Sa fonction là-bas est quelque chose comme une direction, une surveillance du personnel. Il dit que cela l’assomme. Il ferme les yeux. « On ne peut pas obliger des hommes de 50 ans, de soixante ans, à être à l’heure, rigoureusement. »
Il me parle de Valéry. Il est allé pour le voir. Valéry est en Belgique. Ayant appris sa visite, il lui a écrit qu’il le verra à son retour.
Il a été voir Vielé-Griffin. Il me dit ce qui suit, sous le sceau du secret, pour ainsi dire, et que Vielé-Griffin lui a dit : « Un peu après la guerre, Valéry est venu voir Vielé-Griffin et lui a dit : J’ai une fille. J’ai besoin de gagner de l’argent. Je vais me remettre à faire des vers. » Cela lui paraît assez joli et bien une idée de poète, cette idée de gagner de l’argent avec des vers, et le fait est, en effet, que c’est un joli mot.
Il m’a un peu gêné par ses compliments, me comparant à la fois à Rétif de la Bretonne et à Stendhal.
Au café, il a sorti de sa poche un petit volume acquis tout exprès pour moi, une petite rareté : Les Conversation du jour de l’An chez Madame du Deffand il y a un siècle24 par Poulet-Malassis25, avec un joli fac-similé de la reliure Aux Chats26 d’un volume de Mme du Deffand (Les Considérations sur les Mœurs, de Duclos), sur lequel petit volume il a griffonné avec son stylographe je ne sais quoi d’assez illisible et bizarre, et signé. On n’est pas plus charmant, on ne peut pas avoir de plus jolies attentions.
Il voudrait publier un petit volume de pensées, disant qu’il a assez de faire le poète. Il m’a demandé avis, conseils, sur le moyen de publier cela. Puis la conversation a suivi sans que j’aie eu à répondre.
Il m’a raccompagné jusqu’à la porte du Mercure. En sortant de la Taverne, au moment de traverser le boulevard Saint-Michel, précautions à prendre pour les automobiles. Il m’a dit : « C’est la même chose à Bucarest. Moi, je ne prends jamais d’autos. J’aime bien mieux me payer quelques annonces dans le Mercure. (Il s’offre cinq ou six pages chaque année, on lui fait par faveur le prix d’avant-guerre.) Sans cela, je ne pourrais pas. »
Je suis rentré au Mercure, puis je suis ressorti sur la porte, pour le regarder remonter la rue de Condé vers la rue de Vaugirard. Il a la marche un peu lourde, appuyée, saccadée, comme un futur paralytique général, et il n’a que 54 ans. À déjeuner, il m’a reparlé de son intention de prendre sa retraite dans trois ou quatre ans.
Il ne trouve pas que Paris a changé, si ce n’est la trouée du boulevard Haussmann. Ce qu’il trouve de nouveau, c’est la disparition de la politesse, les gens vous écartant du coude sur les trottoirs pour passer. Le fait est que cela doit lui être sensible, lui qui l’autre matin, au Mercure, en me quittant, s’inclinait devant le petit commis Paulo et les deux femmes des abonnements comme devant des personnages.
Jean de Gourmont (le frère de Remy) est malade (il va mourir dans trois jours) et Charles-Adolphe Cantacuzène vient à son chevet avant de se rendre à ses obsèques le 22 février à Saint-Germain-des-Prés. Ce 22 février Paul Léautaud décrit la cérémonie et surtout les participants.
Cantacuzène, très touché par la mort de Gourmont. Jeudi dernier, après notre déjeuner, il était allé le voir et était resté deux heures à bavarder avec lui.
Un mois plus tard, le 19 mars, la revue bimestrielle du très dynamique Jean Royère Le Manuscrit autographe, fondée en janvier 1926, organise un banquet en l’honneur de Charles-Adolphe Cantacuzène. Ce banquet s’est tenu au restaurant Jean-Goujon, au huit rue Jean-Goujon à partir de 19 heures trente. Il a fallu s’inscrire auprès de Jean Royère, 33, rue Franklin avant le quinze mars27 En voici le compte-rendu, paru dans le Mercure du quinze avril 1928, page 505 :

Début 1929, Passe-Temps est terminé. Le trois janvier, le bon à tirer est envoyé à l’imprimerie. Le 26 février, Paul Léautaud note :
Tantôt, un mot charmant de Cantacuzène. En trois lignes il résume l’essentiel de l’esprit de Passe-Temps. Très amusé par le mot sur Hermant et l’Académie, que peu de lecteurs comprendront, il a raison.
Voici le « mot » de Passe-Temps sur Abel Hermant28, qui est une allusion à son homosexualité :
L’Académie française a reçu M. Abel Hermant dans son sein. Voilà qui va bien le changer.
Le huit janvier 1931, Paul Léautaud répond aux vœux de Charles-Adolphe Cantacuzène :
Cher Monsieur et Ami,
Paris, la rue de Condé et le Mercure et votre serviteur sont toujours les mêmes. Votre petite carte, au commencement d’une année de plus, m’a fait plaisir. Qu’est-ce qui ne me fait pas plaisir, venant de votre part ? Votre personne, comme vos écrits sont la grâce et l’élégance elles-mêmes. Vous voici à la retraite. Cela donne envie de fredonner le couplet : Tircis…29 Vous allez peut-être pouvoir bouger ? Vous l’allez même certainement pouvoir, puisque vous me parlez de votre passage par ici. Tout le Mercure aura grand plaisir à vous voir.
Je fais toutes mes amitiés et mille vœux pour votre contentement mil neuf cent trente et uniesque30.
P. Léautaud
L’année suivante (1932), Paul Léautaud a sans doute encore reçu les veux de Charles-Adolphe Cantacuzène. Le quatre janvier il note :
Tout ce qu’écrit Charles-Adolphe Cantacuzène, le poète-diplomate roumain, que ce soient ses vers, ses petites proses, ses lettres, même quelques simples mots sur une carte, a quelque chose de gracieux, de « trouvé », de tout à fait charmant. Il y a quelques semaines, il m’a écrit pour me demander d’appuyer un envoi de trois sonnets qu’il voulait faire pour le Mercure. Je parle à Vallette, à Dumur. La chose est entendue. J’écris à Cantacuzène d’envoyer ses sonnets. On les envoie à la composition, on lui adresse des épreuves. Je les ai reçues de lui, aujourd’hui, avec un griffonnage sur une carte qui est tout à fait délicieux de grâce et de moquerie de soi-même. Je le garde ici. Il le mérite bien.
« Je les garde ici » mais rien n’est donné dans l’édition papier. Il s’agit des Trois poèmes parisiens parus dans le Mercure du premier février 1932, pages 592-593.
L’année suivante (1933), le cinq février :
J’ai fait des compliments ce matin à Cantacuzène, pour sa notice aux Plus belles pages du Prince de Ligne31. Parfaite, en effet. Il m’a dit : « Je n’ai pas voulu la “travailler”. Je l’ai laissée telle que je l’ai écrite. J’ai horreur du “travail”. Je trouve cela bas. » Excellent précepte. Écrire, c’est le plaisir, le laisser-aller. On donne ce qu’on peut. Cela vaut ? Cela ne vaut pas ? On est comme cela. « Travailler » ce n’est plus alors qu’une besogne.
Puis le douze mars :
Charles-Adolphe Cantacuzène a acheté, chez un antiquaire, probablement, deux appliques, en cuivre doré, fondues et ciselées, je ne sais trop, toutes deux pareilles, une pour lui et une pour moi, qu’il m’a donnée tantôt. Cela peut se mettre, m’a-t-il dit, à une table, à un mur. Il mettra la sienne sur son casier à livres. J’ai accroché la mienne ce soir au mur contre lequel se trouve mon bureau, entre l’aquarelle libertine de Constantin Guys32 et la photographie du « Fléau ».
Trois jours plus tard, le quinze mars :
Cantacuzène a fini hier son service de son volume des Plus belles pages du Prince de Ligne33. Même ton délicieux, exquis dans ses envois. Encore le regret de n’en avoir pas pris copie. Cela aurait fait un petit volume charmant, et qui est perdu, car il écrivait chacun de ces envois comme une lettre, sans préparation.
J’ai oublié de noter un trait de lui. Il vient passer quelques jours à Paris, tous les six ou sept ans, quand il a fait les économies nécessaires. C’est pour lui un enchantement. Il refait visite, en esprit, à tous les gens qu’il y a connus, ou qu’il admire. Il va ainsi, chaque fois, faire une petite pose ; rue de Rome, devant la maison dans laquelle a vécu Mallarmé. Quelle fraîcheur de sentiments, quelle jeunesse conservée cela indique, quel culte toujours vivace pour tout ce qui fut sa jeunesse, et combien cela le rend sympathique. Je racontais cela tantôt à Vallette. Ce trait l’a ravi et il l’a apprécié comme moi. Il a fait cette remarque, fort juste, et prise dans le meilleur sens, que Cantacuzène est resté très jeune (physiquement et spirituellement).
Un petit côté comique. Cantacuzène, quand il m’a raconté, il y a quelques jours, sa petite visite rue de Rome : « C’est embêtant. Figurez-vous que j’ai été dérangé par un individu qui m’a demandé la charité. J’étais là dans mes souvenirs… Il m’a tout gâché. »

Le 89 rue de Rome (pas l’immeuble d’angle mais le suivant à gauche avec la boutique verte) et les voies de la gare Saint-Lazare en contrebas
Le « jeudi premier mai » de 1936 n’a pas existé. Le premier mai, à cette époque, n’était pas férié et il peut donc autant s’agir du mercredi premier mai que du jeudi 2 mai. La chose n’a pas d’importance mais à cette date nous lisons dans le Journal, particulier :
Après dîner, lisant l’article de Cantacuzène sur 34 dans le dernier Mercure, il me vient soudain à l’esprit la teneur d’une réponse à lui faire, que j’écris en cinq minutes, persifleuse, libertine, qui me ravit. Je suis parti aussitôt la passer sous sa porte35.
Dans le Journal particulier encore, à la date du dernier dimanche de décembre 1937. Marie Dormoy est près de Paul Léautaud à Fontenay :
J’ai, sur un bord de mon casier à livres, une carte postale (dessinée) que m’a envoyée un jour Cantacuzène : la maison de […]. Elle l’a prise pour la regarder. Cette maison appartenait à un garçon qu’on voulait lui faire épouser à une certaine époque, et qui avait quatorze millions ; mariage auquel elle s’est refusée. Elle m’a déjà raconté cela ! Quatorze millions !
Et le 29 janvier suivant (1937) :
Il est curieux comme la plupart des gens qui écrivent ont le souci, le désir, que quelque chose leur survive. Ce matin, une carte de Charles-Adolphe Cantacuzène, au sujet du volume des plus belles pages de Sénac de Meilhan36 qu’il a en préparation au Mercure. Au cours de cette carte, ce passage : « À propos, ayez soin, au soir de la vie, de sauver, dans un volume, le sonnet et le petit article sur moi de Remy de Gourmont : je fais allusion à un prochain Gourmont. » Probablement entend-il un nouveau morceau de mon Journal sur Gourmont.
Puis c’est la guerre. Les frivolités s’envolent et chacun reste chez soi. Il faut attendre la Libération, et même après, pour avoir des nouvelles. C’est le cas ce 18 septembre 1947 :
Ce matin, carte postale de Charles-Adolphe Cantacuzène et grand plaisir à avoir des nouvelles de cet homme charmant, de manières et de propos délicieux, un succédané, dans son genre, du prince de Ligne, duquel il a fait, en diplomate et en poète, un choix des Plus belles pages au Mercure. Il doute qu’il y ait encore des chances de nous revoir. « Plus on gagne en vitesse, plus le but recule. » Il me dit qu’il a « amassé » (probablement pendant les années de guerre et d’occupation de la Roumanie par les Allemands), « 37 épigrammes qui périront sur mon bûcher ». Voilà un « résistant » de marque et pas banal, et qui mérite estime. A-t-il tenté pour ces épigrammes une démarche au Mercure ? Il écrit aussi : « Pas de Mercure qui les publie38 et qui les sauve. » Je l’ai déjà noté dans un passage le concernant : il a cette faiblesse d’avoir un grand souci de la postérité.
Le six décembre 1948, Paul Léautaud, 76 ans, se prend un gros coup de cafard. À cette date du Journal littéraire restée célèbre, il déroule une série de « qu’est devenu… » que voit défiler le lecteur comme le salut à la fin d’une pièce de théâtre. Les noms fleurissent son journal avec parfois des bonheurs divers. « Qu’est devenu le baron Mollet… Émile Magne, Jean Poueigh, Jacques Dyssord, Jane Catulle Mendès… et…
Qu’est devenu dans son 22, rue Berthelot, à Bucarest39, Charles-Adolphe Cantacuzène, prince, s’il vous plaît, diplomate, et disciple et quelque peu imitateur du prince de Ligne ? Qu’est-il devenu, le pauvre, dans sa Roumanie soviétisée ?
Puis le quinze mars 1949 :
J’ai envoyé aujourd’hui à Charles-Adolphe Cantacuzène, à Bucarest (en me gardant bien de mettre dans l’adresse sa qualité de prince), la carte postale suivante :
« Cher ami, je ne vous oublie pas. Je pense souvent à vous. J’ai toujours vos plaquettes, les petites curiosités littéraires que vous m’avez offertes si amicalement, votre Prince de Ligne dans la collection des « Plus belles Pages ». Je les retrouve de temps en temps quand je fouille dans mes livres et ils me rappellent le passé. J’espère que votre santé est toujours bonne. Mon souvenir fidèle et très cordial. »
Six mois plus tard, le sept septembre de cette même année 1949, Paul Léautaud écrit à un certain I. C. Ivanidu, dont nous ne savons rien, peut-être secrétaire de Juliette Cantacuzène :
Monsieur,
En retirant, il y a quelques minutes, de ma boîte à courrier, votre lettre, à la seule vue de sa provenance, et avant de l’avoir ouverte, j’ai su par une sorte de pressentiment ce qu’elle m’apportait : la nouvelle de la mort de Charles-Adolphe Cantacuzène. C’est un ami de longue date que je perds, cette fois-ci pour toujours, après l’avoir d’abord perdu, par l’effet de tant d’événements. Et pas seulement un ami, mais un camarade, tant il était simple, naturel, cordial dans ses propos et dans ses manières, et en même temps une grande communauté de goûts, d’opinions, de culture littéraire. Sa visite nous enchantait tous, quand, de passage à Paris, il montait passer un moment au Mercure.
Et voyez les rapprochements du hasard. Je viens de passer deux semaines à mettre de l’ordre dans mes dossiers de papiers : articles, manuscrits, correspondances. J’ai retrouvé de très nombreuses lettres de Cantacuzène, souvent simples cartes de visite, dans lesquelles se montrait son charmant esprit, moqueur, piquant, primesautier, par quelques petits vers, quelques petits distiques ou épigrammes, un peu précieux quelquefois — il n’avait pas pour rien sa grande admiration pour le Prince de Ligne — et tout cela à la parfaite ressemblance de l’homme qu’il était. Et tout cela retrouvé, j’en ai fait aussitôt une liasse à part, me disant qu’il m’arriverait peut-être de le revoir et que nous pourrions examiner la possibilité d’en faire un petit recueil, à ajouter aux nombreuses plaquettes que j’ai de lui.
Son personnage est resté si présent dans ma mémoire, que je le revois, dans ses visites au Mercure, se dandinant, riant de la bouche et des yeux, le dessin de ses lèvres quand il parlait, avec son léger zozotement, virevoltant sur place quand il avait dit une chose drôle. Absolument comme si je l’avais encore devant moi.
Le cher ami est mort, me dites-vous, dans la plénitude de toutes ses facultés et sans souffrance. Je dis : tant mieux, pour le sans souffrance. Mais : dans la plénitude de toutes ses facultés ? Je m’interroge ? Ce doit être un dur moment.
Faites part, je vous prie, à la Princesse, en la priant d’agréer mes plus respectueux hommages, de mon grand, et vif, et très sincère regret. Surtout, remerciez-la, pour moi, de la pensée qu’elle a eue de me faire informer par vous de la mort de son mari. Il y a là de sa part, un soin, une attention, un souvenir dont je suis extrêmement touché. Enfin, vous-même, Monsieur, soyez remercié pour la peine que vous avez bien voulu prendre de m’écrire et agréez l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Nous ne lirons plus rien de Charles-Adolphe Cantacuzène dans le Journal de Paul Léautaud.
Annexe I : La chronique des « Poèmes » d’août 1917
Voici le passage sur Charles-Adolphe Cantacuzène, suffisamment attendu pour paraître en ouverture de la « Revue de la quinzaine », à partir de la page 498. Après avoir traité de La jeune parque de son ami Paul Valéry, de François Porché, d’Henry Bataille et de quelques autres, Paul Léautaud écrit :
Évidemment, tous les ouvrages dont je viens de parler ont des mérites. Au moins ceux que je me suis permis de leur reconnaître. Eh bien, je les donne tous pour celui-ci : Hypotyposes40, par M. Charles-Adolphe Cantacuzène. Un livre charmant, tendre, gracieux, spirituel, une œuvre fort originale, qui plus est, et celle d’un vrai poète, chez qui le sourire atténue l’émotion, la nuance, y met plus de douceur, et ce je ne sais quoi qui fut la gloire et l’attrait des lettres françaises et qui n’est plus de nos jours qu’un souvenir, même fort oublié. M. Charles-Adolphe Cantacuzène a grandement raison d’évoquer à plusieurs, reprises, dans son livre, la mémoire du Prince de Ligne41. Moi qui ai lu Hypotyposes sans en sauter une ligne, qui ai entrevu, à deux ou trois reprises son auteur, homme simple, charmant, à la fois réservé et cordial, je sais qu’il n’y a, dans ces rappels répétés du Feld-Maréchal, aucune affectation. Je dirai plus : par son esprit, sa légèreté, sa grâce railleuse, M. Charles-Adolphe Cantacuzène offre plus d’une ressemblance avec le malicieux écrivain, le dandy épicurien et cosmopolite, le grand seigneur toujours riant et se moquant, qui nous a laissé tant de pages piquantes, exquises, écrites comme en se jouant, soit qu’il fit son portrait diurne et nocturne, qu’il nous racontât ses conversations avec Jean-Jacques ou ses visites à Voltaire, qu’il nous parlât de la guerre, des femmes et de l’amour, ou qu’il nous peignît quelques-uns des personnages de son entourage ou de ses connaissances. On pourra, lire dans Hypolyposes, pour juger de cette parenté spirituelle, les pages que M. Charles-Adolphe Cantacuzène a intercalées entre ses poèmes, et qui sont intitulées : Digression sur la gloire, Extrait de je ne sais quoi, Projet de notice sur un Rivarol que j’ai trouvé, Dépouillement lyrique de mon cabinet, Philosophie d’un passager du XIXe au XXe siècle. On verra si cela n’est pas de la meilleure grâce, finement et justement senti et exprimé, et plein de séduction. À côté de nos livres d’aujourd’hui, si lourds, si bêtes, si prétentieux, toujours occupés de nous enseigner quelque chose, et qui semblent écrits par des manœuvres pleurards ou professoraux, de telles pages, écrites sans importance et qui n’en valent pas moins, sont un heureux délassement. Ici, cependant, le poète seul, chez M. Charles-Adolphe Cantacuzène, doit m’occuper. Je ne lui retirerai, pour cela, aucune des qualités que je viens de lui reconnaître. Qu’il écrive en prose ou en vers, elles lui demeurent, et ce sont encore elles qui donnent à ses vers leur charme et leur originalité. Il a de plus ce grand mérite, ce mérite si rare, d’être bref à merveille, et croyez-moi, son laconisme n’en dit pas moins, en dit souvent plus que beaucoup de pièces interminables de beaucoup de poètes. En voulez-vous quelques exemples ? Voici un Poème :
Monotonie étrange et rapide des jours !
Ô jours qui deviendrez, dans mon hiver, trop courts !
Et ceci, comme madrigal À une dame :
Chaque an, Madame, tu te rajeunis d’un an,
Et tu vas à rebours rejoindre le néant.
Et encore ce distique :
Poison ne donne mort, que pris à faible dose.
Médiocre talent donne la gloire rose.
Ce n’est d’ailleurs, ici, qu’une face du talent de M. Charles-Adolphe Cantacuzène. Ne croyez pas, sur ces exemples, qu’il soit dénué d’élégie, qu’il soit sans mélancolie et sans tendresse, qu’il n’y ait rien en lui de cette rêverie et de cette émotion sans lesquelles il n’est pas de vraie poésie. Dirais-je, sans cela, qu’il est un poète ? Mais cette élégie, cette mélancolie, cette tendresse, cette rêverie, cette émotion, chez lui sont comme adoucies, comme voilées par l’esprit qui les surmonte, qui se joue d’elles et en sourit, à la fois par intelligence, par pudeur et par élégance. Je vous citerai, en témoignage, ce Sonnet :
Mon destin qui vogua, très sincère et loyal,
à travers le dédale ancien des aventures,
dans un parfum exquis, romanesque et brutal,
se repose aujourd’hui dans les choses futures.
Il attend sans frisson dans le repos final,
malgré la molle horreur sans fin des pourritures,
quelque métempsychose, ou quelque sidéral
passage en des lieux d’or et de visions pures.
Quant à ces pauvres vers que dans mes pauvres ans
je fis sans avoir ni maîtres ni partisans,
qu’ils trouvent dans l’oubli sépultures heureuses.
L’ambre faux dure plus hélas que l’ambre vrai ;
mes œuvres deviendront, tôt, des feuilles cendreuses ;
et bientôt dans l’oubli tout seul je m’en irai.
Je vous ferai lire également le sonnet qui suit. J’aime beaucoup les bêtes. Elles me consolent des gens d’esprit, qui sont si rares à notre époque. M. Charles-Adolphe Cantacuzène a pour compagnon de ses rêveries un brave bonhomme de petit chien. Il n’a pas craint, que dis-je ! il a eu l’équitable tendresse de l’honorer d’un sonnet. Ce genre de littérature est extrêmement difficile. On s’égare souvent dans le lyrisme, ou l’on tombe dans la niaiserie. Vous allez voir quelle chose charmante, aimante, souriante, M. Charles-Adolphe Cantacuzène, lui, a su écrire là :
Ô petit chien solide aux longs poils non lissés,
pas si petit vraiment ! Argent, or et lumière ;
Charley, le mien Charley, la fleur des écossais,
chien rencontré soudain un jour, bien en arrière.
Bête spirituelle aux regards insensés,
comme tu sais tourner ta tête singulière
de côté, de guingois ; — et que de jours passés,
où tu faisais le beau vers l’heure sucrière42 !
Les jours ont coulé sur ta moustache, si longs ;
sur tes beaux poils, ô chien, démesurément blonds,
qui t’inondent les yeux de leur tamis de lune.
Et longtemps, ô bouffon, nous avons de travers,
toi de tes aboîments, et, moi, moi de mes vers,
nous avons noblement égayé la fortune.
Et maintenant, je peux bien vous le dire : c’est à dessein que j’ai ainsi gardé pour la fin de ma chronique l’ouvrage de M. Charles-Adolphe Cantacuzène. Si j’avais commencé par lui, avec le plaisir que j’ai eu à le lire, je n’aurais pas pu parler d’autre chose.
Annexe II : Les Nouvelles littéraires du 9 mars 1950
Le neuf mars 1950 dans Les Nouvelles littéraires, le poète Ernest de Ganay43 donnait cet article d’hommage :
Un prince roumain et un écrivain français
Par Ernest de Ganay
C’était un Parisien de Paris, pourrait-on dire s’il n’avait été Roumain. Nous dirions même — suivant le terme que l’on employait dans sa génération — un « boulevardier ». Après de fortes études au collège Sainte-Barbe, le prince Cantacuzène avait embrassé la carrière diplomatique, à la fin de laquelle il prit sa retraite en qualité de ministre plénipotentiaire, se montrant dans la « carrière » le digne héritier politique des hommes d’État de sa race. En poste à Paris, et à Bruxelles — en tant que pays de langue française — la culture latine n’eut point de secret pour Charles-Adolphe Cantacuzène ; il connaissait non seulement tous les auteurs, mais les finesses les plus subtiles de notre langue. Il ne cessa de fréquenter les cénacles littéraires les plus divers, du symbolisme jusqu’aux auteurs modernes, tels que Giraudoux et Duhamel, et, particulièrement, Paul Valéry, qui, après Mallarmé, influença singulièrement son œuvre.
Car Charles-Adolphe Cantacuzène fut non seulement un diplomate distingué, mais aussi un auteur qui mériterait de demeurer, si notre époque avait le sens véritable des valeurs. La princesse Marthe Bibesco44 — ce délicieux écrivain — l’a caractérisé un jour par un mot des plus heureux lorsqu’elle nous parla de son « charmant génie » qui sera « un jour reconnu ». Et voilà une vérité. Cantacuzène laisse derrière lui plus de trente livres ou opuscules. Tirés à petit nombre, et surtout pour être distribués à ses amis, ils n’ont pas, semble-t-il, attiré ce qu’on est convenu d’appeler le « grand public ».
Cependant cette sorte de triptyque littéraire qu’il nous a offert, est non seulement amusant, mais parfois émouvant (ses poèmes), et toujours du plus grand intérêt (ses Fragments, Mémoires). Enfin, troisième volet de ce triptyque, c’est ce goût que montra Cantacuzène pour la figure scintillante, aussi diverse qu’attachante, de Charles-Joseph, le spirituel prince de Ligne, à cheval sur deux siècles (1735-1814). Il eut la bonne fortune de retrouver en manuscrit cet inédit et si divertissant Journal de Baudour, recueil de chansons de Ligne et de sa société, montrant tout le charme de la vie qui se déroulait dans ce « Trianon » de Belœil, autour de Ligne et d’» Angélique », qui en était la reine. De plus, Cantacuzène savait tout de ce personnage, auquel d’ailleurs il s’apparentait souvent par l’esprit, la fantaisie qu’il déployait. Comme lui, il écrivait sans désemparer (nulla dies sine linea), et, comme lui, « pendant la toilette du matin » — notes griffonnées sur des papiers d’aventure. Ce sont toutes ces notes de Cantacuzène qui nous ont valu ces curieux Mémoires fragmentés du Conseiller de Légation C., en trois volumes. À la vérité, l’on y trouve de tout : du sublime et du baroque, du profond et de l’entortillé, des pirouettes et de la poésie, toute une gamme, qui va de la fantaisie au génie.
Mais, surtout, incomparables sont ces portraits dessinés d’un burin rapide, implacable, définitif. Quelle galerie divertissante que celle où nous rencontrons — ne citons ici que les morts (et ne le sont-ils pas presque tous, ceux qu’il a connus ?) — tant d’écrivains de sa génération ! Voici par exemple Catulle Mendès « toujours blond-mourant, les deux premiers boutons de son gilet déboutonnés… la tête renversée toujours à l’arrière de la lavallière et de son col rabattu, vers les étoiles diurnes et autres, l’Apollon du Septennat… Il risquait parfois l’anecdote loin : “Voyons, Catulle ! réclamait Mme Mendès45, l’air d’une Égyptienne, assez !” »
De Paul Adam46 : De ses mains fiévreuses l’une à l’autre entrelacées jaillissaient des idées, eût-on dit ; cordial, génial. » Quant à Remy de Gourmont, « masque très curieux, chagrin, affable, Tes bras encagoulés, silencieux ; un corridor de livres »… Après la mort de l’écrivain, Cantacuzène écrit : Je fus mandé afin que l’on pût me remettre un sonnet sur moi trouvé dans ses derniers papiers. » Et ce sonnet, le voici :
Cantacuzène
Au cœur d’argent,
Au rire amène,
Esprit songeant !
Tu te promènes
Tout en piaffant
De l’Hippocrêne47s
Au Bois-Songeant,
Et quand tu cueilles
En souriant
Cœurs, fleurs ou feuilles,
Tu les effeuilles
Si gentiment,
Si gentiment !
(Recueilli dans les Phosphores mordorés, 1914(48).)
Voici maintenant Mme Alphonse Daudet, « automne distingué aux yeux de langueur », racontant ses souvenirs sur Barbey d’Aurevilly : « Trop pommadé, le maître graissait un peu les fauteuils » ; Mlle Read49, « pétrifiée dans sa virginité octogénaire et filiale, reflet de la renommée obligeante de Barbey d’Aurevilly, dont elle fut le secrétaire des vieilles années ». Au café, Ernest La Jeunesse50 « aux vingt bagues reflétait glabrement sous son monocle mille blagues, admonestant drôlement, avec une figure reluisante de concetti51, et une voix aigre et paterne52 » tantôt Mendès, et tantôt Bergerat53, entrant « perché sur une haute canne ».
Au milieu de pensées philosophiques, d’aphorisme», de quatrains, parfois une boutade « Mallarmé, heureux homme, intraduisible même en français. » Et son portrait : Cantacuzène s’est « transporté chez lui », en 1897, rue de Rome, alors qu’il était jeune petit homme », et il le voit ainsi : Un moine — mais non rasé — à l’aspect si complaisant et si lointain, portant un châle frileux et la tête penchée, les bras croisés sur sa robe de chambre, et d’une politesse assez extrême… » L’année d’après, le même Mallarmé caractérise les poèmes de Cantacuzène « …rareté résumée par une magie ». Henri de Régnier, « c’est la lyre antique qui résonne occultement en harpe, dans un souper du XVIIIe siècle ». Ainsi autant de portraits « en instantané transcendant », lui écrivait Max Nordau54 en 1907.
Paul Valéry, « géométrique, mallarméen ; algèbre sentimentale, compassée de courtoisie nerveuse… » Nos lecteurs souscriront-ils entièrement à cette vision, qui appellerait sans doute d’autres gloses plus hautes ? Mais, de 1916, cette exquise fantaisie poétique de Valéry, d’autre part infiniment flatteuse :
Kant accuse ici-bas une si fauve haine
(L’écho répond : Cantacuzène)
Qu’il est doux de se fondre à ta fine syrinx,
Diplomate discret, mais fantasque larynx
Soufflant au frac brodé l’âme syracusaine
(L’écho redit : Cantacuzène.)
(Poème recueilli dans les Glyptiques elliptiques55.)
Outre ces Glyptiques, nous avons déjà cité, parmi les recueils de Cantacuzène, ses Phosphores mordorés ; l’on voit assez que le poète aimait à leur donner des titres recherchés, annonciateurs de vers hermétiques, abscons, tout mallarméens. Il maniait en effet la langue française, souvent avec quelque préciosité, on jouant avec les mots, mais toujours avec une habileté extrême, et le sens de toutes nuances. Prosodie jamais indifférente dans ses recherches verbales, et souvent dans ses jeux, peut-être paravent contre l’émotion ?
Et n’a-t-il pas mis tout son cœur dans ce Rondel vert, dédié à son épouse, et à sa fille, charmantes :
Si vous vivez encore
Quand je ne serai plus
Pleurez donc sur la flore
Des bonheurs révolus.
Vos pleurs, ces lys émus,
Rappelleront l’aurore
Si vous vivez encore
Quand je ne serai plus.
Les chers moments perdus
De nouveau vont éclore ;
L’écho des joncs feuillus
Redeviendra sonore ;
Et les souvenirs tus,
Lueurs de météore,
Brilleront vers Vénus,
En flambeaux de phosphore,
Quand je ne serai plus,
Si vous vivez encore.
(Extrait des Phosphores mordorés, 1926.)
L’homme était courtois, affable, direct, avec des amitiés toujours plus fidèles avec les ans. Nous possédons de lui d’innombrables billets, infiniment spirituels dans leur affection, toujours écrits sur de petits cartons blancs, format des cartes de visite. Son regard était bon, ses yeux, fins et pénétrants, malicieux parfois, sans méchanceté. Toujours habillé d’amples jaquettes, il portait des cols à demi engoncés, cravatés à la Royer-Collard56, avec des cheveux romantiques assez.
Et voici la palme que j’emprunte à mon ami Cantacuzène pour la déposer sur son tombeau :
La mort, est-ce moins que l’absence ?
Notes
1 Adolphe Paupe (1854-1917), bibliographe, spécialiste de Stendhal, auteur de La Vie littéraire de Stendhal, éditée à Genève et, avec Auguste Chéramy (1840-1912), de la Correspondance de Stendhal.
2 Jean Royère (1871-1956), directeur des Bibliothèques municipales de la Ville de Paris, poète et éditeur. Jean Royère a fondé La Phalange, revue symboliste, en 1906. Jean Royère et Charles-Adolphe Cantacuzène étaient proches. Pour un conflit entre Jean Royère et Paul Léautaud à propos d’un poème de Francis Vielé-Griffin voir le Journal littéraire au vingt janvier 1909 et jours suivants.
3 André-Ferdinand Herold (1865-1940), petit-fils du compositeur, chartiste, poète, conteur, auteur dramatique et traducteur. A.-F. Herold entretient des rapports privilégiés avec Gabriel Fauré ou Maurice Ravel. Il est auteur Mercure depuis 1891 et titulaire de la critique dramatique d’avril 1896 à juillet 1907 puis remplacé par Maurice Boissard. André-Ferdinand Herold a écrit 210 textes dans le Mercure entre février 1894 et décembre 1936.
4 Jean Marnold (Jean Morland, 1859-1935), homme de lettres, musicographe (ami de Maurice Ravel), traducteur de l’allemand, chroniqueur musical au Mercure. » Jean Marnold est le frère aîné de Jacques Morland (1876-1931). Jean Marnold perdra sa chronique musicale au Mercure dans des circonstances qui seront décrites par Paul Léautaud le 30 janvier 1932.
5 Comme les Gibert, les Dorbon étaient deux frères libraires. L’aîné, Louis, tenait ses deux librairies 19, boulevard Haussmann et 7, Quai Malaquais (à côté de la librairie Champion qui se trouvait au numéro 5). C’est Lucien, le cadet, qui était installé au numéro 6 de la rue de Seine.
6 Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), homme politique et auteur dramatique. Antoine-Vincent Arnault a la particularité d’avoir été élu deux fois à l’Académie française (en 1803 et en 1829), dont il est devenu secrétaire perpétuel en 1833. Souvenirs d’un sexagénaire, chez Dufay, 17, rue des Marais-Saint-Germain (actuelle rue Visconti), 1733. « Les Souvenirs d’un sexagénaire, dans lesquels les historiens ont souvent puisé, demeurent un témoignage irremplaçable sur le monde des lettres et des arts » (notice actuelle d’H. Champion).
7 Charles-Adolphe Cantacuzène est né à Bucarest.
8 Il s’agit vraisemblablement du catalogue de vente de livres d’Alphonse Margraff (1876-1951), 37, rue Saint-André-des-Arts.
9 Comme le montre l’image ci-dessous, il s’agit bien du nom Cantili avec un seul l, alors que la lettre du 31 décembre à Charles-Adolphe Cantacuzène en porte deux.

10 Nicolas Restif de La Bretonne (1734-1806), parfois écrit phonétiquement Rétif. NRLB était typographe et homme de lettres éclectique et particulièrement fécond, surtout connu pour son autobiographie en huit volumes, Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé, concentré sur le récit de seulement trois années de sa vie (1794 à 97). Dans la même veine on peut lire également La Vie de mon père, en deux parties. « Ô Rétif de La Bretonne ! Tu ne seras apprécié que fort tard ; mais je m’honore de t’offrir ici mon suffrage, dussé-je être le seul à sentir ton mérite. » Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, chapitre CXLV : « Brochures », réédité au Mercure en 1984, (pages 353-354). Le 24 juillet 1955 Paul Léautaud aura un intérêt tout autre pour Mes Inscriptions, lui trouvant un « intérêt prodigieux ».
11 Mes Inscriptions, journal intime de Restif couvrant les années 1780 à 1787 et paru un siècle plus tard d’après un manuscrit conservé à la bibliothèque de l’Arsenal (réédité par Hachette en 2012, 474 pages).
12 Cette phrase constitue un indice parmi d’autres qui laissent penser à de nombreux mélanges de dates dans l’édition du Journal littéraire. C’est en effet dans un an exactement que Maurice Boissard quittera le Mercure de France pour aller porter ses chroniques dramatiques aux Nouvelles littéraires.
13 Hermès est considéré comme l’inventeur de tous les arts, de toutes les sciences et comme l’auteur de nombreux écrits hermétiques. Trimégiste : trois fois plus grand.
14 Il s’agit de ce très bel hôtel à l’angle de la rue des Pyramides et de la rue de Rivoli, face au Louvre. L’entrée est sur cette placette où se trouve la statue de Jeanne d’Arc.
15 Armanda Cantacuzène (1913-1975).

Charles-Adolphe Cantacuzène en compagnie de son épouse Juliett et de sa fille Armanda
16 La taverne du Panthéon était une grande brasserie, 26, rue Soufflot, qui faisait l’angle du boulevard Saint-Michel. En 1934 cette taverne a été reprise et renommée « café Capoulade ».
17 Charles-Adolphe Cantacuzène a écrit de nombreuses œuvres sous des titres de cette veine. On peut penser à ses premières œuvres, Les sourires glacés, Les douleurs cadettes (Perrin 1886 et 1887) comme à ses plus récentes alors : Phosphores mordorés ou Glyptiques elliptiques (Perrin 1927). Charles-Adolphe Cantacuzène était spécialiste du Prince de Ligne dont il éditera des Plus belles pages au Mercure en 1934.
18 Gaston Deschamps (1861-1931), normalien, membre de l’École française d’Athènes en 1885. Rédacteur, puis secrétaire de la rédaction du Journal des Débats, Gaston Deschamps a succédé à Anatole France comme critique littéraire au Temps. Professeur au Collège de France, il a collaboré à la Revue Bleue, à la Revue des deux mondes, à la Revue de Paris, au Figaro. Gaston Deschamps publia des poèmes et des ouvrages critiques. Il publia aussi une biographie de Marivaux et une autre de Pierre Waldeck-Rousseau. Député des Deux-Sèvres de 1919 à 1924. Gaston Deschamps fut président de la commission des Beaux-Arts. On ne confondra pas Gaston Deschamps avec Léon Deschamps (1863-1899), romancier et poète, fondateur de la revue littéraire La Plume.
19 Marie d’Édimbourg (1875-1938), membre de la famille royale britannique, devenue par mariage reine consort de Roumanie.
20 Carol II (1893-1953), roi de Roumanie de 1930 à 1940.
21 Carol II ayant une vie dissolue, son père, Ferdinand 1er, a désigné, en 1925, son petit-fils Michel, né en 1921, fils aîné de Carol, comme héritier de la couronne. Carol s’installe à Nice et fait la fête. Mais Ferdinand meurt en 1927 alors que Michel n’a que six ans. Carol commençant de manquer d’argent parviendra à reprendre le pouvoir en 1930.
22 Raymond Poincaré (1860-1934), président de la République de 1913 à 1920. On ne confondra pas Raymond Poincaré avec son cousin Henri Poincaré (1854-1912), mathématicien, physicien, philosophe et ingénieur.
23 Ion Brătianu (1864-24 novembre 1927), cinq fois président du Conseil des ministres du royaume de Roumanie.
24 Pidanzat de Mairobert, Les Conversation du jour de l’an chez Madame du Deffand il y a un siècle — précédées d’observations nouvelles sur les Mémoires secrets dits de Bachaumont et sur l’Espion anglois / par A. P. Malassis — Avec fac-simile de la reliure aux Chats de Madame du Deffand. J. Baur, libraire-éditeur, 11, rue des Saints-Pères, janvier 1877. Ce texte a été réédité chez Hachette/BNF en 2016.
25 Auguste Poulet-Malassis (1825-1878), éditeur issu d’une longue lignée d’imprimeurs, est surtout connu pour avoir été, avec son beau-frère Eugène de Broise, l’éditeur des Fleurs du mal.
26 La « reliure aux chats » est un dos de volume, reproduit sur la page XI de l’ouvrage, consultable chez Gallica. Mairobert note : « Cette reliure, en veau fauve, est sur un exemplaire des Considérations sur les mœurs de ce siècle, de Duclos ; Paris, Prault, 1751, in-12, frontispice de Gravelot. »
27 Le quotidien Le Journal du huit mars, page quatre, première colonne et plusieurs autres quotidiens auxquels Jean Royère a envoyé le communiqué. Voir aussi, dans Le Figaro du vingt mars page trois, le compte rendu des Alguazils et dans Le Gaulois du 22, page trois, colonne quatre. Voir aussi la dernière page du Figaro du 31 mars, le texte de l’allocution prononcée par Charles-Adolphe Cantacuzène au cours de ce banquet.
28 Abel Hermant (1862-1950), écrivain et dramaturge à succès sous la Belle époque. Élu à l’Académie française en 1927, Abel Hermant deviendra sous l’occupation un chantre de la collaboration. Après la libération, il sera condamné pour faits de collaboration, incarcéré et exclu de l’Académie française.
29 Plusieurs chansons reprennent le mythe de Tircis, berger sicilien jouteur de flûte (et sans doute beau garçon).
30 Sic dans l’édition Dormoy de la Correspondance générale de Paul Léautaud. La faute de transcription est patente.
31 Le Prince de Ligne, collection « Les plus belles pages », par Paul Morand, avec une préface de Charles-Adolphe Cantacuzène, postface de Paul Morand, Mercure de France 1934.
32 Cette aquarelle a été donnée par le libraire Robert Télin le 19 juin 1926 à l’occasion de la vente, par Paul Léautaud, des lettres qu’il détenait de Paul Valéry. Journal de ce 17 juin : « Télin touche aussi une commission, fort minime, m’a-t-il assuré, en argent. […] Je lui ai alors demandé par-dessus le marché un des dessins fort libres, de Constantin Guys, achetés par lui à la vente de Pierre Louÿs. Je n’ai pu prendre le plus beau (tout à fait XVIIIe siècle), qu’il s’est réservé pour lui sur les 15 qu’il a achetés ainsi. J’ai alors choisi celui qui m’a paru le mieux après celui-là […]. Il faudra que je mette cela sous verre et que je l’accroche à la tête du lit de la Panthère pour son retour.
33 Évitons d’entretenir une erreur : l’ouvrage est de Paul Morand, seule la préface est de Charles-Adolphe Cantacuzène, qui s’est peut-être occupé de l’édition.
34 Lire « Sur Maximilien de Lamberg (1729-1792) », paru dans le Mercure daté du premier mai 1935, page 503. Paul Léautaud a laissé le nom en blanc, se réservant de le noter ultérieurement… Puis a oublié.

35 « Passer sous sa porte », on imagine mal Paul Léautaud se rendant à l’hôtel Régina, où il aurait d’ailleurs fait déposer le mot dans la case par le concierge. On peut donc imaginer que Charles-Adolphe Cantacuzène a loué un appartement au mois, dont Paul Léautaud connaît l’adresse.
36 Gabriel Sénac de Meilhan (1736-1803), avocat au Parlement de Paris en 1762, maître des requêtes au conseil d’État en 1763, écrivain éclectique. Le volume est effectivement paru au Mercure.
37 Ici, dans l’édition papier, un point d’interrogation entre crochets.
38 Remplacé de [illisible] dans l’édition papier
39 Il s’agit du 22, rue du Général H. M. Berthelot. Henri Mathias Berthelot (1861-1931) militaire français.
40 Charles-Adolphe Cantacuzène, Hypotyposes. Aléas et alinéas, Perrin 1916, 157 pages.
41 Charles-Joseph Lamoral, 7e prince de Ligne (1735-1814), diplomate, militaire et homme de lettres belge de langue française.
42 L’heure sucrière ! on ose imaginer les emportements qu’aurait eu à subir de la part de Paul Léautaud, tout autre poète qu’il aurait moins apprécié.
43 Ernest de Ganay (1880-1963), poète et historien des jardins et des châteaux.
44 La Roumaine Marthe Lucie Lahovary (1886-1973), a épousé en 1902 le prince roumain George-Valentin Bibesco (1880-1941). Marthe Bibesco visite l’Europe rencontre les plus grands écrivains, Maxime Gorki, Maurice Barrès, Marcel Proust… Elle écrit un Journal qui représentera 65 volumes, tient salon dans son appartement du 49 quai Bourbon, qui est aussi l’adresse de Louise Faure-Favier. Marthe Bibesco est surtout connue pour son roman Le Perroquet vert, paru chez Grasset en 1924.
45 Il y a eu plusieurs Madame Mendès. La première, Judith Gautier, a été épousée en 1866 malgré l’opposition de son père, Théophile Gautier. Après quelques maîtresses dont la compositrice Augusta Holmès à qui il fera cinq enfants et la comédienne Marguerite Moreno à partir de 1892, sa seconde épouse a été Jeanne Mette (1867-1955), épousée en 1897 et mère de Marcel Boussac (1899-1980). Quant à savoir laquelle ressemblait le plus à une Égyptienne…
46 Paul Adam (1862-1920), écrivain et critique d’art. Son premier roman, Chair molle (1885), accusé d’immoralité, provoque le scandale. On lira avec intérêt le portrait de Paul Adam dressé par André Billy dans La Terrasse du Luxembourg (Fayard 1945), page 139 et suivantes.
47 Les lecteurs de leautaud.com savent de quoi il s’agit et savent aussi que le s final est fautif.
48 Il faut comprendre que ces Phosphores mordorés sont un recueil de poésies de C.-A. Cantacuzène paru chez Perrin en 1926. On a du mal à comprendre, cependant, que CAC ait inséré de lui-même son éloge dans son recueil. Le préfacier, peut-être ?
49 Louise Read (1845-1928) fait son apparition en 1879 dans la vie d’un Barbey d’Aurevilly de 71 ans, chez Annette Coppée. Elle a trente-cinq ans et devient son admiratrice. Dans les faits, elle sera à la fois la gouvernante et la « chargée d’affaires » de Barbey d’Aurevilly. Son dévouement se double vraisemblablement d’un amour muet. Par testament, Barbey en fait sa légataire universelle. Elle fondera le musée Barbey d’Aurevilly. (Source : Médiathèque Louise Read de Saint-Sauveur-le-Vicomte).
50 Ernest La Jeunesse (Ernest Léon Lajeunesse-Caën, 1874-1917, mort à 43 ans), écrivain, caricaturiste et critique littéraire.
51 Un concetti est un trait d’esprit parfois d’un goût douteux. Ce mot est rarement employé au singulier.
52 Paterne : « Qui témoigne ou est empreint (parfois avec affectation) de sentiments bienveillants et protecteurs qui évoquent le comportement d’un père. » (TLFi) On pourrait aussi dire « doucereux ».
53 Émile Bergerat, dit Caliban (1845-1923), poète et auteur dramatique. Chroniqueur au Voltaire et au Figaro, membre de l’académie Goncourt en 1919, il fut également le directeur de publication de La Vie moderne de l’éditeur Georges Charpentier. En 1872 Émile Bergerat a épousé Estelle Gautier (1848-1914), autre fille de Théophile Gautier, d’où la rapprochement avec Catulle Mendès. À la toute fin de la journée du 2 mai 1908, PL dira d’Émile Bergerat qu’il est « un type indiscutable du raté ». Émile Bergerat sera élu à l’académie Goncourt en 1919 au couvert de Paul Margueritte.
54 Max Simon Nordau (Simon Maximilian Südfeld, 1849-1923,) médecin hongrois, écrivain allemand et défenseur du sionisme dont on se demande un peu ce qu’il vient faire là.
55 Charles-Adolphe Cantacuzène, Glyptiques elliptiques, Perrin 1927, 35 pages.
56 Royer-Collard (Pierre-Paul Royer, 1763-1845), homme politique (royaliste libéral lors de la Révolution), philosophe.

Royer-Collard (Artiste inconnu.)